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S 716 L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 4 Questions – réponses Que faire lorsqu’on constate qu’un patient est signi- ficativement amélioré ? La qualité de la rémission fait partie du pronostic, immédiat et à long terme. Dans les objectifs d’améliora- tion du patient, hors du registre de la prise en charge immédiate, il faut prendre en compte, au moment de la rémission, les réaménagements de vie, la gestion des sources de stress, des complications, la sollicitation du réseau social, le réaménagement autour de l’épisode dépressif majeur, qui a des impacts parfois très impor- tants. Par exemple, le niveau de stress ressenti abaisse les manifestations anxieuses et donc favorise le passage de la rémission partielle à la rémission complète. Pour les patients ayant une réponse incomplète ou partielle, il faut utiliser toutes les armes possibles, pour que la rémission soit la meilleure possible, sans se contenter d’un traitement moyennement efficace. Il ne faut pas hésiter à augmenter les doses, à changer le traitement si les réponses sont insuffisantes, et profiter de cette amélioration, pour favoriser, par réadaptation neuro- cognitive, psychosociale ou psychothérapeutique, l’évo- lution des patients. La remédiation sur ordinateur va se développer dans l’arsenal thérapeutique pour les déprimés. Toutes les psy- chothérapies sont de l’apprentissage : quel que soit le clan théorique, elles jouent sur la plasticité, qui n’est pas seu- lement neuronale. Il n’y a pas de thérapie efficace sans apprentissage. Or, les apprentissages nécessitent une bonne flexibilité cognitive, un fonctionnement neuronal de bonne qualité. À l’hôpital, les patients déprimés acceptent volontiers de travailler sur un ordinateur pendant une heure avec un infirmier, et ils reviennent ensuite en ambulatoire ; il y aura peut-être un jour un pilotage sur le web, ce qui permettra des entraînements cognitifs répétés régulièrement. Ceci doit se faire en parallèle au traitement antidépresseur, les effets des thérapeutiques biologiques et cognitives étant synergiques. Dans le cadre de la dépression, les études qui évaluent les effets bénéfiques des thérapies de remédiation cogni- tive doivent reposer sur des critères solides, comme le taux d’absence de récidives, ou la diminution du temps passé en dépression. À partir de quel moment commençons-nous notre involution ? Ne sommes-nous pas tous en évolution vers une diminution neuronale à partir de l’âge de 18 ou 20 ans ? Et l’involution est-elle cyclique ou longitu- dinale ? Les dépressions réactionnelles ou situation- nelles entraînent-elles aussi une atteinte neuronale ou évoluons-nous vers une diminution longitudinale des balances noradrénergiques, dopaminergiques, séro- toninergiques, plutôt que vers une diminution au cours des phases dépressives seulement ? Nous savons que nous involuons à partir de la nais- sance. Ce qui est nouveau, c’est qu’en dehors du fait que notre capital neuronal global à tendance à diminuer à partir de l’accouchement chez l’Homme (un peu plus tard pour les autres espèces moins évoluées), nous avons la grande particularité d’avoir la possibilité de voir apparaître de nou- veaux neurones, essentiellement dans le gyrus dentelé et dans une partie du tubercule olfactif : ces nouveaux neu- rones indifférenciés, qui vont redevenir des neurones, au sens adaptatif du terme, ont la possibilité de migrer dans des régions relativement proches de leur lieu d’origine, du gyrus dentelé sur l’ensemble des noyaux de l’hippo- campe, par exemple. Ceci est probablement au cœur des processus évolutifs de type cellulaire. Mais même si nous perdons des neu- rones, le fait d’augmenter nos connexions est peut-être beaucoup plus important. Pouvons-nous transposer le modèle de stress de la souris caressant ses souriceaux à l’être humain, par exemple pour les carences affectives précoces ? Comment cette résistance au stress peut-elle être acquise chez l’être humain, et les choses peuvent- elles être récupérées ensuite ? Oui, le grooming est un modèle pertinent, d’autant qu’il répond à de nombreuses caractéristiques du modèle d’interaction mère-enfant, notamment le fait que la sépa- ration de la mère, quelques heures par jour, est très délé- tère sur l’axe HPA. Le handling, le fait de faire passer le petit souriceau de main en main, donc dans un milieu inconnu, est un stress dont les effets perdurent, non seu- lement immédiatement après, mais sur l’ensemble de la vie, ainsi qu’au niveau de l’expression des récepteurs aux

Questions – réponses

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Page 1: Questions – réponses

S 716 L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 4

Questions – réponses

Que faire lorsqu’on constate qu’un patient est signi-ficativement amélioré ?

La qualité de la rémission fait partie du pronostic,immédiat et à long terme. Dans les objectifs d’améliora-tion du patient, hors du registre de la prise en chargeimmédiate, il faut prendre en compte, au moment de larémission, les réaménagements de vie, la gestion dessources de stress, des complications, la sollicitation duréseau social, le réaménagement autour de l’épisodedépressif majeur, qui a des impacts parfois très impor-tants. Par exemple, le niveau de stress ressenti abaisseles manifestations anxieuses et donc favorise le passagede la rémission partielle à la rémission complète. Pourles patients ayant une réponse incomplète ou partielle,il faut utiliser toutes les armes possibles, pour que larémission soit la meilleure possible, sans se contenterd’un traitement moyennement efficace. Il ne faut pashésiter à augmenter les doses, à changer le traitementsi les réponses sont insuffisantes, et profiter de cetteamélioration, pour favoriser, par réadaptation neuro-cognitive, psychosociale ou psychothérapeutique, l’évo-lution des patients.

La remédiation sur ordinateur va se développer dansl’arsenal thérapeutique pour les déprimés. Toutes les psy-chothérapies sont de l’apprentissage : quel que soit le clanthéorique, elles jouent sur la plasticité, qui n’est pas seu-lement neuronale. Il n’y a pas de thérapie efficace sansapprentissage. Or, les apprentissages nécessitent unebonne flexibilité cognitive, un fonctionnement neuronal debonne qualité. À l’hôpital, les patients déprimés acceptentvolontiers de travailler sur un ordinateur pendant uneheure avec un infirmier, et ils reviennent ensuite enambulatoire ; il y aura peut-être un jour un pilotage sur leweb, ce qui permettra des entraînements cognitifs répétésrégulièrement. Ceci doit se faire en parallèle au traitementantidépresseur, les effets des thérapeutiques biologiqueset cognitives étant synergiques.

Dans le cadre de la dépression, les études qui évaluentles effets bénéfiques des thérapies de remédiation cogni-tive doivent reposer sur des critères solides, comme letaux d’absence de récidives, ou la diminution du tempspassé en dépression.

À partir de quel moment commençons-nous notreinvolution ? Ne sommes-nous pas tous en évolutionvers une diminution neuronale à partir de l’âge de 18ou 20 ans ? Et l’involution est-elle cyclique ou longitu-dinale ? Les dépressions réactionnelles ou situation-nelles entraînent-elles aussi une atteinte neuronale ouévoluons-nous vers une diminution longitudinale desbalances noradrénergiques, dopaminergiques, séro-toninergiques, plutôt que vers une diminution au coursdes phases dépressives seulement ?

Nous savons que nous involuons à partir de la nais-sance. Ce qui est nouveau, c’est qu’en dehors du fait quenotre capital neuronal global à tendance à diminuer à partirde l’accouchement chez l’Homme (un peu plus tard pourles autres espèces moins évoluées), nous avons la grandeparticularité d’avoir la possibilité de voir apparaître de nou-veaux neurones, essentiellement dans le gyrus dentelé etdans une partie du tubercule olfactif : ces nouveaux neu-rones indifférenciés, qui vont redevenir des neurones, ausens adaptatif du terme, ont la possibilité de migrer dansdes régions relativement proches de leur lieu d’origine, dugyrus dentelé sur l’ensemble des noyaux de l’hippo-campe, par exemple.

Ceci est probablement au cœur des processus évolutifsde type cellulaire. Mais même si nous perdons des neu-rones, le fait d’augmenter nos connexions est peut-êtrebeaucoup plus important.

Pouvons-nous transposer le modèle de stress dela souris caressant ses souriceaux à l’être humain, parexemple pour les carences affectives précoces ?Comment cette résistance au stress peut-elle êtreacquise chez l’être humain, et les choses peuvent-elles être récupérées ensuite ?

Oui, le grooming est un modèle pertinent, d’autant qu’ilrépond à de nombreuses caractéristiques du modèled’interaction mère-enfant, notamment le fait que la sépa-ration de la mère, quelques heures par jour, est très délé-tère sur l’axe HPA. Le handling, le fait de faire passer lepetit souriceau de main en main, donc dans un milieuinconnu, est un stress dont les effets perdurent, non seu-lement immédiatement après, mais sur l’ensemble de lavie, ainsi qu’au niveau de l’expression des récepteurs aux

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L’Encéphale, 2007 ; 33 : 716-7, cahier 4 Questions – réponses

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glucocorticoïdes. Chez l’Homme, beaucoup d’autresparamètres rentrent en jeu : il s’agit donc d’un modèle sim-plifié mais réellement intéressant dans l’interaction mère-enfant et ses effets perdurants.

Le rôle de l’amygdale est important : ne serait-ellepas un point de départ commun à différentes patho-logies ?

On peut, dans une perspective dualiste, considérer quele bon équilibre entre activité physique et mentale se situelorsqu’il y a une bonne homothétie du haut en bas, ou duplus physique au plus métasymbolique. En neuroscien-ces cognitives, on sait que l’amygdale est le gendarmeattentionnel de tout ce que nous ne connaissons pas : ellen’a pas seulement un rôle au niveau de l’anxiété ou dela peur, mais c’est le « mirador » des événements quenous ne connaissons pas, qu’ils soient heureux ou délé-tères. L’amygdale commence, lors du stress (qui est l’undes éléments étiopathogéniques possibles des effets descarences ou des maltraitances, puis des dépressions),par s’hypertrophier sous l’effet d’une hyperstimulationamygdalienne, puis elle s’épuise en s’atrophiant, commetous les organes ayant été trop sollicités. Ceci paraît enmiroir de travaux sur l’amour, montrant que c’est la seule

situation de la nature durant laquelle on observe uneextinction de l’amygdale, puisque cela s’accompagned’une hyperactivation des noyaux gris centraux et d’uneextinction de l’amygdale droite : l’amour est une hyperex-citation de l’animal en nous, avec un abandon de laméfiance…

Plus il y a de symptômes résiduels, plus on risquede rechuter, et plus il y a de rechutes, plus il y a desymptômes résiduels, nécessitant donc un acharne-ment thérapeutique. Mais les personnes qui guéris-sent ont deux fois et demie plus de chances de faireun geste suicidaire que les autres. Est-ce que ce nesont pas ceux-là qu’il faut s’acharner à suivre malgrétout, bien qu’ils aillent bien, qu’ils aient envie de fonc-tionner à nouveau normalement et donc d’oublier leurmaladie ?

En fait, au décours de l’épisode, les patients en rémis-sion complète ont très peu de risques de suicide, ceux quirestent déprimés ont sept fois et demie plus de risque sui-cidaire, et ceux en rémissions partielles, qui sont répon-deurs, mais symptomatiques, ont deux fois et demie plusde risques. Il faut donc bien, effectivement, s’acharner surces sujets…