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5 MEDECINE DU SOMMEIL - Année 5 - Avril - Mai - Juin 2008 © 2008 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. Sommeil et douleur Sommeil et douleur : données physiologiques chez l’homme H. Bastuji a a Unité d’hypnologie & INSERM U 879 & Université Claude Bernard, Hôpital Neurologique, Lyon. Correspondance : Hélène Bastuji Unité d'hypnologie Service de neurologie fonctionnelle et d'épileptologie Hôpital Neurologique 59, bd Pinel 69677 Bron cedex [email protected] Résumé Une meilleure connaissance des mécanismes physiologiques reliant sommeil et douleur est essentielle pour améliorer la prise en charge des patients présentant un syndrome douloureux chronique, puisque plus de la moitié d’entre eux ont aussi des troubles du sommeil. Ces mécanismes, encore incomplètement compris, impliquent une relation réciproque entre sommeil et douleur, la douleur interférant avec la stabilité du sommeil et le mauvais sommeil exacerbant la douleur. De plus, un troisième mécanisme est évoqué, qui fait intervenir un facteur de vulnérabilité commun en relation avec celui de la dépression. Mots-clés Douleur, sommeil, fragmentation du sommeil, potentiel évoqué laser, privation de sommeil. SLEEP AND PAIN : PHYSIOLOGY IN HUMAN Summary A better knowledge of the physiological mechanisms concerned by both sleep and pain is crucial in order to improve the management of patients with chronic pain, since more than half of them also has sleep disorders. These mechanisms, still poorly understood, involve a reciprocal relationship between sleep and pain, pain interfering with sleep stability and poor sleep enhancing pain. Furthermore, a third mechanism is suggested, which entails a shared factor of vulnerability related to that of depression. Keywords Pain, sleep, sleep fragmentation, laser evoked potential, sleep deprivation. dossier

Sommeil et douleur : données physiologiques chez l’homme

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5MEDECINE DU SOMMEIL - Année 5 - Avril - Mai - Juin 2008 © 2008 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Sommeil et douleur

Sommeil et douleur :données physiologiques chez l’homme

H. Bastuji a

a Unité d’hypnologie & INSERM U 879& Université Claude Bernard,Hôpital Neurologique, Lyon.

Correspondance :Hélène BastujiUnité d'hypnologie Service de neurologiefonctionnelle et d'épileptologie Hôpital Neurologique59, bd Pinel 69677 Bron [email protected]

Résumé

Une meilleure connaissance des mécanismesphysiologiques reliant sommeil et douleurest essentielle pour améliorer la prise encharge des patients présentant un syndromedouloureux chronique, puisque plus de la moitié d’entre eux ont aussi des troublesdu sommeil. Ces mécanismes, encoreincomplètement compris, impliquent unerelation réciproque entre sommeil etdouleur, la douleur interférant avec lastabilité du sommeil et le mauvais sommeilexacerbant la douleur. De plus, un troisièmemécanisme est évoqué, qui fait intervenir unfacteur de vulnérabilité commun en relationavec celui de la dépression.

Mots-clés

Douleur, sommeil, fragmentation du sommeil,potentiel évoqué laser, privation de sommeil.

SLEEP AND PAIN : PHYSIOLOGYIN HUMAN

Summary

A better knowledge of the physiologicalmechanisms concerned by both sleep and painis crucial in order to improve the managementof patients with chronic pain, since more thanhalf of them also has sleep disorders. Thesemechanisms, still poorly understood, involve areciprocal relationship between sleep and pain,pain interfering with sleep stability and poorsleep enhancing pain. Furthermore, a thirdmechanism is suggested, which entails ashared factor of vulnerability related to that ofdepression.

Keywords

Pain, sleep, sleep fragmentation, laser evokedpotential, sleep deprivation.

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INTRODUCTION

Les troubles du sommeil sont présents chez plus de la moitié despatients présentant un syndrome douloureux, que celui-ci soitaigu [1] ou chronique [2-4]. La connaissance des mécanismesphysiologiques reliant sommeil et douleur est donc essentiellepour le développement d’une meilleure prise en charge de cespatients. La relation entre douleur et sommeil, encoreincomplètement connue, semble réciproque, le mauvais sommeilexacerbant la perception de la douleur, et la douleur nocturneinterférant avec la stabilité du sommeil. Cette relation réciproqueest très vraisemblablement modulée par un troisième facteurcommun de vulnérabilité aux troubles du sommeil et à la douleurchronique, possiblement en relation avec les troubles del’humeur. Après un bref rappel des systèmes impliqués dans laperception de la douleur, nous présenterons les donnéesphysiologiques disponibles de cette relation sommeil/douleurprincipalement chez l’homme.

SYSTÈMES IMPLIQUÉS DANS LA PERCEPTION DE LA DOULEUR

Schématiquement, l’information nociceptive est véhiculéedepuis les terminaisons nerveuses par l’activation des fibreslentes A-delta et ultra-lentes C vers la moelle épinière. Le relais sefait par le faisceau spinothalamique vers la formation réticulée,engagée dans l’effet activateur « éveillant » de la stimulationdouloureuse, la substance grise péri-aqueducale impliquée dansles systèmes de régulation de cette information douloureuse et lethalamus, qui sous-tend, en projetant cette information vers lecortex, l’analyse de sa localisation, de son intensité et de saqualité. Deux systèmes sont décrits : le système latéral, dont lesafférences thalamiques se projettent vers les airessomatosensorielles SI, SII et l’insula postérieure, permettrait ladiscrimination sensorielle de la douleur ; le système médian,dont les projections se font vers les cortex cingulaire etpréfrontal, serait impliqué dans les composantes motrice,cognitive et émotionnelle de la douleur.Les mécanismes de modulation centrale de la douleur fontintervenir différents systèmes et structures depuis la moelleépinière jusqu’au cortex. Des récepteurs opioïdes endogènessont présents à tous les niveaux des systèmes impliqués dans letraitement de l’information nociceptive. Le système DNIC (diffusenoxious inhibitory control) agit par une boucle spino-bulbo-spinale ;des structures situées dans le tronc cérébral, comme le raphémagnus et la substance grise périaqueducale, viennentégalement inhiber les neurones de la moelle épinière et cesafférences descendantes inhibitrices impliquent des systèmesadrénergiques, sérotoninergiques et dopaminergiques. Cesmécanismes modulent principalement la perception de ladouleur, en favorisant la sécrétion d’opioïdes endogènes auniveau des différentes structures impliquées, alors que lacomposante émotionnelle de « souffrance » découle dutraitement de l’information nociceptive par des structurescérébrales comme le système limbique.

PRIVATION DE SOMMEIL ET PERCEPTION DE LA DOULEUR

Le premier mécanisme envisagé implique le fait que le manquede sommeil et le mauvais sommeil puissent avoir un effethyperalgique. Plusieurs études expérimentales chez l’animal etchez l’homme ont apporté des arguments en faveur de cemécanisme (revue dans [5]). Chez l’homme, l’étude la plusancienne, remontant à 1934, indique que la privation prolongéede sommeil diminue le seuil de perception de la douleur. Puis,l’équipe de Moldofsky dans les années 1970 [6] a montré qu’uneprivation de sommeil lent profond par stimulations auditivesrépétées entraînait l’apparition de sensations douloureusessemblables à celles qui sont observées dans la fibromyalgie.Depuis, plusieurs études, utilisant différents types de protocolesde privation de sommeil et de tests d’évaluation de la douleur,ont rapporté des résultats a priori contradictoires. Si certainesétudes ont montré l’absence de modification de la perceptiondouloureuse après privation de sommeil [7-9], la majorité d’entreelles suggèrent un effet hyperalgique de la privation de sommeil[10-14]. Cet effet a semblé plus robuste lorsque, à l’éveil, aprèsprivation de sommeil, la douleur est testée par pressionmécanique, qui touche les tissus cutanés et musculaires, parrapport à une douleur testée par chaleur, qui n’atteint que lestissus cutanés [11]. Cependant, les rôles respectifs du sommeillent, du sommeil paradoxal et de la fragmentation du sommeildans l’augmentation de la perception douloureuse restent àdéterminer plus précisément. D’après Onen et al. [11] si lesprivations sélectives de sommeil paradoxal (SP) et de sommeillent profond (SLP) tendraient à diminuer le seuil de tolérance àune pression douloureuse, seule la récupération après privationde SLP produirait une augmentation de ce seuil. Si cet effethyperalgique de la privation de sommeil est donc assez clair pourla privation du sommeil lent profond, il n’en est pas de mêmepour le sommeil paradoxal. Ceci contraste avec les étudeseffectuées chez l’animal qui sont en faveur d’un rôle déterminantdu sommeil paradoxal, dont la suppression augmente laperception de la douleur et empêche l’effet antalgique desopiacés [15, 16]. Ces résultats, mettant en exergue le rôle dusommeil paradoxal, sont difficiles à concilier avec les donnéesphysiologiques et physiopathologiques humaines qui, elles,suggèrent un rôle non négligeable de la privation de sommeillent profond et de la fragmentation du sommeil sur l’hyperalgie.Comme le proposent Lautenbacher et al. [5], ces résultatsdiscordants pourraient être dus au fait que, chez l’animal, laprivation de sommeil paradoxal est plus facile à réaliser que celledu sommeil lent et que les effets observés pourraient ne pas êtreexclusivement dus à la privation spécifique du sommeilparadoxal, mais probablement à un effet plus générald’interruption du sommeil. L’étude récente et bien contrôlée deSmith et al. [14] apporte des arguments en faveur de cettehypothèse ; les auteurs ont cherché à évaluer si une privationpartielle de sommeil pouvait faire apparaître des douleursspontanées et perturber le processus endogène d’inhibition de ladouleur. La privation de 50 % du temps de sommeil par retard ducoucher n’a pas eu d’effet sur le seuil de perception de la douleur,alors que celle d’une durée équivalente mais, par réveils forcéstoutes les heures, a entraîné une diminution du processusd’inhibition de la douleur et une augmentation de la douleur

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spontanée. Ce résultat suggère le rôle déterminant deperturbation de la continuité du sommeil plutôt que la simplerestriction de sommeil dans la défaillance du processusendogène d’inhibition de la douleur et de son apparition.

RÉACTIVITÉ COMPORTEMENTALEÀ DES STIMULATIONS DOULOUREUSES

Les effets du sommeil sur la douleur ont été étudiés soit enobservant la réactivité du dormeur à différents types de stimulidouloureux soit en enregistrant la réponse électrique ducerveau à ces mêmes stimulations. Des études portant sur lesvariations du seuil de réveil à la stimulation nociceptive ontmontré des différences selon les différents stades de sommeil,stade 2, sommeil lent profond (SLP) et sommeil paradoxal (SP).Lavigne et al. [17] ont observé que la stimulation thermiquedouloureuse entraînait plus fréquemment une réaction d’éveilen stade 2 (près de 50 % des cas) qu’en SLP ou en SP (autour de30 % des cas). Ce type de stimulation déclenchait uneaugmentation du rythme cardiaque également plus marquéeen stade 2 que lors du SLP et du SP [18]. La températurenécessaire à l’obtention d’un réveil du sujet a été trouvée plusélevée de près de 1°C en SLP et en SP qu’en stade 2 [19]. Cettegradation du seuil d’éveil pour des stimulations nociceptivesest similaire à celle déjà décrite pour des stimulations auditives(revue dans [20]) ; elle tend néanmoins à disparaître lors destimulations douloureuses musculaires [21]. Au sein d’un mêmestade de sommeil, la réactivité du dormeur peut varier selon letype de douleur déclenchée ; ainsi en SLP une douleurprovoquée musculaire ou articulaire entraînait une réactiond’éveil quantifiable sur le plan spectral, ce qui n’était pas le caspour une douleur cutanée [7]. Si une stimulation nociceptive estplus à même de réveiller le sujet qu’une stimulation auditivenon douloureuse [22], en revanche, alors que l’incorporationd’une stimulation auditive au contenu des rêves estcouramment observée [23], celle d’une stimulation dou-loureuse demeure exceptionnelle [24].

RÉACTIVITÉ CÉRÉBRALE À DES STIMULATIONS DOULOUREUSES

La stimulation cutanée par pulsation laser, qui active des fibresnociceptives A-delta et C, évoque des réponses électriquescérébrales (potentiels évoqués au laser - PEL) reflétant letraitement cortical spécifique de l’information nociceptive(revues dans [25, 26]). Ces PEL sont utilisés dans l’explorationclinique de la douleur neuropathique (revue dans [27]). Troispremières études des PEL au cours du sommeil, effectuées aucours d’une sieste, ont montré soit une disparition des réponses[28, 29] soit une diminution extrême de celles-ci au cours dustade 2 de sommeil [30].Ces résultats paraissaient surprenants compte tenu de ce qui apu être observé avec d’autres modalités sensorielles, commel’audition ou la somesthésie. En effet, d’après de nombreusesétudes, le cerveau endormi reste capable non seulement d’untransfert, mais également d’une analyse de l’informationsensorielle, et cela a été démontré aussi bien par les techniques

électrophysiologiques (revues dans [31, 32]) que d’imageriecérébrale [33]. La qualité du traitement cognitif de cetteinformation dépend de la profondeur du sommeil : ainsi, ladiscrimination du propre prénom et la détection destimulations incongrues sur le plan sémantique sont toujourspossibles pendant le stade 2 et le SP (revue dans [34]), alorsqu’au cours du sommeil lent profond (SLP), il semble que seulela détection d’une stimulation très inhabituelle, se détachant dubruit de fond, reste opérante.L’information nociceptive étant toujours un signe de menacepour l’homéostasie, il aurait été envisageable que l’organismene réagisse pas en l’intégrant au contenu mental en cours,contrairement à ce qui se passe pour une information auditive,mais plutôt sur un mode « tout ou rien », avec allègement dusommeil puis réveil, sans analyse corticale et cognitivepréalable de cette information. C’est pourquoi nous avonsdécidé d’étudier les PEL au cours du sommeil nocturne afind’enregistrer les éventuelles réponses pendant tous les stadesde sommeil et avec un plus grand nombre de stimulations danschaque stade. Cette étude, publiée tout récemment [22], a puêtre réalisée, en partie grâce aux progrès technologiques dansla conception des stimulateurs laser, qui grâce à une longuefibre optique, permettent de stimuler un sujet libre demouvement pendant son sommeil.Douze volontaires sains sont venus dormir une nuit entière aulaboratoire dans une chambre insonorisée. Des stimulations parlaser Nd:YAP ont été délivrées sur le territoire radial, enalternant mains droite et gauche. Des sessions de 10 à 20stimulations au seuil douloureux, déterminé au préalablependant l’éveil, ont été répétées au cours de la nuit pourobtenir des réponses EEG (32 électrodes) pendant tous lesstades de sommeil. Contrastant avec les effets des stimulationsauditives peu éveillantes [35], la stimulation nociceptiveinterrompait le sommeil dans 30 % des cas, plus souvent sousforme de micro-éveils que d’éveils complets. La gammed’intensités thermiques autorisant la continuité du sommeilsemble donc très étroite, confortant notre hypothèse d’untraitement fruste, en « tout ou rien », de l’informationnociceptive au cours du sommeil, avec peu de marge entre seuilperceptif et réveil. Cependant, contrairement aux travauxprécédents, notre étude a montré la persistance des PEL aucours de tous les stades de sommeil. Leur amplitude étaitatténuée et leur morphologie globalement stade-dépendante,mais pouvant varier au sein d’un même stade. Pendant le stade2, le complexe initial était souvent suivi d’une onde négative degrande amplitude, caractéristique d’un complexe K. Au cours dusommeil paradoxal, les potentiels recueillis sur les régionspariéto-occipitales restent comparables à ceux de l’éveil, alorsque ceux enregistrés sur la région frontale sont pratiquementabolis (figure 1). Ceci suggère une désactivation frontalesélective en sommeil paradoxal, déjà observée sur les réponsesaux stimulations auditives [34]. Bien que la signification de cettedésactivation frontale reste hypothétique, sa réalitéphénoménologique est confortée par des observationssimilaires réalisées à l’aide de l’imagerie fonctionnelledébitmétrique [33, 36].

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Par ailleurs, une composante tardive du PEL (350-450 ms) a étéenregistrée au cours du stade 2 et du SP. Son amplitude étaitaugmentée en réponse aux stimuli suivis de réaction d’éveil(figure 2). Cette composante a été assimilée sur le planfonctionnel à l’onde P3, qui, à l’éveil, a été associée à la perceptionconsciente et à l’encodage mnésique. Sa présence sembleprédire l’apparition secondaire d’une réaction d’éveil, impliquantpar là que la stimulation doive être analysée pour être suivied’une réponse comportementale. L’inconstance de cette analysepourrait être due aux fluctuations du niveau d’activation au seinmême des stades de sommeil, fuseaux de sommeil du stade 2[37] ou activité delta thalamique du sommeil paradoxal. En effet,à l’aide d’enregistrements intracrâniens, nous avons récemmentmontré [38] que le couplage fonctionnel entre les activitésthalamique et néocorticale persiste au cours de tous les états devigilance, à l’exception du sommeil paradoxal. Pendant ce stade,l’activité corticale devient relativement similaire à celle de l’éveil,

dominée par des rythmes rapides, bêta et gamma, alors que lethalamus montre des bouffées d’activité lente, véritablement« paradoxales » témoignant d’un découplage fonctionnel entreles deux structures. Ce découplage des activités thalamique etcorticale au cours du sommeil paradoxal, qui s’est confirmé surl’ensemble de plus de quarante patients maintenant enregistrés,occuperait environ 70 % du sommeil paradoxal au cours de lanuit. L’interprétation conjointe de ces différentes études suggèreque le seuil de réaction corticale à la stimulation nociceptive ensommeil paradoxal pourrait dépendre de l’état d’activation duthalamus et de son couplage avec le cortex. Cette hypothèse estactuellement testée par l’enregistrement des potentiels évoquésnociceptifs au moyen d’électrodes intracérébrales implantées,chez des patients épileptiques, en comparant les PEL et lesréponses comportementales dans les périodes de couplage et dedécouplage thalamocortical du sommeil paradoxal. Lors de cesenregistrements, il sera aussi possible de repérer parmi lesstructures activées à l’éveil, insula, région operculaire SII, SI etcortex cingulaire (revue dans [26]), celles qui continuent derépondre et celles qui s’inactivent pendant le sommeil. Lesommeil paradoxal, au cours duquel les réponses sur le scalp secaractérisent dans l’étude en cours par une disparition de leurcomposante frontale, sera particulièrement étudié.

FACTEUR DE VULNÉRABILITÉ COMMUN

La modulation de la douleur et la régulation du rythmeveille/sommeil partagent des systèmes neurobiologiquescommuns, comme les systèmes adrénergiques, sérotoninergiqueset dopaminergiques qui sont impliqués dans la régulation de laveille et du sommeil, mais aussi dans la modulation de laperception douloureuse, entre autre, par leur action sur lesystème endorphinique. Le dysfonctionnement de ces systèmespourrait donc induire à la fois douleur et troubles du sommeil,mais également d’autres facteurs, comme le stress chronique etla dépression, connus pour interférer avec la relationsommeil/douleur.Trois hypothèses de relation entre douleur et dépression ont étéévoquées. Dans la première, la dépression se trouve être laconséquence de la douleur ou de ses répercussions sur la viequotidienne du sujet. Dans la deuxième hypothèse, la dépressionprécède l’apparition de la douleur et favorise sa chronicisation.Dans la troisième, il y aurait des mécanismes pathogéniquescommuns entre douleur et dépression [39].Les relations entre sommeil et dépression sont bien connues. Enparticulier, l’augmentation de la quantité de sommeil paradoxalet le raccourcissement de sa latence d’apparition sont considéréscomme le reflet d’un facteur de risque de dépression. L’étude deSmith et al. [40] est intéressante dans ce contexte, car elle montreque parmi seize femmes normales, celles qui ont une latence desommeil paradoxal courte et/ou un pourcentage de sommeilparadoxal élevé, évaluent plus intensément la douleur thermiqueet ressentent plus la douleur différée que les autres. Le fait queces modifications du sommeil paradoxal ont par ailleurs étérapportées comme marqueurs de vulnérabilité à la dépression,est particulièrement pertinent si l’on considère l’hypothèse d’unmécanisme pathogénique commun entre douleur et dépression.Des études effectuées sur des modèles animaux permettent

Figure 2 : Changement de morphologie des potentiels évoqués aulaser en fonction de la présence ultérieure d’une réaction d’éveil à lastimulation nociceptive.

Exemple au cours du sommeil paradoxal. En haut : exemples de tracés EEGsans (gauche) et avec (droite) réaction d’éveil après la stimulation ; en bas :superposition des PEL avant une réaction d’éveil (noir) ou sans réaction d’éveil(gris). Notez l’apparition d’une composante tardive dans les réponses qui sontsuivies d’une réaction d’éveil.

Figure 1 : Superposition des potentiels évoqués au laser, moyennéspour tous les sujets, enregistrés au cours du stade 2 (partie gauche) etdu sommeil paradoxal (partie droite).

Les réponses obtenues au cours du sommeil sont en noir et celles obtenues àl’éveil sont en gris. En haut, réponses en Fz, et en bas, réponses en Pz (voir textepour les commentaires).

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actuellement de caractériser les mécanismes de modulation de lasensibilité à la douleur par l’attention ou l’état de vigilance [41],de même que les possibles facteurs de susceptibilité à lachronicisation des troubles [42].D’autres arguments en faveur de cette hypothèse sont indirects et cliniques, c’est-à-dire l’efficacité des traitements,antidépresseurs sédatifs à faibles doses et thérapies cognitivo-comportementales aussi bien dans les insomnies que dans lesdouleurs chroniques [43]. Reste encore à préciser si cestraitements sont efficaces par l’intermédiaire de l’amélioration dusommeil ou par un effet direct sur la douleur ou encore par leuraction éventuelle sur l’humeur ou encore sur les trois aspects à lafois, qui semblent de toute façon souvent intriqués dans ladouleur chronique. Deux études récentes viennent de mettrel’accent sur l’intérêt de ce type de prise en charge dans lesdouleurs neuropathiques [44, 45].D’ailleurs, au vu des résultats des études épidémiologiques et del’efficacité des thérapies cognitivo-comportementales, l’insomniedite secondaire est maintenant envisagée comme unecomorbidité de la dépression et de la douleur, plutôt que commeune cause ou une conséquence de ces deux conditions [46]. C’estla reconnaissance de cette notion de comorbidité entre douleurchronique, trouble du sommeil et dépression qui a conduit à desapproches diagnostique et thérapeutique pluridisciplinaires despatients douloureux chroniques et contribué à la création desconsultations de la douleur.L’approfondissement des connaissances sur la relationréciproque entre douleur et sommeil et sur les mécanismesimpliqués dans la chronicisation de la douleur et des troubles dusommeil devrait permettre une optimisation du traitement despatients douloureux chroniques. n

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