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Signes, symboles dans la question du sens (en littérature) Marie-Christine Hazaël- Massieux

Signes, symboles dans la question du sens (en littérature) Marie-Christine Hazaël-Massieux

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Signes, symboles dans la question du sens (en littérature)

Marie-Christine Hazaël-Massieux

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Le signe après Saussure

• Un signifiant et un signifié• Ne pas confondre le plus petit signe

(morphème) avec une unité de signification : le sens, c’est beaucoup plus complexe...

• La sens passe aussi par le contexte et la situation

• Dénotation et connotation• Le signe devenu symbole...

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Dans le langage courant confusion fréquente de signe et symbole !

La linguistique n’a rien arrangé en parlant de signes arbitraires et de signes symboliques !

Saussure déjà conscient des difficultés terminologiques – cela n’a fait que s’aggraver après lui !

« On s’est servi du mot symbole pour désigner le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. Il y a des inconvénients à l’admettre, justement à cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractère de n’être jamais tout à fait arbitraire ; il n’est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié. Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas être remplacé par n’importe quoi, un char, par exemple. »

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Saussure évoque :

•Les sonorités évocatrices : ex. mots comme « fouet » ou « glas ».

•Les onomatopées authentiques (dont il précise quelles sont peu nombreuses : pipio en latin > pigeon...)

•Les exclamations : aïe ! (mais qui diffèrent selon les langues).

L’origine « symbolique » de ces formes, déclare Saussure, est en partie contestable.

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Symboles et symbolisation

• Selon André Lalande : "Le symbole est un signe concret évoquant, par un rapport naturel, quelque chose d'absent ou d'impossible à percevoir.»

• Pour sa part, Paul Ricœur écrit : "J'appelle symbole toute structure de signification où un sens direct, primaire, littéral, désigne par surcroît un autre sens indirect, secondaire, figuré, qui ne peut être appréhendé qu'à travers le premier."

[Source : wikipedia]

Références :

André Lalande (dir.), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1901-1923, PUF

Paul Ricoeur, Le conflit des interprétations, Seuil, 1969, p. 16.

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Origine du mot :Le mot « symbole » est issu du grec sumbolon (σύμβολον), qui dérive du verbe sumbalein (symballein) (de syn-, avec, et -ballein, jeter] signifiant « mettre ensemble », « joindre », « comparer », « échanger », « se rencontrer », « expliquer ».En Grèce, un symbole était au sens propre et originel un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagé entre deux contractants

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Existe-t-il comme on le dit parfois, entre l'objet symbolisant et l'objet symbolisé, un rapport naturel, une correspondance, un lien intérieur ?

Cf. le rouge symbole du sang

De fait, le symbole est aussi est surtout un signe conventionnel destiné à exprimer ce qui est autrement difficile à exprimer ou inexprimable.

Cf. la flamme, le feu symbole de l’amour

La part alors de la culture et des associations culturelles est énorme. Symbole par décision humaine (cf. le rouge symbole du communisme, le rose du socialisme…), ou en raison d’un lien souvent lointain, peu explicite qu’il convient d’apprendre ou de retrouver (la Croix symbole du chrétien, en raison de la mort de Jésus sur une croix)…

Ne pas oublier : le symbole est polysémique, intelligible selon le système de représentations dans lequel il s'inscrit. Change avec la culture. Cf; couleur du vêtement de noce, ou du vêtement de deuil…

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La littérature est riche en symboles

• Souvent bien au-delà de cette littérature qu’on appelle « symbolique »…

• Tout est symbole ???• Les symboles se multiplient quand on découvre mieux

une œuvre littéraire, un auteur…

Ex. que symbolise le chat chez Baudelaire ou bien l’albatros ; le vent chez tel ou tel poète…

Les couleurs des voyelles chez Rimbaud…

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A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes :A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;I, pourpres, sang craché, rire des lèvres bellesDans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,Paix des pâtis semés d'animaux, paix des ridesQue l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges :- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Les voyelles

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Symboles conscients et inconscients : les rêves, la psychanalyse, les synesthésies, les faits culturels (positif/négatif, le haut/le bas, la droite/la gauche, etc.)

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L’homme peut-il vivre sans symboles ?

• Pas de sens sans symboles (sens tronqué, sens plat…)• La profondeur, la richesse de sens, l’accroissement du

sens tiennent aux symboles, et à leur possibilité de signifier pour un lecteur donné…

• D’autres lectures peuvent faire découvrir d’autres symboles (symboles voulus par l’auteur ou non…)

• On n’arrête pas les symbolisations dans une œuvre littéraire…

• Force du langage symbolique.

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"… le langage symbolique a la force et la capacité inouïe et mystérieuse de dire autre chose que ce qu'il exprime littéralement ! Pour l'être humain, le monde des significations est aussi vital que le monde des choses : il lui est essentiel de donner du sens à la réalité. On peut parler à cet égard de la force de symbolisation du langage humain dans la mesure où le symbole est moins le mot que le mouvement même de la signification littérale qui offre le sens évoqué. Le symbole rend présent ce qui est impossible à percevoir. Il redécrit la réalité sous des aspects qui ne sont pas immédiatement perceptibles, il la recrée et l'invente. Il permet de décoller de l'univers des choses et de faire venir au langage ce que les êtres humains éprouvent, ressentent ou croient." (Villepelet, Denis, 2003, p. 23-24).

D. Villepelet, 2003 : L’avenir de la catéchèse, Les éditions de l’Atelier / Lumen Vitae.

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Baudelaire : « Correspondances » dans Spleen et idéal :

« La nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles;L'homme y passe à travers des forêts de symbolesQui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondentDans une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. »

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Les « techniques » pour établir les correspondances entre les deux mondes chez Baudelaire : comparaisons, métaphores, diverses figures…

Le sens passe-t-il seulement en raison d’une technique ? Cf.

•les rapprochements dans l’œuvre de Baudelaire, Ex du chat...

•entre les œuvres littéraires d’une époque,

•oeuvres de la littérature française,

•oeuvres bien au-delà…

•Les « évocations automatiques » ?

•Spécifiques à chaque individu ?

•Sans oublier les « sonorités » et ce qu’elles évoquent…

•Ce qu’est au total la signification, le sens ???

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Explication de Baudelaire (lettre à Anaïs) :

« Lorsque j'évoque les «forêts de symboles», il s'agit là de ma manière de voir la Nature. En effet, j'y vois un monde complexe où chaque chose symbolise une autre, qui peut varier au gré du temps et des sensations… On pourrait ainsi voir dans des arbres sans feuilles une symbolisation de la mort; dans une forêt équatoriale la jungle qu'est la vie… Comprenez-vous mieux ces mots, à présent?

Ensuite, pour ce qui est du deuxième quatrain, il faut, pour le comprendre, connaître ma théorie des correspondances horizontales et verticales. En effet, je pense qu'il existe entre les choses ici bas une relation forte, mais qui reste «horizontale», par rapport à la relation que j'ai qualifiée de «verticale» que je sens entre notre monde… et le monde divin, inexplicable, étranger. Ce sont ces correspondances que je tente d'expliquer dans la deuxième strophe: les relations entre les parfums, les couleurs et les sons, ainsi que leur rapport au ciel (Vaste comme la nuit et comme la clarté), et qui finissent par ne faire qu'un, c'est-à-dire nos vies ( Comme de longs échos qui de loin se confondent/Dans une ténébreuse et profonde clarté) »

Horizontale = inférentielle ??? Verticale = référentielle ??? Cf. Rastier

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Symboles et traduction

Tout signe est plus ou moins chargé de valeurs symboliques qui font qu’on ne peut réduire le sens au(x) signifié(s).

Il appelle tout un ensemble d’associations sémantiques, liées certes à la culture, qui ne peuvent être traduites : elles peuvent être parfois tout au plus suggérées dans une autre culture, en recourant à d’autres symboles...

Souvent, c’est un autre réseau de significations qui se constitue pour le nouveau lecteur/récepteur...

Valeur = différentielle (implique rapprochement et distinction des signes entre eux : relations qui changent d’une langue à l’autre).

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L’homme est enclin à prendre/interpréter symboliquement beaucoup de paroles, beaucoup de données qui, dans l’art, sont précisément livrées par l’auteur également à cette fin.

De la signification au sens :

Cf. François Rastier : « De la signification lexicale au sens textuel : éléments pour une approche unifiée »

http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Signification-lexicale.html

Qui parle à juste titre de « sémantique du texte ».

« La problématique du sens prend pour objet le texte, plutôt que le signe, et définit le sens comme interprétation, passive ou active. Elle s’appuie sur les disciplines du texte (philologie, droit, critique littéraire, etc.) et donne lieu à deux sortes de théories : l’herméneutique philosophique, et l’herméneutique philologique. La première recherche les conditions a priori de toute interprétation, la seconde cherche au contraire à spécifier l’incidence des pratiques, et débouche sur une typologie des textes. » (op. cit., p. 11)

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Un exemple chez F. ChengFrançois Cheng : L’éternité n’est pas de trop : (Albin Michel, 2002, pp. 211-213 )

[Le personnage principal, Dao-sheng, se rémémore les propos du "lettré"] - Pour exprimer la nostalgie du pays natal, si l'on dit : "J'aimerais revoir le pays",

c'est direct, mais c'est court. En revanche, lorsque le poète dit : Les froides branches de prunus devant la fenêtre

Ont-elles fleuri quand le printemps est là ?Il se remémore le passé, s'imagine le présent et confie son espoir en l'avenir : puisque les branches de prunus fleurissent tous les ans, il aura la chance de les retrouver un jour. Ou alors les retrouver ailleurs : là où fleurissent les prunus, là est le pays natal.

Afin d'exprimer une pensée pour un ami vivant au loin, si l'on dit : "Je pense à toi en cette nuit", c'est direct, mais c'est court. En revanche, lorsque le poète dit :

Dans la montagne vide tombent les pommes de pinL'homme lointain, lui aussi, doit être hors du sommeil.Il se remémore les jours où il était avec l'ami et s'imagine l'heure présente où tous les deux, à distance, partagent la même écoute, celle du bruit des pommes de pin qui tombent et qui résonnent comme leurs coeurs battant à l'unisson.

…/…

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Dao-sheng se rappelle que le poème ancien que le lettré aimait le plus, c'était celui qui évoque une scène de séparation entre deux amants, séparation qui fait naître une union plus haute.La scène représente l'homme qui s'éloigne dans une barque, tandis que la femme reste sur la rive. Le poème, un quatrain, se termine ainsi : Sur le lac le voyageur se retourne : Mont vert entouré de nuage blanc.Au premier abord, on identifie volontiers le mont vert à la femme restée sur la rive, et le nuage blanc à l'homme qui vogue vers le lointain. Une lecture plus attentive signifie qu'au fond le mont vert, yang, pourrait désigner l'homme qui semble crier de loin : "Je pars, mais je reste en pensée avec toi !" et que le nuage blanc, yin, pourrait, lui, désigner la femme qui semble murmurer : "Je reste, mais mon coeur voyage avec toi." Plus en profondeur encore, par ce dernier vers, on se rappelle une vérité éternelle : le nuage naît des entrailles du mont ; monté dans le ciel, il se transforme en pluie, laquelle, retombant, reverdit le mont. Dans ce mouvement circulaire, le mont porte sans cesse le nuage, et le nuage porte sans cesse le mont. Il y a entre eux une relation constante de va-et-vient, une étreinte inextricable qui se renouvelle sans cesse, et qu'un langage ordinaire ne parviendra pas à suggérer.

"Ne pas exprimer directement ses sentiments, parce que directement on n'y arrive pas. On en dit bien plus par les images..."

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Toutes les grandes œuvres sont remplies de symboles, et plus que cela : lecture symbolique d’une œuvre ; bien au-delà des « symboles » plus ou moins convenus.

C’est ce qui les rend éternelles : il y a toujours de nouveaux sens à découvrir (cf. danger des interprétations symboliques convenues – l’allégorie – qui tuent le symbole en le figeant !)