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ÉDITIONS CERCLE D’ART L’INVENTION DE LA VIE DE BOHèME 1830 - 1900 uc L F erry

8 pages du livre de Luc Ferry "L'Invention de la Vie de Bohème"

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A paraître en septembre 2012

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Page 1: 8 pages du livre de Luc Ferry "L'Invention de la Vie de Bohème"

Éditions CerCle d’Art

l’invention de

la vie de bohème1830 - 1900

ucl Ferry

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Pas sérieux ! Heureusement…Ce qui m’intéresse dans cette histoire

de la bohème entre 1830 et 1900, c’est

qu’elle est en fait la préhistoire de deux

grands événements du XXe siècle qui

m’ont toujours passionné : d’un côté,

la naissance de l’utopie, qui est tout à

fait liée à l’idée, comme dira Rimbaud

que la vraie vie est ailleurs ; idée qui va

traverser tout le XXe siècle, notamment

dans la contre-culture politique jusqu’à

mai 1968 évidemment. Et c’est aussi

la préhistoire de l’art moderne, la

rupture avec le monde bourgeois,

avec l’Académie française, avec le clas-

sicisme, le néoclassicisme.

Qui sont les bohèmes de ces années-là ?Entre les années 1830 et les années 1900,

bien avant qu’apparaissent l’avant-

garde triomphante avec le dadaïsme,

un peu plus tard avec le surréalisme,

avec le Bateau-Lavoir de Picasso, il y a

toute une histoire de groupes qui se

donnent d’ailleurs des noms témoi-

gnant de leur volonté de rompre avec

la tradition, il y a des Hydropathes, des

Zutistes qui disent zut au monde de

la bourgeoisie, des Jemenfoutistes en

1884, il y a les Hirsutes avec un culte

du cheveu, de la barbe, de la pilosité

contre ceux qu’ils appellent les Genoux,

les vieux chauves de l’Académie française,

et tous ces petits groupes vont inventer

tout ce que Duchamp ne fera que

reprendre, les ready-mades, les happe-

nings, les collages, les monochromes.

Sur quelles œuvres vous fondez-vous pour affirmer cela ?Le premier monochrome, réalisé par

Paul Bilhaud, membre à la fois des

Hydropathes et des Incohérents,

s’appelle Combat de nègres dans un

tunnel la nuit, et celui d’Alphonse Allais,

Récolte de la tomate par des cardinaux

apoplectiques au bord de la mer Rouge.

Ils inventeront aussi des « concerts de

silence » comme la Marche funèbre

composée pour les funérailles d’un grand

homme sourd, puisque les grandes

douleurs sont muettes. Tout ça est

enrobé d’un humour, qu’on va appeler

l’humour moderne et qui n’est pas du

tout celui de Molière.

Quels sont les lieux de la bohème ?Elle s’incarnera dans les cabarets,

dans ce qu’on appelle les brasseries

de femmes, dans des sociétés musi-

cales dites à partir de 1880-1882

sociétés de bigophonie, et autres

goguettes, sociétés dans lesquelles

on chante – à ne pas confondre avec

les guinguettes – et au Chat noir, lieu

créé par Rodolphe Salis à Montmartre,

où tous les groupes vont fusionner et

se retrouver un jour ou l’autre.

A-t-elle un mode d’expression privilégié ?C’est aussi un des traits caracté-

ristiques de la bohème de mélanger

tous les arts, on mélange la peinture,

la musique, la poésie, et même

on demande aux uns et aux autres

de sortir de leur art d’origine pour

que le musicien devienne dessinateur

et que le dessinateur se mette au

piano, et donc cette ambiance-là

des origines est assez emblématique

de ce qui plus tard nourrira la politique

utopique et l’art moderne. Contraire-

ment à ce qu’on croit, Duchamp a

tout repris de cette effervescence-là,

et n’a rien inventé. Tout est déjà

dans les expositions des Incohérents.

La Joconde qui fume la pipe figurait

déjà dans une exposition des Incohé-

rents dans les années 1880.

Pourquoi allez-vous jusqu’à déclarer que la bohème est le bras armé du capitalisme mondial ?Marx avait raison : le capitalisme,

c’est la révolution permanente, c’est-

à-dire l’innovation permanente et

en ce sens-là, oui, l’art moderne,

l’art bohème a bien été l’avant-garde

du capitalisme moderne. Et donc,

ces bourgeois et ces bohèmes qui,

en 1830, se haïssaient, se détestaient,

se vomissaient, les uns rendant bien

aux autres leurs coups – les Vieux

Genoux de l’Académie française

détestant les jeunes Bousingots et

réciproquement – eh bien ! un siècle

plus tard, ils se réconciliaient dans

un concept commun qui est celui

du bobo, le bourgeois bohème, par

l’intermédiaire de ce concept de

l’innovation qui est devenu la loi

du monde.

L’invention de la vie de bohème1830-1900

Ne  pas  confondre  bohème  et  Bohême,  un  mode  de  vie  et  un 

ancien royaume qui se situait quelque part dans l’actuelle République tchèque. 

C’est à Paris,  entre  les années 1830 et  les années 1900, que  s’invente un nouvel 

idéal existentiel, une utopie animée par la conviction que « la vraie vie est ailleurs ». 

Il y a, bien sûr, plusieurs bohèmes, des bohèmes riches et snobs, des bohèmes  

des  mansardes,  misérables,  mais  pures  et  dures,  des  bohèmes  romantiques, 

d’autres parnassiennes, certaines révolutionnaires… Il n’en reste pas moins qu’un 

point commun rassemble tous ces poètes, écrivains ou artistes, en dehors même  

de  l’esprit de révolte et de  la haine du monde bourgeois : c’est  l’appartenance  

à la jeunesse.

L’auteur : Luc Ferry

Universitaire, agrégé de philosophie, docteur d’État et agrégé de science politique, 

traducteur de Kant et de nombreux auteurs de l’idéalisme allemand,  

Luc Ferry est philosophe. Ses ouvrages sont traduits dans une trentaine de langues 

un peu partout dans le monde.

Actualité

ExPoSItIoN « BohèmES » aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris,

du 24 septembre 2012 au 6 janvier 2013.

CoNFÉRENCES dE LUC FERRy sur le thème, pendant la durée de l’exposition, 

aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris.

Caractéristiques techniques

Nombre de pages : 192

Format : 240 x 320 mm

Nombre de reproductions : 130 en couleurs

Présentation : couverture souple avec rabats

ISBN : 978.2.7022.0993.6

Prix public : 39,00 euros

Parution : septembre 2012

RENCoNtRE avEC LUC FERRyPropos recueillis par Philippe monsel

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C’est une banalité, bien sûr, et s’y attarder serait une niaiserie, mais il faut bien

partir de là : la bohème n’est pas une réalité univoque. On évitera d’abord de

confondre bohème et Bohême, un mode de vie et un ancien royaume qui se situait

quelque part dans l’actuelle République tchèque. Mais plus sérieusement, il existe,

bien qu’avec un même accent grave, plusieurs bohèmes : des bohèmes riches

et snobs, des bohèmes des mansardes, pauvres ou misérables, des bohèmes

affectées, d’autres pures et dures, des bohèmes romantiques, d’autres parnas-

siennes, des bohèmes distinguées, d’autres populaires, voire révolutionnaires et

préoccupées par la « question sociale »… Un point commun, d’entrée de jeu,

rassemble cependant tous ces poètes, écrivains ou artistes, en dehors même de

l’esprit de révolte et de l’hostilité au monde bourgeois : c’est l’appartenance à

la jeunesse. Pour le reste, la liste est aussi longue que variée de tous les artistes qui,

de près ou de loin, vont animer ou côtoyer l’esprit bohème : de Victor Hugo,

Sainte-Beuve et Nodier à Émile Goudeau, Jules Levy ou Alphonse Allais en passant

par Nerval, Gautier, Borel, Murger, Sand, Rimbaud, Sapeck, Cros, Salis, Satie,

Nadar, Caran-d’Ache, Courbet, Toulouse-Lautrec, et tant d’autres dont nous allons

croiser les chemins. Les diverses dénominations qu’adoptent les « camaraderies »

sont tout aussi multiples, des « Bousingots », « Vilains Bonshommes » et

« Zutistes », aux « Hydropathes », « Hirsutes », « Jemenfoutistes » ou « Incohérents »,

Une brève histoire de la bohème

Bohème (détail), par Sébastien Dulac, 1831® The Bridgeman Art Library/Rafael Valls Gallery, Londres

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dissoute en 1880, la « camaraderie » se reforme sous diverses 

appellations,  « hirsutes »  ou  « Jemenfoutistes »,  noms  qui  

indiquent toujours la même volonté de « déconstruire » auto-

rités et valeurs traditionnelles pour inventer un monde résolu-

ment neuf. La « vraie vie est ailleurs », c’est bien cette utopie 

qui  anime  les  bohèmes.  En  1882,  un  nouvel  avatar  des 

hydropathes  resurgit  avec  les  « Incohérents ».  Goudeau  et 

Jules Lévy organisent des bals et des expositions littéralement 

délirants.  Leurs  manifestations  rencontrent  un  succès  fou  – 

réunissant  jusqu’à  vingt  mille  personnes  en  quelques  jours. 

Les rues de Paris en sont bloquées, des files d’attente s’allon-

gent  pour  avoir  la  chance  d’admirer  les  dernières  créations 

incohérentes.

on y expose toiles, dessins, caricatures, les premiers ready-

mades,  les premiers collages, mais aussi une myriade d’objets 

absurdes,  destinés  à  « choquer  le  bourgeois » :  le  Peigne pour

chauve,  la Balançoire de mur pour calmer les enfants turbulents, 

l’Aquarium en verre dépoli pour poisson timide… C’est là également 

que  font  leur  apparition  les  premiers  « concerts  de  silence » 

(John  Cage  n’a  rien  inventé).  on  y  verra  aussi  les  premiers  

monochromes comme la Récolte de la tomate par des cardinaux

apoplectiques au bord de la mer rouge d’alphonse allais .

affiche pour l’Exposition universelle  des arts Incohérents

par Jules Chéret, vers 1895® Kharbine-Tapabor/Coll. Perrin

« Récolte de la tomate  par des cardinaux apoplectiques  au bord de la mer Rouge  (Effet d’aurore boréale) » lithographie d’Alphonse Allais, dans Album primo-avrilesque, 1er avril 1897® Coll. Kharbine-Tapabor

« marche funèbre composée  pour les funérailles d’un grand homme sourd » 

d’Alphonse Allais, dans Album primo-avrilesque, 1er avril 1897 ® Leemage/Gusman

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Ne pas confondre bohème et Bohême, un mode de vie

et un ancien royaume qui se situait quelque part dans

l’actuelle République tchèque. C’est à Paris, entre les années

1830 et les années 1900, que s’invente un nouvel

idéal existentiel, une utopie animée par la convic-

tion que « la vraie vie est ailleurs ».

Il y a, bien sûr, plusieurs bohèmes, des bohèmes

riches et snobs, des bohèmes des mansardes,

misérables, mais pures et dures, des bohèmes

romantiques, d’autres parnassiennes, certaines

révolutionnaires… Il n’en reste pas moins qu’un

point commun rassemble tous ces poètes,

écrivains ou artistes, en dehors même de l’esprit

de révolte et de la haine du monde bourgeois :

c’est l’appartenance à la jeunesse.

La liste est longue de tous les artistes qui, de

près ou de loin, vont approcher ces milieux : de Victor Hugo,

Sainte-Beuve et Nodier à Jules Lévy et Alphonse Allais en passant

par Nerval, Gautier, Borel, Rimbaud, Goudeau, Murger et tant

d’autres ; des Zutistes, des Bousingots et des Vilains Bonshommes,

aux Jemenfoutistes, Hydropathes, Hirsutes

et Incohérents, les groupes s’agrègent et

se désagrègent, se déplacent géographi-

quement, du Quartier latin à Montmartre

en passant par Montparnasse, au gré

des humeurs et des amitiés.

La bohème n’en est que plus créative :

bien avant Duchamp, Malévitch, Klein

ou Cage, elle invente les monochromes,

les ready-mades, les concerts de silence

et les happenings. Les témoignages

graphiques et variés qu’on trouvera

dans ce livre – affiches, catalogues

d’expositions, œuvres de toute nature

– contribuent à exprimer visuellement dans

l’ouvrage l’effervescence de la période. Mais au delà de l’iconogra-

phie, c’est aussi à une interprétation d’ensemble du phénomène

de la bohème et de son destin au XXe siècle qu’il est consacré.

L’INvENtIoN dE La vIE dE BohèmE

39 €

ucl Ferry

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