21
Comment peut-on éduquer l'oreille ? Qu'est-ce que la tonalité ? Avant de réfléchir à la manière de transmettre le sentiment de tonalité, il est essentiel de délimiter et de préciser sa définition. Voici quelques extraits de l'article "tonalité" du dictionnaire de la musique des éditions Larousse. 1. Dans le sens le plus général, caractère propre à toute musique fondée, dans le maniement des hauteurs, sur le principe d'une hiérarchie entre les différents degrés de hauteur, donnant à certains d'entre eux, et surtout à l'un, la tonique, le statut privilégié de notes attractives vers lesquelles tendent les autres degrés , et sur lesquelles on se repose. Dans certains cas, comme celui de la musique occidentale classique, la tonalité obéit à des lois complexes et à un système très raffiné ; dans d'autres cas (certaines musiques contemporaines, par exemple) la répétition obstinée d'une note suffit à créer un « sentiment tonal » très diffus, mais néanmoins très perceptible : par exemple dans les Métaboles d'Henri Dutilleux, par la répétition ou la tenue en « pédale » de la note mi, dans un contexte pourtant très chromatique. Il est bien connu qu'il suffit de répéter un degré de hauteur plus souvent que les autres pour lui donner ce magnétisme « attractif », en faire une espèce de repère, de pivot, de plaque tournante… D'où l'intransigeance et la complexité des règles proposées par Schönberg pour organiser l'atonalité, c'est-à-dire pour créer de toutes pièces une musique sans degrés privilégiés. Il en ressort que la musique dans ses états élémentaires, les moins savants et les plus spontanés, est toujours plus ou moins « tonale », même s'il s'agit d'une tonalité « sauvage », ce que démontrent les expériences d'improvisation libres (dans le free jazz, la musique contemporaine) qui retrouvent très vite des centres d'attraction tonale. L'atonalité est un caractère réservé à certaines musiques savantes, elle doit être voulue et entretenue en permanence, par des procédés d'écriture très rigides, pour barrer la route à tout retour de la tonalité refoulée. 2. Plus spécifiquement, on parle de tonalité par opposition à la modalité, quand il s'agit du système tonal occidental qui ne conserve plus que deux modes, le majeur et le mineur. Tout autre musique non atonale est alors, par opposition, déclarée « modale » alors que dans un certain sens, la musique occidentale tonale l'est elle-même par l'emploi des modes mineur et majeur. La tonalité occidentale se définit donc par la limitation à deux modes, le majeur et le mineur, celui-ci étant posé comme « relatif » de celui-là ; par un système harmonique spécifique basé sur l'accord parfait, sur des règles d'enchaînements et d'attractions entre accords dissonants et consonants, « notes sensibles » et « notes toniques », selon le schème « tension-détente » qui caractérise la cadence classique ; 1

comment peut-on éduquer l'oreille?

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Comment fonctionne la tonalité? Comment pourrait-on s'appuyer sur ce fonctionnement pour baser l'éducation de l'oreille?

Citation preview

Page 1: comment peut-on éduquer l'oreille?

Comment peut-on éduquer l'oreille ?

Qu'est-ce que la tonalité ?

Avant de réfléchir à la manière de transmettre le sentiment de tonalité, il est essentiel de

délimiter et de préciser sa définition. Voici quelques extraits de l'article "tonalité" du

dictionnaire de la musique des éditions Larousse.

1. Dans le sens le plus général, caractère propre à toute musique fondée, dans le maniement des hauteurs,

sur le principe d'une hiérarchie entre les différents degrés de hauteur, donnant à certains d'entre eux, et

surtout à l'un, la tonique, le statut privilégié de notes attractives vers lesquelles tendent les autres degrés, et

sur lesquelles on se repose. Dans certains cas, comme celui de la musique occidentale classique, la tonalité

obéit à des lois complexes et à un système très raffiné ; dans d'autres cas (certaines musiques

contemporaines, par exemple) la répétition obstinée d'une note suffit à créer un « sentiment tonal » très

diffus, mais néanmoins très perceptible : par exemple dans les Métaboles d'Henri Dutilleux, par la répétition

ou la tenue en « pédale » de la note mi, dans un contexte pourtant très chromatique.

Il est bien connu qu'il suffit de répéter un degré de hauteur plus souvent que les autres pour lui donner ce

magnétisme « attractif », en faire une espèce de repère, de pivot, de plaque tournante… D'où

l'intransigeance et la complexité des règles proposées par Schönberg pour organiser l'atonalité, c'est-à-dire

pour créer de toutes pièces une musique sans degrés privilégiés. Il en ressort que la musique dans ses

états élémentaires, les moins savants et les plus spontanés, est toujours plus ou moins « tonale »,

même s'il s'agit d'une tonalité « sauvage », ce que démontrent les expériences d'improvisation libres (dans

le free jazz, la musique contemporaine) qui retrouvent très vite des centres d'attraction tonale. L'atonalité est

un caractère réservé à certaines musiques savantes, elle doit être voulue et entretenue en permanence, par

des procédés d'écriture très rigides, pour barrer la route à tout retour de la tonalité refoulée.

2. Plus spécifiquement, on parle de tonalité par opposition à la modalité, quand il s'agit du système tonal

occidental qui ne conserve plus que deux modes, le majeur et le mineur. Tout autre musique non atonale est

alors, par opposition, déclarée « modale » alors que dans un certain sens, la musique occidentale tonale

l'est elle-même par l'emploi des modes mineur et majeur.

La tonalité occidentale se définit donc par la limitation à deux modes, le majeur et le mineur, celui-ci étant

posé comme « relatif » de celui-là ; par un système harmonique spécifique basé sur l'accord parfait, sur des

règles d'enchaînements et d'attractions entre accords dissonants et consonants, « notes sensibles » et

« notes toniques », selon le schème « tension-détente » qui caractérise la cadence classique ;

1

Page 2: comment peut-on éduquer l'oreille?

On a vu par ailleurs des emprunts très fréquents aux modes anciens, ou à des modes nouvellement créés

autres que le majeur et le mineur (Debussy, Messiaen, Stravinski), mais, comme le dit très bien Serge Gut,

« une véritable modalité posttonale est presque impossible à réaliser, car elle absorbe toujours des éléments

et des réflexes de l'époque tonale ». La plus grande partie de la musique actuelle, depuis le domaine des

variétés jusqu'à une bonne proportion de la musique contemporaine savante, y compris certaines musiques

électroacoustiques, baigne dans une sorte de tonalité généralisée réduite parfois à sa plus simple, mais non

moins efficace, définition, c'est-à-dire à l'existence d'une note prédominante.

Quelques notions essentielles à retenir de ce texte dans l'optique d'une mise en œuvre

pédagogique :

• Tonalité signifie dans tous les cas hiérarchie des sons autour d'une tonique.

• Cette hiérarchie peut prendre différentes formes selon les époques et les systèmes

musicaux.

• Elle découle naturellement de la plus grande présence, répétition d'un son par

rapport aux autres.

• Quelques mots clés sur les rapports des sons entre eux au sein de cette

hiérarchie :

◦ Attraction, « magnétisme »

◦ Dissonance-consonance actionne les sensations de tension-détente

Dans une grande ambiguïté, le même terme de tonalité peut désigner des réalités

différentes : Soit il fait uniquement référence au système tonal majeur/mineur en usage à

partir du 17ème siècle en opposition des autres systèmes, soit il inclut toute forme de

hiérarchie autour d'un pôle tonique (parfois plusieurs), qu'il soit modal ou composite. Selon

cette terminologie, la seule antinomie qui demeure est le système d'écriture sérielle, qui

structurellement cherche à abolir toute hiérarchie entre les sons.

Tonal music in this sense includes music based on, among other theoritical structures, the eight

ecclesiastical modes of medieval and Renaissance liturgical, the sléndro and pélog collections of indonesian

2

Page 3: comment peut-on éduquer l'oreille?

gamelan music, the modal nuclei of Arabic maqam, the scalar prergrinations of Indian Raga, the

constellation of tonic, dominant, and subdominant harmonies in the theories of Rameau, the paired major

and minor scales in the theories of Gottfried Weber, or the 144 basic transformations of the 12-note row.

Article « tonality » du new grove dictionnary of music and musicians

La tonalité, le sentiment de tonique, est facilement accessible, que l'on soit ou non doué

de l'oreille absolue. C'est une sensation instinctive, presque « naturelle »1. Par ailleurs, et

dans une moindre mesure, chaque degré, au sein de la hiérarchie de la gamme,

s'organise selon un jeu d'attractions, donnant à chacun une valeur propre, à laquelle se

rattache la notion de fonction tonale. Dans la solmisation, ce sont ces fonctions que l'on

nomme « do, ré, mi, fa, sol, la, si » et non pas des hauteurs.

Orienter, construire la progression pédagogique sur cette hiérarchie paraît logique.

Chacun, même musicien non formé, a assimilé le fonctionnement du discours musical,

structuré généralement autour des pôles tonique/dominante. Si le fonctionnement de

chaque système tonal spécifique est éminemment culturel, la présence d'un centre tonal

(un au moins) reste un trait commun à toutes les cultures2 . Distinguer et conscientiser

l'ensemble des différentes fonctions tonales relève d'un travail spécialisé d'éducation de

l'oreille. Ainsi est construit l'enseignement musical par la solmisation, éduquant à des

fonctions tonales plutôt qu'à des hauteurs de sons. Ces sensations sont également

porteuses de sens musical, de valeur affective, elles sont par conséquent musicalement

bénéfiques à tous, y compris à ceux dotés d'une oreille absolue.

Extrait de l'article « tonalité » issu de wikipédia

Ce [premier] degré remplit la « fonction tonale de tonique ». Il est donc le degré le plus important d'une

1 Le phénomène de la résonance naturelle, quelle que soit sa part d'intervention-part inconnue et certainement variable-dans la formation d'un système, implique la possibilité, sinon la nécessité, d'une organisation hiérarchique des sons. Tout système musical-le système sériel éventuellement mis à part-engendre des structures hiérarchiques aux niveaux morphologique et syntaxique. (le système sériel, en principe, semble avoir refusé une organisation hiérarchique au niveau morphologique) Celestin Deliège « les fondements de la musique tonale »2 La tonalité correspond à une hiérarchie entre les tons d'un morceau. Cette hiérarchie n'est pas absolue : elle n'existe que dans notre esprit, en fonction de notre expérience d'un style ou d'un langage musical et de schémas mentaux que nous développons tous pour comprendre la musiqueDaniel Levitin, entre la note et le cerveau

3

Page 4: comment peut-on éduquer l'oreille?

tonalité. La tonique et la dominante sont considérées comme deux pôles dont la force d'opposition/attraction

constitue la « pierre angulaire de l'harmonie tonale ».

Les autres degrés d'une tonalité dépendent de la tonique et se définissent par rapport à elle . Ainsi, la

tonique peut être considérée comme le centre de gravité d'une tonalité donnée, puisqu'on la trouve au début

et à la fin de la plupart des pièces musicales écrites durant la période allant du XVIe au XIXe siècle.

Extrait du dictionnaire de la musique de Gérard Pernon

Tonalité: ensemble des caractères d'un système musical fondé sur une hiérarchie établie entre les notes et

sur l'importance particulière de l'une d'elles, dite tonique-note attractive (M.F. Bukofzer fait remarquer que la

"tonalité et la gravitation ont été découvertes simultanément")

Tonique: Premier degré de la gamme dans l'harmonie classique. La tonique est dans le système tonal, le

centre de gravité de la tonalité, la note déterminante. Elle donne son nom à la tonalité.

4

Page 5: comment peut-on éduquer l'oreille?

Attraction et hiérarchie harmonique

Cette image de la gravitation illustre bien l'attraction entre les pôles de la tonalité. La

tonalité peut être assimilée à un univers constitué de pôles mélodico-harmoniques dont la

force gravitationnelle est variable, et entraîne des attractions, à l'image du « système

solaire ». Depuis les plus anciennes « théories musicales » connues remontant à

l'antiquité égyptienne, des symboliques ont rattaché les notes (ou les différents modes)

aux planètes3.

• Classification par ordre d'importance des degrés harmoniques4

Tonique I

Dominante V

Sous-dominante (désigne soit IV soit IV et II selon les conceptions)

médiante sus-dominante sus tonique II III VI

Plus les pôles d'attraction sont fort, plus ils vont avoir tendance à attirer à eux les autres

degrés (emprunts, tonalités secondaires). Cette logique fonctionne en deux dimensions

(mélodiquement) ou en trois dimensions (harmonico-mélodique), elle se retrouve dans

presque tous les styles musicaux. Les spécificités de certains styles (musique modale,

monodique, systèmes extra-européens...) varient éventuellement dans les détails, mais la

logique fondamentale demeure.

3 Cf Max Méreaux symboliques des systèmes musicaux 4 Ce qui est valable pour une conception harmonique (celle que l'on rencontre le plus fréquemment dans les ouvrages) est parfois en adéquation, d'autre fois en interférence par rapport à la hiérarchie des degrés selon une conception mélodique.

5

Page 6: comment peut-on éduquer l'oreille?

• Tentative de représentation graphique de la hiérarchie des degrés

• Classification des degrés communément admise en jazz

I Tonique

II Préparation à la dominante/substitut à la sous-dominante

III Substitut de tonique

IV Sous dominante ou préparation à la dominante

V Dominante

VI Substitut de tonique

6

Tonique

III

VI

IVDominante

II

Page 7: comment peut-on éduquer l'oreille?

• Tableau de classification extrait de « le langage musical de l’Europe occidentale »

tome 2 Louis-Marc Suter5

Fonction Degré Remarques

Tonique I À l'exclusion de tout autre accord

Dominante V

VII

III

Principalement

Forme avant tout ancienne

Rare

V et VII sont très souvent utilisés simultanément dans V7

Sous-dominante IV

II

Principalement

Très fréquemment (II peut être considéré comme l'alter ego de IV)

IV et II sont souvent utilisés simultanément dans II7

Moins définie VI Se substitue à I dans la cadence rompue, mais ne le remplace pas

Peut aussi avoir une teinte de fonction de sous-dominante

Doit également sa situation quelque peu à part parce que accord de

tonique du relatif mineur

Cette conception de la tonalité est dynamique : certains degrés sont dotés d'une tension

intrinsèque, impliquant résolution. En reprenant l'image précédente de la gravitation, on

pourrait parler d'« énergie potentielle » attachée au différents degrés de la gamme.

Du point de vue physique, l'énergie potentielle est l’énergie stockée dans les objets immobiles. Elle

dépend de la position de ces derniers. Comme son nom l’indique, elle existe potentiellement, c’est-à-dire

qu’elle ne se manifeste que lorsqu’elle est convertie en énergie cinétique. Par exemple, une balle acquiert,

quand on la soulève, une énergie potentielle dite de pesanteur, qui n’est apparente que lorsqu’on la laisse

tomber. (wikipédia)

Dans ce sens, l'usage des degrés mélodiques ou harmoniques devient dynamique.

5 Le tableau reproduit ci-dessus est accompagné de la remarque suivante : La notion de fonction harmonique est avant tout définie par le mode majeur. L'auteur fait vraisemblablement référence au « trucage » opéré sur l'accord de dominante au moyen de l'altération de la note sensible afin de le rendre aussi puissant que la dominante du majeur. Cependant, il me semble que les degrés de l'échelle mineure peuvent être dotés de fonctions originales dont l'utilisation est distincte de celle dumajeur, pour exemple, les fonctions II et IV en mineur.

7

Page 8: comment peut-on éduquer l'oreille?

Chaque hauteur ou accord (à l'exception peut-être de la tonique) étant tendu vers un pôle

attractif, induit le mouvement, la vie de la phrase musicale. Le compositeur, l'improvisateur

joue subtilement avec notre désir de résolution rythmique, mélodique ou/et harmonique, le

diffère, le trompe, avant de le satisfaire. Cette perspective permet d'espérer échapper à

cette musique statique, inerte, parfois rencontrée dans les classes d'enseignement

musical : Lorsque la musique a un sens (direction) elle est dotée de sens (signification)

Les compositeurs parviennent à communiquer des émotions, car ils connaissent nos attentes et choisissent

délibérément de les satisfaire ou non. Les frissons ou les larmes que nous procure la musique sont le

résultat d'une manipulation ingénieuse de nos attentes par le compositeur et les musiciens. // la création

d'attentes puis leur manipulation est au cœur de la musique.

Daniel Levitin De la note au cerveau

Éduquer l'oreille harmonique, c'est d'abord construire des repères sensoriels et affectifs

sur un univers régi par des attractions très hiérarchisée, avant de pouvoir progressivement

rendre conscient la connaissance des mécanismes et les dénominations qui s'y

rattachent. Comme le reste des disciplines concernées par l'éducation musicale, l'éveil

sensoriel et affectif doit être préalable à la théorisation, dans ce cas cette stimulation peut

intervenir très tôt.

Attraction et hiérarchie mélodique

Mélodiquement, le phénomène des attractions comporte de nombreuses implications. Le

système d'attraction harmonique, correspondant aux fonctions tonales, et le système

d'attraction mélodique, correspondant aux degrés de l'échelle hors de la logique

harmonique, se recoupent, s'entre-influencent, mais cela ne prive pas le système

mélodique de sa vie propre : historiquement, il est premier.

Nos oreilles occidentales sont tellement profondément baignées de logique harmonique,

que dans la plupart des mélodies, nous percevons consciemment ou non les attractions

harmoniques sous-jacentes. Elles dirigent, orientent les mouvements, nourrissent le

phrasé musical. Les pôles mélodiques conservent néanmoins leur force de gravité propre,

comme en témoigne par exemple le jeu des appogiatures, broderies, présent chez Mozart

8

Page 9: comment peut-on éduquer l'oreille?

aussi bien que dans une mélodie grégorienne : là encore, comme précédemment cité, l'art

du compositeur consiste à susciter nos attentes, afin de pouvoir « jouer » avec, en

différant ou trompant notre désir de résolution avant l'assouvissement final. Dans les

styles purement mélodiques, très souvent prédomine une logique de juxtaposition des

tétracordes ou pentacordes, sans que la reproduction du modèle à l'octave soit

systématique : makam de la musique classique orientale, « modes » de l'antiquité

grecque, modes grégoriens, musique traditionnelle européenne proto-harmonique... Cette

caractéristique est représentative d'un autre type de fonctionnement de la pensée

musicale, totalement différent, pédagogiquement très précieux au niveau de la formation

de l'oreille, également imprégné de la logique de la « gravitation ». Notons que cette

pensée musicale, extrêmement étrange à concevoir pour nous (autant que devoir imaginer

des mathématiques construite en base 7 plutôt qu'en base 10) coïncide avec l'ancien

système de solmisation sur l'hexacorde Do-la nécessitant mutation pour boucler la

gamme.

Éduquer l'oreille mélodique, en ce sens, peut consister à construire la perception des

degrés de l'échelle mélodique dans leur rapport hiérarchique à la tonique. Si la primauté

d'une éducation mélodique sensorielle avant la conscientisation paraît évidente, dans les

faits elle devient réellement problématique face à la disparition déjà amorcée du chant

domestique6.

Au delà de sa composante purement sonore, un son commence incontestablement à devenir musical en

devenant relation mélodique à d'autres sons, notamment à une Tonique, relation harmonique à une

fondamentale ainsi qu'à ses partenaires harmoniques, et subséquemment, relation à des fonctions tonales.

Examinons précisément cette hiérarchie d'organisation musicale. Aussi étrange que cela puisse paraître, un

son tout seul est déjà une relation : relation à ses harmoniques ou relation au son son fondamental dont il

est l'un des harmoniques

François Bovey L'écoute harmonique subjective p 59

La mesure est crée par notre cerveau qui l'extrait de signaux rythmiques et de volume.

La tonalité correspond à une hiérarchie entre les tons d'un morceau. Cette hiérarchie n'est pas absolue : elle

6 voir l'article vous avez dit solfège ? à propos de la notion de chant domestique.

9

Page 10: comment peut-on éduquer l'oreille?

n'existe que dans notre esprit, en fonction de notre expérience d'un style ou d'un langage musical et de

schémas mentaux que nous développons tous pour comprendre la musique

Daniel Levitin de la note au cerveau

Le phénomène d'attraction joue un rôle majeur dans la notion de justesse. Les attractions

mélodiques sont si puissantes qu'elles peuvent faire « bouger » la hauteur fréquentielle

des sons, ce que l'on peut nommer de manière générique le « tempérament ». La encore,

l'idée d'oreille absolue, de mémoire absolue de la hauteur tonale d'un son, devient toute

relative. Dans la tradition de la musique classique, notamment c'est ce que l'on nomme

« justesse expressive ». Très judicieusement, Edgar Willems, qui a poussé ses recherches

dans l'univers « intratonal », distingue trois types de justesses : justesse naturelle

(acoustique), justesse expressive, qui prend en compte l'attractivité des pôles

gravitationnels mélodiques, et justesse tempérée. Dès lors, la légitimité du travail habituel

des intervalles en tant que maîtrise de la distance « métrique » entre les notes montre ses

limites, tant les possibles sont démultipliés.

Selon la justesse expressive, un mi bémol, par exemple, dans l'accord do-mib-sol, n'est pas le même que

dans la suite des sons : do-mib-ré, où la tendance résolutive du mib joue pleinement. Tous les vrai artistes,

parmi les violonistes et les violoncellistes, par exemple, pratiquent cette justesse, parfois même

inconsciemment. En quoi la justesse expressive diffère-t-elle de la justesse naturelle, au point de vue du

nombre des vibrations ? Prenons un sonomètre (…).Plaçons des chevalets de manière à obtenir, sur

différentes cordes, le fa dièse et le sol bémol. Ces deux sons, d 'après la justesse naturelle, sont distants

l'un de l'autre d'un neuvième de ton. Déplaçons le fa dièse vers le haut et le sol bémol vers le bas, en

doublant l'écart entre les deux. Nous obtenons ainsi un beau fa dièse, dont la tendance résolutive vers le

haut est plus caractérisée que le fa dièse naturel, tout en satisfaisant l'oreille.

Edgar Willems « les bases psychologiques de la pédagogie musicale »

On accorde communément à la solmisation la propriété de favoriser la justesse. La

considération précédente met en évidence une des explications : en rapportant tout

exemple musical au modèle simple de l'échelle diatonique première, la solmisation facilite

notre justesse expressive en rendant plus évidente et plus sensible la compréhension des

attractions, parfois embrouillées par un contexte tonal chargé en altérations.

10

Page 11: comment peut-on éduquer l'oreille?

Attraction et hiérarchie rythmique

Le jeu des attractions qui a été précédemment décrit pour les hauteurs tonales et les pôles

harmoniques peut donner lieu à une lecture similaire des phénomènes rythmiques. La

hiérarchie décrite autour de la tonique se construit rythmiquement à différentes échelles,

autour de la perception de la pulsation, de la mesure, de la carrure, et de la construction

formelle (d'essence rythmique, elle aussi). Éléments rythmiques, mélodiques et

harmoniques ne peuvent d'ailleurs pas se penser séparément, ces phénomènes jouant

conjointement sur les attentes de l'auditeur, leur création puis leur assouvissement. Mon

professeur d'écriture avait l'habitude de répéter que la plupart des règles d'harmonie sont

d'ordre rythmique.

Relation rythmique

Le rythme fonctionne autant que les hauteurs de manière relative : un rythme n'est rien en

temps que tel, c'est dans la relation aux autres rythmes qu'il se définit. Cette

interdépendance est comparable au phénomène de relation mélodique à l'origine de la

notion de mélodie.

Pédagogiquement, cette constatation comporte une implication de premier ordre : nous ne

travaillons pas les rythmes en temps que tels, mais en relation avec leur environnement.

Après avoir abondamment étudié une figure de rythme, le professeur peut réaliser que la

classe est en échec devant le même rythme présenté dans un contexte différent. Le travail

rythmique demeure peu efficace si il n'est pas construit dans la relation.

Par exemple

• Travailler la blanche prend sens par rapport à la noire.

• Affermir la perception du temps par contraste avec le contre-temps.

• Pour l'étude du rythme « deux croches », selon la place et l'environnement, chaque

situation donne une autre perception de « deux croches » qui doit être travaillée

spécifiquement avant de pouvoir espérer atteindre une autonomie et une confiance

suffisante pour être capable s'adapter à toute nouvelle situation. Quel rythme avant,

après, quel tempo, quel dynamique, quel timbre, quel accompagnement.... ? Quel

type de compétence est attendue : lire, imiter, reconnaître, déchiffrer, inventer ?

11

Page 12: comment peut-on éduquer l'oreille?

• Se positionner dans les relations, les rapports entre les « 5 étages » de la

construction rythmique : 1) rythme formelle, 2) carrure, 3) mesure, 4) pulsation, 5)

rythme.

Le travail rythmique est encore souvent assimilé à un exercice métrique et arithmétique.

Tant que la hiérarchie entre temps fort et temps faible n'est pas perçue (conception élargie

aux différents « étages » : rythme, pulsation, mesure, etc...), l'élève peut se trouver

rythmiquement dans la même situation que celle décrite précédemment à propos des

hauteurs :

aussi totalement perdus que si il s'était égaré dans une ville étrangère dont ils ignorent la

langue.

Attractions

En rythme comme au niveau des hauteurs mélodiques ou des degrés harmoniques, les

attractions peuvent « altérer » les éléments, les rendre non conformes à la métrique

rationnelle de l'écriture : Le rubato à l'interprétation d'un Chopin, la délicieuse « irrégularité

régulière » d'une valse viennoise ou d'une sardane catalane, les croches irrégulières (en

jazz, en musique ancienne, musique traditionnelle, les croches sont susceptibles de

devenir inégales, voir irrégulièrement inégales), les rythmes asymétriques.... Cette non

conformité rythmique est émotionnellement très forte, c'est une qualité majeure que l'on

apprécie dans une interprétation. Au contraire, une musique très régulière est vite perçue

comme ennuyeuse. Intérieurement, ces « irrégularités » semblent elles aussi fonctionner

selon un phénomène d'attraction : les temps forts (concept qui inclue les différents degrés

de temps fort) ne sont pas altérés, ils attirent les valeurs plus faibles, par anticipation ou

précipitation.7

En musique traditionnelle, plusieurs théoriciens conçoivent certaines jusqu'alors

considérées comme « asymétriques » comme l'expression de mesures « régulières » sur

lesquelles le rebond, le poids du corps dans la danse a influé. Après avoir épuisé les

7 Cette vision n'est pas « historique », il ne s'agit pas de la « dégradation » progressive d'un modèle premier conformeaux règles de l'écriture. En revanche, notre cerveau semble généralement se construire inconsciemment une norme,un étalon auquel notre perception est comparée. Cf Levitin et Jean During. Certaines cultures musicales semblentnéanmoins échapper à ce fonctionnement .

12

Page 13: comment peut-on éduquer l'oreille?

différents modèles métriques de l'écriture musicale, ou même des mathématiques, la

référence aux modèles de la prosodie grecque : dactyle, spondée, iambe, trochée,

anapeste, offre parfois la solution la plus signifiante, le rapport précis de proportion entre

les différentes valeurs étant caractéristique à chaque terroir musical. A ce sujet, les

réflexions de Jean During à propos de la musique baloutche dans « rythmes ovoïdes et

quadrature du cycle » sont intéressantes.

Exemple :

En Transylvanie, le rythme « dactyle » est très largement représenté ; selon les

terroirs, les contextes , on le note en 4/4, 9/8, 10/16, 7/8 … (ou encore on ne le

note pas du tout, ce qui simplifie !) Malgré des transcriptions très diverses, l'énergie,

les appuis, et le rapport long-court-court, constitue l'essentiel d'une idée rythmique

commune.

Csárdás 4/4 h q q

Gyimesi lassu csárdás 9/8 h q q .

Invirtita 10/16 q e. e.

7/8 q . q q…...........

13

Page 14: comment peut-on éduquer l'oreille?

Ces constations relativisent la valeur et la vérité de l'écriture musicale rythmique, qui ne

rend que très peu compte des appuis, de la circulation de l'énergie, et des nombreuses

surprises que peuvent nous réserver les musiciens de talent.

Les musiciens conviennent que le groove fonctionne mieux quand il ne se conforme pas strictement au

métronome-c'est à dire quand il n'est pas mécanique

Levitin p 216

Dans la mesure où la musique reflète la dynamique de notre vie émotionnelle et de nos interactions, elle doit

se dilater et se contracter, accélérer et ralentir, s'arrêter et réfléchir. Si nous percevons ces variations, c'est

parce qu'un système d'analyse dans notre cerveau extrait les informations rythmiques et nous dit quand le

prochain temps doit tomber. Le cerveau a besoin de créer un modèle rythmique stable (un schéma) pour

déterminer à quel moment les musiciens ne s'y conforment pas. Il en va de même pour les variations d'une

mélodie : nous devons nous faire une représentation mentale d'une mélodie afin de savoir (et d'apprécier)

quand le musicien prend des libertés avec elle.

Levitin P 217

En rythme aussi, une sensation comparable à la dissonance et consonance s'exprime :

Tous les effets de syncope (syncope sur un temps, sur une mesure, syncope d'harmonie,

de carrure...) constituent une sorte de « dissonance » rythmique qui aspire à la résolution

de la même manière. Plus les attractions sont fortes, plus les tergiversations sont

possibles avant la résolution finale, dans la mesure où le point d'arrivée est désormais

perçu comme certain : Ce moment clé de l'attraction qui tend vers la résolution est celui

qui va être souvent le plus orné et le plus enrichi (rythme, mélodie, harmonie).

Sur un pas de Pavane Renaissance

Simple Simple Double

La plupart des tensions sont portées par le double : dissonances, syncope, avant

résolution sur l'équilibre final du dernier posé du double. Cette partie porte tout l'élan

chorégraphique comme rythmique.

14

Page 15: comment peut-on éduquer l'oreille?

Tension et détente.

Cette notion, basée sur la sensation corporelle et physique d'équilibre et de déséquilibre,

irradie le discours musical dans tous ses aspects. Comme une danse, le « jeu » musical

est une exploration ludique entre tension et détente, entre équilibre et déséquilibre. Ce jeu

est dynamique. Tout blocage, arrêt, est préjudiciable. Cette conception est opposée à la

conception métrique du travail rythmique, qui opère des division d'ordre mathématique

entre des valeurs. De même, une conception mélodique générée par l'écrit se prive

beaucoup de ce sens dynamique: cette représentation graphique sous forme de points est

très imparfaite, et ne rend pas du tout compte de cette tension (attraction

« gravitationnelle ») qui nous mène d'un son à l'autre.

Reflux/Thésis Équilibre Flux/arsis

Inhibition stabilité incitation

Détente Neutre Tension

Sous-dominante Tonique dominante

Résolution après la

dissonance

Consonance vers la dissonance

Résolution de la syncope Temps Syncope

Modulation « négative »

vers les bémols

Ton initial Modulation « positive »

vers les dièses

Inhibition et incitation sont deux notions essentielles dans la pensée de la pédagogie

Dalcroze. Ces deux compétences sont développées en lien étroit avec les sensations

corporelles. L'inhibition est souvent la plus difficile à gérer : savoir ralentir, freiner l'élan du

corps, terminer l'énergie qui a été impulsée. De manière totalement prégnante mais plutôt

non didactique, cette gestion du flux de l'énergie est transmise également dans

l'enseignement de nombreuses danses.

Le tableau précédent aurait gagné à être représenté sous forme de cercle :

Entre les différentes étapes, pas de solution de continuité, depuis la levée jusqu'au

silence finale, la circulation de l'énergie -mélodique, harmonique, rythmique- est continue,

15

Page 16: comment peut-on éduquer l'oreille?

arsis et thésis cohabitent souvent sous forme de tuilage.

Climax

Arsis Thésis

Équilibre

Rares sont les pensées pédagogiques qui forment à cette gestion pourtant essentielle de

la musique, on laisse souvent la vie et ses aléas faire la différence entre les élèves

« doués » et ceux qui ne le sont pas. Le langage corporel nous parle également des

mouvements intérieurs de la musique (à moins que ce ne soit le contraire) : rythme,

mélodie et harmonie ; il est le plus efficace, lorsque les mots sont insuffisants.

Nous rencontrons parfois avec beaucoup de tristesse, dans le métier d'enseignant de la

musique, des élèves chez qui le mouvement musical, le flux et le reflux, semblent

irrémédiablement bloqués, peut-être dû à un état psychologique ou émotionnel, peut-être

suite à un choc ou à un traumatisme... Sans en arriver à ces extrémités, certains élèves

sont freinés simplement par la peur du jugement, un rapport anxiogène à l'évaluation. Un

climat de confiance et une attention empathique sont les premières réponses que nous

puissions leur offrir.8

8 Question à laquelle j'ai été sensibilisé par Yves Klein, ou encore par Natacha Pétin, accompagnatrice au conservatoire de Nancy ayant entre autre poussé beaucoup sa réflexion du côté du trac, du rapport au corps en musique.

16

Page 17: comment peut-on éduquer l'oreille?

L'habituelle « lecture rythmique » de nos cours de formation musicale, effectuée sur le

nom des notes, dénote souvent d'une grande inertie, d'un tempo inadéquat (rendu

nécessaire par la maîtrise du nom des notes) ; elle ne témoigne que de manière

incomplète de la réalité d'une musique, d'autant plus si elle est effectuée sur un exercice

dénuée de réalité musicale : les attractions mélodiques et harmoniques sous-jacentes

doivent transparaître dans une lecture rythmique réaliste.

Savoir lire une musique, c'est en avoir décrypter l'énergie particulière, savoir la

« deviner » à travers la notation.

Comment « ça coule », quel type d'engagement, de tempo, quel phrasé, quel qualité de

pulsation, quel poids, quelle carrure, quels points d'appuis, de visée etc.... Il s'agit de

savoir entendre les flux et les reflux, les attractions mélodiques, harmoniques et

rythmiques. La musique prend du sens (signification) lorsqu'elle a un sens (direction).

Il est possible de centrer l'attention des élèves sur ces informations lors d'une lecture sur

onomatopées, encadrée par la perception de pulsation, de mesure et de carrure, qui rend

mieux compte de la manière dont la musique va sonner. Cela n'exclue pas ensuite une

lecture ultérieure sur le nom des notes, à laquelle chacun trouve alors un plaisir et un

intérêt musical décuplé.

17

Page 18: comment peut-on éduquer l'oreille?

Orientation sensible de l'analyse harmonique

Les hiérarchies décrites au chapitre précédent permettent de développer une analyse et

une compréhension sensible du discours musical. En exprimant plus clairement les

déplacements au sein des fonctions tonales, (un nom pour une fonction) la solmisation

rattache l'analyse directement aux sensations harmonico-mélodiques. L'ouvrage de

François Bovey Intitulé « l'écoute harmonique subjective » propose d'intégrer pleinement

l'affectivité, la sensorialité, la subjectivité au cœur du discours théorique.

Le « déplacement » harmonique le plus fréquemment utilisé par les compositeurs comme

moyen de manipulation de nos attentes musicales, est le déplacement sur le cycle des

quintes. Les musicologues et pédagogues hongrois, dont la pensée musicale est

« solmisante », ont développé un outil d'analyse extrêmement intéressant, dans la mesure

où cette interprétation s'applique avec beaucoup de sens à des répertoires très divers,

depuis les polyphonies de la Renaissance jusqu'aux harmonies du jazz.

Se déplacer vers les bémols implique une détente, un relâchement, ou même un

assombrissement, une dépression. L'effet en est très physique, la « bémolisation »

implique ce « ramollissement » présent déjà dans l'appellation et la notation du

phénomène : bémol signifie « b mou ». Cela correspond à un lâcher d'énergie, à une

décharge d'énergie potentielle. Ce sentiment peut connaître différentes nuances,

déclinaisons, représenté par exemple de manière ténue par l'utilisation d'un accord de

sous dominante, plus prononcé par une modulation au ton de sous-dominante, encore

plus dans le cas d'un passage au ton mineur homonyme, ou d'une sixte napolitaine.

Nommons le de manière générique « charge tonale négative ».

Se déplacer vers les dièses implique un éclaircissement, allant jusqu'à la une tension.

Cela nécessite un surplus d'énergie, afin de se charger en énergie potentielle. Là aussi, la

nuance dépend de l'importance du déplacement, depuis le positionnement sur un accord

de dominante simple, jusqu'à la modulation au ton de la dominante, plus encore le

passage au ton majeur homonyme. Nommons-la « charge tonal positive ».

18

Page 19: comment peut-on éduquer l'oreille?

Ces deux sensations sont éminemment physiques, elles sont utilisées dans des cultures

musicales très diverses, mélodiquement, harmoniquement, ou structurellement. Elles

coïncident très étroitement avec les notions d'Arsis et Thésis développées précédemment.

"a propos de cette force de retour de la dominante vers la tonique, et plus généralement de la tendance d'un

accord parfait à retourner à sa sous-dominante, on peut parler d'une énergie tonale initiale. celle ci fait partie

du jeu des forces tonales et harmoniques et existe à côté de l'énergie mélodique initiale, quoiqu'elle en

découle à l'origine. "

Ernst Kurth 1913 cité par Dalhaus Die Voraussetzungen der theorischen Harmonik und der tonalen

Darstellungsystem9

Lors du séminaire Kodaly de kecskemét en 2013 Kiss katalin présente un extrait de

« super flumina Babylonis » de Palestrina Les paroles « et flevimus » (nous pleurions)

sont marquées par une charge négative -5. Les exemples d'illustration figuraliste de ce

procédé abondent dans la littérature musicale.

Voici la « charge » tonale de chacun des accords de la gamme par rapport à la tonique.

Les (déplacements sont rapportés aux places respectives sur le cycle des quintes)

Gamme majeure

C Dm Em F G Am B 5dim

0 moins 1 plus 1 moins 1 plus 1 0 plus1

Gamme mineure

Cm D 5dim Eb Fm G Ab B 5dim

0 (plus 1) 0 moins 1 plus 4 moins 1 plus 4

(Les accords de quintes diminuée peuvent amener diverses interprétation selon le

contexte.)

9 Kurth inverse le propos habituel, en considérant l'attraction sensible-tonique comme cause de l'attraction accord de dominante/accord de tonique plutôt que comme conséquence. Il considère les deux demi-tons de la gamme comme deuxsensibles potentielles: attraction mi-fa et si-do.

19

Page 20: comment peut-on éduquer l'oreille?

Quelques exemples d'utilisation fréquentes et significatives

• Blues : utilisation modale du IVème degré en place de dominante , et

« bémolisation » expressive de la (des) « blue note »

• Jazz coloration des accords de manière positive ou négative par l'ajout de

superstructures aux accords (b9 ; #11 ; b 13...).

• La sixte napolitaine, charge négative -2 à -5 selon l'environnement, la sensation

d'assombrissement est très forte, en utilisant pourtant paradoxalement un accord

majeur.

• Emprunts harmoniques, modulation au mineur dans un contexte majeur, ou au

majeur dans un contexte mineur en musique classique. Schubert apprécie et utilise

souvent ce type d'effet (Gute Nacht, der Wegweiser)

• Rôle de la partie « trio » attachée par exemple au menuet, très fréquemment au ton

de la Sous-dominante, créant une sensation de détente, de relâchement de la

tension.

• Construction de la structure générale selon un plan articulé autour de la carte des

tonalités ( forme sonate, forme binaire) dans la musique « classique »

• Présence d'une apaisante modulation au ton de la sous-dominante lors de la coda,

lorsque tout est dit et que les tensions précédentes ont été résolues.

• Construction mélodique selon le même type de structure : par exemple le « style

nouveau » très présent dans les musiques traditionnelles d'Europe centrale,

hongroises notamment, selon le plan A A5 A5' A

Historiquement, la modulation a été un événement considérable, auquel les auditeurs du

18ème siècle devaient vraisemblablement être plus sensibles que nous. Sensibles

également au « sens » dans lequel on module : positif ou négatif. L'avènement du

tempérament égal, le développement de la facture des instruments d'une part, et les

développements de l'écriture musicale depuis le 19ème siècle d'autre part, ont affaibli nos

20

Page 21: comment peut-on éduquer l'oreille?

repères dans ce domaine. Néanmoins, éveiller nos sens à cette utilisation de l 'énergie en

musique semble une évidence et une nécessité quelque soit le répertoire. La construction

tonale est un(le) moyen essentiel utilisé par les compositeurs pour la construction formelle

de leurs pièces au moins depuis le XVIIème siècle. Cet état de fait ne doit pas être

seulement l'objet de considérations théoriques et cérébrales, il est avant cela sensible.

Cette optique en facilité la transmission à nos élèves, il s'agit alors d'éduquer, d'affiner, de

nommer des sensations. Ainsi, une forme sonate peut-être perçue comme le véritable

« drame » qu'elle constitue.

Elle est plus dynamique : se déplacer, c'est en quelque sorte acquérir de « l'énergie

potentielle ». Autrement dit, la musique est plus dans la tension induite par les

événements que dans les événements eux-mêmes.

21