5
Cah. Nutr. Diét., 39, 2, 2004 159 nutrition appliquée nutrition appliquée RÉGIME SANS SEL : LE RETOUR ! Françoise SCHAEFFER, M. KREMPF Après des années d’oubli, le régime sans sel réapparaît en force dans les ser- vices de cardiologie. Cette redécouverte d’une règle thérapeutique essentielle pendant des décennies résulte du constat d’efficacité modeste des médica- ments dans certaines situations, mais surtout de la publication de plusieurs études cliniques démontrant que l’éducation des patients insuffisants cardia- ques tant sur l’observance thérapeutique, l’activité physique que sur la diété- tique permettait de réduire considérablement le nombre d’hospitalisation et la mortalité. Cet article a pour objet de revisiter la prescription du régime sans sel et sera focalisé sur le traitement de l’insuffisance cardiaque. Cepen- dant, les règles de prescription varient peu pour les autres indications. Le point de vue du médecin La prescription d’un régime sans sel dans l’insuffisance cardiaque résulte de bases physiopathologiques très fortes et d’études cliniques bien conduites. Sur ces éléments, elle répond parfaitement aux critères de la médecine basée sur les preuves qui sert aujourd’hui de guide de réflexion à la stratégie de nos agences d’évaluation et aux recomman- dations. Quelques rappels physiopathologiques sur l’insuffisance cardiaque La défaillance de la fonction ventriculaire cardiaque va conduire à un certains nombre de perturbations physiopa- thologiques conduisant notamment à l’accumulation de sodium dans l’organisme (www-sante.uij-grenoble.fr/ sante/cardioCD/cardio/chapitre/407.html). En effet , un certain nombre d’adaptations neuro-hormo- nale interviennent pour maintenir le débit cardiaque. En particulier, un stimulation du système rénine-angiotensine aura pour conséquence principale une rétention hydro sodée ayant pour objectif d’augmenter le volume plasma- tique et ainsi la pression télédiastolique. La rétention sodée va être également amplifiée par l’hypo débit rénal artériel et l’hyper pression veineuse en cas de défaillance du ventricule droit ou des variations hormonales portant notamment sur des facteurs natriurétiques comme le pep- tide natriurétique B (BNP) utilisé aujourd’hui pour le dia- gnostic d’urgence. Dans cette situation, le fonctionnement rénal ne s’adapte pas et l’inflation hydro sodée qui peut en résulter va aggraver l’insuffisance cardiaque qui en retour va l’accentuer, créant ainsi un véritable cercle vicieux. Pour compenser ce phénomène il faut soit augmenter l’excrétion urinaire sodée et pour cela utiliser des diurétiques ou diminuer l’apport avec le régime désodé et le contrôle du volume d’ingestion hydrique. Les faits cliniques montrent que ces deux approches sont complémentaires et que l’effi- cacité des traitements diurétiques à long terme est très dépendante de la qualité de la restriction sodée. Les données cliniques en faveur de la restriction des apports sodée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque Nous payons actuellement un lourd tribu à l’insuffisance cardiaque. Elle représente en France le premier motif d’hospitalisation des patients de plus de 65 ans et elle est responsable de plus de 5 000 décès par an [1]. Aujourdhui, essentiellement pathologie des sujets âgés, sa fréquence croit en permanence avec le vieillissement de la population et pèse lourdement sur les dépenses de santé par les hospitalisations itératives et l’accès à des soins onéreux comme les greffes dans les formes graves. Dans ce contexte, des travaux ont été entrepris pour pré- venir ces problèmes et améliorer la qualité de vie des Clinique d’Endocrinologie et Nutrition, Hôtel Dieu, Nantes Cedex 01. Correspondance : M. Krempf, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

Régime sans sel : le retour !

  • Upload
    m

  • View
    215

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Régime sans sel : le retour !

Cah. Nutr. Diét., 39, 2, 2004 159

nutrition appliquée

nutrition appliquée

RÉGIME SANS SEL : LE RETOUR !

Françoise SCHAEFFER, M. KREMPF

Après des années d’oubli, le régime sans sel réapparaît en force dans les ser-vices de cardiologie. Cette redécouverte d’une règle thérapeutique essentiellependant des décennies résulte du constat d’efficacité modeste des médica-ments dans certaines situations, mais surtout de la publication de plusieursétudes cliniques démontrant que l’éducation des patients insuffisants cardia-ques tant sur l’observance thérapeutique, l’activité physique que sur la diété-tique permettait de réduire considérablement le nombre d’hospitalisation etla mortalité. Cet article a pour objet de revisiter la prescription du régimesans sel et sera focalisé sur le traitement de l’insuffisance cardiaque. Cepen-dant, les règles de prescription varient peu pour les autres indications.

Le point de vue du médecin

La prescription d’un régime sans sel dans l’insuffisancecardiaque résulte de bases physiopathologiques très forteset d’études cliniques bien conduites. Sur ces éléments, ellerépond parfaitement aux critères de la médecine basée surles preuves qui sert aujourd’hui de guide de réflexion à lastratégie de nos agences d’évaluation et aux recomman-dations.

Quelques rappels physiopathologiques sur l’insuffisance cardiaque

La défaillance de la fonction ventriculaire cardiaque vaconduire à un certains nombre de perturbations physiopa-thologiques conduisant notamment à l’accumulation desodium dans l’organisme (www-sante.uij-grenoble.fr/sante/cardioCD/cardio/chapitre/407.html).En effet , un certain nombre d’adaptations neuro-hormo-nale interviennent pour maintenir le débit cardiaque. Enparticulier, un stimulation du système rénine-angiotensineaura pour conséquence principale une rétention hydrosodée ayant pour objectif d’augmenter le volume plasma-tique et ainsi la pression télédiastolique. La rétentionsodée va être également amplifiée par l’hypo débit rénalartériel et l’hyper pression veineuse en cas de défaillance

du ventricule droit ou des variations hormonales portantnotamment sur des facteurs natriurétiques comme le pep-tide natriurétique B (BNP) utilisé aujourd’hui pour le dia-gnostic d’urgence. Dans cette situation, le fonctionnementrénal ne s’adapte pas et l’inflation hydro sodée qui peuten résulter va aggraver l’insuffisance cardiaque qui enretour va l’accentuer, créant ainsi un véritable cerclevicieux.Pour compenser ce phénomène il faut soit augmenterl’excrétion urinaire sodée et pour cela utiliser des diurétiquesou diminuer l’apport avec le régime désodé et le contrôle duvolume d’ingestion hydrique. Les faits cliniques montrentque ces deux approches sont complémentaires et que l’effi-cacité des traitements diurétiques à long terme est trèsdépendante de la qualité de la restriction sodée.

Les données cliniques en faveur de la restriction des apports sodée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque

Nous payons actuellement un lourd tribu à l’insuffisancecardiaque. Elle représente en France le premier motifd’hospitalisation des patients de plus de 65 ans et elleest responsable de plus de 5 000 décès par an [1].Aujourd’hui, essentiellement pathologie des sujets âgés,sa fréquence croit en permanence avec le vieillissement dela population et pèse lourdement sur les dépenses desanté par les hospitalisations itératives et l’accès à dessoins onéreux comme les greffes dans les formes graves.Dans ce contexte, des travaux ont été entrepris pour pré-venir ces problèmes et améliorer la qualité de vie des

Clinique d’Endocrinologie et Nutrition, Hôtel Dieu, Nantes Cedex 01.

Correspondance : M. Krempf, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

Page 2: Régime sans sel : le retour !

160 Cah. Nutr. Diét., 39, 2, 2004

nutrition appliquée

patients. L’étude de M.W Rich et al. a été le premier essaicontrôlé montrant l’intérêt de l’éducation des patients parun groupe pluridisciplinaire faisant intervenir cardiolo-gues, médecins généralistes, diététiciens, psychologues,infirmières, kinésithérapeutes [2]. Deux groupes de140 sujets ont été inclus dans cette étude. L’un était sou-mis à une surveillance et au traitement habituel, l’autrebénéficiait d’une éducation durant un cours séjour àl’hôpital portant sur la diététique, l’observance de la prisedes médicaments, l’activité physique et des critères sim-ples de surveillance clinique à domicile pouvant être réali-sés par le patient ou son entourage. Une très fortediminution du nombre d’hospitalisation (risque relatif0.56) a été observé avec une réduction de la mortalité etune amélioration de la qualité de vie dans le groupe ayantbénéficié de l’éducation. Ces résultats ont été confirmésdans de nombreuses autres études, sur des cohortes plusimportantes de patient, dans plusieurs pays et semblentégalement améliorés par la mise en place d’un suivi àdomicile et notamment par des appels téléphoniques [1,3-11]. Ces données soulignent l’intérêt de l’éducation eten particulier diététique. De très nombreuses structuresd’éducation se mettent actuellement en place pour appli-quer en pratique courante les enseignements de ces tra-vaux de recherche clinique.La recommandation habituelle est de limiter l’apport dechlorure de sodium à 2 g/jour (800 mg/jour de sodium).Cette restriction est difficile , voir impossible, à mainteniret des apports plus larges d’environ 4 g à 6 g/jour sontle plus souvent mis en place [4, 8]. L’important est dansles faits de donner aux patients des informations permet-tant d’acheter des aliments adaptés et d’élaborer desmenus réalistes. De plus, l’éducation de la famille est unatout essentiel dans la réussite du programme qui commetoute éducation , devra faire l’objet de répétition fréquenteet d’adaptation au cas par cas en fonction du suivi.L’apport hydrique global devra être d’environ 2 litres/jourmais devra là aussi être adapté à l’évolution pondéralequotidienne. Enfin, il faut en permanence tenir compte dela qualité gustative de ce régime ainsi que son coût quipeut aggraver la dénutrition des patients en relation avecleur pathologie. Ce critère est à prendre à compte car lamortalité à court terme des patients dénutris est plus quedoublée [12].

En pratique, quelles recommandations diététiques aux patients insuffisants cardiaques ?

Parmi les différents objectifs d’éducation des maladesinsuffisants cardiaques, quatre sont directement dans ledomaine de la nutrition : limiter l’apport de sodium, adap-ter la qualité de l’eau à la restriction sodée et la quantitéau poids du malade, éviter la consommation d’alcool quiest délétère pour la fonction myocardique, stimuler l’ali-mentation pour éviter une éventuelle dénutrition qui doitrester une préoccupation permanente et être dépister trèsprécocement. Elle en effet responsable d’une surmortalitéconsidérable.Le régime peu salé est l’élément central. À côté desconseils diététiques, il est important d’analyser le compor-tement alimentaire du patient et de sa famille pour adap-ter les prescriptions et quelles soient réalisables et adopterpar le patient. Pour cela, il est nécessaire de considérerl’alimentation du patient à trois niveaux : avant le repasdurant la phase de conception des menus, de l’achat desaliments et la confection des plats, durant le repas avec

les différentes sollicitations pouvant conduire à des dérivesou à trop fortes restrictions, enfin en dehors des repas oudans les circonstances plus exceptionnelles comme lesinvitations. Ces informations doivent être recueillies etintégrées dans la prescription. Elles soulignent tout l’inté-rêt de l’éducation du patient dans une structure spécialiséeet surtout de l’importance du suivi régulier car elles nesont pas toujours accessibles lors de la première consulta-tion.

Le point de vue du diététicien

L’acte diététique évolue. De conseils techniques autour del’aliment, il évolue vers des propositions plus générales surl’alimentation et le mode de vie donnant une large part àl’éducation. À partir des expériences antérieures, notam-ment pour le traitement des diabétiques, cette approcheglobale connaît un essor important dans les services decardiologie

L’éducation diététique dans l’insuffisance cardiaque

L’éducation du patient est un processus continu d’encou-ragement et d’accompagnement, centré sur le patient etintégré dans les soins. L’éducation vise à rendre le patientmoins dépendant, à l’aider à mieux comprendre sa mala-die, son traitement, et à conserver ou améliorer sa qualitéde vie. L’éducation requiert une participation active dupatient. En matière de nutrition, l’éducation permet dedonner au patient les moyens d’exercer des choix par rap-port à ses comportements alimentaires habituels.À l’hôpital de Nantes un référentiel d’éducation de l’Insuf-fisant Cardiaque a été élaboré. Il indique les connaissan-ces, gestes et attitudes à acquérir par le patient et sonentourage. Les objectifs diététiques qui ont été retenussont indiqués dans le tableau I :Il convient avant tout de réaliser un « diagnostic éducatif »pour connaître la personnalité, les activités, les projets, lemode de vie, les connaissances, les aptitudes, les goûts…et bien sûr les habitudes alimentaires du patient en vue delui proposer des objectifs personnalisés, à sa portée.

Tableau I.Les objectifs diététiques et pédagogiques pour l’éducation des patients

insuffisants cardiaques.

CONNAISSANCESConnaître la quantité de sel conseillée sur la journéeRepérer les aliments salésConnaître les principales équivalences en sel

GESTESFaire la cuisine sans ajout de selCalculer ses apports quotidiens en selChoisir les aliments salés à consommerUtiliser les aromatesAdapter les modes de cuisson

ATTITUDESAdapter la quantité de sel sur la journée en cas de repas festif normo-saléVeiller à des apports énergétiques suffisants.

Page 3: Régime sans sel : le retour !

Cah. Nutr. Diét., 39, 2, 2004 161

nutrition appliquée

Connaître la quantité de sel conseillée pour la journée

La restriction sodée dépend de la gravité de l’insuffisancecardiaque. À l’hôpital de Nantes le régime standardapporte de 4 g à 5 g de sel par jour, ce qui est prochedes recommandations pour l’ensemble de la population.Ce régime présente l’avantage d’être plutôt bien tolérépar les patients car il permet de préserver l’appétit, deconserver le plaisir de la table et de maintenir une viesociale harmonieuse, ce qui est particulièrement impor-tant pour les patients insuffisants cardiaques âgés, fatiguéset en perte d’appétit…

Repérer les aliments salés

En dehors du sel ajouté, les principaux vecteurs de seldans l’alimentation française sont par ordre d’importance– le pain et les produits de boulangerie– la charcuterie– les soupes– les fromages– les plats cuisinés, les tartes salées (quiches, pizza…)– les sandwiches– les viennoiseries– les fruits de mer– les viandes et poissons salés– les condiments et les sauces.Si on en exclut totalement le sel et les aliments salés, uneration alimentaire moyenne apporte environ 2 g de selpar jour. Pour atteindre un objectif de 5 g ou 6 g de selpar jour, il suffit donc d’ajouter 3 g ou 4 g de sel, sousforme de sel de table ou d’aliments salés à cette ration debase.

Connaître les équivalences en sel

Afin de rendre la tâche plus facile à leurs patients, les dié-téticiennes de l’hôpital de Nantes ont établi une liste deportions alimentaires usuelles apportant environ 1g de sel.Ainsi il suffit au patient d’ajouter chaque jour 3 ou4 portions de 1 g de sel à son alimentation non saléepour atteindre l’objectif conseillé de 5 g à 6 g de sel.

Où trouve-t-on 1g de sel ?– dans 1 sachet de 1g de sel (vendu en pharmacie)– ou 80 g de pain salé ou 10 biscottes salées– ou 30 g de corn flakes– ou 1 croissant ou 100 g de brioche– ou 100 g de biscuits type Petit Beurre ou galettesSt Michel– ou 1 part de gâteau réalisé avec de la levure chimique– ou 40 g de fromage– ou 50 g de mousse de foie ou rillettes– ou 20 g de saucisson sec– ou 50 g de boudin (1/2)– ou 50 g de saucisse ou merguez [1]– ou 80 g de foie gras– ou 6 huîtres (sans l’eau)– ou 1l de moules ou de coques crues (cuisson sans sel)– ou 100 g net de crabe ou de langoustines (cuisson sanssel)– ou 100 g net de coquilles St Jacques (cuisson sans sel)– ou 80 g de thon en conserve au naturel– ou 30 g de saumon fumé.Mais l’absence de sel dans les préparations culinaires étantgénéralement mal tolérée, il est habituel de conseiller au

patient de conserver au moins 2 g de sel de table par jour,à ajouter directement dans son assiette. Les quantitésconsommées sont ainsi beaucoup plus faciles à évaluer etsurtout le goût salé ressort davantage lorsque le sel estsaupoudré sur les aliments après cuisson.Cet apport sodé sera complété par 1 ou 2 parts d’ali-ments salés (au choix dans la liste) ; d’où l’importance debien éduquer le patient pour qu’il puisse utiliser correcte-ment les équivalences.Certains aliments salés restent cependant déconseillés auxpatients insuffisants cardiaques• soit parce qu’ils apportent beaucoup de sel pour un inté-rêt nutritionnel limité : biscuits apéritifs salés, potages ensachet, bouillon cube, sauces industrielles, plats cuisinésdu commerce, ufs de poisson…• soit parce qu’il est facile de remplacer ces produits pardes produits équivalents non salés : conserves de légumes,beurre sans sel, pâtisseries du commerce, eaux gazeusessalées (> 50 mg par litre).Cependant, si un patient tient vraiment à consommer l’unde ces aliments, il est toujours possible de le rajouter surla liste des équivalences. D’où la nécessité d’avoir uneconnaissance précise de la composition en sodium de tousles produits issus de l’agro-alimentaire, ce qui est encoreloin d’être le cas aujourd’hui…

Choisir les aliments salés à consommer

Dans un premier temps il est indispensable de guider lepatient insuffisant cardiaque dans le choix des alimentssalés qu’il souhaite privilégier. Par exemple, si le patientest un gros consommateur de pain, il est préférable de luiconseiller le pain sans sel et de lui proposer de prendre saration sodée sous forme de fromage, de jambon ou desachets de sel. Au contraire si on a affaire à un petit man-geur de pain, on lui conseillera plutôt de conserver saration habituelle de pain salé et de comptabiliser cetapport de sel dans sa ration journalière de sodium.

Calculer ses apports quotidiens

S’il a bien compris le principe de son régime alimentaire,le patient insuffisant cardiaque doit pouvoir estimer assezprécisément sa ration de sel quotidienne. Ceci est impor-tant pour éviter les excès sodés pouvant entraîner unepoussée d’insuffisance cardiaque mais aussi pour prévenirles risques de dénutrition. En effet, certains patients pré-fèrent supprimer tout aliment salé ce qui peut induire uneréduction des ingestas, une perte de poids et des carencesnutritionnelles importantes.

Faire la cuisine sans ajout de sel

Le sel est un exhausteur de goût et un régime alimentairepeu salé est souvent anorexigène… Il est donc indispen-sable d’accompagner la prescription diététique par desconseils culinaires permettant de pallier au manque desapidité des aliments. C’est le deuxième axe important del’éducation nutritionnelle du patient insuffisant cardiaque.C’est l’occasion pour le patient et son entourage dedécouvrir une nouvelle façon de cuisiner, avec des épices,des herbes, des fruits, du sucre, du citron, du vinaigre…Pour aider le patient, et son entourage, à s’adapter à cettenouvelle cuisine il est indispensable de lui remettre desfiches-recettes voire de lui conseiller l’achat d’un livre decuisine « sans sel ».

Page 4: Régime sans sel : le retour !

162 Cah. Nutr. Diét., 39, 2, 2004

nutrition appliquée

Utiliser les aromates

Rappelons que dans l’Antiquité, les herbes étaient lesseuls condiments utilisés. Le sel et les épices n’ont fait leurapparition que beaucoup plus tard. Mais les consomma-teurs français utilisent peu les aromates, il faut doncencourager leur imagination culinaire ! Quelques « mari-ages heureux » à leur soumettre sont indiqués dans letableau II : Quelques exemples d’associations à recom-mander.

Adapter les modes de cuissonLe mode de cuisson a également son importance. Les cuis-sons à l’eau sont à éviter au profit des cuissons vapeur, aufour, poêlée, braisé… ou des fritures qui concentrent lessaveurs de l’aliment au lieu de les diluer.

Il faut accompagner le patient pour l’aider à changer quel-ques habitudes, voire lui apprendre une nouvelle façon decuisiner (exemple : la cuisson vapeur, le riz Pilaf…).L’idéal serait de proposer des cours collectifs de cuisinesuivis d’une dégustation mais ce type d’activité est lourd àmettre en place et nécessite des locaux spécifiques d’édu-cation… Cependant un suivi régulier permet de réfléchiravec le patient aux possibilités d’adapter certaines de sesrecettes personnelles à la contrainte d’une alimentationpeu salée.

Adapter la quantité de sel sur la journée en cas de repas festifContrairement à bien des régimes, manger sans sel aurestaurant ou à l’occasion d’une invitation est parfaite-ment impossible, ce qui engendre bien souvent une miseà l’écart de toute convivialité. Pour maintenir des liensfamiliaux et sociaux, il est donc indispensable que lepatient insuffisant cardiaque apprenne à se comporterdans de telles circonstances sans risquer une décompen-sation.Il devra apprendre par exemple à repérer les aliments nonsalés sur une carte de restaurant (melon, grillades, gla-ces…), à composer un menu festif adapté à son régime etsurtout à compenser les excès de sodium d’un repas enréduisant l’apport sodé des autres repas de la journée. Aubesoin il verra avec son médecin comment adapter laposologie des diurétiques en cas de repas « exceptionnel ».

Veiller à des apports énergétiques suffisantsl’appétit a tendance à diminuer et les nausées sont fré-quentes chez les patients insuffisants cardiaques… L’étudeAnker et al. a montré que la dénutrition augmente le tauxde mortalité de ces malades, indépendamment de leur âgeet de la gravité de la maladie [12]. La dénutrition doit êtresystématiquement dépistée chez les insuffisants cardiaqueset une enquête alimentaire minutieuse permettant d’éva-luer précisément les apports nutritionnels sera effectuée.Le traitement nutritionnel de la dénutrition devient alorsune priorité par rapport à la restriction sodée. L’impor-tant est d’augmenter les ingestas. Il faut alors proposer defractionner les repas, d’enrichir les préparations, deconsommer plus souvent les aliments les plus appréciés(même salés), et avoir recours si nécessaire à des complé-ments nutritionnels hypercaloriques.

Conclusion

Les enseignements de l’éducation des patients diabétiquessont ainsi judicieusement utilisés dans un autre champ dela pathologie et nous indiquent l’orientation que peutprendre la nutrition et la diététique. C’est en effet dansune action concertée entre tous les professionnels desanté impliqués dans la prise en charge d’une pathologiechronique que les mesures thérapeutiques pourront être leplus efficaces. Pour la diététique, plus que l’information,c’est l’éducation répétée et suivie qui apparaît être l’actioncentrale et la clef du succès. La prise en compte du patientet de son entourage plus que sa pathologie est égalementun point clef. La mise en place d’une telle organisation,impliquant tous les acteurs de soins, pour l’éducation despatients devrait être l’avenir de la nutrition et la diététique.L’évolution et l’efficacité de la prise en charge de l’insuf-fisance cardiaque confirme cette hypothèse. La grande

Tableau II.Quelques exemples d’associations à recommander.

Ail Viandes, crudités, potages, légumes cuitsAneth Poissons, salades, pommes de terre chaudesBasilic Pâtes fraîches, légumes crus ou cuits,

poissonsCerfeuil Omelette, salade, potageCiboulette Sauce crudités, viande, uf, poissonCoriandre En graines : sur les légumes cuits

En feuilles (persil des Orientaux) : sur les crudité, le tajine

Estragon Volailles, lapin, poissonsSauce Béarnaise (accompagnement des grillades)

Baies de genièvre Gibiers, grillades, choux, carottesGingembre (racine) Râpé sur les crudités

Dans les sauces avec le gibier ou les volaillesLaurier Pour les cuissons à l’eau et les marinades

(élément indispensable du bouquet garni)Menthe Petits pois, le taboulé, farce de viandeOignon Se marient avec tous les aliments aussi biens

crus que cuitsÉchaloteOseille œufs, poisson, veau, potagePersil Cuissons à l’eau (élément indispensable du

bouquet garni)Sur toutes préparations chaudes ou froides

Raifort (racine) Râpé (au dernier moment) sur la viande, les gibiers, les pommes de terre

Romarin Lapin, viandes blanchesSauge Viandes blanches, légumineusesThym Cuissons à l’eau (élément indispensable du

bouquet garni)Viandes en sauce, marinade, farces

Cannelle Viandes, desserts (pomme, chocolat, riz au lait…)

Cumin Viande, poissonCurry Porc, volaille, poisson, uf, riz, champignon…Clou de girofle Pot-au-feu, marinades, court-bouillon (piqués

dans un oignon)Noix de muscade Béchamel, gratins, purée…Paprika Viande (goulasch), poisson, uf dur, potage,

cruditésSafran Poisson, riz, pâtes

Page 5: Régime sans sel : le retour !

Cah. Nutr. Diét., 39, 2, 2004 163

nutrition appliquée

convergence et complémentarité entre le rôle respectif dumédecin et du diététicien souligné par cet article encou-rage cet organisation de travail.

Bibliographie

[1] Bouhour J.B. – [Heart failure. Epidemiology --future pros-pects]. Bull. Acad. Natl. Med., 2002, 186(1), 19-29.

[2] Rich M.W., Beckham V., Wittenberg C., Leven C.L.,Freedland K.E., Carney R.M. – A multidisciplinary inter-vention to prevent the readmission of elderly patients withcongestive heart failure. N. Engl. J. Med., 1995,333(18), 1190-5.

[3] Ahmed A. – Quality and outcomes of heart failure care inolder adults: role of multidisciplinary disease-managementprograms. J. Am. Geriatr. Soc., 2002, 50(9), 1590-93.

[4] Colonna P., Sorino M., D’Agostino C., Bovenzi F., DeLuca L., Arrigo F. et al. – Nonpharmacologic care ofheart failure: counseling, dietary restriction, rehabilitation,treatment of sleep apnea, and ultrafiltration. Am. J. Car-diol., 2003, 91(9A), 41F-50F.

[5] Doughty R.N., Wright S.P., Pearl A., Walsh H.J.,Muncaster S., Whalley G.A. et al. – Randomized, control-led trial of integrated heart failure management: The Auc-kland Heart Failure Management Study. Eur. Heart. J.,2002, 23(2), 139-46.

[6] Giliarevskii S.R., Orlov V.A., Khamaganova L.K., Bende-liani N.G., Boeva O.A., Seredenina E.M. – [Effect of the-rapeutic education of patients with chronic heart failure

on quality of life and requirement of rehospitalizations.Results of 12-months randomized study]. Kardiologiia,2002, 42(5), 56-61.

[7] Grancelli H., Varini S., Ferrante D., Schwartzman R,.Zambrano C., Soifer S. et al. – Randomized Trial of Tele-phone Intervention in Chronic Heart Failure (DIAL): studydesign and preliminary observations. J. Card. Fail.,2003, 9(3), 172-9.

[8] McMurray J. – Concise Guide to the Management ofHeart Failure- World Health Organization/Council onGeriatric Cardiology Task Force on Heart Failure Educa-tion. Am. J. Geriatr. Cardiol., 1996, 5(2), 13-30.

[9] Rich M.W. – Heart failure in the elderly: strategies to opti-mize outpatient control and reduce hospitalizations. Am.J. Geriatr. Cardiol., 2003, 12(1), 19-24.

[10] Stromberg A., Martensson J., Fridlund B., Levin L.A.,Karlsson J.E., Dahlstrom U. – Nurse-led heart failure cli-nics improve survival and self-care behaviour in patientswith heart failure: results from a prospective, randomisedtrial. Eur. Heart. J., 2003, 24(11), 1014-23.

[11] Walden J.A., Dracup K., Westlake C., Erickson V.,Hamilton M.A., Fonarow G.C. – Educational needs ofpatients with advanced heart failure and their caregivers.J. Heart. Lung. Transplant., 2001, 20(7), 766-9.

[12] Anker S.D., Ponikowski P., Varney S., Chua T.P, ClarkA.L., Webb-Peploe K.M. et al. – Wasting as independentrisk factor for mortality in chronic heart failure. Lancet,1997, 349(9058), 1050-3.

[13] Volatier J.L. – Sel et politique de santé publique. 2002.Colloque Sel et Santé, Paris.