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Regards croisés sur une fin annoncée

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EHESS

Regards croisés sur une fin annoncéeCatholicisme, la fin d'un monde by Danièle Hervieu-LégerReview by: François A. Isambert, Denis Pelletier and Grace DavieArchives de sciences sociales des religions, 49e Année, No. 126 (Apr. - Jun., 2004), pp. 5-16Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30122828 .

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Arch. de Sc. soc. des Rel., 2004, 126, (avril-juin 2004) 5-16 Frangois ISAMBERT Denis PELLETIER Grace DAVIE

REGARDS CROISES SUR UNE FIN ANNONC E

A propos de:

Catholicisme, la fin d'un monde. HERVIEU-LEGER (Danible)

Paris, Bayard, 2003, 336 p.

Les trois iges du catholicisme frangais

Il y a longtemps que les sociologues du catholicisme parlent d'un recul de celui-ci, du moins en France. Mais il est plus rare de voir situer cette r6gression dans sa phase terminale << Fin d'un monde >, c'est diagnostiquer une mort, et parler d' << un monde w, ce n'est pas seulement emprunter une expression popularisde par Emile Poulat, c'est insister sur le caractbre global (on pourrait dire < total >> avec Marcel Mauss) de cette fin. Pour une expertise aussi radicale, on doit en pr6ciser la portde. Et si un petit reproche doit 8tre fait h D.H.-L. c'est de partir de but en blanc : < Les catholiques frangais sont-ils mal traitds dans la soci6t6 frangaise ? >>. En fait, c'est tantit les catholiques, tant6t l'Eglise comme Institution, tant6t < le christianisme >> dont on rappelle qu'ils ont perdu tout ou partie de leur cr6dit. Qu'est-ce a dire ? L'auteure ne chde pas a la tentation d'utiliser ce point de d6part pour faire le procks de la w ringardise >> d'une Eglise qui, au moins en France, est Sdigne d'estime >> (et il n'est question ici que de la France, h la fois w France

lafique >> et < Fille ainde de l'Eglise >>) et a fait des efforts s6rieux pour adapter sa pastorale au monde d'aujourd'hui. Mais le mal est plus profond. Le catholicisme d'aujourd'hui, malgr6 l'ouverture d'esprit d'une grande part de son clerg6, parait mal accord6 avec la moderniti de ce monde. Alors, de quoi s'agit-il? D'un archaisme inh6rent a la structure et a la pr6dication catholiques, a une crise de la socidtd en tant que telle, ou a une simple diffdrence de tempo entre deux 6volu- tions ? Ces diff6rentes hypotheses - pour autant qu'elles s'excluent - sont en fait abord6es, avec une conclusion pratique qui fait appel autant aux convictions de I'A. qu'aux faits analysds. Tout l'ouvrage tournant autour de la notion de < modernit6 >>, elle se devait d'en pr6ciser au pr6alable les 6tapes.

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La dernibre est 6videmment celle d'un nouveau paganisme. Le mot w paten w,

exhumd par France, pays de mission ? (1943) et repris par Mgr Simon cinquante ans plus tard (Vers une France pai'enne ? [Cana, 1999] [cf. Arch. 112.102]) 6tait destin6 A faire tomber l'illusion d'une France t substrat culturel chrdtien, qu'ont cru retrouver les tenants d'un catholicisme populaire. Mais que pouvait-on mettre sous le terme de w pai'en w ? Pas cette religiosit6 foisonnante dont Marc Aug6 s'est fait le chantre et qui rejoint par bien des points le < polythdisme > de Max Weber. Pour les deux premiers auteurs (Godin et Daniel) la ddchristianisation attest6e dans un certain nombre de rdgions est indissociablement li6e i un d6labrement socidtal et moral >. (Jacques Valdour, dans sa s6rie La Vie ouvridre, 17 vol. 1914- 1934, avait brossd un tableau encore plus inqui6tant, mais dont le retentissement avait dt6 bien moindre). w Paganisme est alors synonyme de w vide social >>. Il n'en est pas de m~me pour Mgr Simon qui, comme beaucoup de catholiques, a lu Le Disenchantement du monde de Marcel Gauchet, pour qui toutes les valeurs rassembldes sous le terme de laicitd >, mime si elles s'essoufflent un peu, forment une base 6thico-politique sur laquelle fonctionne la socidt6 civile d'aujourd'hui en mettant entre parenthise toute religion. La difficultd est que cette laicit6 implique un pluralisme, une w reconnaissance w (je dirais une w toldrance w) qui se ddsarment eux-m~mes comme principes cr6atifs. Dans la perspective de D.H.-L., cette sorte de paganisme est le point d'aboutissement d'un processus, si bien qu'on peut tracer plusieurs w ages d'une mutation w.

a) La laicisation >>, passage du monopole eccl6sial de toute autorit6, doctri- nale, politique, morale et scientifique, i la constitution d'un secteur sdculier, gouvern6 par le bon sens et la w raison >. C'est l'oeuvre des < Lumibres > b la fran- gaise, de la constitution, par 6tapes de la R6publique sans r6frrence religieuse, et de la souverainetd de la v6ritd scientifique. Mutation non sans opposition religieuse et politique. La radicalisation du conflit partageait certes les deux France w. Mais aussi elle divisait profond6ment le camp des laics w d'une part, libdraux contre anti-cldricaux et celui des catholiques d'autre part, les uns acceptant en gros la laicitd et se faisant taxer de w modernistes > par les w intransigeants w. La laicisa- tion qui se drape dans l'histoire de la Rdvolution proclame comme valeur-cl6 la libertd de penser, done celle de croire ou de ne pas croire.

b) La < s6cularisation interne >>, caract6risde par w le travail interne de la modernitd dans la sphdre religieuse w. C'est le message de l'wEglise qui doit 8tre traduit en termes communs - certains diront w profanes >. Toute 1' action des catho- liques est repensde en termes de propagande ou de strat6gie. C'est ce que craignaient le plus les antimodernistes. Ce fut l'enjeu de luttes incessantes A l'intd- rieur du catholicisme, de sa thdologie, des Facultds catholiques, du clerg6 lui-m~me avec la crise des < pr~tres-ouvriers w. L'accomplissement de cette transformation sembla s'effectuer avec le concile Vatican II qui, pourtant, fut remis en question sur bien des points avec ce que Paul Ladribre appelle Le Retour des certitudes (1987).

c) Le temps de 1'<w ultramodernit6 w pose au lecteur un problbme sdmantique. Certains avaient ddji acclimatd le terme << postmoderne w, non sans une ambiguit6 que l'on pourrait appeler w dialectique w. Ce que l'on s'est g6ndralement accordd pour nommer w modernit6 >, c'est-i-dire le triomphe de l'esprit scientifique et tech- nique et la condamnation des prdjugds, le d6veloppement d'une sphbre privie des croyances et des moeurs et une autonomie du jugement a 6td consid6rde par certains comme < ddpassde >. Mais pour les uns, il s'agit de pousser plus avant en

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CATHOLICISME : REGARDS CROISIS

se ddbarrassant des lambeaux d'hypocrisie que tra"ine avec elle la morale bour- geoise, ce qui conduit & un libdralisme gindralisd. Pour les autres, la postmodernit6 est le contre-pied du raisonnable dans tous les domaines, l'exaltation de l'anti- science ou des para-sciences, ou encore la rehabilitation du sadisme, ou une esthd- tique de l'horrible, voire le Requiem pour les Twin Towers (dans Power inferno de Jean Baudrillard, Paris, Galilke, 2002 [coll. < L'espace critique >>]). L'ultramoder- nitd s'approcherait plus de la premiere que de la seconde de ces deux versions de la postmodernit6 (encore que certaines ressources de l'irrationalisme puissent se mettre h son service). C'est la < remise en question des fondements de toute << abso- luit6 >> (p. 88). >> Ces trois phases sont h la fois qualitativement distinctes et 6tapes d'un m~me processus, aboutissant h un individualisme incompatible avec l'esprit et la structure du catholicisme. Comme on le volt, c'est la socidtd qui a chang& en profondeur, au point que les points forts qui servaient d'appui au catholicisme, h savoir la ruraliti et la famille, I'ont << lIchi >.

A chacune de ces phases, le d6tachement h l'6gard du catholicisme augmente. Ce sont aussi des phases d'urbanisation. La consubstantialit6 sdculaire de l'Eglise et de la ruralitd a dtd vue avec une pertinence particulibre par Le Bras (L'Eglise et le village, 1976). Si on a pu proposer un instrument de mesure, le degr6 de la pratique cultuelle dans une population censde catholique, I'inventeur meme de cette mdtrique, Gabriel Le Bras, 6tait le premier t en ddnoncer le caractbre relatif. Ses recherches sur les visites pastorales des sibcles passds l'amenaient g penser qu'il fallait sans doute opposer moins la France d'autrefois i celle de maintenant, que des zones d'attachement ou de ditachement divers h l'Eglise, d'oii l'importance de la cartographie que d6veloppa le chanoine Boulard et ses successeurs. Or, les aires urbaines paraissant dans l'ensemble plus d6catholicis6es, les progrbs de l'urbanisa- tion engendreraient par 1h mime une baisse d'emprise de l'Eglise. On trouve 1t un dvolutionnisme de fait, h base d6mographique et que personne ne nie. Mais h lui tout seul, il laisserait croire que les campagnes seraient naturellement religieuses et les villes naturellement profanes. I1 dtait done h la fois courageux et essentiel de s'attaquer h une image iddalisde de la France rurale-et-catholique, ce qui donne la partie la plus forte de l'ouvrage, analysant une transformation des esprits et des comportements chez les ruraux, avec rdfdrence a Yves Lambert et h son Dieu change en Bretagne La religion i Limerzel de 1900 i nos jours (Paris, Cerf, 1985 [coll. << Sciences Humaines >>]). Ici, il n'est gubre question de poldmiques. Certes, la modernisation de la liturgie et de la pastorale rencontre bien des rdsistances et les gindrations sont en friquent disaccord sur les croyances et les rites tradition- nels mais << le d6laissement progressif des temps clos >> (op.cit., p. 322) s'est effectud en d6finitive sans drame et Y. Lambert ne croit pas que ce soit la source principale de la disaffection des populations rurales.

En revanche, << on peut dire que les anndes 1960 sont celles oii le catholicisme frangais secoue d6finitivement ses adhdrences a un univers rural lui-m~me rdvolu >> (p. 113). Depuis les anndes trente, deja, la JAC avait compris l'indluctabiliti de la professionnalisation du monde agricole, cela non sans conflits dans l'wEglise, mais avec l'appui d'une partie dynamique du clerg6, luttant contre le ddpirissement social des campagnes. Que ce riformisme ait 6td vicu comme tension entre des valeurs traditionnelles - la terre - et un app6tit de modernisation, on le comprend bien, mais l'A. va jusqu'a voir la une attitude contradictoire, minde de l'intdrieur par l'incompatibilit6 entre un << intransigeantisme > et un < modernisme w. C'est ce qui faith la fois l'originalit6 et une certaine fragilit6 de son interpr6tation. La JAC,

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comme toute l'Action Catholique des jeunes a contribue i d6velopper un christia- nisme militant, rdsolument christocentrique, tournd vers le monde pour le transformer et I'animer par un r6seau de relations sociales domindes par l'esprit de solidaritd. Les coopdratives ont pour mission de traduire en actes le Sermon sur la Montagne. Certes, Ulrich Beck peut bien parler d'une << religion s6culibre de l'Amour >>, tendant A prendre la place du christianisme, mais c'est le christianisme lui-m~me qui, en devenant apologie du Christ, a rdcoltd partiellement les effets des tendances personnalistes et affectivistes de l'avant-guerre. On peut en dire autant du militantisme : en un sens, l'ap6tre qui devient militant se s6cularise, mais il peut pr6tendre - et on ne peut d'embl6e lui donner tort - qu'il a int6grd dans son chris- tianisme un dynamisme dont seul, jusque-lk, le militant communiste faisait preuve. L'analyse de D.H.-L. puise incontestablement aux sources du w6bdrisme. On pour- rait donner pour titre B son analyse: La conviction catholique et l'esprit de la ruralitd. Mais, contrairement & Weber, ce dont il s'agit n'est pas de fonder l'une dans I'autre; bien plutdt de fonder les transformations de l'une dans celles de l'autre. Le rattachement avoud du lien entre cette ruralitd arch6typique et le catholi- cisme, A une affinitd dlective > nous fait entrer dans une probldmatique oi la rdgulation de la vie se fait en consonance sur le mode dconomique et sur le mode religieux. L'agriculteur, devenu ing6nieur de la terre, ne peut plus penser le monde comme son ancitre qui attendait les bienfaits - ou les m6faits - du ciel. La rationa- lisation de sa comptabilit6 ne fait pas bon m6nage avec la vision de sa propre prospdritd comme une bdn6diction divine.

Selon un schdma analogue, la famille, autre point d'appui du catholicisme, se modifie radicalement h partir du moment oii elle devient le lieu des relations affec- tives rdussies et non plus la cellule sacrale de l'indissolubilitd des liens conjugaux et parentaux. M~me l'Eglise prdfbre adapter une pastorale pour divorc6s plut8t que de fulminer des excommunications. Cette ddprdciation relative de l'Autorit6 au profit de la spontanditd n'est pas seulement un dbranlement de tout l'6difice institu- tionnel, c'est une remise en question des fondements de la Foi. Dans le principe sdculaire du magistkre, le contenu de la Foi est tout entier objet d'enseignement et elle-mime est d'abord obdissance. D'oi le fait que des principes moraux, des doctrines thdologiques et m~me des thdories scientifiques puissent 8tre condamnis et que ces condamnations aient un sens. Explorant les convictions des w sans reli- gion w dans un pays de culture chrdtienne, Sylvette Denbfle (Sociologie de la sdcularisation. Etre sans-religion en France it la fin du XXe sidcle [Paris, L'Harmattan, 1997] [cf. Arch. 122.63]) rejoint le point de vue ici d6veloppd d'une aspiration assez g6ndrale h l'autonomie du jugement, tant moral que politique et scientifique. Or, sur ce dernier plan, oi l'Eglise semble ne pouvoir mener que des combats d'arribre-garde, un rdveil du dogmatisme s'est effectud dans le domaine biologique. Un nouvel espace sacrd a dtd tracd autour des ph6nomanes vitaux, inter- disant par 1l m~me une libre recherche A leur sujet, renforgant la clature autour des comportements sexuels. Selon I'A. l'~Eglise est prisonnibre ici d'une certaine id6e de la nature comme norme. Alors que de nombreux fidbles et pritres voudraient d6dramatiser les interdits au sujet de l'homosexualitd, une sorte de mdcanisme interne entraine les reprdsentants de l'Eglise sur des positions contre le PACS. LU, on peut vraiment dire que la troupe ne suit plus.

Finalement, ce qui est en question c'est un nouvel individualisme. Plagant le JE au centre du dispositif des relations entre les individus et entre ceux-ci et le monde, la civilisation actuelle lance une nouvelle course au bonheur. Celle-ci est polarisde

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CATHOLICISME : REGARDS CROISIES

entre d'une part l'aspiration vers des formes d'dquilibre psychique soumises a des traitements de plus en plus sophistiquds, d'autre part le risque de manquer, d'6vidence plandtaire. Cela entraine une transformation 6thique majeure: c'est 1'<< accomplissement de soi >> qui devient la cl6 de la Wertrationalitdt nouvelle. En un sens, s'accomplir, c'est trouver le d6mon personnel auquel Max Weber recom- mandait d'ob6ir. C'est trouver un calling int6rieur plus intime et plus impdratif h la fois que les commandements de l'autoritd religieuse. C'est aussi trouver la direction dans laquelle on va ceuvrer pour combler les manques qu'on aura ddcelds. D'oi la multiplication des b6n6volats en tous genres. D'oi aussi cette prdoccupation de la sauvegarde de la plancte et la vigilance a l'6gard de la d6t6rioration du milieu. Sans doute voit-on ici affleurer cette id6e que le catholicisme a rdussi h injecter dans la culture de base, h savoir la mdfiance i l'dgard de tout d6rangement de l'ordre naturel. Mais cette id6e est vite emport6e par un progrbs scientifique qui, justement, franchit les anciennes frontieres et met en cause les concepts qui les justifiaient. Or cette 6thique du sujet est incompatible, nous dit l'A. avec le catholicisme. Dans un chapitre essentiel, D.H.-L. prend h bras-le-corps cette < ultramodernit >> qui voit dans notre satisfaction et celle du plus grand nombre un objectif, sans doute immen- sdment distant, mais accessible sans rupture avec notre univers.

Ce que D.H.-L. ne dit pas, mais qui se lit en filigrane dans son texte, c'est qu'aux trois phases de d6catholicisation correspondent trois phases du catholicisme lui-m~me, trois visages qu'il a fallu adopter, puis abandonner, << trois catholi- cismes >>, pourrait-on dire. La < laicisation >> correspond h ce que j'appellerai le catholicisme du catdchisme, catholicisme de conformit6 doctrinale, auquel la pratique du catichisme, sans doute plus encore que la pr6dication dominicale offrit un formidable rdseau de diffusion et qui visa h 6tendre son litt6ralisme h tous les niveaux de la pensde religieuse. Ce cat6chisme a parfaitement coexist6 avec la lafcit6 tant que son ambition ne d6passait pas celle de fournir un soubassement i la formation morale. La < s6cularisation interne >> fut a la fois produit et processus d'autodestruction du Catholicisme d'Action Catholique. Celui-ci, issu d'une stra- t6gie du clergd, faisant leur part aux laics, a rdpondu en grande partie aux aspirations de ceux-ci. En acclimatant sans doute un catholicisme plus humain et plus < social >>, il faisait perdre a celui-ci sa sp6cificit6. De quel catholicisme 1'<< ultramodernit6 >> est-elle corr61ative ? Apris une phase politique oii les diverses branches de l'Action Catholique avaient pris des structures de parti (fournissant par 1l a la R6sistance une couverture iddale) on recherche un climat plus fraternel, en accord avec l'air du temps. C'est l'age des communautis. L'arch6type des w premiers chritiens >> se marie alors volontiers avec les modules utopiques de type Buchez ou Barbut. On constitue des communautds a tous les 6tages, quartiers, paroisses, dioceses (l'Eglise m~me ne serait-elle pas une vaste w communaut6 >>, une w communion >>, comme on dit volontiers en contrant l'expression w peuple de Dieu >> qui pr6valut a Vatican II ?). On rejoint d'une certaine fagon un mouvement plus vaste qui fait rdsulter l'appartenance religieuse d'un jugement de goat, d'un choix entre diverses spiritualitis (Berger et Luckman). La question se pose done maintenant de savoir si le catholicisme de communautde a 6puis6 ses potentialit6s, ou s'il est lui-m~me un avatar de La Religion en miettes (Danible Hervieu-L6ger, Paris, Calmann-L6vy, 2001 [cf. Arch. 118, pp. 29-44]).

Frangois A. ISAMBERT EHESS-Paris

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Un tournant anthropologique

Que nous arrive-t-il depuis trente ans ? C'est au fond la question i laquelle D.H.-L. a voulu rdpondre dans ce livre, qui traite de la w transformation anthropolo- gique silencieuse (1) dans laquelle nos socidtds sont entrdes au milieu des anndes 1970, au moment oi s'achevaient les Trente Glorieuses. Sans doute y est-il d'abord question du catholicisme, mais l'ouvrage s'inscrit dans une conjoncture intellec- tuelle plus vaste, oi la sociologie des religions ne se s6pare pas fondamentalement du reste des sciences humaines. Cette convergence fait I'objet de la premibre partie de la note qui suit ;je reviendrai ensuite sur le concept d'< exculturation du catholi- cisme w, qui est au centre de l'ouvrage; historien moi-m~me, je terminerai par quelques r6flexions sur l'apport de ce livre A une histoire contemporaine du fait religieux en France.

Un nouveau rapport au monde

Cette transformation de notre rapport au monde tient t trois 6v6nements bribve- ment pr6sent6s A la fin du second chapitre. J'en retiendrai deux, le troisibme, qui est la mondialisation envisagde comme w la transformation du rapport au temps et i

l'espace qui caract6rise des soci6tds ayant acc6dd, dans tous les domaines, aux moyens d'une instantandisation des communications t l'dchelle globalis6e de la planite w (p. 87), restant davantage en lisibre du livre.

D'une part, nous vivons au temps de < l'affirmation de la composante psycho- logique de la modernitd, qui donne h l'individualisme contemporain sa tonalit6 particulibre w (p. 86). Les implications varides de cette entrde dans l'ire de l'indi- vidu sont bien connues: que l'on pense, parmi d'autres, aux travaux de Marcel Gauchet sur la sortie de la religion, i ceux d'Ulrich Beck sur la soci6t6 du risque ou de Daniel Ehrenberg sur la d6pression (2). L'un des premiers en France, Henri Mendras, avait retrac6 dans La Seconde Rivolution frangaise les ddbuts de cette histoire, entre 1965 et 1984 (3). Pour le dire bribvement: l'6mergence contempo- raine d'un sujet libre au regard des besoins 616mentaires, autonome au regard des morales imposdes, loin de constituer un confort ou une renonciation au sens, accroit les exigences 6thiques qui pisent sur chacun, tandis qu'elle ddlgitime les institu- tions traditionnellement charg6es de donner sens A l'aventure commune. Cette d6stabilisation des systhmes de valeurs affecte au premier chef l'Eglise catholique dont elle met en cause le magistbre et le systhme d'emprise. Au quatribme chapitre, D.H.-L. montre par exemple le < dsajustement culturel w, dans une socidtd d'abon- dance, d'une pastorale qui faisait fond sur la peur de manquer > et construisait

(1) J'emprunte l'expression h Paul ZAWADZKI, dans I'ouvrage collectif qu'il a dirig6 sous le titre Malaise dans la temporalitY, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 11.

(2) Marcel GAUCHET, La religion dans la dimocratie. Parcours de la lai'citd, Paris, Gallimard, 1998 (cf. Arch. 116, pp. 41-52) ; Ulrich BECK, La socidtd du risque. Sur la voie d'une autre modernitd, Paris, Aubier, 2001 ; Daniel EHRENBERG, Lafatigue d'8tre soi. Dipression et sociedt, Paris, Odile Jacob, 1998.

(3) Henri MENDRAS, La Seconde Revolution frangaise 1965-1984, Paris, Gallimard, 1988.

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l'expdrience religieuse autour des notions autrefois communes de faim et de soif. On pourrait lui objecter que les mimes notions peuvent 8tre rdinvesties d'une signi- fication nouvelle, ordonndes au d6passement de soi dans un contexte communautaire, comme en tdmoigne le succhs du jefine du Ramadan parmi les musulmans frangais ; et que la conception de la foi comme exp6rience de gudrison, centrale chez les charismatiques, reprend i son compte l'exigence de santd parfaite qui se profile comme la nouvelle utopie de nos soci6tis riches (4). Mais on la suit trbs volontiers lorsqu'elle montre combien le w repli de l'id6al d'accomplissement sur une conception purement individualiste de l'autordalisation > (p. 165), qui caractdrise nos soci6tds hypermodernes, met i mal la prddication chritienne du bien commun. AprWs tout, ne tient-on pas 1 une des contradictions auxquelles s'est heurtd l'aggiornamento conciliaire, aprbs 1965, pour s'&tre rallid i la modernitd sur la base d'un humanisme communautaire et militant au moment mame oih nos

socidt6s basculaient du c6td de l'individu et du d6sir d'dpanouissement de soi (5) ?

Le tournant anthropologique dont il est ici question tient aussi t w la transfor- mation qualitative du rapport a la nature qu'induisent les avancdes fulgurantes de la science et des technologies, en particulier dans les domaines des sciences du vivant et des neurosciences > (p. 87). A l'inverse de la mondialisation, ce dernier point me parait essentiel pour comprendre le livre. On peut renvoyer le lecteur aux dernibres pages du troisi&me chapitre, lorsque l'auteure s'interroge sur les effets culturels de la rupture du lien entre nature et agriculture qu'entra'inent les techniques nouvelles de la biog6ndtique ; et plus encore au chapitre VI, intituld w Quand la nature n'est plus un ordre >>, oh elle analyse les enjeux sociaux des nouvelles techniques de manipulation du vivant. Quelles sont les consdquences de notre capacitd technique a maitriser les processus li6s a la vie (procreation assist6e, thdrapie ginique) et a la mort (soins palliatifs, problimes de d6finition de la mort, voire de son administra- tion a travers la question de l'euthanasie)(6)? Comment penser le fait que l'application a l'homme de la g6nomique est susceptible de se traduire, selon le mot de Jtirgen Habermas dans sa poldmique avec Peter Sloterdijk, par w la dispari- tion de la frontibre entre la nature, que nous sommes, et l'appareil organique, que nous nous donnons >> (7) ? Or cette frontibre, a la fois juridique et philosophique, mais aussi 6troitement lide a l' 6volution de la socidtd technique, a longtemps 6td un fondement essentiel du partage entre sacrd et profane. Et c'dtait bien a l'hdritage chr6tien que nous demandions d'en rendre raison.

D.H.-L. s'est attachde ainsi a la diagonale qui conduit l'Eglise catholique de la condamnation de la contraception et de l'avortement au refus de la procrdation mddicale assistde. Elle montre que ce qui est en jeu, au fond, c'est le d6phasage entre notre expdrience technique du monde et un ordre biologique de la nature dont l'Eglise s'est voulue -et se veut toujours- solidaire. Elle montre aussi combien les d6bats rdcents sur le PACS et l'homoparentalit6 constituent un enjeu essentiel de la sortie de la famille hors de l'ordre naturel sacralisd par l'Eglise, comment ils font le

(4) Voir en particulier Lucien SFEZ, dir., L'utopie de la sante parfaite, Paris, PUF, 2001. (5) Je me permets de renvoyer sur ce point au premier chapitre de mon livre, La crise catholique.

Religion, socidtd, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002 (cf. Arch. 120.30). (6) Voir Dominique MEMMI, Faire vivre et laisser mourir. Le gouvernement contemporain de la

naissance et de la mort, Paris, La D6couverte, 2003. (7) Jtirgen HABERMAS, L'avenir de la nature humaine. Vers un euginisme libdral ?, Paris,

Gallimard, 2002, p. 39.

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lien, de ce point de vue, entre w I'avinement moderne du sujet autonome, Idgisla- teur de lui-mime >> et la rdvolution contemporaine du rapport A la nature >> (pp. 248-249). Elle rejoint alors, me semble-t-il, les r6flexions inspir6es i la juriste Marcela Iacub par l'arrit Perruche, les pol6miques qu'il a suscitdes et ce qu'elles disent de la transformation r6cente par le droit de la notion, longtemps pensde sur un mode humaniste et chrdtien, de personne humaine (8). En se confrontant A la poldmique sociale, la sociologie devient une pratique de l'engagement critique.

L'exculturation du catholicisme

Le lecteur l'aura compris : un des intdrits principaux de ce livre rdside dans la manibre dont le fait religieux sert de porte d'entrde A une analyse plus ample des mutations du lien social et du rapport au monde. Le destin du catholicisme en France y prend place i travers le concept d'<< exculturation w. De quoi s'agit-il au juste, au-delk de l'inversion d'une notion qui fit les beaux jours de la pensde missionnaire ? D.H.L. part du constat que si la crise est depuis au moins deux sibcles la forme normale du rapport du catholicisme A la modernitd, l'originalit6 de celle qu'il traverse depuis une trentaine d'ann6es loge quelque part entre l'atonie du ddbat interne (c'est la paix des cimetibres >) et le sentiment d'une < ringardise catholique w, les catholiques se plaignant moins des attaques qu'ils subissent que du < mdpris -plus souvent apitoyd qu'agressif, dont ils ont le sentiment d'&tre envi- ronnds du seul fait de leur appartenance affichde A une institution dont on moque la disqualification culturelle plus encore qu'on ne d6nonce (...) la prdtention i dire le vrai et le bien pour la socidt& entiere > (p. 11).

L'exculturation du catholicisme, c'est donc w la possible d6liaison de l'affinitd l61ective que l'histoire a 6tablie en profondeur entre les repr6sentations partagdes des Frangais (la << culture >> qui leur est commune) et la culture catholique >> (p. 97) ; c'est aussi le fait que w la mutation culturelle que nous sommes en train de vivre et qui bouleverse de fond en comble l'armature symbolique de notre socidtd est susceptible de produire un dvidement peut-8tre ultime du catholicisme en son sein >> (p. 20); ce qu'elle met en jeu, c'est encore w la capacit6 du catholicisme A nourrir et A alimenter -au-dela des constructions individuelles du sens qui conti- nuent de se rdfdrer au corps de croyance et aux valeurs que l'Eglise affiche et promeut- des significations collectivement partagdes, dont la source religieuse puisse demeurer identifiable dans la socidtd frangaise d'aujourd'hui >> (p. 131). Autrement dit, le catholicisme n'est plus le moteur de la crise qu'il traverse, comme s'il subissait ainsi les ultimes consdquences d'un processus de marginalisa- tion puis d'dviction hors du champ des 6vidences collectives.

Ddliaison, dpuisement, dvidement... Le vocabulaire le montre : ce livre est une r6flexion sur la disparition et la perte, qui ne va pas sans quelque effet de nostalgie ou de tragique, m~me si l'auteure s'en d6fend (w la fin d'un monde n'est pas la fin du monde >>, conclut-elle sans doute pour consoler ses lecteurs chagrins...). De deux manibres au moins, ce constat me para"it nourrir une r6flexion ou un retour sur le

(8) Marcela IACUB, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002.

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CATHOLICISME : REGARDS CROISES

travail de la sociologie des religions. Sociologie en creux, d'une part, sur les impli- cations historiques sur laquelle je reviendrai plus loin: en se retirant, le catholicisme dit quelque chose des lieux qu'il abandonne a leur autonomie, la rura- lit6 ou la famille, la technique ou le vivant. En retour, ce livre parle moins du catholicisme en tant que tel que de ce que nous en apprennent ces m~mes lieux au moment oP il les d6serte. Il y a hi comme la poursuite, au-dela de l'exculturation, au prix d'une sorte de << passage par le ndgatif >>, de la rdflexion durkheimienne sur la fonction sociale du religieux.

Sociologie du manque, 6galement, qui me parait faire de ce livre l'aboutisse- ment raisonn6 d'un itindraire intellectuel commence avec l'analyse des mouvements communautaires post-68 (9). On sait ce que l'histoire du catholicisme, et en particulier l'idde de rdforme qui en est un moteur, doit a l'utopie communau- taire, depuis les ordres mendiants du Moyen-Age jusqu'aux communautis de base oi s'inventait le << christianisme critique >> des anndes 1970. On sait aussi ce que la sociologie frangaise des religions doit au fait communautaire, ne serait-ce qu'a travers l'expirience qu'en firent ses fondateurs et comment ils la rdinvestirent dans leur travail de chercheur -je pense ici, en particulier, a l'hdritage d'Henri Desroche (10). Mais la communaut6 est aussi une institution fragile, qui n'existe que dans sa propre tension a dispara'itre, dans l'6preuve du manque qui la taraude, parce qu'elle est a la fois une utopie et une forme de sociabilit6 oi s'dprouve l'6chec de cette utopie (11). Bataille, Blanchot l'avaient bien compris, au temps d'Acdphale et du College de sociologie; Jean-Luc Nancy en a repris nagubre l'analyse: l'expirience de la communaut6, c'est l'expirience qu'il n'y a pas de communautd, qu'elle s'est ddja dissoute dans le moment oi l'on croit la saisir pour en parler (12). Est-ce beaucoup solliciter ce livre que d'y voir la pointe ultime d'une r6flexion marqu6e par l'expirience initiale de la perte, une experience que D.H.-L. n'a cess6 depuis lors d'interroger comme le fait majeur du catholicisme contemporain, depuis le paradigme de la s6cularisation jusqu'a celui de l'excultura- tion, en passant par le ddracinement des pratiques et la question d'une mdmoire religieuse dont la transmission serait devenue probldmatique (13) ?

Enfin, I'6tude de ce processus d'exculturation met en relief ce que D.H.-L. appelle le << travail civilisationnel >> du catholicisme, dans des chapitres trbs 6clai- rants pour une histoire politique du catholicisme frangais contemporain. Il importe en effet de rappeler que ce livre se limite au cas franGais, ce qui renvoie a l'origina- lit6 de notre laicit6 rdpublicaine. Si la politique est l'instance de fabrication et de

(9) Danible HERVIEU-L1GER, De la mission c la protestation. L'dvolution des itudiants chritiens en France (1965-1970), Paris, Cerf, 1973 ; Danible HERVIEU-LIGER, Bertrand HERVIEU, Des communaute~s pour les temps difficiles. Ndo-ruraux ou nouveaux moines, Paris, Centurion, 1983.

(10) Voir le chapitre que lui consacre Danible HERVIEU-LIGER dans Sociologies et religion. Appro- ches classiques (en collaboration avec Jean-Paul WILLAIME), Paris, PUF, 2001, pp. 263-289 (cf. Arch. 122.25).

(11) Denis PELLETIER, << Utopie communautaire et sociabilitds d'intellectuels en milieu catholique dans les anndes quarante >>, Les Cahiers de I'IHTP, no 20, mars 1992, pp. 172-187.

(12) Maurice BLANCHOT, La communautd inavouable, Paris, Editions de Minuit, 1983; Jean-Luc NANCY, La communautd dscwuvrde, Paris, Christian Bourgois, 1986.

(13) Danible HERVIEU-LPGER, Frangoise CHAMPION, Vers un nouveau christianisme ? Introduction d la sociologie du christianisme occidental, Paris, Cerf, 1986; Danible HERVIEU-LEGER, La religion pour mdmoire, Paris, Cerf, 1993 (cf. Arch. 84.47) ; Le ptlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999 (cf. Arch. 108.50).

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

validation des normes et des valeurs communes, alors l'hypoth~se d'une excultura- tion rdcente du catholicisme suggbre a contrario d'approfondir ce qu'il en fut avant, c'est-t-dire de quelle nature fut le rapport entre la R6publique et le catholi- cisme au temps oii ce dernier 6tait en situation de produire du sens pour tous. Historiens du religieux, nous avons trop facilement tendance B penser ce rapport sur le mode de l'exclusion r6ciproque. C'est oublier que, sur des terrains aussi essen- tiels que ceux de la ruralitd ou de la famille, qui font chacun l'objet d'un chapitre du livre, le catholicisme a tenu une place non ndgligeable dans l'dlaboration d'une identit6 collective qui fut h la fois rdpublicaine et frangaise, ordonn6e i l'universel et & l'enracinement, entre patrie des droits de l'homme et juxtaposition des petites patries, entre l'esprit de Valmy et I'exaltation du soldat-paysan, entre les droits de l'homme et I'agrarisme t courte dchelle.

Disons-le autrement: en soulignant, par exemple, w la convergence paradoxale (et jusqu't un certain point contre nature) qui s'est 6tablie entre la vision conserva- trice d'une < spdcificit6 paysanne >, noyau dur de l'ordre social et religieux i

pr6server, et I'iddologie paysanniste de la R6publique, pourtant enracin6e dans la vision promue par la R6volution du < paysan-citoyen >> > (p. 102), D.H.-L. nous rappelle qu'il y a un contenu anthropologique de la R6publique, que le catholicisme a largement contribud h fagonner par son travail civilisationnel, en amont de l'affrontement qui opposa France cldricale et France laique. Une telle analyse rejoint celles qu'a mendes l'historien am6ricain Herman Lebovics sur la << Vraie France >, en exhumant la figure de Louis Marin (1871-1960), ce grand parlemen- taire de droite, catholique et libdral, qui fut un ministre rdpublicain mais aussi le prdsident de plusieurs socidtds savantes oi s'dlabora le programme de l'ethnologie frangaise (14). En sugg6rant que les catholiques ont ainsi contribud i la construc- tion culturelle du module r6publicain, en d6pit de leur mise A l'dcart des lieux de d6cision, ce livre propose quelques outils dont les historiens soucieux d'ouvrir l'histoire de la France contemporaine t une anthropologie du politique pourraient faire leur miel.

Denis PELLETIER Laboratoire de Recherches Historiques en Rh6ne-Alpes - CNRS

Universite Lumi re Lyon 2

(14) Herman LEBOVICS, La < Vraie France >. Les enjeux de l'identite culturelle, 1900-1945, Paris, Belin, 1995.

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Catholicisme la fin d'un monde: a British perspective

I read this book during a recent visit to Paris - each experience enhanced the other as I understood more of the changes taking place both in France and in the French Catholic Church. Catholicisme, la fin d'un monde is best described as an extended (and provocative) essay on the state of Catholicism in France at the turn of the millennium. For a British reader a series of questions immediately present them- selves. To what extent are the same things happening to the mainstream churches in British society? Are they happening for the same reasons? And will the consequences be similar or different? Or to put the same point in a different way: to what extent do the facts and argument of this book endorse the specificity of the French case or to what extent can they be extrapolated to other European/modern societies?

Before engaging these questions, it is important to place this book in the trajec- tory of Hervieu-Ldger's own work. The book is the last of a trilogy, which in itself forms part of a distinguished publishing career. The earlier volumes in the trilogy are Le pHlerin et le converti. La religion en mouvement (Paris, Flammarion, 1999) and La religion en miettes ou la question des sectes (Paris, Calmann-L6vy 2001) The first considers the new forms of religious activity that are emerging in modern France, as indeed elsewhere, as the older patterns erode: modern individuals seek and search (they are pilgrims); and increasingly they make definitive decisions (they con- vert). Gone, or going, are the stable forms of religious life in which individuals can be safely classed as pratiquants or not, with the expectation that they will remain in the categories in which they started out. The discussion of sects - and here the context is specifically French - focuses on the incapacity of existing structures (both religious and secular) to deal with the new forms of belief that are emerging in France.

Catholicisme, la fin d'un monde completes the picture in that it describes in detail the collapse not only of the structures of the French Catholic Church but of the culture that underpinned these. The process, in fact, is one of a progressive disembedding of the Catholic Church from both French society and French culture. This process is described over time (Chapter 2), with respect to space (Chapter 3) and in terms of a range of cultural themes (Chapters 4, 5 and 6).

Each of these ideas requires expansion. Chapter 2, for example, offers three ways into the somewhat stormy relationship between the Catholic Church and modern French society. The first describes the clash between the vision of the world repre- sented by the Church on the one hand and by the Revolution on the other. No coun- try in Europe experienced this clash in quite the same way, a fact that inevitably coloured everything that followed: i.e. the implications of both modernity (the sec- ond approach) and ultra-modernity (the third approach) for the life of the French Church, both internally and in its relationship with the wider society.

The following chapter draws from Hervieu-Ldger's extensive knowledge of rural France. It evokes both the natural affinity between traditional patterns of rural life and the Catholic Church in its historic forms, and the acute difficulties of the latter when the twin processes of industrialisation and urbanisation hit France not only rel- atively late, but correspondingly fast. The embeddedness, both structural and cultural, of the historic churches of Europe in a pre-industrial and predominately rural way of life is the crucial point. With this in mind, secularisation theorists are entirely correct to concentrate their analyses on the collapse of this pre-industrial world: it was a shock from which the historic churches of Europe never fully recovered.

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The three chapters that come next embark on innovative themes : they are con- cerned with more recent and primarily cultural challenges to Catholicism in France. A late modern emphasis on personal fulfilment sits uneasily alongside traditional Catholic teaching. Family life, moreover, has evolved in ways that bewilder the Church and challenge both its dogma and its policies; so too the profound shifts in the understanding of life and death as advanced medical techniques push the boundaries ever further. The parameters of life itself (birth and death), in which the churches have played such a major part, are themselves subject to change.

What then emerges? New forms of religious life can be found (the pilgrim and the convert for example). It is important to remember, moreover, that the Catholic Church is not the only institution in trouble as the pressures of modernity exert their force: secular institutions and secular authority are equally at risk (pp. 271- 275). Traditional formulae are eroded in both spheres as patterns of obligation give way to patterns of consumption. Modern individuals find their own ways forward, motivated more by the choices available than by a set of obligations or require- ments. It follows that those institutions most closely associated with obligation (not least the churches) feel the pinch most sharply.

That is equally so in other modern societies. In what ways then is the French case indicative of broader changes and in what ways is it exceptional? The question can be asked from two rather different vantage points - within Europe and without. From Britain, for example, the picture or the process described by D.H.-L. is entirely recognisable: the Church of England and the Church of Scotland were deeply embedded in pre-industrial, rural society and felt the onset of industrialisa- tion keenly. The process, however, started earlier and took much longer leading to a more gradual shift (or, if you like, a lower level of pain, but experienced for lon- ger). A second point is rather different: the Protestant churches of northern Europe had already undergone change and from the inside - driven this time by different theological understandings. The institutional collapse was, therefore, of a different order. In the French case, everything happens at once and in a particularly dramatic way: the aftershock is correspondingly severe.

A further contrast comes from the United States. Here neither Catholic nor Protestant churches had time to embed themselves into the pre-industrial order before the onset of industrialism. Religious congregations of all kinds moved easily into the growing cities of industrial America. The cultural tensions were also very different as the implications of the enlightenment worked themselves out in positive rather than negative ways in their applications to religion. Hence an entirely differ- ent scenario in a society where modernity and religion become mutually reinforcing categories rather than necessarily opposed. In this respect, Hervieu-L6ger's analy- sis, rather like French wine, does not travel well.

It deserves, however, to be widely read and not only by French Catholics and French scholars of religion. And with this in mind, I - as an English reader - long for a bibliography and an index. I appreciate that this is a provocative essay rather than a work of reference. Its essence derives however from wide reading and draws from a rich literature. It would be good if the latter were more directly accessible to the fortunate readers of this book, whoever and wherever they may be.

Grace DAVIE University of Exeter

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