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formation | dossier 14 OptionBio | Lundi 21 mars 2011 | n° 451 L a présence de granulations azurophiles ou de corps d’Auer, la positivité de la myéloperoxydase (MPO) ou des estérases spécifiques a permis d’affirmer l’origine myéloïde d’une leucémie aiguë. Ces éléments, critères de base de la classification FAB (franco-américano-britannique), restent pour la plupart d’entre eux, décisifs pour le diagnostic mor- phologique. Cependant, il s’est avéré que certaines LAM pou- vaient être mal classées sur les seuls éléments cytologiques et cytochimiques et nécessitaient le recours à d’autres moyens, notamment immunologiques, pour être bien identifiées (cas des M0, M7, LA biphénotypiques). Critères d’identification des LAM Dans la classification FAB 1985, des critères phénotypiques sont devenus obligatoires pour identifier certaines LAM comme par exemple la LAM7 pour laquelle il faut retrouver l’expres- sion de marqueurs d’immaturité CD41 et CD61 et l’absence d’expression de la myéloperoxydase ; cette pathologie touche essentiellement les sujets jeunes. L’anomalie cytogénétique t(1;22)(p13;q13) est retrouvée. Dans la moelle osseuse, on observe de petits blastes à haut rapport nucléo-cytoplasmique, la peroxydase est négative en cytochimie et le phénotypage montre une différenciation myéloïde avec l’expression de mar- queurs tels que CD13, CD33, CD117 et l’absence d’expression de MPO. Le phénotypage en cytométrie de flux s’est imposé par l’hypoexpression du CD45 par les blastes ; par ailleurs, le phénotypage a d’autres intérêts et applications : pronostique, thérapeutique (utilisation d’anticorps monoclonaux comme les Ac anti-CD33) et suivi de la maladie résiduelle. Dans le même temps, l’intérêt diagnostique et pronostique des anomalies cytogénétiques s’est imposé. En effet, dans certaines LAM existent des anomalies cytogénétiques récurrentes ; une bonne corrélation est observée entre la clinique, la cytologie, les caractéristiques immunologiques et la cytogénétique. Groupes pronostiques des LAM Aujourd’hui, trois groupes pronostiques de patients sont déterminés : – le groupe de pronostic favorable (leucémies CBF [core-bin- ding factors] et LAM3), – le groupe de pronostic défavorable correspondant aux caryo- types complexes ou montrant des anomalies retrouvées dans les syndromes myélodysplasiques, – et le groupe de pronostic intermédiaire représenté par toutes les autres possibilités, y compris les caryotypes normaux. Par exemple, en cytologie, les blastes de LAM2 peuvent contenir des corps d’Auer fins et longs, il existe une dysgra- nulopoïèse associée. En cytogénétique la t(8;21) intéresse le CBFalpha et est facilement décelable en cytogénétique conventionnelle et en FISH (fluorescent in situ hybridization) ; le transcrit AML1-ETO peut être suivi en RQ-PCR (real-time quantitative reverse transcription polymerase chain reaction). Le profil phénotypique est particulier et montre une expression aberrante du CD19 (marqueur lymphoïde B). En 1990-1992, il a été découvert que le CD56 pouvait également être exprimé et était de mauvais pronostic, car il signait une mutation du gène kit. La LAM avec inversion du chromosome 16 a pour particula- rité cytologique la présence de polynucléaires éosinophiles dystrophiques ; l’anomalie génétique intéresse également les leucémies CBF et le transcrit de fusion CBFβ/MYH11 peut être suivi en biologie moléculaire par RQ-PCR, technique dont la sensibilité est de 10 -5 . Classification OMS pour des groupes pronostiques homogènes La classification actuelle de l’OMS intègre différentes appro- ches et insiste sur l’importance pronostique de l’histoire de la maladie avec la préexistence de myélodysplasie, qu’elle soit morphologique ou cytogénétique, primitive ou secondaire (trai- tement leucémogène, exposition à des toxiques, etc.). groupes homogènes de pronostic défini. Les critères utili- sés sont donc en premier lieu les anomalies cytogénétiques récurrentes, puis l’histoire de la maladie avec la préexistence de myélodysplasie. La dysplasie morphologique est retenue lorsqu’elle touche au moins 50 % des éléments ; ce qui peut Prise en charge diagnostique et pronostique des leucémies aiguës myéloïdes (LAM) de l’adulte Les éléments cytologiques et cytochimiques ne permettant pas de classer l’ensemble des leucémies aiguës myéloïdes, il devient indispensable, pour certaines d’entre elles, d’avoir recours à l’immunophénotypage. De plus, l’intérêt pronostique des anomalies cytogénétiques permet de distinguer des groupes homogènes de pronostic défini ainsi qu’un éventuel impact thérapeutique. s la LAM-CBF s la LAM-CBF Deux entités dans Deux entités dans

Prise en charge diagnostique et pronostique des leucémies aiguës myéloïdes (LAM) de l’adulte

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14 OptionBio | Lundi 21 mars 2011 | n° 451

La présence de granulations azurophiles ou de corps d’Auer, la positivité de la myéloperoxydase (MPO) ou des estérases spécifiques a permis d’affirmer l’origine

myéloïde d’une leucémie aiguë. Ces éléments, critères de base de la classification FAB (franco-américano-britannique), restent pour la plupart d’entre eux, décisifs pour le diagnostic mor-phologique. Cependant, il s’est avéré que certaines LAM pou-vaient être mal classées sur les seuls éléments cytologiques et cytochimiques et nécessitaient le recours à d’autres moyens, notamment immunologiques, pour être bien identifiées (cas des M0, M7, LA biphénotypiques).

Critères d’identification des LAMDans la classification FAB 1985, des critères phénotypiques sont devenus obligatoires pour identifier certaines LAM comme par exemple la LAM7 pour laquelle il faut retrouver l’expres-sion de marqueurs d’immaturité CD41 et CD61 et l’absence d’expression de la myéloperoxydase ; cette pathologie touche essentiellement les sujets jeunes. L’anomalie cytogénétique t(1;22)(p13;q13) est retrouvée. Dans la moelle osseuse, on observe de petits blastes à haut rapport nucléo-cytoplasmique, la peroxydase est négative en cytochimie et le phénotypage montre une différenciation myéloïde avec l’expression de mar-queurs tels que CD13, CD33, CD117 et l’absence d’expression de MPO. Le phénotypage en cytométrie de flux s’est imposé par l’hypoexpression du CD45 par les blastes ; par ailleurs, le phénotypage a d’autres intérêts et applications : pronostique, thérapeutique (utilisation d’anti corps monoclonaux comme les Ac anti-CD33) et suivi de la maladie résiduelle.Dans le même temps, l’intérêt diagnostique et pronostique des anomalies cytogénétiques s’est imposé. En effet, dans certaines LAM existent des anomalies cytogénétiques récurrentes ; une bonne corrélation est observée entre la clinique, la cytologie, les caractéristiques immunologiques et la cytogénétique.

Groupes pronostiques des LAMAujourd’hui, trois groupes pronostiques de patients sont déterminés :– le groupe de pronostic favorable (leucémies CBF [core-bin-ding factors] et LAM3),– le groupe de pronostic défavorable correspondant aux caryo-types complexes ou montrant des anomalies retrouvées dans les syndromes myélodysplasiques,

– et le groupe de pronostic intermédiaire représenté par toutes les autres possibilités, y compris les caryotypes normaux.Par exemple, en cytologie, les blastes de LAM2 peuvent contenir des corps d’Auer fins et longs, il existe une dysgra-nulopoïèse associée. En cytogénétique la t(8;21) intéresse le CBFalpha et est facilement décelable en cytogénétique conventionnelle et en FISH (fluorescent in situ hybridization) ; le transcrit AML1-ETO peut être suivi en RQ-PCR (real-time quantitative reverse transcription polymerase chain reaction). Le profil phénotypique est particulier et montre une expression aberrante du CD19 (marqueur lymphoïde B). En 1990-1992, il a été découvert que le CD56 pouvait également être exprimé et était de mauvais pronostic, car il signait une mutation du gène kit.La LAM avec inversion du chromosome 16 a pour particula-rité cytologique la présence de polynucléaires éosinophiles dystrophiques ; l’anomalie génétique intéresse également les leucémies CBF et le transcrit de fusion CBFβ/MYH11 peut être suivi en biologie moléculaire par RQ-PCR, technique dont la sensibilité est de 10-5.

Classification OMS pour des groupes pronostiques homogènesLa classification actuelle de l’OMS intègre différentes appro-ches et insiste sur l’importance pronostique de l’histoire de la maladie avec la préexistence de myélodysplasie, qu’elle soit morphologique ou cytogénétique, primitive ou secondaire (trai-tement leucémogène, exposition à des toxiques, etc.).

groupes homogènes de pronostic défini. Les critères utili-sés sont donc en premier lieu les anomalies cytogénétiques récurrentes, puis l’histoire de la maladie avec la préexistence de myélodysplasie. La dysplasie morphologique est retenue lorsqu’elle touche au moins 50 % des éléments ; ce qui peut

Prise en charge diagnostique et pronostique des leucémies aiguës myéloïdes (LAM) de l’adulte

Les éléments cytologiques et cytochimiques ne permettant pas de classer l’ensemble des leucémies aiguës myéloïdes, il devient indispensable, pour certaines d’entre elles, d’avoir recours à l’immunophénotypage. De plus, l’intérêt pronostique des anomalies cytogénétiques permet de distinguer des groupes homogènes de pronostic défini ainsi qu’un éventuel impact thérapeutique.

s la LAM-CBFs la LAM-CBFDeux entités dansDeux entités dans

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OptionBio | Lundi 21 mars 2011 | n° 451 15

être déterminé seulement lorsque persiste une maturation résiduelle. L’impact pronostique de ce critère de classification est discuté car il n’est pas indépendant mais corrélé à l’âge et à une cytogénétique défavorable. La blastose sanguine et/ou médullaire permet de définir la leucémie aiguë et son seuil est passé de 30 à 20 %.

-lopoïèse (DMP) a été définie autrement : DMP morphologique, LAM secondaire à un syndrome myélo-prolifératif/myélodys-plasie (SMP/MDS), anomalies cytogénétiques spécifiques des MDS. Cela confère un mauvais pronostic.Les facteurs pronostiques de LAM sont donc très nombreux mais seuls deux paraissent indépendants (l’âge et les ano-malies cytogénétiques) et permettent de définir trois groupes pronostiques.Concernant les bases moléculaires de la leucémogenèse, peu-vent être distingués différents types d’anomalies dont les muta-tions de type I : FLT3-ITD, FLT3-TKT (Asp 835), c-kit, N-Ras, K-Ras, C-Fms, PTP11, NF1 qui procurent des avantages de survie et de prolifération.Pour les LAM-CBF et les LAM-CN (caryotype normal), certai-nes mutations ont été incluses dans l’OMS 2008 : NPM1 et CEBPalpha qui sont de bon pronostic ; les autres mutations n’apparaissent pas encore dans la classification de l’OMS. Pour les LAM-CBF, il est recommandé de rechercher de façon sys-tématique au moins la mutation de c-kit qui est présente dans 20 à 25 % des cas et qui est de pronostic défavorable, toutefois les inhibiteurs de tyrosine kinase devraient en améliorer la prise en charge et l’évolution. Pour les LAM-CN, il faut déterminer le statut mutationnel de CEBPalpha, FLT3 (péjoratif) et NPM1 ; FLT3 pourrait être une cible thérapeutique par le développement d’anti-FLT3.

De nouveaux marqueurs moléculaires en perspectiveLes LAM avec mutations et NPM1 et de CEBPALPHA procu-rent un meilleur pronostic alors que les LAM présentant une mutation de FLT3 ou triple négative pour ces marqueurs ont un mauvais pronostic.De plus en plus de marqueurs moléculaires sont découverts, ce qui rend de plus en plus complexe la détermination du

pronostic. Par exemple, une forte expression d’ERG dégrade le pronostic quand la mutation de NPM1 est présente.On arrive à un démembrement moléculaire des LAM-CN dont 25 % n’ont pas de mutations connues et chez les autres souvent coexistent des mutations multiples ; le pronostic reste donc à affiner. Un moyen pour y parvenir est l’utilisation de profiling (GEP ou gene expression profiling) par microarrays qui permet de déterminer des signatures caractéristiques des LAM3, des LAM-CBF et de former des sous-groupes pronostiques dans ces LAM-CBF ; on les appelle « Bullinger signatures »1. De la même façon, il est possible de déterminer une signature des LAM-CN avec 86 gènes chez 70 à 90 % des patients. L’intérêt majeur des GEP reste du domaine de la recherche pour iden-tifier de nouveaux sous-groupes biologiques.Dans les perspectives prometteuses, il faut noter les micro-ARNs qui procurent des signatures caractéristiques et permet-tent la détermination d’un profil dont l’intérêt sera pronostique voire thérapeutique avec le développement d’oligonucléotides s’appariant avec l’ARN oncogénique et l’inactivant.

ConclusionLa prise en charge d’un patient est complexe et fait intervenir de nombreux paramètres, à des niveaux différents : la clinique, la cytologie associée au phénotypage, au caryotype, à la FISH, à la RQ-PCR, au séquençage de c-kit en cas de LAM-CBF, au séquençage des trois gènes précédemment décrits (si LAM-CN) et dans un futur proche aux micro-ARNs avec la détermination de thérapies ciblées. |

AURORE TOUZART

Biologiste, CNRS/Université UMR 8147, hôpital Necker Enfants-malades, Paris

[email protected]

L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêt.

SourceCommunication de D. Sainty, sessions SFBC d’onco-hématologie, lors des Journées internationales de biologie, Paris novembre 2009.

Note1. Bullinger L, Döhner K, Bair E et al. Use of gene-expression profiling to identify prognostic subclasses in adult acute myeloid leukemia. N Engl J Med. 2004 ; 350 : 1605-16.