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Toute question doit être transmise, par écrit, avec vos coordonnées précises, au Docteur Dominique Lafon, 85 bis Chemin du Bas des Ormes, 78160 Marly-le-Roi. 306 Arch Mal Prof Env 2007 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Actualités Q U E S T I O N S R É P O N S E S Les Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement accueillent dans cette rubrique les questions des lecteurs et leurs réponses rédigées par des experts choisis pour leurs compétences sur le sujet. Il s’agit de questions à visées médicales et techniques dans tous les domaines de la santé au travail (à l’exclusion de toute tribune corporative, syndicale ou politique). Toute question peut être posée, mais une sélection sera parfois effectuée pour éviter des redondances ou des répétitions. N’hésitez pas non plus à utiliser cette rubrique pour dialoguer avec vos confrères et vous faire part mutuelle- ment de vos expériences. Question Un salarié agricole de 49 ans utilise une solution aqueuse à 1,5 % d’un mélange de deux isothiazoli- nones (la 5-chloro-2-méthyl-3-isothiazolinone et la 2-méthyl-3-isothiazolinone) pour le traitement des légionelles de l’eau des tours de refroidissement de la laiterie où il travaille. La préparation est livrée en fût de 200 litres qui ne sont pas déconditionnés, mais seulement branchés par une pompe sur le circuit d’eau des tours. Il faut périodiquement changer les fûts. Récemment, le salarié a effectué cette opération. Il restait quel- ques litres de la préparation dans le fût sortant, qui ont été transvasés dans un seau. Pendant le transport de celui-ci, le salarié s’est accidentellement conta- miné la main gauche, qui tenait le seau, et le genou homolatéral. Il ne s’est pas décontaminé et ne s’est pas changé immédiatement. Il ne rapporte aucune gêne, au cours des heures suivantes. Le lendemain, il s’est plaint de paresthésies à type de picotements des 3 e et 4 e doigts de la main gauche. Le surlendemain, il a aussi ressenti un prurit du genou gauche ; des vésicules sont apparues sur les 3 e et 4 e doigts de la main gauche, ainsi que sur le genou gauche (placard de 10 cm de diamètre) et sur la main droite (zone non précisée). Le jour suivant, l’éruption prurigineuse persistant, le salarié a consulté son médecin traitant qui a diagnostiqué un eczéma. Les lésions se sont aggravées les jours suivants et le malade a consulté un dermatologue à l’hôpital de secteur, six jours après l’accident. Le dermatologue a observé des phlyctènes de la face dorsale des troisiè- mes phalanges des 3 e et 4 e doigts de la main gauche avec un érythème de tout le dos de la même main. Des lésions phlycténulaires étaient également appa- rues au niveau des deux jambes, du cou et du visage. Le dermatologue a considéré que l’aspect des lésions était plutôt en faveur d’une dermite caustique et a proposé un traitement symptomatique local. Cepen- dant, les jours suivants, les lésions se sont étendues, touchant également le bras gauche et l’abdomen. Elles étaient prurigineuses ; le traitement a été com- plété par la prescription d’un antihistaminique H1 par voie orale et d’un corticoïde local. Une biopsie cutanée a été réalisée à J10. Elle a mon- tré une parakératose de surface, une vacuolisation des kératinocytes, un œdème et un infiltrat du derme par des lymphocytes, des polynucléaires neutrophiles et aussi d’assez nombreux polynucléaires éosinophi- les. L’anatomopathologiste a conclu à une dermite de contact mixte irritative et allergique. À J15, le salarié a eu un nouveau contact avec la pré- paration à base d’isothiazolinones : il a posé acciden- tellement la main gauche sur un fût contaminé. Il a ressenti immédiatement une sensation de brûlure des 3e et 4e doigts de la main gauche, au niveau des zones atteintes après le premier contact. Il a rincé ses mains. Cependant, au cours des heures suivantes sont apparus un œdème et un prurit de la main gau- che, des éternuements et une rhinorrhée claire, une hyperhémie conjonctivale et un œdème palpébral. Le lendemain, le patient a consulté aux urgences de l’hôpital voisin où l’on a constaté seulement des phlyctènes des dernières phalanges des 3e et 4e doigts de la main gauche. Un traitement symptoma- tique local a été mis en œuvre. Deux jours plus tard, l’hémogramme montrait une hyperéosinophilie (803/mm 3 ). J’ai examiné ce salarié 15 jours après le dernier con- tact et j’ai constaté que les lésions cutanées de la main gauche, des genoux, du thorax et des bras étaient en voie de guérison. Il n’y avait pas d’atteinte

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Toute question doit être transmise,par écrit, avec vos coordonnées précises,au Docteur Dominique Lafon,85 bis Chemin du Bas des Ormes, 78160 Marly-le-Roi.

306 Arch Mal Prof Env 2007© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

ActualitésQ U E S T I O N S – R É P O N S E S

Les Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement accueillentdans cette rubrique les questions des lecteurs et leurs réponses rédigées pardes experts choisis pour leurs compétences sur le sujet. Il s’agit de questionsà visées médicales et techniques dans tous les domaines de la santé au travail(à l’exclusion de toute tribune corporative, syndicale ou politique).Toute question peut être posée, mais une sélection sera parfois effectuée pouréviter des redondances ou des répétitions. N’hésitez pas non plus à utilisercette rubrique pour dialoguer avec vos confrères et vous faire part mutuelle-ment de vos expériences.

Question

Un salarié agricole de 49 ans utilise une solutionaqueuse à 1,5 % d’un mélange de deux isothiazoli-nones (la 5-chloro-2-méthyl-3-isothiazolinone et la2-méthyl-3-isothiazolinone) pour le traitement deslégionelles de l’eau des tours de refroidissement de lalaiterie où il travaille. La préparation est livrée en fûtde 200 litres qui ne sont pas déconditionnés, maisseulement branchés par une pompe sur le circuitd’eau des tours.Il faut périodiquement changer les fûts. Récemment,le salarié a effectué cette opération. Il restait quel-ques litres de la préparation dans le fût sortant, quiont été transvasés dans un seau. Pendant le transportde celui-ci, le salarié s’est accidentellement conta-miné la main gauche, qui tenait le seau, et le genouhomolatéral. Il ne s’est pas décontaminé et ne s’estpas changé immédiatement. Il ne rapporte aucunegêne, au cours des heures suivantes.Le lendemain, il s’est plaint de paresthésies à type depicotements des 3e et 4e doigts de la main gauche. Lesurlendemain, il a aussi ressenti un prurit du genougauche ; des vésicules sont apparues sur les 3e et4e doigts de la main gauche, ainsi que sur le genougauche (placard de 10 cm de diamètre) et sur la maindroite (zone non précisée). Le jour suivant, l’éruptionprurigineuse persistant, le salarié a consulté sonmédecin traitant qui a diagnostiqué un eczéma. Leslésions se sont aggravées les jours suivants et lemalade a consulté un dermatologue à l’hôpital desecteur, six jours après l’accident. Le dermatologue aobservé des phlyctènes de la face dorsale des troisiè-mes phalanges des 3e et 4e doigts de la main gaucheavec un érythème de tout le dos de la même main.Des lésions phlycténulaires étaient également appa-

rues au niveau des deux jambes, du cou et du visage.Le dermatologue a considéré que l’aspect des lésionsétait plutôt en faveur d’une dermite caustique et aproposé un traitement symptomatique local. Cepen-dant, les jours suivants, les lésions se sont étendues,touchant également le bras gauche et l’abdomen.Elles étaient prurigineuses ; le traitement a été com-plété par la prescription d’un antihistaminique H1par voie orale et d’un corticoïde local.Une biopsie cutanée a été réalisée à J10. Elle a mon-tré une parakératose de surface, une vacuolisationdes kératinocytes, un œdème et un infiltrat du dermepar des lymphocytes, des polynucléaires neutrophileset aussi d’assez nombreux polynucléaires éosinophi-les. L’anatomopathologiste a conclu à une dermite decontact mixte irritative et allergique.À J15, le salarié a eu un nouveau contact avec la pré-paration à base d’isothiazolinones : il a posé acciden-tellement la main gauche sur un fût contaminé. Il aressenti immédiatement une sensation de brûlure des3e et 4e doigts de la main gauche, au niveau deszones atteintes après le premier contact. Il a rincé sesmains. Cependant, au cours des heures suivantessont apparus un œdème et un prurit de la main gau-che, des éternuements et une rhinorrhée claire, unehyperhémie conjonctivale et un œdème palpébral. Lelendemain, le patient a consulté aux urgences del’hôpital voisin où l’on a constaté seulement desphlyctènes des dernières phalanges des 3e et 4edoigts de la main gauche. Un traitement symptoma-tique local a été mis en œuvre. Deux jours plus tard,l’hémogramme montrait une hyperéosinophilie(803/mm3).J’ai examiné ce salarié 15 jours après le dernier con-tact et j’ai constaté que les lésions cutanées de lamain gauche, des genoux, du thorax et des brasétaient en voie de guérison. Il n’y avait pas d’atteinte

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Questions – Réponses

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cutanée ailleurs. Les conjonctives étaient normales.Il n’y avait plus de rhinite. La boucle débit-volumene montrait pas d’anomalie.Ces atteintes cutanées, oculaires et respiratoires ontjustifié une déclaration d’accident de travail et unarrêt de 7 jours.Ces types d’effets se voient-ils classiquement avec lesisothiazolinones ?

Dr Ph. S. (Charente-Maritime)

Réponse

Les deux isothiazolinones présentes dans cette prépa-ration sont des agents corrosifs et sensibilisants.Comme l’indique la fiche de données de sécurité, auxconcentrations présentes dans la préparation, elles jus-tifient aussi le classement de cette dernière commeliquide corrosif et sensibilisant (R43).Les lésions cutanées observées après la contaminationdes mains et des genoux font évoquer une dermite decontact irritative et allergique, comme le propose l’his-tologiste qui a examiné la biopsie cutanée. Les brûlurescutanées induites par les isothiazolinones se constituentlentement, toutefois, dans le cas présent, l’apparitiontrès retardée des lésions, leur aggravation progressive,leur caractère prurigineux, leur extension à distance età des zones qui n’ont pas été en contact avec la prépa-ration, l’infiltrat éosinophilique du derme et l’éosino-philie sanguine sont fortement en faveur d’unphénomène immuno-allergique, ou au moins de lanette prédominance de ce mécanisme. L’aspect phlycté-nulaire, évocateur d’une brûlure chimique, n’élimine

pas l’origine allergique et ce type de lésion a d’ailleursété déjà rapporté dans le cas de dermites allergiques decontact aux isothiazolinones (1, 2). Une sensibilisationet l’apparition retardée d’une dermatose allergique ontégalement déjà été observées après un contact uniqueavec des isothiazolinones (1). Toutefois, dans le cas pré-sent, il n’est pas établi que le contact décrit à l’originedes lésions initiales était le premier. Ce d’autant plusque les mêmes isothiazolinones que celles qui entrentdans la composition de la préparation employée peu-vent être présentes (à très faibles concentrations) dansde nombreuses préparations d’usage courant (indus-triels, mais aussi d’usage domestique ou cosmétique),où elles sont utilisées comme conservateurs.C’est d’ailleurs un vrai problème pour ce salarié. On estcertain à présent qu’il est sensibilisé, qu’il a une forteprobabilité de récidive lors de nouveaux contacts avecles isothiazolinones responsables, s’il n’y prend pasgarde, car elles sont présentes dans de très nombreuxproduits domestiques ou cosmétiques.

R. GarnierConsultation de pathologie professionnelle, Hôpital Fernand Widal, 200, rue du Faubourg Saint-Denis, 75475 Paris Cedex.

Références1. Kujala V., Niimäki A. Occupational induction of hypersensiti-vity after an accidental exposure to chloromethylisothiazolinoneand methylisothiazolinone (CMI/MI) in an industrial worker.Occup Med 1999 ; 49 : 52-53.

2. Raison-Peyron N., Guirauden M., Guillot B. Eczéma de con-tact au mélange méthylchloroisothiazolinone, méthylisothiazo-linone après un contact professionnel accidentel. À propos de2 cas. Arch Mal Prof Env 2006 ; 67 : 49-52.