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EHESS Quarante ans déjà... Author(s): François-André Isambert Source: Archives de sciences sociales des religions, 41e Année, No. 93 (Jan. - Mar., 1996), pp. 5- 22 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30118647 . Accessed: 13/06/2014 04:59 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.49 on Fri, 13 Jun 2014 04:59:22 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Quarante ans déjà

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Quarante ans déjà...Author(s): François-André IsambertSource: Archives de sciences sociales des religions, 41e Année, No. 93 (Jan. - Mar., 1996), pp. 5-22Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30118647 .

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Arch. de Sc. soc. des Rel., 1996, 93 (janvier-mars) 5-22 Frangois-Andr6 ISAMBERT

Avec ce num~ro, les Archives de Sciences Sociales des Religions f~tent leur quarantibme anniversaire. La meilleure favon de cCl1brer 1'Cvbnement est, selon nous, de faire retour sur la trajectoire de la revue, et de riflichir, sous la conduite de l'un de ceux qui ont le plus contribui i lui donner l'audience qui est la sienne, i un parcours intellectuel qu'il importe au- jourd'hui de poursuivre sans cesser d'innover.

Daniile Hervieu-Ltger.

QUARANTE ANS DIJA...

Janvier-juin 1956, c'est la date qu'affichait le premier numdro des Archives de sociologie des religions... Si l'actuelle revue porte le titre d'Ar- chives de sciences sociales des religions, ce n'est pas t la suite d'un chan- gement de cap: dbs le d6but, notre sociologie 6tait accueillante A l'histoire, l'ethnologie, la d6mographie... mais ce qui allait sans le dire allait encore mieux en le disant. C'est done bien la mame revue dont nous comm6morons le quarantibme anniversaire, craignant qu'attendre le cinquantenaire ne voie la liste des t6moins s'amenuiser encore, sinon s'6teindre. Nous avons d6jh perdu Gabriel Le Bras; Henri Desroche nous a quitt6s r6cemment; les t6moins restants sont tous septuag6naires. Allons, compagnons, il est temps de faire ceuvre de m6moire ! Ce premier numdro porte toutes les marques de sa ges- tation. Encore faut-il restituer la dynamique qui lui a donn6 naissance.

Or cette dynamique est plurielle. La convergence qu'elle comporte n'ef- facera pas la pluralit6 des inspirations, source de tensions, voire de conflits ult6rieurs, conflits que le temps a balay6s, en sorte que nous sommes dans l'6tat d'esprit qui convient pour retrouver cette unit6 dans la diversit6 qui fut - et qui reste celle - des doigts d'une main comme aimait g le rdp6ter notre <<doyen >, citant, outre lui-m~me, Henri Desroche, Emile Poulat, Jacques Mai- tre et moi-m~me. C'est ce souvenir de <<la belle 6quipe qui conduira ma plume, sans 6carter pour autant ceux qui se joignirent aux initiateurs. C'6tait une aventure commune dont on pourrait faire le r6cit. On risquerait alors de faire de la <<petite histoire>>. Mieux vaut consid6rer cette gendse comme la construction d'un 6difice et 6voquer, au moins partiellement, les divers apports i cette construction.

Or celle-ci poss6dait d'embl6e une base solide, l'oeuvre d6ja consid6rable de Gabriel Le Bras avec ces deux monuments que sont l'Introduction a l'his- toire de la pratique religieuse en France (1) et les Etudes de sociologie religieuse (2) qui r6unissaient l'essentiel de ses articles de sociologie et d'his-

(1) Paris, P.U.F., t. I., 1942, t. II, 1945. (2) Paris, P.U.F., t. I., 1955, t. II, 1956.

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toire. Je ne parle pas de son oeuvre de canoniste qu'il tenait un peu t part, mais il n'6tait pas indiff6rent que Le Bras ftit impr6gn6 de droit canon pour une analyse des religions oi la norme et l'6cart t la norme tenaient lieu de garde-fou sur un terrain oi les errements de l'interpr6tation faisaient d'in- nombrables ravages.

I. UNE SOCIOLOGIE RELIGIEUSE DE LA PRATIQUE

Pour rendre justice i ce que Le Bras apporta aux Archives, c'est toute sa biographie intellectuelle qu'il faudrait reconstituer (3). Contentons-nous d'6- voquer l'intention centrale telle qu'il l'exprime en ouvrant ce premier num6- ro (4), et de remonter le fil qui conduit g la premiere 6bauche de cette intention, dans l'article-manifeste de 1931. La tiche est maintenant ais6e de- puis la publication des Atudes de sociologie religieuse qui, si elles sont de la plume de Le Bras, tiennent leur plan de Henri Desroche qui sut, dans le maquis des articles et chapitres divers, publi6s en dehors de l'Introduction a l'histoire de la pratique, d6couvrir une ligne oi l'auteur se reconnfit. Si on ajoute que M1e Turlan, assistante t la Facult6 de Droit et moi-mime colla- borimes t jointoyer l'6difice, on peut parler d'une avant-pr6face et au Groupe de sociologie des religions et aux Archives. Or ce plan, d'une extreme sim- plicit6, mettait en 6vidence l'l61argissement progressif de la pens6e de Le Bras et conduisait de l'6tude de la pratique du catholicisme dans les campagnes frangaises t celle des villes et des religions dans divers pays et d'une socio- logie du catholicisme i une sociologie de Otoutes les religions >>, telle qu'elle se d6finit dans l'article initiateur des Archives.

a) Faire une place t la sociologie des religions

La s6rie d'affirmations et de confirmations dont est fait l article Socio- logie religieuse et science des religions>> s'avance en tout ir6nisme comme une s6rie de r6ponses implicites i ceux qui voient avec crainte, scepticisme ou encore avec un espoir d6mesur6, la r6surrection de cette branche de la sociologie i laquelle Durkheim avait donn6 ses lettres de noblesse. Le Bras ne cite pas Durkheim, et pourtant il nous dira plus tard qu'il fut son 61eve et qu'il admira toujours le respect du maitre pour les convictions de ses au- diteurs. Il nous dira l'importance qu'eut i ses yeux l'objectivit6 durkheimienne et la legon qu'il s'efforga d'en tirer.

Mais toute v6rit6 n'est pas bonne t dire, au moins t tout moment. Beau- coup de raisons honorables pouvaient dissuader Le Bras de se mettre dans le

(3) Pour la biographie intellectuelle de G. Le Bras avant la fondation des Archives, lire l'article de H. DESROCHE < Domaines et m6thodes de la sociologie religieuse O dans l'oeuvre de G. Le Bras, Revue d'histoire et de philosophie religieuse, XXXIV, 1954, 128-158 et le mien, <D6veloppement et d6passement de l'6tude de la pratique religieuse chez Gabriel Le Bras >>, Cahiers internationaux de sociologie, XX, 1956, p. 149-169.

(4) <(Sociologie religieuse et science des religionsO>>, ASR No 1, 3-18.

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sillage de Durkheim. Il en est de diplomatiques: historien et sociologue du catholicisme, catholique convaincu lui-meme, une rupture avec la hi6rarchie eut 6t6 catastrophique pour son entreprise (alors qu'il n'avait pas h6sit6 t

ferrailler avec les autoritds romaines a la Lib6ration, dans le cadre de sa mis- sion aupris du Ministbre des Affaires Etrangbres, pour que soient 6cart6s de leurs fonctions les 6v~ques collaborateurs). Il en est aussi de m6thodologi- ques : Durkheim proposait d'abord une thdorie de la religion, appuyde certes sur une forte base empirique. Le Bras se proposait de proc6der en sens inverse. Les religions dont il propose l'6tude a la sociologie sont des donn6es dont on consignera toutes les particularit6s observables avant de tenter progressi- vement des g6n6ralisations (5). Aussi s'appuie-t-il sur les travaux de ses sa- vants collbgues de la Cinquibme Section de 1'EPHE et m~me plus largement sur l'histoire des religions.

Cette 6tude ne pouvait se passer de cadre. Le Bras lui en donne un qui est a ses yeux purement signal6tique et n'implique aucune thdorie sociologique de la religion:

OLa sociologie des religions se propose d'6tudier la structure et la vie des groupes organis6s dont le sacr6 est le principe et la fin>> (6). Comme on le voit, sans citer Durkheim, Le Bras n'h6site pas a donner

a sa d6finition une consonance durkheimienne. Mais ici encore une diff6rence majeure subsiste. Pour Durkheim, tout ce qui est religieux n'est pas organis6 en religion. Sa notion de <<fait religieux >> est plus large (et sans doute moins pr6cise) que la notion de religion a laquelle se r6frre Le Bras.

Celui-ci pr6cise que, dans sa d6finition, trois OmondesO se trouvent im- pliqu6s: <<le communiel O, <<le supranaturel >>, <<le civil >. Le premier, ou <<as- sembl6e des adh6rents> est I'objet propre de cette sociologie religieuse. Certes, il se r6frre au second, comme objet de ses croyances (dont on ne questionne pas la r6alit6 objective) mais celui-ci est en lui-m~me le propre des thdologiens. Quant au civil, il est en connexion 6troite avec le premier, mais suffisamment distinct pour qu'on puisse 6tablir entre eux des liens de causalit6 r6ciproque. Une telle dl61imitation au cordeau pouvait gener et on lui posera bien des questions par la suite. Mais au moins, on d6marrait dans la clart6 qu'offre le sensus communis a qui se lance dans l'exploration de rdgions nouvelles, car il avait fallu que Le Bras, qui avait si bien labour6 le terrain de la pratique du catholicisme, franchisse un pas consid6rable en se don- nant pour programme Oune enquete sociologique sur toutes les religions O (7).

(5) Ce projet ne pouvait manquer de susciter des r6actions g certains niveaux de la Hi6- rarchie et au plus l61ev6. Emile Poulat, dans les pages admirables qu'il consacre & Le Bras dans son dernier ouvrage (L'Ere postchritienne, Paris, Flammarion, 1994) raconte comment ces r6- ticences amendrent celui-ci d des d6n6gations qui purent faire penser un moment qu'il aban- donnait la sociologie des religions.

(6) ASR, No cit. p. 6. (7) <<Pour une enquate sociologique de toutes les religions>>, Rythmesdu monde, 1953,

reprod. in Etudes de sociologie religieuse (ci-dessous ESR), II, 807-812. Emile Poulat (Op. cit.), tout en faisant un portrait intellectuel et je dirais <spirituel>> de Le Bras beaucoup plus fouill6 que je ne puis le faire ici insiste sur une certaine distance que Le Bras aurait prise par rapport B notre groupe. J'ai toujours pris pour de la discr6tion son d6sir de ne pas apparaitre comme notre leader. La diff6rence d'optique vient peut-&tre de ce que, malgr6 des diff6rences de terminologie, je me suis toujours senti en rdsonance profonde avec G.L.B. a qui je dois l'orientation qui m'a conduit B ma thdse sur Buchez.

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b) Place de la pratique

La place qu'ont prise en France les recensements de participants t la messe dominicale et la paternit6 de l'id6e, justement attribu6e t Le Bras, a tendu t

r6duire, en apparence, le programme de celui-ci t un comptage de totes. Or, d~s l'article de 1931 (8), on peut mesurer l'erreur d'une telle appr6ciation. Ce qui est r6volutionnaire dans les propositions de l'article, c'est le projet d'un inventaire des signes de la vie religieuse dans toute la France. Car la religion n'est pas pure conviction, mais se vit dans des conduites sp6cifiques. Les unes sont rituelles, impos6es ou facultatives, les autres sont dans les moeurs. Ces conduites ou ceux qui les accomplissent sont d6nombrables, mais ce n'est qu'un de leurs aspects. Meme les rites peuvent &tre accomplis de manibre qualitativement diff6rente. La description qualitative des pratiques, c'est-i-dire des conduites gouvern6es par les normes religieuses, va l'emporter de beaucoup dans les premiers travaux de Le Bras.

Or Le Bras observe qu'aucune histoire de la pratique religieuse ainsi en- tendue n'a 6t6 6tablie en France (ni ailleurs, les ethnologues 6tant plus int6- ress6s par les rites eux-m~mes que par l'assiduit6 avec laquelle ils sont accomplis) et que si les coutumes b6ndficient d'une sorte d'hyst6r6sis, aucune carte de la France religieuse n'a 6t6 6tablie (si ce n'est les observations d'An- dr6 Siegfried sur les diff6rences politico-religieuses entre la plaine et le bo- cage). Finalement, ce t quoi Le Bras appelle, c'est t la constitution d'un vaste fichier que l'on pourra disposer ensuite en carte, chaque fiche 6tant en quelque sorte color~e par les caractbres d'observance ou de d6tachement re- ligieux qu'on y aura inscrit. Pour cela, un instrument irremplagable, les <vi- sites pastorales> (9) dont les rapports sont conserv6s (en principe) dans les archives dioc6saines.

Celles-ci sont ouvertes surtout au clerg6, si bien que Le Bras va entretenir une correspondance consid6rable pour rassembler la r6colte d'un certain nom- bre d'eccl6siastiques conquis g sa cause. Mais il mettra, si j'ose dire <<la main

i la pate en compulsant lui-m~me bon nombre de ces archives. Le tout for- mera un fichier dont il publiera i mesure le contenu (10), dont il tirera plu- sieurs vues intuitives d'ensemble (11) et que Mile Turlan collationnera syst6matiquement en vue d'une synthbse (12).

A la jointure du qualitatif et du quantitatif, une typologie ordonn6e cr6e une variable intensive dont la signification sera par la suite soumise i vive discussion (13) mais qui constitue une parfaite 6chelle d'int6gration dans le corpus institutionnel de l'Eglise catholique. A cette 6chelle des pratiquants, l'Abb6 Boulard fit correspondre une 6chelle des r6gions, si bien que Boulard

(8) <( Introduction i l'enqu~te sur la pratique et la vitalit6 religieuses du catholicisme en France >, Revue d'histoire de l'Eglise de France (cit6e ci-dessous RHEF) XVII, 1931, 425-439.

(9) Chaque 6veque 6tant tenu de parcourir son diocese pour recueillir auprbs des cur6s des informations sur la vie religieuse de leur paroisse.

(10) Dans la RHEF. La liste s'en trouve dans la bibliographie, en tate du T.I. des ESR. (11) Cf. <Premibres synthbses>, ESR t. I, ch. III, 195-325. (12) ESR, T.I., Annexe I, 120-194. (13) Cf. mon Sens du sacrd, 95-99.

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et Le Bras pouvaient 6tablir ensemble une <<Carte religieuse de la France rurale O (14) oi l'est et l'ouest apparaissent comme <<pratiquants >, le centre, comme <<conformiste saisonnier>> et des r6gions comme la Champagne et le Limousin comme <<pays de mission>> (15).

Le Bras avait conscience de l'impr6cision de ces survols, aussi sa pr6f6- rence allait-elle a la monographie et particulibrement t celle des villages ou des petits <<pays >. Ce qui l'int6ressait passionn6ment, c'6tait la <<vitalit6 re- ligieuse >> d6chiffr6e a travers les comportements. C'est pourquoi il s'est senti si a l'aise avec la sociologie << compr6hensive > d'un Joachim Wach qu'il d6- couvrit peu avant la naissance des Archives et qui eut l'honneur d'occuper un bon quart du premier num6ro.

c) A l'assaut des villes

Mais c'6tait sans compter avec la poign6e d'6tudiants et de clercs qu'il avait su, dans ses cours de Sciences Po et ses conf6rences, attacher a son entreprise. Les premiers, paroissiens urbains, les seconds particulibrement cu- rieux de connaitre ce no man's land de la connaissance du clerg6 qu'6tait le public des messes en ville, se firent fort de lui montrer qu'on pouvait intro- duire la pr6cision dans l'exploration des paroisses urbaines, voire de villes tout entibres. A Paris, Serge Antoine (Saint-Pierre de Chaillot, 1948), Jacques Petit (Saint Laurent, a c6t6 de la gare de l'Est, 1950), Martine Alibert (Saint- Honor6 d'Eylau, 1951) donnbrent les travaux les plus consistants (16). Jacques Petit inventa cet ceuf de Colomb qu'6tait la distribution, au moment du sermon, de bulletins anonymes a remplir et portant plusieurs indications (age, sexe, profession, adresse) permettant de situer socialement le public des diff6rentes messes. La <<m6thode Petit>> eut un succas extraordinaire: peu aprbs, Simon Ligier (fin 1950 a D81e), M. Quoist a Rouen (17), Emile Pin (Paroisse Saint- Pothin a Lyon, 1952 et 1954), Jean Ch61ini (Paroisse du Bon-Pasteur a Mar- seille, 1953) firent remarquer leurs enquetes, parmi d'autres, pour leur pr6cision et la sagacit6 de leur interpr6tation. Je pus ainsi, d~s la parution du second volume des Etudes de sociologie religieuse (18) 6tablir une liste d'une quarantaine d'enquates religieuses urbaines. J'avais moi-m~me effectu6 en 1951 une telle enqu&te sur la paroisse Saint-Hippolyte a Paris, desservie par des pr&tres de la Mission de France dont le concours me fut pr6cieux (19).

(14) ESR, T.I., h.t., apud p. 324. (15) Les zones sont d6finies par des pourcentages-limites de pratique. Celles-ci ne sont

qu'approximatives et fond6es sur des coups de sonde. Une continuation de l'exploration du Chanoine Boulard et des m6thodes statistiques d'induction permettront par la suite d'6tablir une carte complkte et pr6cise de la pratique dominicale et des cartes lacunaires des autres types de pratique (baptismale par exemple) (Voir ISAMBERT et TERRENOIRE, Atlas de la pratique reli- gieuse des catholiques en France, Paris, FNSP et CNRS, 1980).

(16) Cf. Y. DANIEL, Aspects de la pratique religieuse ct Paris, Paris, Eid. ouvribres, 1952. (17) M. QUOIST, La Ville et l'homme, Ed. ouvribres, Economie et humanisme (Cit. infra

E & H) 1952. (18) ESR, t. II, 482-489. (19) <<Classes sociales et pratique religieuse paroissiale>>, CIS, Vol. XIV, 1953, 141-153.

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L'enqu&te de Jacques Petit ne valait pas seulement par le <<truc >> du bulle- tin. C'6tait un module de monographie sur ce que pouvait &tre cet ensemble humain qu'on appelle <<paroisse >> Paris, avec ce coefficient de flou suppl6- mentaire qui provenait de la proximit6 d'une gare, ce qui accroissait le nombre de non-paroissiens dans l'assistance. C'est pourquoi nous d6cidames unani- mement de lui donner une place dans le premier num~ro des Archives. Je fus charg6 de la p6nible tiche de <<procuster >> le m6moire pour le faire tenir dans la cinquantaine de pages qu'on pouvait lui accorder. Nous tenions t marquer ainsi que les 6tudes de pratique bien faites et bien situdes constituaient un pilier solide sur lequel notre projet pouvait fructifier.

Nous le marquions aussi en confiant t Jacques Maitre le soin d'effectuer pour notre second num6ro un survey des enquates de pratique effectu6es jus- qu't ce jour. Il nous fit, avec son impitoyable pr6cision une 6num6ration des types d'enquete, expliquant chaque proc6dure employ6e, le tout suivi d'un tableau par diocese, ville ou agglom6ration avec date, m6thode et r6f6rence bibliographique s'il y avait lieu, et couvrant a peu pros 105 enquetes diff6- rentes dans toute la France (dans certains cas, il n'est pas possible de discerner si des localit6s voisines sont l'objet d'enqu&tes distinctes) (20). Ainsi se trou- vaient regroup6es des enqu&tes dont la plupart dataient de ou 6taient post6- rieures i 1950, mais 6taient jointes t des enquites ant6rieures (certaines datant d'avant-guerre) et dont l'h6t6rog6n6it6 m6thodologique 6tait mise en 6vidence. Il amorgait t cette occasion une r6flexion sur la m6trique de la religion, rd- flexion qu'il d6veloppera par la suite.

II. CLASSES, COMMUNAUTES, UTOPIES

La plupart des enquates urbaines confirmaient l'opinion couramment r6- pandue selon laquelle les ouvriers fr6quentaient peu l'6glise, mais elles pr6- cisaient cette impression en montrant l'ampleur du ph6nomi~ne et sa g6n6ralit6, malgr6 les diff6rences r6gionales de la pratique globale. Dans l'enquite sur Saint-Hippolyte, je trouvais que chez les ouvriers m~mes, la pratique 6tait la plus rare dans les ilots les plus v6tustes, les plus insalubres et oit s'entassaient des habitants. J'en concluais, dans une tonalit6 vaguement marxiste:

<<On parle bien d'une <<condition humaine>> en g6n6ral, d6finie par quelques grandes constantes telles que la n6cessit6 de la mort et dont personne ne songerait a nier les incidences religieuses. Or la diversit6 des <<conditions >> colore de fagons bien diff6rentes cette <<condition humaine >>, posant de ce fait en termes diff6rents le problkme de la destin6e >> (21). Or Henri Desroche nous arrivait, lest6 de sa Signification du mar-

xisme (22). Jacques Maitre, Emile Poulat, moi-m~me attachions la plus grande

(20) J. MAiTRE, << Catholicisme frangais contemporain: vari6t6 et limite de ses d6nombre- ments >> et << Les D6nombrements de catholiques pratiquants en France >>, ASR, NOS 2 et 3, 27-38 et 72-96. Les deux articles ne devaient en faire qu'un et le tableau du second 6tait pr&t pour le No 2, mais le manque de place obligea i le reporter au num6ro suivant.

(21) CIS, Art. cit. 153. (22) Paris, Ed. ouvribres, E. & H., 1950.

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importance au marxisme pour la sociologie des religions. Plus ou moins proches du marxisme, mais jamais infrodds aveugl6ment, nous percevions que les questions pos6es par Marx et Engels devaient &tre examin6es de tris prbs.

a) Plus pros d'Engels que de Marx

Signification du marxisme r6fl6chit syst6matiquement sur tous les passages de Marx oii il est question de religion. Le caractbre pr6-sociologique de la pens6e de Marx se marque par l'infrastructure sociale qu'il donne a toute id6ologie. Mais la religion a un r6gime sp6cial: elle est l'expression de la misbre humaine, mais une expression fauss6e qui se donne l'illusion de l'au- delh pour ne plus sentir les douleurs d'ici-bas. De ce fait elle doit &tre d6truite comme toute esp6rance illusoire de sur-lendemains de bonheur, c'est-h-dire comme toutes les utopies. Et pourtant, Desroche met i jour des traces d'u- topisme chez Marx. En ce qui concerne la classe ouvribre, la corrl61ation qu'il pergoit et qu'il d6nonce est positive entre la misbre et la religion, alors que toutes nos enquates empiriques montrent au contraire une corr61ation n6gative. Mais ici, la dialectique joue et nous n'avons jamais jug6 ces deux types de relation comme incompatibles. Comme je l'explique dans mon article sur Saint-Hippolyte, c'est la classe ouvribre en r6volte qui rejette un catholicisme trop lid aux nantis. Une prise de conscience sociale de la condition ouvribre conduit bien, dans la ligne de Marx i un rejet de la religion, une ligne d'ex- plication que je propose parmi d'autres possibles.

Mais Desroche ne se contentera pas de chercher t entrouvrir ce marxisme un peu trop ferm6. Ii ouvrira la bofte de Pandore et il s'en 6chappera, surtout a partir d'Engels, une nu6e de rdvoltes sociales religieusement inspir6es, dont celle de Thomas Mtinzer, illustr6e par la Guerre des paysans est le proto- type (23). Faudrait-il pour autant opposer un Marx radicalement irr61igieux et un Engels accordant a la religion un r61e de souffle vers le socialisme? Desroche pergoit bien qu'il y a un verrou qu'Engels, aussi bien que Marx, pose entre religion et socialisme et qu'il faut faire sauter pour passer de celle- 1 a celui-ci. Mais Engels se compla'it a voir dans certains mouvements reli- gieux des pr6figurations du communisme. S'il y a entre les uns et les autres une discontinuit6 typologique, Desroche pense ne pas &tre infiddle a Engels en voyant chez lui une <<continuit6 g6n6tique> (24) entre eux, le socialisme 6tant obtenu par d6passement (Aufhebung) de la religion (25).

Desroche ira plus loin: quelle est cette r6flexion sur les avatars religieux de la pens6e politique; quelle est la nature de cette pens6e qui interroge a chaque instant la gendse sociale des manifestations religieuses, sinon l'abou- tissement irrdligieux d'une pens6e religieuse? La question n'est plus seule- ment pos6e au marxisme, mais a toute sociologie de la religion. Voila pourquoi

(23) H. DESROCHE, << Socialisme et sociologie du christianisme ,>, CIS, Vol. XXI, 1956, 149- 167.

(24) Art. cit., 158. (25) Je dirais plus volontiers Olien dialectiqueO pour rendre l'id6e si 6clairante de

Desroche.

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Henri Desroche, qui a import6 la pens6e de Joachim Wach dans l'6quipe, va longuement analyser celle-ci dbs le premier num6ro des Archives, donnant i

l'entreprise bibliographique une signification et une profondeur d6passant de beaucoup 1' ambition d'une simple 6rudition (26).

Mais dis maintenant, on voit que la convergence de Desroche avec Le Bras sur le principe de s6paration de la sociologie et de la th6ologie, principe fondateur de toute sociologie objective des religions, s'appuyait sur des a priori diffdrents (qui eiit pu s'en 6tonner?) mais qui font douter de la port6e de leur compr6hension r6ciproque, compr6hension situ6e au niveau d'une re- connaissance et d'une loyaut6 scientifique plus que d'une comp6n6tration 6pis- t6mologique.

b) Communautis et utopies

Le mot <communisme>> date du milieu du XIXe sibcle. Auparavant, on parlait de << communaut6 >> aussi bien pour d6signer le principe de la possession des biens en commun que les groupes qui mettaient ce principe i ex6cution. Cette succession souligne le lien s6mantique que pouvait vivre de l'int6rieur le jeune Phre Dominicain Henri-Charles Desroche, partageant d~s le temps de la dernibre guerre sa vie entre sa communaut6 dominicaine et cette coop6- rative communautaire de Valence qui s'6tait baptis6e Boimondau (<<Bo"itiers de montres du Dauphin6 >>) et qui se pensait comme le prototype d'un nouveau type de soci6t6, trbs largement communis6e (27).

La lecture d'Engels lui fit d6couvrir une multiplicit6 de communaut6s, analogues sur bien des points, g6n6ralement install6es dans le Nouveau-Monde et qu'il passait en revue d~s 1952 (28). Voyant 1 l'intersection entre ses deux prdoccupations majeures, les coopdratives a tendance communautaire et les frontibres de la religion, il se langa dans une these sur la premiere de ces sectes 6num6r6es par Engels, les Shakers amnricains (29) qui, partis de Bris- tol, essaimbrent dans diff6rentes parties des Etats-Unis. Bien que la fondatrice Ann Lee ait eu une r6v61lation lui enjoignant de cr6er cette colonie et malgr6 certains traits convulsionnaires, il semble que le module moral d'Owen ait pr6domin6 et que son messianisme soit a ranger parmi les <<postmill~na- rismes >>. Autrement dit, son messianisme serait un messianisme de mission transformatrice de la soci6t6 plut8t qu'un messianisme d'attente apocalyptique et il semble bien que c'est a cette forme de messianisme que va la pr6f6rence de Desroche, qui reste pourtant ouvert a toutes les formes chiliastiques et apocalyptiques.

Mais plus que la transe, chore a Bastide qui fut un des parrains intellec- tuels de Desroche, les cat6gories de comportement mental qu'il met au centre

(26) Cf. infra, part. III. (27) H. DESROCHE raconte cet 6pisode de sa vie dans Le Projet coopiratif, Paris, Ed.

ouvribres, E. & H., 1976, introduction. (28) <<Dissidences religieuses et socialismes utopiques>> L'Annde sociologique 1952, paru

en 1956, 393-429. (29) Les Shakers amiricains: d'un ndo-christianisme c un prisocialisme, Paris, Ed. de

Minuit, 1955.

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de sa probl6matique sont celles du rave et de l'espdrance (30). Reve qui r6unit dans une m~me cat6gorie mentale les dieux sauveurs et les utopies. Esp6rance attirant vers un avenir meilleur qui est toujours d'une manibre ou d'une autre un salut, mais dont la r6alisation d69oit g6n6ralement celui qui l'avait conque et qui se r6alise autrement qu'il ne l'avait conque; et pourtant, la <<soeur es- p6rance > renait toujours, ce qui est sans doute ce qu'il y a de plus admirable dans l'humanitd.

D6sormais, outre sa fonction de leader, la place de Desroche est bien inscrite dans le Groupe: il se confinera dans l'6tude des messianismes uto- piques, i la grande satisfaction de Le Bras qui le volt en quelque sorte << cas6 >> dans une sp6cialit6 o0i il ne marchera pas sur les plates-bandes du christia- nisme et surtout du catholicisme, ce qui 6tait m6connaitre toute la mise en question de la religion en sous-ceuvre, sans profession de foi antireligieuse, ni visde r6ductrice, mais par I'alignement de la Foi sur le rave et de l'Esp6- rance sur l'utopie: les dieux ne sont-ils pas tous Dieux d'hommes? (31) Et n'h6sitant pas g rapprocher son propos du voeu de Le Bras de voir d6velopper une <<sociologie de l'irrl61igion, [qui] constitue un des principaux chapitres, le plus 6mouvant de toute sociologie religieuse>> (32), il propose:

<<Pourquoi n'aurions nous pas un Uthdisme, soit un trait6 des dieux tels qu'ils auraient pu se situer dans l'8tre ou le n6ant et tels qu'ils ne s'y sont jamais si- tu6s ? >> Proposition qui ne ferme pas la porte i l'existence d'un ou de plusieurs

dieux existants, mais ouvre celle qui 6met I'hypothise du caractbre onirique de tel ou tel dieu, voire de tous. Mais nous sommes en avance sur l'horaire: au moment du lancement des Archives, Desroche ne g6n6ralise pas h ce point sa d6marche: il en est encore t rep6rer les sectes utopiques. Au m~me mo- ment, Jean S6guy publiait de son c6t6, hors du Groupe - mais vite rattrap6 par lui - son premier mais magistral ouvrage sur les sectes (33).

c) L'histoire conflictuelle de l'Eglise

Emile Poulat avait rejoint le Groupe dbs 1954. II avait surtout rejoint Desroche, sous la direction duquel il 6tablissait un catalogue des manuscrits de Fourier (34). C'est le moment oi le Groupe se met en place autour des Etudes de Le Bras. C'est aussi le moment de l'interdiction romaine faite aux

(30) Cf. Les Dieux revis : thdeisme et athdisme en utopie, Paris, Descl6e, 1972 et Sociologie de l'espirance, Paris, Calmann-L6vy, 1973.

(31) H.DESROCHE. Dieux d'Hommes: dictionnaire des messies, messianismes et milld- rismes de l'Are chritienne, La Haye, Mouton, 1969; cf. aussi L'Homme et ses religions, Paris, Cerf, 1972.

(32) Cit6 dans Les Dieux revis, p. 12 d'apris Lumen vitae, 1951. (33) J. SEGUY, Les Sectes protestantes dans la France contemporaine, Paris, Beauchesne,

1956, dont Desroche allait faire un compte rendu dis le No 3 des ASR et qui rejoignit la troupe des r6dacteurs d~s le No 5 : <<David Lazaretti et la secte apocalyptique des GiurisdavidiciO>, 71-87.

(34) Le r6sultat de ce travail parut avec une pr6face de H. Desroche, sous le titre: Les Cahiers manuscrits de Fourier, itude historique et inventaire raisonnde, Paris, Ed. de Minuit, 1957.

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pretres d'8tre ouvriers. Emile Poulat, tres proche des pretres-ouvriers, prate sa plume i un groupe d'entre eux qui avaient r6uni les documents essentiels

de l'affaire (35). Aucun jugement, rien que des textes. Dans cette collaboration anonyme apparait,d6j la vocation de celui qui allait &tre l'historien de l'Eglise dans le Groupe. Evoquant le climat de cette 6poque, il 6crit:

<Intellectuellement, dans le catholicisme, le vent n'6tait pas au lib6ralisme et a beaucoup, les temps paraissaient difficiles, pour des raisons oppos6es, selon qu'on 6tait O progressiste O ou < int6griste >. Ceux qui ne l'ont pas connu ont peine a imaginer ce climat et m~me a le soupponner. Certains parlaient de <peur>> comme on disait <<terreur>> aux jours du modernisme >.

En 1954, les progressistes paraissaient plus expos6s que les int6gristes qui ne se sentirent vraiment menac6s qu'apris le Concile Vatican II. Ce qui est le plus int6ressant dans le passage cit6, c'est le rapprochement entre la situation des progressistes d'alors et celle des modernistes au tournant du si&- cle. Poulat qui s'int6ressait aux premiers, se tournera bient8t vers les seconds, pour devenir ensuite historien de l'int6grisme, puis revenir sur la libert6 de penser dans notre soci6t6 (36).

Dans le plaidoyer pro domo que constitue son dernier livre, Emile Poulat plaide pour une neutralit6 historique absolue. C'est elle qui lui permettait, avec l'appui d'Ignace Meyerson, d'affronter Le Bras qui lui avait <cat6gori- quement d6conseill6> (37) de s'occuper des pr~tres ouvriers et finalement de le convaincre du bien-fond6 de sa d6marche. Mais il maniait des tonneaux de poudre, et sa m6thode que l'on peut qualifier, sur les traces de Meyerson, de <<psychologie historique >> le mettait si bien dans la peau de ses personnages que l'on pouvait tras s6rieusement se demander si son sun pathein ne virait pas a la sympathie pure et simple. Et sa volont6 de ne pas thdoriser n'6tait-elle pas porteuse de thdories implicites qu'il eut mieux valu, sans doute, discuter que condamner ou nier?

Toujours est-il qu'au momnent du lancement des Archives, Poulat s'occu- pait de cette fracture dans l'Eglise de France que constituait la dissidence de la majorit6 des pr~tres-ouvriers, fracture qui mettait en cause non seulement l'autorit6 de la Hi6rarchie, mais les rapports entre religion et politique et tout particulibrement entre christianisme et marxisme, et l'6tat sacerdotal lui- meme.

III. BIBLIOGRAPHIE ET COMPARATISME

Chacun apportait ainsi au Groupe qui se proposait de publier une revue, sa comp6tence et son orientation propres. II fallait faire oeuvre commune. L'oc- casion se pr6senta de consacrer l'ann6e 1955 a constituer un Trend Report

(35) Les Prdtres ouvriers, documents Paris, JEd. de Minuit, 1954, 300 p. (36) Libertd, lai'cit, Paris, Ed. Cujas, Cerf, 1988. (37) L'Ere postchritienne. p. 97. E. Poulat. fit, en pr6sence de Le Bras, au sdminaire de

Meyerson un expos6 qui parut l'ann6e suivante sous le titre Note sur la psychologie religieuse des pr~tres-ouvriers O, Journal de psychologie normale et pathologique, I, 1957, 51-66.

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pour 1'UNESCO (38). La formule est connue: il s'agit de rdunir une biblio- graphie sdlective, significative des grandes orientations d'une branche des sciences sociales, prdcrdde d'un article de synth~se mettant en relief ces orien- tations. Je marquai bien la continuit6 entre cette oeuvre ponctuelle et les Archives par un article <<Pour une bibliographie systdmatique en sociologie des religions >> (39).

a) Apprendre ?i itablir une bibliographie tendancielle

Tous les membres du Groupe embryonnaire se mirent au travail, mais la plus grande partie de celui-ci fut effectude par Henri Desroche, Odette Miret (actuellement Joubin, Professeur A l'Universit6 de Clermond-Ferrand) et moi- meme. A la fin Le Bras vint dans son Introduction 6tablir le bilan des parties riches et des parties creuses. Nous voulfimes ratisser large et parcourfimes toutes les bibliothbques parisiennes susceptibles de receler des titres de notre sous-discipline. Nous ramenions notre butin dans le petit local que la Fonda- tion Nationale des Sciences Politiques avait mis A notre disposition rue Saint- Guillaume, au rez-de-chaussde d'un immeuble donnant sur une paisible jardin et nous comparions pour 6viter les doublons, naturellement nombreux avec ce procrdd. Ce n'est pas une histoire marseillaise, mais nous rdunimes pros de 5000 titres diffdrents ! Que faire d'une pareille masse? Excusez-moi de me citer:

OLe travail bibliographique apparaissait (...) comme une 6tape dans le pro- cessus de la connaissance, non pas seulement agglomdration de faits 616mentaires, mais l61aboration i la fois thdorique et pratique. Thdorique dans la mesure oii seule une 6bauche de thdorie gdndrale et de typologie pouvait permettre une dd- limitation et un classement qui eussent des prdtentions de ddfinitions et de clas- sification. Pratique dans la mesure oii les catdgories ainsi ddtermindes devaient s'appliquer A la matibre bibliographique, de fagon t canaliser la pratique de la documentation (40). Pouvait-on obdir h ces deux exigences ? Oui, jusqu'd un certain point, et

par un travail artisanal dont Jacques Maitre nous expliqua qu'il mettait en oeuvre une matrice algdbrique. Les titres et les commentaires de contenu qui les accompagnaient 6taient sur des fiches classiques. Nous disposions ces fiches par paquets en lignes et en colonnes, sur une table en cherchant A donner A chaque ligne et A chaque colonne une homogdndit6 qui lui soit propre. Puis nous rdfldchissions sur le tableau d'ensemble que cela donnait d'une sociologie des religions et si ce tableau souffrait d'un ddfaut thdorique, nous recommencions l'ouvrage. En gros, les colonnes correspondaient i des types diffdrents de religions et les lignes i des aspects sous lesquels on pouvait analyser ces religions : morphologie, physiologie, dynamique. En fait, la plu- part des item que nous ddcouvrions mdlangeaient allbgrement ces points de

(38) Sociology of Religions. A Trend Report and Bibliography / Sociologie des religions. Tendances actuelles de la recherche et bibliographie, Collection Current Sociology / La Socio- logie contemporaine, V-l, 1956, Paris, UNESCO, 87 p.

(39) ASR, No 1, p. 150. (40) Art. cit. p. 142.

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vue, dont il fallait, par cons6quent d6gager celui qui pr6dominait. Mais une morphologie qualitative demandait i se subdiviser typologiquement: ensem- bles territoriaux et, parmi les ensembles non-territoriaux, les communaut6s confessionnelles, les <confr6riesO >B l'int~rieur d'une meme confession et en- fin les World Organizations dont l'Eglise Catholique n'a plus le monopole. Finalement, cette grille s'appliquant de manibre trop irr6gulibre t notre matibre bibliographique, nous retinmes quatre grandes parties: une Introduction pour les problimes g6n6raux, puis OLes religions dans le monde >, puis OLa soci6t6 religieuse >>, enfin <<Conditions religieuses et conditions sociales >>, chaque par- tie 6tant divis6e selon des subdivisions qui lui 6taient propres.

Au total, 891 titres furent retenus, ce qui repr6sentait une sl61ection s6vbre. La difficult6 est qu'd la limite tout ce qui concerne la religion int6resse la sociologie des religions. Nous d6bordions naturellement trbs largement sur la d6mographie, l'histoire et la g6ographie, l'ethnologie, le droit. Des articles religieux & port6e interne, pourvu qu'ils analysent des comportements ou une situation ne devaient pas &tre 6cart6s a priori. Mais on saisit tout de suite qu't ouvrir ces vannes, nous allions 8tre tris vite d6bord6s et c'est ce qui arriva avec les 5000 titres (qui furent du reste class6s dans un vaste fichier bibliographique du Groupe de sociologie des religions). Outre le critbre fon- damental qui 6tait la r6f6rence objective i un rapport social, il fallut proc6der i une v6ritable 6puration techniqueO en laissant de c6t6 les 6crits d'impor-

tance secondaire, ou d'importance relative dans des domaines encombr6s. Le r6sultat, s'il 6tait plus qu'honorable n'6tait pourtant pas absolument satisfai- sant.

Notre but 6tait de mettre en place une structure qui se prolongerait dans les Archives par une bibliographie syst6matique continue. Le temps nous man- qua et nous remimes le projet pour le moment oiO nous aurions pu 6laborer un plan bibliographique v6ritablement scientifique. Ce temps faillit venir (41) mais 6choua t arriver.

b) La Presse

Il ne faut pas oublier que cette bibliographie eut pour fin, avant de jeter un produit sur le march6, de nous initier nous-memes t un champ que nous avions A conna~itre. Les livres et les articles de revue (plus les theses non publi6es dont Emile Poulat tint pendant plusieurs ann6es le registre) ne for- maient qu'une partie, la plus 61abor6e intellectuellement, de ce champ qu'6tait le discours publi6 sur la religion. La presse, c'est-a-dire les journaux, les heb- domadaires et les magazines, constituait l'autre volet. Jacques Maitre pro- gramma i ce sujet une 6tude qui n'eut pas, dans les ASR un prolongement aussi continu que la bibliographie, mais dont nous primes tirer les enseigne- ments lorsqu'un objet demandait, pour 8tre explor6, de prendre pour mat6riau

(41) Nous tentames, quelques ann6es plus tard d'6tablir une maquette dont Roger Beaume 6tablit un avant-projet selon la m6thode de Gardin, mais n'arrivames pas i nous mettre d'accord sur la taxinomie.

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des articles de presse. Lui-m~me se proposait d'6tudier la presse catholique d'un diocese, mais renonga finalement i ce projet, pour utiliser la presse sur des sujets particuliers comme le catholicisme d'extreme-droite ou l'astrolo- gie (42).

Visant d'abord la presse catholique, il commenga par montrer les diffi- cult6s de d6finition qu'il rencontrait: presse officielle, presse officieuse, presse dioc6saine, presse t usage du clerg6... il ne manquait que cette presse liminaire, fortement d6velopp6e depuis, presse d'une certaine opinion catho- lique, comme Thmoignage chretien ou la France catholique, ou encore la quasi- clandestine Quinzaine, ou enfin cette presse qui masque son origine confes- sionnelle, comme La Vie ou m~me Tildrama qui continue i publier la cote catholique des 6missions.

La question de la diffusion est particulibrement int6ressante pour un so- ciologue parce que la presse religieuse ne passe g6n6ralement pas par le r6seau des NMPP. Des r6seaux qui lui sont propres constituent un maillage de li- brairies catholiques, tandis que la diffusion militante constitue un mode de communication orale entre les diffuseurs et le public.

On retrouve naturellement les m~mes problimes techniques que pour la connaissance de la presse en g6n6ral et Jacques Maitre nous montra que, sur ce terrain, le statisticien 6tait assez bien outill6. Le plus curieux fut la ten- tative, la seule que je connaisse dans une revue de sciences humaines, d'ap- pliquer la typologie de Gurvitch des <<paliers en profondeurO> B un objet concret.

Jacques Maitre 6tait alors <<nigre de Gurvitch, mais ce serait se contenter bien facilement que d'y voir l'explication de cette d6marche. Le Groupe, dans la ligne de Wach, 6tait i l'afffit de typologies de toutes sortes. C'6tait se montrer weberien avant la lettre. Or nous avons vu, en clair pour la biblio- graphie et implicitement h propos des communaut6s utopiques, que les ph6- nombnes devaient 8tre saisis s des niveaux diff6rents, ce qui entre en r6sonance avec la manibre traditionnelle (pas seulement dans l'Eglise, mais plus large- ment dans notre culture) de voir de la <<profondeur dans les actes religieux et de les 6tiqueter selon le degr6 qu'ils atteignent dans cette dimension. Les paliers en profondeur de Gurvitch offraient de ce point de vue un modile tris plausible de typologie des ph6nombnes religieux, depuis la surface, Omor- phologique et 6cologique> jusqu'aux <<courants libres de la vie collec- tive>O (43), tout au fond, qui rejoindrait la notion de <vitalit6 religieuse>> de Le Bras. Sa fr6quentation de la psychanalyse dut amener Jacques Maitre h r6viser quelque peu sa notion de profondeur. En attendant, il int6grait l'exploration de la presse religieuse dans celle des manifestations de la vie religieuse.

(42) Revue frangaise de sociologie, 1961-2, 12-58 et Diogine, No 53, 1966, 92-100. (43) J. MAITRE, Art. cit., 138-139. J. Maitre, i la suite de Gurvitch, distingue dix niveaux !

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c) Sociologie et thdologie

Or ne peut-on en dire autant de tout ce que remuait notre bibliographie ? Autrement dit, ne mesurions-nous pas, mime dans les travaux les plus scien- tifiques, l'int6r~t port6 t la religion et par 1 m~me, pour suivre Max Weber l'importance accord6e a la religion dans le monde de la culture (44)? Autre- ment dit, les 6crits sur la religion n'6taient-ils pas une part de pens6e reli- gieuse? Pos6e sous cette dernibre forme, la question peut para"itre sans pertinence. En fait, r6f6r6e a l'6poque oi nous 6tions, nous travaillions sur le devant d'une scene oi on se disputait la sociologie religieuse. Joachim Wach avait di r6agir pour qu'd l'affectation d'un coefficient anti-religieux ne succhde pas une annexion de la sociologie religieuse par les confessions chrd- tiennes. C'est le point de d6part de l'article de Desroche dans le premier num6ro des Archives, article qui en 6tait le couronnement (45) comme celui de Le Bras en avait 6t6 l'ouverture. Desroche s'exprime en quelque sorte dans le miroir de la pens6e de Wach, de meme qu'il s'6tait exprim6 dans le miroir de celle de Le Bras en pr6sentant les Etudes de sociologie reli- gieuse (46). A cette occasion, il avait mis en 6vidence la volont6 de Le Bras de d6passer la <<sociologie pastorale>> dont la port6e ne pouvait &tre qu'ins- trumentale, au profit d'une sociologie a vis6e cognitive (47).

Mais 1~ oi Le Bras suggbre ou m~me esquive, Wach pose brutalement les distinctions, quitte t rencontrer des tensions insurmontables. La thdologie d'abord est pos6e comme << science normative >> alors que l'histoire, la socio- logie, l'ethnologie sont <<descriptives >> (il entend par 1 non qu'elles renoncent a l'explication, mais que leur point de d6part est d'abord un 6tat de ce qui est). Mais le propos se nuance par la dualit6 de l'experience et de l'expression. En matibre religieuse, les sciences positives ont a faire avec l'expression. Or l'expression n'arrive t rendre compte qu'incompl~tement de l'exp6rience qui reste premibre. La chose se complique par une d6finition de la th6ologie comme expression d'une exp6rience. De ce fait, la thdologie donne prise a la sociologie et on peut concevoir que les formes de la soci6t6 influent sur celles de la th6ologie, mais seulement au niveau de l'expression, et que l'ex- p6rience transcendera toujours les explications par la base sociale. Wach r6- sumera ce rapport ambigu en disant que les rapports de la religion et de son substrat social sont non pas explicatifs, mais fonctionnels. Et Desroche de marquer que sous ce terme se cachent toutes sortes de possibilit6s dialectiques de causalit6 dans les deux sens. Le Bras, de son c8t6, pour soucieux qu'il soit de sauvegarder la transcendance de l'inspiration religieuse, n'h6sitait-il pas t 6crire?

c<Nous lui attribuons sans hdsiter (t la sociologie) l'examen des conditions sociales du ddveloppement des croyances et des rites, des relations collectives avec les autres soci6t6s religieuses et profanes et aussi avec les soci6t6s de l'Au- Dela >.

(44) M. WEBER, Essais sur la thdorie de la science, 261. (45) H. DESROCHE, <Sociologie et thdologie dans la typologie religieuse de Joachim

Wach , ASR No 1, 41-63. (46) Cf. supra, note 3. (47) Art. cit., 152.

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M~me s'il faut bien limiter la causalit6 sociale a des conditions de d6- veloppement>> et non pas l'6tendre a une production du ph6nomine reli- gieux (48), l'ind6pendance du religieux est mise en cause.

Pour Wach, la question se pose a partir de la multiplicit6 des th6ologies, dont la relativit6 tient moins a l'6tat des soci6t6s qui en ont permis l'6closion qu'au fait que chacune d'elles est une expression rationalis6e imparfaite d'une exp6rience religieuse fondamentale (par cette notion premiere d'expdrience religieuse, il rejoint les ph6nom6nologues de la religion comme Rudolf Otto ou van der Leeuw) elle-m~me diversifi6e par ses conditions d'apparition dans les groupes religieux.

Deux cons6quences majeures sont a tirer de cet a priori : - Chaque th6ologie vaut comme expression et self interpretation. On mettra done tous ses soins a discerner l'exp6rience religieuse qui se

cache dans chaque expression th6ologique. Pour cela, il faut, dit Desroche, une profonde Oconnivence avec cette th6ologie et une d6marche de l'ordre du Verstehen (49).

- Mais une vue d'ensemble et comparative des diverses th6ologies (sou- vent trbs 616mentaires, mais reconnues comme telles si on y d6couvre un d6but de rationalit6) permet une p6n6tration plus approfondie de l'objet religieux. D'oi le double int6r&t du rassemblement des 6crits et, en une premiere phase, de la bibliographie.

Desroche semble trbs proche de cette conception de Wach que Le Bras semble, dans ses derniers 6crits, avoir assimilde (si ce n'est une moins grande part faite a l'exp6rience religieuse et une place plus grande faite a la doctrine et a la discipline). Ce qui s6duit le plus Desroche, c'est le caractbre mobile, non fig6 de cette pens6e, qui se replie sur l'analogie 1 oii l'identit6 ne semble pas possible, qui s'appuie sur les 6vidences, comme elles arrivent, quitte a les corriger ensuite lorsqu'elles paraissent contradictoires.

De meme, il considbre cette pens6e comme inachev6e. La sp6cificit6 de Wach est d'avoir d6velopp6 une typologie des groupes. Ce n'est qu'une partie de son programme qui devait aussi comprendre les croyances et les pratiques, et Desroche regrette en particulier que Wach n' ait pas d6velopp6 le chapitre des rites et de leur pratique. Mais il reconnait que Wach se trouvait plus a l'aise au niveau des groupes qui m6diatisent en quelque sorte les rapports entre religion et soci6t6. Les groupes en effet (c'est moi qui, ici, pense d6- velopper la pens6e de Desroche) ont la double propri6t6 d'avoir des visees qui donnent prise a la ph6nom6nologie et d'une manibre plus g6n6rale, a la compr6hension, et d'avoir d'autre part des structures homologues a ceux de

(48) Cit6 dans Art. cit., p. 152. La r6f6rence donn6e par Desroche renvoie i une conf6rence de Le Bras h Lumen vitae de 1951, intitulde dans Etudes: <<la Sociologie du catholicisme en France >. Mais ayant, par scrupules, consult6 ce texte, je n'y ai pas trouv6 le passage cit6 qui doit provenir d'un autre texte, Desroche ayant donn6 une numdrotation de chapitres ne coincidant vraisemblablement pas avec celle des Etudes. En revanche, nombreux sont les passages des Etudes oit Le Bras parle de l'influence de la soci6t6 sur l'6tat religieux, mais il se refuse i

voir la religion 6maner de la soci6t6 : celle-ci peut seulement favoriser ou entraver la vitalit6 religieuse. On lira en particulier tout le chapitre VI du T. II des Etudes, ODe la sociologie du catholicisme i une sociologie de la religion O, 759-812.

(49) ASR No 1, p. 45.

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la soci6t6 profane. De ces groupes, Wach fait une typologie, mais aussi une gendse, d6marche bifide avec laquelle Desroche ne pouvait qu'&tre d'accord puisqu'il l'adoptera lui-meme dans sa typologie g6n6tique des mouvements utopiques.

On aura pu comprendre que constituer un groupe de recherches et une revue de sociologie des religions, bien que dans le prolongement de la so- ciologie religieuse qui avait pignon sur rue dans la sociologie frangaise, 6tait dans les ann6es 50 une operation d61icate. Contrairement i ce qui s'6tait pass6 i la fin du sibcle dernier oii la sociologie de la religion s'6tait constitu6e,

pour des raisons de th6orie sociologique et du dehors des confessions 6tablies, puis s'6tait coul6e dans le mouvement lai'que, on ne voit pas qui, en dehors de personnalit6s religieusement motiv6es, aurait pris l'initiative de relancer cette branche de la sociologie. Or, parmi les Opatrons >, seuls Le Bras, pour le catholicisme et L6onard pour le protestantisme r6pondaient t cette condi- tion. Les rapports entre Le Bras et Leonard furent toujours excellents et L6o- nard collabora m~me aux Archives (50). Mais Le Bras 6tait plus entreprenant et rencontra Desroche, sans qui rien n'aurait 6t6 fait, puis les autres mous- quetaires >.

Comme on l'a vu, la situation 6tait dl61icate pour Le Bras parce que la sociologie religieuse frangaise, c'6tait Durkheim dont la lai'cit6 ne rimait pas avec odeur de saintet6. En revanche, une autre <<sociologie religieuse>> se constituait t Louvain, puis t 1'Arbresle et qui se pr6sentait comme confes- sionnelle. Non, du reste que cette sociologie efit une visde apolog6tique pour contrer le durkheimisme, mais elle se voulait instrument de connaissance du

O.peuple chr6tien >> entre les mains du clerg6, et soumise t la Hi6rarchie. C'est

ce que Le Bras lui-m~me appelait <<sociologie pastorale>> et qui avait pour 6minent repr6sentant l'Abb6, puis Chanoine Boulard. Le travail des sociolo- gues pastoraux fut consid6rable et objectif: on lui doit en particulier la mul- titude des enqu~tes de pratique dominicale dont la grande majorit6 des dioceses fut le sibge. Rien n'empachait ceux d'entre nous qui travaillaient sur la pratique de collaborer avec eux.

Mais les limites 6pist6mologiques de cette entreprise 6taient trop 6troites pour nous satisfaire, y compris Le Bras lui-mime qui, nomm6 pr6sident de l'AFSR, laissa la place t Boulard. Allait-il y avoir deux groupes rivaux ? Le Bras fut clair: l'un des groupes 6tait universitaire, l'autre eccl6siastique et il n'y avait pas matibre i concurrence. Si certains trouvaient leur place dans les deux, cela ne pr6sentait que des avantages.

L'autre difficult6, beaucoup plus importante, 6tait d'ordre interne. On ne peut r6duire celle-ci au fait que le catholique Le Bras avait a collaborer avec des marginaux de l'Eglise. Or ces <<marginaux>> posaient des questions sur

(50) E. G. LIONARD, <<Travaux de sociologie religieuse sur le protestantisme frangais >, OLes Professions dans la France protestante en 1868 et 1893 O etc. ASR No 2, 5 etc.

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QUARANTE ANS DEJA...

l'Iglise catholique ou sur la religion en g6n6ral, sur les rapports entre infra- structure et superstructure, entre th6ologie et sociologie. Ce fut justement le test de l'oecum6nisme scientifique du Groupe, que de s'accorder sur une pen- s6e non-pol6mique, laissant a chacun la libert6 de ses options, pourvu que tous soient anim6s d'une m~me loyaut6 intellectuelle. De ce point de vue, on peut dire que, dans les ann6es qui virent le Groupe et les Archives s'6tendre et prospdrer, ils furent exemplaires dans le milieu sociologique.

Frangois-Andr6 ISAMBERT Ecole des Hautes Etudes

en Sciences Sociales

Risumi

Le printemps 1956 vit paraitre notre revue sous le titre Archives de so- ciologie des religions. Les fondateurs apportaient des points de vue compl6- mentaires. G. Le Bras, dpris de faits objectifs, apportait toute son expirience de l'dtude quantitative et qualitative de la pratique religieuse, prenant pour point de ddpart le catholicisme, mais itendant

t l'ensemble des religions son

projet d'dtude scientifique, second6 dans l'analyse statistique par J. Maitre et moi-meme. A un moment oi le marxisme constituait pour tout sociologue un ddfi incontournable, H. Desroche apportait une thdmatique qui nous donnait tous i rdflichir, celle des rapports entre mouvements rdvolutionnaires et reli- gieux qui allait le conduire ai se focaliser sur les utopies et les aspects oniriques de la jointure entre politique et religion. Simultandment. E. Poulat s'attachait au mouvement des prdtres ouvriers et tissait des liens d'analogie entre pro- gressisme et modernisme. La pensde de J. Wach, depuis peu ddcidd, fournissait un lieu de rassemblement pour une opposition radicale, mais dialectique, entre thdologie et sociologie. Enfin la bibliographie, dont je tentais d'dtablir la car- tographie, mais dont E. Poulat allait, pendant de nombreuses anndes tenir la rubrique, occupait dks le ddebut la place d'un compas pour nous situer dans l'univers des sciences sociales des religions.

Abstract

Spring 1956 our Journal was first published with the title Archives de Sociologie des Religions. The founders furnished complementary viewpoints. G. Le Bras, who was fond of objectiv facts, supported with his rich experience the qualitative and quantitative surveys on church attendance. His scientific purpose had lead him to enlarge his view to all religions. J. Maitre and myself were bringing on that way our statistical practice. At that time it was impossible for any sociologist to avoid the challenge of marxism. H. Desroche, the author of Signification du Marxisme was involved in the meaning of the relationship between religious and revolutionary movements while E. Poulat inquired about the worker-priests and at large about christian progressism. All of us, according to Joachim Wach who died recently, were separating on a radical but dialectical manner sociology from theology. Last but not least the bibliography took place as the following of the work of Le Bras, Desroche and myself Sociology of Religion, Trends and Bibliography (UNESCO 1955). E. Poulat took the lea- dership of that part of the Journal.

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

Resamen

Fue la primavera de 1956 que vio surgir nuestra revista bajo el titulo Archives de sociologie des religions. Los fundadores aportaron puntos de vista complementarios. G. Le Bras, apasionado por los hechos objetivos, aportd toda su experiencia de los estudios cuantitativos y cualitativos de la prdtica reli- giosa, tomando como punto de partida el catolicismo, pero extendidndo al conjunto de las religiones su proyecto de estudio cientifico, secundado en el andlisis estadistico, por J. Maitre y yo mismo. En un periodo en el que el marxismo constituia, para todo socidlogo, un desaffo insoslayable H. Desroche aportaba una temdtica que nos obligaba a todos a reflexionar : la de las re- laciones entre movimientos revolucionarios y religiosos que le conducirfa a focalizarse sobre las utopias y los aspectos oniricos de la incidencia de politica y religidn. Simultdneamente, E. Poulat se acercaba al movimiento de sacerdotes obreros y establecia lazos de analogia entre progresismo y modernismo. El pensamiento de J. Wach, fallecido hace poco, proporcionaba un lazo de uni6n para una oposicion radical, pero dialictica, entre teologia y sociologia. La Bibliograffa, en fin, de cuya cartograffa me ocupaba yo, pero era E. Poulat quien, durante numerosos ajios, tuvo la rabrica, ocupd desde el comienzo el lugar de compds para situarnos en el universo de las ciencias Sociales de las religiones.

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