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A ma maistresse Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avoit dclose Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vespre Les plis de sa robe pourpre, Et son teint au vostre pareil. Las ! voyez comme en peu d'espace, Mignonne, elle a dessus la place Las las ses beautez laiss cheoir ! O vrayment marastre Nature, Puis qu'une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! Donc, si vous me croyez mignonne, Tandis que vostre ge fleuronne En sa plus verte nouveaut, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme ceste fleur, la vieillesse Fera ternir vostre beaut."Le Premier Livre des Odes, Ode XVII" Pierre de RONSARD

Sensation Par les soirs bleus d't, j'irai dans les sentiers, Picot par les bls, fouler l'herbe menue : Rveur, j'en sentirai la fracheur mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tte nue. Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : Mais l'amour infini me montera dans l'me, Et j'irai loin, bien loin, comme un bohmien, Par la Nature, heureux comme avec une femme. Mars 1870. Rimbaud, Les Cahiers de Douai, in Posies

Ma Bohme. (Fantaisie) Je m'en allais, les poings dans mes poches creves ; Mon paletot aussi devenait idal : J'allais sous le ciel, Muse ! et j'tais ton fal ; Oh ! l l ! que d'amours splendides j'ai rves ! Mon unique culotte avait un large trou. Petit-Poucet rveur, j'grenais dans ma course Des rimes. Mon auberge tait la Grande-Ourse. Mes toiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les coutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre o je sentais des gouttes De rose mon front, comme un vin de vigueur ; O, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les lastiques De mes souliers blesss, un pied prs de mon coeur ! Rimbaud, Les Cahiers de Douai in Posies

Le mal Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'carlates ou verts, prs du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu'une folie pouvantable broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; - Pauvres morts ! dans l't, dans l'herbe, dans ta joie, Nature ! toi qui fis ces hommes saintement ! - Il est un Dieu qui rit aux nappes damasses Des autels, l'encens, aux grands calices d'or ; Qui dans le bercement des hosannah s'endort, Et se rveille, quand des mres, ramasses Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou li dans leur mouchoir. Rimbaud, Les cahiers de Douai, in Posies

Le dormeur du val C'est un trou de verdure o chante une rivire, Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; o le soleil, de la montagne fire, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tte nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est tendu dans l'herbe, sous la nue, Ple dans son lit vert o la lumire pleut. Les pieds dans les glaeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au ct droit. Rimbaud, Les Cahiers de Douai in Posies

Une Charogne Rappelez-vous l'objet que nous vmes, mon me, Ce beau matin d't si doux : Au dtour d'un sentier une charogne infme Sur un lit sem de cailloux, Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Brlante et suant les poisons, Ouvrait d'une faon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire point, Et de rendre au centuple la grande nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint ; Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'panouir. La puanteur tait si forte, que sur l'herbe Vous crtes vous vanouir. Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D'o sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un pais liquide Le long de ces vivants haillons. Tout cela descendait, montait comme une vague, Ou s'lanait en ptillant ; On et dit que le corps, enfl d'un souffle vague, Vivait en se multipliant. Et ce monde rendait une trange musique, Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van. Les formes s'effaaient et n'taient plus qu'un rve, Une bauche lente venir, Sur la toile oublie, et que l'artiste achve Seulement par le souvenir.

Derrire les rochers une chienne inquite Nous regardait d'un oeil fch, piant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait lch. Et pourtant vous serez semblable cette ordure, A cette horrible infection, toile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion ! Oui ! telle vous serez, reine des grces, Aprs les derniers sacrements, Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses. Moisir parmi les ossements. Alors, ma beaut ! dites la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j'ai gard la forme et l'essence divine De mes amours dcomposs ! Charles Baudelaire

Aube J'ai embrass l'aube d't. Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau tait morte. Les camps d'ombre ne quittaient pas la route du bois. J'ai march, rveillant les haleines vives et tides, et les pierreries regardrent, et les ailes se levrent sans bruit. La premire entreprise fut, dans le sentier dj empli de frais et blmes clats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s'chevela travers les sapins : la cime argente je reconnus la desse. Alors je levai un un les voiles. Dans l'alle, en agitant les bras. Par la plaine, o je l'ai dnonce au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dmes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, prs d'un bois de lauriers, je l'ai entoure avec ses voiles amasss, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombrent au bas du bois. Au rveil il tait midi. Rimbaud, Les Illuminations in Posies

La Chartreuse de Parme Extrait : Un jeune noble milanais, Fabrice del Dongo, rve de gloire et de libert. Pendant les Cent Jours, il brle de rejoindre l'arme de Napolon. Sa tante Gina del Dongo, me galement gnreuse, l'aide raliser son dessein. Voil donc Fabrice Waterloo ... Nous avouerons que notre hros tait fort peu hros en ce moment. Toutefois la peur ne venait chez lui quen seconde ligne ; il tait surtout scandalis de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. Lescorte prit le galop ; on traversait une grande pice de terre laboure, situe au-del du canal, et ce champ tait jonch de cadavres. Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie les hussards de lescorte. Et dabord Fabrice ne comprenait pas ; enfin il remarqua quen effet presque tous les cadavres taient vtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson dhorreur ; il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore, ils criaient videmment pour demander du secours, et personne ne sarrtait pour leur en donner. Notre hros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde pour que son cheval ne mt les pieds sur aucun habit rouge. Lescorte sarrta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez dattention son devoir de soldat, galopait toujours en regardant un malheureux bless. Veux-tu bien tarrter, blanc-bec ! lui cria le marchal des logis. Fabrice saperut quil tait vingt pas sur la droite en avant des gnraux, et prcisment du ct o ils regardaient avec leurs lorgnettes. En revenant se ranger la queue des autres hussards rests quelques pas en arrire, il vit le plus gros de ces gnraux qui parlait son voisin, gnral aussi, dun air dautorit et presque de rprimande ; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosit ; et, malgr le conseil de ne point parler, lui donn par son amie la gelire, il arrangea une petite phrase bien franaise, bien correcte, et dit son voisin : Quel est-il ce gnral qui gourmande son voisin ? Pardi, cest le marchal ! Quel marchal ? Le marchal Ney, bta ! Ah ! o as-tu servi jusquici ? Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point se fcher de linjure ; il contemplait, perdu dans une admiration enfantine, ce fameux prince de la Moskova, le brave des braves. Tout coup on partit au grand galop. Quelques instants aprs, Fabrice vit, vingt pas en avant, une terre laboure qui tait remue dune faon singulire. Le fond des sillons tait plein deau, et la terre fort humide, qui formait la crte de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancs trois ou quatre pieds de haut. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pense se remit songer la gloire du marchal. Il entendit un cri sec auprs de lui : ctaient deux hussards qui tombaient atteints par des boulets ; et, lorsquil les regarda, ils taient dj vingt pas de lescorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se dbattait sur la terre laboure, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : lesang coulait dans la boue. Ah ! my voil donc enfin au feu ! se dit-il. Jai vu le feu ! se rptait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. A ce moment, lescorte allait ventre terre, et notre hros comprit que ctaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du ct do venaient les boulets, il voyait la fume blanche de la batterie une distance norme, et, au milieu du ronflement gal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des dcharges beaucoup plus voisines ; il ny comprenait rien du tout. La Chartreuse de Parme, Stendhal

Voyage au bout de la nuitAu front, le colonel de Bardamu reoit un message : De le voir ainsi cet ignoble cavalier dans une tenue aussi peu rglementaire, et tout foirant d'motion, a le courrouait fort, notre colonel. Il n'aimait pas cela du tout la peur. C'tait vident. Et puis ce casque la main surtout, comme un chapeau melon, achevait de faire joliment mal dans notre rgiment d'attaque, un rgiment qui s'lanait dans la guerre. Il avait l'air de la saluer lui, ce cavalier pied, la guerre, en entrant. Sous ce regard d'opprobre, le messager vacillant se remit au garde--vous , les petits doigts sur la couture du pantalon, comme il se doit dans ces cas-l. Il oscillait ainsi, raidi, sur le talus, la transpiration lui coulant le long de la jugulaire, et ses mchoires tremblaient si fort qu'il en poussait des petits cris avorts, tel un petit chien qui rve. On ne pouvait dmler s'il voulait nous parler ou bien s'il pleurait. Nos Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer d'instrument. C'est la mitrailleuse qu'ils poursuivaient prsent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros paquets d'allumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des gupes. L'homme arriva tout de mme sortir de sa bouche quelque chose d'articul : - Le marchal des logis Barousse vient d'tre tu, mon colonel, qu'il dit tout d'un trait. - Et alors ? - Il a t tu en allant chercher le fourgon pain sur la route des Etrapes, mon colonel ! - Et alors ? - II a t clat par un obus ! - Et alors, nom de Dieu ! - Et voil ! Mon colonel - C'est tout? - Oui, c'est tout, mon colonel. - Et le pain ? demanda le colonel. Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien qu'il a eu le temps de dire tout juste : Et le pain ? Et puis ce fut tout. Aprs a, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits comme on ne croirait jamais qu'il en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que c'tait fini que j'tais devenu du feu et du bruit moi-mme. Et puis non, le feu est parti, le bruit est rest longtemps dans ma tte, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu'un vous les secouait de par-derrire. Ils avaient l'air de me quitter, et puis ils me sont rests quand mme mes membres. Dans la fume qui piqua les yeux encore pendant longtemps, l'odeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entire. Tout, de suite aprs a, j'ai pens au marchal des logis Barousse qui venait d'clater comme l'autre nous l'avait appris. C'tait une bonne nouvelle. Tant mieux! que je pensais tout de suite ainsi : C'est une bien grande charogne en moins dans le rgiment! . Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une bote de conserves. Chacun sa guerre! que je me dis. De ce ct-l, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l'air de servir quelque chose la guerre! J'en connaissais bien encore trois ou quatre dans le rgiment, de sacres ordures que j'aurais aid bien volontiers trouver un obus comme Barousse. Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il tait mort. Je ne le vis plus, tout d'abord. C'est qu'il avait t dport sur le talus, allong sur le flanc par l'explosion et projet jusque dans les bras du cavalier pied, le messager, fini lui aussi. Ils s'embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours, mais le cavalier n'avait plus sa tte, rien quune ouverture au dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ca avait d lui faire du mal ce coup-l au moment o ctait arriv. Tant pis pour lui ! sil tait parti ds les premires balles, a ne serait pas arriv. Toutes ces viandes saignaient normment ensemble.

Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Cline

Les misrables, Waterloo Alors on vit un spectacle formidable. Toute cette cavalerie, sabres levs, tendards et trompettes au vent, ferme en colonne par division, descendit, d'un mme mouvement et comme un seul homme, avec la prcision d'un blier de bronze qui ouvre une brche, la colline de la Belle-Alliance, s'enfona dans le fond redoutable o tant d'hommes dj taient tombs, y disparut dans la fume, puis, sortant de cette ombre, reparut de l'autre ct du vallon, toujours compacte et serre, montant au grand trot, travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l'pouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaants, imperturbables; dans les intervalles de la mousqueterie et de l'artillerie, on entendait ce pitinement colossal. tant deux divisions, ils taient deux colonnes; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s'allonger vers la crte du plateau deux immenses couleuvres d'acier. Cela traversa la bataille comme un prodige. Rien de semblable ne s'tait vu depuis la pris de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie; Murat y manquait, mais Ney sy retrouvait. Il semblait que cette masse tait devenue monstre et n'et qu'une me. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait travers une vaste fume dchire et l. Ple-mle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte disciplin et terrible; l-dessus les cuirasses, comme les cailles sur l'hydre. Ces rcits semblent d'un autre ge. Quelque chose de pareil cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles popes orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans face humaine et poitrail questre dont le galop escalada l'Olympe, horribles, invulnrables, sublimes; dieux et btes. Bizarre concidence numrique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrire la crte du plateau, l'ombre de la batterie masque, l'infanterie anglaise, forme en treize carrs, deux bataillons par carr, et sur deux lignes, sept sur la premire, six sur la seconde, la crosse l'paule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle coutait monter cette mare d'hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symtrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levs brandissant des sabres apparut au-dessus de la crte, et les casques, et les trompettes, et les tendards, et trois mille ttes moustaches grises criant: vive l'empereur! toute cette cavalerie dboucha sur le plateau, et ce fut comme l'entre d'un tremblement de terre. Tout coup, chose tragique, la gauche des Anglais, notre droite, la tte de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crte, effrns, tout leur furie et leur course d'extermination sur les carrs et les canons, les cuirassiers venaient d'apercevoir entre eux et les Anglais un foss, une fosse. C'tait le chemin creux d'Ohain. L'instant fut pouvantable. Le ravin tait l, inattendu, bant, pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus; le second rang y poussa le premier, et le troisime y poussa le second; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrire, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l'air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n'tait plus qu'un projectile, la force acquise pour craser les Anglais crasa les Franais, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que combl, cavaliers et chevaux y roulrent ple-mle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu'une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d'hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abme. Ceci commena la perte de la bataille. Victor Hugo, Waterloo in Les misrables

Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint Rien ntait si beau, si leste, si brillant, si bien ordonn que les deux armes. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle quil ny en eut jamais en enfer. Les canons renversrent dabord peu prs six mille hommes de chaque ct ; ensuite la mousqueterie ta du meilleur des mondes environ neuf dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers dhommes. Le tout pouvait bien se monter une trentaine de mille mes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux quil put pendant cette boucherie hroque. Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum, chacun dans son camp, il prit le parti daller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna dabord un village voisin ; il tait en cendres : ctait un village abare que les Bulgares avaient brl, selon les lois du droit public. Ici des vieillards cribls de coups regardaient mourir leurs femmes gorges, qui tenaient leurs enfants leurs mamelles sanglantes ; l des filles, ventres aprs avoir assouvi les besoins naturels de quelques hros, rendaient les derniers soupirs ; dautres, demi brles, criaient quon achevt de leur donner la mort. Des cervelles taient rpandues sur la terre ct de bras et de jambes coups. Candide senfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait des Bulgares, et des hros abares lavaient trait de mme. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants, ou travers des ruines, arriva enfin hors du thtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et noubliant jamais mademoiselle Cungonde. Ses provisions lui manqurent quand il fut en Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde tait riche dans ce pays-l, et quon y tait chrtien, il ne douta pas quon ne le traitt aussi bien quil lavait t dans le chteau de monsieur le baron avant quil en et t chass pour les beaux yeux de mademoiselle Cungonde. Voltaire, Candide, chapitre troisime (extrait)

Pomes Lou Mourmelon le Grand, 6 avril 1915. Ma Lou je coucherai ce soir dans les tranches Qui prs de nos canons ont t pioches C'est douze kilomtres d'ici que sont Ces trous o dans mon manteau couleur d'horizon je descendrai tandis qu'clatent les marmites Pour y vivre parmi nos soldats troglodytes Le train s'arrtait Mourmelon le Petit Je suis arriv gai comme j'tais parti Nous irons tout l'heure notre batterie En ce moment je suis parmi l'infanterie Il siffle des obus dans le ciel gris du nord Personne cependant n'envisage la mort Et nous vivrons ainsi sur les premires lignes J'y chanterai tes bras comme les cols des cygnes J'y chanterai tes seins d'une desse dignes Le lilas va fleurir je chanterai tes yeux O danse tout un choeur d'angelots gracieux Le lilas va fleurir printemps srieux Mon cour flambe pour toi comme une cathdrale Et de l'immense amour sonne la gnrale Pauvre coeur pauvre amour Daigne couter le rle Qui monte de ma vie ta grande beaut je t'envoie un obus plein de fidlit Et que t'atteigne Lou mon baiser clat Mes souvenirs ce sont ces plaines ternelles Que virgulent Lou les sinistres corbeaux L'avion de l'amour a referm ses ailes Et partout la ronde on trouve des tombeaux Et ne me crois pas triste et ni surtout morose Malgr toi malgr tout je vois la vie en rose je sais comment reprendre un jour mon petit Lou Fidle comme un dogue avec des dents de loup je suis ainsi mon Lou mais plus tenace encore Que n'est un aigle alpin sur le corps qu'il dvore Quatre jours de voyage et je suis fatigu mais que je suis content d'tre parti de Nmes Aussi mon Lou chri je suis gai je suis gai Et je ris de bonheur en t'crivant ces rimes Cette boue est atroce aux chemins dtremps Les yeux des fantassins ont des lueurs navrantes Nous n'irons plus au bois les lauriers sont coups Les amants vont mourir et mentent les amantes

J'entends le vent gmir dans les sombres sapins Puis je m'enterrerai dans la mlancolie 0 ma Lou tes grands yeux taient mes seuls copains N'ai-je pas tout perdu puisque mon Lou m'oublie Dix-neuf cent quinze anne o tant d'hommes sont morts Va-t'en va-t'en va-t'en aux Enfers des Furies jouons jouons aux ds les ds marquent les sorts J'entends jouer aux ds les deux artilleries Guillaume Apollinaire, Pomes Lou

Les Contemplations Demain, ds l'aube, l'heure o blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la fort, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixs sur mes penses, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courb, les mains croises, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyre en fleur. Victor Hugo, Les Contemplations, Livre IV, XIV

Demain, ds l'aube...

Demain, ds l'aube, l'heure o blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la fort, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixs sur mes penses, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courb, les mains croises, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyre en fleur.

Victor Hugo

Mignonne, allons voir si la rose

A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vespre Les plis de sa robe pourpre, Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace, Mignonne, elle a dessus la place Las ! las ses beautez laiss cheoir ! vrayment marastre Nature, Puis qu'une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que vostre ge fleuronne En sa plus verte nouveaut, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beaut.

Pierre de RONSARD