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"Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

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Recueil de Nouvelles des Elèves du Collège Texeira Da Motta

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Page 1: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)
Page 2: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

ET LA VILLE DEVIENT FANTASTIQUE

Recueil de nouvelles

La Quatrième JUPITER

&

La Quatrième MERCURE

COLLÈGE TEXEIRA DA MOTTA

Collection FRISSON

2014

Page 3: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)
Page 4: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Cher lecteur,

Sache que, dans mon monde, la ville est fantastique, peuplée de créatures

et de frayeurs nocturnes. Après de telles épreuves, le projet PO² (architecture

et urbanisme) m'a sauvé de l'ennui et m'a inspiré des histoires dramatiques.

Ma vie s'est désintégrée en sept événements traumatisants comparables aux

sept vies d’un chat noir et furtif. Les sept miaous stridents ont déchiré la nuit

et, du fond de mon jardin, une ombre m'a transporté dans une ville

souterraine, à Venise et jusqu'aux catacombes... La peur me terrifiait de soir

en soir, en soir... dans un cercle vicieux. Paralysé par le doute et

l'incompréhension, aucune solution ne s'offrait à moi, c'était l'impasse. J'étais

cloué au lit et la peur me hantait, me pétrifiait, m'anéantissait. J'ai cru y rester,

happé par la mort, tour à tour diabolique et bienveillante.

L’imagination peut jouer de mauvais tours. Prends bien garde ! Il pourrait

en être de même pour toi... Après avoir lu ce recueil de nouvelles, tu ne

sortiras pas indemne.

Page 5: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

LE MASQUE DE VENISE

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans le quartier de San Polo, au bord du Canal

Grande à Venise. Entre le 22 février et le 14 mars se déroule le Carnaval annuel

traditionnel. L'année où je décidai d’assister à l'événement, le défilé se préparait et on

aménageait la scène qui accueillerait les lauréats du concours de déguisement. Je

résidais alors à Venise pour suivre mes études d'arts. Je profitais de l'occasion pour visiter

la cité des Doges, et observais avec émerveillement tout ce qui m'entourait. La liesse était

à son comble, je me promenais dans le quartier qui résonnait d’éclats de rires et de voix.

Un groupe d'hommes riait à gorge déployée et se pavanait en direction d’un restaurant. Je

les y suivis. Là, un disque-jockey réservait un accueil chaleureux et festif, des guirlandes

lumineuses égayaient cette ambiance vénitienne.

À l’arrière du bâtiment, j’aperçus un groupe constitué d'une douzaine d'individus,

affublés d’habits bigarrés et cachés derrière des masques. Ils ouvrirent une porte et

entrèrent dans une pièce réservée au personnel. Ils en ressortirent vêtus d’un costume

sombre au large col de velours et chargé de petites pierres factices. Des gants blancs et

un chapeau bicorne verdâtre bordé d'or achevaient l’accoutrement. Ils revinrent sur leur

pas, dans ma direction, et soudain je fus comme cloué au sol, comme si un aimant

m'attirait vers le centre de la Terre et m'empêchait de bouger. Ils sortirent de

l’établissement. Je pus à nouveau bouger et je les suivis. Je n’arrive toujours pas à

expliquer pourquoi. Ils tournèrent dans une ruelle sombre et déserte. J'eus à peine le

temps de faire un tour sur moi-même, croyant qu’ils m’avaient semé, que je fus encerclé

par leurs ombres inquiétantes. Mon sang se glaça dans mes veines. Je les entendis

réciter une sorte d'incantation qui me mit presque immédiatement dans un état critique. La

tête me tourna, je sentis une énergie obscure serpenter dans mon corps. La bête remonta

lentement vers mon cerveau. Je sentis mon corps m'abandonner, il ne me restait que mon

âme tourmentée. J'étais debout au centre d'un cercle inhumain et je voyais si flou que je

ne distinguais que des formes confuses et un décor déformé. Lorsque je pus enfin

reprendre mes esprits, je réalisai qu'il n'y avait plus personne ; mes jambes devinrent alors

comme du coton et la pression était telle dans ma tête que je m’écroulai.

Je me réveillai, étalé sur le sol, sans force. Je portais sur le visage un masque que je ne

pouvais ôter. Pendant plusieurs minutes, toute tentative resta infructueuse. Comment

accepter de vivre avec ce fardeau ? Chaque jour, je tentais de le retirer, en vain. Le

quatrième jour, désemparé, j'allai dans ma salle de bain, je mis de l'eau chaude sur mon

visage sans y croire et le masque se détacha. Enfin, un sentiment de liberté ! Mais quand

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je me regardai dans la glace, je constatai que j’avais pâli, sans doute parce que j’avais été

privé de soleil. Mais ce qui me parut le plus inquiétant et le plus étrange était que je ne

pouvais bouger aucun trait de mon visage. Ma peau était comme figée dans la cire. Il

fallait que je dépasse ma peur et que je règle ce problème.

Ce soir-là, je retournai au Carnaval à la recherche de ces personnes masquées qui

m’avaient impressionné, au sens littéral du terme. Je croisai une vieille dame dont le

regard s’obscurcit à la seule vue de mon visage. On aurait dit que je la terrifiais. Elle

s'arrêta net devant moi, bégayant sans cesse ''ce visage, ce visage...'', puis je l'interrompis,

surpris moi-même par cet air intrigué qu’elle avait. Elle savait quelque chose à propos de

ce masque. Elle m'invita chez elle. On entra dans une veille maison. Elle me proposa du

thé servi dans un vieux service en porcelaine. Elle s’assit à mes côtés et elle commença à

me raconter l'histoire du ''masque de Venise'' non sans m’avoir demandé au préalable de

lui dire ce qui m'était arrivé. Par la suite, elle m'avoua qu’il s’agissait d’une malédiction et

que si je voulais retrouver mon visage, il faudrait attendre le Carnaval de l'année suivante

et de faire subir à un étranger le même sort que moi. Je lui demandai s'il fallait réciter le

sortilège. Elle me répondit que oui et m’apprit la formule.

Je menai une vie morne pendant cette année qui me sembla interminable. Je restai

aussi inexpressif qu’inquiet. Le premier jour du Carnaval arriva enfin. J’achetai un masque

noir en plastique froid et me dirigeai, la peur au ventre, vers le restaurant maudit. Sur le

chemin, un homme me demanda sa route. Sans avoir compris où il voulait se rendre, je lui

proposai de le mener à bon port. Une seule idée me trottait dans la tête : comment le

convaincre de porter le masque ? Je n’avais pas le choix et tous les moyens étaient bons

pour arriver à mes fins. Étais-je aussi devenu insensible au sort des autres ! L’infortuné me

suivit presque aveuglément dans une impasse sombre et déserte. Ressentait-il lui aussi la

peur en marchant dans cette impasse ? Peu m’importait, j’allais retrouver figure humaine.

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MORSURE ET CATACOMBES

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville par un soir de pleine lune, dans les

catacombes de Paris. Le ciel était noir, sans étoiles comme si l'horloge du temps était

restée figée. Je rentrais de soirée avec quelques amis quand l'un d'entre eux eut la

brillante idée d'aller visiter les catacombes. Je n'étais pas très emballé par la proposition,

mais je ne voulais pas passer pour une mauviette. Nous en prîmes alors le chemin. Si

j'avais su ce qu'il se passerait cette nuit-là ! J'aurais préféré éprouver de la honte que de

vivre cet incident traumatisant. Je ne pensais pas que les catacombes pouvaient être si

effrayantes. Nous pénétrâmes clandestinement dans ce lieu public qui avait fermé ses

portes depuis plusieurs heures déjà. Peu importe où l'on posait les yeux, on n'apercevait

que des ossements blanchâtres dans les moindres recoins. Vision improbable dans un

site touristique où, d’ordinaire, seuls les pierres et les vestiges du passé s’offraient à la

vue des curieux. Je m'isolai, l'espace d'un instant pour cacher aux autres la peur qui

m’envahissait, mais quand je revins, plus l'ombre d'un rat ! Dans quel pétrin m'étais-je

encore fourré ? Il fallait absolument que je trouve une sortie, mais c’était peine perdue. Je

longeais les allées sales, étroites et mal éclairées. Épuisé par cette recherche acharnée,

je m'affalai sur le sol poussiéreux et je finis par sombrer malgré moi dans un sommeil

étrange.

Soudain, un cri d'horreur. Ce cri inhumain, bestial me ramena à la réalité. Je me

relevais péniblement quand un courant d'air glacial me frappa dans le dos. Une patte, oui,

une patte, agrippa mon épaule et transperça de ses griffes acérées ma chair tendre. La

douleur était insoutenable et la respiration de la Chose résonnait dans ma tête. Je me

retournai pour essayer de me dégager mais plus rien. Seul le silence pesant des

catacombes régnait en maître. Je déambulais, diminué aussi bien physiquement que

moralement. C'est alors que j’aperçus un gardien de nuit. J'avais enfin trouvé de l'aide

pour pouvoir m'échapper ! Mais lui aussi avait l'air perturbé par je ne sais quoi. Je me

rapprochai et lui demandai de l'aide :

- S'il vous plaît, aidez-moi ! J'ai besoin d'un médecin !

- Vous saignez énormément, que vous est-il arrivé ? me demanda-t-il, inquiet.

- Une bête m'a mordu ! Ça avait la force d'un ours et les crocs d'un loup.

- Un loup, vous dites ! Mais ce soir, c'est la pleine lune, n’est-ce pas ? ajouta-t-il, d’un

ton moqueur.

- Quelle importance ? Aidez-moi s'il vous plaît ! suppliai-je.

Les yeux du gardien semblaient sortir de leurs orbites, l'expression de son visage se

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décomposait comme s'il avait croisé un fantôme.

- Courez ! s’écria-t-il, courez avant qu'elle arrive !

- Elle ?

À cet instant, je vis quelque chose d'horrible, d'inhumain. Le gardien se transformait en

bête. Ses paroles ne ressemblaient plus qu'à des hurlements, ses mains devenaient des

pattes. Ses vêtements se déchiraient tellement son corps se développait démesurément. Il

se transformait en loup-garou. Je ne pouvais pas rester là à regarder ce spectacle

terrifiant, il fallait que je m'en aille. J'avais l'impression que la douleur provoquée par ma

blessure avait disparu tant la terreur était immense. Je courus tellement vite que je ne sus

pas dans quel couloir je m'engouffrais.

Mes poumons n'en pouvaient plus. Ils étaient sans doute trop petits pour contenir tout

l’air dont j’avais besoin pour rester conscient. Je m’arrêtai, hors d’haleine. Je n'en crus pas

mes yeux ! Devant moi, je reconnus, grâce à ses vêtements, un de mes compagnons

d’infortune qui s'était transformé en un monstre terrifiant ! Était-ce la réalité ou mon esprit

me jouait-il des tours ? Cependant, je ne tentai même pas d’aider mon ami qui n’était

même plus l’ombre de lui-même. Il fallait que cet enfer s’arrête. Déterminé, je m'engageai

dans un passage sombre. Un bruit ! mais je restai sur mes gardes. Avec effroi, je

découvris une meute de ce qui semblait être des loups. Impossible de les dénombrer avec

exactitude. Leurs grognements agressifs parvinrent jusqu’à moi mais, inexplicablement, je

comprenais ce qu’ils signifiaient :

- Où est-il ? Cela fait 3 jours qu'on n’a pas mangé !

- On le trouvera ! Espérons-le sinon il faudra que l'on sorte.

- Vous sentez cette odeur ?

Ils m'avaient repéré ! Déjà l'un d'eux se dirigeait vers ma cachette. Instinctivement, je

pris mes jambes à mon cou. La meute me poursuivit pendant de longues minutes qui me

paraissaient être des heures, mais je finis par les semer. Une porte enfin ! Avec l’énergie

du désespoir, je la poussai et tombai de tout mon poids sur le béton glacé. Le bruit de la

lourde porte qui se referma derrière moi sonna comme un cri de victoire. Le cauchemar

était fini.

Je levai les yeux vers le ciel et distinguai ma bande de copains qui s’amusaient de ma

chute sans doute ridicule à leurs yeux. Je leur souris, confus, et constatai, inquiet, que

Paul n’était pas là. « Il doit chercher la sortie comme toi ! » lança Thierry en riant. Je me

relevai tant bien que mal. Mes muscles étaient tétanisés, tout mon être semblait flotter.

J’avais sans doute perdu tout sens de la réalité dans cet endroit surréaliste et la peur ne

m’avait certainement pas aidé à rester rationnel. Mais tout était rentré dans l’ordre. Je

portai alors ma main sur ma blessure. Je ne ressentais aucune douleur mais la plaie était

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déjà cicatrisée. L’étrangeté de mon état ne s’arrêtait pas là. Je pris une longue inspiration

et l’odeur de chair fraîche qui se dégageait du groupe de mes amis excita mes narines.

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LA VENGEANCE DU REVENANT

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville. Ce soir-là, on donnait une fête en

l’honneur de l’anniversaire d’un de mes amis dans le parc dans lequel on avait l’habitude

de se retrouver depuis notre tendre enfance. Après avoir bien profité des retrouvailles, je

ne me sentis pas très bien. Je décidai alors de m'écarter du groupe.

J'entendis des gémissements de douleur un peu plus loin. Je m'approchai et vis un

jeune homme à terre. Je me penchai sur lui pour lui porter secours et je commençai à

l'examiner. Mais je constatai avec effroi que je ne pouvais plus rien faire. Il était mort !

Plusieurs entailles recouvraient son corps, elles étaient sûrement la cause du décès. Le

pauvre homme s'était fait poignarder. Au bord du dégoût, je détournai la tête une fraction

de seconde mais le corps sans vie avait disparu. Je pris mes jambes à mon cou, en

espérant qu'un jour je pourrais oublier cette histoire. Mais pour soulager ma conscience, je

pris la décision, sans prendre le temps d’en informer mes amis, d'aller en parler à la

police. Je me précipitai au commissariat où un agent, après avoir compris la situation et en

voyant mon affolement, m'expliqua que l’auteur des faits s'était présenté de lui-même et

qu’il était déjà sous les verrous. Il poursuivit en me disant que le problème était qu’il n’y

avait aucun cadavre. Le gardien du parc, dépêché sur les lieux, était formel. Le policier,

convaincu de ma bonne foi, alla jusqu’à me montrer une photographie du présumé

meurtrier. Je remarquai, ébahi, que l’homme et moi nous ressemblions énormément. Le

policier, quant à lui, ne fit pourtant pas le rapprochement. Perplexe, je rentrai chez moi.

Le lendemain, je retournai en cours et passai une journée ordinaire bien que des

images du pauvre homme ensanglanté me hantaient. Je donnais le change. La sonnerie

de la fin des cours retentit et le soleil commençait à se coucher. Je marchais sur l’avenue

principale du quartier. L’endroit était anormalement calme et déserte. Mon cœur se mit à

battre de plus en plus vite dès lors que je sentis une présence se rapprocher de moi. Je

me retournai mais tout était vide. Lorsque je tournai la tête pour continuer ma route, le

cadavre de l'autre soir se tenait debout, là, devant moi. Il était décharné par endroits mais

bien vivant ! Il essaya de me sauter dessus et j'esquivai de peu son attaque. Il répliqua, je

réussis encore à l'éviter. Après plusieurs assauts, il me blessa superficiellement. Je

m'enfuis, sans doute par instinct de survie. J’entrai enfin chez moi après une course folle à

travers les rues étroites de la ville. J’évitai de justesse une voiture mal garée, une

poubelle, un chat errant. J’entrai enfin chez moi. Pensant qu'il était parti, je rouvris la porte

pour me convaincre que tout cela n’était que le fruit de mon imagination. Soudain, un pied

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se glissa dans l’entrebâillement de la porte. Il était de retour et réussit à pénétrer dans la

maison. Je courus dans ma chambre puis sautai par ma fenêtre pour atterrir dans la

ruelle. Je m'arrêtai. Une main se posa sur ma nuque. Je me sentis piégé dans le gouffre

de la mort.

Tous les espoirs de raconter mon histoire se sont envolés quand il m’a ôté injustement

la vie. Le médecin légiste a conclu à une mort naturelle ! Mais, vous, médium, me donnez

aujourd’hui la chance de dire la vérité, de m'exprimer, moi, l’ombre tuée par une ombre.

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MARQUÉ À VIE

Moi, Avi, j’ai ressenti la peur en marchant dans la ville, hier à l’heure du dîner, pour me

rendre au restaurant. Tout en avançant, je fixe le balancement de mon porte-clés et j’en suis

presque hypnotisé. En poussant la porte, je constate que rien n’a changé depuis la dernière fois

que je suis venu ; cette fois où une histoire folle et encore plus terrifiante m’est arrivée. C’était il

y a un an. Comme hier, aux environs de vingt heures, je me dirigeais vers cet établissement

dans lequel ma vision du monde changea à jamais. Une peur inexplicable m’envahit quand

j’entrai dans ce lieu fatidique, provoquant une sorte de vertige incontrôlable.

Après avoir retrouvé mes esprits, je m’installai à une table et j’appelai le serveur lorsqu’un

ami d’enfance que je n’avais pas vu depuis plus de vingt ans m’aborda, posant sur moi un

regard étrange : il louchait. Au fil de la soirée, Marc et moi nous remémorions notre passé à

l’école primaire, les copains et les cours de M. Arnaud qui aimait nous parler de sa passion, la

plongée, et nous faire rêver. C’est à cet instant qu’il m’offrit un porte-clés en forme de trèfle,

« symbole de notre amitié » me dit-il. Pour ma part, j’étais heureux de l’avoir retrouvé et je

voulus immortaliser ce moment en prenant une photo à tirage instantané. Quand je regardai le

résultat, Marc n’y apparaissait nulle part ! Intrigué, je posai ma main sur son épaule, elle ne

rencontra aucune résistance ; ma main avait traversé son épaule.

Affolé, horrifié, je quittai précipitamment le restaurant tel une proie pourchassée. Je

m’arrêtai net sur le trottoir. J’étais figé. Une statue de pierre. J’avais le souffle coupé, incapable

de faire le moindre mouvement ni même de raisonner. Cependant, je sentis que Marc

s’approchait de moi d’un pas hésitant. Il parvint à m’apaiser, et je ne sais toujours pas

comment. Je réussis à poser mon regard sur son visage. Il était étrangement pâle. Malgré moi,

nous nous dirigeâmes vers le pont, côte à côte, comme inséparables. Il me parlait

interminablement. Envoûté par cette voix grave et monocorde, je ne remarquai pas cette flaque

d’huile sur le sol. Je glissai brutalement et basculai, sans aucune véritable explication, de l’autre

côté de la barrière de sécurité comme un parachutiste en chute libre. Marc sauta, sans se

retenir à quoi que ce fût, m’agrippa par le poignet et m’évita la chute fatale. Après m’avoir

remonté sans éprouver la moindre difficulté, il m’observa et j’en fis de même. Son regard était

vide, son teint blêmissait à vue d’oeil, je sentais grandir la peur en moi mais aussi une certaine

angoisse dans les yeux de Marc. Tout devint noir autour de moi excepté cet être mystérieux.

J’eus l’impression de quitter la surface du globe pendant un instant, de ne plus appartenir au

monde des vivants. Après quelques secondes d’un silence presque funeste, Marc me dit d’une

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voix d’outre-tombe : « Je ne suis plus de ce monde. » Ces paroles eurent l’effet d’un séisme. Je

tombai dans les pommes.

Je me réveillai chez moi avec une migraine atroce qui brouillait les souvenirs de la veille.

Pourquoi me sentais-je si mal ? Je me levai et allai avec difficulté à la cuisine pour tenter

d’avaler quelque chose. Mon sac, posé sur la table, était grand ouvert. Je trouvai la photo. Je

reconnus le restaurant que je fréquentais régulièrement mais je figurais seul sur le cliché ! Drôle

d’idée. Je tentai de me rappeler cette soirée, sans succès. Je quittai presque aussitôt mon

appartement pour retourner au restaurant. Une fois sur place, j’interrogeai le serveur qui

m’accueillit cordialement comme à son habitude. Je lui demandai assez vite si j’étais venu seul,

la veille. Le serveur me fixa d’un regard intrigué. Il me répondit, un peu gêné, qu’il n’avait vu

personne mais que j’avais effectivement parlé tout seul pendant un long moment. Il avait

supposé que j’étais au téléphone. N’obtenant pas de réponse convaincante, je pris congé et

ressortis du restaurant.

Je me remis à marcher, sans but. Absorbé par un flot de questions, je ne me rendis

compte, seulement plusieurs minutes plus tard, que j’étais arrivé au pont qui reliait le quartier

commerçant au quartier résidentiel dans lequel j’habitais. Soudain, une image vint frapper mon

esprit mais elle restait indistincte. Juste une forme humaine, un homme au visage livide et au

regard hagard... Déconcerté, je tournai les yeux sur l’eau qui coulait régulièrement sous le

pont. Je mis les mains dans les poches de mon jeans et je sentis quelque chose du bout des

doigts. Je sortis l’objet : un porte-clés qui portait l’inscription « Marc & Avi ».

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L’IMPASSE

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville. Je rentrais chez moi après être allée

au cinéma avec un groupe d’amis. Nous habitions tous dans le même immeuble situé à

quelques centaines de mètres seulement du multiplexe. Le quartier avait toujours été

dynamique et accueillant. Tout le monde se connaissait et prenait le temps de discuter et

d’échanger les dernières nouvelles sur la vie des uns et des autres à la terrasse des cafés

qui donnaient sur la rue principale. En cette fin d’après-midi, nous marchions donc en

donnant chacun notre avis sur le film d’horreur. Il faisait déjà nuit, nous avions un peu froid

et les images fortes que nous venions de voir rajoutaient au frisson que je ressentais pour

ma part.

Lorsque nous arrivâmes devant notre immeuble, nous remarquâmes une porte à

laquelle nous n’avions jamais prêté attention. À travers cette porte, nous aperçûmes

l'intérieur de notre immeuble, alors nous l’ouvrîmes. À peine entrés, la porte se referma

derrière nous et nous fûmes dans le noir le plus total. Après quelques minutes de

recherche sans prononcer aucun mot, je réussis à distinguer une faible lumière. J'avançai

à tâtons et dans un silence de mort. Quelques instants plus tard, je remarquai que j'étais

seule dans une impasse ! Où étaient passés mes quatre acolytes ?

J'hésitai à avancer. Mais ma curiosité prit assez vite le dessus pour laisser place

presque aussitôt à une sorte de panique. Je tombai sur une deuxième porte où je pus lire

avec difficulté une pancarte éclairée par le halo de lumière de mon téléphone portable qui

ne détectait aucun réseau. L’angoisse me saisissait de plus en plus. Je me trouvais donc

dans le « Labyrinthe de la peur ». Je poussai la porte, guidée par une force que je ne

pouvais pas contrôler. Je me retrouvai alors dans une espèce de forêt dense mais je ne

sentais aucune odeur de sève, de feuille ou de quoi que ce soit qui aurait pu stimuler un

promeneur dans un tel décor. Je me dis que cela ne servait à rien de rester là à ne rien

faire mais j’étais, en même temps, perplexe face à ce qui m’arrivait. Je continuais mon

chemin en essayant de réfléchir à ce que ces mots pouvaient bien dire et à ma solitude

dans un lieu si insolite. J'avais peur, très peur même.

Minute après minute, je croyais de plus en plus que je ne sortirais jamais de ce fichu

labyrinthe, glauque et silencieux. J'entendis un craquement ! J'étais pourtant seule ! Je me

mis à courir. Qu'est ce que cela pouvait être ? Une branche sèche qui cède sous le poids

d’un pied ? d’une patte ? Des os que broie la mâchoire monstrueuse d’une bête sauvage ?

« Je ne sortirai jamais d'ici vivante ! » C'est ce qui revenait en boucle dans mon esprit

torturé. Soudain, je me cognai violemment contre une porte, la troisième. J’étais tellement

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sonnée que je perdis connaissance. À mon réveil plutôt douloureux, j’avais l’impression

que tout le sang de mon corps cherchait à sortir par mon front. Je ne savais plus très bien

où je me trouvais. Je me relevai alors tant bien que mal dans une pénombre qui ne me

rassura pas. La peur devint terreur quand un murmure venu de nulle part, si ce n’est de

cette pièce noire et macabre, me susurra ces paroles « Prends garde aux fausses

apparences ». Je me retrouvai encore devant cette porte, la troisième. Les événements

me revenaient en tête de manière foudroyante. Je ne pouvais aller dans un endroit pire

que celui qui s’offrait à mes yeux. L’écriteau mentionnait cette fois « Ombres et serpents

mortels ». Je savais qu’il était impossible de faire demi-tour. Je pénétrai quand même,

paralysée par la peur de ce que j’allais rencontrer. Et là, comme par magie, j’étais plantée

devant mon immeuble avec tous mes amis. Nous étions tous étonnés de nous revoir. Le

soleil se levait... Comment cela était-il possible ? Nous croyions tous n'y avoir passé que

quelques minutes ! Et à quel moment précisément nous étions-nous perdus de vue ? Des

questions surgissaient et s’accumulaient comme des fusées éclairantes. Mais nous

restions pourtant dans le flou. La seule certitude était que chacun avait vécu ses peurs les

plus sombres et avait entendu une voix lui murmurer qu’il fallait prendre garde aux

apparences.

Mais alors... mes peurs à moi les avais-je toutes vues ? Une forêt sombre emplie de

bruits suspects ! Ces ombres et ces serpents mortels qui m’étaient apparus sous les traits

de mes amis devant chez moi ! Idioties ! À quoi bon chercher une explication ? Un

nouveau jour commençait et nous devions nous préparer pour aller en cours sans avoir

dormi. Nous devions reprendre le cours d’une vie dans laquelle tout nous paraissait

normal. Tous, sans nous concerter, nous jetâmes un coup d’œil vers la porte maudite. Elle

avait disparu.

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LE CERCLE DE LA PEUR

Moi, j’ai ressenti la peur en marchant dans la ville, un soir, en rentrant du travail. Il ne

me restait que quelques mètres à faire avant d’arriver chez moi lorsque je passai devant la

petite épicerie de quartier qui regorgeait de clients habituellement. Mais ce soir-là, pas

âme qui vive ; elle était déserte et même la commerçante que je saluais et avec qui

j’échangeais quelques banalités était absente. J’étais intrigué d’autant que la boutique

était grande ouverte, toute lumière allumée. J’atteignis l’entrée de mon immeuble ; j’allais

retrouver ma femme et ma petite Julia qui enchantaient ma vie chaque jour.

Mais un silence de mort régnait au rez-de-chaussée. Je commençai à monter l’escalier

tout comme l’angoisse montait en moi. Au premier étage, je constatai que toutes les

portes étaient ouvertes pendant que j’avançais à tâtons. Les minuteurs des couloirs ne

fonctionnaient plus, seule la lumière qui provenait de l’extérieur éclairait à peine mes

gestes. Je parvins enfin au deuxième pallier. Enfin chez moi ! Mais le calme était loin

d’être revenu. Cette fois-ci, toutes les portes s’ouvrirent et se refermèrent dans un rythme

infernal à partir du moment où je posai le pied sur la dernière marche. Plus j’approchais de

mon appartement, plus j’avais l’impression que le sang ne circulait plus dans mon corps.

Ce fut l’effet d’une bombe lorsque je compris que la seule porte qui restait close et

silencieuse était la mienne. J’ouvris la porte, la peur au ventre, et une lumière blanche

irradiante m’aveugla. Quelques secondes plus tard, je pus enfin ouvrir les yeux alors

accoutumés à la luminosité ambiante. Tout était sens dessus dessous ! Interdit, je me

demandai si je vivais un rêve ou la réalité. Sans le pressentir, je perdis conscience et

sombrai dans le noir le plus complet.

Je m’éveillai presque aussitôt – enfin à mon sens – en plein milieu de la ville, cerné par

les bâtiments publics aux allures austères et les habitations aux volets fermés et

infranchissables. Pourtant j’entendais une vague musique qui semblait être jouée devant

un public en délire étant donné le bruit des applaudissements qui accompagnait le son des

instruments. J’eus l’impression d’être un pantin dans un film d’animation surréaliste. Je me

laissai guider. La scène me stupéfia : guitares, accordéons, batterie, violons, trompettes

jouaient de concert... mais aucun musicien. Mon hésitation entre rêve et réalité grandissait

et une question vint subitement frapper mon esprit : où étaient passées ma femme et ma

fille ! Je me demandais si je ne devenais pas fou. Au moment où je secouai la tête pour

tenter de recouvrer la raison, l’orchestre se volatilisa, comme par magie. Encore une fois

saisi d’étonnement, je cherchai des yeux un élément familier dans le décor. J’aperçus

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l’entrée principale du centre commercial dans lequel nous venions une fois par semaine,

ma petite famille et moi. À l’intérieur, dans le grand hall, toujours personne. Je marchais

complètement au hasard lorsque je me retrouvai face à la grande horloge qui indiquait une

heure, une heure du matin. Furtivement, j’entrevis une ombre filer sur ma droite. La terreur

me glaça le sang et me laissa pour mort, étalé sur le sol.

À mon réveil, je me dis en mon for intérieur que toute cette histoire était impossible. Un

vertige me prit tout à coup et pendant plusieurs minutes j’étais conscient mais vraiment

perdu, déconnecté de la réalité voire anéanti. Je réalisai que j’étais allongé dans un lit tout

blanc et très inconfortable. Je remarquai un groupe de femmes, toutes vêtues de la même

manière qui s’affairait autour d’un autre lit semblable au mien. La porte se referma derrière

une des infirmières et je distinguai une affichette qui ressemblait aux habituelles consignes

de sécurité que l’on peut lire dans des lieux publics et qui mentionnait le nom de

l’établissement « Hôpital psychiatrique Saint Bernard ». J’essayai de retrouver mes esprits

mais seules des questions sans réponse me tourmentaient. Pourquoi étais-je là ? Que

m’était-il arrivé ? Étais-je devenu fou ? Finalement, désemparé, j’acceptai mon sort mais

mon corps visiblement pas. Mes yeux se révulsèrent, je fus pris de convulsions. Je sentis

un liquide froid s’écouler rapidement dans tous mes membres mais, paradoxalement, mes

muscles se détendirent lentement jusqu’à ce je ne les sente plus et que je sombre dans le

coma.

Deux ans plus tard, je pus enfin regagner mon foyer. L’équipe médicale avait jugé que

j’étais prêt. Ce soir-là, ma femme Laetitia et ma fille Julia étaient toutes les deux assises à

mes côtés. Comme chaque dimanche depuis mon retour, nous regardions la télévision. En

zappant, je m’arrêtai sur la chaîne dédiée aux informations, attiré par l’histoire d’un

homme qui racontait un épisode étrange de sa vie. Il commença ainsi : « Moi, j’ai ressenti

la peur en marchant dans la ville... »

Page 18: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

MYSTÈRE PARALLÈLE

Moi, j'ai ressenti la peur dans une rue du Bronx. Tout ce que vous voyez n'est pas ce

que vous croyez. Je vais vous raconter mon histoire. Je m'appelle James Walter, j'habite

avec mon père dans une maison du centre-ville de New York. Mon père est policier et ne

veut jamais me laisser seul. Plusieurs mystères planent au-dessus de la ville, tous liés aux

enquêtes criminelles non résolues. De simples rumeurs peuvent devenir des légendes

urbaines et celle qui m’a toujours fasciné... l'homme-poisson. De mémoire, personne n'en

avait jamais vu, jusqu'à ce fameux soir.

J'attendais mon père dans la voiture pendant qu'il faisait une course. La lune brillait

dans le ciel comme un œil qui vous surveillerait. Soudain, j'entendis un bruit sourd à

l’arrière de la voiture. Je commençais à m'inquiéter de ne pas voir mon père revenir et

surtout de voir le brouillard devenir plus dense autour de la voiture. Je descendis et jetai

un œil à l’arrière mais ne vis rien de suspect. Brusquement, mon père me prit la main et

m'ordonna de retourner dans le véhicule. Je m'exécutai sans broncher. Paniqué mais

muet, mon père démarra en trombe, mais pour quelle raison ? Une fois rentrés à la

maison, mon père barricada toutes les issues. À bout de souffle, il s'affala dans le canapé

et prit la parole, hésitant : « J'ai vu un mutant, un homme, un poisson, je ne sais pas. Il

était couvert d'écailles vertes. Un énorme aileron bougeait au gré du vent, de gros yeux

globuleux rouge sang m’ont fixé. Des mains et pieds palmés, des griffes aiguisées comme

des couteaux rouillés ont effleuré mon visage. Mais le plus affreux ! Aucun crâne mais un

cerveau en ébullition. » L'histoire de mon père me laissa sans voix, incrédule. Pourquoi

m'avait-il raconté cela alors qu’il m'éduquait de manière stricte et rationnelle. Aurait-il

halluciné ? J'espérais que son imagination ne lui jouait pas de mauvais tours.

Cherchant à se rassurer, mon père prit la décision d'aller au commissariat et m'ordonna

de l'y accompagner car selon lui nous n'étions en sécurité nulle part. Sur le chemin, le

moteur de la voiture s'arrêta net. Papa descendit, apeuré, même s’il essayait de ne rien

laisser paraître. Il ouvrit le capot pour tenter de réparer la panne mais il poussa un cri

d'effroi lorsqu'il découvrit qu'une immonde substance visqueuse recouvrait toute la

mécanique. Je sortis à mon tour de la voiture quand soudain une main écailleuse jaillit de

la brume déjà opaque à cette heure-là. Elle entraîna violemment mon père en arrière qui

disparut comme dans un courant d'air. Terrorisé et pétrifié, je perdis connaissance. À mon

réveil mon idée fixe était de retrouver mon père sans pour autant me poser davantage de

questions au risque de perdre trop de temps. La brume s'était dissipée et l'on distinguait

Page 19: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

sur le sol des traces fluorescentes qui menaient à une bouche d'égout. J'étais mortifié à

l'idée de rencontrer cette créature. Mes jambes en coton et mes yeux brouillés par la

sueur étaient inefficaces mais je parvins quand même à soulever la lourde plaque. Plus je

descendais l'échelle, plus j'avais l'impression qu'elle se rallongeait. Une fois en bas, à bout

de force, je crus reconnaître les maisons de mon quartier malgré une lumière faible et

diffuse. Mais c'était impossible ! Le magasin du fleuriste exposait des fleurs qui se fanaient

sous mes yeux, devant la maison du boucher surplombant sa boutique j'aperçus une

silhouette qui pouvait être la sienne. Mon sang se glaça dans mes veines au moment où

une deuxième ombre le suivit : était-ce sa fille ? Je devais me rendre à l'évidence cette

ville souterraine était la copie de la nôtre mais elle était monochrome, peinte en gris

anthracite et peuplée de monstres aquatiques effrayants. Une horrible pensée me vint à

l'esprit : et si mon père était devenu un des leurs ! Je m'élançai à corps perdu à travers la

ville en quête de ma maison-clone. Ma crainte s'avéra exacte. Mon père était couvert

d'écailles vertes ! Étendu sur le sol, il dormait comme si la métamorphose l'avait

entièrement vidé de toute énergie. Soudain, la créature ouvrit les yeux et me fixa. Il n'y

avait plus rien d'humain dans ce regard, il n'y avait plus rien d'humain dans ce corps. Je

tentai de m'enfuir mais il se mit à ma poursuite. Je courus vers l'échelle et commençai à

grimper lorsqu'il enfonça ses griffes dans ma jambe. Je sentis le venin couler dans mes

veines, je restai pétrifié. La terreur tétanisait mes membres. Tout cela n’était qu’un

cauchemar, forcément ! J’allais me réveiller ! Maintenant ! Un sursaut de lucidité me fit

gravir les deux échelons qui menaient à la sortie. Je parvins, plein de rage, à soulever la

lourde plaque.

Je regardai en bas. Ce qui restait de mon père n’était plus qu’un énorme tas d’écailles

poisseux qui glissait lamentablement dès qu’il essayait de monter à l’échelle. Et ce regard !

Était-il possible qu’il exprime encore ce qu’un père ressent en regardant son fils dans une

telle détresse ? Un incroyable désir de le sauver m’assaillit mais, en même temps, je

luttais pour ne pas me métamorphoser à mon tour car je sentais que le venin envahissait

mon corps tout entier. Une autre question surgit alors que je posais lourdement le genou

sur l’asphalte. Si ce monde souterrain envahissait le nôtre ? À la lumière du soleil, je

m'évanouis.

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Page 21: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Cher lecteur,

Entre dans un autre univers, celui que nous avons imaginé, celui où règnent l’étrange, le

surnaturel, le doute et l’angoisse.

Encore une fois, tu seras frappé à sept reprises. Comme les Sept péchés capitaux ou les

Sept merveilles du monde, nos histoires chercheront à laisser une empreinte dans ton

imagination.

Demande-toi si, au détour d’une ruelle, au pied d’un immeuble ou bien encore dans

l’intimité de ta maison, une aventure extraordinaire n’est pas sur le point de te surprendre.

Entre dans notre ville. Viens sur notre planète, la Planète Phantasia qu’on appelle aussi

Mercure, en l’honneur du dieu messager, en l’honneur du dieu des voyages...

Prêt pour le décollage ? Alors place au fantastique !

Page 22: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Une vie de mensonge

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville de Lemsa. Nous avions emménagé,

ma mère, ma sœur Lili et moi, dans cette ville étrange où les gens étaient taciturnes. Mais

ils pouvaient vous dévisager pendant de longues minutes sans que vous puissiez vous

dérober à leur regard presque hypnotisant. L’arrivée dans cette ville était donc loin d’être

une partie de plaisir d’autant que c’était à la suite du décès de mon père, divorcé de ma

mère depuis près de cinq ans, que nous avions dû accepter l’héritage de la maison

familiale ou plutôt du manoir car mon père était le fils d’un richissime homme d’affaires.

Notre vie newyorkaise nous manquait déjà mais pas notre père que nous n’avions pas vu

pendant trois ans et qui s’était moqué de notre sort. Lili et moi nourrissions le désir de

rentrer chez nous mais nous n’en parlions pas à maman. Nous menions une vie monotone

dans la maison et angoissante à l’extérieur.

Ce soir-là ressembla d’abord à tous ceux que nous avions vécus depuis trois mois. La

nuit était tombée et nous allions nous coucher. J’essayai de m’endormir dans ce lit

inconfortable, dans cette chambre trop grande et glacée. J’entendais les grincements et

les craquements de cette vieille maison et je n’étais décidément pas rassurée. Soudain, on

frappa à la porte et mon cœur se mit à battre si fort que j’eus l’impression que ma poitrine

allait exploser. Je me cachai sous la couette. Je restai ainsi jusqu’à ce je me décide enfin

à sortir la tête. Là, un sursaut irrépressible et un cri étouffé. Ma sœur Lili était debout

devant moi. Le temps que je me redresse et elle était à la porte contre laquelle elle se

tapait violemment la tête. J’étais pétrifiée et abasourdie. Je criai son nom, non, je le hurlai

comme si sa démence me contaminait. Tout à coup, elle s’arrêta. Je ne voyais que son

profil, à contre-jour qui plus est ; la seule lumière tamisée venait du plafonnier du couloir.

Je perçus pourtant un changement : ses traits grimaçants et presque inhumains s’étaient

un peu radoucis. Elle tourna la tête brusquement, me fixa d’un regard apeuré et fondit en

larmes en se jetant dans mes bras. Il s’écoula un temps qui me parut infini avant de

retrouver, toutes les deux, nos esprits. Je la raccompagnai dans son lit. En passant devant

la fenêtre de sa chambre, je crus voir une ombre funeste. J’aidai Lili, secouée de sanglots,

à se recoucher. Je parvins à l’apaiser mais ne cherchai pas à savoir ce qui lui était passé

par la tête. J’étais intriguée par le fait qu’aucune partie de son visage ne portait les

marques du choc qu’il venait de subir. Une autre pensée me vint alors, fulgurante.

Qu’avais-je vu quelques secondes plus tôt ? Cette ombre furtive était-elle le fruit de mon

imagination déjà mise à rude épreuve, ou pas ? J’allai à la fenêtre mais je ne vis rien si ce

n’est la lune, pleine, ronde et brillante dans cette nuit noire.

Page 23: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Je me rallongeai dans mon lit et tentai de me rendormir en vain. Je me résignai à aller

vérifier que tout allait bien pour ma sœur et à descendre me rafraîchir un peu mais, dans

le lit de Lili... personne ! Mon sang ne fit qu’un tour. Je dévalai l’escalier qui menait au

salon, et là, stupeur ! la porte d’entrée était entrouverte. Je me précipitai dehors et je vis

ma sœur assise sur la balançoire. Elle ne répondit à aucun de mes appels désespérés.

J’allai vers elle, la peur au ventre. Je lui touchai l’épaule pour la ramener encore une fois à

la réalité. Elle cessa de se balancer. L’horreur que je vis alors me hantera sans doute

jusqu’à la fin de mes jours ! Dans ses yeux injectés de sang, il était impossible de voir ni

pupille ni iris. Sa bouche ensanglantée défigurait ma jeune sœur méconnaissable. Son

visage était tailladé et se transforma en une plaie immonde lorsqu’elle hurla de toutes ses

forces. J’eus l’impression que mes tympans cédaient sous la puissance du cri inhumain

qu’avait poussé ma sœur. Ma sœur, ce monstre ? Impossible ! Ma mère était sortie ce

soir-là et aucun de nos voisins ne montra signe de vie ou ne me prêta main forte ! J’étais

désespérément seule mais tout ça était-il bien réel ? La créature marchait vers la ville. Ce

n’était plus ma sœur, j’en étais convaincue même si la situation m’échappait totalement et

que je n’étais sûre de rien. Je la suivis pourtant.

Nous arrivâmes au centre-ville et elle disparut sous mes yeux. J’eus le souffle coupé.

Je ne voyais plus que des visages sombres qui m’épiaient depuis les fenêtres des

habitations qui me cernaient. C’était bien la sensation que j’avais : j’étais prise au piège.

Je ne pouvais pas croire que cette scène était la réalité mais je pressentais que quelque

chose allait arriver. Il fallait que quelque chose arrive pour mettre fin à ce cauchemar ! Je

fis un tour sur moi-même et je reconnus Lili plantée devant la porte d’un restaurant. Au

moment où j’allai avancer pour la rejoindre une dizaine de mains me saisirent de tous les

côtés. Sous le coup de la terreur, je perdis connaissance. Quand je recouvrai mes esprits,

j’étais assise sur une chaise maintenue par des liens qui m’avaient déjà entaillé les

poignets et les chevilles. J’avais dû me débattre longtemps pour souffrir de telles

blessures mais je n’avais aucun souvenir ! J’avais de plus en plus l’impression d’être le

personnage d’un thriller, de ne plus avoir aucun pouvoir sur ma vie, d’être à la merci de cet

être monstrueux qui avait pris possession de ma petite sœur. Elle tournait autour de moi,

l’air menaçant. Elle ouvrit la bouche comme pour laisser échapper un souffle ou un soupir.

Sans bouger les lèvres, comme une marionnette manipulée par un ventriloque, elle dit

avec une voix qui n’était pas la sienne : « Vous m’avez abandonné ! Vous n’avez pas

compris mon amour ! Vous pensiez que je ne vous aimais pas mais c’est vous qui n’avez

pas su m’aimer ! » Plus la voix parlait alors que je gardais les yeux clos, plus elle devenait

familière. C’était celle de mon père ! la voix de mon père mort ! Je lui répondis. Je

Page 24: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

n’éprouvai pas une peur terrifiante mais plutôt une profonde tristesse mêlée à une

rancœur qui m’avait hantée toutes ces années.

- Tu es parti ! Maman nous a dit que tu ne voulais plus nous voir, que ta vie avec

nous ne t’intéressait plus ! criai-je la gorge nouée.

- Comment as-tu pu le croire ? Crois-tu que ce soit possible de renier sa famille, ses

enfants ? répliqua mon père d’une voix si puissante que je crus sentir les murs de toute la

ville trembler.

- Comment ne pas croire en sa propre mère ?

- Comment as-tu pu laisser ta petite sœur y croire et ne pas voir que ta mère pouvait

mentir pour me faire du mal ! J’en suis mort de chagrin !

- Je suis tellement désolée ! J’aurais dû essayer de te contacter, essayer de

convaincre maman de nous laisser te voir mais je t’en voulais aussi de ne pas te battre

plus que ça pour nous. Mais aujourd’hui pourquoi te manifester ainsi ? Pourquoi Lili ?

Regarde l’état dans lequel elle est !

- Lili est la seule qui, au fond d’elle-même, ne me rejette pas. Toi, tu ne m’as pas

laissé le bénéfice du doute. Tu ne m’as pas laissé le temps et à présent je n’en ai plus !

Des larmes de sang coulaient le long des joues de ma sœur. Elle me fixait de ses yeux

rouges. « Je t’aime, Papa ! » hurlai-je. C’était la première fois de ma vie que je disais je

t’aime à mon père et je le dis avec une sincérité qui me surprit moi-même. À ce moment

précis, Lili s’arrêta devant moi. Depuis le début de cette scène morbide, elle tournait

autour de la chaise comme une machine. Les yeux de Lili s’éclaircirent subitement et

retrouvèrent leur belle couleur bleue. Ses cheveux redevinrent d’un beau blond doré et sa

bouche rose et fine comme celle d’une poupée me sourit. Toute la noirceur qui avait pris

possession du corps de ma sœur et de la pièce s’évapora. Une sorte de lumière puissante

illumina la pièce et s’éteignit aussitôt. Ma sœur me prit la main et se rapprocha de moi. Je

la serrai dans mes bras. J’étais enveloppée avec elle dans la douce chaleur de ce

restaurant pourtant vide et plongé dans la pénombre. Nous sortîmes. La lumière du soleil

nous aveugla autant qu’elle nous réchauffa. Le jour était déjà si avancé ? Incroyable ! Mes

yeux découvrirent une rue animée, accueillante, vivante en somme. Les passants, fort

avenants, nous saluèrent chaleureusement et nous demandèrent comment nous allions.

Comment tout dans cette ville avait pu se métamorphoser à ce point ? Était-ce moi qui

avais eu une vision fausse de la réalité ? Le retour de mon père mort avait certainement

bouleversé l’ordre des choses et aujourd’hui, à plus de quatre-vingt-dix ans, je ne parviens

toujours pas à le rétablir et j’hésite à me dire que ma vie a été belle mais une chose est

sûre, elle me semble trop longue.

Page 25: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Le pacte

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville, dans un parc déserté depuis peu car

des rumeurs le disaient trop mystérieux. À l’âge de quinze ans, j’avais l’habitude de rentrer

de l’école à pieds, accompagné par les élèves de mon lycée. Ce jour-là, je dus rentrer plus

rapidement qu’à l’accoutumée car j’avais traîné trop longtemps avec les copains. Je pris

donc la décision de passer par le parc pour gagner du temps. À l’intérieur, les lampadaires

éclairaient très faiblement les grandes allées sans vie. Je ne pouvais plus faire demi-tour

car les grilles infranchissables étaient déjà fermées.

J’avançais, avec prudence et une certaine angoisse, le long des petits sentiers jonchés

de feuilles et de mauvaises herbes. Une fontaine majestueuse trônait au centre du jardin

principal et soudain l’eau se mit à jaillir abondamment dans cette ambiance glauque. Je

fus fasciné par ce spectacle presque magique. Je restai là quelques minutes mais une

sorte de force m’attira vers la sortie du parc. Je continuai mon chemin et parvins à l’aire de

jeux. Je ressentis comme un vertige et fis alors une pause en m’asseyant sur le bout de la

rampe du toboggan. Sur ma droite, les balançoires se mirent à grincer alors qu’il n’y avait

pas un souffle de vent et les manèges mécaniques se déclenchèrent sans aucune raison

apparente. Une présence étrange mais envahissante sembla prendre possession du parc

presque instantanément. Je me rappelle encore m’être évanoui. À mon réveil, j’étais

allongé dans mon propre lit. Intrigué, j’interrogeai mon père qui m’apprit que le gardien du

parc m’avait ramené inanimé à la maison vers sept heures du matin, et que, mort

d’inquiétude, il avait appelé tous les centres médicaux et les postes de police alentour. À

son tour, il me demanda ce qu’il s’était passé et quand je lui répondis que je ne me

souvenais de rien excepté d’être passé par le parc et d’avoir eu la frayeur de ma vie, il ne

me crut pas au début mais vit, assez vite, que j’étais sincère et encore effrayé.

Le lendemain, je me rendis à la gare pour prendre le train qui me conduirait chez mes

grands-parents. Toute la famille avait convenu depuis plus de trois semaines que je devais

fêter l’anniversaire de mon grand-père en famille et rester quelques jours là-bas. Pourtant,

depuis la veille, je me sentais particulièrement mal, comme oppressé par des mains

froides et lourdes sur ma poitrine. Devant la gare, les immenses horloges, les restaurants

bondés et la foule de voyageurs m’impressionnèrent. Subitement, de gros nuages

opaques se formèrent, le ciel devint grisâtre et menaçant, une nuée de corbeaux survola

la gare. Les aiguilles monstrueuses des horloges se figèrent sur le chiffre neuf, les grilles

des restaurants environnants s’ouvraient et se refermaient dans un bruit assourdissant et

là, l’inexplicable se produisit. Les passants furent pétrifiés en un éclair. Plus par terreur

Page 26: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

que par prudence, je reculai. Je voulais fuir cet endroit à tout prix. C’est à cet instant

qu’une main rugueuse se posa sur mon épaule dans un mouvement lent, appuyé et

contrôlé. Surpris, je me retournai. Devant moi se dressait une statue gigantesque. Je fus

cloué sur place comme privé de toute conscience mais j’entendis tout de même la voix

rauque et lente de ce monstre de pierre. Je compris ce qu’elle me dit mais je n’arrivai pas

à y croire ! La statue me proposait un pacte. Rien de logique, rien de rationnel mais

comment résister à cette envie foudroyante ? Ma mère était morte à ma naissance et

même si j’étais paralysé par la peur face à ce spectre, le fantasme de revoir maman, non,

de la connaître, était plus fort encore ! Comme si la statue lisait dans mes pensées, elle

me dit qu’elle pouvait exécuter n’importe quelle demande et que même la mort lui

obéissait. J’étais stupéfait par cette annonce. J’acquiesçai d’un signe de tête et je

prononçai dans un chuchotement quasi imperceptible le mot maman. Dans un souffle

époustouflant, la scène s’effaça aussi rapidement qu’elle était apparue. Moi, je restai

médusé.

La force de la rafale m’avait forcé à fermer les yeux. Quand je les rouvris, la foule des

passants s’agitait autour de moi et j’entendis à nouveau les voitures, les clameurs et les

bruits parasites. J'entendis alors mon nom résonner dans les haut-parleurs situés à

l'extérieur de la gare. Je traversai le hall interminable et atteignis in extremis la rame que

je devais prendre. Le train démarra et accéléra assez vite. Je vis défiler les barres

d’immeubles et les gratte-ciel du quartier d’affaires. Je ressentis un immense soulagement

de quitter cette ambiance et de m’éloigner de cette scène affreuse que je venais de vivre.

Trois heures plus tard, après un sommeil réparateur, je serrai mes grands-parents dans

mes bras, très heureux de les retrouver. Par-dessus l’épaule de mon grand-père maternel,

j’aperçus la silhouette d’une femme vêtue d’une longue robe de dentelle blanche. Elle

m’observait. Un frisson me parcourut l’échine. Ce n’était pas de la peur que j’éprouvai

mais une sorte d’excitation inexplicable, un peu comme une poussée d’adrénaline. J’eus

envie d’aller vers elle. Cette inconnue m’attirait irrésistiblement. Mais elle disparut comme

par magie. Le soir même, alors que j'allai m'endormir, je vis la même silhouette, assise au

pied de mon lit. À nouveau, je n’eus pas peur et je me demandai, pendant une seconde,

pourquoi. Les événements que j’avais vécus la veille et la rencontre avec la statue

m’avaient-ils quelque part poussé à admettre l’inconcevable ? Ces questions surgissaient

alors que je scrutais la dame blanche. Je distinguais mieux son visage même s'il était

translucide. Translucide ! Alors c’était bien à un fantôme que j’avais affaire ! Je dus

exprimer quelque chose dans mon regard ou dans les traits de mon visage car elle me

sourit ; un sourire qui réconforte, qui rassure... Un éclair de lucidité me frappa. Ce sourire,

Page 27: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

ce visage, ce regard bienveillant, cette robe blanche... cette femme était ma mère ! Elle

ressemblait au portrait que mes grands-parents avaient gardé d’elle et qui trônait sur la

cheminée du salon. Instinctivement, porté par un élan d’amour, je me jetai dans ses bras.

Le contact qui se produisit alors me marquerait à vie et sans doute au-delà. Je fus happé

par une tornade puissante et douce à la fois. Je fus propulsé hors de ma chambre, hors de

moi-même. J’eus l’impression de naître une deuxième fois et de connaître un bonheur

sans limite.

Le calme revenu, je sentis la chaleur du soleil sur mon visage. Ma mère avait disparu.

Pendant les jours qui me restaient à passer chez mes grands-parents, je ressentais

comme une douleur qui grandissait en moi. J’espérais revoir ma mère mais elle ne

réapparut jamais. C’était sans doute la nostalgie et le manque d’une mère que la vie

m’arrachait encore une fois. Vint le jour du retour en ville, du retour chez moi. Je toussais

depuis quelques jours. Je me sentais très faible. Le train s’arrêta, on annonça le terminus.

Je posai le pied sur le quai d’arrivée et, juste en face de moi, un panneau lumineux afficha

« N’oublie pas la rançon ! » Tout ce qui m’entourait devint prodigieusement gigantesque.

Les immeubles situés autour de la gare semblaient avoir un visage. Leurs yeux me

fixaient. J’entendis résonner un rire sardonique. Les lettres rouges du panneau se mirent à

clignoter de manière désordonnée. Je fermai les paupières comme pour zapper la scène

mais en fait l’évidence me sauta aux yeux. J’avais pactisé avec le diable et je devais à

présent en payer le prix. Je fus pris d’une quinte de toux douloureuse. Je regardai ma

main. J’avais craché du sang.

Page 28: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Après la mort

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville de Rosewood. À dix heures du soir,

j'étais chez les parents de Spencer Hastings qui m’avaient invité à dîner. Nous parlions de

leur fille, infirmière hospitalière depuis une dizaine d’années. Je l’avais rencontrée à

l’Hôpital Central. Pendant près de quatre mois, après un accident de la route dont j’avais

été victime, Spencer avait été mon infirmière. Nous ne nous étions plus quittés depuis.

Aux environs de minuit, alors que nous commencions à nous inquiéter car elle n’était

toujours pas rentrée, je reçus un appel sur mon téléphone portable. Je décrochai, la gorge

nouée. Une voix féminine, douce et inquiète à la fois, m’apprit, après avoir vérifié mon

identité, qu’il fallait passer au plus vite à l’Hôpital Padington, situé à l’extérieur de la ville.

J’allais demander pour quelle raison mais la voix poursuivit : « Mademoiselle Spencer

Hastings a été transportée chez nous et nous avons trouvé vos coordonnées dans ses

effets personnels. Elle n’a malheureusement pas survécu à un accident de voiture. » Je

restai sans voix, figé. Une vague de désespoir m’envahit subitement et la main qui tenait

le téléphone tomba lourdement sur ma jambe. Madame Hastings m’interpella aussitôt. Je

tournai la tête vers elle. Dès qu’elle vit mon regard, elle comprit et poussa le cri le plus

déchirant que je n’avais jamais entendu. Le père, quant à lui, était toujours assis,

impassible, comme si le souffle de vie avait quitté son corps. À cet instant, un courant d’air

glacial parcourut la pièce. Je me levai d’un coup, j’allai précipitamment vers la porte, je me

retournai pour jeter un dernier regard sur les parents anéantis, je refermai la porte avec le

peu de forces qui me restait. Je tombai à genoux sur le perron. Les yeux au ciel, je hurlai

« Pourquoi ? » à plusieurs reprises avant de me diriger vers ma voiture située à quelques

pâtés de maison. Ce furent les mètres les plus difficiles que j’avais jamais eu à parcourir.

Je devais me rendre à l’hôpital. Je devais aller identifier formellement le corps de Spencer.

Je ne pouvais pas y croire ; ma fiancée était morte. La peur de la revoir me saisit au plus

profond de mon être.

Quelques heures après avoir reconnu le corps sans vie de Spencer dont la lividité

avait été accentuée par l’éclairage de la morgue, je rentrai dans notre appartement qui

ressemblait au visage fantomatique de ma bien-aimée. Soudain, une ombre sortit des

murs puis se faufila dans la cuisine. J’y allai d’un pas hésitant, mon cœur battant à tout

rompre. Elle était là, devant moi, vêtue d'une longue robe blanche qui contrastait avec sa

couleur de peau brune, les bras le long du corps et les mains tremblantes. Elle les leva

vers moi comme si elle voulait me prendre dans ses bras ! Mais son visage, lui, restait

inexpressif. Moi, je ne savais que faire. Je ne contrôlais rien. Je m’avançai, réduisant ainsi

Page 29: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

la distance qui me séparait d’elle. Soudain, elle disparut dans les premières lueurs du jour.

Je passais la journée suivante à dormir, le téléphone débranché et les volets fermés.

Le soir venu, je sortis et, là, je restai bouche bée. Plusieurs ombres flottaient. Impossible

de les compter car mes yeux et mon esprit étaient brouillés par la frayeur qui ne faisait

qu’augmenter depuis l’annonce de la terrible nouvelle. Je les suivis sans même l’avoir

décidé. Je me retrouvai devant le cimetière, de l’autre côté de la ville. Comment étais-je

arrivé là si vite ? Comment avais-je parcouru presque cinq kilomètres à pied en si peu de

temps ? Un moment de lucidité me poussa à me poser toutes ces questions. Toutes les

ombres avaient disparu mais elles réapparurent toutes à la fois autour d’une seule tombe.

Intrigué, je m’avançai vers cette tombe. Je m’approchai davantage pour lire le nom qui y

était inscrit : Spencer Hastings ! Un frisson d’horreur traversa tout mon corps qui se durcit

comme du bois. Je chancelai après avoir vu que mon nom y apparaissait aussi ! Je

m’essuyai les yeux du revers de la main. Je déchiffrai ma date de naissance mais aussi la

date de ma propre mort ! Le même jour que celle de Spencer ! Mais je ne trouvai aucune

année. Le sentiment que j’éprouvai alors est indescriptible. Je parvins quand même à

courir et rentrai chez moi sans freiner la cadence. À bout de souffle et de force, je

m’endormis dans un lit glacé. L’image de Spencer souriante et cette date fatidique

hantèrent mon sommeil étrange.

Le lendemain, je décidai de sortir du domicile conjugal. J’avais besoin de prendre

l’air. Les bruits de la vie quotidienne me rassurèrent. C’était lundi et il était huit heures du

matin. Soudain, je sentis un frôlement dans mon dos. Je me retournai et aperçus un

enveloppe sur laquelle était inscrit mon prénom. Elle était posée sur le banc de l’arrêt de

bus du bout de ma rue. Je crus voir une ombre s’éclipser. Mon cœur se mit à battre la

chamade et je sentis une goutte de sueur perler sur mon front. Je déchirai l’enveloppe en

tremblant. « Je suis près de toi et je t’attends. Spencer »

Voilà les mots qui me hantent depuis trois ans et aujourd’hui, c’est l’anniversaire de

la mort de Spencer.

Page 30: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Dans l’œil d’un chat

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville. Mon petit ami Liam et moi avions

été invités à une fête organisée par ma meilleure amie, Lisa. Ce soir-là, en rentrant, vers

onze heures, Liam eut l'idée de se balader dans le parc qui nous était familier car nous

nous y étions rencontrés quatre ans plus tôt. C'est dans ce cadre romantique que Liam

avait eu l'intention de m'offrir une surprise – c'est en tout cas ce qu'il m'avouerait plus tard

– mais nous entendîmes soudain un cri immédiatement suivi de bruits étranges que je

n'aurais pas pu identifier. Liam n’en fut pas ému mais moi je sentis l’angoisse monter en

moi comme le mercure grimpe dans un thermomètre.

J’aperçus un chat démesurément gros, assis sur le muret qui séparait le sentier

pavé du parcours de santé. L’animal dont la queue se balançait nonchalamment me fixa

d’une manière étrange. Je ne pus pas soutenir ce regard. Liam ne remarqua rien et

continua de marcher vers le marchand de glaces mais je n'étais pas rassurée ! Après avoir

acheté nos cornets, nous nous installâmes sur le banc et je mangeai ma glace presque

machinalement. C'est alors que les mêmes bruits retentirent mais, cette fois-ci, ils se

rapprochaient de nous au fur et à mesure et ma peur augmentait en même temps. Je levai

la tête vers les immeubles d’habitation dont pas un seul n’était éclairé. La lumière avait

considérablement baissé. Les façades des bâtiments s'assombrissaient et donnaient

l'impression d'un décor de cimetière, froid et lugubre. Les lampadaires étaient tous éteints;

seule la lune produisait une lumière blanche qui accentuait les contrastes. Soudain, le

bruit d'un klaxon me fit sursauter et je portai mon regard au niveau de la rue. Pas un chat !

Liam avait disparu !

Une véritable panique s’empara de moi. Je bondis au moment même où une

bourrasque de vent se leva. Mon cœur se mit à battre la chamade. Je pris mes jambes à

mon cou. Je m'arrêtai net quelques mètres plus loin, bouche bée. Une cinquantaine de

chats me barrait la route. Leurs yeux révulsés ne reflétaient plus rien de naturel. Je fis

demi-tour à la recherche d’un lieu pour me cacher. J’étais perdue. Sur ma gauche, une

vieille maison dont la porte était grande ouverte offrit le refuge idéal. Je m'y engouffrai et

fermai la porte violemment. Mais que m'arrivait-il ? Où était passé Liam ? Mon imagination

me jouait-elle des tours ou étais-je devenue complètement folle ? À bout de force, je

glissai le long de la porte que j’avais refermée et contre laquelle le vent continuait de

souffler. Les miaulements prolongés et menaçants de la meute s’intensifiaient. Sous le

coup de la terreur et de la fatigue, je tombai dans un sommeil de plomb après avoir

entendu résonner la grande horloge de la ville. Il était minuit.

Page 31: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

En rouvrant les yeux, la scène qui se déroulait devant moi me saisit d'effroi. J'étais

dans un appartement lumineux et chaleureux qui ne m’était pas inconnu ! Quelques

secondes suffirent pour me recentrer un peu et réaliser que j'étais à la fête de Lisa, celle-là

même qui avait eu lieu quelques heures plus tôt. Liam était à mon bras ou plutôt j’étais

pendue au bras de Liam, tétanisée. En tournant la tête, qui me parut particulièrement

lourde, j'aperçus, par la fenêtre, un chat noir. Couché sur le flanc, son regard croisa le

mien. Son regard vide et blanc était un regard de mort.

Page 32: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Sortie mortelle

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville … C'était un soir où je n'avais rien à

faire et les secondes me paraissaient trop longues. Je me décidai à faire une balade dans

les ruelles sombres. Il faisait très froid à cause du vent assez violent qui soufflait depuis

près de deux jours. Je sentais que quelqu’un me suivait, je me retournai. Rien. Les gens

étaient cloîtrés chez eux. Je continuais ma route vers le centre-ville de Saint Paul. Dans la

rue, les lumières s'allumaient puis s’éteignaient. Le ciel était sans lune et sans étoiles. Je

ne m’étais jamais senti aussi seul et aussi effrayé. Cette scène inquiétante était un rêve

récurrent et j’espérais qu’il ne devienne jamais réalité jusqu’à ce jour maudit.

Ce matin-là, je pressentis que j'allais passer une bonne journée et j'avais eu raison. Je

retrouvai de vielles connaissances. Nous avions fixé rendez-vous dans le square situé

devant la mairie de Saint-Paul avant d’aller nous promener tous ensemble. J’avais passé

un excellent après-midi à me rappeler les bons vieux souvenirs. Mais ce bonheur ne dura

pas longtemps car en rentrant chez moi, quelqu'un m'interpella. Je crus que c'était un des

amis que je venais de quitter mais en me retournant je vis bien que non. Je vis une ombre

qui ricanait. Cette créature surnaturelle n’était visible que lorsqu'elle en avait envie. Elle

disparaissait et réapparaissait mais ne faisait aucun mouvement. Elle me fixait. Des

cornes pointues étaient plantées au sommet de son crâne, des yeux rouges me fixaient et

des crocs blancs acérés brillaient à la lumière d’un lampadaire qui s’allumait, à l’heure du

crépuscule. Son regard était si effrayant qu'il pouvait, comme Médusa la gorgone, clouer

n’importe quel être humain sur place. Le phénomène était grand d'au moins deux mètres

cinquante. Il était vêtu d'une cape rouge, et portait dans la main gauche une fourche et

dans la droite un sabre. Sous sa cape, je pus déchiffrer une inscription noire : « la nuit ne

dort jamais ! ». L’apparition disparut définitivement. Je courus à en perdre haleine pour

rentrer chez moi.

J’allumai mon ordinateur, l’esprit tiraillé entre raison et folie. Je me lançai dans des

recherches sur les démons et autres créatures fantastiques. Je trouvai quelque chose

d’intéressant lorsque les premières lueurs du jour traversèrent ma fenêtre. D’après la

légende, la créature, que j’identifiai précisément grâce à différentes représentations, avait

hanté une ville pendant longtemps puis l’avait détruite en un clin d’œil. Mais ce n’était

qu’une légende ! Cela ne pouvait raisonnablement pas être la réalité ! Et pourquoi moi ?

Le scénario allait-il se reproduire ? Complètement perdu, je décidai d’en parler à mes

proches. J’eus droit à la réaction à laquelle je m’attendais, sans surprise : « Tu es fou ! Tu

regardes trop de films. Es-tu sûr que ce n’est pas un ami qui chercherait à te faire une

Page 33: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

blague de mauvais goût ? » Je n’avais plus d’espoir et je doutais moi-même de ma raison.

Alors, j’allai dans un bar et je bus jusqu’à perdre pied...

Une fois rentré à la maison, je m’endormis et je rêvai de ce démon encore et encore ; il

me hantait. Il avait un air sournois et prenait un malin plaisir à me terroriser. Son rire

démoniaque résonnait dans la nuit. C’était un de ces rires qui effraierait n’importe qui.

Cela se répéta chaque jour jusqu’à cette fameuse nuit où je sortis du bar et m’endormis

dans la rue, à même le bitume. Quand je me réveillai, je ressentis une sensation étrange...

J’étais si léger que je crus ne plus exister et planer au-dessus de tout ! Les quelques rares

passants me croisaient sans me voir et moi-même je ne vis pas mon reflet en passant

devant les vitrines.

Les jours passaient et je m'ennuyais. Je sortis alors de chez moi par une nuit sans

étoile. Un homme portait un énorme bouquet à la main. Il quittait le bâtiment d’affaires que

l’on venait d’inaugurer et marchait d’un pas pressé vers le parking, sans doute pour

rejoindre sa voiture. Je le suivis. Il ralentit tout à coup et se retourna. Il ouvrit des yeux de

terreur en me voyant. Il lâcha son bouquet, serra sa poitrine et tomba, raide mort. Le

lendemain soir, la même scène se produisit avec un couple d’amoureux qui sortait du

cinéma. Ce manège se répéta un nombre incalculable de fois. Désormais, la nuit, je piste

les gens heureux et je les envie. Je me couvre de ma cape pour me protéger du vent trop

froid et j’erre dans les rues. Je prends un malin plaisir à suivre ces passants mais je

m’inquiète. J’en croise de moins en moins et j’ai pourtant parcouru, de nuit comme de jour,

tous les quartiers et toutes les rues de la ville.

Page 34: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

La Ville fantôme

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans ma ville natale. C’était le début de l’après-

midi et je suivais le chemin que je prenais fréquemment pour rendre visite à mes parents.

J’eus, ce jour-là, la désagréable impression de me sentir observé. Tout ce qui m’entourait

me semblait étrange. Était-ce parce que je venais de me rétablir d’une vilaine pneumonie

qui m’avait cloué au lit pendant plusieurs jours, privé de sommeil ? Le crépuscule

apparaissait alors que ma montre affichait quatorze heures. Peu à peu, il me sembla que

des cratères se dessinaient, noirs et profonds, sur la surface du soleil. Un brouillard épais

se leva. Les rayons du soleil blanchirent et produisirent ainsi une lumière macabre. Une

angoisse intense s’empara de moi.

La nuit était complète à présent et m’isolait davantage dans ce lieu déserté. Le vent se

mit à souffler si fort que j’eus l’impression d’entendre la mélodie d’un requiem. Je sentis

mes jambes flancher sous le poids de mon corps. Tout mon être me parut à la fois lourd et

léger. Mes sens me jouaient des tours ! Et mon esprit ? Je n’étais même plus capable de

réfléchir. Tout à coup, les murs des bâtiments alentour se mirent à se resserrer comme un

étau autour de moi tant et si bien que personne n’aurait pu s’échapper. Je crus mourir

étouffé. Le brouillard se dissipa subitement. On aurait dit qu’il voulait me laisser voir le

clocher de l’église toute proche trembler dangereusement. J’eus à peine le temps de lever

davantage les yeux qu’il s’affaissa de tout son long sur moi. Mes muscles tétanisés

m’empêchèrent de fuir. Je me recroquevillai tel un enfant dans le ventre de sa mère. Je ne

fus pas écrasé par l’énorme masse de béton, je ne sentis que le souffle dévastateur qui

me terrassa. Immédiatement après la chute, le vacarme de la cloche qui heurta le sol me

rendit quasiment sourd. La cloche avait sonné le glas ! C’était ma seule certitude : j’allai

mourir ou pire encore je venais de mourir ! La terreur s’était incarnée dans chaque

élément du décor qui avait pris vie dans l’unique but de m’ôter la mienne ! Je devenais

complètement fou ou alors je rêvais et il fallait que je me réveille !

Je me relevai en ouvrant les yeux. Aucune de trace du clocher ni sur le sol ni à son

emplacement habituel ! Les murs qui m’encerclaient quelques secondes auparavant

avaient relâché leur étreinte mortelle mais flottaient autour de moi. Je vis se dessiner un

itinéraire balisé par des feux follets au fur et à mesure que je faisais un pas. Je me forçai à

garder la tête froide. Je reconnus le chemin. C’est celui qui menait chez mes parents et,

même s’il prenait un aspect surréaliste, je le suivis en espérant de toutes mes forces qu’il

me guidait vers une fin heureuse. Soudain, je sentis une chose glaciale autour de mon

cou. Je compris en la touchant qu’il s’agissait d’une corde. Je me débattis et tirai dessus

Page 35: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

violemment. C’était une branche d’arbre qui s’était animée et qui cherchait à m’étrangler.

J’accélérai mon allure, le cœur battant et les poings serrés.

La lueur d’un lampadaire éclaira enfin le lieu que je voulais atteindre depuis le début.

J’arrivai devant la demeure de mes chers parents, leur dernière demeure, en fait. Je

distinguai leurs deux visages souriants mais flous qui flottaient dans les airs. Je lus,

gravés dans le marbre, leurs prénoms et le nom qu’il m’avait donné. Je fermai les yeux,

apaisé et heureux de les retrouver.

Page 36: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

Le parcours de l’étrange

Moi, j'ai ressenti la peur en marchant dans la ville. Je m'en souviens comme si c'était hier.

Je venais d'acheter un nouvel appartement qui avait été bradé par les anciens propriétaires,

une affaire ! Il était chaleureux et spacieux. Une magnifique petite terrasse tenait lieu de

jardin. Mais le plus important sans doute c'était qu'il se trouvait à dix minutes à pieds de

mon lieu de travail. Je suis boulanger. J'aimais marcher et déambuler dans les rues de ce

quartier que je connaissais par cœur ; chaque maison, chaque carrefour, chaque bâtiment,

chaque coin de rue. Je menais une vie ordinaire qui me plaisait. Tous les matins, je me

levais à trois heures pour assurer l'ouverture de la boulangerie. Mais ce matin-là, rien ne se

passa comme d'habitude.

Je fermai ma porte d'entrée à double tour et je descendis l’escalier en sifflotant. Une fois

dehors, je ressentis une sensation bizarre. Oui, rien n'était plus pareil ! Je crus devenir fou.

J’avais des hallucinations ou la ville était vivante ! Ce bâtiment flambant neuf, en face, qui

surprenait les passants habituellement par sa couleur mauve, prenait une dimension

disproportionnée au fur et à mesure que j'avançais et les façades, soudain décrépites,

donnaient l’impression que l’immeuble était vétuste. Les vitres des fenêtres passaient d’une

teinte orangée à un vert criard. Les portes étaient tour à tour ovales puis carrées. Aucun des

bâtiments que je voyais ne m'était familier, et bien pire, plus rien n’était normal. Le mobilier

lui aussi prenait des couleurs et des formes différentes. Les bancs peints en rouge vif, les

lampadaires assez banals d’ordinaire avaient ce matin-là un design très moderne. Mais que

se passait-il ? J’avais forcément un problème. Je continuais pourtant à avancer en me

disant que ça allait passer et que je devais manquer de sommeil. Le chien de la vieille dame

du numéro 13 se métamorphosa en chat sous mes yeux, en quelques secondes ! Sous le

choc, je m’assis sur la première marche de l’escalier qui menait à la porte d’entrée. J’eus

l’impression de m’enfoncer dans la matière. Impossible ! Je me relevai d’un bond et me mis

à hurler. Les poubelles, que les habitants avaient sorties pour le ramassage des ordures,

grandissaient jusqu'à atteindre cinq mètres et leur couvercle s'ouvraient et se refermaient

comme une armée de mâchoires monstrueuses. Les voitures garées sur le petit parking

démarrèrent spontanément au moment où je passai devant elles. Et bien sûr, j’étais

totalement seul à cette heure très matinale. Il faisait à peine jour et personne pour me porter

secours ! Alors que je me lamentais sur mon sort d’aliéné, je me rendis compte que j’étais

devant ma boulangerie. J’avais continué à marcher sans même m’en rendre compte ! Je

jetai un coup d’œil affolé autour de moi. Tout était rentré dans l’ordre. Après tout, tout cela

Page 37: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

n'était peut-être que le fruit de mon imagination. Je me plongeai dans le travail toute la

journée.

Cette dure journée de travail était enfin terminée. Je décidai de rentrer chez moi. Je

demandai à un collègue s’il pouvait me raccompagner en voiture. Il accepta et, durant tout

le trajet, je ne pus détacher mes yeux de ce qui se passait à l’extérieur. Rien d’anormal, rien

de suspect. En descendant de la voiture, je remerciai chaleureusement Dominique. Très

inquiet à mon sujet, témoin de mon attitude inhabituelle, il me conseilla de me reposer. Dès

que je refermai la porte de mon appartement, je sentis une forte odeur entêtante. Je ne

parvins pas à l’identifier d’abord mais je reconnus le gaz. Le fait me surprit car personne

dans l’immeuble n’en utilisait. Je ressentis la même peur qu’au début de cette journée

extraordinaire mais elle devint très vite plus intense. Dans mon appartement, tout devint

effrayant. Le vent soufflait très fort et s’engouffrait dans les petites aérations créant ainsi un

sifflement strident des plus angoissants. Je regardai par la fenêtre, tremblant et au bord

asphyxie. Les toits des maisons voisines se fendirent en deux et s’écroulèrent tous en

même temps. Un vacarme indescriptible emplit mon immeuble comme si des milliers de

portes claquaient. Les murs de mon salon se mirent à trembler dangereusement. Le double

vitrage de mes fenêtres ne résista pas et se brisa en mille morceaux. Je me protégeai

instinctivement le visage et le corps en me recroquevillant, la tête sur les genoux, les bras

comme seul bouclier. Quand je relevai la tête, ma stupeur fut immense en voyant que tout

était parfaitement à sa place dans un silence presque religieux ! Sans réfléchir, je me ruai

dans la rue. Dix chiens surgirent de nulle part et se mirent à aboyer en me voyant. J’étais

complètement seul dans une rue dévastée et inexplicablement sombre alors qu’il était onze

heures. Tout cela ne pouvait être que pure folie ! Les panneaux de signalisation furent

arrachés du sol par une force gigantesque et invisible. Ils volèrent sur plusieurs mètres et

retombèrent dans un bruit assourdissant. Une fumée noire émana des poubelles renversées.

Elle enveloppa tout mon champ de vision. Je ne vis plus rien excepté deux petits points

rouges qui semblaient m’observer depuis la fenêtre de ma chambre. La terreur m’envahit et

me glaça les sangs, puis plus rien. Le trou noir.

Une lumière blanche et aveuglante. Des formes indistinctes. Mes yeux me faisaient

mal mais je reconnus une chambre d’hôpital. J’entendais des voix, des murmures. Je

sursautai de manière incontrôlable, sortant ainsi d’une torpeur paralysante. L’équipe

médicale se retourna aussi brusquement que moi je m’étais réveillé. Presque

immédiatement, un médecin, qui se présenta sous le nom de Dr Moreau, vérifia mes

réflexes et mes constantes. Je voulus parler mais aucun son ne sortit de ma gorge. J’avais

envie de hurler. Mon corps se mit à bouger frénétiquement. Je sentis plusieurs mains saisir

Page 38: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

mes jambes et mes bras et les maintenir fermement contre le matelas. Le médecin essaya

de me calmer en me disant que tout allait bien, que tout irait bien. Après qu’ils eurent

relâché leur étreinte, les infirmiers s’éloignèrent et je regardai le Dr Moreau, cherchant à

exprimer dans mon regard toute ma détresse. Il se pencha au-dessus de moi. Je ne le

voyais toujours pas distinctement mais il me dit que j’avais été trouvé inconscient dans

l’entrebâillement de la porte de mon domicile, une clé dans une main et un téléphone dans

l’autre. L’appel d’urgence avait été passé depuis cet appareil. Je n’avais aucun souvenir de

cette scène. Les deux yeux rouges effrayants étaient la seule image qui me revenait. Je fus

pris, tout à coup, d’une peur panique. Puis je sentis une douleur incroyable dans la poitrine

et toujours aucun moyen de crier.

À mon réveil, j’étais dans une autre chambre d’hôpital. Un infirmier s’approcha de moi

et m’expliqua que je délirais dans une sorte de sommeil incontrôlable depuis plusieurs

semaines. J’avais prononcé des paroles incompréhensibles. Les médecins avaient décidé

de me transférer dans le service psychiatrique et ils attendaient mon réveil. Cette fois, je

restai étrangement calme alors que le mot « psychiatrique » avait été dit. Peut-être que la

dose de médicaments était massive ou peut-être que j’acceptai la situation. Le problème

était bien celui-là : j’avais perdu la raison. Je tournai légèrement la tête sur la droite et vis

qu’un autre patient me regardait avec bienveillance. Après le départ de l’infirmier, je n’eus

pas le temps de saluer mon compagnon de chambre qu’il me dit : « Je suis ici depuis deux

ans et vous êtes la quatrième personne qui a eu ces symptômes et qui habite à la même

adresse que vous. » Je restai perplexe. Il devança ma réaction. « J’ai lu votre dossier, vous

m’excuserez. » Je gardai les yeux rivés sur son visage ; lui, il me sourit.

Alors c’était l’explication ! Mon appartement était hanté ! Mais qui pourrait croire cette

histoire si ce n’est deux fous enfermés dans un asile ? Depuis cette révélation, j’ai passé

deux ans dans cet endroit et j’avoue que je m’y sens en sécurité car je fais chaque soir des

rêves terrifiants malgré les médicaments puissants que j’avale quotidiennement. Je meurs,

broyé par les murs de mon appartement ou brûlé par ce regard de feu qui me guette depuis

ma chambre. Mon hospitalisation a conduit à la fermeture de ma boulangerie. Sans

ressources, je vais devoir vendre mon appartement.

Page 39: "Et la ville devient fantastique", (Recueil de Nouvelles, Texte intégral)

TABLE DES MATIÈRES

Remerciements ...................................................................................................................... p. 2

Avant-propos des élèves de la Quatrième Jupiter ............................................................. p. 3

Le Masque de Venise.......................................................................................................... p. 4

Emmeline BOYER – Julien RANAIVOMBOLA – Dorian TORINIÈRE – Alexandra YOU-SEEN

Morsure et catacombes ..................................................................................................... p. 6

Myléna GRONDIN – Bastien FOURMY– Mathieu RIOUL– Jennifer VERBAR

La Vengeance du revenant ............................................................................................... p. 9

Nakad ALI – Camille BEY – Camila BRÉZÉ– Laure PAYET

Marqué à vie ......................................................................................................................... p. 11

Arthur D’AUDIGIER – Lydia LAKERMANCE – Erwann MYRTHE – Carmelle VIENNE

L’Impasse ............................................................................................................................. p. 13

Manon CLAUDE – Pablo RAKOTOARISOA - Sébastien THIBUR – Magalie YU-KUI

Le Cercle de la peur ........................................................................................................... p. 15

Giovanni KONDOKI – Evan MAILLOT – Grace MAILLOT – Denise TATEL

Mystère parallèle ................................................................................................................. p. 17

Emmanuelle D’EURVEILLIER – Mathieu LEBLANC – Alison LEE CHAO SHIT – Tristan PAUSÉ Avant-propos des élèves de la Quatrième Mercure ........................................................... p. 20

Une vie de mensonge ......................................................................................................... p. 21

Kyllian FÉLIX – Tachirifa HOUMADI – Mathilde GEORGER – Endrik PAYET

Le Pacte ................................................................................................................................. p. 24

Inés AIMARD – Joachim DARENCOURT – Déborah Le PAJOLEC – Loïc SÉRY – Guillaume VRINAT

Après la mort ........................................................................................................................ p. 27

Ugo BELHASSEN – Adrien BOUCHET – Oumé ISSOUFALY LAVA – Poubarlen SELLOM-AYA

Dans l’œil d’un chat ............................................................................................................ p. 29

Lionel BENG-THI – Élise CASCADE – Laïkah ISSOP – Judygaëlle TATEL

Sortie mortelle ........................................................................................................................ p. 31

Kenjy K’BIDI – Emma LAMBERT – Virginie SAINT ALME – Éléna VERBARD

La Ville fantôme ..................................................................................................................... p. 33

Jordan CHARRIER – Nicolas LAKERMANCE – Ludivine LAURET – Benjamin RIVIÈRE – Lucas ULRICI

Le Parcours de l’étrange ................................................................................................... p. 35

Loïc BOURDEL – Raphaël KAAMBI – Trécy PHILOMÈNE – Appoline TURPIN

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES Couverture : création de Christophe FONTAINE et Alexandra YOU-SEE

page 19 : création de Julien RANAIVOMBOLA