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L’inhalation de vapeurs concentre ´es d’alcools peut entraı ˆner une irritation muqueuse (picotements oculaires et rhino- pharynge ´s, toux), voire de petits signes e ´brieux (ce ´phale ´es, sensations de vertiges et nause ´es) lorsque les concentra- tions sont tre `s supe ´rieures aux VLEP. Ainsi avec l’e ´thanol, une irritation du nez et de la gorge est pre ´sente a ` partir de 5000 ppm. La manipulation re ´pe ´te ´e sans protection de solutions concentre ´es d’alcools provoque une se ´cheresse de la peau avec gerc ¸ures et crevasses l’hiver, effet couram- ment rencontre ´ chez les soignants se de ´sinfectant les mains a ` l’aide de solute ´s hydro-alcooliques. Il n’existe aucune publication documente ´e faisant e ´tat de pathologie a ` long terme chez les travailleurs expose ´s a ` l’e ´thanol comme a ` l’isopropanol. La consommation d’e ´thanol conside ´re ´e en 1980 par l’OMS comme sans risque sanitaire est infe ´rieure ou e ´gale a ` 30 g/j chez l’homme et 20 g/j chez la femme (un verre d’une boisson alcoolise ´e quelle qu’elle soit contient 10 g d’alcool pur). Me ˆme revues a ` la baisse, ce qui semble se dessiner, ces doses sont sans commune mesure avec celles induites par les expositions professionnelles. Les conse ´quences pathologiques d’une consommation excessive re ´gulie `re de boissons alcoolise ´es (ence ´phalopathie, neuropathie pe ´ri- phe ´rique, ste ´atose et cirrhose he ´patiques, pancre ´atite chro- nique calcifiante pouvant se compliquer de diabe `te, myocardiopathie, he ´patocarcinome, cancers de la cavite ´ buccale, du pharyngolarynx, de l’œsophage et de l’estomac, syndrome d’alcoolisme fœtal chez le nouveau-ne ´ de me `re e ´thylique chronique...) ne peuvent donc en aucune manie `re e ˆtre extrapole ´es aux expositions professionnelles a ` l’e ´thanol. Les pancre ´atites aigue ¨s sont relativement peu fre ´quentes : incidence de 22 pour 100 000. Selon une synthe `se re ´cente, les principales e ´tiologies sont la lithiase biliaire (35 a ` 50 % des cas), l’e ´thylisme (30 a ` 40 % des cas), l’hypertriglyce ´ride ´mie majeure (> 7 mmol/L), l’obstruction canalaire par une tumeur, quelques me ´dicaments (antire ´troviraux, azathio- prine, sulfasalazine, me ´tronidazole, pentamidine, saxaglip- tine) et la mucoviscidose [3]. En ce qui concerne ces salarie ´s, leur exposition profession- nelle n’explique pas leur pathologie. La survenue de deux cas dans la me ˆme entreprise rele `ve de la coı ¨ncidence, phe ´- nome `ne non exceptionnel en pratique. La femme de 31 ans, chole ´cystectomise ´e cinq ans plus to ˆt, a probablement une re ´cidive microlithiasique sur sa voie biliaire principale avec migration dans le Wirsung. Quant au monsieur de 55 ans, si la consommation de boissons alcoolise ´es n’est pas en cause, il entre dans les 1 a ` 2 % de causes rares (virus, auto-immunite ´, hyperparathyroı ¨die) ou dans les 5 a ` 10 % de formes inexplique ´es [3]. L’absence de signe irritatif parmi le personnel n’est pas en faveur de fortes concentrations dans les locaux ; des dosages atmosphe ´ri- ques d’e ´thanol pourraient ne ´anmoins contribuer a ` rassurer les salarie ´s. De ´claration d’inte ´re ˆts L’auteur de ´clare ne pas avoir de conflits d’inte ´re ˆts en relation avec cet article. Re ´fe ´rences [1] ANSES. E ´ valuation des risques de l’e ´thanol en population professionnelle. Rapport d’expertise collective. France: Mai- sons-Alfort; 2010, 336 p. [2] Thibaudier JM, Freulet JM, Dupupet JL, et al. Conse ´quence sur l’impre ´gnation alcoolique de l’exposition a ` l’e ´thanol durant les ope ´rations de de ´cuvage en cave de vinification. Arch Mal Prof Environ 2005;66:548–52. [3] Bournet B, Otal P, Escourrou J, et al. Pancre ´atite aigue ¨ : diag- nostic, pronostic et traitement. EMC (Elsevier Masson) Paris He ´patologie 2011. 7104-A30. e-mail : [email protected] Rec ¸u le : 22 juillet 2013. Accepte ´ le : 22 juillet 2013. 1775-8785X/$ - see front matter ß 2013 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 10.1016/j.admp.2013.07.187 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2013;74:658-659 Risques toxiques en bijouterie artisanale § Toxic risks in craft jewelry F. Testud Toxicologie me ´dicale, BTP Sante ´ Travail, 69100 Villeurbanne, France Question Je rec ¸ois dans ma collectivite ´ un petit atelier de bijoux tre `s artisanaux de moins de 10 salarie ´s avec un joaillier, mais aussi un tanneur, un sertisseur, un graveur, un fondeur et un polisseur. Ils manipulent de nombreux produits (dont acide borique, borax, fluorure de sodium, de l’acide nitrique, de l’acide aminosulfonique avec agents mode ´rants), mais e ´ga- lement de poussie `res de me ´tal et de cuir, d’e ´mery et peut e ˆtre de la silice cristalline (pla ˆtre re ´fractaire). Le travail est minutieux et le visage est tre `s proche des pie `ces. Le patron comme les salarie ´s me rapportent que le me ´tier est re ´pute ´ sans risque par les professionnels et ne comprend pas que je veuille ame ´nager leur poste (ou essayer, vu que c’est dans des locaux d’habitation re ´ame ´nage ´s), a ` identifier les CMR (silice, voire cuir qui je crois est classe ´ comme tel pour les cancers nasosinusiens ?) a ` des fin de surveillance, etc. Avez-vous connaissance de conditions de travail et d’exposition Courrier des lecteurs § Toute question doit e ˆtre transmise par mail avec vos coordonne ´es pre ´cises au docteur Dominique Lafon ([email protected]). 659

Risques toxiques en bijouterie artisanale

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Page 1: Risques toxiques en bijouterie artisanale

Courrier des lecteurs

§ Toute question doit etre transmise par mail avec vos coordonnees precisesau docteur Dominique Lafon ([email protected]).

L’inhalation de vapeurs concentrees d’alcools peut entraınerune irritation muqueuse (picotements oculaires et rhino-pharynges, toux), voire de petits signes ebrieux (cephalees,sensations de vertiges et nausees) lorsque les concentra-tions sont tres superieures aux VLEP. Ainsi avec l’ethanol,une irritation du nez et de la gorge est presente a partir de5000 ppm. La manipulation repetee sans protection desolutions concentrees d’alcools provoque une secheressede la peau avec gercures et crevasses l’hiver, effet couram-ment rencontre chez les soignants se desinfectant les mainsa l’aide de solutes hydro-alcooliques. Il n’existe aucunepublication documentee faisant etat de pathologie a longterme chez les travailleurs exposes a l’ethanol comme al’isopropanol.La consommation d’ethanol consideree en 1980 par l’OMScomme sans risque sanitaire est inferieure ou egale a 30 g/jchez l’homme et 20 g/j chez la femme (un verre d’uneboisson alcoolisee quelle qu’elle soit contient 10 g d’alcoolpur). Meme revues a la baisse, ce qui semble se dessiner,ces doses sont sans commune mesure avec celles induitespar les expositions professionnelles. Les consequencespathologiques d’une consommation excessive regulierede boissons alcoolisees (encephalopathie, neuropathie peri-pherique, steatose et cirrhose hepatiques, pancreatite chro-nique calcifiante pouvant se compliquer de diabete,myocardiopathie, hepatocarcinome, cancers de la cavitebuccale, du pharyngolarynx, de l’œsophage et de l’estomac,syndrome d’alcoolisme fœtal chez le nouveau-ne de mereethylique chronique. . .) ne peuvent donc en aucunemaniere etre extrapolees aux expositions professionnellesa l’ethanol.Les pancreatites aigues sont relativement peu frequentes :incidence de 22 pour 100 000. Selon une synthese recente, lesprincipales etiologies sont la lithiase biliaire (35 a 50 % descas), l’ethylisme (30 a 40 % des cas), l’hypertriglyceridemiemajeure (> 7 mmol/L), l’obstruction canalaire par unetumeur, quelques medicaments (antiretroviraux, azathio-prine, sulfasalazine, metronidazole, pentamidine, saxaglip-tine) et la mucoviscidose [3].En ce qui concerne ces salaries, leur exposition profession-nelle n’explique pas leur pathologie. La survenue de deuxcas dans la meme entreprise releve de la coıncidence, phe-nomene non exceptionnel en pratique. La femme de 31 ans,cholecystectomisee cinq ans plus tot, a probablement unerecidive microlithiasique sur sa voie biliaire principaleavec migration dans le Wirsung. Quant au monsieur de55 ans, si la consommation de boissons alcoolisees n’estpas en cause, il entre dans les 1 a 2 % de causes rares(virus, auto-immunite, hyperparathyroıdie) ou dans les 5 a10 % de formes inexpliquees [3]. L’absence de signeirritatif parmi le personnel n’est pas en faveur de fortesconcentrations dans les locaux ; des dosages atmospheri-ques d’ethanol pourraient neanmoins contribuer a rassurerles salaries.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References

[1] ANSES. Evaluation des risques de l’ethanol en populationprofessionnelle. Rapport d’expertise collective. France: Mai-sons-Alfort; 2010, 336 p.

[2] Thibaudier JM, Freulet JM, Dupupet JL, et al. Consequence surl’impregnation alcoolique de l’exposition a l’ethanol durant lesoperations de decuvage en cave de vinification. Arch Mal ProfEnviron 2005;66:548–52.

[3] Bournet B, Otal P, Escourrou J, et al. Pancreatite aigue : diag-nostic, pronostic et traitement. EMC (Elsevier Masson) ParisHepatologie 2011. 7104-A30.

e-mail : [email protected]

Recu le : 22 juillet 2013. Accepte le : 22 juillet 2013.

1775-8785X/$ - see front matter � 2013 Publie par Elsevier Masson SAS.10.1016/j.admp.2013.07.187 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement2013;74:658-659

Risques toxiques en bijouterie artisanale§

Toxic risks in craft jewelry

F. TestudToxicologie medicale, BTP Sante Travail, 69100 Villeurbanne, France

Question

Je recois dans ma collectivite un petit atelier de bijoux tresartisanaux de moins de 10 salaries avec un joaillier, mais aussiun tanneur, un sertisseur, un graveur, un fondeur et unpolisseur. Ils manipulent de nombreux produits (dont acideborique, borax, fluorure de sodium, de l’acide nitrique, del’acide aminosulfonique avec agents moderants), mais ega-lement de poussieres de metal et de cuir, d’emery et peutetre de la silice cristalline (platre refractaire). Le travail estminutieux et le visage est tres proche des pieces. Le patroncomme les salaries me rapportent que le metier est reputesans risque par les professionnels et ne comprend pas que jeveuille amenager leur poste (ou essayer, vu que c’est dans deslocaux d’habitation reamenages), a identifier les CMR (silice,voire cuir qui je crois est classe comme tel pour les cancersnasosinusiens ?) a des fin de surveillance, etc. Avez-vousconnaissance de conditions de travail et d’exposition

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Page 2: Risques toxiques en bijouterie artisanale

Courrier des lecteurs Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2013;74:657-662

similaire ? Suis-je excessif sur la protection des salaries et deleur surveillance ?Dr X.

Reponse

Selon l’Union francaise de la bijouterie, joaillerie, orfevrerie,des pierres et des perles, le secteur emploie environ10 000 salaries dans pres de 3000 etablissements, dont35 % situes en region parisienne [1]. Il se caracterise parune grande diversite d’entreprises, depuis les grands grou-pes de l’industrie du luxe jusqu’aux petites bijouteriesartisanales, objet de votre question. Une etude parue en1989 dans les Documents pour le Medecin du Travail decritles differents procedes et postes de travail (fondeur, sertis-seur, polisseur. . .) dans les ateliers artisanaux ; elle estglobalement toujours d’actualite compte tenu du caracteretraditionnel de l’activite [2]. Le risque toxique en bijouteriepeut paraıtre important car la liste des produits utilises estparfois longue et la toxicite intrinseque de certaines sub-stances elevee. En pratique, il est le plus souvent limite parles faibles quantites de produits mises en jeu. Et de fait, lespublications de pathologie toxique professionnelle en bijou-terie sont extremement rares.Il en est ainsi pour les cyanures alcalins presents dans les bainsde dorure et d’argenture. Facilement dissociables, ces compo-ses liberent de l’acide cyanhydrique (HCN) lors du melangeavec un acide, meme faible. L’HCN possede une toxicite aiguemajeure : l’inhalation de vapeurs concentrees peut etre tresrapidement mortelle par arret cardiorespiratoire ; lorsque lesconcentrations sont moindres, les troubles se limitent a unetat d’agitation anxieuse avec vertiges et tachycardie [3]. Lerisque cyanure depend du volume et de la concentration dessolutions mises en œuvre. Ainsi, s’il est avere dans les entre-prises de traitement de surface ou les bains sont de grandetaille et concentres (l’emission d’HCN resulte le plus souventd’un melange intempestif avec un decapant a metaux a based’acides mineraux forts), il n’est que theorique dans lesbijouteries artisanales ou les bains sont de la taille d’uneboıte a chaussures et a faible temperature. Dans ce secteur,l’analyse de la litterature et l’experience montrent que lerisque reel n’est pas celui d’une intoxication professionnelle(aucun cas n’est publie apres exposition accidentelle) maiscelui de l’ingestion volontaire de cyanure par un salariedepressif [4]. Cette donnee doit etre integree dans la preven-tion, avec notamment un acces aux stocks de produit limite aupersonnel autorise.L’acide borique, le borax (borate de sodium) et le fluorure desodium sont presents, en general a faible concentration, dansles pates et autres flux utilises pour le brasage en bijouterie. Ils’agit de substances minerales non volatiles, dont la pene-

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tration percutanee est negligeable. Acide borique et borax sedecomposent a la chaleur avec emission d’oxyde de bore, dontle point de fusion est de 1500 8C ; quant au fluorure de sodium,il ne passe en phase vapeur qu’au-dela de 1700 8C. La presencede ces substances en quantite significative dans les fumeesest donc improbable compte tenu des temperatures mises enjeu dans le brasage fort, comprises entre 450 et 800 8C. Lesfumees de brasage contiennent de faibles quantites d’oxydesmetalliques – argent, cuivre, etain, zinc – dont la toxiciteintrinseque est modeste. Des signes irritatifs locaux (conjonc-tivite, rhinite, toux) sont possibles en l’absence de systemed’aspiration au poste, mais travailler en bijouterie n’a jamaisentraıne de fievre des metaux, d’argyrie ni de fluorose !L’argent, le cuivre, l’etain, le zinc et leurs oxydes, ainsi queles fluorures, ne sont pas suspects d’etre cancerogenes pourl’homme.En definitive, les risques toxiques sont domines par lesbrulures caustiques (acides nitrique et sulfurique, eauregale1) et les effets respiratoires a long terme des micro-particules provenant des abrasifs au poste de polissage :silice (refractaires), alumine (emeri. . .) [5]. Quant aux pous-sieres de cuir, elles seraient effectivement a l’origine d’uneelevation du risque d’adenocarcinome nasosinusien chez lestravailleurs fortement exposes, mais ce n’est pas le cas desbijoutiers.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References

[1] www.union-bjop.com.[2] Lefebvre M, Tardieu MC, Guillon FA, et al. La bijouterie-

joaillerie : risques professionnels et mesures de prevention.DMT 1989;29:137–42.

[3] Acide cyanhydrique et cyanures. Testud F, editor. Toxicologiemedicale professionnelle et environnementale. Paris: ESKA;2012. p. 157–65.

[4] Coentrao L, Moura D. Acute cyanide poisoning amongjewellery and textile industry workers. Am J Emerg Med2011;29:78–81.

[5] Murgia N, Muzi G, Dell’Omo M, et al. An old threat in a newsetting: high prevalence of silicosis among jewellery workers.Am J Ind Med 2007;50:577–83.

e-mail : [email protected]

Recu le : 8 septembre 2013. Accepte le : 10 septembre 2013.

1775-8785X/$ - see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.10.1016/j.admp.2013.09.004 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement2013;74:659-660

1 Melange en proportion 3/1 d’acides chlorhydrique et nitriqueconcentres.