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Les collections du Palais Galliera Lyon en couleurs, les photographies de Paul Nerson La haute couture en 1942 Paroles de Lyonnaises POUR VOUS, MESDAMES ! La mode en temps de guerre

Pour vous, Mesdames ! (extrait)

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LA MODE EN TEMPS DE GUERRE Ouvrage accompagnant l'exposition du même nom présentée au CHRD de Lyon. Bénéficiant des contributions d’historiens et d’historiens de la mode, fort d’une iconographie inédite qui révèle les trésors cachés des collections publiques françaises, l’ouvrage ambitionne de rendre compte de l’énergie déployée par toutes les femmes pour continuer à se vêtir avec élégance, malgré les restrictions et les difficultés. Il dresse aussi, en filigrane, l’image sociale de la femme et son évolution dans cette période si particulière.

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Les collectionsdu PalaisGalliera

—Lyon en couleurs,

les photographiesde Paul Nerson

La haute couture en 1942

—Paroles de

Lyonnaises

pour vous,mesdames !

La mode en temps de guerre

prix : 16 €ISBN : 978-2-917659-35-9dépôt légal : novembre 2013

www.editions-libel.fr

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« J’avais coupé cette jupe dans le pantalon de mon père, j’avais fait ce sac en ficelle, j’avais utilisé de la grosse toile pour faire des chaussures. J’avais deux jupes, une robe et pas davantage, avec ça on arrivait quand même à être élégante. »Jeanne, adolescente à Lyon pendant la guerre.

pour vous, mesdames ! La mode en temps de guerre

L’évocation de ces prouesses restitue de façon quasi immédiate, avec les chaussures à semelles de bois et le trait sur la jambe imitant la couture du bas, tout un pan de la vie quotidienne des Françaises entre 1939 et 1945. Bien loin de la légèreté supposée du sujet, la mode et le vêtement représentent un enjeu culturel et économique important pendant la guerre.

Bénéficiant des contributions d’historiens et d’historiens de la mode, fort d’une iconographie inédite qui révèle les trésors cachés des collections publiques françaises, l’ouvrage ambitionne de rendre compte de l’énergie déployée par toutes les femmes pour continuer à se vêtir avec élégance, malgré les restrictions et les difficultés. Il dresse aussi, en filigrane, l’image sociale de la femme et son évolution dans cette période si particulière.

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Suzanne Perné dans sa cuisine, rue des Marronniers, Lyon, mars 1941© Paul Nerson, collection Pierre Chevillot

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06 Préface L’adjointe au maire de Lyon déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants

08 La situation de La mode et du vêtement à Lyon Pendant La guerre10 Vivre à Lyon pendant la guerre Isabelle Doré-Rivé20 La soierie lyonnaise Dominique Veillon Pierre Vernus Martine Villelongue24 Présentation de la haute couture à Lyon Dominique Veillon28 Lyon en couleurs, les photographies de Paul Nerson Marion Vivier

44 entre haute couture et Pénurie46 Les conditions de la mode en guerre Christine Levisse-Touzé Dominique Veillon50 Les collections du Palais Galliera : témoins de la mode sous l’Occupation Fabienne Falluel Marie-Laure Gutton56 Cahier Mode64 La coquetterie envers et contre tout Nadine Gelas

72 regards croisés : trois jeunes fiLLes Pendant La guerre Denise, Jeanne et Jeannette : Paroles de Lyonnaises

80 interPrétation et rePrésentation de La mode des années de guerre aPrès 194582 La collection 71 d’Yves Saint Laurent Farid Chenoune84 La mode sous l’Occupation : visions et enjeux au cinéma Nicole Foucher88 Le style vestimentaire des années de guerre dans les œuvres de fiction, l’exemple d’Un village français

90 rePères chronoLogiques

93 BiBLiograPhie

95 contriButions et remerciements

SOMMAIRE

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Préface

Sac à main de Marie-Émilie Brachet-Veyrier — CHRD © Pierre Verrier

En 1941, un décret interdit la fabrication des sacs en cuir, qui disparaissent de fait du paysage urbain. Les femmes qui ontla chance d’en posséder un y sont d’autant plus attachées qu’elles font figure d’exception. Marie-Émilie Brachet en fait partie.Âgée d’une soixantaine d’années à la déclaration de la guerre, elle est la veuve d’un commerçant du nom de Marius Veyrierqui tenait un magasin pour dames « Au Bon Marché » à Saint-Rambert-en-Bugey (Ain). Le contenu de son petit sac rendbien compte des habitudes prises tout au long de ces années de pénurie, quand le moindre fil ou bout d’allumette estconservé en vue d’un probable réemploi.

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La Ville de Lyon entretient avec la mode et le textile une histoire toute particulière depuis plusieurs siècles, l’implantation de l’indus-trie de la soie au Moyen Âge y a beaucoup contribué.Lors de la Seconde Guerre mondiale, Lyon a connu un destin hors du commun, devenant à la fois un refuge pour ceux qui tentaient de fuir l’occupation allemande, jusqu’en no-vembre 1942, mais aussi un lieu d’ébullition intellectuelle, d’échange, de création et en-fin, d’émergence d’une Résistance précoce.

S’intéresser à l’histoire de la mode durant cette période tragique n’est pas une dé-marche futile, qui pourrait même paraître inconvenante à certains. S’intéresser à la mode, c’est interroger notre rapport intime au vêtement, à l’image que l’on donne de soi, même en des circonstances terribles. C’est évoquer le sens de la dignité qui habitait nos mères et nos grands-mères quand elles étaient contraintes de déployer des trésors d’ingéniosité et d’énergie pour continuer à s’habiller et à habiller leur famille en dépit des pénuries de toutes natures auxquelles elles devaient faire face.

L’étude de l’histoire de la mode nous conduit aussi à découvrir l’organisation économique de l’industrie textile, en l’occurrence cen-tralisée à Lyon à partir de 1941 pour ce qui concerne la soierie. C’est aussi découvrir qu’une bonne partie de la production était assurée, avant-guerre, par de très petites en-treprises dirigées par des artisans juifs qui furent massivement victimes de « l’aryanisa-tion économique » imposée par Vichy.

L’idée de cette exposition ambitieuse est née d’une série de rencontres et surtout de la vi-site de la très belle exposition « Accessoires et objets, témoignages de vies de femmes à Paris, 1940-1944 » présentée en 2009 au Musée du général Leclerc et de la libération de Paris / Musée Jean Moulin de la Ville de Paris.

Sans plagier nos amis parisiens, il s’agissait pour le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon de présenter un panorama du vêtement pendant la guerre, vu de Lyon.

Pour cela, un partenariat fructueux a été mis en place avec le Palais Galliera et le Musée Jean Moulin dont je remercie les directeurs, Olivier Saillard et Christine Levisse-Touzé, ainsi que leurs équipes. Les nombreux mu-sées textiles de la région Rhône-Alpes ont également beaucoup contribué au projet grâce à leurs prêts et leurs conseils : le Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, le Musée international de la chaussure de Ro-mans-sur-Isère, l’Atelier-Musée du chapeau à Chazelles-sur-Lyon, les anciennes Soieries Bonnet de Jujurieux.

Je veux aussi souligner l’extraordinaire tra-vail du conseil scientifique mis en place, il y a plus de deux ans déjà, pour mener à bien ce projet. Composé d’historiennes et d’historiennes de l’art reconnues dans le do-maine de la mode, il a contribué à structurer l’exposition tout en veillant à toujours bien replacer les concepts dans leur perspective historique.

Christine Levisse-Touzé, directrice du Musée du général Leclerc et de la libération de Paris / Musée Jean Moulin de la Ville de Paris, Dominique Veillon, directrice de recherche honoraire au CNRS, Martine Villelongue, directrice de l’Université de la mode, Nicole Foucher, maître de confé-rences cinéma et mode, Université Lumière Lyon 2, Université de la mode, et Marie-Laure Gutton, chargée du département Accessoires du Palais Galliera se sont ainsi lancées dans l’aventure avec enthousiasme et efficacité, qu’elles en soient remerciées. Il faut aussi signaler l’engagement de deux étudiantes du DUERM de l’Université de la mode, Fanny Cazaux et Atena Pontes, qui ont contribué par leurs recherches à enrichir le corpus des objets et documents présentés.

Enfin, je veux remercier la vice-présidente du Grand Lyon en charge des Industries créatives et des Grands évènements métro-politains qui, tout en participant activement au conseil scientifique, a toujours soutenu le projet dès ses prémices. Elle a su y appor-ter sa parfaite connaissance du monde de la mode et sa créativité, facilitant ainsi l’avan-cée du projet.

Parallèlement, il faut souligner un véritable élan de particuliers, sollicités par voie de presse et via le site internet du CHRD, qui a permis de donner à voir des souvenirs de fa-mille – vêtements, patrons, mais aussi pho-tographies – qui eux seuls permettent de se rendre compte de la mode de tous les jours.

Cette belle exposition est la première pré-sentée par le CHRD depuis sa réouverture en novembre 2012. Elle devrait permettre à cet établissement riche de plus de vingt ans d’existence maintenant de réaffirmer sa volonté d’explorer toujours plus les pans de l’histoire sociale et culturelle, rapprochant ainsi les nouvelles générations d’un passé qui s’éloigne inexorablement.

L’adjointe au maire de Lyondéléguée à la Mémoire etaux Anciens combattants

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La situationde la mode

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Vivre à Lyon pendantla guerreAlors que la population française devient majoritairement urbaine à partir des années 1930, Lyon apparaît à la veille de la guerre comme une grande métropole de près de 460 000 habitants, forte de son activité éco-nomique tournée vers l’industrie chimique et textile, mais aussi centre hospitalier ré-puté, ville dotée d’universités dynamiques (même si elles ne rassemblent que quelques centaines d’étudiants). C’est un bastion du parti radical, incarné par le maire Édouard Herriot, élu en 1905 et plusieurs fois prési-dent du Conseil. Les syndicats y sont puis-sants. Lyon est également une ville où le ca-tholicisme, avec ses différents courants, est profondément implanté.Au cours de la Première Guerre mondiale, Lyon était une des principales villes de l’ar-rière et a contribué à l’effort de guerre grâce à son industrie, reconvertie pour l’occasion, et ses hôpitaux qui accueillaient les blessés de guerre. La ville a payé un lourd tribut : plus de 10 000 hommes sont morts au combat. Leur souvenir est rappelé à partir de 1930 sur l’imposant monument érigé sur l’Île aux cygnes, au parc de la Tête d’Or.

La montée vers La guerre

Si les Lyonnais sont bien informés des évé-nements internationaux de l’entre-deux-guerres par la presse (ils disposent de plu-sieurs quotidiens locaux comme Le Progrès, Lyon Républicain, Le Nouvelliste, mais aussi d’hebdomadaires comme La Vie lyonnaise) ou encore par les actualités cinématogra-phiques, ils se sentent peu menacés par l’expansionnisme allemand. L’imminence d’une guerre devient pour eux réalité avec l’arrivée des premiers réfugiés, principale-ment juifs, d’Europe centrale, Italiens anti-fascistes ou Espagnols antifranquistes dans les années 1930. C’est surtout après les accords de Munich en septembre 1938 que l’application des mesures de Défense pas-sive dans la ville rend concrète la menace. Des tranchées sont creusées place Bellecour, des caves sont identifiées comme étant assez solides pour servir d’abri, les habitants reçoivent chacun un masque à gaz qu’ils devront emporter partout avec eux pendant toute la « drôle de guerre ».

Après l’offensive allemande de mai 1940, les choses se précipitent : Lyon est rattrapée par la guerre. Le 14 juin, les Allemands sont à Paris, le 18 ils sont aux portes de Lyon qui est déclarée « ville ouverte » par son maire, soucieux d’épargner les populations civiles. Les Lyonnais subissent alors une première occupation de moins de trois semaines : en effet, dès le 22 juin, les conditions de l’armistice sont connues, Lyon sera dans la zone non occupée et acquiert donc de ce fait une réelle attractivité pour la population de la zone nord.

Cette première période, allant de juillet 1940 à novembre 1942, tranche nettement avec la période de la seconde occupation, du 11 novembre 1942 au 3 septembre 1944. Les Lyonnais découvrent les vicissitudes de l’occupation étrangère et sa brutalité. Les témoins de l’époque seront frappés par la présence des Allemands, très visible dans l’espace public : marquage des adminis-trations et grands hôtels occupés par eux, passage à l’heure allemande, en avance de deux heures sur l’heure solaire en 1943, dé-

Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHrd

Essais de masques à gaz, Lyon, 1939© Émile Rougé, collection Simone Ordan

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filés militaires, interdiction de circuler dans certains secteurs comme celui de l’École du service de santé militaire avenue Berthelot, siège de la Gestapo.

un nouveau régime

Très vite, en juillet 1940, la ville reprend son aspect habituel – les destructions ayant été peu nombreuses –, mais le quotidien des habitants est durablement bouleversé. Cho-qués par la défaite de l’armée française qu’ils

pensaient la meilleure du monde, par l’occu-pation étrangère d’une partie du pays et par la désorganisation de la société, les Lyonnais cherchent à comprendre les raisons du dé-sastre. Plus qu’en zone occupée, le change-ment de régime est perceptible, notamment à travers l’intense propagande du gouverne-ment de Vichy. Les discours du Maréchal sont largement repris dans la presse locale, mais aussi nationale, certains titres comme Le Figaro ou L’Action française étant repliés à Lyon, les affiches illustrant les principaux

thèmes de la Révolution nationale (Travail, Famille, Patrie) sont placardées sur les murs de la ville, comme en témoignent les pho-tographies d’époque, donnant aux rues une atmosphère particulière.

Enfin, l’idéologie du nouveau régime pé-nètre également les foyers par le biais des enfants, l’école servant de relais à la propa-gande par l’enseignement d’une nouvelle morale et au développement du culte de la personnalité du maréchal Pétain (les enfants

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reçoivent des images et des bons points à son effigie et apprennent le nouvel hymne de la France, Maréchal, nous voilà !). Dans de nombreuses familles, on installe son portrait dans le salon, car, jusqu’en 1942 du moins, il apparaît comme un sauveur et un guide. Cependant, sa rencontre avec Adolf Hitler en octobre 1940 et l’annonce du début d’une politique de collaboration avec l’Al-lemagne choque beaucoup de patriotes. À travers la politique de Révolution nationale, le gouvernement de Vichy tente d’imposer sa vision de la femme « nouvelle », épouse et mère, saine et naturelle. Renvoyées sans cesse à leurs devoirs, les femmes sont plus que jamais chargées de l’entretien et de la bonne marche du foyer. Durant la guerre, Pétain se rendra à trois re-prises à Lyon, en 1940, 1941 et 1944. Ses visites sont mises en scène et requièrent la participation des enfants, des ouvriers, lais-sant une place de choix aux anciens combat-tants, organisés en Légion des combattants.

Dès l’été 1940, l’accès à l’information devient difficile du fait du renforcement de la censure. Les nouvelles concernant le déroulement de la guerre sont sévèrement filtrées. Reste donc aux lecteurs curieux l’op-portunité de se tourner vers la presse suisse, accessible à Lyon jusqu’en 1942. Après le 11 novembre 1942, la censure allemande vient se superposer à la censure française, rendant le travail objectif des journalistes impos-sible. Les rédactions du Progrès et du Figaro font le choix de saborder leurs journaux qui ne reparaîtront qu’à la Libération. Les lecteurs sont alors condamnés à lire la presse officielle, acquise au régime de Vichy et à la politique de collaboration avec l’Allemagne, ou à se procurer des exemplaires de la presse clandestine qui commencent à circuler à la fin de l’année 1941 et qui atteindront de très forts tirages en 1944.

nouveaux venus et absents

Ville refuge, Lyon voit sa population aug-menter pendant la guerre, la moindre chambre est louée à des réfugiés, intellec-tuels parisiens, Juifs cherchant à échap-per aux persécutions, expulsés d’Alsace- Moselle. Des familles louent ou sous-louent des pièces de leur habitation. Le va-et-vient est incessant dans les immeubles, ce qui favorisera grandement l’organisation de réunions clandestines. Cette surpopulation

présente des désagréments : les services pu-blics, la bibliothèque municipale en parti-culier, doivent faire face à cet afflux d’usa-gers. Le ravitaillement d’une aussi grande ville devient vite problématique.

Si de nouveaux habitants se sont installés en ville, d’autres manquent à l’appel. Ce sont tout d’abord les victimes des combats de 1940, mais surtout les très nombreux pri-sonniers de guerre, plus de 17 000 à Lyon. Il s’agit le plus généralement d’hommes jeunes, chargés de famille. De nombreux foyers sont donc à la charge exclusive de la mère de famille, qui se voit soumise à l’in-jonction paradoxale du gouvernement de Vichy de devoir se consacrer à son rôle de

mère et de femme au foyer, mais qui doit aussi pourvoir aux besoins financiers du foyer. De fait, les interdictions de travailler faites aux femmes se révéleront impossibles à appliquer.

Dès l’automne 1942, la mise en place de la politique de la Relève va entraîner en Alle-magne ceux qui acceptent d’y travailler en contrepartie de la libération de prisonniers de guerre. Enfin, en février 1943, l’instaura-tion du Service du travail obligatoire (STO) fait de tous les jeunes gens nés entre 1921 et 1923 des candidats forcés au départ en Allemagne.

Affiche de propagande du régime de Vichy,Équipe Alain Fournier, illustrateur Joël Bellon, 1940

CHRD / A 336 © Blaise Adilon

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La traque des Juifs, qui s’intensifie entre 1942 et 1944, et la répression des actes de ré-sistance concernent à Lyon environ 10 000 personnes sur l’ensemble de la période. In-carcérés dans des conditions effroyables à la prison de Montluc ou de Saint-Paul et Saint-Joseph pour ceux qui ont été arrêtés par la police française, ils sont déportés dans les camps de concentration situés en Alle-magne. Les Juifs quant à eux sont envoyés dans les centres de mise à mort de Pologne via Drancy ou fusillés sur place.

Les femmes face au quotidien

Plus que jamais, ce sont donc les femmes qui doivent faire face au quotidien. Rapide-ment, les multiples tâches leur incombant avant-guerre (entretien de la maison, édu-cation des enfants, courses quotidiennes en l’absence de réfrigérateur, cuisine, lessive,

confection et ravaudage des vêtements) sont rendues extrêmement complexes par les pé-nuries de toutes natures et la désorganisa-tion de l’économie. On estime qu’en 1942 les femmes passent en moyenne 4 heures par jour dans les queues.Le manque endémique de nourriture, de combustible (charbon, bois, pétrole), de textile et les difficultés de transport sont douloureusement perçus par une popula-tion urbaine qui avait acquis entre les deux guerres, sinon une réelle aisance, du moins un niveau de vie acceptable. Il s’agit d’une rupture brutale avec les habitudes d’avant-guerre, les Français sont alors, pour re-prendre l’expression de l’historienne Domi-nique Veillon, totalement « submergés par les soucis quotidiens ».

Dès le début du conflit, des cartes d’ali-mentation ont été mises en place pour ré-

partir au mieux les denrées. Au fil des mois, la plupart des produits sont soumis aux restrictions, la population est répartie en différentes catégories en fonction de l’âge et de l’activité physique, chacune d’elles ayant droit à une ration précise obtenue en contrepartie de la remise de tickets aux commerçants. Conformément aux condi-tions d’armistice, l’économie française doit en effet soutenir l’effort de guerre allemand. Les prélèvements opérés par l’occupant sont donc massifs.Avant-guerre, les colonies d’Afrique du Nord et d’Afrique équatoriale fournissaient la métropole en vin, céréales, oléagineux, fruits, produits tropicaux (thé, café, cacao, coton, caoutchouc). Du fait de la guerre ces produits n’arrivent que difficilement jusqu’en 1942 et plus du tout ensuite. Enfin, la désorganisation de l’économie fait baisser dangereusement les rendements agricoles en

Alice à bicyclette, Bourg-en-Bresse, 1941© André Gamet

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France et empêche une bonne circulation des matières premières. Mois après mois, les ménagères sont confrontées aux étals presque vides des commerçants et découvrent ou redécouvrent des produits de remplacement, les « ersatz », aussi étranges que peu savoureux, légumes oubliés ou avant-guerre destinés au bétail : topinambours, rutabagas (sorte de gros navets), saccharine qui remplace le sucre, huile de paraffine, etc. Le pain, dont les Français font encore une grosse consommation à l’époque, est sévèrement rationné et pétri à partir d’une farine de moins en moins blutée. Il intègre, outre la farine de blé, des ingrédients divers : farine de pois, de maïs, voire sciure de bois.

La presse féminine consacre des pages entières aux conseils de cui-sine pour aider les mères de famille à préparer des repas aussi nour-rissants que possible : les légumes sont accommodés en ragoûts, la moindre parcelle de viande inté-grée à une préparation pour la faire paraître plus volumineuse, deux œufs, longuement battus avec un peu de lait et beaucoup d’eau, peuvent constituer une omelette pour toute la famille. La consommation mensuelle de viande d’un citadin atteignait 3,5 kg avant la guerre, elle ne sera plus que de 460 grammes en décembre 1942.

Dans ce contexte de disette, en-tretenir des liens avec la famille restée à la campagne devient primordial. Les envois de colis familiaux sont en effet autori-sés et permettent d’agrémenter l’ordinaire. Les dimanches, les Lyonnais tentent de rallier des villages environnants à bicy-clette pour rapporter quelques kilos de pommes de terre, du beurre, des œufs. Riches et pauvres sont inégaux face à la faim : l’argent permet en effet de se fournir au marché noir où l’on trouve de tout à des tarifs prohibitifs. Le poulet peut, en 1942, atteindre 100 francs (le salaire moyen d’un ouvrier étant de 1 200 francs). La population, notamment les agriculteurs, a également recours au troc : une roue de vélo s’échange couramment contre un sac de pommes de terre, une coupe de cheveux contre un peu de jambon. Face aux pénuries, de nombreux citadins retrouvent des habitudes de la cam-pagne : l’élevage des lapins en appartement connaît un certain suc-cès et le nombre des jardins ouvriers augmente : ils sont 75 000 dans l’agglomération lyonnaise en 1943.

s’adapter pour se vêtir

Les restrictions concernant le vêtement sont plus mal perçues en-core que celles concernant l’alimentation ou les combustibles : elles touchent en effet à l’intime, à la liberté même de se vêtir comme on le souhaite, selon ses moyens, et de marquer ainsi son appartenance sociale. Une succession de dispositions réglemente l’achat de pièces d’habillement : des bons de chaussures sont ainsi mis en place en janvier 1941, mais c’est l’instauration de la carte textile en juillet 1941 qui rend le renouvellement des garde-robes pratiquement im-possible.Les rapports mensuels du préfet de région attestent des difficultés des Lyonnais face au manque de laine, de cuir, ou de coton. Ces res-trictions sont consécutives à l’intensité des prélèvements allemands qui, en vertu de la convention d’armistice, exigent d’importantes

livraisons de matières premières. La laine et le cuir donnent ainsi lieu à l’établissement de « plans ». Les approvisionne-ments en matières premières sont par ailleurs perturbés par la ligne de démarcation et le blo-cus anglais. Face à ces difficultés, couturiers et ménagères vont de-voir faire preuve d’ingéniosité, utiliser de nouveaux matériaux et composer avec l’émergence d’un marché noir.

La pratique de la couture faisant partie de l’éducation de toutes les jeunes filles (censées pourvoir à l’habillement de la maisonnée, du moins dans les classes popu-laires), les femmes parviennent à tirer parti du moindre morceau de tissu ou du plus petit écheveau de laine. Là encore, les conseils prodigués par la presse féminine sont précieux pour trouver des idées. Les vêtements sont désor-mais portés jusqu’à usure totale, parfois retournés pour les faire « durer ». Les consommateurs découvrent les textiles artificiels, rayonne et fibranne issues de la viscose obtenue par la transfor-mation de la cellulose, dérivé du bois. Ces nouveaux matériaux sont loin de satisfaire les consom-

mateurs qui les jugent moins chauds que les tissus traditionnels et qui leur reprochent de rétrécir au lavage. Les autorités font donc leur possible pour convaincre les consommateurs d’adopter ces textiles, qui sont notamment présentés en bonne place à la Foire de Lyon en septembre-octobre 1941.

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Pour pallier le manque de cuir, la plupart des chaussures ont dé-sormais des semelles de bois, de liège ou de corde. Pour autant, les femmes parviennent à rester élégantes et dignes. Plus encore que la faim, le froid fait souffrir les Lyonnais, d’autant que les hivers de la guerre sont particulièrement rudes. La sous-alimentation rend la population encore plus sensible. Les contingents de charbon et de gaz sont très faibles et nombreux sont les citadins qui ramas-sent le bois mort dans les jardins publics pour essayer de réchauffer leurs appartements glacés dont on condamne certaines pièces. Dans Marie-Claire, l’écrivain Colette conseille de doubler les vêtements d’intérieur de feuilles de journaux ou de vermicelles de papier au pouvoir isolant.

Les déplacements sont compliqués du fait de l’existence de la ligne de démarcation jusqu’en novembre 1942 et du manque de carbu-rant. Les transports en commun sont pris d’assaut. Certains auto-bus de la compagnie OTL sont équipés de gazogènes. On remarque également un retour aux véhicules hippotractés ou encore l’usage de vélos-taxis. Surtout, la bicyclette connaît un engouement sans pré-cédent dans tous les milieux sociaux, elle devient un objet particu-lièrement précieux, fréquemment volé, et dont les pièces détachées coûtent une fortune.Les femmes ne restent pas passives face aux difficultés qui leur sont imposées par les circonstances. À Lyon, comme dans d’autres grandes villes, des manifestations de ménagères sont organisées,

notamment le 7 novembre 1942 place des Terreaux, sans grands résultats cependant. Le Secours national, créé pendant la Première Guerre mondiale, est réactivé par le régime de Vichy pour venir en aide à la population, des loteries sont organisées en sa faveur. Il pro-cède notamment à la distribution de biscuits caséinés et de bonbons vitaminés aux enfants des écoles.

vioLences de guerre

Ceux qui ne peuvent s’adapter, accéder à la solidarité familiale ou au marché noir, sont victimes de la faim : on remarque une impor-tante surmortalité dans les hospices de vieillards et dans les hôpitaux psychiatriques, ainsi, les malades de l’hôpital du Vinatier à Lyon meurent-ils massivement de faim. On estime à 2 000 le nombre des victimes. La législation antisémite restreint également l’accès aux commerces pour les Juifs qui sont contraints de faire leurs courses en fin d’après-midi, alors qu’il n’y a plus rien dans les magasins.La mortalité augmente jusqu’en 1943 puis se stabilise, car la popula-tion est parvenue à mettre en place des stratégies de survie et que les autorités ont pris des mesures sanitaires. On note un très fort taux de mortalité infantile (102 ‰ en 1944 à Lyon). Des études montrent le mauvais état sanitaire des ouvriers lié à des pertes de poids impor-tantes, ce qui entraîne faiblesse et troubles physiologiques. La Libé-ration tant attendue ne mettra cependant pas fin aux pénuries, les Français devront user des tickets de rationnement jusqu’en 1949.

Tracts invitant les ménagères à manifesterCHRD / Ar. 1203, fonds Pestourie © Pierre Verrier

Page de gauche : Anne Brun© Bernard Brun, collection Sarah Rambaud

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Solange Chaboud et son fils Jack, début 1944© DR, collection Jack Chaboud

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La peur est, pour les contemporains, une compagne des premiers aux derniers jours de guerre. Nourrie par le souvenir de la Grande Guerre, elle pousse les populations sur les routes en mai et juin 1940 face à l’avancée des troupes allemandes. À Lyon, un premier bom-bardement de l’aéroport de Bron a lieu le 10 mai 1940. Les habi-tants doivent donc se plier au rythme des alertes et se tenir prêts à descendre dans les abris identifiés dès 1939. Si l’agglomération lyonnaise sera relativement épargnée par les bombardements, contrairement aux villes de la côte atlantique, le bombardement allié du 26 mai 1944 marquera les mémoires par son lourd bilan : plus de 700 morts, principalement dans le quartier Jean Macé, et un millier de blessés. Face à ce danger, les enfants sont évacués de la ville à deux reprises, au printemps 1940 et en mai 1944.

Un danger plus spécifique menace certaines catégories de la popu-lation : la répression des actes de résistance par les autorités alle-mandes et françaises, unies par les accords de collaboration policière, et la traque des Juifs en vue de leur extermination. L’arsenal répressif comporte différents degrés qui vont du couvre-feu, assorti souvent de la fermeture des lieux de spectacles, à la déportation ou à l’exé-cution sommaire. À l’approche de la Libération, au printemps et à l’été 1944, la répression s’intensifie dans toute la région de Lyon. À plus de trente reprises, des prisonniers sont extraits de la prison de Montluc et massacrés dans les environs de Lyon. L’exécution de 5 résistants le 27 juillet 1944, ou encore le massacre de plus de 120 personnes à Saint-Genis-Laval le 21 août de cette même année marquent profondément l’opinion et entretiennent un climat de ter-reur. Au total, plus de 600 personnes, Juifs et résistants, hommes et femmes, seront ainsi exécutées sommairement entre le mois d’avril et le mois d’août 1944.Confrontés aux persécutions dont sont victimes leurs voisins juifs, les Lyonnais ne semblent pas adhérer à la politique antisémite du gouvernement de Vichy. De puissants réseaux d’entraide permet-tront le sauvetage de nombreuses familles et enfants. À l’inverse, les phénomènes de délation, fréquents dans les périodes troublées, rendent plus vulnérables encore les personnes traquées et plombent l’atmosphère de la ville.

pourtant La vie continue

On constate une forte nuptialité pendant la guerre, du moins en 1940, 1941, 1942 (avec une chute en 1943 et 1944, sans doute liée à l’instauration du STO qui éloigne les hommes jeunes). 16 000 mariages seront célébrés à Lyon malgré les temps incertains et les difficultés matérielles auxquelles sont confrontées les familles pour organiser la cérémonie. La natalité remonte dès 1941, encouragée par la politique familiale du gouvernement de Vichy, marquant le début du baby-boom qui se poursuivra jusqu’au milieu des années soixante. Il faut noter un très fort taux de naissances illégitimes, de l’ordre de 10 %.

Un temps bouleversée par la défaite et l’exode, la vie culturelle lyonnaise se poursuit, permettant aux habitants de s’évader du quotidien. En partie coupé de Paris par l’instauration de la ligne de démarcation, le milieu culturel lyonnais développe alors pleinement ses spécificités. La ville compte 76 salles de cinéma pendant la guerre. Le faible coût du billet rend ce loisir accessible au plus grand nombre. Y sont notamment diffusés des films de propagande qui connaissent un engouement mitigé,voire un franc rejet, comme Le Juif Süss, pro-grammé à La Scala en mai 1941 et contre lequel s’élèvent des étu-diants. Certains films remportent un succès de longue durée comme Blanche Neige, film américain de 1940, ou Sans Famille. Si la part des films allemands diffusés augmente nettement durant la période, l’industrie cinématographique française parvient tout de même à se maintenir et produit des chefs-d’œuvre, fortement imprégnés par la situation présente : Les Inconnus dans la maison, inspiré d’un roman de Simenon en 1943, Le Corbeau en 1943, ou encore Les Visiteurs du soir. La projection du film est toujours précédée d’actualités filmées, vecteur du discours officiel français et allemand, parfois huées par le public. Les films britanniques sont interdits dès 1940, les films amé-ricains en 1942. Durant la guerre, le théâtre (en particulier le théâtre des Célestins) connaît un renouveau sous l’impulsion de Robert de Fragny (Robert Proton de la Chapelle), adjoint de Georges Villiers de 1941 à 1942 pour les Beaux-Arts. L’autre grande scène est celle de l’Opéra que les Lyonnais appellent « Grand théâtre », l’effectif de son orchestre et de son corps de ballet est augmenté, améliorant ainsi la qualité des spectacles proposés.

Des manifestations d’ampleur internationale sont organisées à Lyon durant la guerre. Ainsi, la Foire de Lyon, créée pendant la Première Guerre mondiale pour rivaliser avec celle de Leipzig, a lieu en dépit des circonstances du 27 septembre au 5 octobre 1941. Elle rassemble des industriels allemands, mais aussi suisses, roumains, suédois, argentins, ainsi que des représentants des territoires français d’outre-mer. De nombreux produits de substitution y sont présentés au pu-blic. Deux défilés de mode de créateurs parisiens seront également organisés en 1940 et 1942 afin de tenter de trouver des débouchés pour la production de haute couture sur le marché suisse.

Bien répandue en milieu urbain depuis les années 1930, la radio se révèle à la fois un moyen d’information, fiable pour peu que l’on puisse capter autre chose que les actualités officielles, et un outil de distraction. Elle permet, surtout à la fin de la guerre, de suivre au jour le jour l’avancée des Alliés, annonçant une prochaine libération. La lecture apparaît également comme un moyen d’évasion pour les Lyonnais qui se pressent à la bibliothèque municipale pour emprun-ter des livres ou bénéficier d’un peu de chauffage.

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La Libération

À Lyon, comme dans toutes les communes de France, la Libération déclenche la liesse populaire et les libérateurs, soldats alliés, Français libres et FFI sont salués avec reconnaissance. Toutefois, les habitants seront plusieurs mois encore confrontés à des graves difficultés : la quasi-totalité des ponts de la ville est détruite par l’armée allemande le 2 septembre 1944 pour couvrir sa fuite. La circulation sera donc très compliquée. Dans bien des familles, sans nouvelles d’un ou plu-sieurs de leurs proches, prisonniers de guerre ou déportés, l’angoisse prend le pas sur la joie. Il leur faudra attendre le printemps 1945 pour espérer les voir rentrer, mais nombreux seront ceux qui n’au-ront pas survécu à la guerre. Enfin, les pénuries ne prennent pas fin avec le départ de l’occupant, elles perdurent pendant de longues années.

Ces quatre années ont profondément marqué la société française, elles ont nourri de nombreux récits au sein des familles, mais n’ont pas fini de livrer leurs secrets, tant les clivages ont été profonds. Alors que les derniers témoins de la période disparaissent, de nom-breuses sources permettent d’appréhender au mieux les mentalités de l’époque : rapports mensuels des préfets, journaux et magazines, archives audiovisuelles, journaux intimes ou biographies. Depuis quelques décennies, la recherche universitaire s’est intéressée à l’his-toire du quotidien et au sort particulier des femmes dans la guerre. L’histoire de la mode et du vêtement pendant la guerre a, quant à elle, conquis ses lettres de noblesse grâce aux travaux pionniers de Dominique Veillon, publiés une première fois en 1990 dans « La mode sous l’Occupation » et réédités en 2001. Cet intérêt nouveau pour le sujet, longtemps suspecté de frivolité, a permis d’approcher au plus près l’intimité des hommes et des femmes de l’époque, mais aussi de jeter des ponts entre les générations grâce aux références constantes de la mode contemporaine à celle des années de guerre.Place Bellecour au premier soleil de mars, 1943 — © André Gamet

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vivre à Lyon pendant

la guerreLa sPoLiation desentrePreneurs juifs

Les propriétaires de près de 250 entreprises liées au secteur textile (couture, soierie, cha-pellerie, pelleterie) principalement situées dans le centre-ville de Lyon ont été spoliés de leurs biens entre 1941 et 1944 parce qu’ils étaient juifs. Cela représente plus des deux tiers des spoliations dans le départe-

ment du Rhône. Dans la continuité des lois d’exclusion définissant le « statut des juifs » promulguées en octobre 1940 et en juin 1941, la loi du 22 juillet 1941 prive désormais les propriétaires juifs de leurs biens. Les sociétés sont confiées à des admi-nistrateurs provisoires désignés par le Com-missariat général aux questions juives, dont les motivations sont le plus souvent l’enri-chissement personnel. L’objectif ultime est la liquidation des entreprises ou leur vente à un propriétaire non-juif.La spoliation est souvent une étape vers l’anéantissement de familles entières, comme en témoigne le parcours d’Armand et Irma Bloch-Lazarus, qui exploitent avec leur famille un commerce de tissus situé 52-54, rue de l’Hôtel de Ville (actuelle rue Édouard Herriot), ainsi qu’un magasin au 87, rue de la République appelé « Au Froufrou ». Leurs biens sont « aryanisés » fin 1941. Trois administrateurs provisoires se succèdent et pillent les comptes de la société. Après la liquidation des biens, le local de la rue de l’Hôtel de Ville est réquisitionné par la Milice début 1943. Le 1er novembre, le couple est arrêté à son domicile par la Gestapo. Après avoir été internés à la prison de Montluc, ils sont transférés le 9 novembre au camp de Drancy et déportés à Auschwitz-Birkenau où ils sont gazés dès leur arrivée.

Lyon et La formationProfessionneLLe

La ville de Lyon possède un important réseau d’écoles et de centres de formation professionnels dans le domaine textile, qui concourentt à asseoir son statut industriel.Les formations dispensées diffèrent selon les sexes : aux hommes le travail du cuir, le tissage (l’école de tissage a été créée en 1886), aux femmes l’exécution, le piquage et la couture.L’École de la Martinière forme des jeunes filles très qualifiées dans le domaine de l’ha-billement, qui pourront occuper des fonc-tions de contremaîtres ou de chefs d’atelier. La Société d’enseignement professionnel du Rhône (SEPR), en collaboration avec les chambres syndicales, forme quant à elle des ouvrières en confection. Des écoles-ateliers proposent par ailleurs des formations de repasseuses-détacheuses ou de confection de vêtements. Des écoles privées catholiques préparent les jeunes filles aux activités mé-nagères et au travail du tissu. Le gouverne-ment de Vichy intervient fortement dans le domaine de la scolarisation technique, craignant le désœuvrement et l’oisiveté de la jeunesse.

Affichette de vente de bien par adjudicationAJ38/3464, document conservé aux Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine© Atelier photographique des Archives nationales

Zooms

Cahiers de couture de la MartinièreCollection particulière © Pierre Verrier

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La soierie lyonnaise

Durant la guerre, Lyon capitale de la soie survit tant bien que mal. Elle avait déjà for-tement souffert de la crise des années 1930 « qui avait conduit à un effondrement des prix et à une dégradation de la qualité des tissus »1. Cette fois, elle doit faire face à la tu-telle de l’occupant qui frappe la production de luxe, mais aussi supporter l’organisation de l’appareil de production industrielle mis en place par le gouvernement de Vichy. En vertu de la loi d’août 1940, chaque branche d’industrie est placée sous la direction d’un Comité d’organisation. Le Syndicat des fa-bricants de soieries n’y fait pas exception, on lui adjoint un Comité d’organisation de la branche « soie et des tissus de rayonne », l’une des dix branches du Comité d’orga-nisation de l’industrie textile2. Celle-ci re-groupe des activités diverses : négociants assurant l’approvisionnement en soie, fila-teurs, fabricants, tisseurs à façon usiniers ou à domicile. Sur le plan géographique, ces industries sont concentrées sur Lyon et sa région, la Loire (Saint-Étienne, Roanne), la Drôme. Les petites entreprises familiales y sont nombreuses.

1 Voir Pierre Vernus, « L’organisation de la soierie : un comité national d’implantation provinciale », p. 165, in Joly Hervé (éd.), Les comités d’organisation et l’économie dirigée du régime de Vichy. Actes du colloque international, 3-4 avril 2003, Caen, Centre de recherche d’histoire quantitative, 2004.2 Journal officiel de l’État français, 30 octobre 1940.

« En 1938, étaient recensés 2 500 ateliers à domicile de tisseurs indépendants possé-dant 8 000 métiers et 520 façonniers repré-sentant 22 000 métiers… Une petite élite de fabricants souvent spécialisée dans les articles de nouveauté et de haute nouveauté dominait une masse de petites et moyennes maisons »3. À la tête du Comité d’organi-sation de la soie, on trouve un industriel lyonnais, Jean Barioz, président du Syndicat des fabricants de soieries. Contrairement à ce qui est prévu par la loi, le directeur dudit comité refuse de s’installer à Paris pour ne pas abandonner son entreprise. Il est chargé de contrôler la production et de répartir les attributions de matière première dans un contexte de pénurie, ce qui ne va pas sans heurts. À ses côtés, Carlo Colcombet, « ger-manophone marié en premières noces à une Allemande, chargé des relations avec les au-torités allemandes, Joseph Brochier »4, qui remplace Jean Barioz à partir de 1942. Par suite de la rupture d’approvisionnement avec le Japon, les industries de la soierie sont particulièrement touchées par le manque de matières premières. Avant-guerre, la consommation est aux alentours de 2 000 tonnes, elle atteint dorénavant 180 tonnes. Par ailleurs, la répartition ne se fait pas faci-lement entre les entreprises appartenant

3 Pierre Vernus, idem, p. 164.4 Pierre Vernus, idem, p. 168.

aux fabricants et les tisseurs à domicile. De plus, à la demande du maréchal Goering, une commission d’achats5 destinés à la Zentraltex de Berlin s’installe à Paris dès juin 1940. Elle est chargée d’effectuer des achats de textiles de haute valeur (tissus en soie naturelle, carrés, écharpes, dentelle, etc.) et se rend à Lyon où pendant quelques mois elle opère en toute tranquillité, raflant de grosses quantités de marchandises. Lorsque R. Carmichaël6 demande des expli-cations, il apprend que Jean Barioz n’a émis aucune protestation7. Le pillage se poursuit. Dès le mois de décembre 1940, la maison Tassinari, dont le siège social se situe au 11, place Croix-Paquet, les ateliers de tissage à bras au 43, rue Coste et l’atelier mécanique rue Mazagran (actuelle rue Kubler), doit honorer une commande émanant de l’oc-cupant. Il s’agit de recouvrir des sièges, des fauteuils, d’exécuter des rideaux en lampas

5 Affaires des « Fantaisies Textiles », Archives nationales, F12 10464.6 À la tête du Comité général de la répartition de l’industrie textile.7 D’après les Allemands, « ces ventes sont des ventes régulières puisqu’elles ne portent pas sur des matières rationnées ou ont fait l’objet de dérogations de la part du gouvernement de Vichy ». Les autorités du Majestic précisent qu’il est difficile d’effectuer des contrôles, les fournisseurs figurant sous des numéros références, voir Dominique Veillon, La mode sous l’Occupation, Payot, 2001 (réédition), p. 174.

Dominique Veillon, directrice de recherche honoraire au CNrsPierre Vernus, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2 - LarHraMartine Villelongue, directrice de l’université de la mode, université Lyon 2

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pour l’ambassade d’Allemagne, 78, rue de Lille à Paris. Le tout doit être livré pour le 15 février 1941 au plus tard. Répondant à une demande des industriels lyonnais, le couturier Marcel Rochas, très lié avec nombre de soyeux, décide de présenter sa collection à Lyon du 9 au 11 décembre 1940. En réalité, il montre des toiles de robes, mais pas de modèles finis. Lors d’une autre commande (N° 10 118) pour le Reichstag, la manufacture Tassinari, qui doit exécuter plusieurs scènes réalisées par la directrice d’une école de Hambourg, fait savoir que son tisseur est prisonnier et qu’elle n’a pas la matière première nécessaire à l’exécution. Le projet est aban-donné, les Allemands rejetant entre autres le dessin Au soldat blessé. La même entreprise travaille pour les appartements de certains clients de l’Hôtel Ritz.Confrontés à la rupture avec leurs grands marchés traditionnels en France et à l’étranger, mais aussi à un contexte peu favorable à la consommation de luxe, les dirigeants du groupe Bianchini Férier tentent quant à eux d’adapter sa structure et son fonctionnement aux nouveaux dispositifs d’encadrement de l’économie et à la parti-tion du territoire. Dès 1940, les liens avec les principaux marchés extérieurs sont rompus, seules demeurant possibles les exportations vers Genève jusqu’en 1942. Début 1941, l’entreprise envisage donc d’entamer une prospection du marché allemand par le biais d’un représentant embauché par la maison de Genève. Ce projet n’ayant pu aboutir, l’approche de la clientèle allemande est dans un second temps tentée par l’intermédiaire de la maison de Paris. On ignore si une suite fut donnée à ce projet8.Le Gauleiter Kehrl, « Führer de l’industrie textile », impose le déve-loppement d’un secteur jusque-là peu développé, celui des textiles artificiels, et notamment la fibranne, à répartir entre les branches laine et coton. Mécontent de cette décision, un groupe de fabricants lyonnais de soieries, en particulier les établissements A. Dubois et Novetof, revendique sa part de matières premières. Par l’intermé-diaire de Colcombet, ils présentent à Hartman9 différents tissus issus de produits de remplacement et finissent par obtenir une attribution de rayonne coupée de 2 000 tonnes à répartir entre les fabricants. Une dizaine de maisons de nouveautés : Bianchini Férier, Barioz, Colcombet, etc. est contrainte sous pression allemande de centra-liser certaines opérations. Réunis au sein d’un groupe de produc-tion, ils créent une société, la Soportex, qui se charge de moderniser la production afin de pouvoir fournir le tissu standard imposé par les Allemands. Colcombet est chargé de faire progresser l’utilisation de nouveaux textiles par les grands couturiers. Après la constitution de la société France-Rayonne, résultant d’un accord entre les indus-

8 Pierre Vernus, Art, luxe et industrie Bianchini Férier, un siècle de soieries lyonnaises, PUG, 2006.9 Hartman était chargé des textiles à l’administration des territoires occupés.

triels allemands et les producteurs de fibres artificielles français, où la Société lyonnaise des textiles artificiels est représentée, les réper-cussions se font sentir dans le domaine de la mode. Les femmes sont incitées à se tourner vers les nouvelles matières appelées à prendre la place des textiles traditionnels. En octobre 1941, à l’Exposition internationale de Lyon, les modèles présentés sont exécutés dans des tissus nouveaux.La production de ces textiles artificiels pose de nombreuses diffi-cultés aux entreprises et notamment à Bianchini Férier dont l’usine de la Tour-du-Pin, au matériel vieillissant, est peu adaptée au travail des fibres artificielles. Bianchini Férier puise donc dans ses anciens stocks qui sont vendus à prix élevés dans ce contexte de pénurie. Cela induit au cours de la période une paradoxale abondance de liquidités et un retour à des exercices bénéficiaires après la crise des années 1930.Confrontée à de nombreuses difficultés, l’entreprise Bianchini Férier est contrainte comme d’autres à s’engager dans une plus grande rationalisation de sa production et à modifier ses pratiques commer-ciales.

À la Libération, les maisons de soierie lyonnaises doivent affronter des défis considérables. Elles doivent reconquérir leurs principaux marchés extérieurs, en premier lieu anglo-saxons, dont elles avaient été coupées durant le conflit, assurer leur alimentation en matières premières, moderniser leur outil de production. Ainsi, pour la Fabrique lyonnaise déjà ébranlée par la crise des années trente, la période de Vichy fut une nouvelle phase d’affaiblissement.

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Atelier du dessinateur textile V. Offner, Dessins textiles, 1939-1942Collections départementales des musées de l’Ain / J2002.02.13024, 13025 et 13033

Les dessinateurs textiles indépendants élaborent et vendent leurs esquisses aux fabricants de tissus qui disposent de l’outil industriel permettant de les réaliser. Situé à Lyon,au 5 de la petite rue des Feuillants, l’atelier Offner réalise ici une série d’esquisses surle thème des feuillages entrelacés, choisie et achetée par les usines de tissage Bonnet, dont la maison mère se situe à Jujurieux (Ain). Chaque élément produit étant soigneu-sement archivé, les Soieries Bonnet conservent une importante collection de catalogues d’échantillons, offrant de précieuses informations sur les dessinateurs textiles lyonnaiset l’évolution des motifs pendant les années de guerre.

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Ci-dessus : Marguerite de Causans, 23 mars 1942 — © DR

Page de gauche : Robe, 1944Tissu de Bianchini Férier, dessiné par Raoul DufyTaffetas de soie blanc imprimé jaune et marron,taffetas crêpé de rayonne marronPalais Galliera, Paris / GAL1976.61.3Don de Madame Néton — © Pierre Verrier

Impressionné par l’ouvrage Les Robes de Paul Poiret racontées parPaul Iribe de 1908, Raoul Dufy souhaite à son tour collaborer avecle couturier et lui propose dès 1909 un travail d’illustration.Paul Poiret, toujours à la recherche d’innovations et souhaitant créer ses propres modèles de tissus imprimés, nomme en 1911 l’artiste directeur de l’usine qu’il ouvre afin que ce dernier puisse imprimer ses prototypes. Parallèlement, tous deux se rapprochent du soyeux lyonnais Bianchini pour fabriquer des métrages plus importants de ces créations artisanales, permettant ainsi la production de vêtements. Dufy accepte par la suite d’intégrer l’équipe de l’industriel comme artiste décorateur. Cette robe a été portée par la donatrice en 1944 à l’occasion du mariage de sa fille.

Robe et voile de mariée, 1942Dentelle mécanique de soieMusée des Tissus et des Arts décoratifs, Lyon2011.1.3 — © Pierre Verrier

Marguerite de Causans a 24 ans lorsqu’elle épouse, le 23 mars 1942, Louis Repelin. Confectionnée en dentelle mécanique de soie par la maison Baboin, sa robe témoigne de la qualité des productions de mode à Lyon durant la Seconde Guerre mondiale.Émile Baboin est un des fondateurs du musée des Arts décoratifs de Lyon et l’un de ses grands donateurs. Sur la photographie du mariage, la traîne de Marguerite paraît beaucoup plus longue. La tradition qui veut que la jeune mariée découpe une partie de son voile en rubans pour les offrir explique peut-être cette différence.

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Dès l’armistice de juin 1940, Lucien Lelong, président de la Chambre syndicale de la couture parisienne s’affirme comme le défenseur de la haute couture face aux Allemands qui souhaiteraient avoir la mainmise sur cet art typiquement français. Après avoir empêché le transfert des maisons de couture à Berlin, il s’efforce d’arracher des autorités françaises un soutien en faveur d’une industrie de prestige qui, explique-t-il, fait partie du patrimoine de la France. Outre une campagne de propagande en avril, mai et juin 1941 visant à améliorer la publicité en faveur de la couture de luxe dans des magazines féminins choisis pour leur qualité esthétique ou leur diffusion en province, Lelong obtient que soit créée une carte spéciale de vêtements pour les clientes s’habillant sur mesure en 1941. Mais il veut aller plus loin. Devant l’interdiction allemande qui frappe la couture en empêchant les exportations, le chef de file de la couture réagit par un moyen détourné. Il souhaite organiser en zone libre à Lyon, au printemps 1942, une présentation de modèles de couture à laquelle participerait

une vingtaine de couturiers. Dans une lettre adressée à M. Jacques Deligny, directeur général du Comité d’organisation du vêtement, il explique les raisons d’un tel geste : « Ces présentations n’auront aucun caractère spectaculaire… Il s’agit ici, pour répondre aux vœux souvent exprimés par les acheteurs eux-mêmes et les couturiers de zone libre de mettre à leur disposition les idées qui leur sont nécessaires et dont ils sont privées »10. En allant présenter ses collections de printemps à Lyon, la couture parisienne accomplit un geste symbolique de continuité et de solidarité. Elle rend possible la diffusion de la mode française auprès de couturiers de province11. En réalité, le but de la manœuvre est de toucher une partie de la clientèle internationale neutre qui ne peut venir en France : Suisses, Espagnols… Pour détourner les soupçons allemands, le geste est placé sous couvert

10 Note adressée à M. Jacques Deligny, Archives nationales, F12 10503.11 Le Figaro, « La couture parisienne en représentation à Lyon », 15 janvier 1942.

Présentation de la haute coutureà Lyon

Dominique Veillon, directrice de recherche honoraire au CNrs

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d’une manifestation artistique en faveur du Secours national. Un gala est prévu auquel participera Serge Lifar. Au peintre Cassandre revient l’organisation de la mise en scène et des décors. Reste qu’il faut obtenir les laissez-passer nécessaires pour franchir la ligne de démarcation. La difficulté est de taille, car elle concerne le personnel de la couture, les mannequins et la troupe de l’Opéra qui les accompagne, soit environ 200 noms. Le couturier se tourne alors vers le Prince de Beauvau-Craon, l’organisateur des « Déjeuners de la Table Ronde » qui réunissent de février à octobre 1942 à l’Hôtel Ritz, place Vendôme, des personnalités franco-allemandes du commerce et de l’industrie. Le but de ces réunions est de permettre aux Français de résoudre à l’amiable les différends qui se posent avec l’occupant. Lucien Lelong demande à être invité au déjeuner prévu en février 1942 et à être placé auprès d’une autorité administrative allemande du Majestic de façon, par son intermédiaire, à obtenir les autorisations nécessaires, ce qui est fait12.Le 5 mars 1942, à la gare de Lyon, le train de 7 h 30 est devenu pour quelques heures le train de la mode et de la danse et « les quotidiens parisiens fixent sur pellicule le départ de ces ambassadrices de charme »13. Dix-huit couturiers, quatre-vingts mannequins, leurs vendeuses franchissent officiellement la ligne à Chalon-sur-Saône ainsi que le corps de ballet de l’Opéra de Paris et leurs habilleuses. Les grands noms de la couture sont du voyage. À commencer par Jeanne Lanvin, la douairière, Maggy Rouff, Jean Patou, Marcelle Dormoy, Paquin, Mad Carpentier, Jacques Heim, Robert Piguet, Molyneux, Nina Ricci, Hermès et, bien sûr, Lucien Lelong. Deux très jeunes couturiers, Marcel Rochas et Jacques Fath, le benjamin qu’accom-pagne sa femme Geneviève Boucher qui n’est autre que son manne-quin préféré, font aussi le déplacement. Du côté de l’Opéra, en plus de Serge Lifar, on note le concours de Serge Peretti et de la danseuse Solange Schwartz. 15 h 15, c’est l’arrivée dans la capitale des Gaules. À leur descente du train, les mannequins sont invités à monter dans le wagon-lit qui leur sert d’hôtel pendant leur séjour tandis que leurs bagages s’entassent sur le quai. Le 6 mars, la manifestation se tient au dernier étage de l’immeuble de la Foire de Lyon, rue Ménestrier. Il est prévu que les mannequins et leur entourage arrivent en car. Trois salons ont été retenus, deux pour le défilé, le troisième servant de vestiaire. La présentation commence ; dans l’assistance composée uniquement de couturiers et d’acheteurs, environ 300 personnes, Espagnols, Portugais, Turcs, Suisses… on retient son souffle. Dès le début, la collection souligne combien la mode a changé. L’allure générale tend à la simplicité sans excentricité. La silhouette nouvelle se décline en plusieurs points : les épaules sont élargies et carrées, les hanches galbées, la taille est dégagée. Les tailleurs sont plus que jamais de mise avec des jupes plates ou froncées derrière, des

12 À la Libération, Lucien Lelong dut passer en jugement devant la Cour de justice en raison de sa participation aux « Déjeuners ». L’affaire se solde par un non-lieu, tous ses confrères faisant bloc derrière lui pour le défendre, « Déjeuners de la Table Ronde », Procès-verbaux, Cour de Justice, Z6, non-lieu 13552, Archives nationales.13 Dominique Veillon, La mode sous l’Occupation, Payot, 2001, nouvelle édition revue et corrigée, p. 154.

vestes longues genre basques. Beaucoup d’entre elles sont garnies de galons, brandebourgs, passepoils de satin brodés qui exigent un travail minutieux de la part des ouvrières. La petite robe noire ou marine, très présente, s’accompagne d’une redingote à plis avec un col important qui rappelle le style Directoire. Parmi les tissus favoris, il faut noter l’utilisation de pied-de-poule, de l’écossais ainsi que de carreaux. À la fin du défilé, les applaudissements fusent de toutes parts. Pour éviter la vente de modèles et l’utilisation de tissus très contingentés, seuls les toiles ou patrons-papier sont proposés au public de professionnels qui se presse nombreux pour acheter. Les journaux locaux consacrent des reportages à la haute couture, ainsi Marie-Claire14 avec ce titre : « Paris rend visite à sa sœur jumelle Lyon. La Place Vendôme est prolongée par la Place Bellecour »15. Quant au Progrès de Lyon, débordant d’enthousiasme, il n’hésite pas à dire que si on n’avait pas aperçu le Rhône par les fenêtres ouvertes, on se serait cru dans une maison de couture parisienne. Le gala de l’Opéra qui se donne au théâtre des Célestins clôt la manifestation ouverte au public16. Dans l’assistance, on ne remarque aucune robe du soir. Seuls les chapeaux apportent la note d’élégance voulue, encore faut-il préciser que par décret ceux-ci sont interdits à l’orchestre pour la visibilité des spectateurs !À son retour de Lyon, les Allemands convoquent Lucien Lelong au Majestic pour lui faire part de leur mécontentement. Ils estiment avoir été trompés et font savoir avec véhémence que seuls Berlin, Vienne et dans une moindre mesure l’Italie ont l’exclusivité des démonstrations de mode. Désormais la haute couture est en sursis, la situation se dégradant de mois en mois devant les exigences alle-mandes. À la Libération, les couturiers font face avec courage et relèvent la tête entre autres grâce au maintien de leur savoir-faire. Accusé d’avoir collaboré pour avoir coopéré avec l’occupant en assis-tant aux Déjeuners de la Table Ronde, Lucien Lelong passe en Cour de justice. Pour le défendre, il a derrière lui toutes les maisons de couture et leurs dirigeants qui rendent hommage à sa détermina-tion et à sa ténacité devant les Allemands, résumant la situation par cette image : « C’était la lutte du pot de terre contre le pot de fer »17. Finalement la Cour de justice reconnaît que l’attitude du chef de la couture était motivée par la seule sauvegarde du patrimoine culturel de sa branche, ce qui lui vaut l’acquittement en 1945. La présenta-tion des collections à Lyon au printemps 1942 fut sans nul doute l’un des stratagèmes employés pour protéger la couture française et son personnel.

14 Marie-Claire, magazine moderne né en 1937, se replie à Lyon en juillet 1940 après quelques mois à Clermont-Ferrand et un bref passage à Bordeaux. Il renoue avec une formule traditionnelle. Marcelle Auclair est l’une des rédactrices connues du journal dont elle a la responsabilité.15 Marie-Claire, 1er avril 1942.16 « Entre deux ballets de l’Opéra, le défilé de mannequins portant les plus belles robes de soirée fut un ravissant coup d’œil… mais il sied de dire que les bijoux de Boucheron ajoutaient à la beauté des robes », Le Figaro supplément littéraire illustré, 10 mars 1942.17 Affaire Lucien Lelong, Cour de justice, Z6, non-lieu 13552, Archives nationales.

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Depuis le début des années 2000 et l’évé-nement qu’a constitué la sortie du docu-mentaire de René-Jean Bouyer « Ils ont filmé la guerre en couleurs », l’engouement du public, comme des chercheurs, pour des documents restituant en couleurs le dernier conflit mondial ne se dément pas. Si la technique et l’esthétique sont des para-mètres essentiels justifiant la mise à disposi-tion de ces documents, « les questions qui se posent à ceux qui exploitent ou regar-dent ces photos sont d’ordre historique et éthique » signalent Éric Pedon et Jacques Walter dans l’article qu’ils consacrent aux

diapositives couleurs du ghetto de Lodz18. Cette mise en garde trouve en 2008, avec la polémique suscitée par la présentation des photographies couleur d’André Zucca, à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, son illustration la plus magistrale. Les reproches qui sont faits à l’exposition,

18 Éric Pedon, Jacques Walter, « De la découverte de photographies à l’esthétisation du témoignage. Chronique couleur du ghetto de Lodz », in Cahier international sur le témoignage audiovisuel, 6 mars 2001, pp. 7-17.

au-delà de la condamnation inconsciente qui accompagne chaque présentation d’un aspect léger des années d’occupation, concernent l’absence de contextualisation des photographies – André Zucca travaillait alors pour le magazine de propagande nazie Signal – et le traitement des images lui-même. « Les Parisiens sous l’Occupa-tion » aurait ainsi privilégié la jouissance d’une vision très esthétique du Paris des années de guerre, allant jusqu’à retravailler les images comme s’il s’agissait d’un maté-riau contemporain, au détriment d’une approche historique et critique de ce corpus

Marion Vivier, attachée de conservation, CHrd

Lyon en couleurs.Photographiesde Paul Nerson

À l’occasion d’un appel à photos, destiné à enrichir le corpus iconographique de l’exposition « Pour vous, Mesdames ! », le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation

a eu la surprise de se voir confier un ensemble de près d’une centaine de diapositives couleurs réalisées à Lyon et dans les proches environs pendant la guerre. Ces photographies sontexceptionnelles à plus d’un titre : elles intègrent le cercle très fermé des images couleurde la période, elles bouleversent notre perception de la ville pendant la guerre et font

de nous les témoins d’une grande histoire d’amour.

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exceptionnel. Indépendamment des remous suscités par l’« affaire Zucca », la découverte, née du hasard, d’un fonds photographique couleur implique que l’on s’approche au plus près du contexte de réalisation des images et de la personnalité de leur auteur. Le récit des étapes menant à la publication des photographies révèle quelques-uns des enjeux que sous-tend, à l’intérieur d’un musée ou d’un service de documentation, la découverte d’images inédites.

Un amateUr éclairé et amoUreUx

Contacté une première fois par le propriétaire des images, le CHRD a reçu un échantillonnage des clichés par courrier électronique. Leur découverte a fait forte impression, la couleur créant instantanément une proximité avec le sujet ou l’événement, auréolés d’un effet de réel saisissant. Les documentalistes ont ressenti le besoin de véri-fier qu’il ne s’agissait pas de clichés colorisés a posteriori, précau-tion initiale qui atteste du caractère exceptionnel et troublant de la couleur. Or, c’est bien un ensemble d’une centaine de diaposi-tives Agfacolor, accompagnées de tirages et négatifs noir et blanc, albums photographiques et films retraçant près de trente ans d’acti-vité photographique amateur, qui a été confié au musée pour étude par leur propriétaire, petit-fils de la compagne du photographe. Si une partie du lot de diapositives peut être aisément située à la fin de l’année 1944, certaines d’entre elles sont apparues très vite comme étant possiblement antérieures et donc datées de l’Occupation.

Dans une France soumise aux restrictions de toutes sortes, le maté-riel photographique est une denrée rare quand les pellicules couleur relèvent de l’exception. Inventé en 1936, l’Agfacolor est un procédé nouveau en photographie, utilisé pour la première fois à l’occasion des Jeux olympiques de Berlin. André Zucca réalise ses images de Paris grâce aux dotations des autorités allemandes qui lui confient le film inversible Agfacolor 16 Asa, en rouleaux de 36 vues, proposé par la firme IG Farben. Les conditions d’existence des photogra-phies de Zucca viennent donc de ce qu’il travaille pour le journal Signal et qu’il bénéficie, à ce titre, d’une autorisation. Pendant la guerre, les prises de vues sont en effet strictement réglementées par l’occupant. Une ordonnance du 16 septembre 1940, étendue le 18 décembre 1942, interdit la photographie « en plein air, ou du fond d’une enceinte et de l’intérieur d’une maison ». Comment expli-quer, dans ce contexte, qu’un particulier ait pu se procurer le film Agfacolor à titre personnel ?

Paul Émile Nerson est né en 1908 à Sedan, de parents négociants. Déclaré pupille de la nation en 1925, il quitte la Lorraine peu avant la déclaration de guerre et s’installe à Lyon à l’âge de 30 ans. Il exerce dans son atelier du 4, quai Gailleton une activité d’artisan

en matériels photographiques divers, diffusés sous la marque PEN, ses initiales19. Les agrandisseurs PEN, réputés pour leur très grande précision, étaient commandés puis commercialisés par Tiranty, à Paris. Avant la guerre, cette maison importait beaucoup de matériel allemand et il n’est pas surprenant que cette dernière ait pu procurer à Paul Nerson, tout au long de sa vie féru de nouvelles technologies, des pellicules couleur durant les hostilités.

De fait, c’est avec l’œil du technicien que Paul Nerson utilise ses films Agfa. L’examen de l’ensemble du fonds, couleur et noir et blanc, confirme cette impression : c’est l’une des rares fois dans son œuvre de photographe amateur que Suzanne, sa compagne, n’est pas l’objet central des prises de vues. Née en 1901 à Cormoz dans l’Ain, Suzanne est issue d’une famille paysanne peu aisée. Mère de deux enfants qu’elle n’a pu prendre en charge, elle rencontre Paul à Lyon en 1939. De cet amour naissant durant les années de guerre restent d’innombrables photographies noir et blanc de Suzanne qui devient et restera le sujet favori de Paul, son modèle de prédilection. Suzanne en convalescence à Saint-Hilaire-du-Touvet, Suzanne dans leur appartement du 4 de la rue des Marronniers, Suzanne dans les rues de Lyon, sur les bords du Rhône ou au Parc de la Tête d’Or, autant d’images qui ont constitué une matière inestimable pour la préparation de l’exposition « Pour vous, Mesdames ! ».

19 On trouve aujourd’hui l’un de ses agrandisseurs dans les collections du musée Nicéphore Niépce (Chalon-sur-Saône).

Lyon, Place des Terreaux© Paul Nerson, collection Pierre Chevillot

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© DR, collection Sarah Rambaud

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BIBLIOgRAPHIE INDICAtIVE

Généralités sur la période

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La vie culturelle sous Vichy, l’Occupation à travers le cinéma français

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La vie économique, l’aryanisation des entreprises

- FRANK Robert, ROUSSO Henry, BELTRAN Alain (dir.), La vie des entreprises sous l’Occupation : une enquête à l’échelle locale, Paris, Belin, 1994- VERHEYDE Philippe, Les mauvais comptes de Vichy : l’aryanisation des entreprises juives, Paris, Perrin, 1999

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Les collectionsdu PalaisGalliera

—Lyon en couleurs,

les photographiesde Paul Nerson

La haute couture en 1942

—Paroles de

Lyonnaises

pour vous,mesdames !

La mode en temps de guerre

prix : 16 €ISBN : 978-2-917659-35-9dépôt légal : novembre 2013

www.editions-libel.fr

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« J’avais coupé cette jupe dans le pantalon de mon père, j’avais fait ce sac en ficelle, j’avais utilisé de la grosse toile pour faire des chaussures. J’avais deux jupes, une robe et pas davantage, avec ça on arrivait quand même à être élégante. »Jeanne, adolescente à Lyon pendant la guerre.

pour vous, mesdames ! La mode en temps de guerre

L’évocation de ces prouesses restitue de façon quasi immédiate, avec les chaussures à semelles de bois et le trait sur la jambe imitant la couture du bas, tout un pan de la vie quotidienne des Françaises entre 1939 et 1945. Bien loin de la légèreté supposée du sujet, la mode et le vêtement représentent un enjeu culturel et économique important pendant la guerre.

Bénéficiant des contributions d’historiens et d’historiens de la mode, fort d’une iconographie inédite qui révèle les trésors cachés des collections publiques françaises, l’ouvrage ambitionne de rendre compte de l’énergie déployée par toutes les femmes pour continuer à se vêtir avec élégance, malgré les restrictions et les difficultés. Il dresse aussi, en filigrane, l’image sociale de la femme et son évolution dans cette période si particulière.