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N ° 0000 ______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mai 2015. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1) chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens, M. NOËL MAMÈRE Président M. PASCAL POPELIN Rapporteur —— (1) La composition de cette commission d’enquête figure au verso de la présente page.

Rapport de la commission sur le maintien de l'ordre républicain

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Rapport de la commission sur le maintien de l'ordre républicain

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  • N 0000 ______

    ASSEMBLE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

    QUATORZIME LGISLATURE

    Enregistr la Prsidence de lAssemble nationale le 21 mai 2015.

    RAPPORT FAIT

    AU NOM DE LA COMMISSION DENQUTE (1) charge dtablir un tat des lieux et de faire des propositions en matire de missions et de modalits du maintien de lordre rpublicain, dans un contexte de respect des liberts publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens,

    M. NOL MAMRE Prsident

    M. PASCAL POPELIN Rapporteur

    (1) La composition de cette commission denqute figure au verso de la prsente page.

  • La commission denqute sur les missions et modalits du maintien de lordre rpublicain dans un contexte de respect des liberts publiques et du droit de manifestation est compose de : M. Nol Mamre, prsident ; M. Pascal Popelin, rapporteur ; MM. Philippe Doucet, Philippe Folliot, Guillaume Larriv, Mme Clotilde Valter, vice-prsidents ; Mme Marie-George Buffet, MM. Hugues Fourage, Philippe Goujon, Jrme Lambert, secrtaires ; MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Barbier, M. Daniel Boisserie, Gwenegan Bui, Mme Marie-Anne Chapdelaine, MM. Guy Delcourt, Pascal Demarthe, Christophe Guilloteau, Meyer Habib, Mme Anne-Yvonne Le Dain, MM. Olivier Marleix, Michel Mnard, Philippe Meunier, Yannick Moreau, Mme Nathalie Nieson, MM. Christophe Priou, Boinali Said, ric Straumann, Daniel Vaillant et Michel Voisin.

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    SOMMAIRE

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    Pages

    AVANT-PROPOS DE M. NOL MAMRE, PRSIDENT DE LA COMMISSION DENQUTE ................................................................................... 7 INTRODUCTION ......................................................................................................... 9 I. LE CADRE GNRAL DU MAINTIEN DE LORDRE EN FRANCE .................. 13

    A. UN RGIME JURIDIQUE TRS PROTECTEUR DE LA LIBERT DE MANIFESTER ........................................................................................................ 13 1. Un rgime dclaratif libral pour garantir une composante de la libert

    dexpression ......................................................................................................... 13 a. La valeur fondamentale de la libert de manifestation ........................................ 13 b. Le rgime de dclaration pralable des manifestations ....................................... 14 c. Les faibles portes de lobligation dclarative et de linterdiction de manifester

    soulignent ltendue de la libert de manifestation ............................................ 15 2. Un cadre de police administrative prventive ....................................................... 18

    a. La mission de scurit publique de maintien ou de rtablissement de lordre public est une mission administrative prventive ............................................... 18

    b. Le trouble dlictueux lordre public : le rgime de lattroupement ................... 19 B. LA MISE EN UVRE DU RGIME DU MAINTIEN OU DU

    RTABLISSEMENT DE LORDRE .................................................................... 20 1. Le recours par principe des forces ddies, formes spcifiquement au

    maintien de lordre ............................................................................................... 20 a. Les forces mobiles et leurs missions de maintien de lordre ................................ 21 b. Les effectifs et lorganisation tactique des units ................................................ 24 c. Le cadre de formation des units ........................................................................ 26

    2. La doctrine franaise du maintien de lordre et les moyens qui la servent ........... 29 a. La mise distance et le recours absolument ncessaire, proportionn et gradu

    la force ............................................................................................................. 29 b. Des quipements et armements individuels et collectifs offrant un quilibre

    mobilit/protection/puissance ............................................................................ 36 c. Les exemples trangers : dautres types dorganisations, de doctrines et

    dquipements .................................................................................................. 38 C. LEFFICACIT DU MAINTIEN DE LORDRE LA FRANAISE ................. 45

    1. Une doctrine efficace pour prvenir ou faire cesser les troubles lordre public 45 a. Lefficacit de la protection de lordre public ..................................................... 45

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    b. Lusage de la force comme ultima ratio dune opration de maintien de lordre . 46 c. Des donnes parcellaires sur le nombre de blesss .............................................. 49

    2. Les suites judiciaires, administratives et dontologiques dune opration de maintien de lordre ............................................................................................... 50 a. Une judiciarisation complexe des oprations de maintien de lordre qui ne

    favorise pas la rponse pnale ........................................................................... 50 b. Les mises en cause possibles de laction des forces de lordre et de la puissance

    publique ............................................................................................................ 54 II. LES CONDITIONS DES TROUBLES LORDRE PUBLIC ONT VOLU ... 59

    A. LA RECOMPOSITION DES ACTEURS PRINCIPAUX DES MANIFESTATIONS A PRIV PROGRESSIVEMENT LTAT DE SES MOYENS DE RGULATION DES TROUBLES LORDRE PUBLIC ........ 59 1. Les conditions dorganisation des manifestations ne permettent plus autant la

    concertation en amont .......................................................................................... 60 a. La part dcroissante des grands acteurs traditionnels et de leurs services dordre

    dans lorganisation des manifestations .............................................................. 60 b. Lorganisation de manifestation sans organisateur .......................................... 61 c. La prsence rcurrente de contremanifestants ou/et de groupes structurs sans

    lien avec la manifestation se livrant des actes dlictuels ou cherchant explicitement troubler lordre public .............................................................. 63

    2. La recomposition des forces disposition du prfet ............................................. 65 a. Les consquences de la suppression des Renseignements gnraux .................... 65 b. La diminution des effectifs des forces mobiles impose un recours accru des

    units non spcialises dans le maintien de lordre ............................................ 68 B. DES NOUVEAUX TERRAINS DE CONTESTATIONS SOCIALES .............. 73

    1. Le dplacement des manifestations vers des territoires ruraux ou de plus en plus tendus ncessite une volution tactique ...................................................... 73 a. Les problmatiques de maintien de lordre en espaces ouverts et/ou multiples .... 74 b. Lintervention des forces de lordre sur des terrains amnags et occups par

    les manifestants. ............................................................................................... 75 2. Le phnomne des ZAD : des infractions causant davantage de prjudice

    autrui quelles ne troublent lordre public ............................................................ 80 a. Linstallation dune ZAD est en soi un acte dlictueux, mais ne constitue pas

    par elle-mme un trouble lordre public ......................................................... 80 b. Une confusion grandissante entre les oprations de scurit classique et les

    oprations de rtablissement de lordre face des attroupements hostiles .......... 82 C. LASSIGNATION DE NOUVEAUX OBJECTIFS AUX FORCES DE

    LORDRE, ASSOCIE LA MDIATISATION CROISSANTE DES ENJEUX DE SECURIT, BROUILLE LA NOTION MME DE RTABLISSEMENT DE LORDRE PUBLIC ..................................................... 84 1. La mdiatisation renforce les enjeux associs aux conflits sociaux et aux

    oprations de maintien de lordre ......................................................................... 84

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    a. Une tolrance moins grande une violence dploye par certains manifestants et davantage expose ........................................................................................ 84

    b. Des relations plus compliques entre la presse et certains manifestants dans la production de linformation, qui rendent ncessaires une protection plus importante de la part des forces de lordre ......................................................... 85

    2. La recherche dune rponse pnale adapte aux agissements individuels a complexifi les oprations de maintien de lordre ............................................... 88 a. Une plus grande proccupation de la sanction pnale des manifestants les plus

    violents ou dlinquants ..................................................................................... 88 b. La mise en place de dispositifs qui contribuent brouiller la notion mme de

    maintien de lordre ............................................................................................ 89 III. DVELOPPER DES RPONSES PLUS GRADUELLES POUR MIEUX

    CONJUGUER ORDRE ET LIBERT ...................................................................... 93 A. REDONNER DES MOYENS LAUTORIT CIVILE EN AMONT DES

    MANIFESTATIONS : UN CHANTIER DJ OUVERT ................................... 94 1. Reconstruire et densifier le renseignement de proximit : les mesures dj

    prises .................................................................................................................... 94 a. La cration du service central du renseignement territorial ................................. 94 b. Les volutions en cours du renseignement de proximit ..................................... 96

    2. Professionnaliser davantage le maintien de lordre .............................................. 98 a. Organiser une formation spcifique du corps prfectoral au maintien de lordre :

    la mission Lambert et ses conclusions ............................................................... 98 b. Envisager un renforcement des comptences en matire de maintien de lordre

    dans certaines prfectures particulirement exposes ......................................... 100 3. Raffirmer lautorit et la prsence indispensable de lautorit civile ................. 100

    a. La raffirmation de lautorit du prfet et du partage des rles entre lautorit civile et les forces mobiles ................................................................................ 101

    b. La prsence de lautorit civile doit tre permanente pendant les oprations de maintien de lordre et non pas seulement pour engager la force ......................... 102

    B. RECRER DES FORMES DE CONCERTATION ENTRE LES AUTORITS CIVILES ET POLICIRES, DUNE PART, ET LES MANIFESTANTS RESPECTUEUX DE LORDRE PUBLIC, DAUTRE PART ....................................................................................................................... 103 1. Formaliser et diffuser les squences types dune opration de maintien de

    lordre et faciliter sa couverture par la presse ...................................................... 105 a. Crer un guide daction usage des prfets et le communiquer aussi largement

    que possible ...................................................................................................... 105 b. Simplifier et rendre plus comprhensibles les sommations et la communication

    destination des manifestants ........................................................................... 106 c. Faciliter le suivi par la presse des oprations de maintien de lordre ................... 107

    2. Amnager les procdures judiciaires et administratives afin que des individus isols ne puissent prendre en otage la libert publique de manifester ................. 108

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    a. Les procdures actuelles ayant pour effet dinterdire un individu de participer une manifestation ........................................................................................... 109

    b. Les exemples trangers dinterdiction administrative de manifester .................... 110 c. Lintroduction de linterdiction administrative de manifester .............................. 110

    3. Organiser une mdiation systmatique et continue entre les forces charges du maintien de lordre et le public manifestant avant, pendant et aprs lvnement .......................................................................................................... 112 a. Fixer le principe dune concertation pralable obligatoire ................................... 113 b. Crer de nouvelles units policires de mdiation, intgres dans les

    manifestations ................................................................................................... 114 c. Organiser un accueil permanent et un retour dexpriences de la part des

    manifestants ...................................................................................................... 115 C. FACE AUX FOULES MANIFESTANTES : FAIRE CONFIANCE DES

    FORCES DE LORDRE SPCIALISES, PROFESSIONNELS DU MAINTIEN DE LORDRE ET RESPECTUEUX DES LIBERTS PUBLIQUES ........................................................................................................... 115 1. Moderniser la formation des forces charges du maintien de lordre ................... 116

    a. Ouvrir la formation et la doctrine du maintien de lordre aux recherches en sciences sociales ............................................................................................... 116

    b. Chercher prserver et rendre incompressible le temps de recyclage des units . 117 2. Favoriser lintervention exclusive dunits spcialises pour les oprations de

    maintien de lordre ............................................................................................... 118 a. Rduire lemploi des forces mobiles pour des missions ne concernant pas le

    maintien de lordre afin daccrotre leur disponibilit ........................................ 120 b. Crer une habilitation au maintien de lordre pour les units constitues de la

    police et de la gendarmerie nationales, hors forces mobiles ............................... 120 3. Recentrer lquipement des forces charges du maintien de lordre sur les

    besoins lis la gestion des foules ....................................................................... 122 a. Restreindre lusage du LBD lors des oprations de maintien de lordre aux

    seules forces mobiles et aux forces dment formes son emploi dans le contexte particulier du maintien de lordre ........................................................ 122

    b. Dvelopper de nouveaux moyens intermdiaires visant disperser les foules ..... 127 c. Renforcer et rnover les moyens mcaniques pour pallier les diminutions

    deffectifs et favoriser lmergence de nouveaux schmas tactiques .................. 127 4. Faciliter la judiciarisation des infractions commises lors ou en marge dune

    manifestation ........................................................................................................ 128 a. Privilgier la capacit des units spcialises interpeller des groupes

    dindividus violents .......................................................................................... 129 b. Crer de meilleures conditions dinterpellation en cas de commission de dlits

    flagrants lors des manifestations........................................................................ 130

    LISTE DES PROPOSITIONS ................................................................................. 137

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    AVANT-PROPOS DE M. NOL MAMRE, PRSIDENT DE LA COMMISSION DENQUTE

    Le 3 dcembre 2014, lors de lexamen en sance publique de la proposition de rsolution tendant la cration dune commission denqute relative aux missions et modalits du maintien de lordre rpublicain dans un contexte de respect des liberts publiques et du droit de manifestation , javais rappel les faits dramatiques lorigine dune telle demande de la part du groupe cologiste : la mort de Rmi Fraisse, g de 21 ans, opposant au projet absurde du barrage de Sivens, la suite de lutilisation dune grenade offensive lance par un gendarme au cours dune opration, dans des circonstances pour le moins confuses.

    Javais galement prcis quil ntait videmment pas question que le Parlement se substitue lautorit judiciaire en enqutant sur des faits soumis linstruction du juge. En revanche, jtais persuad quune telle tragdie nous obligeait en tant que parlementaires et quil tait de notre devoir de procder un travail danalyse et de rflexion sur lensemble des questions relatives au maintien de lordre.

    Ds lorigine, jai estim que cette commission denqute ne devait ni servir nourrir de vaines polmiques, ni se transformer en caisse de rsonance de propos caricaturaux : Non, les manifestants et militants ne sont pas, par essence, de dangereux individus qui souhaitent mettre bas lordre rpublicain et les institutions. Non, les forces de lordre ne sont pas, par nature, un instrument de rpression aveugle aux mains dun pouvoir oppresseur. Mais tous les manifestants et militants ne sont pas pacifiques. Et les forces de lordre ne conduisent pas toujours leur mission de manire acceptable et conforme au cadre rglementaire et dontologique qui les oblige.

    Le nombre et la diversit des auditions menes par la commission dans un calendrier contraint, ainsi que la qualit des changes qui ont prsid ses travaux, tmoignent dun souci constant dcoute et dquilibre de la part de ses membres. Pour qui souhaiterait se livrer un exercice de comparaison purement arithmtique, la commission denqute a organis 13 auditions au cours desquelles des reprsentants des forces de lordre, en activit ou non, et du ministre de lIntrieur dont le ministre lui-mme ont t invits sexprimer. Et 13 auditions au cours desquelles des blesss, des manifestants et militants, des chercheurs, des associations et des reprsentants de la socit civile, dinstitutions, dautorits indpendantes ont pu livrer leur point de vue.

    loccasion de ces 26 auditions (soit 50 heures de dbats), des deux dplacements quelle a effectus et grce aux nombreuses contributions crites

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    quelle a reues, la commission denqute a pu approfondir des problmatiques trs varies : sur le cadre juridique applicable la libert de manifestation, sur la nature des forces susceptibles de participer des oprations de maintien de lordre, sur leurs effectifs, leur formation, leur quipement, leur doctrine demploi, leurs schmas tactiques, sur les nouveaux terrains et modalits de contestation sociale, sur les diffrents modles europens de maintien de lordre, etc Sur tous ces sujets, la commission denqute a apport des clairages utiles.

    Je ne partage pas, tant sen faut, lensemble des prconisations formules par le Rapporteur. Aussi, ai-je dcid dapporter une contribution personnelle au rapport, en annexe, afin de prsenter et de prciser ma position, ainsi que les enseignements que je retire de ces travaux. Ils auront eu au moins le mrite de clarifier plusieurs points dans un domaine qui se prte trop souvent la polmique, aux raccourcis regrettables et aux commentaires partiels.

    une exception prs, au demeurant comprhensible, les auditions ont t ouvertes la presse, retransmises en direct sur le site Internet de lAssemble nationale o elles restent disponibles en vido la demande ; leur compte-rendu crit est annex au rapport.

    Chacun pourra donc sy rfrer et se forger une opinion en conscience.

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    INTRODUCTION

    Art. X. Nul ne doit tre inquit pour ses opinions, mme religieuses, pourvu que

    leur manifestation ne trouble pas lordre public tabli par la Loi.

    Art. XI. La libre communication des penses et des opinions est un des droits les plus prcieux de lHomme : tout Citoyen peut donc parler, crire, imprimer librement, sauf

    rpondre de labus de cette libert dans les cas dtermins par la Loi.

    Art. XII. La garantie des droits de lHomme et du Citoyen ncessite une force publique : cette force est donc institue pour lavantage de tous, et non pour lutilit

    particulire de ceux auxquels elle est confie.

    Dclaration des droits de lHomme et du Citoyen du 26 aot 1789 La commission denqute sur les missions et modalits du maintien de

    lordre rpublicain dans un contexte de respect des liberts publiques et du droit de manifestation a t cre par lAssemble nationale la suite du dcs tragique survenu lors daffrontements entre les forces mobiles et certains occupants du site du chantier du barrage de Sivens. Les procdures judiciaires en cours ont interdit la commission dinvestiguer spcifiquement sur ces vnements, et ses travaux ont respect strictement ce principe de sparation des pouvoirs. Lexigence, partage par tous, de limiter le risque quun tel vnement puisse se reproduire est demeure prsente lesprit du Rapporteur et des commissaires, tout au long des travaux de la commission denqute.

    Ces derniers ont respect un cadre quil convient de rappeler titre liminaire. Comme le prcise lintitul de la commission denqute, le champ dinvestigation et danalyse de celle-ci concerne uniquement le maintien de lordre et les forces qui en ont la charge. Au-del de cette mission essentielle , les forces de police franaises honorent une multiplicit dautres missions : scurit publique gnrale, lutte contre la dlinquance, le terrorisme, les trafics, scurit routire, etc. Il nen sera pas question dans le cadre du prsent rapport. Si, au cours des auditions, certaines personnes entendues ont pu faire rfrence, titre accessoire ou mme principal, de telles missions et aux units de police ou de gendarmerie qui y participent, la commission ne saurait faire tat de ces lments dans le cadre du prsent rapport dont lobjet a t strictement limit au champ dfini lors de sa cration. On ne stonnera donc pas de labsence de faits ou dinformations rapports qui, pour intressants quils puissent tre, sont trangers au cadre dtermin par lAssemble nationale lors de ladoption de la rsolution portant cration de ladite commission le 3 dcembre 2014.

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    Celle-ci a tenu 26 runions et auditionn soixante personnes. Certains de ses membres se sont galement rendus en Allemagne et au Centre national dentrainement des forces de la gendarmerie Saint-Astier, afin de rencontrer professionnels, experts et chercheurs. Au terme de ce travail, le Rapporteur veut souligner lquilibre franais entre libert de manifester et ordre rpublicain. Dj prsent au sein mme de la Dclaration des droits de lHomme et du Citoyen, cet quilibre est toujours pertinent de nos jours.

    Aucune personne auditionne par la commission na remis en cause cet quilibre, ni ses principales caractristiques juridiques et matrielles, qui nont pas davantage fait dbat parmi les commissaires :

    la force constitutionnelle de la libert de manifester, garantie par le libralisme du rgime de la simple dclaration pralable ;

    lexigence, valeur galement constitutionnelle, de prserver lordre public, en tant notamment quil permet lexpression des liberts individuelles ;

    lexistence de forces spcialises dans une mission elle-mme spcifique : le maintien ou le rtablissement de lordre public.

    Cest donc davantage la modernit de lquilibre entre libert et ordre public que la commission denqute a interroge, que son principe lui-mme. En effet, les travaux de la commission ont rapidement fait apparatre le double constat suivant. Dune part, la doctrine franaise et les moyens qui la servent ont des points forts et des mrites, y compris pour garantir la libert dexpression et la scurit des personnes et des biens. Dautre part, les conditions gnrales des manifestations et du maintien de lordre ont beaucoup volu depuis que le cadre gnral en a t pos, au lendemain de Mai-68, quil sagisse des conditions dorganisation, de la mdiatisation croissante, des lieux de manifestations, etc.

    Le maintien de lordre et les oprations qui visent le rtablir sinscrivent ncessairement, dans le cadre dune socit dmocratique et dun tat de droit, dans une philosophie de tolrance un certain degr de dsordre. La dmocratie et certaines de ses modalits dexpression impliquent une telle tolrance, qui ne remet pas en cause, en tant que telle, lordre public.

    Ce nest que lorsque celui-ci est menac, lorsquune manifestation dgnre en attroupement violent, par exemple, que les forces de police ont vocation faire usage de la contrainte. Tout tat est capable de faire rgner lordre, mais seuls les tats de droit dmocratiques peuvent assurer un maintien de lordre respectueux de lexpression des liberts publiques. Ce maintien de lordre rpublicain est celui qui se conforme, lui-mme, aux valeurs dmocratiques, aux principes et aux procdures quil protge. cet gard, le rle premier des units charges du maintien de lordre consiste dabord et avant tout crer les conditions dun exercice optimal des liberts publiques et, notamment, du droit de manifestation. Sil savre ncessaire, le rtablissement de lordre ne seffectue

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    que dans un second temps et de manire particulirement encadre, notamment en ce qui concerne lusage de la force.

    Le maintien de lordre nest donc pas une science exacte qui permettrait dappliquer au rel des schmas tactiques produisant automatiquement les effets dsirs. Il sagit, au sens littral de lexpression, dune science humaine. Une science car le maintien de lordre ne simprovise pas. Il est tudi, fait lobjet danalyses rationnelles, de recherches approfondies, de rflexions doctrinales, de retours dexprience. Une science humaine car il repose, en dernire analyse, sur des hommes et des femmes pouvant tre amens faire face et grer dautres hommes et femmes dans des circonstances parfois extrmement tendues et particulirement mouvantes.

    Le Rapporteur considre que cest prcisment l que rside lintrt et lenjeu des travaux de cette commission denqute : contribuer moderniser le cadre du maintien de lordre pour permettre que la libert de manifester et lordre public se conjuguent sans heurt dans la dure, en prservant la vie et la scurit de chacun. Cest ainsi quil a conu le prsent rapport, comme un outil de diagnostic et de rflexion destination du pouvoir excutif. Il suggre trs globalement de sappuyer sur les points forts et les atouts de lexprience franaise, tout en modernisant les moyens et la doctrine afin quils soient mieux adapts aux ralits et aux exigences actuelles de nos concitoyens. Dans ce but, le fil rouge des prconisations que le Rapporteur formule est rsum par lide de mieux prserver, demain, la libert de manifester par davantage de gradation dans la gestion des protestations publiques.

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    I. LE CADRE GNRAL DU MAINTIEN DE LORDRE EN FRANCE

    A. UN RGIME JURIDIQUE TRS PROTECTEUR DE LA LIBERT DE MANIFESTER

    1. Un rgime dclaratif libral pour garantir une composante de la libert dexpression

    Forme spcifique de la libert dexpression, la libert de manifester est une libert constitutionnellement garantie. Elle est galement consacre par la Cour europenne des droits de lhomme. Cependant, cest dans la mise en uvre de son rgime juridique particulirement libral que se rvle la porte de la libert de manifestation.

    a. La valeur fondamentale de la libert de manifestation Dans la jurisprudence constitutionnelle, comme dans celle de la Cour

    europenne des droits de lhomme (CEDH), la libert de manifester constitue un droit fortement garanti, mais qui peut subir des limitations en raison de strictes ncessits dordre public.

    Le Conseil constitutionnel, dans sa dcision du 18 janvier 1995 sur la loi dorientation et de programmation relative la scurit, n 94-352 DC, a estim que la libert de manifester constituait une forme de combinaison de la libert daller et venir et du droit dexpression collective des ides et des opinions auxquels il reconnat une valeur constitutionnelle. Dans la mme dcision, le Conseil a galement pos les conditions de limitation de cette libert de manifester, en indiquant que le lgislateur devait veiller en concilier lexercice avec la prvention des atteintes lordre public et notamment des atteintes la scurit des personnes et des biens qui rpond des objectifs de valeur constitutionnelle .

    La libert de manifestation apparat galement comme une composante de la libert de runion pacifique garantie par larticle 11 de la Convention europenne des droits de lhomme. Cette libert, que la Cour europenne des droits de lhomme analyse de faon constante en lien avec la libert dexpression des opinions prvue larticle 10 de la Convention, peut cependant subir des limitations, si celles-ci sont prvues par la lgislation nationale et poursuivent lobjectif gnral de sauvegarde de lordre public. La CEDH a prcis cet quilibre dans sa jurisprudence en posant comme principe que les ingrences dans lexercice de la libert de manifester doivent tre justifies par un besoin social imprieux et proportionnes au but lgitime vis . La Cour a clairement illustr cette approche quilibre dans sa dcision Barraco c/ France du 5 mars 2009 :

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    41. La Cour observe demble que le droit la libert de runion est un droit fondamental dans une socit dmocratique et, linstar du droit la libert dexpression, lun des fondements de pareille socit. Ds lors, il ne doit pas faire lobjet dune interprtation restrictive []

    42. La libert de runion pacifique, dont lun des buts est la protection des opinions personnelles, fait lobjet dun certain nombre dexceptions quil convient toutefois dinterprter de manire troite ; de plus, la ncessit des restrictions doit tre tablie de faon convaincante. []

    48. Dans ces conditions, mettant en balance lintrt gnral la dfense de lordre et lintrt du requrant et des autres manifestants choisir cette forme particulire de manifestation, et compte tenu du pouvoir dapprciation reconnu aux tats en cette matire, la condamnation pnale du requrant napparat pas disproportionne aux buts poursuivis.

    Ainsi, en France, manifester cest--dire exprimer une volont collective en utilisant la voie publique est donc une libert fortement protge, qui ne trouve sa limite que dans les ncessits de lordre public. Cet quilibre a t parfaitement dcrit lors de son audition par M. Christian Vigouroux, prsident de la section de lintrieur du Conseil dtat : En rsum, le rgime est celui de la libert avec un encadrement lgislatif minimal la dclaration et la possibilit daller plus loin, par linterdiction, mais alors sur preuves, en fonction des circonstances troitement values, et dans les limites strictement ncessaires au rtablissement de lordre public. (1).

    b. Le rgime de dclaration pralable des manifestations En pratique, la possibilit de manifester nest subordonne qu un rgime

    dclaratif. Cest le dcret-loi du 23 octobre 1935, codifi larticle L. 211-1 du code de la scurit intrieure, qui a institu une obligation de dclaration pralable pour tous cortges, dfils et rassemblements de personnes et dune faon gnrale, toutes manifestations sur la voie publique . Comme la soulign le directeur des liberts publiques et des affaires juridiques du ministre de lintrieur (2), ce rgime juridique sapplique aussi bien aux veilleurs, quaux zadistes ou aux anti-corrida, et aux flash mob quaux free parties.

    La dclaration pralable doit tre dpose entre quinze jours et trois jours avant la date de la manifestation prvue (art. L. 211-2 du code de la scurit intrieure). Ce dpt seffectue auprs de la mairie, qui dlivre un rcpiss. Il seffectue auprs de la prfecture dans les villes o est institue la police dtat. Enfin, comme le prvoit larticle L. 211-2 du code de la scurit intrieure : La dclaration fait connatre les noms, prnoms et domiciles des organisateurs et est signe par trois dentre eux faisant lection de domicile dans le dpartement ; elle

    (1) Audition de M. Christian Vigouroux, le 16 avril 2015. (2) Audition de M. Thomas Andrieu, le 22 janvier 2015.

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    indique le but de la manifestation, le lieu, la date et lheure du rassemblement des groupements invits y prendre part et, sil y a lieu, litinraire projet.

    Dans la pratique, ce rgime de dclaration pralable, en plus de faire natre une responsabilit particulire de lorganisateur de la manifestation, a traditionnellement constitu un outil de dialogue et de concertation entre les citoyens souhaitant manifester et le reprsentant de ltat dans le dpartement, qui a la charge de veiller lordre public. En effet, le pouvoir de lautorit civile dinterdire la manifestation projete (cf. infra), y compris de faon partielle (1), lui confre concrtement le pouvoir dencadrer ponctuellement le projet qui lui est soumis grce une concertation pralable afin dviter linterdiction elle-mme. Ainsi que la rappel M. Christian Vigouroux (2), lordre public est autoritaire puisque cest une dcision unilatrale qui encadrera une manifestation ou ventuellement linterdira, et les autorits administratives assument ce pouvoir de police, mais il est en mme temps ngoci : il fait lobjet de discussions avec les citoyens auxquels les mesures restrictives sappliqueront.

    Le juge administratif a ainsi admis que lautorit administrative puisse, en prsence de risque de troubles lordre public induits par une manifestation, conditionner labsence de prononc dune interdiction un amnagement dun itinraire, lorsque celui-ci expose des risques particuliers (Tribunal administratif de Paris, ord. 24 janvier 2014, Association La manif pour tous , ou encore 4 septembre 2013, Banasiak) ou bien mme interdire laccs de la manifestation un certain primtre (Conseil dtat, 21 janvier 1996, Legastelois). Toutefois, un tel encadrement, mme dans la ngociation, ne saurait tre gnralis pour toutes les manifestations. Sauf transformer le rgime de dclaration pralable en rgime dautorisation, il doit tre rserv et justifi, sous le contrle du juge, aux seuls cas o des troubles sont hautement prvisibles et ce, afin dviter linterdiction pure et simple de la manifestation.

    Ce rgime dclaratif des manifestations sapplique dans plusieurs pays voisins de la France, comme en Espagne. Dautres tats, comme la Sude, ont choisi dadopter un rgime dautorisation pralable des manifestations par la police ou lautorit civile. Le Rapporteur observe que, dans une telle comparaison, le rgime juridique franais peut dj apparatre comme le plus libral. Son caractre particulirement protecteur de la libert de manifester se rvle encore davantage la lumire des trs faibles moyens de coercition la disposition de lautorit civile pour le faire respecter.

    c. Les faibles portes de lobligation dclarative et de linterdiction de manifester soulignent ltendue de la libert de manifestation

    Le rgime juridique des manifestations prvu par le code de la scurit intrieure dispose que toutes les manifestations doivent tre dclares, et que si (1) Conseil dtat, 21 janvier 1996, Legastelois (2) Audition de M. Christian Vigouroux prcite, le 16 avril 2015.

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    lautorit investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projete est de nature troubler lordre public, elle linterdit par un arrt quelle notifie immdiatement aux signataires de la dclaration au domicile lu (art. L. 211-4). De surcrot, larticle L. 211-12 de ce mme code et larticle 431-9 du code pnal instaurent une responsabilit pnale des organisateurs de manifestations non ou mal dclares.

    Le Rapporteur observe que ces dispositions seffacent en ralit devant la force qui sattache la libert publique de manifester dans le droit constitutionnel et europen. Ce droit ne prvoit dautre limitation la libert de manifester que celle strictement ncessaire la prservation de lordre public. Il en rsulte notamment que labsence de dclaration ne vaut pas interdiction de la manifestation, que linterdiction elle-mme doit tre particulirement justifie, et enfin que celle-ci na pas pour consquence directe que ltat peut mettre un terme la manifestation interdite.

    Premirement, le dfaut de dclaration de la manifestation, ou la dclaration incomplte quoique constitutif dune infraction pour lorganisateur implicite de lvnement nemporte pas automatiquement linterdiction de celui-ci au sens du code de la scurit intrieure. Comme la jug le Conseil dtat (12 novembre 1997, Min. intrieur c/ Association Communaut tibtaine en France et ses amis ), seul un motif explicite de prservation de lordre public peut justifier une mesure dinterdiction dune manifestation, mme non dclare. Ce principe est galement affirm par la CEDH, notamment dans sa dcision Barraco c/ France : la Cour note que la manifestation na pas fait lobjet dune dclaration pralable formelle comme cela est exig par le droit interne pertinent en la matire. Elle rappelle toutefois quune telle situation ne justifie pas en soi une atteinte la libert de runion dautant quen lespce, lvnement avait largement t port la connaissance des autorits publiques qui disposaient de leur pouvoir de police administrative soit pour linterdire, soit pour en assurer le bon droulement. En loccurrence, lesdites autorits ont pu organiser pralablement la manifestation les mesures ncessaires au maintien de la scurit et de lordre publics, notamment en plaant des forces de police en protection et en escorte. La Cour en dduit, comme le requrant, que la manifestation tait sinon tacitement tolre, du moins non interdite .

    Deuximement, linterdiction dune manifestation, rgulirement dclare ou non, doit tre justifie par lexistence dune menace lordre public. Lautorit civile doit notamment tablir avec suffisamment de prcision les risques de troubles lordre public (qualit de lorganisateur, comportements lors de manifestations prcdentes, risques de contre-manifestation au mme moment, sur le mme parcours ou parcours voisin, risque dlments perturbateurs, modalits pratiques, nombre de participants attendus) mais aussi limpossibilit de prvenir ces risques par un moyen moins coercitif que linterdiction de manifestation (configuration des lieux, moyens insuffisants notamment si dautres vnements concomitants). Le juge administratif exerce sur ces aspects un contrle svre lencontre des mesures dinterdiction, pouvant aller jusqu

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    lapprciation de leffectif des forces de lordre disponible afin de rguler les troubles possibles lordre public (Cour administrative dappel de Paris, 7 mars 2000 n 97PA00133) et parer tout danger dans le quartier considr . Cette stricte condition de lgalit des arrts dinterdiction de manifestation a t largement intgre par les prfets, comme en tmoignent le trs faible nombre de mesures dinterdiction, et la proportion marginale de ces mesures ayant t annules par le juge administratif (1). Le ministre de lIntrieur ne dispose pas de chiffres au niveau national concernant les mesures dinterdiction prononces mais uniquement pour Paris. En 2013, 3 410 manifestations ont t dclares Paris et 27 interdites par le prfet de police tandis quen 2014, 2 046 ont t dclares et 5 interdites, soit respectivement 0,79 % et 0,25 % des cas.

    Troisimement, lors mme quune manifestation, dclare ou non, a t valablement interdite par lautorit civile, il nest pas possible ltat dordonner sa dispersion, a fortiori par lemploi de la force, en labsence de trouble ou de risque certain de trouble lordre public. Conformment aux articles L. 211-9 du code de la scurit intrieure et 431-3 du code pnal, seuls les attroupements peuvent tre disperss par ltat et non les manifestations pacifiques. Ici encore, seul le critre de trouble lordre public est dterminant pour contraindre lexercice de la libert de manifester. Ce principe de la lgislation franaise a galement t rappel plusieurs reprises par la CEDH : La Cour reconnat que toute manifestation dans un lieu public est susceptible de causer un certain dsordre pour le droulement de la vie quotidienne, y compris une perturbation de la circulation, et quen labsence dactes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve dune certaine tolrance pour les rassemblements pacifiques, afin que la libert de runion ne soit pas dpourvue de tout contenu (Barraco c/ France, prcit).

    En dfinitive, cest donc moins le rgime dclaratif qui consacre la libert de manifestation en France que les faibles limitations pouvant lui tre apportes, en labsence de trouble avr lordre public. Cela entrane notamment deux consquences :

    - les dcisions dinterdiction de manifestation ne sont pas systmatiquement respectes. Ainsi, le prfet de police de Paris a interdit le 18 juillet 2014 une manifestation de soutien aux Palestiniens prvue le 19 juillet Paris. Cependant, le 19 juillet des personnes se sont effectivement regroupes lendroit prvu. Faute de dclaration pralable identifiant les organisateurs et de moyens lgaux permettant de disperser la manifestation illicite, le seul rgime de responsabilit pnale prvu par le code de scurit intrieure parat bien mince pour garantir le respect des arrts dinterdiction ;

    - compte tenu des fortes contraintes juridiques et du risque de son peu deffet concret, les prfets ne sont donc gure enclins prononcer des arrts dinterdiction. Ceux-ci rompent le lien dj trop fragile entre un organisateur de (1) ATTENTE ANNEXE DLPAJ VIERGE

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    manifestation et le reprsentant de ltat. Lors de son audition, le prfet honoraire Dominique Bur a clairement expliqu cette attitude du corps prfectoral : Il est toujours moins dangereux pour le prfet dautoriser une manifestation que de prendre le risque quelle se droule malgr linterdiction, et de se retrouver dmuni. Mieux vaut assumer lautorisation, moins, bien entendu, que la manifestation ne viole les grands principes rpublicains. (1)

    2. Un cadre de police administrative prventive

    Compte tenu du rgime juridique protecteur de la libert de manifester, laction de ltat et notamment des forces de lordre loccasion dune manifestation consiste prvenir lapparition de troubles lordre public ou, dans les cas difficiles, rtablir celui-ci. Il sagit donc dune mission de police administrative prventive sexerant dans des conditions diffrentes des missions de police judiciaire. Cette nature de la mission ne change pas lorsque lordre public est effectivement troubl et que la notion de manifestation disparat au profit de celle dattroupement (auquel il est pnalement rprhensible de participer).

    a. La mission de scurit publique de maintien ou de rtablissement de lordre public est une mission administrative prventive

    Les huitime alina de larticle 16 et quatrime alina de larticle 20 du code de procdure pnale consacrent une distinction explicite au sein des missions de scurit. Ils organisent la suspension de la qualit dofficier ou dagent de police judiciaire des personnels participant en unit constitue une opration de maintien de lordre.

    Cest dire la priorit que ltat assigne son action, lors dune opration de maintien de lordre, en dpit mme du fait que le code de scurit intrieure prvoit des sanctions pnales pour ceux qui ne respecteraient pas lquilibre juridique entre libert de manifester et ordre public.

    Comme la indiqu le prfet honoraire Patrice Bergougnoux : Lobjet du maintien de lordre rpublicain est de permettre lexpression des liberts publiques, dont celle de manifester, dans les meilleures conditions de scurit pour les personnes et les biens. La force publique a pour mission de faciliter et de permettre lexercice de ce droit. (2)

    Il en rsulte galement un partage spcifiquement franais des responsabilits en matire de scurit. Tandis que les missions de police judiciaire seffectuent sous le contrle de magistrats avec un certain degr dautonomie de la part des policiers et gendarmes dont elles constituent le mtier, les missions de maintien de lordre ne sont ralises, quant elles, que sous la stricte et exclusive

    (1) Audition de M. Dominique Bur, le 15 janvier 2015. (2) Audition de M. Patrice Bergougnoux, le 15 janvier 2015.

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    responsabilit de lautorit civile, quil sagisse de proportionner lencadrement des manifestations ou de recourir la force ou lusage des armes. Ce phnomne a t trs clairement expliqu par le sociologue Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS :

    Le maintien de lordre, dune certaine manire, nest pas un mtier policier, mais une comptence politique. La police la police urbaine ordinaire que nous connaissons dans la vie de tous les jours est fonde sur des principes mlant discernement de lagent, connaissance du terrain, dialogue, confiance, apprciation de la situation pralable la dcision et ancrage territorial. Le maintien de lordre, linverse, repose non sur des individus mais sur des units constitues organises selon un mode militaire, o prvaut le principe de la discipline travers une chane de commandement. La force, dans les oprations de maintien de lordre, nest engage que sur lordre de lautorit lgitime, alors que sa mise en uvre relve de lapprciation individuelle du gardien de la paix en police ordinaire. Beaucoup de chercheurs, notamment anglo-saxons, estiment mme que le maintien de lordre est un mtier de type militaire et non policier. ()

    Dans les pays de common law, en Grande-Bretagne, aux tats-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zlande, le maintien de lordre est envisag tout autrement quen France. Le principe de police autonomy prime : le policier est considr en tant que professionnel comme seul responsable de la conduite des oprations, dans un cadre gnral fix par le politique qui nest pas cens intervenir ensuite sil savre quil le fait, sa responsabilit peut mme tre mise en cause. En France, il existe une tradition de mfiance lgard des forces de police : le politique doit tre au plus prs du policier. Cela implique que, dune certaine manire, le policier est dpossd de la responsabilit du maintien de lordre. (1)

    b. Le trouble dlictueux lordre public : le rgime de lattroupement Larticle 431-3 du code pnal dfinit lattroupement comme le

    regroupement des personnes sur la voie publique susceptible de troubler lordre public. Cette dfinition floue est domine en pratique par le risque de trouble lordre public ou le trouble avr. La participation un attroupement constitue, en elle-mme, une infraction prvue par les articles L. 211-16 du code de la scurit intrieure et 431-4 du code pnal, dont la dissimulation du visage est une circonstance aggravante. La participation un attroupement (ou une manifestation) en tant porteur dune arme est galement passible de sanction pnale.

    Pour autant, le Rapporteur relve que si le code pnal dfinit lattroupement, ce nest pas dabord pour qualifier pnalement le fait dy participer, mais pour autoriser administrativement sa dispersion par lemploi de la (1) Audition de M. Fabien Jobard, le 19 mars 2015,

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    force. En effet, larticle 431-3 du code pnal dispose que Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler lordre public.

    Un attroupement peut tre dissip par la force publique aprs deux sommations de se disperser restes sans effet adresses dans les conditions et selon les modalits prvues par larticle L. 211-9 du code de la scurit intrieure.

    Cela illustre la nature particulire de laction de maintien de lordre dans la tradition franaise, compte tenu de la valeur qui sattache la libert de manifester. Celle-ci ne peut tre restreinte que pour maintenir ou rtablir lordre public : telle est la mission essentielle de lautorit civile, qui bnficie pour la mener bien du concours de la force publique.

    Cette circonstance nest pas neutre ds lors que le Rapporteur note (cf. infra) les difficults judiciariser les agissements dlictueux commis loccasion de manifestations et/ou dattroupements. Elle claire galement les conditions pratiques et concrtes dans lesquelles les forces de scurit maintiennent ou rtablissent lordre public, travers une doctrine et une tactique principalement collective et de mise distance des citoyens manifestants.

    B. LA MISE EN UVRE DU RGIME DU MAINTIEN OU DU RTABLISSEMENT DE LORDRE

    1. Le recours par principe des forces ddies, formes spcifiquement au maintien de lordre

    Il existe deux institutions policires en France : lune statut militaire la gendarmerie nationale , lautre statut civil la police nationale. Au sein de ces deux institutions, des forces ddies ont t cres, sont spcialement formes, quipes et entranes pour mener des oprations de maintien de lordre mais pas uniquement. Il sagit, dune part, de la gendarmerie mobile, organise en escadrons (EGM), et, dautre part, des compagnies rpublicaines de scurit (CRS), qui forment la rserve nationale disposition des autorits publiques.

    Si les EGM et les CRS constituent effectivement les units spcialises dans le maintien de lordre, elles assument, par ailleurs, dautres missions. En outre, dautres units et forces de police non spcialises en la matire sont susceptibles de participer des oprations de maintien de lordre. Enfin, il convient de rappeler que les forces armes elles-mmes arme de terre, marine nationale, arme de lair, services de soutien interarmes peuvent, dans certaines circonstances exceptionnelles et selon des procdures particulires, lorsquelles en sont lgalement requises, prendre part de telles oprations (1). (1) Cf. notamment les articles D. 1321-3 D. 1321-10 du code de la dfense et linstruction ministrielle

    n 500/SGDN/MPS/OTP du 9 mai 1995 relative la participation des forces armes au maintien de lordre.

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    Le Rapporteur a jug utile de dcrire titre principal les deux forces spcialises et en dtailler les lments et caractristiques essentiels : effectifs, formation, missions, quipements, doctrine, etc. Les informations prsentes ci-aprs sappuient sur les lments recueillis par la commission denqute au cours des auditions quelle a menes et loccasion du dplacement effectu par certains de ses membres au Centre national dentranement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (CNEFG) (1), ainsi que sur les rponses aux questionnaires adresss aux institutions et services concerns (2).

    a. Les forces mobiles et leurs missions de maintien de lordre Comme la rappel le gnral Bertrand Cavallier, ancien commandant du

    CNEFG, Le maintien de lordre est une spcificit franaise remontant la Rvolution franaise, qui a pos les bases du maintien de lordre moderne (3). On peut citer cet gard la loi du 3 aot 1791 relative la rquisition et laction de la force publique contre les attroupements. Initialement remplie par larme la troupe cette mission sera par la suite confie des institutions de nature policire, dont laction repose sur un recours la force plus contenu. En effet, la naissance des forces mobiles part du constat de linadaptation des forces armes grer les conflits sociaux et les manifestations de la fin du XIXe et du dbut du XXe sicle (4).

    En application de la loi de finances du 22 juillet 1921 (5), qui accorde la gendarmerie les moyens budgtaires ncessaires la cration de pelotons mobiles, et de la circulaire du 15 novembre 1921 (6), les pelotons mobiles de gendarmerie anctres des escadrons de gendarmerie mobiles sont crs et constituent ainsi la premire force permanente spcialise dans le maintien de lordre. Le second pilier du maintien de lordre franais sera bti en 1944 avec la cration par dcret (7), au sein de la police nationale, de lautre force spcialise en la matire : les compagnies rpublicaines de scurit.

    Des missions varies, ralises par des manuvres prcises. Pour honorer la mission gnrale quest la prservation ou le

    rtablissement de lordre public, les units spcialises sont entranes remplir des missions de diffrentes natures dont chacune se traduit, en opration, par des (1) Dplacement effectu du 8 au 10 avril 2015. (2) Direction gnrale de la gendarmerie nationale, direction gnrale de la police nationale, prfecture de

    police de Paris, Service de lachat, des quipements et de la logistique de la scurit intrieure (SAELSI). (3) Audition du gnral Bertrand Cavallier, le 15 janvier 2015. (4) Au cours de la tristement clbre manifestation ouvrire de Fourmies le 1er mai 1891, douze personnes

    avaient perdu la vie. Lors dune manifestation de viticulteurs Narbonne en 1907, cinq personnes taient mortes.

    (5) Loi du 22 juillet 1921 portant augmentation des effectifs de la gendarmerie et crant un tat-major particulier de la gendarmerie.

    (6) Circulaire du 15 novembre 1921 sur laffectation des militaires des lgions aux pelotons mobiles de gendarmerie.

    (7) Dcret du 8 dcembre 1944 portant cration des compagnies rpublicaines de scurit.

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    manuvres spcifiques (cf. annexe 1). Les quatre types de missions susceptibles dtre effectues par les EGM sont :

    des missions offensives : fixer, vacuer, interpeller ; des missions dfensives : tenir, protger, contrler ; des missions de sret : couvrir, reconnatre, surveiller ; des missions communes : sinterposer, escorter, scuriser. Ces missions et manuvres sont applicables, mutatis mutandis, aux

    compagnies rpublicaines de scurit. En effet, les deux forces partagent la mme spcialit et ont vocation, en cas de besoin, intervenir conjointement au cours dune mme opration et sous la conduite de la mme autorit civile ; elles mettent en uvre des schmas tactiques analogues, ncessaires au bon droulement de la mission globale. En effet, si les commandants de CRS et les chefs descadron de gendarmerie mobile dirigent leurs units respectives sur le terrain la mixit des forces nexistant pas , celles-ci peuvent temporairement tre places sous les ordres dune autorit qui nappartient pas la mme institution.

    Un exemple de cet indispensable partage des rfrences tactiques a t fourni par le commandant de CRS Christian Gomez, lorsquil a voqu lintervention de la CRS 40 de Plombires-ls-Dijon Notre-Dame-des-Landes : Nous sommes placs sous lautorit du prfet du dpartement et mis la disposition du colonel commandant le groupement de gendarmerie qui est lautorit habilite dcider de lemploi de la force, le concepteur du service. Nous sommes temporairement placs sous ses ordres pour toutes nos actions. Selon le nombre des forces prsentes, un chelon intermdiaire, un lieutenant-colonel de la gendarmerie, anime et commande des CRS ou des gendarmes mobiles. Lorsque plusieurs units de CRS sont engages, il est parfois mis en place un commandement de groupe de compagnies. (1)

    (1) Audition de MM. Mohammed Belgacimi, Christian Gomez, Roland Guillou, ric Le Mabec, et Ren-

    Jacques Le Mol, le 5 mars 2015.

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    En outre, linstruction ministrielle portant doctrine demploi des forces mobiles de la police et de la gendarmerie nationale (1) prvoit un principe de fongibilit des comptences territoriales entre CRS et EGM. Si la gendarmerie a naturellement tendance se dployer en milieu rural et outre-mer et les CRS en zones urbaines, chaque force peut tre employe dans des missions de maintien de lordre public indiffremment dans les deux zones de comptence (police et gendarmerie). La disponibilit des forces et les dlais dacheminement de celles-ci sont des critres prendre en compte, de mme que limportance des dispositifs mettre en place, les plus importants dentre eux ncessitant de dployer les deux catgories de forces mobiles.

    La spcificit du maintien de lordre outre-mer : le monopole de la gendarmerie mobile.

    Si, en mtropole, lordre public a vocation tre assur indiffremment par les CRS ou les EGM, tel nest pas le cas outre-mer o seules des forces de la gendarmerie mobile sont engages. Ainsi que le rappelait le gnral Denis Favier, directeur gnral de la gendarmerie nationale, un tel monopole dengagement ne relve pas de lapplication dune norme dtermine de rpartition des comptences entre les deux forces mobiles, mais rpond une demande politique (2). De fait, la formation militaire des membres des EGM, leur capacit mener une action sur le long terme les oprations pouvant durer plusieurs mois sans relve et dans des conditions parfois dgrades, expliquent ce recours exclusif aux moyens de la gendarmerie.

    Une telle mission est loin dtre marginale pour les EGM, puisque sur les 108 escadrons que comporte la gendarmerie mobile, une vingtaine est dploye en permanence dans les territoires ultramarins, soit 18,5 % des forces mobiles. Ainsi que laffirme le gnral Favier, cest considrable, si bien que si nous retirions ces 20 escadrons, la scurit publique gnrale ny serait plus assure. (3). En effet, en dehors du maintien de lordre stricto sensu, les EGM projets outre-mer permettent notamment daffermir une prsence de terrain dans le cadre de la lutte contre la dlinquance et de renforcer laction de certaines units territoriales isoles en raison de llongation de territoire et de la multi-insularit.

    Le maintien de lordre public outre-mer ne ncessite pas de formation particulire des units projetes. Sil est vrai que certains territoires peuvent connatre, de manire ponctuelle, des troubles inhabituels par leur dure ou leur intensit, les EGM sont entrans y faire face sans formation complmentaire. Seule la lutte contre lorpaillage illgal en Guyane, mene dans le cadre de lopration Harpie, suppose une prparation oprationnelle adapte compte tenu de sa spcificit.

    (1) Instruction ministrielle NOR/IOCT 0929231 J du 4 dcembre 2009. (2) Audition du gnral Denis Favier, le 12 fvrier 2015. (3) Idem.

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    Le dploiement des EGM outre-mer procde dun choix gouvernemental ; cest le Premier ministre qui dtermine la nature et limportance de cette projection (1). Les units concernes sont dployes pour des priodes de trois mois, un escadron tant, en moyenne, projet en territoire ultramarin tous les 12 15 mois.

    b. Les effectifs et lorganisation tactique des units Au 1er janvier 2015, la gendarmerie mobile, compose dun groupement

    blind de la gendarmerie mobile (GBGM) et de 17 groupements de gendarmerie mobile (GGM), comprenait 12 877 hommes en quivalents temps plein (ETP) rpartis en 108 escadrons et trois pelotons dintervention inter-rgionaux de gendarmerie (PI2G) (2). Les 108 EGM seuls regroupent 12 751 hommes, soit un effectif moyen denviron 118 hommes par EGM (3).

    Le format et la composition dun EGM participant une opration de maintien ou de rtablissement de lordre sont dtermins par une circulaire du 22 juillet 2011 relative lorganisation et lemploi des units de la gendarmerie mobile (4). En application de ce texte, deux configurations sont envisageables en fonction de la mission excuter (cf. annexe 2) :

    la configuration Alpha correspond des oprations de rtablissement de lordre, soit un engagement de moyenne haute intensit, avec pour objectif de faire cesser les troubles lordre public ;

    la configuration Bravo correspond des oprations de maintien de lordre, soit un engagement de faible intensit visant prserver un ordre dj tabli.

    Dans les deux cas, quel que soit le format retenu, la prsence dau moins deux officiers est requise pour chaque opration.

    En configuration Alpha, lescadron comprend 68 gendarmes rpartis en : un groupement de commandement de quatre militaires : un commandant

    dunit, un conducteur, deux transmetteurs ; quatre pelotons : un peloton dintervention et trois pelotons de marche

    de 16 gendarmes chacun.

    (1) Actuellement, 18,5 EGM comprenant 1 378 militaires sont dploys outre-mer : six EGM en Guyane,

    quatre en Nouvelle-Caldonie et Wallis-et-Futuna, deux en Guadeloupe, deux en Polynsie, 1,25 la Runion, 1,25 Mayotte, un la Martinique et un Saint-Martin.

    (2) La gendarmerie dispose de trois PI2G Dijon, Orange et Toulouse. (3) Le plus dot, lEGM 41/7 de Dijon, compte 179 hommes et le moins dot, lEGM 14/3 de Brest en

    compte 85. (4) Circulaire n 200 000 GEND/DOE/SDOP/BOP.

  • 25

    Lvolution du contexte oprationnel notamment en cas dengagement effectif pour rtablir lordre ou de risque dengagement effectif peut amener modifier cette composition. Le cas chant, le groupe de commandement peut tre complt par une cellule image ordre public (CIOP) compose de trois gendarmes prlevs sur les trois pelotons de marche.

    En configuration Bravo, lEGM comprend au minimum 53 gendarmes dploys en trois pelotons.

    Les compagnies rpublicaines de scurit sont, quant elles, composes de 60 units dont leffectif moyen est de 130 agents environ, certaines units comprenant environ 120 CRS tandis que dautres les compagnies parisiennes par exemple sont lgrement mieux dotes avec 136 agents (1). En termes oprationnels, une compagnie dispose a minima des trois cinquimes de son effectif disponible pour effectuer une mission de maintien de lordre, soit en moyenne entre 75 et 80 agents : deux trois officiers, 30 35 grads et 35 40 gardiens de la paix.

    Lorganisation tactique des CRS repose sur une division de chaque unit en quatre sections, avec deux sections dappui et de manuvre (SAM) et deux sections de protection et dintervention (SPI) menes par un chelon de commandement et de soutien. Chaque unit est scable et peut former deux demi-units comprenant chacune un chelon de commandement et de soutien (2), une SAM et une SPI. Leffectif de chaque section est de 15 agents, lchelon de commandement et de soutien comprenant entre 15 et 20 agents.

    Les sections (SAM et SPI) sont composes de trois groupes tactiques A, B et C, ce dernier constituant le groupe de commandement de la section.

    Pour chacune des deux forces, les temps dengagement oprationnel sont thoriquement de 8 heures, sachant quen matire de maintien de lordre et pour reprendre lexpression de M. le prfet Philippe Klayman, directeur central des CRS, ncessit fait loi, le temps de travail nest pas limit (3). De fait, gendarmes et CRS peuvent tre amens maintenir leur posture oprationnelle bien au-del de ce temps dengagement thorique, le directeur central voquant lexemple dune compagnie ayant pass 22 heures sur le terrain lors doprations de maintien de lordre menes au mois de juillet 2014 (4), tandis que, pour la gendarmerie mobile, le chef descadron Mlisande Durier a fait rfrence des

    (1) Audition des reprsentants des syndicats de grads et gardiens, le 2 avril 2015. (2) Lchelon de commandement et de soutien assure les fonctions suivantes : commandement, secrtariat,

    oprateur radio, armurier, dpannage, vhicule, aide infirmier, pompier, conduite de vhicule, vidaste, tir de prcision.

    (3) Audition de M. Jean-Marc Falcone et de M. Philippe Klayman, le 12 fvrier 2015. (4) Idem.

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    engagements de prs de 14 heures, o les gendarmes [taient] rests debout sans boire ni manger (1).

    c. Le cadre de formation des units Maintenir ou rtablir lordre public dans le cadre de manifestations nest

    jamais une action de police ordinaire. Il sagit, par nature, dune mission extrmement sensible. Dune part, elle prend corps loccasion dvnements consacrant lexercice concret, par les citoyens, des liberts publiques. Dautre part, de tels vnements imposent un changement dchelle aux forces de lordre. Contrairement dautres oprations de police o les forces de lordre ont vocation grer des comportements individuels interpellations par exemple , une opration de maintien de lordre suppose quasi-systmatiquement une prsence humaine massive, les gendarmes et policiers devant interagir non pas avec des individus, mme nombreux, pris isolment, mais avec une foule.

    Ces deux spcificits majeures impliquent la mise en place dune formation et dun entranement adapts destination des units appeles intervenir dans un tel contexte. Le maintien de lordre ne simprovise pas. Cest un mtier auquel il faut tre form et qui ne tolre aucune approximation dans sa mise en uvre, au risque demporter des consquences potentiellement malheureuses tant pour les manifestants que pour les forces de lordre, voire pour les tiers pris dans le tumulte de lvnement.

    La formation des EGM. La gendarmerie dispose dun centre unique ddi la formation des units

    mobilises lors doprations de maintien de lordre : le Centre national dentranement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (CNEFG) en Dordogne.

    Cr en 1969 et stendant sur 140 hectares, le CNEFG a vocation assurer la formation, initiale et continue le recyclage des officiers et sous-officiers de la gendarmerie dans le domaine du rtablissement de lordre, que ces gendarmes soient dploys sur le territoire national ou en oprations extrieures (OPEX). Daprs les informations fournies par le directeur gnral de la gendarmerie nationale, les escadrons de gendarmerie mobile suivent une formation au Centre une fois tous les trois ans (2), une telle frquence ncessitant, selon lui, dtre augmente.

    Plus prcisment, le recyclage des units prend la forme dun stage dune dure de deux semaines, prcd dune semaine de formation. Sept stages six units EGM et compagnies de la Garde rpublicaine sont planifis tous les ans, chaque EGM effectuant ce recyclage environ tous les 32 mois.

    (1) Audition de Mme Mlisande Durier, MM. Stphane Fauvelet, Emmanuel Gerber, Bernard Herchy et

    Aymeric Lenoble, le 5 mars 2015. (2) Audition du gnral Denis Favier, le 12 fvrier 2015.

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    Comme la expliqu le gnral Bertrand Cavallier, ancien commandant du Centre, aux membres de la commission denqute, Trois notions structurent lentranement Saint-Astier : premirement, le rappel du sens pourquoi est-on gendarme et quels sont les enjeux de cette qualit, la rponse tant le fait de servir son pays et de protger nos valeurs communes, notamment nos liberts ; deuximement, le renforcement des capacits individuelles, car le maintien de lordre et les actions de scurit en gnral sont de plus en plus exigeants ; troisimement, le ralisme des entranements, qui permet de placer les gendarmes dans des situations les plus proches possibles de la ralit, afin de favoriser une certaine maturit psychologique dans la gestion du stress en effet, face des situations prouvantes, il est ncessaire de sentraner pour acqurir le sang-froid et la matrise de soi qui seront dterminants pour faire un usage abouti de lemploi de la force. (1)

    Au cours de son dplacement au Centre, la commission denqute a pu apprcier concrtement le contenu de cette formation. Elle a pu constater, notamment, le ralisme et lexigence des entranements mission rupture de contact, engagement de haute intensit de nuit, etc. ncessaire lacquisition des savoir-faire complexes qui devront tre mis en uvre au cours doprations relles.

    La qualit de la formation dispense est dailleurs reconnue au-del de nos frontires puisque le CNEFG accueille rgulirement des stagiaires issus de lensemble des pays europens.

    La formation des CRS. Contrairement la gendarmerie, la police dispose de quatre structures

    distinctes et complmentaires pour la formation individuelle et collective des compagnies rpublicaines de scurit :

    les centres de Lyon et Rennes, qui sont spcifiquement ddis lordre public ;

    le centre de Dijon, spcialis dans lentranement au tir ; le centre de Toulouse, qui a trait la gestion administrative et financire

    des units de CRS. Ces centres permettent lacquisition dune formation uniforme, partage

    par lensemble des units, ce qui est indispensable ds lors que celles-ci peuvent tre regroupes pour participer aux mmes oprations. En outre, les units mettent en uvre des systmes de formation interne avec des rfrents et des sites dentranement varis.

    (1) Audition du gnral Bertrand Cavallier, le 15 janvier 2015.

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    Chaque compagnie de CRS est tenue deffectuer trois semaines de formation par an, auxquelles sajoutent dix jours dentranement au tir et au maniement des quipements (1). Le commandant Christian Gomez a ainsi prcis la commission que les agents des CRS suivaient une trentaine de journes de formation annuelles. Environ 25 jours de formation, organiss en trois priodes de recyclage unit de trois jours (PRU) compltes par des journes dentranements techniques sont effectus. Par ailleurs et en fonction des besoins individuels, des journes de formation ponctuelle dentranement au tir et dentranement technique sont susceptibles dtre organises par section (2).

    Ces formations et recyclages renforcent le sens du collectif et la cohsion, qui sont indispensables au sein des EGM et des CRS pour mener bien leurs missions. Dans de telles units, en opration de maintien de lordre, il ny a pas de place pour laction individuelle, il ny a que des actions collectives (3). Comme le prcisait le commandant de CRS Roland Guillou, [] le CRS nest jamais un gardien lambda ; il fait partie dun groupe au sein dune section elle-mme rattache une demi-compagnie, la compagnie dans son ensemble tant place sous lautorit dun commandant. (4), le commandant ric Le Mabec ajoutant que Une unit de CRS runit des hommes qui, au-del de leurs missions ponctuelles de maintien de lordre, vivent ensemble deux cents jours par an. La cohsion entre eux dpasse donc le cadre professionnel [] (5).

    Au-del des formations stricto sensu, les retours dexprience conscutifs aux oprations menes permettent aux forces mobiles de faire voluer leur doctrine, leurs quipements et lutilisation qui en est faite. Cest ce qua prcis M. Jean-Marc Falcone, directeur gnral de la police nationale en affirmant que Ce fut le cas des manifestations de fvrier 2014 Nantes, qui nous ont conduits faire voluer la doctrine demploi des lanceurs deau et la doctrine paramdicale au profit des tiers et des forces de lordre. (6)

    (1) Audition de M. Jean-Marc Falcone, et de M. Philippe Klayman, le 12 fvrier 2015. (2) Audition de MM. Mohammed Belgacimi, Christian Gomez, Roland Guillou, ric Le Mabec, et Ren-

    Jacques Le Mol, le 5 mars 2015. (3) Audition de Mme Mlisande Durier, MM. Stphane Fauvelet, Emmanuel Gerber, Bernard Herchy et

    Aymeric Lenoble, le 5 mars 2015. (4) Audition de MM. Mohammed Belgacimi, Christian Gomez, Roland Guillou, ric Le Mabec, et Ren-

    Jacques Le Mol, le 5 mars 2015. (5) Idem. (6) Audition de M. Jean-Marc Falcone et de M. Philippe Klayman, le 12 fvrier 2015.

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    2. La doctrine franaise du maintien de lordre et les moyens qui la servent

    a. La mise distance et le recours absolument ncessaire, proportionn et gradu la force

    Dans son Histoire de la guerre du Ploponnse, lhomme politique et historien athnien Thucydide assure que De toutes les manifestations du pouvoir, celle qui impressionne le plus les hommes, cest la retenue.

    Une telle devise pourrait rsumer la doctrine franaise en matire de maintien de lordre. La prsence des units qui en sont charges est avant tout dissuasive ; il sagit de montrer sa force de manire proportionne par rapport la situation pour ne pas avoir lexercer. Cette doctrine repose, dune part, sur lvitement, aussi longtemps que possible, des contacts physiques entre manifestants et forces de lordre et des violences et blessures quelles peuvent engendrer. Dautre part, elle suppose la mise en uvre de la force en dernier recours sachant que, lorsquil est effectivement recouru la contrainte, cette rponse doit tre gradue, ncessaire et proportionne. Dautres pays ont opr des choix doctrinaux et oprationnels diffrents.

    Cela semble relever de lvidence mais il convient de le rappeler : policiers et gendarmes responsables du maintien de lordre ne font ventuellement usage de la force que ds lors que ce qui tait initialement un vnement de voie publique o sexeraient normalement les liberts publiques dgnre en un attroupement susceptible de troubler lordre public. Si aucun risque de trouble nexiste ou si aucun trouble ne se matrialise effectivement, les forces de lordre, bien que prsentes, resteront dans une attitude prventive et ne feront aucun usage de la force. Leur mission premire nest pas de rprimer, mais de garantir aux citoyens qui lexercent le droit de manifester en toute scurit, sans que cet exercice lgitime soit troubl par des actions et des comportements qui sortiraient alors du cadre de lexpression des liberts publiques, pour relever de la catgorie des actes pnalement rprhensibles.

    Cest ce que confirment les propos que M. Bernard Boucault, prfet de police de Paris a tenus devant la commission : je citerai ce que je dis toujours lors de la runion de briefing pralable une manifestation avec toutes les personnes qui participeront au maintien de lordre : "Cet aprs-midi, nous naurons pas devant nous des adversaires mais des citoyens qui veulent exercer leur droit de manifester pour exprimer leur opinion, et notre devoir est de garantir cette libert, en leur permettant de lexercer en toute scurit." Cest cela, selon moi, lordre public rpublicain, et il doit inspirer toutes les dcisions que nous prendrons au cours de la manifestation. (1)

    Comme la rsum le directeur gnral de la police nationale, La doctrine franaise du maintien de lordre [] repose sur deux principes simples : (1) Audition de M. Bernard Boucault, le jeudi 5 fvrier 2015.

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    prvenir les troubles pour ne pas avoir les rprimer et viter lusage des armes en faisant preuve, jusquaux dernires minutes, de calme et de sang-froid. (1)

    Lusage de la force dans le cadre dune opration de maintien de lordre est lgitimement contraint par un cadre juridique et des procdures spcifiques prvus notamment par le code pnal (2) et le code de la scurit intrieure (3). De fait les deux types de forces mobiles appliquent le mme rgime juridique et il nexiste aucune diffrence entre elles quant la doctrine demploi de la force en opration de maintien de l lordre. Schmatiquement, celui-ci suppose :

    quun attroupement se soit form ; quune autorit habilite cet effet ait dcid de la dissipation de

    lattroupement ; que des sommations ritres aient t prononces en ce sens afin que

    les individus constituant lattroupement se dispersent ; que les individus en cause naient pas obtempr et que lattroupement

    ne se dissipe pas. Aux termes du premier alina de larticle 431-3 du code pnal, Constitue

    un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler lordre public. . Il se distingue donc de la manifestation ou de la runion publique par le risque de trouble lordre public quil est susceptible de constituer. Contrairement la manifestation et ainsi que la rappel M. Thomas Andrieu, directeur des liberts publiques et des affaires juridiques au ministre de lIntrieur, lattroupement ne constitue pas lexercice dune libert publique. On ne lui reconnat pas de finalit politique. (4). Il ne doit pas tre confondu avec la manifestation illicite en raison dune absence de dclaration ou dune dclaration incomplte ou inexacte qui, si elle se tient, ne constitue pas ipso facto un attroupement. Lattroupement est un dlit qui cre un fait justificatif lgal permettant lemploi de la force pour le faire cesser. Lorsquelle est retenue, la qualification dattroupement a un double effet : elle permet la dispersion de celui-ci et elle permet de retenir lincrimination pnale de participation dlictueuse un attroupement.

    En application du second alina de larticle 431-3 du code pnal, Un attroupement peut tre dissip par la force publique aprs deux sommations de se disperser restes sans effet adresses dans les conditions et selon les modalits prvues par larticle L. 211-9 du code de la scurit intrieure. Les sommations doivent tre prononces par les autorits habilites mentionnes larticle L. 211-9 du code la scurit intrieure savoir : (1) Audition de M. Jean-Marc Falcone et de M. Philippe Klayman, le 12 fvrier 2015. (2) Articles 431-3 431-8 du code pnal notamment. (3) Articles L. 211-9 et D. 211-10 et suivants du code de la scurit intrieure notamment. (4) Audition de M. Thomas Andrieu, le jeudi 22 janvier 2015.

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    le reprsentant de ltat dans le dpartement ou, Paris, le prfet de police ;

    le maire ou lun de ses adjoints (sauf Paris) ; tout officier de police judiciaire responsable de la scurit publique, ou

    tout autre officier de police judiciaire. Le prononc des sommations est dcrit larticle R. 211-11 du code de la

    scurit intrieure. Au pralable, lautorit habilite doit avoir annonc sa prsence en nonant : Obissance la loi. Dispersez-vous. Lordre de dissipation devant pouvoir tre entendu par tous les individus concerns, celui-ci est effectu par haut-parleur.

    la suite de cette annonce pralable et dans lhypothse o lattroupement ne sest pas dissip, il peut alors tre fait usage de la force pour y parvenir. Lautorit habilite doit alors avertir deux reprises les individus concerns de son intention de faire usage de la force. Par le mme moyen technique, lautorit procde alors une premire sommation en vue de dissiper lattroupement : Premire sommation : on va faire usage de la force. Si elle reste sans effet, une seconde sommation est effectue : Dernire sommation : on va faire usage de la force. .

    Les sommations doivent videmment tre audibles et visibles par les participants lattroupement. De fait, chaque annonce ou sommation peut tre remplace si lutilisation du haut-parleur est impossible ou inoprante ou complte par un signal visuel avec le lancement dune fuse rouge.

    En cas de recours certaines armes mentionnes larticle R. 211-16 du code de la scurit intrieure, la dernire sommation et/ou le lancement de la fuse dalerte doivent tre ritrs.

    Il convient de noter que le code de la scurit intrieure ne fixe aucun dlai aprs la premire annonce et entre les sommations.

    Si les sommations aboutissent in fine la dissipation de lattroupement, lusage de la force nest plus justifi et le dlit de participation lattroupement nest plus susceptible dtre retenu. Le recours la force nest donc pas systmatique en maintien de lordre. Ce nest quen cas dchec des sommations et de persistance du trouble que lusage de la force est possible, de manire absolument ncessaire et proportionne, une gradation des moyens tant par ailleurs suivie en la matire.

    Labsolue ncessit et la proportionnalit du recours la force sont deux conditions strictes et cumulatives rappeles larticle R. 211-13 du code de la

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    scurit intrieure, tant entendu que lemploi de la force doit videmment prendre fin ds lors que le trouble a cess (1).

    La gradation des moyens et matriels auxquels les forces de lordre sont susceptibles de recourir peut tre dcompose en quatre phases distinctes. Lapprciation de cette gradation dans lemploi des moyens coercitifs ncessaires la dissipation dun attroupement est du ressort de lautorit civile, sa mise en uvre relevant des commandants dunits. La gradation permet une adaptation permanente de la rponse oprationnelle la physionomie et lvolution de lvnement et une prise en compte diffrencie des multiples comportements susceptibles dtre constats au sein dattroupements.

    Il peut tout dabord tre fait usage de la force physique seule avec, par exemple, le recours des manuvres telles que des barrages, des charges (2) ou des bonds offensifs de dispersion (3).

    Les units peuvent, par ailleurs, recourir la force dite simple , cest--dire lemploi de la force physique et des moyens intermdiaires, savoir les matriels et armements non classs en tant quarmes feu : btons de dfense, boucliers, engins lanceurs deau (en dotation dans la police), containers lacrymognes main, grenades lacrymognes main MP7 ou CM6 par exemple.

    Si le trouble persiste ou saggrave et aprs ritration de la seconde sommation, lusage des armes feu est possible. Les moyens pouvant tre mis en uvre sont strictement et limitativement numrs larticle D. 211-17 du code de la scurit intrieure. Il sagit, lexclusion de toute autre arme, des grenades en dotation dans les units et de leurs lanceurs, soit :

    les grenades lacrymognes instantanes GLI/F4 effet de souffle. Utilises dans des situations particulirement dgrades, elles mettent par dtonation un effet sonore et de choc intense de lordre de 165 dcibels 5 mtres ;

    les grenades instantanes (sans produit lacrymogne) ; les lanceurs de grenades 56 mm et leurs munitions (lanceur dit

    Cougar ) ; les lanceurs de grenades 40 mm et leurs munitions ;

    (1) Article R. 211-13 du code la scurit intrieure : Lemploi de la force par les reprsentants de la force

    publique nest possible que si les circonstances le rendent absolument ncessaire au maintien de lordre public dans les conditions dfinies par larticle L. 211-9. La force dploye doit tre proportionne au trouble faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cess.

    (2) Manuvre caractre offensif visant obliger par la force une foule hostile dgager les lieux quelle refuse dvacuer.

    (3) Manuvre visant repousser vivement des individus hostiles trop proches du dispositif des forces de lordre afin de les tenir distance et rduire ainsi les risques daffrontement physique.

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    les grenades main de dsencerclement (GMD). Elles propulsent 18 projectiles en caoutchouc et mettent un fort effet sonore (150 dcibels 5 mtres).

    Si les grenades offensives OF F1 figurent toujours larticle D. 211-17 prcit, linterdiction de leur utilisation au titre du maintien de lordre a t dcide par le ministre de lIntrieur aprs les oprations menes dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 Sivens au cours desquelles le jeune manifestant Rmi Fraisse est dcd la suite de lutilisation dune telle grenade. Rappelons que cette catgorie de grenades tait uniquement en dotation au sein de la gendarmerie nationale.

    Enfin, dans lhypothse ultime dagression des forces de lordre par armes feu et en application de larticle D. 211-20 du code de la scurit intrieure, celles-ci peuvent riposter au moyen du fusil rptition de prcision de calibre 7,62 x 51 mm.

    Lors doprations de maintien de lordre, lusage des armes feu ne peut seffectuer que sur ordre exprs des autorits habilites dcider de lemploi de la force, celui devant tre transmis de telle sorte que sa matrialit et sa traabilit soient assures (1). Ces autorits sont : le prfet du dpartement ou le sous-prfet, le maire ou lun de ses adjoints, le commissaire de police, le commandant de groupement de gendarmerie dpartementale ou, mandat par lautorit prfectorale, un commissaire de police ou lofficier de police chef de circonscription ou le commandant de compagnie de gendarmerie dpartementale (2).

    Au total, la dcision de faire usage de la force nest donc pas prise individuellement par chaque policier ou gendarme membre dune CRS ou dun EGM ; il sagit dune action collective strictement encadre et qui relve de la dcision dune autorit suprieure, lautorit civile, qui doit en outre tre prsente sur les lieux en vue de dcider de cet emploi si les circonstances lexigent (3). En consquence et hors le cas o celui-ci se retrouverait isol en cours dopration, un CRS ou un gendarme mobile en unit ne peut faire usage de la force sur le fondement de la lgitime dfense telle quelle est prvue aux articles 122-5 et 122-6 du code pnal (4).

    En dehors de cette chelle de gradation quatre niveaux, si des violences ou voies de fait sont exerces contre les forces de lordre ou que celles-ci ne peuvent dfendre autrement le terrain quelles occupent, le commandant de la force publique peut dcider lui-mme de faire usage de la force directement, sans

    (1) Article R. 211-14 du code de la scurit intrieure. (2) Article R. 211-21 du code de la scurit intrieure. (3) Article R. 211-21 du code de la scurit intrieure. (4) Audition de MM. Mohammed Belgacimi, Christian Gomez, Roland Guillou, ric Le Mabec, et Ren-

    Jacques Le Mol, le 5 mars 2015.

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    sommation (1), au moyen des armes numres larticle D. 211-17 prcites auxquelles sajoute, en application de larticle D. 211-19 du code de la scurit intrieure, le lanceur de balle de dfense de calibre 40 (LBD 40 x 46) avec des projectiles non mtalliques. Les projectiles non mtalliques tirs par les lanceurs Cougar , dits projectiles bliniz , ont t retirs des services sur dcision des directeurs gnraux de la police et de la gendarmerie nationales (2). Quant au LBD de calibre 44 Flash-Ball, mme sil figure larticle prcit, il nest pas en dotation au sein des units spcialises pour laccomplissement de missions de maintien de lordre.

    Le schma suivant, ralis par le Centre national dentranement des forces de Saint-Astier, reprend strictement les dispositions lgislatives et rglementaires prcites sans tenir compte des ventuelles dcisions de retrait de certains quipements ou de labsence de dotation dans laccomplissement des missions de maintien de lordre. Il permet toutefois de visualiser de manire synthtique la doctrine demploi de la force par la gendarmerie en vertu du principe de gradation de la rponse.

    (1) En application de lalina 6 de larticle L. 211-9 du code de la scurit intrieure. (2) Note DRCPN/SDEL/AMT n 84 du 27 juin 2011 pour la police nationale et note n 91194

    DEF/GEND/OE/SDDOP/BOP du 11 aot 2011 pour la gendarmerie nationale.

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    LE PRINCIPE DE GRADATION DANS LEMPLOI DE LA FORCE

    Source : direction gnrale de la gendarmerie nationale ; rponse au questionnaire de la commission denqute.

    Il convient de prciser que, en plus dtre strictement encadr, le recours la force et sa mise en uvre sont susceptibles dtre soumis, en dernire analyse, au contrle a posteriori du juge. Celui-ci pourra tre amen, le cas chant, apprcier les critres dabsolue ncessit et de proportionnalit au regard des

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    circonstances particulires propres chaque attroupement. Outre le juge national, le juge europen peut avoir connatre de laction des forces de lordre. En effet, la Cour europenne des droits de lhomme (CEDH) considre quun contrle de labsolue ncessit et de la proportionnalit du recours la force susceptible dentraner la mort simpose sur le fondement de larticle 2 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et les liberts fondamentales (droit la vie) (1). La France a rcemment t condamne ce titre, la Cour considrant que, dans le cas despce, lusage de la force arme par un gendarme ntait pas absolument ncessaire au regard des circonstances (2). Il convient toutefois de prciser que cette affaire ne concernait pas une opration de maintien de lordre mais une garde vue.

    Au total, le maintien de lordre et les hommes qui lassurent sont donc soumis un trs grand formalisme et relvent de deux autorits : lautorit civile incarne par le reprsentant de ltat ou son dlgu ; et le juge national (le maintien de lordre est une mission qui est en partie dfinie par le code pnal) ou europen. Ds lors que sont en jeu les liberts publiques et des impratifs dmocratiques, un tel encadrement est parfaitement lgitime.

    Au-del de ce cadre juridique, les forces de police et de gendarmerie ont dvelopp une thique du maintien de lordre. Le code de dontologie commun aux deux forces, applicable depuis le 1er janvier 2014 et codifi dans la partie rglementaire du code de la scurit intrieure dispose, dans son article R. 434-18 consacr lemploi de la force que :

    Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fix par la loi, seulement lorsque cest ncessaire, et de faon proportionne au but atteindre ou la gravit de la menace, selon le cas.

    Il ne fait usage des armes quen cas dabsolue ncessit et dans le cadre des dispositions lgislatives applicables son propre statut.

    b. Des quipements et armements individuels et collec