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Actualités 780 Arch Mal Prof Env 2006 culture, tests in vivo) sont négatifs. Les études de can- cérogenèse chez le rat mettent en évidence une aug- mentation des tumeurs du foie (adénomes en rapport avec la prolifération des peroxysomes et des hépatocy- tes), du testicule (adénomes à cellules de Leydig par augmentation de l’œstradiol) et du pancréas (cellules acineuses). Les études de toxicité pour la reproduction (fertilité et développement) sont négatives en l’absence de toxicité maternelle. La communauté scientifique s’accorde à estimer que ces mécanismes d’hépatotoxi- cité et de cancérogénicité épigénétique par proliféra- tion de peroxysomes - c’est également le cas pour les phtalates et les médicaments hypolipémiants de la classe des fibrates - ne sont pas extrapolables aux pri- mates et à l’homme, dont le PPARα est très peu exprimé. Dans un rapport préliminaire de juin 2005 consultable sur son site, l’EPA estime néanmoins que les données animales devraient faire considérer le PFOA comme « probablement » cancérogène pour l’homme (2) ; ce qualificatif n’a bien sûr pas du tout la même signification que la classification en groupe 2A du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Les études épidémiologiques conduites en milieu pro- fessionnel, essentiellement au sein des usines de pro- duction 3M aux États-Unis et en Belgique, n’ont pas montré de pathologie clinique ni d’altération biologi- que chez les travailleurs exposés. Une étude publiée en 1996 portant sur 115 ouvriers de production améri- cains n’a mis en évidence aucune modification signifi- cative des enzymes hépatiques, du cholestérol, des lipoprotéines et des hormones stéroïdiennes par rapport aux témoins, en dépit d’une exposition importante : concentration moyenne en PFOA dans le sérum de 6,8 mg/l (ppm). Le PFOA pourrait toutefois moduler le métabolisme hépatique de l’alcool, des graisses ou des hormones stéroïdiennes : ainsi, à consommation d’alcool équivalente, la γ-GT est moins augmentée chez les exposés que chez les témoins ; le PFOA pourrait également favoriser le processus stéatosique lié au surpoids et à l’obésité. D’autres études n’ont pas montré de retentissement sur la fonction thyroïdienne. Une première étude de mortalité, publiée en 1993, a été étendue en 2002 à 3 183 hommes et 809 femmes expo- sés de 1947 à 1997 : aucune association significative avec aucune cause spécifique de mortalité n’est relevée, et notamment maladies cardiovasculaires, cirrhose hépatique, tous cancers, cancer du foie, cancer du pan- créas et cancer de la prostate (1). Le PFOA n’a pas fait l’objet d’un classement par le CIRC ni par la Commu- nauté européenne : ce n’est pas une substance CMR au sens du décret de 2001. En ce qui concerne vos salariés, les risques sanitaires associés à leur exposition professionnelle au PFOA apparaissent virtuels compte tenu des données exposées ci-dessus. En l’état actuel des connaissances en effet, la quasi-totalité des effets biologiques du PFOA semble médiée par un mécanisme spécifique à certaines espèces (rongeurs), non transposable à l’homme. En l’absence de nouvelles informations, et tout en restant vigilant vis-à-vis d’une substance aussi biopersistante (demi-vie estimée chez l’homme de l’ordre de quatre ans), il con- vient cependant de rassurer ces personnes en leur expli- quant, ce qui n’est pas toujours facile, qu’exposition ne signifie pas nécessairement intoxication… Les concen- trations sériques moyennes en PFOA relevées chez ces salariés sont superposables à ce qui est maintenant retrouvé dans ce type d’industrie. En l’absence d’hépa- totoxicité et notamment de cytolyse, avérée chez l’homme, le dosage systématique des transaminases ne me paraît pas indispensable, sauf mise en place d’une étude contrôlée. Comme vous le savez, ce type de sur- veillance biologique conduit à de nombreux faux posi- tifs, et s’avère faussement rassurante alors qu’elle ne met pas à l’abri d’éventuels effets à long terme. F. Testud Unité de toxicovigilance, Centre antipoison, Hospices Civils de Lyon, 69424 Lyon Cedex 03. Références 1. Kennedy GL Jr, Butenhoff JL, Olsen GW, O’Connor JC, Seacat AM, Perkins RG, Biegel LB, Murphy SR, Farrar DG. The toxicology of perfluorooctanoate. Crit Rev Toxicol 2004 ; 34 : 351-84. 2. http://www.epa.gov/oppt/pfoa/pfoainfo.htm Question L’OMS fait la promotion des moustiquaires impré- gnées de pyréthrinoïdes pour la lutte contre le palu- disme. Nous souhaitons encourager l’emploi de ces dispositifs dans un territoire où le paludisme est endémique. Un industriel nous propose des mousti- quaires de polyester, imprégnées de deltaméthrine à 55 mg/m 2 . Qu’en pensez-vous ? Dr F. M. (Outre-Mer) Réponse La deltaméthrine est un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes.

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780 Arch Mal Prof Env 2006

culture, tests in vivo) sont négatifs. Les études de can-cérogenèse chez le rat mettent en évidence une aug-mentation des tumeurs du foie (adénomes en rapportavec la prolifération des peroxysomes et des hépatocy-tes), du testicule (adénomes à cellules de Leydig paraugmentation de l’œstradiol) et du pancréas (cellulesacineuses). Les études de toxicité pour la reproduction(fertilité et développement) sont négatives en l’absencede toxicité maternelle. La communauté scientifiques’accorde à estimer que ces mécanismes d’hépatotoxi-cité et de cancérogénicité épigénétique par proliféra-tion de peroxysomes - c’est également le cas pour lesphtalates et les médicaments hypolipémiants de laclasse des fibrates - ne sont pas extrapolables aux pri-mates et à l’homme, dont le PPARα est très peuexprimé. Dans un rapport préliminaire de juin 2005consultable sur son site, l’EPA estime néanmoins queles données animales devraient faire considérer lePFOA comme « probablement » cancérogène pourl’homme (2) ; ce qualificatif n’a bien sûr pas du tout lamême signification que la classification en groupe 2Adu Centre international de recherche sur le cancer(CIRC).Les études épidémiologiques conduites en milieu pro-fessionnel, essentiellement au sein des usines de pro-duction 3M aux États-Unis et en Belgique, n’ont pasmontré de pathologie clinique ni d’altération biologi-que chez les travailleurs exposés. Une étude publiée en1996 portant sur 115 ouvriers de production améri-cains n’a mis en évidence aucune modification signifi-cative des enzymes hépatiques, du cholestérol, deslipoprotéines et des hormones stéroïdiennes par rapportaux témoins, en dépit d’une exposition importante :concentration moyenne en PFOA dans le sérum de6,8 mg/l (ppm). Le PFOA pourrait toutefois moduler lemétabolisme hépatique de l’alcool, des graisses ou deshormones stéroïdiennes : ainsi, à consommationd’alcool équivalente, la γ-GT est moins augmentée chezles exposés que chez les témoins ; le PFOA pourraitégalement favoriser le processus stéatosique lié ausurpoids et à l’obésité. D’autres études n’ont pas montréde retentissement sur la fonction thyroïdienne. Unepremière étude de mortalité, publiée en 1993, a étéétendue en 2002 à 3 183 hommes et 809 femmes expo-sés de 1947 à 1997 : aucune association significativeavec aucune cause spécifique de mortalité n’est relevée,et notamment maladies cardiovasculaires, cirrhosehépatique, tous cancers, cancer du foie, cancer du pan-créas et cancer de la prostate (1). Le PFOA n’a pas faitl’objet d’un classement par le CIRC ni par la Commu-nauté européenne : ce n’est pas une substance CMR ausens du décret de 2001.

En ce qui concerne vos salariés, les risques sanitairesassociés à leur exposition professionnelle au PFOAapparaissent virtuels compte tenu des données exposéesci-dessus. En l’état actuel des connaissances en effet, laquasi-totalité des effets biologiques du PFOA semblemédiée par un mécanisme spécifique à certaines espèces(rongeurs), non transposable à l’homme. En l’absencede nouvelles informations, et tout en restant vigilantvis-à-vis d’une substance aussi biopersistante (demi-vieestimée chez l’homme de l’ordre de quatre ans), il con-vient cependant de rassurer ces personnes en leur expli-quant, ce qui n’est pas toujours facile, qu’exposition nesignifie pas nécessairement intoxication… Les concen-trations sériques moyennes en PFOA relevées chez cessalariés sont superposables à ce qui est maintenantretrouvé dans ce type d’industrie. En l’absence d’hépa-totoxicité et notamment de cytolyse, avérée chezl’homme, le dosage systématique des transaminases neme paraît pas indispensable, sauf mise en place d’uneétude contrôlée. Comme vous le savez, ce type de sur-veillance biologique conduit à de nombreux faux posi-tifs, et s’avère faussement rassurante alors qu’elle nemet pas à l’abri d’éventuels effets à long terme.

F. TestudUnité de toxicovigilance, Centre antipoison, Hospices Civils de Lyon, 69424 Lyon Cedex 03.

Références1. Kennedy GL Jr, Butenhoff JL, Olsen GW, O’Connor JC,Seacat AM, Perkins RG, Biegel LB, Murphy SR, Farrar DG. Thetoxicology of perfluorooctanoate. Crit Rev Toxicol 2004 ;34 : 351-84.

2. http://www.epa.gov/oppt/pfoa/pfoainfo.htm

Question

L’OMS fait la promotion des moustiquaires impré-gnées de pyréthrinoïdes pour la lutte contre le palu-disme. Nous souhaitons encourager l’emploi de cesdispositifs dans un territoire où le paludisme estendémique. Un industriel nous propose des mousti-quaires de polyester, imprégnées de deltaméthrine à55 mg/m2. Qu’en pensez-vous ?

Dr F. M. (Outre-Mer)

Réponse

La deltaméthrine est un insecticide de la famille despyréthrinoïdes.

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Questions - réponses

Arch Mal Prof Env 2006

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Les pyréthrinoïdes agissent au niveau de toutes les cel-lules excitables (système nerveux, muscles, cœur), eninhibant la fermeture des canaux sodiques rapides ;cela a pour effet d’augmenter leur excitabilité. C’est labase de leur effet insecticide. Ils sont très peu toxiquespour les mammifères, car ces derniers les métabolisenttrès rapidement.En pratique, une intoxication systémique ne peutrésulter que d’une contamination massive et, à ma con-naissance, les quelques cas rapportés ont tous fait suiteà une ingestion de préparations insecticides.Les moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes peu-vent néanmoins être à l’origine d’effets indésirablesdésagréables, quand elles sont mises en contact directavec la peau ou les muqueuses, surtout si ce contactest prolongé. Dans cette situation, en effet, les pyréth-rinoïdes contaminant la peau ou la muqueuse abais-sent le seuil d’excitabilité des récepteurs sensitifs etprovoquent leur décharge répétitive. Cela se traduitpar des sensations de fourmillement, d’engourdisse-ment, de chaleur ou de brûlure au niveau des zonesde contact. Ces troubles sensitifs débutent 30 à60 minutes après le début du contact, sont maximaux3 à 8 heures plus tard et durent 12 à 24 heures. Ils sontparticulièrement intenses quand des zones richementinnervées sont touchées (doigts, région péribuccale,périnée et organes génitaux externes). Ces manifesta-tions sont sans gravité réelle, mais elles sont inconfor-tables et peuvent même être franchement anxiogènes

quand elles surviennent pour la première fois chez unindividu.Les éruptions cutanées rapportées chez les personnes encontact avec des pyréthrinoïdes sont généralement deslésions de grattage secondaires aux démangeaisons indui-tes par ces insecticides en cas de contact cutané direct.Avec les préparations liquides (solutions ou aérosolsinsecticides ; solutions d’imprégnation des mousti-quaires, par exemple), des dermites d’irritation sontpossibles : le solvant vecteur (il s’agit généralementd’hydrocarbures) en est responsable. Dans le cas desmoustiquaires imprégnées, le solvant est évaporé.Les réactions allergiques sont exceptionnelles avec lespyréthrinoïdes de synthèse (elles étaient fréquentes avecles pyréthrines naturelles et les extraits de pyrèthressouvent contaminés par des pollens et d’autres débrisvégétaux).Bref, les moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes(en l’occurrence de deltaméthrine) me semblent tout àfait recommandables, à condition que les utilisateurssoient bien informés qu’ils doivent éviter les contactsdirects cutanés ou muqueux. Les effets indésirablesdont j’ai eu connaissance sont survenus chez des indivi-dus qui s’étaient enveloppés nus ou presque dans unemoustiquaire qu’ils n’avaient pas pu (ou voulu) suspen-dre autour de leur couchage.

R. GarnierConsultation de pathologie professionnelle, Hôpital Fernand Widal, 200 rue du Faubourg Saint-Denis, 75475 Paris Cedex.