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ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE DOSSIER Utilisation de lisocinétisme dans lhémiplégie The use of isokinetics in hemiplegia H. Delahaye · J. Vanvelcenaher · A. Khaled · P. Mortreux · A. Passeri · P. Schumacker © Springer-Verlag France 2013 Résumé La reproductibilité des tests isocinétiques chez lhé- miplégique est démontrée. Ils objectivent la difficulté à réa- liser des mouvements rapides, la préservation relative du couple excentrique. L outil isocinétique peut être utile dans la prise en charge des hémiplégies : il permet un travail sécu- risé, répété, à lintensité maximale possible et, avec certains appareils, en condition fonctionnelle de marche. Le renfor- cement rend probablement plus confortables et moins fati- gantes les activités journalières ; son impact sur la participa- tion sociale reste à prouver. Deux techniques paraissent prometteuses : le CPM et lexcentrique. Mots clés Hémiplégie · Isocinétisme · Renforcement · Excentrique Abstract The reproducibility of isokinetic tests in patients with hemiplegia has been demonstrated. They focus on the difficulty of performing quick movements and the relative preservation of eccentric muscle tension. Isokinetic methods can be useful in the treatment of patients with hemiplegia: they enable a safe, repeated workout at a maximum possible intensity and, with certain devices, replicate walking func- tion. This strengthening potentially enables daily activities to be performed more comfortably and be less tiring; however their impact on participation in social activities is yet to be proven. Two techniques appear to be promising: CPM and eccentric muscle contraction. Keywords Hemiplegia · Isokinetics · Strengthening · Eccentric muscle contraction Instrument de rééducation L isocinétisme permet de réaliser, avec lintensité maximale possible, des mouvements répétés que le patient aurait craint de réaliser sans lapport sécurisant des dynamomètres ; cer- tains appareils isocinétiques (Kinetron ® ) permettent de réa- liser des exercices de marche sur place. L isocinétisme a donc sa place dans le contexte de lhémiplégie où la plasti- cité cérébrale nécessite des exercices intenses, répétés, orien- tés sur la tâche [1]. Les avantages de loutil isocinétique associent une grande précision des programmes de renforcement, une adaptation aux possibilités motrices, à la fatigue, à la douleur du patient, un travail à vitesse ciblée, en secteur ciblé, en concentrique ou en excentrique, sur le couple agonisteantagoniste. Son utilisation est intéressante non seulement au stade chronique après la phase de récupération spontanée, mais aussi au stade précoce dans les semaines qui suivent lAVC. À la phase précoce, il prévient « lapprentissage de linactivité » : il permet un travail à visée surtout proprioceptive, puis pro- gressivement à visée de renforcement, apportant le feed- back des courbes et des tests comparatifs. Renforcement isocinétique Les travaux portent surtout sur le membre inférieur (genou, hanche) ; on recense peu détudes sur le membre supérieur. Hammami [2], dans sa revue de la littérature de 2012 sur le renforcement musculaire des membres inférieurs à plus de six mois de lAVC, retrouve quatre études utilisant un dyna- momètre isocinétique. Le renforcement concerne le quadri- ceps et les ischiojambiers ; seul Kim [3] renforce aussi les fléchisseurs de hanche et les fléchisseurs plantaires. Les pro- grès sont significatifs, allant de 17 à 54 % (jusquà 155 % pour Kim [3]). Il ny a pas de consensus dans les protocoles : les amplitudes sont celles que le patient peut réaliser active- ment, les vitesses sont lentes à moyennes allant de 30 à 180°/ s ; la fréquence est de deux à cinq séances par semaine pen- dant quatre à huit semaines, avec six à dix répétitions par séance. Engardt et al. [4] comparent dix sujets renforcés en mode concentrique et dix sujets renforcés en mode excen- trique à plus de deux ans dun AVC (renforcement du qua- driceps pendant six semaines) : un gain de force est obtenu dans les deux groupes. Le renforcement excentrique paraît H. Delahaye · J. Vanvelcenaher (*) · A. Khaled · P. Mortreux · A. Passeri · P. Schumacker CRF L Espoir, 25, pavé du Moulin, F-59260 Hellemmes, France e-mail : [email protected] Lett. Méd. Phys. Réadapt. (2013) 29:99-104 DOI 10.1007/s11659-013-0358-z

Utilisation de l’isocinétisme dans l’hémiplégie

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ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE DOSSIER

Utilisation de l’isocinétisme dans l’hémiplégie

The use of isokinetics in hemiplegia

H. Delahaye · J. Vanvelcenaher · A. Khaled · P. Mortreux · A. Passeri · P. Schumacker

© Springer-Verlag France 2013

Résumé La reproductibilité des tests isocinétiques chez l’hé-miplégique est démontrée. Ils objectivent la difficulté à réa-liser des mouvements rapides, la préservation relative ducouple excentrique. L’outil isocinétique peut être utile dansla prise en charge des hémiplégies : il permet un travail sécu-risé, répété, à l’intensité maximale possible et, avec certainsappareils, en condition fonctionnelle de marche. Le renfor-cement rend probablement plus confortables et moins fati-gantes les activités journalières ; son impact sur la participa-tion sociale reste à prouver. Deux techniques paraissentprometteuses : le CPM et l’excentrique.

Mots clés Hémiplégie · Isocinétisme · Renforcement ·Excentrique

Abstract The reproducibility of isokinetic tests in patientswith hemiplegia has been demonstrated. They focus on thedifficulty of performing quick movements and the relativepreservation of eccentric muscle tension. Isokinetic methodscan be useful in the treatment of patients with hemiplegia:they enable a safe, repeated workout at a maximum possibleintensity and, with certain devices, replicate walking func-tion. This strengthening potentially enables daily activities tobe performed more comfortably and be less tiring; howevertheir impact on participation in social activities is yet to beproven. Two techniques appear to be promising: CPM andeccentric muscle contraction.

Keywords Hemiplegia · Isokinetics · Strengthening ·Eccentric muscle contraction

Instrument de rééducation

L’isocinétisme permet de réaliser, avec l’intensité maximalepossible, des mouvements répétés que le patient aurait craint

de réaliser sans l’apport sécurisant des dynamomètres ; cer-tains appareils isocinétiques (Kinetron®) permettent de réa-liser des exercices de marche sur place. L’isocinétisme adonc sa place dans le contexte de l’hémiplégie où la plasti-cité cérébrale nécessite des exercices intenses, répétés, orien-tés sur la tâche [1].

Les avantages de l’outil isocinétique associent une grandeprécision des programmes de renforcement, une adaptationaux possibilités motrices, à la fatigue, à la douleur du patient,un travail à vitesse ciblée, en secteur ciblé, en concentriqueou en excentrique, sur le couple agoniste–antagoniste. Sonutilisation est intéressante non seulement au stade chroniqueaprès la phase de récupération spontanée, mais aussi au stadeprécoce dans les semaines qui suivent l’AVC. À la phaseprécoce, il prévient « l’apprentissage de l’inactivité » : ilpermet un travail à visée surtout proprioceptive, puis pro-gressivement à visée de renforcement, apportant le feed-back des courbes et des tests comparatifs.

Renforcement isocinétique

Les travaux portent surtout sur le membre inférieur (genou,hanche) ; on recense peu d’études sur le membre supérieur.

Hammami [2], dans sa revue de la littérature de 2012 surle renforcement musculaire des membres inférieurs à plus desix mois de l’AVC, retrouve quatre études utilisant un dyna-momètre isocinétique. Le renforcement concerne le quadri-ceps et les ischiojambiers ; seul Kim [3] renforce aussi lesfléchisseurs de hanche et les fléchisseurs plantaires. Les pro-grès sont significatifs, allant de 17 à 54 % (jusqu’à 155 %pour Kim [3]). Il n’y a pas de consensus dans les protocoles :les amplitudes sont celles que le patient peut réaliser active-ment, les vitesses sont lentes à moyennes allant de 30 à 180°/s ; la fréquence est de deux à cinq séances par semaine pen-dant quatre à huit semaines, avec six à dix répétitions parséance. Engardt et al. [4] comparent dix sujets renforcés enmode concentrique et dix sujets renforcés en mode excen-trique à plus de deux ans d’un AVC (renforcement du qua-driceps pendant six semaines) : un gain de force est obtenudans les deux groupes. Le renforcement excentrique paraît

H. Delahaye · J. Vanvelcenaher (*) · A. Khaled · P. Mortreux ·A. Passeri · P. SchumackerCRF L’Espoir, 25, pavé du Moulin, F-59260 Hellemmes, Francee-mail : [email protected]

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plus efficace : il est à l’origine d’un progrès dans la forceexcentrique et concentrique du membre hémiplégique, cequi n’est pas le cas après un renforcement concentrique ; larépartition des appuis lors du passage assis–debout est meil-leure après le renforcement excentrique ; l’analyse EMGconstate que la cocontraction des muscles antagonistes (lesischiojambiers) lors des mouvements concentriques aug-mente après le renforcement concentrique, perturbant lavélocité du mouvement ; ce n’est pas le cas après le renfor-cement excentrique.

Rouleau et al. [5] constatent une augmentation desvaleurs isocinétiques et une amélioration de la vitesseconfortable de marche après un programme de renforcementexcentrique du genou de six semaines.

Les différentes séries confirment que le renforcement n’apas l’effet redouté d’aggraver la spasticité [6–8].

Le Kinetron® est un appareil de simulation de la marcheen mode isocinétique ; il est d’utilisation plus aisée que lesautres appareils isocinétiques (Fig. 1) : il permet de luttercontre la synergie d’extension qui est à l’origine d’une bas-cule du bassin et d’un fauchage : en position assise en uni-podal, avec le pied sanglé sur la palette, Wilder et al. [9] fontréaliser un travail actif de la flexion de hanche ; puis dans undeuxième temps, la position debout en bipodal permet letravail de la coordination des deux membres inférieurs, amé-liorant ainsi la symétrie d’appui et la longueur du pas.

Pourquoi renforcer les muscles de l’hémiplégique ?

La faiblesse du muscle hémiparétique s’explique non seule-ment par un défaut de commande, mais aussi par des trans-formations structurelles, un déconditionnement secondaire àla sédentarisation forcée, aux comorbidités et au « désappren-tissage » de l’utilisation du membre hémiparétique.

La méta-analyse de Harris et al [10] retrouve 13 étudesrandomisées contrôlées objectivant une amélioration de laforce de préhension et de la fonction du membre supérieuraprès un programme de renforcement ; un effet significatifdu renforcement sur la fonction est retrouvé pour les patientsayant un déficit moteur modéré et léger. Patten et al. [8]retrouvent une meilleure efficacité sur la force et la fonctionquand la rééducation classique est associée à un renforce-ment isocinétique du membre supérieur ; cet effet persiste àsix mois. Il y a une meilleure activation des agonistes et unemeilleure modulation du stretch reflex : c’est un argument del’efficacité de tâches répétées et intenses sur la plasticité neu-ronale. Chang et al. ont montré un gain de force, un progrèsdans l’échelle de Fugl-Meyer et une amélioration de la ciné-tique d’atteinte d’une cible après des exercices de pousséeset tractions sur un plan horizontal en mode isocinétique avecles deux membres supérieurs [11].

Certains groupes musculaires ont un recrutement très per-turbé après une hémiplégie ; c’est le cas, aux membres infé-rieurs, des fléchisseurs de hanche et des ischiojambiers : celajustifierait un travail isocinétique spécifique de ces musclespour améliorer la qualité de la marche. Au CRF L’Espoir,une étude est en cours sur l’impact d’un travail isocinétiquedes fléchisseurs de hanche dès l’entrée au CRF, avec popu-lation témoin (Fig. 2).

Fig. 1 Installation pour le renforcement des fléchisseurs de hanche

en décubitus dorsal, dossier incliné par rapport à l’horizontale

Fig. 2 Positionnements progressifs sur le Kinetron® : depuis

le fauteuil du patient (A), puis sur l’assise du Kinetron® en position

basse (B), puis surélevée (C), enfin en position debout (D)

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Si le sujet a une bonne force musculaire maximale, lesactivités de la vie courante comme la marche ne vont exigerqu’une petite proportion de ses possibilités : elles serontvécues avec moins de fatigue ; à l’inverse, si le sujet estfaible, il utilisera pour ces activités une grande partie deson potentiel : cela lui occasionnera plus d’effort et de fati-gue [12]. Le renforcement peut donc rendre la marche plusconfortable, même si elle n’est pas plus rapide [13].

On peut penser qu’une personne hémiplégique ayant desmuscles faibles va avoir un recrutement musculaire rapide-ment maximal et donc que sa motricité sera plus synciné-tique et moins sélective.

La force est donc un des déterminants à prendre encompte dans les difficultés de marche après un AVC [8–11]. Mais d’autres facteurs interviennent : spasticité, troublesde l’équilibre et de la coordination, déficit sensitif… : ainsi,avec un même index de force isocinétique que les sujetssains, la vitesse de marche et la distance de marche sontmoins bonnes après un AVC [14].

Il n’y a actuellement pas de données suffisantes pour éva-luer de façon fiable les effets d’un programme de renforce-ment après un AVC [15]. L’impact du renforcement muscu-laire sur la fonction et sur la participation sociale reste àprouver [16].

Il ne faut pas négliger le renforcement du membre sain,qui est déficitaire, d’autant que le cross-over effect peut avoirun impact sur la force du membre parétique.

Le renforcement isocinétique aurait un impact sur la qua-lité du geste [17] : comparativement à un entraînementorienté sur la tâche d’aller prendre un verre, le renforcementisocinétique analytique de l’épaule, du coude et du poignetlimite les mouvements compensatoires du tronc et favoriseune meilleure amplitude de flexion du bras et d’extension ducoude : réalisé avant l’entraînement orienté sur la tâche, ildonne moins de compensation que lorsqu’il est réalisé aprèsl’entraînement orienté sur la tâche : un renforcement analy-tique préalable aux exercices fonctionnels pourrait donc êtrerecommandé pour obtenir une meilleure qualité gestuelle.L’auteur pense que c’est le sanglage du tronc sur les machi-nes isocinétiques qui permet ce contrôle des compensations.

Deux techniques isocinétiques paraissent prometteuseschez l’hémiplégique

• Le CPM (continuous passive motion) : mobilisation conti-nue isocinétique à vitesse lente : le mouvement est réalisédans toute l’amplitude, quelle que soit la fatigue ; le sujetpeut réaliser des contractions concentriques ou excentri-ques en freinant ou en poussant la machine ; cette tech-nique est intéressante pour les patients très déficitairesavec testing inférieur à 3 [2] ;

• l’excentrique : il est plus facile de recruter un musclefaible en mode excentrique qu’en mode concentrique ;

ce mode de contraction est plus économique sur les plansénergétique et cardiovasculaire que le mode concentrique ;il déclenche moins d’activité antagoniste réflexe et decocontractions.

Instrument d’évaluation

La fiabilité de l’outil a été confirmée chez l’hémiplégiquedont le déficit est faible à modéré [18–20]. Les études ontporté surtout sur le membre inférieur, beaucoup moins sur lemembre supérieur [21]. Les positions sont variables avec lesséries : décubitus dorsal, décubitus à 30° par rapport à l’ho-rizontale pour la hanche, position assise. En mode excen-trique et concentrique, il y a une très bonne reproductibilitédes valeurs des tests réalisés à quelques jours d’intervallepour les fléchisseurs et extenseurs de hanche, de genou etde cheville, d’épaule, de coude ; elle serait moins bonne pourles fléchisseurs du genou dans certaines études [22]. Cettereproductibilité est comparable entre les deux membres etavec celle des sujets sains [22]. Par exemple, pour le quadri-ceps des hémiparétiques au stade chronique, le coefficient decorrélation intraclasse est de 0,89 (0,93 pour les sujetstémoins). La fiabilité concerne les tests à des vitesses nedépassant pas en général 180°/s : en effet, si le sujet n’atteintpas la vitesse de la machine, la comparaison entre différentstests n’est plus possible.

On a évalué la différence minimale de valeurs requisesentre deux tests d’un patient pour conclure à un changementsignificatif lors d’études longitudinales [22–24] : Flansbjeret al. [24] retrouvent, pour les pics du couple du quadriceps à60°/s, des valeurs de 33 % en mode concentrique et de 25 %en mode excentrique.

L’évaluation isocinétique de l’hémiplégique retrouveplusieurs caractéristiques

• L’hémiplégique a des difficultés pour réaliser des mouve-ments rapides (Fig. 3) [25–27]. Par exemple, pour lecoude : quand la vitesse passe de 30 à 120°/s, le couplediminue de 44 % pour les fléchisseurs et de 63 % pour lesextenseurs (vs 9 et 16 % chez les sujets sains) [27].Conrad et al. [25] constatent que chez dix sujets ayantun déficit moteur modéré à plus de deux ans de leurAVC, le déficit isocinétique des fléchisseurs et extenseursdes doigts, même à vitesse lente (10°/s), est beaucoup plusmarqué qu’en isométrique : les tests isométriques sous-estiment donc chez l’hémiplégique le degré d’incapacité.Ce déficit de la motricité à vitesse rapide serait dû à undéfaut d’activation centrale des fibres II plus qu’à unehypertonie de l’antagoniste [23] ou à une atrophie sélec-tive des fibres musculaires de type II [19] ; il peut aussi

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être secondaire à l’augmentation des cocontractions àvitesse rapide ;

• le déficit est plus marqué en mode concentrique qu’enmode excentrique (Fig. 4) [20]. Plusieurs facteurs peuventexpliquer la préservation du couple excentrique : l’infil-tration des muscles par le tissu conjonctif augmente leurraideur ; le réflexe d’étirement des antagonistes gêne l’ac-tion concentrique alors qu’il peut agir en synergie avec lacommande motrice lors d’une action excentrique ; enfin,le vaste recrutement d’aires motrices observé lors de larécupération après un AVC peut favoriser la contractionexcentrique qui demande une plus grande activation cor-ticale que la contraction concentrique [28] ;

• lors d’une récupération complète ou presque complèteaprès un AVC, la répétition des mouvements de flexion–extension réciproque du genou entraîne une augmentationdu ratio extenseurs/fléchisseurs par difficulté à maintenirle couple de flexion (Fig. 5) [29] ;

• l’outil isocinétique est sensible au dysfonctionnementmusculaire : un déficit est mis en évidence même chezles sujets ne présentant pas cliniquement de symptomato-logie motrice après un AVC [29] ;

• le membre sain est légèrement déficitaire : cela est proba-blement dû à un déconditionnement par manque d’acti-vité, mais il peut y avoir une origine neurologique (10 %des fibres corticospinales ne croisent pas). Davies et al.retrouvent ce déficit par rapport à une population témoin,seulement en mode isocinétique, alors qu’il n’y a pas dedéficit en isométrique [30]. La comparaison du membrehémiplégique au membre sain n’est donc pas fiable : ilfaut se référer à une population témoin appariée [31–33].

Le renforcement du membre sain améliore l’équilibre et lamarche [34] ;

• le tronc a été évalué : il n’y a pas d’asymétrie de la forcedes rotateurs [35] ; cela peut se concevoir en raison del’innervation corticale bilatérale des muscles du tronc.La force des fléchisseurs, extenseurs et rotateurs, est défi-citaire comparativement à une population témoin [35–37].Le renforcement du tronc a un impact sur l’équilibre et lescapacités de transferts [37].

Fig. 3 Variation du couple isocinétique en fonction de la vitesse

(valeurs rapportées aux valeurs isométriques) [22] chez 17 patients

à six ans en moyenne de l’AVC : on remarque une préservation

des valeurs excentriques des hémiparétiques

Fig. 4 Préservation des couples excentriques et concentriques

(en pourcentage du couple des sujets témoins) chez 18 patients

hémiparétiques à plus d’un an de l’AVC [28]

Fig. 5 Évolution des ratios de couples (extension/flexion

du genou) sur dix répétitions à 90°/s chez dix patients à neuf

mois en moyenne de l’AVC [29]

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L’isocinétisme permet d’évaluer l’efficacitéd’un programme de renforcement musculaire [5,16]

L’efficacité de ces programmes est prouvée par les tests iso-cinétiques [2,38,39]. Flansbjer [26] a pu montrer qu’un pro-gramme de renforcement à 80 % de la force maximale pen-dant dix semaines donne un progrès de la force à cinq moisqui se maintient à quatre ans du programme.

L’isocinétisme peut aussi mieux préciser l’impact d’uneprise en charge sur la qualité de la contraction. Zelaschi [40]observe, après un programme de renforcement, une amélio-ration du recrutement alterné avec une diminution du tempsde transition entre l’action des fléchisseurs et extenseurs dugenou. Silver et al. [39] notent après un entraînement surtapis roulant une diminution du temps de production du cou-ple excentrique et concentrique des ischiojambiers, une amé-lioration de leur force et une baisse de la spasticité (mesuréeen passif sur dynamomètre isocinétique).

L’isocinétisme peut être utilisé pour quantifierune spasticité

Il permet de quantifier objectivement la résistance au mou-vement passif. Les méthodes de la courbe de travail et du picdu couple résistant à 180°/s ont une fiabilité relative test–retest acceptable [41]. L’isocinétisme est un moyen de quan-tifier objectivement l’augmentation vitesse-dépendante de larésistance au stretch passif des fléchisseurs plantaires exercépar une dorsiflexion isocinétique de la cheville [42]. Mais ila un rôle mineur dans l’évaluation clinique quotidienne de laspasticité [43] : il ne peut pas simuler le test manuel, car lesvitesses et les accélérations sont très différentes entre le testmanuel d’Ashworth et les tests isocinétiques ; le stretch estobtenu plus facilement avec le testing manuel [44].

Des corrélations fonctionnelles ont été observées

On a retrouvé des liens entre la force isocinétique du membreparétique et des paramètres de marche : corrélation entre lavitesse de marche et la force des fléchisseurs et extenseurs dela hanche, du genou et des fléchisseurs plantaires[3,24,45,46] ; corrélation entre le temps de montée des esca-liers et la force isocinétique des fléchisseurs plantaires et desextenseurs de hanche [47].

Conclusion

L’isocinétisme évalue la fonction musculaire de l’hémiplé-gique, contribuant à une meilleure connaissance de la patho-logie et permettant une rééducation plus adaptée. Les étudesnous incitent à ne pas négliger le tronc et le membre sain ;pour le membre parétique, le travail excentrique paraît inté-

ressant, ainsi que les exercices privilégiant les mouvementsrapides qui sont les plus difficiles à réaliser.

Les techniques isocinétiques méritent d’être mieux étu-diées ; Hammami en 2012 [2] ne retrouve qu’une étude ran-domisée contrôlée sur les quatre évaluant le renforcement enmode isocinétique ; il n’y a pas de qualité méthodologiquesuffisante de ces études pour affirmer actuellement le béné-fice du renforcement en mode isocinétique (études de cohor-tes sans population témoin, effectifs réduits, voire étude decas…). Néanmoins, ces techniques sont intéressantes, car lesinstallations sont sécurisantes, les modes de contraction sontvariés ; les appareils sont asservis à la vitesse et non à lacharge : les efforts ne sont pas imposés, mais fournis enfonction des possibilités du patient. Le mouvement est réa-lisable de façon précoce ; cela prévient la sous-utilisation dumembre et permet non seulement un travail de la force, maisaussi un travail proprioceptif, sensorimoteur, en particulieravec certains appareils comme le Kinetron®, le Moflex®.Les exercices isocinétiques favorisent aussi la réadaptationaux efforts ; ils peuvent contribuer à un meilleur confort demarche en augmentant la « réserve » énergétique et de force.

L’isocinétisme a sa place dans l’arsenal des techniques derééducation. Il permet d’associer un travail « central » de laplasticité neuronale et un travail « périphérique » du muscle.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir deconflit d’intérêt.

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