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Document de présentation de mon Projet de Fin d'Etudes sur le béton cellulaire.
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1
Béton léger Lourdeur cellulaire
Arnaud Picavet
2
3
Sommaire
Entrée en matière
Faire l’expérience / ExpérimenterDébuter un projetLe matériau comme point de départ d’une réflexion
Questionnements personnels
La répétition / La variationLe plein / Le videL’épaisseur habitée
Le « béton cellulaire », un oxymore ?
La transformation de la matière en matériauPropriétés mécaniques du béton cellulaireCaractéristiques physiques du béton cellulaireDes tensions intrinsèques au matériauMise en oeuvre du béton cellulaire
p.5p.11
p.15
p.19p.23p.27
p.33p.37
p.41p.43p.47
p.55
p.59
p.63p.65
Des confrontations successives
Les halles Saint-Sauveur (site) : des capacités à exploiterL’enjeu énergétique : le cycle de vie des matériauxLe co-design (programme) : une gestion des degrés d’intimitéLa flexibilité / L’adaptabilité
Bibliographie
4
5Galvanisation à chaud, usine Galva Power, Gand, Belgique.
Faire l’expérience / Expérimenter
Le domaine « Matérialité, pensée et culture
constructives » a pour spécificité de travailler « la
problématique des relations entre architecture et matière ou,
pour le dire autrement, des liens qui articulent l’architectural,
qui serait de l’ordre du penser, à l’architectonique, qui
serait de l’ordre de la réalité matérielle »1. C’est le lieu de
l’élaboration progressive d’une pensée critique en
actes qui mobilise divers domaines tels que l’histoire
de l’architecture, l’art, ou encore la philosophie.
L’objectif est « d’affronter le réel sans l’idéaliser pour mieux
le transformer, l’inventer, en apprenant par l’expérience, par
l’action (s’engager, faire, défaire, refaire) »2. Je souligne
cette phrase car elle fait référence aux deux attitudes
parallèles qui m’ont permis de développer ce projet
de fin d’études. La première concerne l’idée de
« faire l’expérience », c’est-à-dire « d’enrichir son
savoir au contact de la réalité ». La seconde met en
jeu la notion « expérimenter » et implique un côté
proactif voire volontariste. Ces deux termes, « faire
l’expérience » et « expérimenter », viennent des mots
latins « experientia » et « experimentum » qui signifiaient
tous deux « épreuve ». Ainsi, il me semble intéressant
de mettre en parallèle ces deux notions avec ma
démarche de projet qui consiste à mettre à l’épreuve
un matériau.
« Faire l’expérience » de visiter une usine de production,
c’est comprendre le processus de fabrication d’un
matériau. A travers la visite d’Arcelor Mittal à
Dunkerque, j’ai découvert que la production d’acier
était soumise à des étapes successives de mutation de la
matière. Il y a d’abord distillation du charbon en coke
dans les fours de la cokerie. Ensuite, il y a mélange des
minerais avec le coke dans les hauts fourneaux pour
obtenir de la fonte. Enfin, il y a conversion de la fonte
en acier dans un convertisseur à oxygène. Toutes ces
transformations mettent en relief le passage de la
matière, c’est-à-dire le produit brut extrait de la nature
(charbon, minerais), au matériau : l’acier. Ainsi, en
observant les brames de 23 tonnes sortir des fours,
je me confronte aux choses réelles et acquiert de
nouvelles connaissances.
« Faire l’expérience », c’est également faire appel à nos
sens : voir de ses propres yeux, toucher de ses propres
6Brame d’acier à la sortie d’un four, usine Arcelor Mittal, Dunkerque.
7
mains, entendre de ses propres oreilles. En faisant
l’expérience, on ressent des sensations qui nous sont
personnelles, que l’on peut qualifier avec nos propres
mots. Peter Zumthor énonce que « faire l’expérience
concrète de l’architecture, c’est toucher, voir, entendre, sentir son
corps »3. Il met ainsi en évidence le caractère sensible
de l’architecture. Les édifices et les chantiers visités
dans le cadre de mon projet de fin d’études ont per-
mis d’enrichir mon répertoire de sensations.
Enfin, « faire l’expérience » ne consiste pas seulement
à découvrir de nouveaux lieux. Je pense que mes
expériences passées, celles qui se sont déroulées avant
même mon entrée en école d’architecture, sont inscrites
dans ma mémoire. En faisant appel à nos souvenirs,
consciemment ou non, nous reproduisons des effets
vécus. Zumthor affirme en cela que « nous avons tous
fait l’expérience de l’architecture avant de connaître le mot lui-
même ». Il ajoute que « les racines de notre compréhension de
l’architecture plongent dans notre enfance, dans notre jeunesse ;
elles se trouvent dans notre biographie »4. Ainsi, je pense que
nos expériences vécues peuvent constituer la base du
travail de projet.
A la différence de « faire l’expérience », le terme
« expérimenter » évoque une participation plus
active, un côté presque scientifique de l’action. Il
met en jeu un travail de recherches, de tâtonnements,
d’expérimentations. Au cours d’un voyage au
Chili, j’ai eu l’occasion de visiter un terrain de 300
hectares nommé Ciudad abierta. Appartenant à l’Ecole
d’Architecture de Valparaiso, cette Ville ouverte est un
lieu d’expérimentations architectoniques en plein air.
Les constructions de projets à échelle 1, éphémères
ou pérennes, deviennent des lieux habités par les
étudiants ou les professeurs. Hospederia del errante5
permet par exemple d’accueillir celui ou celle qui ne
possède plus de logement. D’autres projets mettent à
l’épreuve les matériaux. C’est le cas des tests nommés
Moldajes flexibles6 qui s’attachent à créer des éléments
de structure (poteaux, poutres) en béton armé à partir
de coffrages composés de membranes textiles. Ils
prétendent redécouvrir le caractère fluide du béton
en apportant un côté sculptural à l’ouvrage. Ainsi,
ce laboratoire à ciel ouvert permet de découvrir les
capacités des matériaux par le biais de manipulations
en vraie grandeur. Je pense que c’est la découverte de
ce lieu qui m’a donné envie d’expérimenter à mon
tour.
L’école d’Architecture de Lille possède un atelier
« Echelle 1 » couvert de 600m². Au cours de mon cursus
8Ciudad abierta, terrain d’experimentations, Valparaiso, Chili.
9
universitaire, je n’ai jamais autant saisi l’opportunité
offerte par ce lieu que lors de mon diplôme. Pouvoir
mettre en œuvre des éléments en vraie grandeur, les
détruire et les reconstruire est un acte formateur dans
le sens où l’on se rend compte des dimensions, du
poids et des capacités des matériaux. Ainsi, on rentre
en contact avec les matériaux, on expérimente avec
de la matière concrète. Manipuler, tester, éprouver
sont des actions qui permettent d’explorer les
possibilités des matériaux sans avoir d’idée préconçue.
Une intuition peut être formalisée rapidement puis
analysée afin de juger de sa pertinence. Une intention
peut être confrontée à sa propre mise en œuvre. Mes
expérimentations constituent donc la matière première
d’une étude sur un matériau. Je présente dans ce
rapport l’état d’avancement de mes recherches.
1 Carnet de printemps du domaine « Matérialité, pensée et culture constructives », ENSAPL, 2014, p2.2 Ibid., p2.3 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Birkhäuser, Basel-Boston-Berlin, 2006, p66.4 Ibid., p65.5 Littéralement : « hébergement du vagabond »6 Littéralement : « coffrages souples »
10
11Univers de références iconographiques.
Débuter un projet
Lorsque je débute un projet, j’entreprends souvent
la même démarche. Je me constitue un univers
thématique composé de textes, d’images et de
références. L’objectif est d’obtenir suffisamment de
matière première pour amorcer la conception.
Avant toute chose, je convoque ma propre banque de
données. Je recherche dans mes souvenirs ce qui peut
être mis en relation avec la thématique du projet. Cela
passe d’abord par ce que j’ai vu et vécu récemment :
une œuvre durant une exposition, un lieu lors d’un
voyage, une notion au cours d’une lecture. Je recherche
ensuite les éléments connus, plus lointains dans le
temps, mais qui me sont directement accessibles : les
livres rangés dans ma bibliothèque, les photographies
stockées sur mon disque dur, les films disposés à côté
de l’ordinateur. Enfin, j’opère des recherches pour
retrouver les éléments dont j’ai connaissance, mais
dont je ne me souviens plus précisément. Je pars
alors dans mes carnets de notes, à la bibliothèque ou
sur internet, afin de remettre la main sur la notion,
l’architecte ou l’édifice qui m’échappe.
Je suis convaincu que le projet est le reflet d’une
personnalité et de réflexions personnelles qui animent
l’architecte. Il est fortement influencé par l’état d’esprit
dans lequel on se trouve au moment de la conception.
Ainsi, il me semble important d’être ouvert lors de
cette période afin de se nourrir d’un maximum
d’éléments.
Suite à la première phase, je passe dans une logique
d’accumulation de l’information. Celle-ci ne
consiste plus à puiser dans mon bagage ou dans
mes connaissances personnelles, mais à mettre en
jeu des auteurs, des notions, et des projets jusque
là méconnus. L’intérêt de cette accumulation est de
convoquer, de près ou de loin, tous les éléments
susceptibles de m’intéresser par la suite. Je constitue
ainsi les fondations qui me permettront de soutenir
mon projet. Les documents consultés, les conférences
auxquelles j’ai assisté, et les visites effectuées sont
également le moyen d’ouvrir de nouvelles portes. Ces
données ne sont parfois pas directement en contact
avec mes recherches mais font appel à d’autres
12Château de cartes réalisé sur la base du jeu de Charles et Ray Eames, version personnelle.
13
auteurs, d’autres notions. Ainsi, je suis ces nouvelles
pistes et tisse des liens entre les documents. Grâce à
ces relations, je trouve des correspondances qui me
permettent d’affiner mes recherches.
Pendant ces deux phases, je garde traces de tous les
éléments que je mets en relation. Ainsi, j’ai comme
habitude d’écrire. Cela me permet de mémoriser les
notions et les auteurs que je convoque. C’est également
un moyen qui me permet d’aller rechercher dans mon
carnet, parfois plusieurs années après, le nom d’un
architecte ou d’un projet.
Ray Eames, House of Cards, 1952.© http://observatory.designobserver.com
14
15
Le matériau comme point de départ d’une réflexion
Je pense que la perception de la matière ou
d’un matériau est propre à chaque individu. Elle diffère
selon le degré de sensibilité et l’expérience vécue avec
cette substance. Si l’on considère la découverte d’un
nouveau matériau, on s’attachera d’abord à décrire
son aspect. A-t-il une couleur dominante ? Présente
t’il des aspérités ? En passant sa main dessus, on
pourra ensuite caractériser sa surface. Est-il lisse ou
rugueux ? En le manipulant, on distinguera peut être
un bruit, on détectera peut être sa température. Enfin,
en le rapprochant du visage, on saura s’il possède une
odeur. Toutes ces sensations, qu’elles soient visuelles,
tactiles, acoustiques, thermiques ou olfactives,
permettent de raconter sa propre expérience.
Les matériaux sont également supports
d’interprétations, c’est-à-dire qu’ils sont porteurs
de sens. En fonction des cultures, des pays ou des
régions du monde, les connotations diffèrent. Ainsi,
un même matériau peut être considéré comme noble
dans un pays et être décrié dans un autre. Il me semble
que l’appréciation culturelle d’un matériau renvoie à
un imaginaire collectif. Il est donc nécessaire pour
l’architecte de prendre en compte cet imaginaire
partagé afin d’opérer des choix : être en phase ou aller
à l’encontre de celui-ci pour affirmer sa singularité.
Les paragraphes précédents mettent en évidence
deux « niveaux de signification »1 de la matérialité. La
première peut être qualifiée de « matérialité visible ».
Elle correspond à l’apparence de la matière, à une
texture des matériaux, à la surface de l’architecture.
La seconde désigne la « matérialité imaginaire ». Elle
renvoie à l’expérience de chacun ou au vécu d’un
groupe d’individus. Pour définir complètement
la matérialité, il me semble nécessaire d’ajouter la
« matérialité intrinsèque », c’est-à-dire la structure interne
du matériau.
Les matières premières qui entrent en jeu lors
du processus de fabrication sont à l’origine des
propriétés physiques et mécaniques du matériau. Elles
lui confèrent des caractéristiques propres, un code
génétique particulier. En fonction des proportions du
Surface d’un bloc de béton cellulaire à la sortie d’usine.
16Tavaillons de mélèze de la Chapelle Sainte-Bénédicte, Peter Zumthor, Sumvitg, Suisse.
17
mélange et des transformations subies, les matériaux
acquièrent des capacités : porter, isoler, protéger ou
encore éclairer. Je pense que l’observation attentive et
l’analyse de ces capacités est source de réflexion. A
force d’éprouver le matériau, de tester ses possibilités
et d’atteindre ses limites, on révèle progressivement sa
personnalité. On découvre ses forces, ses faiblesses,
ses contradictions internes. On rend possible le fait
que le matériau dicte sa propre mise en œuvre et
génère sa propre expression.
1 Manfred Hegger, Hans Drexler, Martin Zeumer, Matérialité, Basics, Birkhauser, 2007, p9.
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19
La répétition / La variation
Depuis plusieurs années, je me questionne sur la
notion de répétition, tant en architecture que dans l’art,
en particulier la photographie. J’ai comme conviction
que la répétition d’un objet, lorsqu’il est mis dans un
système, acquiert de la force et peut être source de
beauté. L’introduction d’une variation (forme, couleur,
texture, mise en œuvre) rend possible plusieurs
interprétations. Lorsque la variation est « isolée » (un
élément qui diffère de tous les autres), un rapport
de force apparaît. L’élément isolé, par rapport aux
autres, peut alors paraître faible. Lorsque la variation
est « répétée » (quelques éléments qui différent des
autres), un rapport de référence s’installe. Les éléments
répétés sont des exceptions dues à des particularités.
Enfin, lorsque la variation est « généralisée » (tous les
éléments sont différents), un rapport de comparaison
naît. Les éléments sont analysés pour en distinguer les
différences.
Pour la réalisation de la Millard House (1923),
Frank Lloyd Wright utilise la répétition de modules.
Surnommée « La Miniatura », cette maison est
construite avec des blocs de béton préfabriqués.
Toutefois, les blocs ne sont pas tous identiques.
Certains sont texturés, les « textile blocks », d’autres
sont perforés. Cette variation à partir d’un même
module répétitif permet à Wright de composer « une
façade décorative inspirée de l’architecture précolombienne »1. En
fonction de leurs positions, les blocs perforés jouent
le rôle de claustras laissant passer la lumière et / ou
l’air. Ce que je trouve intéressant dans cette réalisation,
c’est la manière dont Wright met en scène le bloc de
béton préfabriqué. En effet, la répétition du module
ne rend pas monotone la façade car il introduit une
variation avec les blocs perforés. Le positionnement
des blocs sur la façade renvoie directement aux usages
des pièces se trouvant derrière. Il conjugue ainsi des
exigences fonctionnelles et esthétiques.
Cette réflexion sur la répétition est présente dans
mon esprit dès qu’un élément est dupliqué pour
former un système. Je pense par exemple aux murs
construits en briques, en blocs, ou en parpaings. Sur
l’île de Chiloé au Chili, des tuiles de cèdre nommées
Tuyaux en zinc, usine VMZinc, Auby.
20
« La variété est le prélude à la monotonie,
si tu veux l’éviter répète ton élément. »
Luigi Snozzi,Aphorisme destiné à ses étudiants
Tejuelas de cèdre, île de Chiloé, Chili.
21
tejuelas sont utilisées pour les façades des maisons
traditionnelles. La variation se retrouve alors dans la
forme des éléments. La tejuela la plus commune est
celle rectangulaire, mais il existe également des tuiles de
bois à extrémités arrondies, concaves, ou diagonales.
Lorsque ces dernières sont utilisées, il est possible
d’introduire une variation dans la mise en œuvre des
éléments. En effet, la répétition d’un même module
asymétrique instaure un dynamisme lorsque les tejuelas
sont disposées en sens inverse un rang sur deux. Frank Lloyd Wright, Textile block, 1923.© http://momstreet.blogspot.fr
1 Conférence de Claude Massu et Elizabeth Catherine Wright, Frank Lloyd Wright, l’actualité de l’architecture et de l’homme, ENSAPL, le 27.02.2014.
22
23
Le plein / Le vide
Parmi les aphorismes destinés à ses étudiants, Luigi
Snozzi énonce : « L’architecture est le « vide », c’est à toi
de le définir »1. Cette injonction, affirmée avec grande
persistance, m’évoque la dualité présente entre le
plein et le vide, le noir et le blanc. Elle fait référence
à la notion d’intérieur, d’espace en creux. Elle renvoie
également à l’idée d’une feuille blanche qui attend
d’être noircie.
Il me semble important de préciser ce que l’on entend
par la notion de « vide ». En effet, cette notion contient
plusieurs significations en fonction du domaine dans
lequelle elle est utilisée. En physique, on définit le vide
comme « un état correspondant à l’absence totale de toute
particule réelle »2. Dans le langage courant, le vide est
synonyme de néant, d’ « espace qui ne contient rien ». En
architecture, le vide est l’espace dans lequel on vit,
on se déplace, on respire. Il est souvent impalpable,
incolore et inodore. Or, le paradoxe est que ce vide est
en fait un plein. Il est rempli d’air, de gaz, d’atomes.
Le vide défini en architecture n’est donc pas absence
de matière mais plutôt absence de matière solide. On
le considère comme un vide car il peut être habité et
qu’il ne gêne pas nos déplacements, contrairement au
plein qui fait obstacle. Ainsi, le vide en architecture
existe par la présence de son contraire, le plein.
Le plein, à l’opposé du vide, représente la masse, la
lourdeur, l’épaisseur. Ce plein est, à la différence du
vide, manipulable. On peut le toucher, l’observer, le
sentir. Il est l’élément indissociable du vide car il est
à la base de son existence. Point de plein sans vide,
ni de vide sans plein. Ainsi, le plein vient contenir le
vide, définir une intériorité, et créer une limite entre
l’intérieur et l’extérieur. Il me semble intéressant de
considérer ce vide comme un potentiel. En cela,
je pense à un espace en attente d’être rempli, qui a
la capacité d’accueillir de la vie, des usages, et des
habitants.
On peut mettre en parallèle cette notion de potentiel
avec la démarche du projet. Lorsque l’on débute
celui-ci, on est parfois confronté à la feuille blanche.
Le vide, c’est aussi ce blanc qui attend d’être dessiné.
Diaphragme de l’Institut du monde arabe, Jean Nouvel, Paris.
24Big Air Package, Christo et Jeanne Claude, Oberhausen, Allemagne.
25
La seconde partie de l’aphorisme évoque cette
nécessité pour l’architecte de définir le plein pour faire
ressortir le vide. Je me rappelle d’un cours montrant
les deux manières de dessiner un cercle. La première
technique consiste à tracer le contour, c’est-à-dire le
périmètre du cercle sur une feuille. Ainsi, on obtient
un dessin d’un cercle blanc sur une feuille blanche.
La deuxième manière pour dessiner un cercle est de
noircir progressivement une feuille jusqu’à laisser une
réservation de blanc au centre de celle-ci. Ainsi, le
cercle se dessine en négatif, par soustraction. Cette
seconde approche me semble très intéressante car elle
considère le vide comme un évidement de la masse.
Elle renvoie à l’idée d’une cavité que l’on viendrait
creuser pour s’y loger.
1 Luigi Snozzi, Aphorismes, 1973-1975.2 Dictionnaire, Editions Larousse, 2012.
26
27
L’épaisseur habitée
L’idée de se loger dans la masse m’attire. Dans ma
jeunesse, les soirs d’été, je m’installais à la fenêtre de
ma chambre pour prendre l’air. Un livre à la main,
je faisais lecture tout en restant assis sur l’appui de
fenêtre mesurant à peine 20 cm de profondeur.
Cela n’était pas très confortable, mais je pouvais y
rester plusieurs heures. La sensation d’être à la fois
à l’intérieur et à l’extérieur m’intriguait. Je rêvais de
pouvoir installer mon matelas dans l’épaisseur du
mur, sur l’allège, profitant ainsi d’un lit confortable et
d’une vue lointaine.
Ce souvenir d’enfance m’est revenu à l’esprit dans
l’école primaire de Paspels, en Suisse. Construite par
Valerio Olgiati (1998), cette école renvoie à l’idée
d’un monolithe, d’une masse réelle. Les murs se
composent de deux voiles en béton armé de 25cm
d’épaisseur, séparés par un isolant. Cela permet
d’avoir des murs en béton apparent à l’extérieur et à
l’intérieur de l’édifice. L’effet de masse est accentué
par les menuiseries des fenêtres placées au nu intérieur
dans les salles de classe et au nu extérieur dans les
circulations. Dans ces dernières, il est possible de
s’asseoir sur l’allège de 60 cm de profondeur. J’ai donc
à nouveau fait l’expérience d’habiter l’épaisseur d’un
mur. La sensation de fraicheur qui apparait au contact
du béton s’estompe rapidement lorsque l’on regarde
par la fenêtre. Profitant du paysage des Grisons, on
observe les cerisiers blancs en fleur, le clocher du
village en contrebas, les montagnes aux sommets
enneigés. Le son des branches balancées par le vent
est inaudible. Au contraire, les pas des enfants qui
circulent dans les couloirs au premier étage raisonnent
dans toute l’école. On se sent appartenir à la fois à
l’extérieur et à l’intérieur. Habiter cet espace privilégié
incite à rêver :
Entre-deux
Quelle sensation de faveur,
De se trouver dans l’épaisseur,
A l’interface entre deux mondes.
La vue fixée sur l’extérieur,
L’ouïe restreinte à l’intérieur,
Le toucher dans l’interstice.
Rêverie à l’Ecole primaire de Paspels, Valerio Olgiati, Suisse.
28Alcôve dans un mur double en blocs de béton cellulaire, Maquette échelle 1/10e.
29
Cette notion d’épaisseur habitée est à la base de ma
réflexion. Mes premières expérimentations ont porté
sur la mise en place d’un mur épais pouvant accueillir
des usages. Je me suis alors intéressé aux variantes du
mur habité1, notamment à la différence entre le mur-
massif habité et la masse habitée. J’ai découvert que le
mur massif habité correspond à une masse réelle, un
mur épais dans lequel viennent s’insérer des espaces.
Il fait référence aux niches, cavités, alcôves, cellules
et circulations verticales présentes dans les châteaux
forts et les maisons-tours écossaises. Contrairement
au mur habité, la masse habitée est une conception
métaphorique, une masse perçue. Elle « consiste à
organiser des espaces vides « creusés » dans une masse d’espaces
« pleins » »2.
Malgré leurs différences, ces deux notions posent la
question de la limite entre l’intérieur et l’extérieur.
Quel statut possède l’espace poché, la zone grise entre
ces deux régions ? Joue t’il le rôle de limite franche, de
seuil ou d’interface ? Dans son ouvrage Atmosphères,
Peter Zumthor se fascine pour les bâtiments qui
possèdent cette « masse », cette « lourdeur des choses »,
ces « murs épais ». Il explique qu’il essaye toujours de
« faire des bâtiments où la forme intérieure, donc l’espace vide à
l’intérieur, n’est pas semblable à la forme extérieure. Où vous
ne pouvez pas simplement prendre un plan et y tirer des traits,
là, pour les murs, douze centimètres d’épaisseur, et cette division
définit l’extérieur et l’intérieur, mais qui offre au contraire des
masses cachées à l’intérieur, que vous ne reconnaissez pas »3.
Cependant, la notion d’épaisseur habitée n’est pas
toujours synonyme de masse. Elle peut être associée
à des éléments fins, légers et transparents. C’est le cas
au Grand Sud à Lille, lieu culturel construit par Anne
Lacaton et Jean-Philippe Vassal (2013). Dans ce projet,
la façade se compose de murs-serres ayant une épaisseur
qui varie entre 1,5 m et 2 m de large. L’interstice entre
la paroi extérieure, composée de coussins en ETFE,
et la paroi intérieure fabrique un espace habité par
les plantes et habitable par l’homme : les jardiniers
peuvent s’occuper des végétaux, les habitants peuvent
venir planter des graines. Ainsi, l’épaisseur des parois
intérieures et extérieures est réduite à son minimum,
de l’ordre de quelques centimètres. C’est dans l’optique
de « ne mettre aucune matière qui n’est pas utile »4 qu’Anne
Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont pensé cette
façade-serre habitée. Ce dispositif est également un
moyen de contrôler la thermie de l’édifice. En effet,
cet entre-deux fonctionne comme un vide d’air. Il
crée un espace tampon entre la température extérieure
30
« Et j’essaie toujours de faire des bâtiments où la
forme intérieure, donc l’espace vide à l’intérieur,
n’est pas semblable à la forme extérieure. Où
vous ne pouvez pas simplement prendre un plan
et y tirer des traits, là, pour les murs, douze
centimètres d’épaisseur, et cette division définit
l’extérieur et l’intérieur, mais qui offre au
contraire des masses cachées à l’intérieur, que vous
ne reconnaissez pas. C’est comme un clocher aux
murs évidés dans lesquels vous monteriez. »
Peter Zumthor, Atmosphères, Birkhauser, 2008.
Eglise du village d’Isluga, Chili.
31
et celle intérieure. Les ouvrants de la serre permettent
de contrôler les échanges thermiques et d’assurer une
ventilation naturelle.
1 Benjamin Laurent et Marine Puissant, Le mur habité, Séminaire Théorie et Projet sous la direction de Jacques Lucan, Janvier 2011.2 Ibid., p46.3 Peter Zumthor, Atmosphères, Birkhauser, Basel, 2008, p51.4 Conférence d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Le Frac / Dunkerque : « Plus ou moins… », Palais des Beaux-Arts de Lille, le 06.03.2014.
Façade-serre habitée du Grand Sud, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Lille. © http://jardindugrandsud.wordpress.com
32
33
La transformation de la matière en matériau
Ma démarche, qui considère le matériau comme point
de départ d’une réflexion, s’inscrit dans une recherche
sur le béton cellulaire. J’évoquais en introduction la
volonté de faire ma propre expérience, notamment en
visitant des usines, afin de porter un regard critique
et personnel sur le processus de fabrication. Il me
semble important de rappeler que l’architecte se situe
en aval de la production et qu’il est nécessaire pour lui
de travailler avec les contraintes liées aux matériaux.
La connaissance de ces contraintes, qu’elles soient
de l’ordre de la production, du dimensionnement,
ou encore de la logistique, permet une intégration de
celles-ci dès la phase de conception. De cette manière,
l’architecte compose avec, sans les subir. Il peut
également apporter sa réflexion sur une intervention
dans le processus de fabrication afin d’innover et de
conférer aux matériaux de nouvelles caractéristiques.
Pour comprendre l’origine du béton cellulaire, il m’a
semblé pertinent d’aller voir une usine de production,
lieu de transformation de la matière en matériau. J’ai
donc pris contact avec l’entreprise Cellumat située à
Saint-Saulve (59), à côté de Valenciennes. Lors de la
visite d’usine, j’ai découvert les étapes de la fabrication
du béton cellulaire.
Tout d’abord, le sable à haute teneur en silice est
finement broyé à l’aide de billes d’acier. Il est dosé,
puis mélangé avec du ciment, de la chaux, de l’eau et de
la poudre d’aluminium. Ce mélange est ensuite versé
dans un moule rempli à mi-hauteur : c’est la coulée.
La masse, ou pâte, repose alors pendant deux heures
afin d’acquérir une certaine dureté. Lors de cette
étape, une réaction chimique d’émulsification permet
à la masse de doubler de volume : on parle de levage.
Après cette étape, la masse est démoulée, placée sur sa
tranche, puis découpée à l’aide de fils d’aciers tendus.
Les produits semi-finis sont ensuite cuits durant huit
heures, à une température de 180°C et une pression
d’environ 10 bars : c’est l’autoclavage. Enfin, à la
sortie du four, les blocs sont mis sur palettes, protégés
par des housses plastiques, et stockés avant livraison.
Les deux étapes majeures de la fabrication du béton
cellulaire sont le levage de la masse et la cuisson en
Découpe de la masse à l’aide de fils d’acier, usine Cellumat, Saint-Saulve.
34Mélange de poudre d’aluminium, coulée et autoclavage, usine Cellumat, Saint-Saulve.
35
autoclave (autoclavage) car elles sont à l’origine des
deux capacités principales du matériau : isoler et
porter.
Au moment du levage, la réaction entre la poudre
d’aluminium et la chaux produit un dégagement
d’hydrogène. Cette formation de gaz fait lever la
masse de béton frais et génère la création de cellules.
En cours de durcissement de la masse, l’hydrogène
se libère et les cavités se remplissent d’air. C’est cet
air, emprisonné et immobile, qui confère au béton
cellulaire un pouvoir isolant. Par ailleurs, les milliers
de cellules sphériques et fermées contenues dans la
masse sont à l’origine de l’appellation béton cellulaire.
L’autoclavage permet au béton cellulaire d’obtenir ses
propriétés mécaniques définitives. En effet, la cuisson
en autoclave permet de réaliser des réactions chimiques
en utilisant de la vapeur d’eau sous pression. C’est grâce
à cette vapeur d’eau que la chaux réagit avec la silice
du sable pour former des silicates de calcium hydratés.
Les cristaux de ce minéral, possédant une forme et
une composition particulière, confèrent aux fines
parois du béton cellulaire une grande solidité. Ce sont
ces parois qui résistent aux efforts de compression.
Etapes du processus de fabrication du béton cellulaire. © http://cellumat.fr
36
37
Propriétés mécaniques du béton cellulaire
Le béton cellulaire appartient à la catégorie des bétons
légers car il possède une masse volumique comprise
entre 350 kg/m3 et 650 kg/m3. Celle-ci est nettement
inférieure à celle d’un béton ordinaire, de l’ordre de
2400 kg/m3. Cette caractéristique est due au fait que
le volume d’air contenu dans les cellules représente
80% du volume du béton cellulaire (bloc de 400
kg/m3). Les 20% restants correspondent à la masse
solide. Cette relation volume d’air / volume de béton
varie en fonction des masses volumiques et donc de la
composition du mélange. Pour une densité égale à 400
kg/m3, la proportion des matières premières est de :
- 64% de sable de quartz (composé de 95% de silice)
- 21% de ciment
- 15% de chaux
- 0,05% de pâte ou poudre d’aluminium
- Eau
La masse volumique détermine le pouvoir porteur
du béton cellulaire. Plus sa densité est élevée, plus sa
résistance aux efforts de compression sera grande.
Ainsi, pour obtenir une masse volumique supérieure,
il est possible de modifier deux critères. Le premier
consiste à augmenter la proportion de ciment et de
sable dans le mélange. Plus la proportion de ces deux
matières premières est grande, plus la densité du
béton cellulaire sera élevée. Le deuxième correspond
à la diminution de la quantité de poudre d’aluminium
dans le mélange. Plus cette quantité est faible, moins il
y a réaction avec la chaux, et par conséquent, moins il
y a de cellules formées. Il en résulte que le volume d’air
sera inférieur à 80% du volume du béton cellulaire.
Dans un béton ordinaire, le transfert des efforts se
fait au travers des granulats, le ciment servant de liant
entre les agrégats. Dans le cas du béton cellulaire,
le transfert des contraintes se réalise au travers des
parois des cellules. Pour cette raison, il est important
que les cellules soient petites, sphériques, et réparties
de façon homogène dans la masse. En fonction de la
masse volumique du béton cellulaire, la résistance à
la compression varie entre 3MPa (N/mm²) pour un
bloc de 350 kg/m3 et 6MPa (N/mm²) pour un bloc
Surface d’un bloc de béton cellulaire cassé.
38Schéma de principe du transfert des efforts dans le béton et le béton cellulaire.
Béton cellulaireBéton
39
de 650 kg/m3. Il faut également noter que le béton
cellulaire est un matériau isotrope, c’est-à-dire que ses
propriétés mécaniques sont identiques dans toutes les
directions.
Afin de résister à des charges de flexion, certains
éléments en béton cellulaire sont armés. C’est le
cas des linteaux, des dalles de toitures ou des dalles
de plancher. Pour cela, avant la coulée, des treillis
d’armature préalablement traités contre la corrosion
sont déposés et maintenues par entretoises au fond
des moules. Après le levage de la masse, les fils
d’aciers découpent les éléments armés dans le sens de
la longueur.
Vue microscopique du béton cellulaire, 100 µm = 0,1 mm.© Michael Scheffler et Paolo Colombo, Cellular Ceramics, 2006.
40
41
Caractéristiques physiques du béton cellulaire.
Mes premières expérimentations ont consisté à mettre
à l’épreuve la surface du béton cellulaire. Lorsque
les blocs sortent de l’usine, les faces des blocs sont
uniformes. Elles possèdent une faible rugosité due à la
découpe par les fils d’aciers. Il m’a semblé intéressant
de profiter du caractère manipulable de ce matériau,
(faible poids, friabilité, découpe aisée) afin de découvrir
ses possibilités d’aspérités. Ainsi, j’ai effectué des tests
d’altération de surface pour observer sa matérialité
visible. Taillés, cassés, sciés, martelés, rainurés, lissés,
limés, creusés, les blocs de béton cellulaire gardent
l’empreinte des mutilations dans leur masse. Des
niveaux de rugosité apparaissent, créant ainsi des jeux
d’ombres et de profondeur.
Ces expérimentations ont fait apparaître une nouvelle
caractéristique du béton cellulaire : son apparence de
pierre. En effet, tous ces tests d’altération de surface
m’ont fait penser à la pratique de la stéréotomie,
c’est-à-dire « l’art de la coupe des pierres en vue de leur
assemblage »1. Ainsi, le béton cellulaire instaure une
ambigüité entre son appartenance à la famille des
bétons, dont il possède les capacités, et sa texture de
pierre. Cette dernière est flagrante lorsque les blocs
sont cassés pour laisser apparaître les milliers de
cellules. La ressemblance avec des pierres poreuses ou
volcaniques telle la pierre ponce est alors certaine.
Par la suite, un regroupement avec d’autres étudiants
m’a permis de confronter le béton cellulaire avec une
matière plastique, souple et transparente. Nous avons
alors exprimé la volonté de tirer partie de l’association
de ces matériaux d’un point de vue de l’usage, de la
thermie et des ambiances. Cette confrontation de
matériaux a également fait surgir une idée sous jacente
que je n’avais pas encore exprimée : la tension entre
lourdeur et légèreté.
Tests d’altération de surface du béton cellulaire.
1 Dictionnaire, Editions Larousse, 2012.
42
43
Des tensions intrinsèques au matériau
Imaginez un volume de 72000 m3 et de 37 m de
hauteur qui se dresse devant vous. De forme ovoïde
et de couleur sombre, cette sculpture monumentale
semble prête à écraser n’importe quel visiteur qui
s’approcherait trop près de sa surface. Et pourtant,
c’est une membrane en PVC de 2mm d’épaisseur
qui crée cette impression. Avec Léviathan (2011), son
œuvre exposée dans la nef du Grand Palais à Paris,
Anish Kapoor se joue des sensations contradictoires.
A la simple vue, l’œuvre parait pesante et massive. Au
toucher, l’œuvre devient molle et légère. Ainsi, Anish
Kapoor montre qu’il est possible de faire passer un
matériau pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire de faire
paraître lourd un matériau léger.
Maintenant, imaginez un bloc de granite mesurant
6,5 m de large, 6,5 m de haut, et pesant 340 tonnes.
Imaginez ce même bloc situé à 4,5 m de hauteur, juste
au dessus de votre tête. Effrayant, non ? C’est pourtant
l’expérience que propose Michael Heizer aux visiteurs
du LACMA (Los Angeles County Museum of Art).
L’œuvre, intitulée Levitated Mass (2012), se compose
d’un rocher posé au dessus d’une tranchée de 140m
de long. Deux supports fixés dans les murs en béton
armé soutiennent le bloc de pierre qui semble en
totale lévitation. Ainsi, Michael Heizer installe une
contradiction entre la perception de la masse renvoyée
par le rocher et la sensation de légèreté due à la mise
en œuvre.
Ces deux exemples montrent comment des dispositifs
et des subterfuges maitrisés peuvent faire naître des
perceptions inverses. Jouer sur l’ambigüité entre
lourdeur et légèreté signifie jouer avec la faiblesse de
notre esprit face à nos sensations. Ce qui paraît lourd
ne l’est peut être pas. Au contraire, ce qui paraît léger
est peut être lourd.
Le béton cellulaire présenté sous forme de blocs peut
sembler massif au premier abord. Visuellement, il fait
penser à un parpaing plein, de couleur blanchâtre, et
aux dimensions légèrement supérieures. Cependant,
en portant un bloc de béton cellulaire, on se rend
immédiatement compte de sa légèreté. Sa masse
Leviathan, Anish Kapoor, 2011.© Cédric Michel
44Levitated Mass, Michael Heizer, 2012.© http://lacma.org
45
volumique, comprise entre 350 et 650 kg/m3, est deux
à trois fois plus petite que celle de l’eau (1000 kg/
m3). Une tension entre lourdeur et légèreté est donc
présente au cœur même du matériau. Cette tension
n’est pas seulement affaire de sensations. Elle est
également liée à l’usage des blocs qui dépend de la
masse volumique. Plus elle est élevée, plus le bloc
sera porteur et moins il sera isolant. Cela fait donc
référence au rapport existant entre le volume de masse
solide (20%) et le volume d’air emprisonné (80%).
Enfin, on peut considérer que le béton cellulaire porte
une tension entre lourdeur et légèreté jusque dans sa
dénomination. Le terme « béton » renvoie à l’idée de
masse, de pesanteur et de monolithe, tandis que le
terme « cellulaire » renvoie à des éléments alvéolaires,
fragiles et aériens. On peut alors parler d’oxymore
dans le sens où ce nom et cet adjectif sont placés côte
à côte, alors que leurs sens divergent.
Mais comment jouer avec les apparences et les réalités
afin de créer des situations inattendues suscitant
la surprise ? Tout d’abord, il me semble intéressant
d’explorer les dispositifs qui permettent de renforcer
l’idée de lourdeur. Est-ce que le simple fait de rajouter
de la matière là où elle n’est pas nécessaire suffit à
rassurer un observateur ? N’est ce pas la confrontation
avec un élément bien plus léger et fragile qui permet
d’apaiser le regard ? Il est vrai que l’œil opère par
comparaison et le même objet disposé dans deux
situations différentes peut paraître lourd ou léger en
fonction des éléments associés. Dans la même idée,
je souhaite découvrir les moyens qui permettent
d’accentuer le caractère léger d’un élément. Est-ce
que le décollement et la présence de joints creux sont
susceptibles de remplir cette fonction ? La légèreté
n’est elle pas associée à des éléments aériens ?
Ainsi, c’est dans la mise en œuvre du béton
cellulaire qu’il sera possible de créer des sensations
contradictoires. Un mur porteur pourra être assimilé
à un élément lourd si l’on rend visible les éléments
portés. L’utilisation de dispositifs peut aussi permettre
de le rendre plus lourd qu’il ne l’est vraiment. Au
contraire, il sera possible de le faire paraître léger aux
travers de mises en œuvre particulières. Ainsi, un
jeu entre apparences et réalités s’instaure. On peut
alors se demander comment la mise en œuvre du
béton cellulaire peut révéler les tensions intrinsèques
qui existent au sein du matériau, en particulier celle
présente entre lourdeur et légèreté ?
46
47
Mise en œuvre du béton cellulaire
Nos expérimentations de groupe ont alors portées sur
l’assemblage des blocs entre eux. L’hypothèse était
que la manière de mettre en œuvre le béton cellulaire
pouvait influencer la perception que l’on a du matériau.
Dans un appareillage traditionnel, la pose des blocs
de béton cellulaire se fait à joints croisés, à l’aide de
mortier colle. Ce joint mince, de l’ordre de 1,5 mm,
permet une répartition homogène des charges.
Tout d’abord, nous nous sommes intéressés à l’effet
de masse que pouvait procurer les blocs de béton
cellulaire. Pour cela, nous avons opéré un décalage
par rapport à la maçonnerie traditionnelle. Afin de
profiter de l’apparence de pierre du béton cellulaire,
nous avons assemblé des blocs cassés de manière à
laisser apparent leur tranche et non leur face. Cela
avait pour avantage de ne plus retrouver le module 60
x 25 cm d’un bloc. Nous profitions ainsi des épaisseurs
disponibles dans la gamme du béton cellulaire, de 5 à
50 cm. La rugosité due aux blocs cassés rendait la paroi
massive car les joints entre les blocs avaient tendance
à s’effacer. Ainsi, la paroi devenait monolithique avec
des blocs assemblés. Cette idée de masse venait en
contradiction avec la faible masse volumique du béton
cellulaire.
La constitution de parois pleines rendait l’effet de
lourdeur que l’on souhaitait obtenir. Cependant,
comment savoir si cette masse n’était pas un simple
revêtement de quelques centimètres ? Nous avons
donc évoqué l’idée de composer une paroi ajourée,
afin de percevoir la profondeur des blocs, et de se
rendre ainsi compte de l’épaisseur du mur. Nous avons
accentué cet effet de profondeur en plaçant des blocs
en redans. En opérant ainsi, nous nous sommes rendu
compte que l’effet de profondeur était également
marqué par les jeux de lumière. Les ombres portées
dessinaient des formes qui vacillaient en fonction de
la luminosité (fig.1).
Assemblage de blocs de béton cellulaire sur leur tranche avec surface cassée.
48Expérimentations sur l’effet de masse et le décollement.
fig.2
fig.3fig.1
fig.4
49
En parallèle de ces recherches sur l’effet de masse,
d’autres expérimentations ont été menées. L’objectif
était de construire un mur qui serait en lévitation, dont
les blocs pourraient être suspendus, sans toucher le sol.
Ainsi, nous voulions mettre en exergue les tensions
intrinsèques au béton cellulaire. Tout d’abord, nous
avons essayé de faire paraître aériens les blocs. En
jouant sur la notion d’équilibre, nous avons mis en
place un dispositif qui rendait à la fois massif et fragile
la construction. Le socle permettait d’asseoir le regard
et de supporter les charges. Par comparaison, les
blocs disposés au dessus du soubassement semblaient
prêts à tomber. Les faibles points de contact entre les
blocs et la proportion de vide par rapport au plein
produisaient un effet de légèreté (fig.2).
Par ailleurs, nous avons testé plusieurs manières
d’exprimer le décollement. Ce dernier pouvait être
décliné à plusieurs échelles, d’un niveau d’étage afin
de pouvoir passer sous la masse (fig.3) à quelques
centimètres pour percevoir un joint creux (fig.4). De
ces travaux, il en résulte que la masse est considérée en
lévitation que lorsque le support des blocs est caché.
La mise en place d’un linteau afin de reprendre les
charges dues à la flexion annule l’effet voulu. Cette
idée de masquer les points porteurs est à mettre
en relation avec Levitated Mass de 1982, réalisée par
Michael Heizer. Dans cette œuvre, un rocher de 11
tonnes semble flotter sur de l’eau en mouvement.
Cette perception est possible par le fait que les points
d’accroche qui soutiennent le bloc de pierre sont
masqués. C’est parce qu’il est impossible de voir
les supports qu’une contradiction apparaît entre la
perception de la masse renvoyée par le rocher, et celle
de la légèreté due à la mise en œuvre.
Enfin, il nous est apparu que le décollement est réel
lorsque l’on se détache de la maçonnerie traditionnelle,
c’est-à-dire de l’empilement des blocs les uns sur les
autres. Lorsque les blocs sont posés à joints croisés,
les efforts de compression sont verticaux. Les charges
sont transmises de bloc en bloc jusqu’au sol. La vision
des blocs reposant les uns sur les autres informe donc
du cheminement des efforts. Afin de se détacher
de cette logique de superposition, il nous a semblé
pertinent de mettre en compression horizontale les
blocs de béton cellulaire. En cela, nous utilisions le
caractère isotrope du béton cellulaire. Ses propriétés
mécaniques étant identiques dans toutes les directions,
sa résistance à la compression est donc la même
50Expérimentations sur la compression horizontale.
fig.5
fig.7
fig.8
fig.6
51
horizontalement et verticalement. Ainsi, nous avons
expérimenté différentes manières d’exercer cette
compression horizontale avec des blocs disposés
verticalement. En utilisant un serre-joint, nous nous
sommes rendu compte que le béton cellulaire résistait
mal à l’écrasement local (fig.5). Nous avons donc mis
en place des éléments de répartition afin de transmettre
les efforts sur la surface du bloc et non sur un point
particulier. Ensuite, nous avons utilisé une sangle afin
de mettre en compression des blocs de plus grande
dimension (fig.6 et fig.7). Nous avons alors joué sur
la hauteur du décollement. Celui-ci pouvait être de
quelques centimètres, laissant passer une lumière
diffuse qui viendrait se glisser sous la paroi (fig;8). Il
pouvait également être d’une hauteur d’étage. Dans
ce cas, les blocs mis en compression fonctionneraient
comme un linteau. Expérimentation sur la possibilité de réaliser des poutres à partir de blocs de béton cellulaire 60 x 25 cm.
52Assemblage des dalles de granit avec les plats en acier, Punt da Suransuns, Jurg Conzett, Viamala, Suisse.
53
Levitated Mass, Michael Heizer, 1982.© http://clapforbacon.blogspot.fr
Ainsi, il est possible d’obtenir l’effet de lévitation
en mettant en compression horizontale les blocs de
béton cellulaire. Cette idée est à mettre en parallèle
avec la passerelle construite par Jurg Conzett sur la
Viamala, au dessus du Rhin supérieur. En effet, le
Punt da Suransuns (1999) est un pont suspendu
qui utilise la technique du ruban précontraint afin
de mettre en compression des plaques de granit de
6 cm d’épaisseur. Cette réalisation s’est effectuée en
plusieurs étapes. Il y a d’abord eu ancrage des plats en
acier inoxydable dans des massifs en béton situés sur
chaque rive. Ensuite, les dalles en granit ont été fixées
sur les plats par l’intermédiaire des potelets de garde
corps. Enfin, une fois la structure assemblée, les plats
en acier ont été précontraints avec un compresseur
hydraulique afin de créer un arc mince inversé. Jurg
Conzett dessine ainsi une ligne dans le paysage, un
trait de 6 cm d’épaisseur qui permet de franchir 40 m
de portée.
54
55
Ce qui m’a interpellé lors de ma première visite de
la gare Saint-Sauveur, ce sont les effets de lumière
engendrés par les lanterneaux de la halle B. Ce jour là,
l’alternance d’éclaircies et de nuages faisait scintiller
la lumière, mettant en valeur la structure répétitive en
béton armé. Des jeux d’ombres se dessinaient au sol
et sur les murs intérieurs de la halle. L’ombre portée
des poteaux et des entraits séquençait à intervalles
réguliers l’espace. D’autres ombres, plus diffuses,
se mêlaient à la lumière directe. Au passage d’un
nuage, mon attention ne se portait plus sur les jeux
de lumière, mais sur les couleurs vives présentes aux
murs. Les graffitis, tags et dessins se détachaient de la
couleur sombre de la structure des halles. Ils captaient
mon regard qui était attiré par effet de contraste vis-
à-vis de l’existant.
Sur le site, je me suis également intéressé à deux
mises en œuvre de la brique qui me semblaient non
traditionnelles. La première se situe en imposte des
ouvertures de la halle A. La disposition des briques en
quinconce, reposant à ¼ sur le rang du dessous, met
en place un moucharabieh. Celui-ci permet de filtrer
la lumière, mais également de ventiler la halle. Lorsque
l’on se trouve en face, ce filtre laisse passer les vues.
On observe alors, au second plan, les branches des
arbustes vaciller avec le vent. Lorsque l’on se déplace
sur le côté, la profondeur des briques rend opaque
la paroi. Ainsi, le contact avec l’extérieur disparaît.
La seconde mise en œuvre particulière de la brique
se situe dans la halle B, sur la façade Nord. Un mur
en briques a été construit après la structure en béton
pour que le déchargement des marchandises se fasse
à l’intérieur. Contrairement à celles qui donnent sur
l’extérieur, les briques utilisées à l’intérieur possèdent
de nombreuses aspérités. Elles semblent avoir été
maçonnées rapidement avec du mortier grossier. Ainsi,
une rugosité apparaît sur le mur, créant des effets de
profondeur. L’ouverture zénithale, qui se situe entre
le mur en briques et l’auvent en béton, apporte une
lumière rasante qui met en valeur cette rugosité. Des
ombres portées apparaissent alors sous les briques les
plus en débord.
Les halles Saint-Sauveur : des capacités à exploiter
Jeux de lumière dans la halle B de la gare Saint-Sauveur, Lille.
56Lumière rasante sur le mur en briques de la halle B, gare Saint-Sauveur, Lille.
57
Je considère ces halles comme des édifices possédant
des capacités, c’est-à-dire comme ayant l’aptitude
à recevoir des modifications, des évolutions, des
transformations. Ainsi, je pense que les halles A et
B de la gare Saint-Sauveur possèdent des « capacités
de volumes ». De par leur longueur, 300 m (halle A)
et 400 m (halle B), et leur surface au sol, 6000 m²
(halle A) et 10000 m² (halle B), elles peuvent accueillir
des programmes variés. Une partie de ces halles est
d’ailleurs déjà occupée par un bar restaurant (halle A)
et un lieu d’exposition (halle B). De plus, les halles A et
B possèdent des « capacités de sols ». Ancienne gare de
marchandises, les quais de déchargement sont encore
présents à l’intérieur comme à l’extérieur. Ces quais
sont construits en béton armé et peuvent supporter
des charges importantes. Cette caractéristique me
semble essentielle car elle permet de considérer
ces sols comme des dalles ayant des « capacités
portantes » susceptibles de soutenir une structure
secondaire afin d’éviter de fonder.
58
59
L’enjeu énergétique : le cycle de vie des matériaux
Je pense que les questions énergétiques d’un bâtiment
doivent être prises en compte dès la phase de
conception du projet. L’implantation, la morphologie
et les dispositifs spatiaux doivent constituer les
paramètres essentiels de la réflexion sur la performance
énergétique. Toutefois, il me semble que l’utilisation
de matériaux naturellement performants peut être une
voie fondatrice d’une démarche environnementale.
Dans la prochaine RT2020, les enjeux iront au-delà
d’une simple réglementation thermique du bâtiment.
La réflexion portera sur la consommation énergétique
globale d’un édifice en termes de ressources, de
déchets et d’énergie grise. Le cycle de vie des
matériaux, de sa fabrication jusqu’à son recyclage,
sera alors analysé afin de prendre en compte son
impact réel sur l’environnement. Les enjeux futurs
de la performance énergétique se situent donc sur
l’utilisation de matériaux à faible énergie grise, c’est-
à-dire des matériaux qui consomment peu d’énergie
au cours de leur cycle de vie. L’objectif est de réduire
au maximum l’empreinte énergétique globale des
édifices.
Ainsi, il me semble important d’observer attentivement
le cycle de vie du béton cellulaire afin de découvrir
sa consommation d’énergie de son origine jusque sa
fin de vie. Tout d’abord, le processus de fabrication
des matériaux est dépendant de l’apport de matières
premières. Dans le chapitre précédent, j’évoquais la
composition du béton cellulaire : du sable (64%),
du ciment (21%), de la chaux (15%) et de la poudre
d’aluminium présente en très faible quantité (0,05%).
Toutes ces matières premières sont présentes en
abondance dans la nature. Il est donc aisé de s’en
procurer afin de les intégrer dans le processus de
fabrication du béton cellulaire. Pour exemple, le sable
utilisé par l’entreprise Cellumat provient de l’estuaire
de l’Escaut. En outre, le béton cellulaire optimise la
consommation de matières premières dans le sens où
le volume de matière solide ne représente que 20% du
volume total du matériau. Ainsi, 500 kg de matières
premières suffisent à produire 1 m3 de béton cellulaire.
A titre de comparaison, la production d’1 m3 de béton
ordinaire nécessite 600 kg de sable, 1200 kg de gravier,
350 kg de ciment et 180 L d’eau.
Le « Mont blanc », chutes de béton cellulaire en attente d’être recyclées, usine Cellumat, Saint-Saulve.
60Dispositif thermique d’un patio, Quartier Vauban, Fribourg, Allemagne.
61
Par ailleurs, la consommation d’énergie moyenne
nécessaire à la fabrication du béton cellulaire est de 200
KWh/m3. Cette valeur correspond environ au tiers de
ce qui est nécessaire pour fabriquer d’autres matériaux
de gros œuvre : 500 KWh/m3 pour le béton, 700
KWh/m3 pour la terre cuite perforée. Cette valeur est
faible grâce au procédé d’autoclavage qui nécessite peu
d’énergie (température de 180°C, pression de 10 bars)
et dont 90% de la vapeur d’eau produite est réinjectée
dans le circuit de fabrication. Au cours du processus
de fabrication, 100% des chutes liées au découpage
des produits avant autoclavage sont recyclées. Après
autoclavage, ce sont plus de 90% des surplus qui sont
remis dans le cycle de fabrication. Les 10% restants
sont broyés puis utilisés pour des usages annexes à la
construction. Enfin, grâce à sa légèreté, le transport
du béton cellulaire jusqu’au chantier est facilité. Lors
de sa mise en œuvre, plusieurs avantages permettent
de réduire les consommations d’énergies. Les blocs
ordinaires peuvent être portés par une seule personne.
Il n’est donc pas nécessaire d’utiliser des moyens de
levage mécanisés. En outre, la faculté de scier le béton
cellulaire permet l’utilisation de la quasi-totalité des
produits livrés. Cela réduit au minimum les chutes à
évacuer et n’engendre pas de surcoût de transport.
62
63
Le co-design : une gestion des degrès d’intimité
Je suis convaincu que l’architecture ne doit pas être
considérée comme un domaine cloisonné, mais
comme un champ ouvert, capable de tisser des
liens et de s’enrichir auprès d’autres disciplines. En
cela, l’architecture s’inscrit dans la complexité au sens
d’Edgar Morin : « Au premier abord, la complexité est un
tissu (complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants
hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe
de l’un et du multiple »1. Il me semble important de
citer cette phrase car elle exprime un « enchevêtrement
d’entrelacements ». Elle évoque les correspondances à
établir entre les disciplines. Elle représente la notion
de « transdisciplinarité » que j’ai découverte au cours
de mes études d’architecture et qui a été source de
mon épanouissement.
Le co-design, qui consiste à concevoir un projet
en commun, va dans le sens d’un décloisonnement
des disciplines. Il a pour principe de réunir des
compétences afin de proposer des innovations que
chacun, séparément, n’aurait pu imaginer. A la fois
lieu et mode de conception, le co-design permet
donc de faire interagir des acteurs venant d’horizons
différents tels des architectes, des ingénieurs ou encore
des designers. Il me semble important que ce type de
lieu puisse favoriser la collaboration, l’échange et le
partage des connaissances. La visite du centre Vauban,
lieu de co-design à Lille, m’a fait prendre conscience
de l’importance de proposer différentes manières
de travailler ensemble. La multiplication des coins
et recoins, des parois opaques, ajourées ou vitrées
permet de faire varier le degré d’intimité. Ainsi, il est
possible de travailler en groupe ou individuellement
dans une même pièce. Laisser la possibilité de s’isoler,
c’est également permettre de mieux se concentrer
afin d’améliorer le travail de groupe. Pour cela, il
me semble primordial de mettre en place une série
de filtres plus ou moins perméables. Les vues, les
bruits ou encore les déplacements peuvent ainsi être
contrôlés. Cette perméabilité fait également référence
à l’idée de curiosité intellectuelle nécessaire pour aller
vers l’autre et travailler avec lui.
Filtres perméables du Centre Vauban, lieu de co-design, Lille.
1 Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Edition du Seuil, Paris, 1990.
64
65
La flexibilité / L’adaptabilité
Je considère les halles Saint-Sauveur comme des
volumes capables d’accueillir des potentiels d’usages.
Afin de mettre en place un programme de co-design,
il me semble intéressant de ne pas imposer une
fonction à un lieu. Jacques Hondelatte explique en ce
sens « qu’il n’y a pas de pièces déterminées par des fonctions,
mais des espaces caractérisés par des qualités »1. Ces qualités
renvoient à la lumière, à la température, aux sensations
ou encore au degré d’intimité. La différenciation des
espaces ne se fait donc pas par l’attribution arbitraire
d’une fonction, mais par la fabrication de qualités.
Cela permet d’avoir « des espaces où l’on peut vivre comme
on le veut, en fonction de ses humeurs, de ses envies, que l’on peut
recomposer quand on le veut, selon que l’on se sent nomade ou
sédentaire, aventurier ou casanier »2.
Cette idée d’indétermination des espaces est à mettre
en relation avec Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal
qui conçoivent un édifice de manière à proposer des
« espaces doubles »3. La visite du Grand Sud à Lille et
l’analyse de l’école d’architecture de Nantes m’a
permis de comprendre que la notion de flexibilité
est à chercher dans un temps court. Elle ne consiste
pas à mettre en place des cloisons mobiles, mais à
modifier les usages en fonction des temporalités.
Ainsi, la flexibilité se retrouve dans ce qu’ils nomment
« l’espace libre appropriable ». Ces zones correspondent
à des volumes, des ambiances lumineuses et des
climats qui diffèrent des éléments du programme.
Contrairement aux « espaces libres appropriables », le
programme est contenu dans des lieux cloisonnés,
isolés et chauffés. C’est dans ces derniers qu’il est
possible d’avoir une adaptabilité. En effet, la structure
économique, efficace et tramée donne au bâtiment
une capacité d’évolution sur un temps long. La nuance
entre flexibilité et adaptabilité se situe donc sur une
échelle temporelle, un temps court et un temps long
qui ont pour aptitude de supporter des modifications
d’usages.
Qualités de lumière distinctes, Bibliothèque de l’ENSAM, Lille.
1 Patrice Goulet, Jacques Hondelatte : des gratte-ciel dans la tête, Editions Norma, 2002, p24.2 Ibid., p24.3 Conférence d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Le Frac / Dunkerque : « Plus ou moins… », Palais des Beaux-Arts de Lille, le 06.03.2014.
66
Remerciements
Je tiens à remercier mon groupe de travail et l’ensemble
des enseignants du domaine « Matérialité, pensée et
culture constructives », en particulier Ghislain His
pour ses conseils et son accompagnement dans mon
projet de fin d’études. Merci à l’entreprise Cellumat
qui m’a ouvert ses portes et m’a fourni la matière
première nécessaire à mes expérimentations. Enfin,
j’adresse mes remerciements à mes proches pour leur
soutien et leur attention.
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Corpus documentaire
Ouvrages
Andrea Deplazes, Construire l’architecture : du matériau brut à l’édifice, Birkhauser, 2008.
Patrice Goulet, Jacques Hondelatte : des gratte-ciel dans la tête, Editions Norma, 2002.
Manfred Hegger, Hans Drexler, Martin Zeumer, Matérialité, Basics, Birkhauser, 2007.
Louis I. Kahn, Silence et lumière : choix de conférences et d’entretiens 1955-1974, Editions du linteau, Paris, 1996.
Jacques Lucan, Composition, non-composition : architecture et théories, XIXe – XXe siècles, Presses polythechniques et universitaires romandes, 2009.
Benjamin Laurent et Marine Puissant, Le mur habité, Séminaire Théorie et Projet sous la direction de Jacques Lucan, Janvier 2011.
Peter Zumthor, Atmosphères, Birkhauser, Basel, 2008.
Peter Zumthor, Penser l’architecture, Birkhäuser, Basel-Boston-Berlin, 2006.
Conférences
Claude Massu et Elizabeth Catherine Wright, Frank Lloyd Wright, l’actualité de l’architecture et de l’homme, ENSAPL, le 27.02.2014.
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Le Frac / Dunkerque : « Plus ou moins… », Palais des Beaux-Arts de Lille, le 06.03.2014.
Gilles Tiberghien, Le land art, Smithson et la question du déplacement, ENSAPL, le 17.04.2014.
Iconographie
Les photographies présentes dans ce rapport sont personnelles. Elles sont issues de voyages, de visites et d’expérimentations qui ont alimenté mon projet de fin d’études. Les images de référence sont légendées et annotées avec le copyright de l’auteur ou du site internet.
68ENSAPL - PFE 2014