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21 Vie paysanne 15 MARS 2012 POMMES DE TERRE Succès suisse au Bhoutan Grâce à la coopération suisse, la production de pommes de terre a solidement pris racine au Bhoutan et permet à de nombreuses familles vivant en altitude de mieux s’en sortir économiquement. Reportage. S angay, grand-mère cinquante- naire, sert le souper dans une ferme de Phobjikha, une vallée si- tuée à 3000 mètres d’altitude au cœur du Bhoutan. Assis par terre autour du fourneau traditionnel, chacun mange avec appétit et à sa faim. Le faible éclai- rage est fourni grâce à des panneaux so- laires. Ils permettent aussi la recharge des téléphones portables, des outils pré- cieux et désormais largement répandus au Bhoutan. La famille de Sangay doit l’amélioration de sa situation économi- que en bonne partie à la production de pommes de terre et, indirectement, à la coopération technique suisse DDC et Helvetas. Les coopérants suisses ont su, les pre- miers, percevoir que le climat alpin des vallées centrales du Bhoutan était très favorable à la pomme de terre. Ils en ont soutenu la production avec succès dès les années septante. La variété «Désirée», d’origine hollandaise, fut introduite par les Suisses. Elle a été particulièrement bien accueillie par les agriculteurs locaux et constitue aujourd’hui 70% de la pro- duction bhoutanaise. Karma, le fils de Sangay, relève qu’ils l’appellent entre eux la «Rouge Suisse». Quel meilleur si- gne de reconnaissance pour le travail ac- compli par les experts helvètes? Les rösti n’ont pas la cote Sonam et Choki raffolent des pommes de terre que leur grand-mère vient de rissoler. C’est plutôt une exception. Le riz s’impose en effet comme la nourri- ture préférée des Bhoutanais, en plaine comme en montagne. Une chance tou- tefois pour la consommation indigène de la pomme de terre: celle-ci s’accom- mode très bien avec le plat national combinant piments et sauce au fro- mage. Mais c’est bien l’existence du grand marché indien à de longues heures de route qui assure un fantastique dé- bouché aux producteurs bhoutanais. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nom- breux sur le marché grâce à l’extension du réseau routier jusqu’aux villages les plus reculés. Les plants du Bhoutan sont particulièrement recherchés en Inde, parce qu’ils ont été élevés en altitude, à l’abri des maladies et des bactéries. Un appel téléphonique interrompt le repas. Après une brève conversation avec son mari Dawa, Sangay relaye la bonne nou- velle à sa famille: leur récolte de pommes de terre s’est très bien vendue aux en- chères de Phuntsholing, à la frontière indienne. Dawa annonce que les prix à l’exportation sont encore élevés (l’équi- valent de 46 ct./kg). Mais ils ne tarde- ront pas à s’effondrer (environ 4 ct./kg) lorsque les récoltes indiennes viendront inonder le marché. La pomme de terre n’a donc pas seule- ment complété l’alimentation des Bhoutanais, elle a contribué, par les re- venus qu’elle génère, à faire reculer la pauvreté dans les vallées impropres à la culture du riz. Cinq siècles en cinquante ans Plus que le symbole d’un succès de la coopération technique, le cheminement de cette famille de paysans de montagne illustre bien la transformation rapide que connaît le Bhoutan. Ce pays aura mis cinquante ans à réaliser ce que l’Europe a effectué sur cinq siècles: passer d’une société de type féodal à une économie de marché et à la démocratie. Certes, le niveau de vie reste encore très faible dans ce petit pays de l’Himalaya, et encore plus dans la vallée de Phob- jikha. Mais la population a une grande confiance dans l’avenir et en son gouvernement, qui prône une politique basée sur une valeur es- sentielle: le Bonheur National Brut. Un clic sec de l’interrupteur et la ferme est plongée dans l’obscurité. Chacun s’endort rapidement. Les adultes sont heureux du prochain retour de Dawa, avec suffisamment de biens pour passer tout l’hiver dans la haute vallée. Et les petits rê- vent déjà des beaux crayons de cou- leur qu’il leur ramènera sûrement. Natalie et Olivier Brunner-Patthey £ + D’INFOS www.passionphotographie.com La variété «Désirée» introduite au Bhoutan par Helvetas. Sangay dans sa cuisine. Récolte de pommes de terre dans la vallée de Phobjikha. Les paysans bhoutanais travaillent souvent ensemble avec des équipements mis en commun. La ferme familiale de Sonam et Choki. QUESTIONS À… Walter Roder Agronome, directeur d’Helvetas Swiss Intercooperation au Bhoutan et expert dans la culture de la pomme de terre «Cette culture a ouvert un marché» Quel a été pour la coopération technique suisse le principal succès lié à l’introduction de la pomme de terre au Bhoutan? «J’aimerais d’abord préciser que la pomme de terre a sans doute été introduite au Bhoutan il y a plus de 250 ans, mais jusqu’à la construction d’un réseau routier dans les années 1970, elle n’était exploitée que localement et peu consommée. Depuis, la pomme de terre a permis à beaucoup de familles bhoutanaises de passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture de marché. Cette source appréciable de revenus a contribué à réduire l’exode rural.» Quelle est votre principale fierté dans l’action qu’Helvetas a menée depuis 1970? «Les méthodes de culture et de production de semences que nous avons développées dans les vallées du Bumthang ont été reprises dans de très nombreuses autres régions du Bhoutan.» Quels sont les défis à venir pour les producteurs bhoutanais de pommes de terre? «Les dégâts causés aux cultures par les sangliers et les mesures à prendre pour s’en préserver constituent le problème numéro un. Par ailleurs, il conviendra de réduire les coûts de produc- tion, de maîtriser les dégâts causés par l’érosion et de parvenir à stabiliser les prix de vente.» 1 2 3 4 PUBLICITÉ 5 © N.-O. BRUNNER-PATTHEY © PHOTOS NATALIE ET OLIVIER BRUNNER-PATTHEY

Succès suisse au Bhoutan

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Article sur la culture et la production de la pomme de terre au Bhoutan écrit par les reporters-photo Natalie et Olivier Brunner-Patthey.

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Page 1: Succès suisse au Bhoutan

21Vie paysanne15 MARS 2012

POMMES DE TERRE

Succès suisse au BhoutanGrâce à la coopérationsuisse, la productionde pommes de terre asolidement pris racineau Bhoutan et permet àde nombreuses famillesvivant en altitudede mieux s’en sortiréconomiquement.Reportage.

Sangay, grand-mère cinquante-naire, sert le souper dans uneferme de Phobjikha, une vallée si-

tuée à 3000 mètres d’altitude au cœurdu Bhoutan. Assis par terre autour dufourneau traditionnel, chacun mangeavec appétit et à sa faim. Le faible éclai-rage est fourni grâce à des panneaux so-laires. Ils permettent aussi la rechargedes téléphones portables, des outils pré-cieux et désormais largement répandusau Bhoutan. La famille de Sangay doitl’amélioration de sa situation économi-que en bonne partie à la production depommes de terre et, indirectement, à lacoopération technique suisse DDC etHelvetas.Les coopérants suisses ont su, les pre-miers, percevoir que le climat alpin desvallées centrales du Bhoutan était trèsfavorable à la pomme de terre. Ils en ontsoutenulaproductionavecsuccèsdès lesannées septante. La variété «Désirée»,d’origine hollandaise, fut introduite parles Suisses. Elle a été particulièrementbienaccueilliepar lesagriculteurs locauxet constitue aujourd’hui 70% de la pro-duction bhoutanaise. Karma, le fils deSangay, relève qu’ils l’appellent entreeux la «Rouge Suisse». Quel meilleur si-gne de reconnaissance pour le travail ac-compli par les experts helvètes?

Les rösti n’ont pas la coteSonam et Choki raffolent des pommesde terre que leur grand-mère vient derissoler. C’est plutôt une exception. Leriz s’impose en effet comme la nourri-ture préférée des Bhoutanais, en plainecomme en montagne. Une chance tou-tefois pour la consommation indigènede la pomme de terre: celle-ci s’accom-mode très bien avec le plat nationalcombinant piments et sauce au fro-mage. Mais c’est bien l’existence dugrand marché indien à de longues heuresde route qui assure un fantastique dé-bouché aux producteurs bhoutanais. Ilssont d’ailleurs de plus en plus nom-breux sur le marché grâce à l’extensiondu réseau routier jusqu’aux villages lesplus reculés. Les plants du Bhoutan sontparticulièrement recherchés en Inde,parce qu’ils ont été élevés en altitude, àl’abri des maladies et des bactéries.Un appel téléphonique interrompt le repas.Après une brève conversation avec sonmari Dawa, Sangay relaye la bonne nou-velle à sa famille: leur récolte de pommesde terre s’est très bien vendue aux en-chères de Phuntsholing, à la frontièreindienne. Dawa annonce que les prix àl’exportation sont encore élevés (l’équi-valent de 46 ct./kg). Mais ils ne tarde-ront pas à s’effondrer (environ 4 ct./kg)lorsque les récoltes indiennes viendrontinonder le marché.

La pomme de terre n’a donc pas seule-ment complété l’alimentation desBhoutanais, elle a contribué, par les re-venus qu’elle génère, à faire reculer lapauvreté dans les vallées impropres à laculture du riz.

Cinq siècles en cinquante ansPlus que le symbole d’un succès de lacoopération technique, le cheminementde cette famille de paysans de montagneillustre bien la transformation rapideque connaît le Bhoutan. Ce pays aura miscinquante ans à réaliser ce que l’Europe aeffectué sur cinq siècles: passer d’unesociété de type féodal à une économie demarché et à la démocratie.Certes, le niveau de vie reste encore trèsfaible dans ce petit pays de l’Himalaya, et

encore plus dans la vallée de Phob-jikha. Mais la population a unegrande confiance dans l’avenir et enson gouvernement, qui prône unepolitique basée sur une valeur es-sentielle: le Bonheur NationalBrut.Un clic sec de l’interrupteur et laferme est plongée dans l’obscurité.Chacun s’endort rapidement. Lesadultes sont heureux du prochainretour de Dawa, avec suffisammentde biens pour passer tout l’hiverdans la haute vallée. Et les petits rê-vent déjà des beaux crayons de cou-leur qu’il leur ramènera sûrement.

Natalie et OlivierBrunner-Patthey £

+ D’INFOS www.passionphotographie.com

➊ La variété «Désirée» introduiteau Bhoutan par Helvetas. ➋ Sangaydans sa cuisine. ➌ Récolte de pommesde terre dans la vallée de Phobjikha.➍ Les paysans bhoutanais travaillentsouvent ensemble avec des équipementsmis en commun. ➎ La ferme familiale deSonam et Choki.

QUESTIONS À…

Walter RoderAgronome, directeur d’Helvetas Swiss Intercooperation auBhoutan et expert dans la culture de la pomme de terre

«Cette culture a ouvert un marché»Quel a été pour la coopération technique suisse le principalsuccès lié à l’introduction de la pomme de terre au Bhoutan?«J’aimerais d’abord préciser que la pomme de terre a sans douteété introduite au Bhoutan il y a plus de 250 ans, mais jusqu’à laconstruction d’un réseau routier dans les années 1970, elle n’étaitexploitée que localement et peu consommée. Depuis, la pomme deterre a permis à beaucoup de familles bhoutanaises de passer d’uneagriculture de subsistance à une agriculture de marché. Cettesource appréciable de revenus a contribué à réduire l’exode rural.»Quelle est votre principale fierté dans l’action qu’Helvetas a

menée depuis 1970?«Les méthodes de culture et de production de semences que nous avons développées dans lesvallées du Bumthang ont été reprises dans de très nombreuses autres régions du Bhoutan.»

Quels sont les défis à venir pour les producteurs bhoutanais de pommes de terre?«Les dégâts causés aux cultures par les sangliers et les mesures à prendre pour s’en préserverconstituent le problème numéro un. Par ailleurs, il conviendra de réduire les coûts de produc-tion, de maîtriser les dégâts causés par l’érosion et de parvenir à stabiliser les prix de vente.»

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