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J O R ET A U T R E S PARTICULES NI~GATIVES.

L 'homme ne s 'est j amais content~ de nier ou d 'aff i rmer simplement, de dire , ,non" ou , ,oui" sans plus, il a de tout temps senti le besoin de s 'expr imer avec plus de force, sur tout quand il s 'agit de nier, soit parce qu'il se sait ou se croit soupgonn~ d 'avoir dit ou fai t une chose blamable, soit qu'il veut insister sur ce qu'il y a de rare et d 'unique darts le cas pr6sent. Au lieu de dire ,,Je ne l'ai pas fair" , on di t ,,je n 'a i pas un moment pens6 /~ le faire", ou, plus bri6vement , , je ne l ' a i / a m a i s f a i t " ; au lieu de ,,C'est un homme tr~s intell igent", on di t ,,C'est l 'homme le plus intell igent que j 'aie jamais vu" , ou ,,Je n 'a i jamais vu un homme plus intel l igent".

On constate qu 'on aime /l g6n~raliser, /~ introduire l'id~e de temps clans l 'affirmation et sur tout dans la n6gation. Aussi cofistate-t-on qu 'en lat in numquam, en vieux Fran~;ais onc, mais, clans le dialecte de Groningen nooit s 'emploient darts le sens de pas, pas du tout.

Chantecler arrive ~ la cour et s 'agenouille devant le roi Noble; celui-ci a piti6 de lui et soupire profond~ment, de sorte que toute la cour en fr issonne:

Onc n'i ot si hardie beste, Ors ne sengler, que poor n'et Quant lor sire sospire et btet.

(Roman de Renard, !, 356--358).

L'ours est pris darts la fente d 'un ch6ne off il ava i t esp6r6 t rouver du miel et d'ofi Renard avai t retir~ les coins . . . .

Que ia mais n'en traisist il gote, Que n'i avoit ne miel ne ree. (Ibidem, 600--601).

Renard se moque de lui:

,,Brun", fet il, "jel savoie bien Que queriez art et engien Que ]a del miel ne gosteroie. (Ibidem, 61.3---613).

Et pour tant Noble, en le chargeant d 'un message pour Renard, lui ava i t d i t :

Qar m'i ales, Brun, beauz doz frere: Vos n'aurez ja de lui regart. (Ibidem, 440-- 441).

Et dans Chr6tien de Troyes:

L'emperere rebut s'esba'/, N'onques mains esperduz ne fu Que se il fust dessoz I'escu. (Cligds, 4098).

D'ailleurs on le t rouve d~s les plus anciens textes :

11 li enortet, dont lei nonque chielt, Qued ele fuiet lo nora crestiien. (Eulalie, 13).

Cl~opatre frappe Phot in d 'un dard t r a n c h a n t ; . . . . ,,onques arme/ire que Phot ins e~ist ne li fu garanz que . . . . " Li Fet des Romains, p, 640, i. 25.

Cette id6e de , , jamais" est souvent pr6cis~e par d 'au t res mots expr iman t le temps, comme: ]amais de ta vie, ]amais un moment. Je me borne ici deux tournures du vieux fran~;ais: des mois et ]our.

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,,Et qui estes vos?" fet li rois; ,,Ne vos conoistroie des mois, Se je nomer ne vos ooie. (Chr6tien, Vvain, 2276). Ne serai chevaliers des mois, Se chevaliers vermauz ne sui. (Perceval, 976). Si folle ne me troverez des mois. (K. Bartsch, Rom. u. Past., II, 625, 27). Par vostre folie ne m'avrez des mois. (Ibidem, 62, 18).

. . . . n ' avro ies rues des mois t a len t de ton pa'fs grever, Fet des Rom., 604, 1. 31.

Or soiez vers moi plus cortois, Ne me traveillier mes des mois. (Rutebeuf, Le mir. de Th~oph., 201). Se Troilus tarjast un poi, N'eiist Hector mais des nzeis joi. (Roman de Troie, 14122). Estre voudreit a son ostel, Ne revendreit des meis ariere. (Rom. de Troie, 14991).

Dans tous ces exemples des mois signif ie , ,d ' ici & long temps" , ce qui r ev ien t clans la p lupar t des cas ~ , , jamais" .

Quant au mot ]our, renforc~ ou non, il est si f r equen t qu ' i l semble parfois perdre t ou t & fa i t son sens p r imi t i f et deveni r une par t icule n~gative. Donnons d ' abo rd quelques exemples dans lesquels il garde route sa valeur .

Que bien ne fis jor de ma vie, Renart le Nouvel, 7642. Que ja fame, ]our qa'ele vive, N'avra fors sa beaut~ naive. Rom., de la Rose, 8903. Ne jamais la lasse chaitive Nou despendra jour qu'ele rive. Ibidem, 9580. Mais le sorplus que requeres, Jour de ma vie n'aver6s. Drouart la Vache, Li livres d'Amot'rs, 2726.

De celui qui espousee vous a, / a n e serez amee lo iaument , /or de vostre vie, Ibidem, 3479.

En un jour nus d 'eus si vai l lans ne fu comme Cantecler fu, Renart le Nouvel, 5114. Ne vous faurra i nul ]our, Ibidem, 4162. Relevons, /t p ropos de ce dern ier exemple, que de m~me que nul lieu, puis nulle part, a pris la place de nusquam, de m~me nul ]our a essay6 de remplacer numquam; on lui a pr6f6r6 p o u r t a n t onc, onques, ja, mais, ]amais.

Jhesus m 'en gar t que ]d jour face pals /t lui, Renart le Nouvel, 2105. - - Que j a /our ne sera vis recr6ans, Ibidem, 1618. De m~me 4025: ]a ]our; Se cil la vel t vers moi conquerre , ]a jor n'a ie feme ne terre, se ge vers lui ne la deffent , Endas, 3466.

Mais Troien ne cessent ]or D'eus enforcier et a torner , Troie, 13058. Jamais n ' i e r t / o r de li amee, Melions, 582.

Ceus qui fu ren t ne qui sont Ne qui ja mais /or de iven t estre, Troie, 5317. lci, ]or est employ6 clans une phrase a f f i rmat ive et 6quivaut /i , ,un jour" , holl. eens.

Godefroy cite les exemples su ivan t s : Ne [a/or n ' en sera delivre, La Houce partie (Mont. et Raynaud , Fabliaux, II, 2).

Mez Herchembaut le fel, qui ]a jour n'ait sant~. Est venu aprez li u pales honour6.

Doon de Maience, 1194.

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Les dens ains sacier me lairoie, Que ]a ]or de vous me vantasse Ne ia d'amor nttl jot ghilasse.

Jacq. d'Amiens, Art a'Amour.

Dans ce dernier exemple les expressions ]a /or et ]a nul /or se t rouvent dans une proposition affirmative /a sons n6gatif. Dans l 'exemple suivant elles ont un sens net tement n~gatif: Recognu que mais nu l /or cis terrages n e l i pooit resceir, (Godefroy, V, p. 91a, texte de l'ann6e 1263). De mime Renart le Nouvel, 7968, oft I'on t rouve /amai s nul /or; et Renart le Contre]ait, 6d. Raynaud e.t Lerrlaitre, I, p. 301: C'onques nul /our por te n'ama. Mais

la mime page on rencontre aussi /a /our avec la mime valour: Ja Renars /our ne l 'anmera. Et au vers 578: Je vaulsisse . . . . Que l'en fe'fst et ordonnast Constitucion et bon fait Qui ]amais /our ne lust deffait Et qui tousjours mais se tenist. Puis: Tant Ior ont fair hontes e laix Qu'il Wen sera ]a mais /or paiz, Troie, 4402. Citons enfin un passage d'Ovide moralisd, qui risquerait d'6tre real compris:

(Dieu) fera sos jors abregier C'uns de ses ans ne durera Ne plus c'uns autres mois sera, Ne ses mois ne seront mais ]or, Ne semaines le lonc d'un jor, Et sos jors ressambleront bores. (v. 1614---1619).

C'est ~i dire: Ses mois et sos semaines n 'auront ]amais la dur6e d 'une seule journ6e. D'ailleurs le fair que los deux mot s /o r r iment ensemble prouve qu'ils Wont pas la mime valour. Pour qu'il n 'y ait pas de confusion possible je mettrais, pour plus de clart6, une virgule apr~s semaines. II est vrai que l 'auteur, pauvre styliste, ne s'est pas exprim6 clairement; on s 'a t tendrai t /~ trouver la pens6e suivante: Un de sos mois ne durera qu'une semaine, une de ses semaines qu'un jour, un de sos jours qu'une heure. En effet, on lit darts sa source: Et minuentur ainsi sicut menses et menses sicut sep- t imana et septimana sicut dies et dies sicut bore, E. Sackur, Sibyllinische Texte uncl Forschungen, p. 185--186.

Pour exprimer l'idde que le latin rend par s e m p e r, le franq.ais a e r ~ les tourmtres tous tens, tous dis et tous/ours, dont la derni6re seule a subsist6 ( s e m p e r a pris le sens de ,,aussit6t"). On pourrait s 'a t tendre ~l ce que l'idde contraire, celle de n u m q u a m, ffit rendue en fran~ais par nul tens, nul ai, nul/our. Mais il Wen est rien: la langue ne connait pas de parall6lisme parfait. C'est que le mot u m q u a m s'est continu6 dans la langue et exprime avec la n6gation tr6s bien l'idde voulue. C'est le mot ]a qui est entr6 en lutte avec onc et onques et qui, renforc6 par l 'adverbe mais, est sorti vainqueur de la lutte. La concurrence que nul ]our ou /ou r seul lui ont faite n'a jamais constitu6 un r6el danger, quoiqu'il y ait eu des auteurs, comme celui du Renart le Nouvel, qui montrent une pr6f6rence pour les tournures ott entre [e mot /our; mais mime la il est presque toujours accompagn6 de /a, qu'il sert/~ renforcer. On a encore fait d 'autres tentat ives pour rendre n u m q u a m : Car onc ne lui rendimes chevage nule lois, Saxons, XXXIII; notons qu'ici encore nule ]ois sert ~ souligner l'id6e exprim~e par onc. - - Et le jour c'une seule lois Ne mangue el que tu vois, Renart le Nouvel, 7667; ici une seule lois,

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accompagnd de la ndgat ion ne, e x p r i m e l ' idde voulue d 'une fa~on plus dnergique que ne le fe ra i t le seul adverbe onc.

Relevons encore que le mot ]or se r encon t re aussi dans des phrases ne t t e - men t af f i rmat ives , ofl il a perdu dgalement son sens prdcis et sa fonct ion de snbs t an t i f et off il serf h souligner I 'idde de durde:

Que rant corn tu vesquisses 1or j a dise~es tu l'autre seir Ne laireies de terre un dot. Thebes, 3517.

Or me tenez vos por enfant, Qui me loez m'onor partir Tant corn la pudsse jor tenir. Ibid., 3564.

Citons pour f ini r la par t icule ]oi, qui semble bien proveni r de gaudinm , , joie" , mais dont l 'dvolut ion sdman t ique n 'es t pas claire.

On pour ra i t reconnai t re le sens p r imi t i f darts les deux exemples su ivan t s : Les Grecs sont effrayds,

La nuit reposerent un poi, M~s a plusors d'eus ne fu joi; Car sempres les estut lever Qnant il virent I'aube crever_ Thebes, App. 11, 8881.

Vingt mille f emmes grecques se sont raises en rotate pour chercher h Thebes les cadavres de leurs amis mor t s ; cet te marche par mon t s et par vau dpuise leurs forces. Heureusemen t elles passen t m a i n t e n a n t par une plaine,

Li champ esteient bien herbos Et li chemin sodf poudros. Lores esploitierent un poi. S i n e leur iert (B est) encore ]oi. Thebes, 9828.

Cette valeur s 'es t bien affaiblie clans les exemples su ivan ts : Aton, gr i~vement blessd, s ' es t dvanoui ;

0 un coutel les denz desjoignent, La langue de basme li oignent. I~;o le fist parler un poi. Nlais to cui chaut? Ne parla [oi, Preid lor a a quanque peine Queli ameinent tost Ismeine. Thdbes, 6240.

Beals sire Ytiers, ne dites ]oi: Dites mielz, se vous plest, un poi. Mais d'une chose dites bien . . . . Thebes, App., 8917.

Mais, se vos plaist, ne dites joi, Laissiez m'i amender un poi, Si vos dirai que j'en otrei. TIz~bes, 5029.

Nlais dans la p lupar t des cas ]oi sert u n i q u e m e n t ~ renforcer la ndgat ion, comme Constans l 'a d 'a i l leurs ddjh 0it dans son vocabulai re du Roman de Thebes!

Les barons de Tydde v iennen t , apr~s la mor t de leur seigneur, querre congid au roi, ma is Capaneus, v o y a n t Ie dange r qui en rdsultera~t pour I 'arm~e, s ' approche et d i t :

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Atendez un poi; Ne s'est li reis conseilliez [oi. Thebes, 7148

Daire le Roux d6conseille au roi d 'accepter la proposition des Pinqouarts, qui lui offrent leur aide:

Volentiers vont por preie querre, Nlais il n'estont ]oi en I'estor, Ja n'i prendront que sol un tor. Thebes, 7903.

Alexis chasse devant lui un chevalier, qui est arm6 seulement d'une lance et d 'un 6cu, en le f rappant sur le ventre et le dos . . . .

Ne se gardot [oi, ce li erie, Et come clerzon le chastie. Thebes, App. I, 5175.

Tyd6e d6clare aux barons qui donnent au roi un conseil qui ne lui plait pas:

Mout me merveil Queli donez ital conseil. A qo que jo dire vos,oi Si il i pert ceo vos est poi, Ou vous yci ne veez ioi, Ou vous amez son prou mout poi. Thdbes, 4190 (vat.).

Voici deux exemples enfin, pris tons deux dans le Roman de Troie. Apr~s une bataille Hector propose un armistice:

N'etist /oi pro de quinze dis As morz ardeir et enterrer? Troie, 12986.

Bris6ida dit h Diomede, qui lui fait la cour:

Bien l'ai oi et entendu, Mais ne vos ai joi coneii A doner vos si tost m'amor. Troie, 13626.

Je rdp~te que l'~volution sdmantique du mot ]oi ne m'est pas claire; je me demande m~me si la particule ndgative n 'aurait pas une tout autre origine que le substantif ]oi g a u d i u m .

Oroningen. K. SNEYDERS DE VOGEL.

BILATERALE SYMMETRIE BEI GOTTFRIED VON STRASSBURG.

In seinem Aufsatz fiber Symmetrie in Gott[rieds Tristan (Festgabe Gustav Ehrismann, S. 66ff. Berlin 1925) hat Prof. Dr. J. H. Scholte auf das f/Jr die Disposition Gottfrieds so durchaus bedeutende Prinzip der Symmetr ie hingewiesen, das an zwei yon Scholte sehr schOn analysierten Stellen sogar zur Gestalt der ,,bilateralen Symmetr ie" f/ihrt.

Die Analyse dieser zwei Stellen m6ge hier zun~ichst folgen (alle Zitate sind in der Zeilenztihlung wie im Text nach Ranke).

828---835 87.5---880 haz-minne haz-minne

836----840 871---874 trahte t rahte

841---858 859---870 der frie vogel der unbetwungene muot


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