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Urgence psychiatrique Psychiatric emergency C. Boiteux (Psychiatre, praticien hospitalier, coordonnateur pour le secteur 75G16 du SAU) a, *, M. Clostre (Psychiatre, assistant spécialiste) a,b , C. Querel (Psychiatre, assistant spécialiste) a , T. Gallarda (Psychiatre, praticien hospitalier) b a Centre hospitalier Sainte Anne, service du Dr Gorog, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France b Service des professeurs Loo et Olie, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France MOTS CLÉS Urgence psychiatrique ; Situations de crise ; Dispositif d’accueil de l’urgence psychiatrique KEYWORDS Emergency psychiatry; Crisis; Devices of reception of the psychiatric emergency Résumé L’intérêt, la réflexion et le développement des urgences psychiatriques coïnci- dent avec la modification des différentes politiques de santé en matière d’hospitalisation psychiatrique classique, et avec l’essor des urgences médicochirurgicales. Du fait de cette évolution et de l’augmentation des demandes de soins en urgence, les psychiatres ont dû définir le concept d’urgence psychiatrique et, par extension, le concept de crise. L’urgence psychiatrique comporte ainsi un aspect d’urgence des pathologies psychiatri- ques avérées, et un aspect de crise sans pathologie psychiatrique d’emblée repérable. Les modalités d’accueil et les dispositifs nécessaires à cet accueil se sont développés en lien avec cette conceptualisation. Les particularités de prise en charge, les situations clini- ques et les traitements sont définis précisément et font l’objet pour certains de conférences de consensus, notamment la crise suicidaire, qui est au centre des demandes de soins psychiatriques en urgence tant par le nombre que par le risque de récidive et le risque vital encourus. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The interest, the reflexion and the development of psychiatric emergencies coincide with the changes of different health policies as regards traditional psychiatric hospitalisation and with the rise of the medical and surgical emergencies. Because of this evolution and increase in the requests for care in emergency, the psychiatrists had to define the concept of psychiatric emergency and, by extension, the concept of crisis. The psychiatric emergency thus comprises an emergency aspect of proven psychiatric patho- logies and an aspect of crisis without psychiatric pathology of locatable start. The methods of reception and the devices necessary to this reception developed in bond with this conceptualisation. The specific characteristics of assumption of responsibility, the clinical situations and the different treatments are defined precisely and are the object for some conference of consensus, in particular the suicidal crisis which is in the center of the psychiatric requests for care in emergency as well by the number as by the risk of repetition and the incurred vital risk. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Boiteux). EMC-Psychiatrie 1 (2004) 87–104 www.elsevier.com/locate/emcps © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-5718(03)00009-9

Urgence psychiatrique

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Urgence psychiatrique

Psychiatric emergency

C. Boiteux (Psychiatre, praticien hospitalier, coordonnateur pour lesecteur 75G16 du SAU) a,*, M. Clostre (Psychiatre, assistantspécialiste) a,b, C. Querel (Psychiatre, assistant spécialiste) a,T. Gallarda (Psychiatre, praticien hospitalier) b

a Centre hospitalier Sainte Anne, service du Dr Gorog, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, Franceb Service des professeurs Loo et Olie, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France

MOTS CLÉSUrgencepsychiatrique ;Situations de crise ;Dispositif d’accueil del’urgencepsychiatrique

KEYWORDSEmergency psychiatry;Crisis;Devices of reception ofthe psychiatricemergency

Résumé L’intérêt, la réflexion et le développement des urgences psychiatriques coïnci-dent avec la modification des différentes politiques de santé en matière d’hospitalisationpsychiatrique classique, et avec l’essor des urgences médicochirurgicales. Du fait decette évolution et de l’augmentation des demandes de soins en urgence, les psychiatresont dû définir le concept d’urgence psychiatrique et, par extension, le concept de crise.L’urgence psychiatrique comporte ainsi un aspect d’urgence des pathologies psychiatri-ques avérées, et un aspect de crise sans pathologie psychiatrique d’emblée repérable. Lesmodalités d’accueil et les dispositifs nécessaires à cet accueil se sont développés en lienavec cette conceptualisation. Les particularités de prise en charge, les situations clini-ques et les traitements sont définis précisément et font l’objet pour certains deconférences de consensus, notamment la crise suicidaire, qui est au centre des demandesde soins psychiatriques en urgence tant par le nombre que par le risque de récidive et lerisque vital encourus.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract The interest, the reflexion and the development of psychiatric emergenciescoincide with the changes of different health policies as regards traditional psychiatrichospitalisation and with the rise of the medical and surgical emergencies. Because of thisevolution and increase in the requests for care in emergency, the psychiatrists had todefine the concept of psychiatric emergency and, by extension, the concept of crisis. Thepsychiatric emergency thus comprises an emergency aspect of proven psychiatric patho-logies and an aspect of crisis without psychiatric pathology of locatable start. Themethods of reception and the devices necessary to this reception developed in bond withthis conceptualisation. The specific characteristics of assumption of responsibility, theclinical situations and the different treatments are defined precisely and are the objectfor some conference of consensus, in particular the suicidal crisis which is in the center ofthe psychiatric requests for care in emergency as well by the number as by the risk ofrepetition and the incurred vital risk.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Boiteux).

EMC-Psychiatrie 1 (2004) 87–104

www.elsevier.com/locate/emcps

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S1762-5718(03)00009-9

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Introduction

L’urgence psychiatrique n’a longtemps été repré-sentée que par l’hospitalisation du patient, souscontrainte, à l’hôpital psychiatrique, se résumant àun aspect médicolégal de l’histoire de la maladiedu patient28. L’évolution des soins psychiatriquestant sur le plan de la chimiothérapie que sur le plandes dispositifs de prise en charge, et l’évolution dela politique en santé mentale, ont modifié cetabord. Dans le même temps, la demande de soinspsychiatriques en urgence n’a fait que s’accroître.Ces deux mouvements conjoints ont obligé les psy-chiatres à définir l’urgence psychiatrique et à sepréoccuper de sa prise en charge4,8,18. L’organisa-tion de l’urgence psychiatrique repose sur la miseen place de différents dispositifs d’accueil et surune prise en charge spécifique. Les grands cadrescliniques de cette pratique sont repérés et peuventdonc être déclinés ainsi que les particularités deleurs soins, certains font l’objet de conférences deconsensus.

Définition de l’urgence psychiatrique

La psychiatrie s’illustre comme un domaine médi-cal à part, en ce qui concerne l’idée d’urgence. Eneffet, comme le souligne De Clercq, l’urgence psy-chiatrique ne se résume pas aux seules urgences dela psychiatrie, à savoir les moments de décompen-sation de maladies psychiatriques repérées commetelles13. Depuis la proposition de la Commission desmaladies mentales en 1991, la communauté psy-chiatrique définit l’urgence psychiatrique commeune demande dont la réponse ne peut être différée.Il y a urgence à partir du moment où quelqu’un sepose la question, qu’il s’agisse du patient, de l’en-tourage ou du médecin : elle nécessite une réponserapide et adéquate de l’équipe soignante, afind’atténuer le caractère aigu de la souffrance psy-chiatrique19,36.L’urgence psychiatrique se répartit ainsi en deux

groupes :• les urgences psychiatriques pures ou vraies11ou la psychiatrie en urgence13. Nous retrouvonsdans ce cadre les caractéristiques de touteurgence de spécialité médicale ;

• les urgences psychiatriques dans lesquelles lesymptôme est d’apparence psychiatrique et lasituation définie comme une crise à laquelle lepsychiatre va devoir répondre. Le concept decrise11 apparaît là comme le second volet del’abord des urgences psychiatriques. Le cadrede l’urgence de spécialité est ici dépassé.L’urgence, nécessitant une prise en charge

mixte, psychiatrique et médicale ou chirurgicale,

nécessite un dispositif d’urgence pluridisciplinaire,mais elle s’analyse d’un point de vue psychiatriquecomme entrant dans l’un des deux cadres précé-demment cités.

Psychiatrie en urgence

Les urgences psychiatriques vraies ou psychiatrieen urgence sont estimées à 30 % de l’ensemble desdemandes de soins psychiatriques en urgence13,15.La psychiatrie en urgence désigne les décompensa-tions de pathologies psychiatriques telles que lespsychoses, les troubles de l’humeur, les troubles dela personnalité et les perversions29.Lorsqu’une pathologie psychiatrique a déjà été

diagnostiquée auparavant, les antécédents du pa-tient sont retrouvés soit directement auprès dupatient, soit auprès de son entourage, des équipesdes urgences ou des équipes psychiatriques. Cesantécédents et les symptômes d’entrée dans laphase d’acuité mettent le clinicien sur la voie dudiagnostic d’épisode aigu d’une pathologie psychia-trique. Il faut alors tenir compte du processus desoins dans lequel le patient est engagé ou en rup-ture, afin de maintenir ou rétablir une continuité etune cohérence assurant par là même une réponseadéquate dans le cadre du dispositif d’urgence.S’il s’agit de la première décompensation d’une

pathologie psychiatrique, le clinicien explore lesantécédents familiaux, l’anamnèse du trouble pré-senté, et recherche les éléments cliniques en fa-veur d’une pathologie psychiatrique. Il doit alorsorienter le patient mais aussi son entourage dans ledispositif de soins psychiatriques en place, et ce enfonction de la clinique et des éléments de gravitéde l’épisode aigu.Par ailleurs, sont retrouvées dans ce cadre cer-

taines urgences mixtes comme la confusion men-tale, affection somatique à masque psychiatrique,la tentative de suicide du patient mélancoliquenécessitant une prise en charge médicale et psy-chiatrique, etc.Enfin, il est important de souligner l’aspect par-

fois calme de ces urgences, engageant le plus sou-vent le pronostic vital du patient au regard d’autresurgences psychiatriques renvoyant à des situationsde crise plus bruyantes. Il s’agit de ne pas mécon-naître ces situations et de les orienter le plusadéquatement possible dans le dispositif de soinspsychiatriques en place.

Urgences psychiatriques, les situationsde crise

L’urgence ressentie, l’urgence subjective, repré-sente 70 % des cas d’intervention psychiatrique en

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urgence13,15. Il ne s’agit plus ou pas encore demaladies psychiatriques diagnostiquées et évoluti-ves. Cette particularité de l’urgence psychiatriqueau sein de la discipline médicale est à l’origine dudéveloppement du concept de crise. Le psychiatreest, dans ce cadre, confronté à une situation clini-que marquée par l’instabilité11, et il ne peut quetrès difficilement porter un diagnostic sûr et défi-nitif. Cette situation de crise répond aux critèressuivants13 :

• demande urgente et pressante ;• demande adressée à des personnes ou structu-res identifiées comme étant à même d’y ré-pondre : médecins, thérapeutes, travailleurssociaux, structures d’aide psychologique ou so-ciale, etc. ;

• demande portant sur des besoins psychiatri-ques, psychologiques ou sociaux ;

• demande pouvant être exprimée directementpar le sujet mais aussi par la famille, l’entou-rage, le médecin, le travailleur social ou lesservices de police ;

• demande exigeant une réponse immédiate dela part de celui à qui la demande s’adresse.À cette définition des urgences psychiatriques,

se surajoutent quelques particularités symptomati-ques. Le symptôme dont va se plaindre le sujet estle plus souvent somatique, cette plainte va êtreconsidérée comme fonctionnelle par les urgentistesmédecins ou chirurgiens, et correspondre dans plusde 80 % des cas à un réel problème d’urgencepsychiatrique16. L’expression symptomatique estcaractérisée par le paroxysme, l’excès, l’explosion,elle se situe dans le champ de l’acte et non du dire.Elle est bruyante et mobilisatrice tant pour lesfamilles que pour les relais sociaux ou médicauxtraditionnels : police, pompiers, SAMU, etc. Cecaractère dramatique et explosif ne tolère pas uneréponse différée et demande le plus souvent unemobilisation de la famille dans la tentative deréponse.À l’émergence de ces urgences psychiatriques

nombreuses sont liés des facteurs favorisants quiont pour point commun l’évolution sociale récenteet actuelle : la fragilité des cellules familiales, ladéliquescence des liens sociaux, l’intolérance à ladifférence, l’absence d’interlocuteur médical in-vesti de confiance14, l’augmentation de la violenceet la précarité11. La politique de santé mentaleévolue conjointement à cette évolution sociale : lafermeture de lits dans les services de psychiatrie desecteur peut être à l’origine de tension pour cer-tains malades mentaux, et l’encombrement desstructures de consultations entrave ces unités dansla mise en place d’un accueil de l’urgence. Laréponse à ces urgences psychiatriques est un enjeu

pour les protagonistes de la santé mentaled’aujourd’hui.

Organisation spécifique de l’urgencepsychiatrique

Dispositifs d’accueil de l’urgencepsychiatrique

En considérant l’urgence psychiatrique définie parles deux axes présentés précédemment, il est aiséde saisir que les acteurs amenés à intervenir sur leterrain de cette urgence particulière sont multi-ples. Il s’agit de professionnels ou structures spé-cialisées, mais aussi de professionnels ou structuresnon psychiatriques.

Médecins généralistesQu’il soit médecin de famille ou de proximité, lemédecin généraliste peut être le premier interlocu-teur médical interpellé ou intervenant dans le dé-roulement de l’urgence psychiatrique. Toutd’abord, les symptômes psychiques et les troublespsychiatriques représentent une part importantede la consultation de médecine générale. Uneétude réalisée à Paris24 a relevé que 11 % despatients consultant en médecine générale ont uneplainte portant sur un problème psychologique.Toujours dans cette même étude, parmi les pa-tients consultant en médecine générale et ayant pufaire l’objet d’un entretien psychiatrique à viséediagnostique, 30 % présentaient des troubles psy-chiatriques : une dépression (13,7 %), un troubleanxieux (12 %), une neurasthénie (9 %), un alcoo-lisme grave ou une dépendance alcoolique (10 %).Ces chiffres reflètent combien le médecin généra-liste est pris dans le dispositif de soins psychiatri-ques. Il est un relais qui permet d’adresser lepatient aux médecins spécialistes dans le cadre del’urgence psychiatrique, que cela soit vers l’hôpitalgénéral ou vers le dispositif spécifique psychiatri-que5.En médecine générale, l’urgence psychiatrique

présente le plus souvent les caractéristiques de lasituation de crise. L’enjeu est donc d’inscrire lesmédecins généralistes dans le dispositif spécialiséspécifique de cette urgence particulière, afin derompre leur isolement et de permettre une évalua-tion précise et psychiatrique de la situation qui nerenvoie pas toujours à une nécessité d’hospitalisa-tion en unité psychiatrique13. Pour répondre à cetenjeu, il est nécessaire de réfléchir en termes deréseau de soins et de rendre celui-ci lisible par touset facile d’accès.

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SAMUL’intervention des Services d’aide médicale ur-gente (SAMU) dans le champ de l’urgence psychia-trique est avant tout centrée sur la prise en chargedes urgences de la psychiatrie évidentes telles quela tentative de suicide, le délire aigu13, mais elle secantonne de moins en moins à cet axe de l’urgencepsychiatrique. En effet, ces services sont repéréspar la population comme étant un accès rapide,efficace et sûr à des soins médicaux. Ils représen-tent l’interlocuteur ultime reconnu comme le plusà même de répondre à la demande au moins sur leplan de l’orientation dans le système de soins quidemeure complexe7. Au-delà de l’organisation dela prise en charge médicopsychologique des catas-trophes ou événements à fort retentissement psy-chologique, les équipes de SAMU développent desréponses spécialisées face à l’augmentation desappels en rapport avec l’urgence psychiatrique.Elles ont recours aux psychiatres de l’unité de priseen charge médicopsychologique des catastrophes :ces derniers, intervenant dans un réseau mêlanthôpital général et psychiatrique, régulent ces ap-pels et permettent une première réponse sousforme d’orientation. Là encore apparaît la néces-sité d’une réflexion sur l’organisation en réseaudans laquelle les SAMU doivent s’inscrire afin defaciliter la réponse et l’orientation de l’urgencepsychiatrique.

Hôpitaux générauxL’urgence médicochirurgicale s’est développée enrelation avec la croissance économique et la de-mande pressante de soins immédiats induite par lesprogrès techniques de la médecine28. Sa pratiqueest donc repérée comme une offre de soins immé-diate, efficace et capable d’arrêter rapidementtout processus renvoyant à la souffrance et à l’in-supportable. Cette idée de soulagement rapide dela souffrance, l’accessibilité de ces services et laprécarité sociale ou des liens sociaux font du ser-vice des urgences de l’hôpital général un lieu desoins de plus en plus visité. Pour exemple, en 1998,en France, neuf millions de personnes ont consultédans un service d’urgence, soit une personne sursept35 ; 10 à 30 % de ces consultations nécessitaientun abord psychiatrique36.De ce fait, il a été nécessaire de mettre en place

une véritable organisation hiérarchisée des urgen-ces générales, organisation au sein de laquelle laprise en charge de l’urgence psychiatrique est re-connue comme un élément indispensable20. Le dé-cret du 9 mai 1995 définit l’organisation du plateautechnique et les moyens en personnels médicaux etparamédicaux des services accueillant toute ur-gence à l’hôpital général. La présence d’un dispo-

sitif psychiatrique se décline de la manière sui-vante23 :

• pour les services d’accueil et de traitement del’urgence ou SAU, la présence d’un psychiatreest requise 24 heures sur 24, ainsi que celled’un infirmier ayant acquis une expérienceprofessionnelle dans un service de psychiatrie ;

• pour les autres structures comme les unités deproximité d’accueil, de traitement et d’orien-tation des urgences ou UP, l’équipe médicaledoit pouvoir faire venir un psychiatre à toutmoment. La présence d’un infirmier psychiatri-que ayant acquis une expérience dans un ser-vice psychiatrique est là encore nécessaire.Les hôpitaux généraux accueillant un SAU ou une

UP doivent être liés par une convention avec leshôpitaux de secteur psychiatrique concernés par lapopulation accueillie aux urgences. Cette conven-tion a pour objectif de définir les modalités d’inter-vention et d’articulation entre l’accueil de l’ur-gence psychiatrique à l’hôpital général et lapsychiatrie de secteur.Deux types de structure prenant en charge l’ur-

gence psychiatrique à l’hôpital général se sont dé-veloppées dans ce cadre :

• l’unité d’accueil des urgences psychiatriquessituée à proximité des urgences médicochirur-gicales, mais sans y être implantée tant en cequi concerne l’unité de lieu qu’en ce quiconcerne l’unité administrative. Cette unitéfonctionne comme une unité d’urgence psy-chiatrique autonome 24 heures sur 24 avec uneéquipe médicale et paramédicale complète. Lerecours aux médecins somaticiens est facilitépar sa localisation ;

• l’unité fonctionnelle psychiatrique intégrée auservice des urgences médicochirurgicales tantau niveau du lieu que de l’unité administrative.Un psychiatre senior et un infirmier accueillentet assurent la prise en charge de l’urgencepsychiatrique en très étroite collaborationavec l’équipe médicochirurgicale.Le partenariat entre urgentistes somaticiens et

psychiatres permet au dépistage de cette urgencede s’effectuer sans encombre : suite à une orienta-tion vers l’équipe psychiatrique par le médecinsomaticien, peu de patients sont identifiés comme« sans caractéristique d’urgence psychiatrique » ousans diagnostic, et peu ne sont pas orientés dans lesystème de soins en aval de l’urgence psychiatri-que35. Le recours à l’équipe psychiatrique corres-pond, par ordre de fréquence décroissante, à uneévaluation des troubles suivants : conduites suici-daires, états anxieux, idées dépressives, idées déli-rantes et états d’agitation23.Certaines de ces unités disposent, au sein même

de l’hôpital général, d’unité d’hospitalisation de

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courte durée pouvant être individualisée commetelle ou mêlée au service d’hospitalisation courtedit service porte médicochirurgical. Ces unités per-mettent une évaluation à distance de la crise et uneadaptation plus précise de l’orientation du patientdans le réseau de soins psychiatriques. Dans cecadre, il est observé que près d’un quart des pa-tients est orienté vers des unités d’hospitalisationspécialisée, alors que plus de la moitié décrit uneamélioration de son état psychique et psychiatriqueau cours de cette hospitalisation brève23, améliora-tion qui permet une orientation sur une structurede soins psychiatriques ambulatoires.Ce dispositif d’accueil des urgences à l’hôpital

général apparaît comme très précieux dans l’arse-nal des soins psychiatriques. Cependant, son exer-cice nécessite des liens forts entre équipes, qu’el-les soient médicochirurgicales ou psychiatriques.La question du temps nécessaire au traitement decette urgence particulière est souvent soulevée parles urgentistes somaticiens : celui de l’urgencepsychiatrique s’avère plus long que celui d’uneurgence médicochirurgicale, ce qui pose un pro-blème de codification quantitative mais aussi qua-litative des soins psychiatriques en urgence. Enfin,le champ d’intervention du psychiatre s’avère trèsvaste aux urgences de l’hôpital général, puisqu’ilfaut faire face à des situations moins psychiatriquesque dues aux orientations de la société actuellecomme la médicalisation et surtout la psychiatrisa-tion de l’urgence sociale6.

Structures spécialisées en psychiatrie publiqueIl s’agit souvent d’un second circuit de l’urgencepsychiatrique articulé aux circuits précédemmentdécrits selon les réseaux ou partenariats formels ouinformels existant localement. Il s’agit de la ré-ponse mise en place par les équipes de l’hôpitalpsychiatrique proprement dit, les équipes de sec-teur psychiatrique.

Équipes psychiatriques mobilesLa création de telles équipes dans quelques payseuropéens, notamment en France, est le résultatd’une réflexion portée conjointement sur l’urgencepsychiatrique et les solutions d’alternative à l’hos-pitalisation, sans idée de se substituer à l’hospita-lisation classique qui doit garder sa place quandl’indication est clairement posée. En France, unservice mobile d’urgence psychiatrique accessible24 heures sur 24 a vu le jour en 1994, après unelongue réflexion et élaboration en réponse avanttout aux difficultés rencontrées face à l’institution-nalisation et à la nécessité politique de mise enplace d’autres systèmes de soins21. Il s’agit del’équipe rapide d’intervention de crise dite ERIC.

Cette unité intervient sur un large bassin de popu-lation, soit 300 000 habitants. Son organisation esttrès précisément définie21,31. L’accès au service estréservé aux professionnels et les appels du publicsont régulés par le SAMU. Ainsi, le système estassocié à un réseau primaire de soins, il peut filtrerles urgences somatiques nécessitant un transfert àl’hôpital général, ainsi que les demandes purementsociales ou relevant de l’ordre public. L’équipe estcomposée de psychiatres, d’un psychologue, d’in-firmiers et d’un cadre infirmier et enfin d’unesecrétaire. Les interventions sont effectuées par unbinôme : psychiatre et infirmier ou psychiatre etpsychologue. Suite à un appel signalant une ur-gence psychiatrique, le principe d’ERIC est de pro-poser soit une intervention de son équipe au domi-cile du sujet concerné en présence de sa famille oude ses proches, soit une consultation en urgencedans les locaux de l’unité mobile, entretien auquelsont conviés le sujet, sa famille ou ses proches.L’approche du trouble ou de la crise se fait selonune orientation systémique. À l’issue de ce premiercontact, une prise en charge est proposée21 aupatient et à son entourage :

• 35 % des patients sont hospitalisés dont 10 % enhospitalisation librement consentie, 7 % enhospitalisation sous contrainte et 18 % en litporte pour 48 heures d’observation et desoins ;

• 59 % restent au domicile et bénéficient de soinsde posturgence dans 76 % des cas, ces soinsétant assurés par l’équipe ERIC elle-mêmepour une durée moyenne de 14 jours, maispouvant s’étendre à 1 mois. Au décours, unsuivi psychiatrique en service public ou en libé-ral peut être organisé ;

• 3 % rejettent l’intervention proposée.Cette expérience originale montre la pertinence

de la prise en charge de l’urgence psychiatriqueintégrée à un réseau de soins : l’accès aux soins estfacilité, le traitement ambulatoire est rendu possi-ble par une organisation d’aval coordonnée àl’équipe d’urgence, et l’impasse n’est pas faite surla dimension d’hospitalisation si celle-ci relèved’une indication définie au préalable d’un point devue psychiatrique mais aussi définie avec le patientet son entourage. L’équipe ERIC est une des voiesdans laquelle les équipes psychiatriques peuvents’engager pour répondre aux exigences conjointeset pressantes de prises en charge de l’urgencepsychiatrique et de la désinstitutionnalisation.Il existe aussi des tours de garde organisés par

des psychiatres libéraux se déplaçant à domicile.L’appel du patient ou de son entourage est récep-tionné, fait l’objet d’une régulation, puis un psy-chiatre se rend à domicile, sur les lieux mêmes de

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la crise. Ce dispositif s’articule nécessairementavec les structures prenant en charge l’urgencepsychiatrique, mais aussi les structures classiquesde soin spécialisé.

Centres d’accueil et de criseIci encore, la création de ces centres est le résultatde la réflexion des équipes de psychiatrie face à lanécessité éthique et la pression politique et socialede désinstitutionnalisation. Leur mise en place aété motivée avant tout par le projet d’une réponseplus efficace et dynamique à la demande d’hospi-talisation1. Le domaine d’application de tels cen-tres est l’intervention de crise, ils ont une fonctiond’alternative à l’hospitalisation : les objectifs deprévention, d’accueil, d’intervention en urgence etde traitement intensif, hors hospitalisation tradi-tionnelle, sont liés, de par ce dispositif, à la conti-nuité des soins nécessaire au patient et à son entou-rage et à la mission de psychiatrie publique. Uneéquipe à Genève a ainsi mis en place une expé-rience novatrice2 sous la direction d’Andréoli. Ils’agissait de créer une structure véritablement al-ternative à l’hospitalisation, alliant thérapeutiquespsychiatriques de type résidentiel ou occupation-nel. Le dispositif de prise en charge de la crise senomme Centre de thérapie brève ou CTB, et re-groupe des professionnels de santé formés à la priseen charge de la crise : psychiatres, psychanalysteset infirmiers psychiatriques. Cette équipe se veutdisponible et mobile. Elle s’est dotée de locauxdont l’infrastructure est souple : une pièce peutêtre bureau d’entretien, chambre ou lieu de traite-ment spécialisé selon le moment et le besoin del’équipe. Le CTB a pour objectif de prendre encharge les patients sollicitant massivement leséquipes de soins, selon des modalités cliniquesaussi bien médicales que sociales ou psychothéra-peutiques. La prise en charge proposée est doncpolyvalente, elle est singulière à chaque patient,ses buts sont établis précisément et font l’objetd’une réflexion menée par l’ensemble des interve-nants du CTB. Elle se limite à 2 mois et nécessiteune articulation avec les soins psychiatriquesd’aval.Des centres d’accueil et de crise ont vu le jour à

la suite de cette expérience d’Andréoli et de sonéquipe, que ce soit au Canada, en France ou enSuisse. La plupart n’ont pas opté pour une solutionde soins de crise en ambulatoire quasi exclusifs, etont choisi l’option du centre de crise avec héberge-ment pour une durée limitée. Dans le cadre d’unfonctionnement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, etd’un accès facilité par une implantation hors lesmurs de l’hôpital psychiatrique, les centres d’ac-cueil et de crise interviennent donc idéalement

dans le dispositif de l’urgence. Ils peuvent l’ac-cueillir, l’évaluer sans trop de contraintes detemps, porter un diagnostic de la situation ou dutrouble en cause, mettre en place une stratégiethérapeutique qui peut comprendre une hospitali-sation brève sur place avec un relais ultérieur surd’autres structures. Ils permettent d’éviter de mul-tiplier les hospitalisations classiques, représentantune des structures alternatives à l’hospitalisation.Il est là encore important de noter l’indispensa-

ble inscription d’une telle unité dans le réseau dessoins de l’urgence psychiatrique. En effet, pourêtre une réponse à l’urgence, ces centres se doi-vent de ne pas être centrés sur leur fonctionnementpropre et de s’inscrire dans le projet général depolitique des soins.

Unités d’accueil et d’orientationCes unités répondent à une demande de soins s’ins-crivant dans le circuit psychiatrique spécifique. Ils’agit d’unités de filtrage secondaire de l’urgencepsychiatrique situées dans l’enceinte des hôpitauxpsychiatriques ; néanmoins tous n’en sont pas do-tés. Les patients reçus dans ces unités sont souventdéjà connus des équipes spécialisées. Ces sujets ouleurs familles connaissent l’organisation de l’ac-cueil de l’urgence psychiatrique et s’adressent di-rectement à la structure pouvant répondre au plusvite à leur demande, souvent demande d’hospitali-sation. Ces unités reçoivent aussi les patientsadressés par d’autres acteurs de santé qui, connais-sant les antécédents de prise en charge du sujet,s’adressent alors à la structure identifiée commepouvant répondre spécifiquement à l’urgence pré-sentée.Il existe deux structures spécifiques à Paris23 : le

Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil ouCPOA et l’Infirmerie psychiatrique de la Préfecturede Police de Paris ou IPPP. Le CPOA est une unitésituée au sein du centre hospitalier Sainte-Anneassurant les missions d’accueil, d’examen psychia-trique et d’orientation. Le fonctionnement decette unité permet pour tout patient l’accès à unestructure de soins spécialisés, en favorisant la dy-namique de continuité des soins quand ceux-ci exis-tent ou ont existé antérieurement mais sont l’objetd’une rupture. Le CPOA centralise de nombreusesinformations concernant les soins des patients re-çus, et les met à disposition des différentes struc-tures parisiennes de soins psychiatriques grâce àune permanence téléphonique. Il assure parailleurs des fonctions d’unité d’hospitalisationbrève pour adolescents et jeunes adultes. L’IPPPest un service interne à la Préfecture de Policespécifique à Paris et son fonctionnement répondaux articles de loi statuant sur l’hospitalisation sous

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contrainte en cas de mise en danger d’autrui ou del’ordre public. Cette structure possède 22 litsd’hospitalisation brève puisqu’elle ne peut excéder48 heures. Les sujets sont amenés par la police,l’admission est demandée par le commissaire aprèsavis médical dans des situations de troubles ducomportement mettant en danger le sujet etautrui, ou dans des situations médicolégales. Lespatients sont alors mis en observation avant d’êtreorientés à 40 % en hospitalisation d’office, à 17 % enhospitalisation à la demande d’un tiers et à 40 % enhospitalisation libre ou sortie définitive.L’urgence psychiatrique reconnue comme une

réelle entité est complexe dans son expression etles intervenants sollicités par elle sont nombreux etproposent de ce fait de multiples réponses. Cesdispositifs variés sont précieux quant à la qualitédes réponses qui peuvent être données, mais cettequalité n’existe et est optimisée uniquement lors-que chaque dispositif est intégré au système global,que des liens, des associations, des partenariats secréent et sont opérationnels entre les différentsacteurs de cette urgence psychiatrique formant unréseau de soins opérationnel.

Prise en charge de l’urgence psychiatrique

La prise en charge de l’urgence psychiatrique ne selimite pas à une simple consultation aboutissant àun diagnostic approximatif et à une orientation enconsultation ou en hospitalisation du patient13. Sitel est le cas, la prise en charge de l’urgence risquede recourir plus que nécessaire à l’hospitalisationou d’adresser en consultation sans résultat dans90 % des cas, le concept d’urgence psychiatriquen’est pas respecté, la prise en charge est désarti-culée du dispositif de soins en place, inopérante.

Préparation de l’entretien psychiatriqueIl s’agit de collecter le maximum d’informationsconcernant le patient et son arrivée en urgence.C’est un temps nécessaire à la compréhension del’urgence qui fait participer différents acteursquand ils sont représentés : médecin adresseur,famille ou proches accompagnant le patient,équipe médicale des urgences, équipe psychiatri-que, équipe infirmière, travailleurs sociaux et pa-tient. Ce recueil d’informations permet de saisirqui est à l’origine de la demande de soins enurgence, quel est le symptôme ou la situation d’ap-pel, quels sont les résultats de l’examen du méde-cin adresseur ou du somaticien des urgences, quel-les sont les premières observations de l’équipeinfirmière concernant le patient et son entourage.Il permet de préciser auprès d’une équipe psychia-trique, si elle est en place, quels sont les antécé-

dents du patient ainsi que le dispositif de soins encours ou non.

Analyse de la demandeDans le cadre particulier de l’urgence psychiatri-que, il s’avère important de s’intéresser à quatreaxes ne relevant pas uniquement du symptôme etdu diagnostic du trouble éventuel37. Ces axes cor-respondent à l’analyse de la demande formulée parle patient et son entourage. Ainsi, devront êtreexplorés le choix du lieu de consultation en ur-gence, les protagonistes de cette urgence, le symp-tôme présenté et son sens pour les protagonistes,enfin, l’arrivée dans la structure prenant en chargel’urgence.

Résultat de l’entretien psychiatriqueL’examen psychiatrique, qui va demander un tempsde résolution important et qui va impliquer denombreux protagonistes, permet34 :

• une évaluation clinique et une ébauche dia-gnostique ;

• une prise de décision thérapeutique et uneorientation dans le dispositif de soins psychia-triques d’aval ;

• une dédramatisation de la situation.L’entretien est thérapeutique puisque le patient

peut exprimer ses affects, dire sa demande et êtreainsi apaisé de l’angoisse. L’examen psychiatrique,ce contact en urgence, joue un rôle prépondérantdans l’investissement des soins proposés ultérieu-rement.

Intervention de criseCertaines équipes, fortes de leur expérience del’urgence psychiatrique, ont mis en place un dispo-sitif permettant l’intervention de crise à partir duconstat suivant15 : la majorité des situations decrise ne peuvent pas être abordées en un seulentretien et l’envoi en consultation aboutit dansseulement 10 % des cas.Ces équipes assurent une série d’entretiens sur

les lieux mêmes de la première consultation d’ur-gence. Il s’agit de la phase d’interaction de crise2.Les interventions définies dans ce cadre sont lessuivantes :

• le premier entretien regroupant le patient etsa famille, le psychiatre et le médecin somati-cien précise la demande et la situation dupatient et de sa famille à l’égard de l’entretienpsychiatrique ;

• un à plusieurs entretiens individuels avec lepatient ;

• un à plusieurs entretiens avec la famille oul’entourage ;

• un hébergement de 24 à 48 heures maximumen lit de crise pour le patient ;

93Urgence psychiatrique

Page 8: Urgence psychiatrique

• une prescription d’un traitement psychotropeayant pour but l’apaisement des troubles com-portementaux, de l’angoisse et des troubles dusommeil.Il s’agit de créer une alliance entre l’équipe

psychiatrique, le patient et sa famille, et de per-mettre au patient et à son entourage de s’investircomme sujets de leur histoire, capables de choixdont celui de poursuivre le travail engagé lors de lacrise sous d’autres formes et dans d’autres lieux.L’intervention de crise s’effectue sur quelquesjours à 6 semaines. L’articulation est nécessaireavec les structures de soins situées en amont et enaval de l’urgence psychiatrique.

HospitalisationLes troubles relevant de la psychiatrie en urgencepeuvent nécessiter une hospitalisation en milieuspécialisé. La décision doit être rapide devant ladangerosité du tableau clinique pour la santé dupatient. L’intervention de crise n’est pas indiquéedans ce cas. Ces troubles peuvent demander unemesure d’hospitalisation sous contrainte ou inter-nement afin de protéger le patient contre lui-même.Toute situation psychiatrique où le patient court

un risque vital ou représente un danger pour autruiet toute situation nécessitant un traitement requé-rant une surveillance médicale et infirmière defaçon soutenue doivent faire prendre la décisiond’hospitaliser le patient en milieu psychiatrique.Certaines urgences dites mixtes telles que la

confusion ou le delirium tremens nécessitent quantà elles une hospitalisation en urgence en servicemédical.

Situations cliniques d’urgencepsychiatrique

Les symptômes et les situations de crise qui amè-nent les patients à rencontrer le psychiatre oul’équipe psychiatrique en urgence sont déclinés ici.Selon les particularités déjà définies de l’urgencepsychiatrique, il ne s’agit pas d’emblée de patho-logies psychiatriques évidentes et diagnostiquéescomme telles.

Crise suicidaire

Données générales sur la crise suicidaireLa crise suicidaire est définie12 comme une crisepsychique dont le risque majeur est le suicide dusujet. Cette crise correspond à un momentd’échappement au cours duquel les moyens de

défense de l’individu sont insuffisants, rendant cedernier vulnérable, en situation de souffrance et derupture, ce qui peut le mener au geste suicidaire.La crise suicidaire est un état réversible et tempo-raire, non classé nosographiquement ; la tentativede suicide est une des manifestations possibles decette crise. La sémiologie varie d’un sujet à l’autre,en fonction des pathologies associées, des facteursde risques et des conditions d’observation.Les études épidémiologiques en France34 notent

un taux de 12 000 suicides par an soit 20 pour100 000 habitants, chiffre qui serait sous-estimé de20 %, et 150 000 passages à l’acte suicidaire, chiffrequi serait sous-estimé de 30 %. Les gestes suicidai-res sont dans 30 à 50 % des cas des récidives et ilsdonneront lieu dans 1 à 3 % des cas à un suicide dansl’année qui suit. La conduite suicidaire correspondà 36 % des demandes d’avis psychiatriques dans lesservices d’urgence, ce qui la place en premièreligne des demandes d’évaluation psychiatrique.

Évaluation de la crise suicidaireL’évaluation de la crise suicidaire doit tenir comptedes aspects plurifactoriels de cette crise, elle doitfaire partie intégrante d’une appréciation globaledu sujet et du contexte psychopathologique danslequel il se situe. Il s’agit de rechercher les facteursde risque, les événements de vie et les facteurs deprotection en jeu.Les facteurs de risque se déclinent en trois caté-

gories (Tableau 1) :• les facteurs primaires interagissent entre eux,ils ont une valeur d’alerte importante au ni-veau individuel et sont influencés par les trai-tements ;

• les facteurs secondaires peuvent être observésdans l’ensemble de la population, ils sont fai-blement modifiés par la prise en charge etn’ont qu’une faible valeur prédictive en l’ab-sence de facteurs de risque primaire ;

Tableau 1 Facteurs de risque de la crise suicidaire

Facteursprimaires

Facteurssecondaires

Facteurs tertiaires

Troublespsychiatriques

Pertes parentalesprécoces

Sexe masculin

Antécédentspersonnels etfamiliaux de suicide

Isolement social Grand âge ou jeuneâge

Chômage Période devulnérabilité

Communicationd’une intentionsuicidaire ouimpulsivité

Difficultésfinancières etprofessionnelles

Événements de vienégatifs

94 C. Boiteux et al.

Page 9: Urgence psychiatrique

• les facteurs tertiaires peuvent être modifiés etn’ont de valeur qu’en association aux facteursde risques primaires et secondaires.

Les suicidants présentent quatre fois plus d’évé-nements de vie dans les 6 derniers mois que lapopulation générale, et 1,5 fois plus que les dépri-més ne faisant pas de tentative de suicide. Un picde fréquence est retrouvé dans le dernier moisprécédant le passage à l’acte qui concentre un tiersdes événements de vie. Sont distingués :

• les événements prédisposants : pertes préco-ces, maltraitance dans l’enfance, abussexuels, abus physiques. Ils correspondent auxfacteurs de risques secondaires ;

• les événements précipitants : conflits interper-sonnels (violence, hostilité, déception), pro-blèmes sentimentaux, problèmes disciplinai-res.

Enfin, les facteurs de protection sont le supportsocial et la prise en charge thérapeutique.

Diagnostic de la crise suicidaire

Crise suicidaire et pathologies psychiatriques

Le diagnostic de la crise suicidaire passe toutd’abord par l’identification d’un trouble dépressifavéré ou d’une pathologie psychiatrique autre soit,avant tout, la schizophrénie. Le taux de mortalitépar suicide parmi les patients déprimés varie selonles études de 8 à 35 %3. Il faut ajouter aux facteursde risque et aux éléments de gravité l’importancedes symptômes de désespoir, de perte de plaisir etd’intérêt et la dépression majeure unipolaire. Leséléments de vulnérabilités sont : le premier épi-sode dépressif, les changements rapides, qu’ils sur-viennent en début ou fin de l’épisode dépressif, lapériode suivant une hospitalisation et les 10 pre-mières années d’évolution de la maladie. L’urgenceabsolue demeure celle de la mélancolie délirante.Chez les patients jeunes atteints de schizophré-

nie, le suicide est la première cause de mortalité :10 à 13 % d’entre eux décèdent par suicide32. Auxfacteurs de risque généraux et éléments de gravité,se surajoutent la dépression postpsychotique, lasymptomatologie positive prédominante (troisquarts des suicides sont commis au cours de laphase aiguë), l’existence d’une pathologie comor-bide comme l’alcoolisme ou la toxicomanie25. Lapériode de vulnérabilité comprend les 6 mois sui-vant l’admission dans un service de psychiatrie et lasemaine qui suit la sortie d’hospitalisation, cettevulnérabilité est majorée en cas d’hospitalisationsnombreuses au cours d’une même année.

Éléments de diagnostic de la crise suicidaireLe diagnostic de crise suicidaire au-delà du diagnos-tic des pathologies psychiatriques précédemmentcitées s’appuie sur les éléments suivants9 :

• le contexte suicidaire : la présence d’idéessuicidaires et leur fréquence, l’intentionconfiée par le sujet à un tiers directement ouindirectement, les conduites de préparation del’acte ;

• les signes de vulnérabilité psychique : les trou-bles de l’image de soi, la modification de la vierelationnelle, l’anxiété physique et psychique,le sentiment de désespoir ;

• les signes d’impulsivité : l’agressivité, l’insta-bilité comportementale et les conduites à ris-que.À ces éléments diagnostiques s’associent des fac-

teurs qui, pour certains, se retrouvent dans lesfacteurs de risque de la crise suicidaire. Ces fac-teurs associés au diagnostic de la crise suicidaire sedéclinent en trois catégories :

• les facteurs individuels : antécédents suicidai-res, problèmes de santé mentale, pauvreté del’estime de soi, problèmes de santé physique,tempérament et style cognitif du sujet (impul-sivité, rigidité de la pensée, colère, agressi-vité) ;

• les facteurs familiaux : violence ou abus physi-que ou psychologique ou sexuel, relationconflictuelle intrafamiliale (parent, conjoint),perte ou abandon précoce, problèmes d’addic-tion chez les parents, problèmes de santé men-tale ou comportement suicidaire chez l’un desdeux parents ;

• les facteurs psychosociaux : difficultés écono-miques, isolement social et affectif, sépara-tion et perte récente de liens importants,deuil, placement en institution, difficultés sco-laires ou professionnelles, effet de contagion,difficulté avec la loi, problèmes d’intégrationsociale.À l’issue de ce diagnostic de la situation de crise

suicidaire se pose la question du champ de dange-rosité et d’urgence dans lequel se situe le sujet.

Évaluation de la dangerosité et de l’urgencede la crise suicidaireCette évaluation conjointe au diagnostic de la crisesuicidaire détermine par la suite la conduite à tenirpar le praticien face au sujet. Pour préciser ladangerosité et l’urgence de la crise suicidaire, ilfaut explorer six axes12,34 :

• le niveau de souffrance : désarroi ou désespoir,repli sur soi, isolement relationnel, sentimentde dévalorisation ou d’impuissance, sentimentde culpabilité ;

95Urgence psychiatrique

Page 10: Urgence psychiatrique

• le degré d’intentionnalité : idées envahissan-tes, ruminations, recherche ou non d’aide, at-titude face aux propositions de soins, disposi-tions prises ou envisagées en vue d’un passageà l’acte ;

• les éléments d’impulsivité : tension psychique,instabilité comportementale, agitation mo-trice, état de panique, antécédents de passageà l’acte ou de fugue ou d’actes violents ;

• les éléments précipitants : conflit, échec, rup-ture, perte, etc. ;

• la présence de moyens létaux à disposition ;• la qualité du soutien de l’entourage proche.La crise suicidaire peut alors être considérée

comme d’urgence faible, moyenne ou élevée (Ta-bleau 2).

Prise en charge de la crise suicidaireSelon une étude des observatoires régionaux desanté, de l’Inserm et des réseaux Sentinelles, enFrance, sur 100 sujets ayant fait une tentative desuicide22, 12 n’ont aucun contact avec un médecin,28 vont aux urgences de l’hôpital et 60 voient unmédecin. Parmi ces 60 sujets, seuls 8 en restent là,les 52 autres sont dirigés à leur tour vers les urgen-ces de l’hôpital. Sur les 80 sujets reçus aux urgen-ces, 20 sortent alors que 60 sont hospitalisés, dont49 pour overdose médicamenteuse. La trajectoiredu suicidant mobilise donc l’ensemble du réseaudes soins d’urgence. Tout sujet en crise suicidairedoit pouvoir bénéficier d’une évaluation psychiatri-que qui permet de diagnostiquer l’urgence de cettecrise ainsi que la pathologie psychiatrique en jeu lecas échéant. Cette évaluation a lieu une fois laprise en charge somatique d’une éventuelle tenta-tive de suicide faite, prise en charge qui renvoie enpremière intention aux médecins généralistes, auSAMU et aux médecins des urgences.Si l’évaluation spécialisée de la crise suicidaire

montre un degré d’urgence élevé, une hospitalisa-tion psychiatrique peut être proposée12. Elle acomme objectifs :

• la protection du sujet ;• la mise en place d’une relation thérapeutiquede confiance avec le patient ;

• un travail sur la souffrance du sujet avec lesouci de favoriser les soins ultérieurs.S’il y a refus d’hospitalisation et si la dangerosité

l’impose, le psychiatre doit recourir aux disposi-tions de la loi de 1990.Si le degré d’urgence est faible ou moyen12, chez

un sujet présentant des facteurs de risque primai-res ou un cumul de plusieurs facteurs de risque, unsuivi ambulatoire alternatif à l’hospitalisation estproposé, ce suivi s’inscrit dans le système de soinsspécialisés et associe le patient et son entourage :

soit le patient est déjà suivi et il est réadressérapidement au médecin et à l’équipe qui leconnaît, soit il s’agit d’une première prise encharge et l’orientation est alors personnalisée (nomdu thérapeute plus qu’adresse d’une structure).

Si le patient en crise suicidaire ne présenteaucun facteur de risque primaire12, le suivi peut nepas être médicalisé, mais il est recommandé del’inscrire tout de même dans le réseau de soinsspécialisés afin de faciliter le recours rapide à des

Tableau 2 Degré d’urgence de la crise suicidaire

Urgence faible Personne qui :– désire parler et est à larecherche de communication ;– cherche des solutions à sesproblèmes ;– pense au suicide sansscénario précis ;– pense à des moyens etstratégies pour faire face à lacrise ;– est psychologiquementsouffrante sans êtreanormalement troublée ;– a établi un lien de confianceavec un praticien.

Urgence moyenne Personne qui :– a un équilibre émotionnelfragile ;– envisage le suicide avec uneintention claire ;– a envisagé le scénario dontl’exécution est reportée ;– ne voit que le suicide pourarrêter de souffrir ;– a besoin d’aide et exprimeson désarroi.

Urgence élevée Personne qui :– est décidée, planificationclaire, passage à l’acteprogrammé ;– est coupée de ses émotionssoit en rationalisant sadécision soit est émotive,agitée ou troublée ;– est immobilisée par ladépression ou grandementagitée ;– dont la douleur etl’expression de souffrancesont omniprésentes oucomplètement tues ;– a un accès direct etimmédiat à un moyen de sesuicider ;– a le sentiment d’avoir toutessayé ;– est très isolée.

96 C. Boiteux et al.

Page 11: Urgence psychiatrique

soins plus intensifs ou psychiatriques si la situationclinique le demande.Enfin, certaines équipes développent des struc-

tures de posturgence10 permettant de garder enobservation les suicidants ou les sujets en crisesuicidaire, ceci afin de prendre le temps pour uneévaluation fine de l’urgence, de mettre en place letravail de la crise et de permettre l’élaborationpsychique du passage à l’acte suicidaire.

Addictions

Les addictions regroupent les troubles et demandesen lien avec la consommation aiguë ou chroniqued’une substance toxique telle que l’alcool, les dro-gues dures ou des substances médicamenteusesprises abusivement, substances tranquillisantes etanalgésiques le plus souvent. L’urgence psychiatri-que pour l’ensemble de ces substances peut êtreregroupée selon trois axes identiques quelle quesoit la substance incriminée.

Intoxications aiguësL’intoxication aiguë alcoolique est une situationfréquente, elle est cliniquement retrouvée chez10 à 15 % des patients admis dans les servicesd’accueil des urgences en France33. Le patient estsouvent adressé par le médecin généraliste, mais ilest aussi accompagné par les pompiers du fait d’unechute ou d’un accident sur la voie publique ou parla police dans un contexte d’agitation. Enfin, lepatient peut être accompagné de ses proches dé-bordés par la situation ou venir de lui-même, de-mandeur d’un sevrage. En fait, les motifs d’admis-sion sont variés et l’intoxication aiguë n’est pastoujours en première ligne : il s’agit plutôt detraumatisme crânien, d’intoxication médicamen-teuse volontaire, d’un bilan traumatique après unealtercation, etc. La difficulté de prise en chargeréside d’une part soit dans la banalisation desconduites d’éthylisme aigu, soit dans le rejet del’éthylisme chronique et d’autre part dans la fré-quence des troubles du comportement associés.Néanmoins, toute intoxication éthylique aiguë doitêtre examinée médicalement et être gardée enobservation surtout face aux critères suivants :

• fonction de relation perturbée ;• existence de complications ;• existence de lésions associées ;• alcoolémie supérieure à 3 g/l ;• absence de surveillance fiable à domicile oudomicile éloigné d’un centre hospitalier ;

• intoxication éthylique aiguë pathologique ;• existence d’une pathologie psychiatrique asso-ciée.Il est incontournable de débuter un traitement

préventif du delirium tremens et de traiter l’agita-

tion si besoin. Une fois dégrisé, le patient doit fairel’objet d’un bilan psychiatrique et parfois social,afin de pouvoir être orienté dans le système desoins. Une fois encore, la dimension du temps estimportante : la prise en charge de ces patients peutêtre améliorée par une observation plus longuerendant accessible l’observation de l’équipe psy-chiatrique.Les drogues dures sont elles aussi à l’origine d’in-

toxications aiguës. Plus encore que l’alcool, cesintoxications sont de véritables urgences médicalesavec risque vital. L’exemple le plus connu est celuide l’overdose d’héroïne provoquant dans la majoritédes cas un coma nécessitant une réanimation médi-cale. Cocaïne, amphétamines et ecstasy mais aussihéroïne sont à l’origine d’intoxications marquées pardes états d’agitation aigus associés à des troublessomatiques pouvant engager le pronostic vital del’individu. Des troubles psychotiques aigus sont aussidécrits, et peuvent nécessiter une hospitalisationpsychiatrique une fois l’aspect somatique traité. Ilfaut ici encore insister sur l’importance de l’examenet de la prise en charge somatique associés dès quepossible au bilan psychiatrique permettant d’enga-ger le patient dans un processus de soins.En ce qui concerne les toxicomanies médicamen-

teuses, ce problème est en nette progression ac-tuellement et, de ce fait, lorsque arrivent auxurgences des patients en état d’intoxication aiguë,leur prise en charge est identique à celle des ivres-ses aiguës.

Sevrage aiguDans le cadre de l’intoxication alcoolique chroni-que, il faut prévenir, rechercher et traiter dès quepossible le sevrage, afin d’éviter le delirium tre-mens qui engage le pronostic vital de l’individu. Lesevrage peut débuter soit du propre fait du patientmais sans accompagnement médical, soit de façonaccidentelle13 ; le patient consulte alors porteurdes premières manifestations pénibles de sevrage.Il faut penser au sevrage alcoolique devant unecrise d’épilepsie de type grand mal, un état confu-sionnel, un état d’agitation psychomotrice ouconfuso-onirique et, enfin, devant une intoxicationchez un alcoolique chronique avec une infection ouun traumatisme grave concomitant. Dès les pre-miers signes de pré-delirium tremens, l’hospitalisa-tion en psychiatrie pour hydratation et sevrages’impose le plus souvent. Le delirium tremens re-lève quant à lui de soins intensifs médicaux.Le sevrage aigu à l’héroïne est surtout marqué

par l’angoisse et des phénomènes somatiques gê-nants mais n’engageant à aucun moment le pronos-tic vital de l’individu13. Le sevrage à la cocaïnerelève lui d’une prise en charge psychiatrique de-

97Urgence psychiatrique

Page 12: Urgence psychiatrique

vant des idées paranoïdes, une agitation avec ris-que de passage à l’acte auto- ou hétéroagressif,état à la suite duquel s’installe un syndrome dé-pressif. De tels troubles s’observent aussi dans lecadre des sevrages aux amphétamines, à l’ecstasyet au LSD, l’hospitalisation psychiatrique s’imposede même.Le sevrage des toxicomanies médicamenteuses13

se rapproche de celui de l’alcool puisque les origi-nes du sevrage sont communes et les troubles quien découlent assez proches : crise convulsive detype grand mal, état confusionnel ou confuso-onirique, crise de tétanie, plaintes somatiques di-verses, expression de l’angoisse et parfois réactionsdélirantes aiguës. Ces situations se rencontrentfréquemment aux urgences médicales, elles peu-vent nécessiter des soins somatiques, avant un trai-tement psychiatrique en hospitalisation dans la ma-jorité des cas.

Demande de sevrageLe patient alcoolique demande rarement de l’aidede lui-même : dans plus de 80 % des cas13, elle estexprimée par son entourage. Émergeant du fait depressions, la demande de sevrage du patient et deses proches trouve aux urgences le lieu idéal d’ex-pression avec l’idée d’une réponse immédiate. Lemode d’intervention thérapeutique éprouvé est ce-lui de l’intervention de crise, il permet au patientet à l’entourage de réfléchir et de travailler cettedécision de sevrage, afin que celui-ci soit suivi lemoins possible de rechutes. Une hospitalisation fai-sant suite à la demande en urgence est donc rare :le sevrage est effectué après le travail de crise, soiten ambulatoire soit en hospitalisation program-mée.La demande de sevrage de l’héroïne peut s’ex-

primer soit en demande directe de sevrage soit endemande de médicaments ou produits substitutifs.Là encore, il s’agit de recevoir le patient ainsi quel’entourage qui l’accompagne dans cette démar-che. Le psychiatre consulté en urgence oriente lesujet vers une équipe spécialisée afin qu’un projetcohérent puisse être mis en place, compte tenu desspécificités actuelles de ce sevrage et des disposi-tifs de soins assurant une prise en charge à moyenet à long terme.La demande de sevrage dans le cadre des toxico-

manies médicamenteuses nous ramène au schémade celle de l’intoxication éthylique. Il faut noterquelques particularités qui entravent parfois cesevrage : l’entrée dans la toxicomanie est insi-dieuse, le médicament a dans la dynamique fami-liale une valeur de résolution de problème, le médi-cament a une fonction de bien-être, la poly-intoxication est courante et le sevrage s’avère

souvent très délicat. Ainsi, après le travail de crise,le sevrage est proposé en hospitalisation program-mée.

Plaintes somatiques fonctionnelles

Le patient se présente aux urgences porteur d’uneplainte somatique qui se révèle fonctionnelle aprèsanamnèse et examen clinique. Ces plaintes somati-ques sont le plus souvent des hypertensions arté-rielles aiguës après un stress, des colites spasmodi-ques, des migraines atypiques, des céphaléestensionnelles, des palpitations aiguës, des dyspep-sies, des dyspnées aiguës sine materia, des lombal-gies sine materia, des crises dites de spasmophilieet des polyalgies polymorphes.Plutôt que de dire au patient qu’il n’a rien alors

qu’il ressent une réelle urgence, ou de l’adresserrapidement au psychiatre ce qui assimile sa plainteà un trouble psychiatrique, une prise en chargepluridisciplinaire doit être instaurée dans le cadredes urgences13. Ainsi, l’urgentiste rappelle laplainte à l’origine de la consultation en urgence,donne la conclusion de son examen et des examenscomplémentaires éventuels, et explique pourquoil’intervention du psychiatre lui semble nécessaire.Cet état des lieux est réalisé en présence du patientet du psychiatre, il inaugure l’entretien psychiatri-que à proprement parler. Le psychiatre mène alorsun entretien psychiatrique pouvant déboucher surune prise en charge de crise ou une prise en charged’un trouble psychiatrique avéré. Dans tous les cas,l’envoi d’une information claire et précise au mé-decin généraliste s’impose.

Agitation aiguë

La demande de soins dans le cadre de l’agitationaiguë n’émane pas du sujet mais de son entourage,qui fait alors souvent appel à des services d’ur-gence tels que les pompiers ou le SAMU. Cettedemande peut aussi émaner des forces de l’ordreintervenues à domicile ou sur la voie publique.L’agitation, qui représente 10 à 15 % des consulta-tions psychiatriques aux urgences34, est une situa-tion complexe à gérer, car le praticien doit l’apai-ser tout en laissant un abord possible du patientpour préciser le cadre diagnostique de ce symp-tôme et la crise éventuelle qui le sous-tend. Elleconfronte aussi les équipes à la notion de dangero-sité qui doit être appréciée et traitée sans hé-roïsme.Afin d’effectuer un premier bilan, il n’apparaît

pas comme indiqué de pratiquer d’emblée uneinjection intramusculaire de psychotropes ; si pos-sible, ce traitement doit être différé après l’éva-

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luation clinique médicale et psychiatrique. Il fautmaintenir dans un premier temps la contentionphysique quand elle existe ou la mettre en place sinécessaire. Il faut préciser auprès de l’entourageou des accompagnants comment a débuté l’agita-tion, quel comportement et quel discours avait lepatient, l’existence d’antécédents médicaux oupsychiatriques, l’existence d’une prise de toxiqueou d’un traitement médicamenteux en cours. Unexamen somatique est nécessaire associé, le caséchéant, à des explorations complémentaires, afinde diagnostiquer l’étiologie organique du tableauclinique. L’examen psychiatrique se fait dans unlieu calme, en l’absence des accompagnants. Ilcherche à déterminer si l’agitation est en ruptureavec le « normal », est incohérente et s’inscrit alorsdans l’évolution d’un trouble psychiatrique, ou s’ils’agit d’une exagération des comportements com-patible avec un état normal et, souvent, réaction-nelle à un événement précis ou une crise.La plupart des diagnostics renvoyant à une prise

en charge médicale sont portés devant des tableauxcliniques d’agitation incohérente. L’examen clini-que et les examens complémentaires sont alorscontributifs. Les diagnostics13 peuvent être les sui-vants :

• la confusion mentale ;• un diagnostic neurologique : épilepsie, héma-tome sous-dural, hémorragie méningée, pro-cessus tumoral intracrânien, accident vascu-laire cérébral ou ischémique transitoire, etc. ;

• un diagnostic endocrinien ou métabolique :hypoglycémie, déshydratation, troubles hydro-électrolytiques, dysthyroïdie, hyperparathy-roïdie, hypercorticisme, maladie d’Addison,etc. ;

• une origine infectieuse : méningite, encépha-lite, typhoïde, brucellose, septicémie, pneu-mopathies ;

• une intoxication aiguë : alcool, drogues dures,psychotropes et autres médicaments tels queles corticoïdes, les antituberculeux, les anti-parkinsoniens, les anticholinergiques, l’atro-pine, la digitaline, la phénacétine, les salycy-lés, etc.L’orientation se fait donc vers une hospitalisa-

tion en médecine, le psychiatre intervenant pourécarter tout diagnostic différentiel psychiatriqueet aider à gérer le traitement et la crise éventuellegénérée auprès de l’entourage.D’un point de vue psychiatrique, les agitations

sont de deux ordres :• l’agitation incohérente décrite dans les intoxi-cations, mais aussi dans les états délirants, lesétats maniaques, les formes anxieuses de mé-lancolie et les états démentiels du sujet âgé ;

• l’agitation réactionnelle à un événement, met-tant en scène des comportements exagérés.Sont décrites dans ce cadre la crise d’angoisse,la « spasmophilie » ou « crise de tétanie », lacrise de couple ou familiale.Les troubles liés à la décompensation d’une pa-

thologie psychiatrique doivent pouvoir bénéficierrapidement d’un traitement psychotrope et d’uneorientation en service d’hospitalisation. Les étatsdémentiels du sujet âgé font l’objet d’une prise encharge pluridisciplinaire et d’une orientation enstructure spécialisée gériatrique. Les agitationsrenvoyant à une situation de crise peuvent bénéfi-cier si besoin du travail de crise une fois le calmedes différents protagonistes retrouvé. Il peut arri-ver que l’administration d’un traitement sédatifsoit nécessaire au patient agité avec une mise enobservation brève à l’écart de l’entourage, et celaen cas de conflit particulièrement exacerbé avecune agitation ne cédant pas.

Pathologie post-traumatique

La dernière décennie a vu la création de cellulesd’urgence médicopsychologique17 pour répondre àla question de la prise en charge des victimes. Letraitement rapide et spécialisé mis en place auprèsdes sujets ayant été exposés à un traumatismepsychique a démontré son efficacité et fondé lesprincipes de travail de ces unités.Ces cellules articulées aux SAMU et aux services

d’urgence des hôpitaux généraux sont activées lorsde catastrophes macrosociales naturelles (tem-pête, inondation, ...), accidentelles (incendie, ac-cident ferroviaire ou aérien ou de la route, ...) ouintentionnellement créées par l’homme (attentat,agression, viol, ...) ; ces événements touchent ungroupe d’individus ou la collectivité. Des profes-sionnels psychiatres ou psychologues, formés auxtechniques de debriefing, interviennent alorsauprès des patients concernés dans les suites im-médiates du traumatisme. Le debriefing psycholo-gique est réalisé dans les heures suivant la catas-trophe, en présence des sauveteurs, et la séanceest renouvelée une à deux fois dans les 15 jourssuivants la catastrophe. Cette technique vise àenrayer le déclenchement de troubles psychiatri-ques et psychosociaux secondaires au traumatisme.Pour ce faire, elle favorise l’abréaction catharti-que, la prise de conscience que le sujet victime dutraumatisme est « comme les autres victimes » et,enfin, elle sensibilise les victimes au risque desurvenue des symptômes psychotraumatiques.La mise en place de telles unités et la reconnais-

sance des bienfaits d’une prise en charge rapide detout traumatisme psychique a sensibilisé les équi-

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pes médicales et les équipes psychiatriques. L’idéede proposer un traitement selon les techniques dudebriefing au sujet en situation individuelle post-traumatique ou ayant été confronté à une catastro-phe microsociale s’est imposée peu à peu. L’orien-tation du patient vers le spécialiste qui peut être unmembre de l’équipe psychiatrique des urgences oud’une équipe extérieure mais qualifiée, est facili-tée. Il ne faut pas attendre que le sujet fasse unedemande psychothérapeutique, mais il faut pres-crire cet entretien au décours immédiat de la priseen charge somatique. L’entourage du patient doitêtre mobilisé dès que possible, d’une part, pourqu’il exprime à son tour sa réaction face au trau-matisme et, d’autre part, pour qu’il s’inscrive dansle projet thérapeutique. Il faut néanmoins insistersur l’importance des liens institutionnels à mettreen œuvre entre urgentistes, psychiatres des urgen-ces ou équipe spécialisée, afin que le dispositiffonctionne pleinement.

Urgences de la psychiatrie

Les urgences de la psychiatrie sont moins fréquen-tes que les situations de crise dans les structuresd’urgence non exclusivement psychiatriques. Il nefaut pas les oublier pour autant, et le diagnosticdoit être fait puisqu’elles peuvent mettre en jeu lepronostic vital du patient et nécessitent une hospi-talisation psychiatrique librement consentie ousous contrainte lorsque la situation clinique le jus-tifie.Les principales urgences psychiatriques à ne pas

méconnaître sous peine d’engager le pronostic vitaldu patient sont :

• la mélancolie et sa forme délirante : elle estmarquée par l’existence nette voire exacerbéedes symptômes dépressifs associés à une dou-leur morale intense. Les idées de faute etd’incurabilité sous-tendent les idées de mortet le risque suicidaire est majeur ;

• l’accès maniaque : le patient est le plus sou-vent accompagné par sa famille épuisée etinquiète devant l’extravagance et l’agitationpsychomotrice incohérente de leur proche. Ilarrive que le patient soit amené par les pom-piers ou la police dans un contexte d’agitationsur la voie publique. Il peut nier l’aspect patho-logique de son état et être sujet à de violentescolères comme d’importantes crises d’an-goisse, sources de passage à l’acte ;

• l’état psychotique délirant et dissocié : il estmarqué par l’importance de l’effondrement durapport du sujet au monde. La dissociation faitprendre au discours un aspect incohérent et ledélire est au premier plan de l’entretien. Des

phénomènes de dépersonnalisation et d’an-goisse s’associent et font craindre la survenuede passages à l’acte auto- ou hétéroagressifsimpulsifs mais non dénués de sens ;

• l’état paranoïaque aigu est à rechercher préci-sément devant tout patient certain de la réa-lité d’intentions nuisibles à son égard. Il faudrapréciser l’existence d’un persécuteur désignéfaisant craindre un passage à l’acte hétéro-agressif pouvant être suivi d’un suicide ;

• l’état délirant aigu induit par la prise d’untoxique. Il s’agit de syndromes délirants articu-lés à la prise de toxiques psychostimulants ouhallucinogènes. Ces états aigus surviennentchez des sujets jeunes pour lesquels la notionde prise de drogue peut être retrouvée. Ledélire est massif, marqué par l’importance deshallucinations et associé à une dépersonnalisa-tion et de fortes angoisses. Encore une fois,cette situation clinique fait craindre le passageà l’acte suicidaire ou hétéroagressif.La connaissance des antécédents du patient est

une aide précieuse au diagnostic, les contacts avecl’équipe psychiatrique soignante, si elle existe,permettent l’ajustement thérapeutique nécessaireet adapté au patient dans l’urgence et son orienta-tion adéquate dans le système de soins dont disposecette équipe. Ces situations imposent toutes eneffet un traitement psychotrope en urgence et unehospitalisation en milieu psychiatrique.

Situations liées à l’âge

AdolescentsL’adolescence n’est pas en soi une pathologie maisla puberté fait émerger des conflits pouvant aboutirà une crise plus ou moins bruyante : le recours à untiers médecin, psychiatre, se fait dans l’urgence, àun moment d’acuité du conflit ou à l’acmé de lacrise. L’urgence peut être ressentie par l’adoles-cent, mais elle est aussi très souvent exprimée parles proches de ce dernier et notamment la famille.Par ailleurs, l’adolescence est aussi le moment dedéclenchement de maladies psychiatriques qu’ilfaut dépister précocement afin de les traiter rapi-dement.La demande de soins se fait dans un contexte de

troubles bruyants associant trouble du comporte-ment, trouble des conduites, instabilité des com-portements, humeur variable et passage à l’acte. Ilfaut tout d’abord déterminer s’il y a rupture fran-che avec l’état antérieur ou s’il s’agit d’un simpledysfonctionnement. Une rupture franche orientevers l’évaluation diagnostique d’une pathologiepsychiatrique évolutive : trouble de l’humeur outrouble schizophrénique. Une stratégie de soins est

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alors mise en place avec le sujet et sa famille, elledépend du tableau clinique et des ressources dupatient et de sa famille à faire face à la maladie. Unsimple dysfonctionnement renvoie à une situationde crise. L’hospitalisation est autant que possibleévitée dans ce cas, afin de ne pas stigmatiserl’adolescent comme malade mental et ce malgrél’aspect bruyant des troubles. La technique d’inter-vention de crise trouve ici une bonne indication13,avec des variantes tenant compte du fait qu’il fautprendre en charge l’adolescent mais aussi ses pa-rents. Dans ce cadre, plusieurs thérapeutes inter-viennent, l’un auprès de l’adolescent l’autreauprès des parents : pour être efficace, la prise encharge thérapeutique est scindée et se déroule surplusieurs semaines.Il faut noter que l’expression d’idées et d’inten-

tions suicidaires, jadis considérée comme banale àl’adolescence, est un motif suffisant d’interventionet de prévention12. Le suicide des 15-25 ans provo-que plus de décès que les accidents de la voiepublique pour cette même classe d’âge9 ; 90 % destentatives de suicide sont médicamenteuses. Cesdonnées épidémiologiques permettent de saisirl’importance de l’évaluation de la crise suicidairechez l’adolescent, selon les critères classiques, eny ajoutant une évaluation plus précise de la scola-rité, du contexte familial et de la vie amoureuse dusujet.

Personnes âgéesLes médecins généralistes, les services sociaux etles services des urgences voient augmenter les de-mandes d’aide urgente face à des personnes âgéesvoire très âgées, plus de 85 ans, présentant d’im-portants troubles du comportement dont l’étiologiepeut paraître psychiatrique et qui dépasse l’entou-rage du sujet quand celui-ci n’est pas totalementisolé. L’examen psychiatrique du sujet âgé ne souf-fre pas de précipitation et il faut prendre le tempsde répondre à l’urgence en évaluant précisément letableau clinique présenté de façon à ne négligeraucune éventualité : confusion mentale aiguë, dé-mence sénile et dépression grave sont les trois axesà explorer.La confusion aiguë représente 30 % des urgences

psychiatriques du sujet âgé et constitue une vérita-ble urgence gériatrique. Son apparition est brutaleet elle évolue de façon capricieuse au gré de lajournée. La conscience est altérée de façon glo-bale, la mémoire de fixation récente est déficitaireainsi que l’ensemble des fonctions cognitives. L’in-tervention du psychiatre permet de rejeter les dia-gnostics différentiels, de diagnostiquer la cause encollaboration avec le médecin somaticien et departiciper au traitement symptomatique visant à

réduire les troubles du comportement mettant endanger le sujet. L’orientation se fera vers un ser-vice de gériatrie.La dépression du sujet âgé est marquée par une

altération de l’humeur dont les symptômes sontbanalisés du fait du statut social « inactif » dupatient et du lien erroné entre ces symptômes et legrand âge du sujet. Il ne faut pas non plus porterpar excès le diagnostic de prédémence sénile. Dansle cadre de la dépression, la conscience, la mé-moire et les fonctions cognitives sont conservéesmais leur appréhension est marquée par une idéede ralentissement global ; il existe des troubles dusommeil dont le sujet se plaint et il a une cons-cience nette de sa déchéance et de son vécu per-sonnel26. Il faut souligner les chiffres importants dusuicide chez la personne âgée : à partir de 65 ans, letaux de suicides augmente régulièrement avecl’âge et est le plus élevé pour les plus de 85 ans12.Le symptôme idéation suicidaire est moins exprimépar le sujet âgé, sa présence prédit le risque desuicide avec une sensibilité de 80 % et une valeurprédictive de 5,6 % contre, respectivement, 53 % et4,2 % chez le sujet jeune26. Des facteurs de risquesuicidaire spécifiques à cette population12 sont dé-crits : âge supérieur à 75 ans, sexe masculin, pertedu conjoint et veuvage, maladie somatique sourcede douleur et de handicap, proximité d’uneéchéance, changements d’environnement, pertedes rôles, conflits interpersonnels et maltraitance,dépression. Le diagnostic de dépression avérée re-pose sur un ensemble de tests visant à évaluer plusprécisément les fonctions mnésiques et cognitives,un test thérapeutique aux antidépresseurs doit êtremis en place au moindre doute. L’hospitalisationpsychiatrique ne s’impose que si le patient vit seulou si l’évaluation clinique indique un risque élevéde suicide.Le diagnostic de démence sénile débutante est

un diagnostic d’élimination le plus souvent. L’appa-rition des troubles est insidieuse. Le dysfonctionne-ment mental est permanent et il associe un déficitprogressif et global des fonctions mnésiques, uneaphasie, une apraxie et une agnosie peu marquéesen phase de début. Le sujet se perçoit comme bienportant et n’exprime pas de plaintes particulières.Les formes plus évoluées peuvent être marquéespar des troubles psychiatriques comme des idéesparanoïdes, des crises de colère, des fugues ou deserrances. La prise en charge est gériatrique, avecun appoint psychiatrique en cas de troubles ducomportement importants.Ces situations demandent plus de temps que

celui de l’urgence à proprement parler, et il estdonc fréquemment mis en place une hospitalisationbrève de 24 à 48 heures afin de réaliser toutes les

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explorations nécessaires au diagnostic et à l’orien-tation de la personne âgée, cette hospitalisation sefait en secteur médical.

Traitement psychotrope et urgencepsychiatrique

Le traitement psychotrope s’impose dans le cadrede l’urgence psychiatrique essentiellement dans lestableaux cliniques comportant une angoisse impor-tante ou une agitation. Ce traitement, alors néces-saire pour la protection et le soulagement du pa-tient, doit être prescrit selon des règles strictes.

Règles de prescription dans le cadrede l’urgence psychiatrique

Avant toute prescription d’un traitement psycho-trope, il faut faire une anamnèse aussi détailléeque possible des troubles, rechercher les antécé-dents médicaux, chirurgicaux et psychiatriques dupatient, rechercher une notion d’allergie ou d’into-lérance médicamenteuse et rechercher une notionde passage à l’acte antérieure, sa nature et soncontexte. Le sujet doit bénéficier d’un examenmédical afin de savoir s’il existe ou non une patho-logie somatique concomitante ou secondaire à lapathologie psychiatrique, ou à l’origine du troublefaisant interpeller le psychiatre. Enfin, un examenpsychiatrique le plus exhaustif possible est réalisévoire complété par un entretien avec les proches,le médecin traitant ou le psychiatre traitant.Une fois le temps de ce bilan pris et uniquement

si le tableau clinique le nécessite, se pose la ques-tion du psychotrope à prescrire, sa posologie et savoie d’administration. Ce choix prend en considé-ration trois points fondamentaux :

• il faut prescrire avec l’a priori que le patient nese rendra pas en consultation spécialisée aprèssa consultation en urgence quand cela lui a étéconseillé ;

• le risque de passage à l’acte ne peut jamaisêtre totalement écarté et certains psychotro-pes sont létaux en cas de surdosage ;

• une prescription psychotrope engage au moinsle moyen terme. Il est donc important que lediagnostic et le diagnostic différentiel soientcorrects et que le traitement fasse l’objetd’une alliance thérapeutique entre le patient,son psychiatre traitant et l’équipe psychiatri-que le cas échéant, ces deux derniers n’étantpas obligatoirement sollicités au moment del’urgence.Ainsi, la prescription d’antidépresseurs, de li-

thium et de neuroleptiques à action prolongée est à

proscrire dans le cadre strict de l’urgence psychia-trique. Le choix se porte sur un traitement psycho-trope symptomatique, le plus souvent sédatif, agis-sant rapidement et avec une voie d’administrationsûre. Les effets indésirables ou secondaires d’un teltraitement sont pris en considération et une sur-veillance infirmière est prescrite en conséquence.Dans le cas où la première administration de psy-chotrope serait inefficace, il faut attendre unedemi-heure avant toute nouvelle prescription. Lamonothérapie est préférée à l’administration deplusieurs psychotropes. La posologie est adaptée enfonction de l’intensité du tableau clinique, du poidsdu patient, de son âge, de sa fonction hépatique etde sa fonction rénale. Enfin, il est toujours proposéen première intention un traitement per os, cetteprescription est rapidement substituée par celled’un traitement parentéral, notamment sous formed’injection i.m. en cas de refus du patient.Le traitement repose sur l’utilisation de deux

types de molécules à l’efficacité et la sécuritééprouvées30 : les benzodiazépines et les neurolep-tiques. Le choix s’appuie sur un ensemble de para-mètres regroupant les symptômes présentés, la pa-thologie sous-jacente et les facteurs toxiquesassociés.Une fois ces règles respectées, certaines situa-

tions cliniques ont un traitement plus spécifique.

Approches médicamenteuses des grandessituations cliniques

AgitationIl faut une fois encore rappeler l’importance de laconnaissance d’une pathologie somatique évolutiveet associée à l’agitation. S’il existe une notion deprise d’alcool ou de toxique ou toute situationclinique faisant craindre une dépression respira-toire, il faut proscrire les benzodiazépines et leurspréférer un neuroleptique sédatif sous surveillancede la tension artérielle, du pouls, de la tempéra-ture et de la fréquence respiratoire. En l’absencedes trois éléments restrictifs cités précédemment,le diazépam est utilisé à une dose de 5 à 10 mg27 etce pour son action sédative, puissante et rapide. Laforme i.m. est de mise même si le traitement per osdoit être proposé en première intention.Certaines équipes utilisent une contention physi-

que, dans certains cas associant agitation clastiqueet dangerosité pour le patient et les soignants.Cette contention ne se substitue pas obligatoire-ment au traitement psychotrope et elle est régiepar des règles de prescription et de surveillancerépondant à des protocoles précis et des recom-mandations consensuelles. Il en est de même pourl’utilisation de chambres d’isolement dont certai-nes unités d’urgence psychiatrique disposent.

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ManieLe traitement en urgence est tout d’abord séda-tif27, il est alors fait appel soit à une benzodiazé-pine du type du clonazépam dont il existe uneforme en comprimés mais aussi en gouttes et ensolution injectable pour i.m., soit à un neurolepti-que sédatif : cyamépromazine ou lévomépromazinepour lesquels les formes d’administration compri-més, gouttes et solution pour i.m. existent, l’utili-sation de la lévopromazine par voie i.m. étant àrécuser du fait du risque d’hypotension, d’allonge-ment de l’espace QT à l’électrocardiogramme(ECG) et du risque de sédation excessive30.Il sera parfois prescrit d’emblée, associé ou non

à un traitement sédatif, un traitement neurolepti-que incisif par halopéridol ou chlorpromazine ou untraitement par antipsychotique comme l’amisul-pride, la rispéridone ou encore l’olanzapine. Laloxapine et le zuclopenthixol dichlorhydrate d’ac-tion immédiate ou semi-prolongée sont utilisésseuls car ils associent action sédative et incisive.L’association30 d’un neuroleptique ou antipsy-

chotique à une benzodiazépine permet de réduirele délai d’action et les posologies. En revanche, lesassociations de neuroleptiques sont à proscrire de-vant la description d’allongement de l’espace QT àl’ECG et du risque de torsades de pointes.

DélireDans le cadre d’un délire sans agitation ou angoissemassive, il est proposé pour soulager le patient untraitement adapté à son parcours thérapeutiqueantérieur : le psychiatre disposant des informationsnécessaires peut alors inscrire l’intervention d’ur-gence dans une continuité de soins. Sont alorsprescrits essentiellement soit les neuroleptiquesincisifs soit les antipsychotiques cités dans le trai-tement de l’état maniaque.Le traitement des phénomènes d’angoisse et

d’agitation fait appel aux mêmes molécules sédati-ves que pour l’état maniaque.Toutes les autres situations cliniques ne font pas

l’objet d’une prescription médicamenteuse au mo-ment de l’urgence psychiatrique. Le schéma théra-peutique est défini dans un second temps et alliedans la plupart des cas abord psychothérapeutiqueet abord médicamenteux quand celui-ci s’avèrejustifié par le diagnostic. Ce schéma est établi avecune autre équipe ou un autre psychiatre que celuirencontré en urgence, sauf pour les équipes dispo-sant d’une unité de crise prenant en charge pen-dant plusieurs semaines les sujets reçus en ur-gence. L’abord médicamenteux de l’urgencepsychiatrique souligne lui aussi la nécessité d’ins-cription des troubles de l’urgence dans une histoireparticulière du patient et l’indispensable conti-

nuité entre les différentes structures de soins psy-chiatriques, qu’elles soient d’urgence ou non, afind’entendre la demande et d’y répondre.

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