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1 Le Saint Suaire de Turinde la Champagne à la Savoie par Jean-Jacques TIJET « … il y avait un monastère qu’on appelait Sainte-Marie-des-Blachernes, où était le linceul où Notre-Seigneur fut enveloppé ; lequel chaque vendredi se dressait tout droit, si bien qu’on pouvait y voir la figure de Notre-Seigneur et la marque de ses cinq plaies… Et ne sut jamais, ni Grecs ni Français, ce que ce linceul devint quand la ville eut été prise… » Selon Robert de Cléry, chevalier picard et chroniqueur de la funeste 4 e croisade relatant le sac ignominieux de Constantinople par les Français et les Vénitiens les 12,13 et 14 avril 1204 Ainsi commence, pour nous Occidentaux, l’histoire d’une relique connue aujourd’hui sous le nom de Saint Suaire de Turin puisque entreposée dans une chapelle de la cathédrale St Jean Baptiste de Turin. Qu’est-ce que c’est ? C’est une pièce d’étoffe, « une serge de lin à chevrons en arête de poisson », de 1,10 mètre de large sur 4,36 mètres de long, jaunie par le temps, qui porte les traces d’un homme nu - vraisemblablement crucifié - dont les mains sont croisées sur le pubis, en 2 vues frontale et dorsale alignées tête-bêche. Ce linceul a-t-il enveloppé le Christ, celui dans lequel ses disciples l’ensevelirent le soir du vendredi saint ? C’est toute la question mais en réalité il y a 2 interrogations, cet objet mystérieux date-t-il du début de notre ère et si oui a-t-il été en contact avec le corps de Jésus ? Ce qui est sûr Selon les évangélistes Jésus Christ a bien été enseveli et enveloppé d’un linceul : Ayant pris le corps, il [Joseph d’Arimathie] l’enveloppa d’un linceul (selon Matthieu et Luc), Marc dit que Joseph, en sortant de chez Pilate [à qui il avait demandé et obtenu le corps de Jésus] alla acheter un linceul et Jean précise que l’on s’est servi d’un mélange de myrrhe et d’aloès pour enduire, non pas le corps du supplicié – ce qui aurait brouillé les traces de sang et celles des blessures (de toute manière interdit par le rituel hébraïque) – mais le banc de pierre du tombeau que l’on recouvre de la première partie du long drap funéraire ; ensuite est déposé le corps lui-même que l’on recouvre complètement – en passant au-dessus de la tête - de la deuxième partie du drap… d’où les 2 empreintes du corps humain. Il est dit aussi que le corps ainsi protégé fut aspergé d’aromates et de sel selon l’Evangile de Gamaliel 1 « Ils ont placé ton fils dans un tombeau neuf, ils ont étendu sur lui un drap de lin neuf et l’ont couvert de nombreux aromates et de beaucoup de myrrhe ». Ces derniers se sont incrustés peu à peu dans le tissu de lin… d’un poids léger et uniformément réparti. Le dimanche matin, Marie-Madeleine et Marie (mère de Jacques le Mineur) en arrivant au sépulcre, le constatent vide et ouvert, elles avertissent les apôtres. Selon Luc, Jean court au 1 Texte un peu mystérieux dont une partie La Passion du Christ a fait l’objet d’une traduction en français aux XIV e et XV e

Le Saint Suaire de Turin... de la Champagne à la Savoie

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Une étude sur les périples du Saint Suaire de Turin en Champagne à partir de 1357 puis en Savoie (Chambéry)

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Le Saint Suaire de Turin…

de la Champagne à la Savoie par Jean-Jacques TIJET

« … il y avait un monastère qu’on appelait Sainte-Marie-des-Blachernes, où était le linceul où Notre-Seigneur fut enveloppé ; lequel chaque vendredi se dressait tout droit, si bien qu’on pouvait

y voir la figure de Notre-Seigneur et la marque de ses cinq plaies… Et ne sut jamais, ni Grecs ni Français, ce que ce linceul devint quand la ville eut été prise… »

Selon Robert de Cléry, chevalier picard et chroniqueur de la funeste 4e croisade relatant le sac ignominieux de

Constantinople par les Français et les Vénitiens les 12,13 et 14 avril 1204 Ainsi commence, pour nous Occidentaux, l’histoire d’une relique connue aujourd’hui sous le

nom de Saint Suaire de Turin puisque entreposée dans une chapelle de la cathédrale St Jean Baptiste de Turin.

Qu’est-ce que c’est ?

C’est une pièce d’étoffe, « une serge de lin à chevrons en arête de poisson », de 1,10 mètre

de large sur 4,36 mètres de long, jaunie par le temps, qui porte les traces d’un homme nu - vraisemblablement crucifié - dont les mains sont croisées sur le pubis, en 2 vues frontale et dorsale alignées tête-bêche. Ce linceul a-t-il enveloppé le Christ, celui dans lequel ses disciples l’ensevelirent le soir du vendredi saint ? C’est toute la question mais en réalité il y a 2 interrogations, cet objet mystérieux date-t-il du début de notre ère et si oui a-t-il été en contact avec le corps de Jésus ?

Ce qui est sûr

Selon les évangélistes Jésus Christ a bien été enseveli et enveloppé d’un linceul : Ayant pris le

corps, il [Joseph d’Arimathie] l’enveloppa d’un linceul (selon Matthieu et Luc), Marc dit que Joseph, en sortant de chez Pilate [à qui il avait demandé et obtenu le corps de Jésus] alla acheter un linceul et Jean précise que l’on s’est servi d’un mélange de myrrhe et d’aloès pour enduire, non pas le corps du supplicié – ce qui aurait brouillé les traces de sang et celles des blessures (de toute manière interdit par le rituel hébraïque) – mais le banc de pierre du tombeau que l’on recouvre de la première partie du long drap funéraire ; ensuite est déposé le corps lui-même que l’on recouvre complètement – en passant au-dessus de la tête - de la deuxième partie du drap… d’où les 2 empreintes du corps humain. Il est dit aussi que le corps ainsi protégé fut aspergé d’aromates et de sel selon l’Evangile de Gamaliel1 « Ils ont placé ton fils dans un tombeau neuf, ils ont étendu sur lui un drap de lin neuf et l’ont couvert de nombreux aromates et de beaucoup de myrrhe ». Ces derniers se sont incrustés peu à peu dans le tissu de lin… d’un poids léger et uniformément réparti.

Le dimanche matin, Marie-Madeleine et Marie (mère de Jacques le Mineur) en arrivant au sépulcre, le constatent vide et ouvert, elles avertissent les apôtres. Selon Luc, Jean court au

1 Texte un peu mystérieux dont une partie La Passion du Christ a fait l’objet d’une traduction en français aux XIV

e et XV

e

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sépulcre et ne voit que les linges, selon Jean, Simon Pierre voit les linges2 posés à terre et le suaire roulé séparément.

On peut penser que les apôtres ont conservé pieusement le suaire3, souvenir ô combien important de la Passion du Christ avec ses traces de sang et de sueur. Il est admis qu’ils le plièrent de manière à n'en montrer que la Sainte Face (c’est ainsi que le terme linceul est remplacé par celui de suaire4). Où l’ont-ils caché et pourquoi l’avoir dissimulé ? Nul ne le sait. Alain Decaux émet 2 hypothèses : Le supplice de la crucifixion est infamant pour les Anciens et durant les premiers siècles on se garde bien de représenter Jésus sur son gibet, inutile donc d’en rajouter en exhibant le suaire. Durant cette même période, le début du christianisme, les premiers disciples de Jésus sont recherchés, harcelés et martyrisés, quelle aubaine pour les persécuteurs si la sainte relique tombe entre leurs mains !

Jusqu’en 1204, une succession de légendes et récits…

Quelques décennies après la crucifixion - en 66 – Jérusalem et toute la Galilée se révoltent contre les occupants romains. Les légions de Vespasien commandées par son fils Titus répriment sévèrement la rébellion, Jérusalem est mise à sac et le Temple détruit (70). Il est dit que certains judéo-chrétiens prévoyants s’éloignèrent en secret en emportant avec eux les objets les plus précieux, images et choses sacrées et auraient trouvé refuge à Pella (une des 10 villes de la Décapole, à l’est du Jourdain, aujourd’hui en Jordanie). Vers 530 un pèlerin italien visite Jérusalem et la vallée de la mer Morte. Son récit, conservé, indique qu’il a vu un couvent qui avait été bâti au milieu des rochers parce que c’était là que le suaire du Christ avait trouvé un abri… mais, avoue-t-il, je ne l’ai pas vu.

Les descendants de la petite communauté de judéo-chrétiens ont été très certainement obligés de continuer leur exode vers le nord. Est-ce durant la terrible répression d’Hadrien pendant la seconde guerre des Juifs (131) ? On ne sait, toujours est-il que des historiens et chercheurs admettent qu’ils auraient trouvé refuge à Edesse5. C’est la capitale du royaume osroène alors indépendant à l’ouest de la Mésopotamie entre 2 fleuves gigantesques, le Tigre et l’Euphrate et coincé entre l’Occident romain et l’Orient perse. On y parle araméen, la langue de Jésus et la première église chrétienne est construite vers 170 par le roi Abgar qui se déclare chrétien. C’est à cette époque que nait dans cette cité une extraordinaire notoriété pour une étoffe avec une empreinte acheiropoïète c'est-à-dire de l’effigie du Christ « non peinte de la main de l’homme ». La science nous permet de croire que l’empreinte avait largement eu le temps chimiquement nécessaire de devenir visible, les fibres en contact avec le corps en sueur et avec les substances aromatiques étaient devenues plus sombre pour reproduire les formes d’un corps humain.

Mais malheureusement Edesse, prise entre 2 empires dominateurs, le perse et le romain, ne pouvait rester en paix bien longtemps : elle fut assiégée et occupée maintes fois. On raconte qu’un évêque, sous l’occupation romaine du temps de Caracalla6 (vers 210), cacha la relique dans l’endroit le plus inaccessible et le mieux défendable de la ville : une niche tout en haut des célèbres murailles qui fut ensuite soigneusement scellée. En 544 l’évêque Eulalius, durant le siège de la ville par l’empereur perse Chosroès Ier fait un songe qui lui permet de retrouver le fameux tissu ; il organise une procession grandiose en exhibant la relique. Soudain un vent très fort se met à souffler attisant un feu qui, se dirigeant vers les assiégeants perses, détruit non seulement leur campement mais également leurs machines de guerre les obligeant à lever le siège !

Malgré l’occupation musulmane à partir de 638, le linceul reste dans la grande église d’Edesse construite par l’empereur romain Justinien, l’admirable Hagia Sophia, jusqu’en 944.

2 Ce sont des bandelettes que les Juifs utilisaient pour fermer le linceul à hauteur des pieds et de la tête

3 D’après L’Evangile des Hébreux il aurait été confié à la garde de Pierre.

4 Un suaire est un linge qui ne recouvre que le visage

5 Aujourd’hui Urfa en Turquie

6 …né à Lugdunum

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A Constantinople le 15 août de cette même année l’empereur Constantin VII Porphyrogénète (« né dans la pourpre7 ») accueille somptueusement le général Courcouas et l’archevêque Grégoire qui rapportent le suaire acheiropoïète d’Edesse, à l’abri dans son reliquaire d’or. Une victoire des armées byzantines sur les troupes musulmanes du calife de Bagdad avait permis au général de négocier un traité de paix en incluant la restitution de la relique qui revenait de droit à l’empire de Constantinople en tant qu’héritage du royaume chrétien d’Abgar.

Grégoire, le lendemain dans l’antique et fabuleuse basilique Hagia Sophia (Sainte Sophie), prononce une homélie – dont le texte nous est parvenu – devant l’empereur, le patriarche de l’église orthodoxe, la cour impériale et le peuple ébahi ; il évoque le linceul, l’empreinte du corps et du visage ainsi que les taches de sang du martyr …Ce sont elles [les sueurs] les ornements qui ont coloré l'empreinte véritable du Christ. Et l'empreinte, depuis qu'elles ont coulé, a été embellie par les gouttes de son propre sang. Les deux sont pleines d'enseignements: ici sang et eau, là sueur et figure. Quelle égalité des réalités, car elles proviennent d'un seul et même être8…

La précieuse relique restera dans un des sanctuaires du palais impérial de Blachernes, jusqu’aux sinistres jours du mois d’avril 1204 pendant lesquels les croisés français et vénitiens saccagèrent la cité la plus riche du monde qui, de toutes les autres était souveraine… en mettant Dieu en oubli9. On peut supposer que Robert de Cléry – un extrait de sa Conquête de Constantinople est au tout début de mon texte - est un des derniers personnages qui l’ont vue dans son reliquaire à Constantinople ; il la dénomme sydoine10… le sydoine où notre Sire fut enveloppé…

Cependant – de 944 à 1204 - elle a été de nombreuses fois montrée aux illustres visiteurs des empereurs11. En particulier Manuel Ier Comnène la montra au jeune Louis VII en octobre 1147 accompagné d’Aliénor, au roi de Jérusalem Amaury de Lusignan en 1171 et à une délégation hongroise venue négocier le mariage du fils de leur roi avec une fille de l’empereur12.

Ce qui redevient sûr et étrange…

La bibliothèque nationale de Budapest possède un étrange manuscrit en langue hongroise ; il

date – affirmation et certitude de spécialistes - des années 1192-1195 et est dénommé le codex de Pray (du nom du jésuite Georgius Pray qui l’a étudié en premier au XVIIIe Voir l’Annexe en fin de texte). Sur celui-ci une miniature – en 2 parties - représente le Christ nu étendu avec ses mains recouvrant le bas-ventre et en dessous les saintes femmes au tombeau à côté d’un linceul ; celle-ci comporte de tels détails qu’il ne fait aucun doute que le dessinateur a été en présence du linceul qui est actuellement à Turin… ce qui signifie que le linceul qui était à Constantinople à la fin du XIIe siècle est celui de Turin qui n’a donc pas été « fabriqué » entre 1260 et 1390, conclusion de la datation au carbone 14, d’une infime partie du suaire de Turin, réalisée en 1988 ! Nous en reparlerons.

En Champagne…

On ne sait absolument pas ce qu’est devenu le Saint Suaire d’avril 1204 à un certain jour du

printemps 1357 où il réapparait dans une église collégiale construite depuis peu dans un petit village de Champagne méridionale, à une quinzaine de kilomètres au sud de Troyes, Lirey dont le seigneur est (ou plutôt « était » » puisqu’il a trouvé la mort à côté de son roi , le peu glorieux Jean II dit

7 Se dit des empereurs nés alors que leur père était empereur (le trône n’est pas - en principe - héréditaire) car la chambre

de l’accouchée dans le palais impérial – dénommée la Porphyra – était garnie de porphyre pourpre égyptien 8 Source internet, site codexbezae

9 Du Champenois Geoffroy de Villehardouin dans son Histoire de la prise de Constantinople

10 Ou sydon, mot d’étymologie grecque. Les Byzantins l’ont aussi dénommé le mandylion

11 Comme le mentionne Robert de Cléry, elle était présentée au peuple tous les vendredis, déroulée au bord d’une fenêtre

12 Effectivement Béla, fils du roi Béza II, sera fiancé à Marie une des filles de Manuel et vivra quelque temps à

Constantinople mais les fiançailles seront rompues en 1169. En quelle année est venue la délégation ? J’ai lu en 1150 mais cela

ne semble pas vraisemblable car à cette époque Hongrois et Byzantins sont en guerre et Marie nait en 1152.

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le Bon, lors de la piteuse bataille de Poitiers le 19 septembre 1356) Geoffroy de Charny ! C’est son épouse Jeanne de Vergy qui dépose la sainte relique, qu’elle conservait précieusement dans un coffre, dans l’église de Lirey et en confie la garde aux chanoines. L’histoire de la relique devient maintenant une histoire européenne ! Comment est-elle parvenue dans ce village de 50 « feux »13 et depuis quand était-elle en possession de cette famille ? Nul ne le sait et ne le saura !

Geoffroy de Charny (né vers 1300-1305) est d’une obscure famille de petits nobles

campagnards originaire de Bourgogne puisque Charny – en Côte d’Or aujourd’hui - est en Pays Auxois ; leur château – du genre forteresse - situé sur un plateau rocheux dominant la vallée de l’Armançon est en ruines aujourd’hui. Elle était vassale du duc de Bourgogne.

Il a hérité de la petite seigneurie de Lirey par sa mère Marguerite de Joinville, dame de Lirey ; c’est une des filles du célèbre chroniqueur du roi Louis IX, Jean de Joinville (1224-1317) dont le suzerain est le comte de Champagne et roi de Navarre (successivement Thibaud IV, Thibaud V, Henri III puis Jeanne, la femme du roi Philippe IV le Bel).

D’après tous les chroniqueurs de l’époque et Froissart (1337-1404) en particulier (le « prince des chroniqueurs ») il est considéré comme un excellent chevalier et l’un des plus vaillants de son époque ; il est qualifié tantôt de chevalier bourguignon tantôt de chevalier champenois ! Début 1347 il reçoit – suprême honneur – des mains de son roi Philippe VI de Valois l’oriflamme de Saint-Denis, le célèbre étendard derrière lequel les troupes royales combattaient.

Il a été fait prisonnier – par les Anglais, on l’a deviné… - 2 fois, la première à la fin de l’année 1341 en Bretagne et la deuxième en essayant de reprendre Calais en 1349 (n’est pas François de Guise qui veut…) ; il sera emmené captif en Angleterre puis libéré sur parole afin de pouvoir rassembler le montant de sa rançon ; si on ne sait pas qui à payer la première, la seconde – 12 mille écus d’or - l’a été par le roi de France en juillet 1351 (donc Jean II). Conseiller du roi dès juin 1347, chevalier de l’ordre de l’Etoile14 en janvier 1352 il sera quelque temps gouverneur15 de la Picardie. En définitive simple « nobliau » par sa naissance il est devenu, par sa vaillance et son entregent, un personnage hors du commun, familier de la Cour royale.

Il est connu également comme le théoricien et le chantre du combat chevaleresque16 car il est l’auteur de 3 livres17 sur la chevalerie, écrits vraisemblablement dans les années 1350. En réalité ce sont plus des traités que des récits puisqu’ils mettent en avant les idéaux chevaleresques comme l’honneur, la fidélité et la discipline sur un champ de bataille… mais rien sur la stratégie et sur les raisons de l’échec de Crécy en 1346. Les barons français de l’époque se battaient courageusement certes, mais bêtement en se ruant les uns à côté des autres sur l’ennemi anglais qui lui, avait pris position sur un terrain qui l’avantageait avec des archers fort bien dissimulés. Poitiers, 10 ans après Crécy qui succède à L’Ecluse et précède Calais, montre bien que les Français n’ont rien appris et retenu de leur première défaite. L’inorganisation des troupes, l’orgueil, la morgue, le manque d’autorité des « chefs », l’inaptitude de ceux-ci à utiliser au mieux les ressources qu’ils avaient à disposition - hommes de guerres, environnement géographique - et la prétention du sot roi Jean ajoutés à des tactiques militaires héritées des temps passés ont provoqué le désastre au cours duquel Geoffroy a été tué voulant parer un coup de lance destiné à son roi tout en tenant la bannière souveraine de celui-ci… parmi les 6 à 8 mille hommes d’armes laissés pour morts sur le champ de bataille ! Là périt toute la fleur de la chevalerie de France et le noble royaume s’en trouva cruellement affaibli et tomba en grande misère…selon Froissart18.

13

Recensement de 1328 ordonné par Philippe VI de Valois, soit environ 250 personnes 14

C’est un ordre de chevalerie créé par Jean II à l’imitation de celui, anglais, de l’ordre de la Jarretière. A noter que notre

héros fait partie de la première promotion… normal puisque ses livres auraient inspiré le roi ! 15

Le représentant dans une province de la personne même du roi 16

Selon Jean Favier dans sa célèbre Guerre de Cent Ans 17

Le Livre de l’ordre de la Chevalerie, le Livre Charny et les Demandes pour la joute, les tournois et la guerre 18

Je ne peux m’empêcher de souligner les travers du roi Jean II, l’un des plus mauvais rois de tous les monarques capétiens.

Irréfléchi, entêté, il ne possédait – loin s’en faut – ni l’art de la guerre ni l’art de gouverner. N’oublions pas la réflexion de

Maurice Druon dans son 7e tome de ses célèbres Rois maudits …Philippe de Valois avait un fils que la peste, hélas, épargna…

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Mais revenons à Lirey… pour quelles raisons son seigneur a t-il eu le droit d’y faire construire une collégiale ? D’habitude c’est réserver aux « grands » barons, comtes ou ducs ! Pour abriter la relique et ainsi la protéger ? Nul ne le sait, toujours est-il que dès le mois de juin 1343 Philippe VI de Valois lui a accordé le droit de construire une église collégiale dans son village desservie par un chapitre de 5 chanoines19… avec une rente annuelle et perpétuelle de 260 livres. On peut effectivement s’interroger ; à cette époque Geoffroy n’a pas encore acquis la notoriété qui sera la sienne – à juste raison – quelques années plus tard. Le roi sait-il qu’il possède la sainte relique ? Est-ce lui qui la lui aurait cédée ? Autant de questions sans réponses.

Construite en bois en quelques mois l’église est ouverte officiellement le 20 juin 1353 en l’honneur de la sainte Trinité et sous le vocable de l’Annonciation de Marie. L’approbation du roi de France Jean II est du mois d’octobre et celle du pape Innocent VI en février 1354 par la délivrance de 3 bulles qui règlent la vie quotidienne du chapitre ; quant à celle de l’évêque de Troyes – diocèse dont dépend Lirey – elle est du… 18 mai 1356, de sa résidence d’été d’Aix en Othe, l’évêque de Troyes Henri II de Poitiers entérine la création de la collégiale.

Relation possible entre le Saint Suaire et la famille Charny

La possession du Saint Suaire par la famille de Charny est une énigme, mais il y a eu de la

part d’historiens – comme on peut s’en douter - émission de quelques hypothèses ! L’une d’elles me parait très intéressante :

En avril 1204 lors du pillage de Constantinople, le marquis Boniface de Montferrat20 et quelques uns de ses fidèles comme le croisé bourguignon Othon de la Roche pénètrent les premiers dans le palais impérial et l’église Ste-Marie de Blachernes… et « interviennent » sans témoins puisqu’ils avaient posté à l’entrée des hommes d’armes pour en interdire l’accès.

A l’issue de leur « folie sanguinaire » les chefs des croisés français et vénitiens se partagent l’empire byzantin, le marquis de Montferrat obtient une partie de la Grèce qu’il conquiert, se proclame roi de Thessalonique et nomme Othon de la Roche, duc d’Athènes.

Or en août 1205 Théodore Ange Comnène, un parent du dernier empereur, écrit au pape Innocent III une longue lettre sous forme de supplique … l’armée croisée est venue dévastée la ville de Constantin… ils ont pris les trésors d’or, d’argent, d’ivoire et se les sont partagés, aux Vénitiens les reliques des saints et aux Francs celle, sacrée entre toutes, du linceul dans lequel Notre Seigneur Jésus-Christ fut enveloppé après sa mort… Nous savons que les choses sacrées sont conservées à Venise, en France et dans d’autres lieux par les prédateurs… mais le Saint Suaire se trouve à Athènes…Les prédateurs peuvent garder l’or et l’argent pourvu qu’ils nous restituent ce qui est sacré : la chose pour laquelle mon frère et seigneur a placé le plus grand espoir dans ton intervention… La lettre21 est restée sans réponse si on considère le résultat, la relique ne fut pas restituée !

Des ecclésiastiques de haut rang, un légat du pape et l’abbé de Casole22 – qui a laissé des notes de voyage - sont passés également à Athènes durant cette année 1205 et ont vu le Saint Suaire.

La présence de la précieuse relique à Athènes était de plus en plus connue et pour Othon… il devint chaque jour plus difficile de conserver illégalement un tel objet ! Son acquisition était par trop scandaleuse et il était menacé d’excommunication ! On peut croire qu’il se libéra fin 1205 début 1206 de son butin sacrilège ! L’a-t-il confié aux Templiers afin qu’ils le remettent à sa famille en France ? Les Templiers l’ont-ils conservé ? Nul ne le sait.

Othon revint en France et vécut jusqu’en 1224 dans un château qu’il avait fait construire à Ray sur Saône, fief de son épouse Isabelle (en Franche-Comté aujourd’hui, département de la Haute-Saône).

19

Rien de comparable avec le chapitre de la collégiale de Saint-Etienne à Troyes fondé par le comte Henri Ier

en 1157 avec

72 chanoines... 20

Montferrat est une terre au nord-ouest de la péninsule italienne érigée en marquisat 21

C’est une copie dûment authentifiée de cette lettre qui a traversé les siècles 22

Du monastère S. Nicolas di Casole près d’Otrante

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Or Jeanne de Vergy, la femme de Geoffroy de Charny, est une descendante d’Othon !! Son grand-père est Jean de Vergy (1249-1310) dont Othon était l’aïeul. Isabelle de Ray née Isabelle de la Roche petite-fille d’Othon et arrière-grand-mère de Jeanne aurait, selon une tradition ancrée dans la famille, conservé le linceul à l’intérieur d’un coffre caché dans le château de Ray !

Il est étonnant quand même que la famille ait gardé durant plusieurs générations la relique cachée ! Sans doute par crainte de sanctions ecclésiastiques car l’Eglise avait obligé à ce que tous les « objets » ramenés de Constantinople soient identifiés et authentifiés – avant distribution dans toutes les églises de France et d’Italie - par un comité dirigé par Garnier de Trainel, évêque de Troyes… sous peine d’excommunication.

Les premières ostentations

Revenons en 1357. Pourquoi subitement, au début de l’année, Jeanne de Vergy sort le

« linceul du Christ » de sa cachette et l’expose dans l’église-collégiale de Lirey que son mari avait tant voulue fonder ? Pourquoi, dès la fin de la construction de la collégiale en 1353, Geoffroy n’a pas commencé les ostentations ? Mystères.

Toujours est-il que la présence de la relique dans ce village champenois provoque un vaste élan de foi et de dévotion. Les fidèles, venant de toutes les régions du royaume, affluent à Lirey qui devient l’un des lieux les plus fréquentés de la chrétienté… en quelque sorte un autre Rocamadour et Mont Saint Michel ! D’ailleurs une bulle du pape Innocent VI datée du 5 juin 1357 reconnait – d’une certaine manière - l’authenticité du linceul puisqu’il accorde une indulgence23 d’un an et de 40 jours à tous ceux qui visiteraient, avec dévotion l’église et y feraient une offrande…certains jours.

Durant le Moyen Âge les autorités ecclésiastiques en charge d’un site de pèlerinage se devaient de fabriquer une « enseigne », un petit objet en métal (alliage à base de plomb) avec une image qui caractérise le lieu et la raison de la dévotion. C’est en quelque sorte l’ancêtre de nos badges et pin’s et on peut supposer que chaque pèlerin était fier d’accrocher à son vêtement un tel médaillon ! Lirey n’échappe pas à cette mode. Une de ces « images ou plaques commémoratives »24 fut repêchée dans la Seine au niveau du pont au Change en 1855 lors d’une opération de dragage et un moule d’enseigne a été trouvé récemment dans les environs du village. Cependant les spécialistes ne sont pas sûrs que la plaque a été fabriquée avec le moule trouvé ce qui laisse croire qu’il y aurait eu au moins 2 types d’enseigne à Lirey ! L’enseigne retrouvée (62 mm x 45 mm) est une reproduction du suaire – les 2 empreintes, se touchant par la tête, ventrale et dorsale d’un homme étendu avec les mains croisées – au dessous de laquelle figurent les 2 blasons des familles Charny et Vergy (voir Annexe à la fin du texte).

Subitement les ostentations sont interrompues, après une année ou deux semble t-il, sans que

l’on sache aujourd’hui pour quelles raisons ! Encore un mystère. Certains évoquent l’interdiction émanant de l’évêque de Troyes Henri II de Poitiers qui, ne recevant pas suffisamment d’informations sur l’origine de l‘objet de la part de Jeanne de Vergy, met en doute son authenticité et interdit la présentation du linceul dans l’église. Cependant aucun document d’archive n’atteste cette version des faits. Et si tout simplement « l’objet » avait été caché à cause de l’insécurité qui règne alors en France et en Champagne principalement.

La période durant laquelle les évènements que nous évoquons ont lieu est la période la plus

effroyable, la plus sombre et la plus terrible de notre Histoire. Les pires calamités s’abattent sur le « beau » royaume de France à la tête duquel règnent de médiocres rois (les premiers Valois) dont le trône est contesté non seulement en Angleterre mais également en France !

23

D’une certaine manière c’est une réduction du temps de passage au purgatoire… 24

Elle est exposée à Paris au musée de Cluny (musée du Moyen Age) Voir mon diaporama sur authorstream.com

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7

C’est en 1337 la reprise des hostilités entre la France et l’Angleterre que la postérité appellera la « guerre de Cent Ans » ; ce sera cette fois une véritable guerre – à l’intérieur du royaume - avec batailles, saccages des villes et villages, destructions des récoltes, pillages des châteaux entrainant la déliquescence de l’économie (les foires de Champagne périclitent et la majorité des banques italiennes font faillite). Aux misères habituelles de la guerre s’ajoutent les ravages des brigands en bandes, c’est le fléau des Grandes Compagnies qui regroupent les gens de guerre, mercenaires démobilisés après les traités ou les trêves et qui pillent pour leur propre compte.

C’est la terrible « peste noire25 » qui, venant d’Asie par Marseille, s’installe durant l’été 1348 dans le royaume des lis, rejaillissant par périodes en 1353-1355, 1357, 1377-1378 et causant une hécatombe atroce, près de la moitié des hommes et femmes pour l’ensemble de la France26 !

C’est la fiscalité – royale et seigneuriale - qui s’appesantit puisque la guerre devient permanente. Les paysans remettent en cause l’emprise – féodale - de leurs seigneurs qui ne les protègent plus mais les accablent toujours d’impôts, ils se révoltent comme dans les environs de Beauvais en 1358, de Rouen en 1382 et en Languedoc en 1383. Le célèbre chroniqueur Jean de Venette27 résume la situation …En tous lieux s’appesantissait la misère, mais principalement dans les humbles classes rurales, dont les seigneurs aggravaient les maux en leur extorquant leur avoir…

La région qui nous occupe, la Champagne méridionale, n’est pas épargnée. Une armée de 2000 soldats commandée par Charles de Navarre (qui deviendra – pour l’Histoire - Charles le Mauvais), fils de Jeanne28 l’aînée des petits-enfants du roi Philippe IV le Bel, spolié du comté de Champagne par son ascendance féminine, allié aux Anglais, ravage la région durant l’été 1358. En 1359 et 1360 ce sont des troupes anglaises qui écument les environs de Troyes et s’emparent du château épiscopal d’Aix en Othe. Après la paix de Brétigny (1360) la forêt d’Othe – proche de Lirey - abrite des « routiers » qui pillent les beaux villages situés à l’orée de cette magnifique zone boisée comme Villemaur sur Vanne, autrefois lieu de pèlerinage fort prisé puisque saint Flavit y intercédait pour la guérison des fièvres…

De 1388 à 1418

Enfin bref il est tout à fait vraisemblable que les chanoines en accord avec Jeanne de Vergy

aient voulu cacher le Saint Suaire pour le mettre en sûreté et le protéger de la rapacité propre à la soldatesque française ou anglaise ou navarraise qui rôdait alors dans la région.

Dès 1388 il est, de nouveau, présenté à la ferveur et à la dévotion des fidèles et pèlerins (où a-

t-il été caché pendant près de 30 ans ?). Non sans difficulté semble-t-il, car il est le centre d’un important conflit entre l’évêché de Troyes et le chapitre des chanoines de Lirey arbitré par la papauté, celle d’Avignon bien entendu29 ! C’est une terrible querelle avec 3 personnages :

L’évêque de Troyes est Pierre d’Arcis (c’est le « régional de l’étape » puisque né à Arcis sur Aube), il semble avoir été têtu et vindicatif. Il est persuadé que la relique est un faux (c’est une peinture croit-il) ; il interdit au doyen de Lirey d’organiser des ostentations et à tous les curés du diocèse et à tout prédicateur d’évoquer en chaire le Saint Suaire… sous peine d’excommunication. Il a l’appui du roi Charles VI car, à la suite de la visite de celui-ci à Troyes début août 1389, on a ordonné au bailli d’aller se saisir du linceul à Lirey… mais il ne l’obtient pas !

Les chanoines et leur doyen – eux aussi intransigeants - n’ont jamais, à cette époque, tenu compte des injonctions de l’évêque – ils ont continué les ostentations - et ont refusé de remettre le

25

Elle aurait été une conjugaison de la peste bubonique transmise par la puce du rat et de la peste pulmonaire transmise

par la salive (d’après Georges Duby, Le Moyen Âge) 26

En réalité ce rapport est « tout compris », il comptabilise l’ensemble des morts dus aux guerres, à la peste et aux famines.

Selon Fernand Braudel, en 1328 le royaume comptait 20 à 22 millions d’habitants et en 1450 10 à 12 ! 27

Il s’appelle Jean, est né à Venette près de Compiègne et est carme de son état ; né vers 1307 et mort vers 1368 ! 28

C’est la fille de Louis dit le Hutin, fils aîné du roi Philippe IV ; c’est lui qui a hérité du comté de Champagne à la mort de sa

mère Jeanne de Navarre et comtesse de Champagne. 29

Nous sommes en plein schisme de la chrétienté : il y a 2 papes, l’un à Rome l’autre à Avignon soutenu par la France

Page 8: Le Saint Suaire de Turin... de la Champagne à la Savoie

8

suaire au bailli. Il faut croire qu’ils bénéficient d’un appui efficace ; c’est celui de Jeanne de Vergy qui est devenue, par son remariage en juin 1361 avec Aimon de Genève (seigneur d’Anthon, de Pérouges et de Varey par sa mère) cousine du pape avignonnais Clément VII (le père d’Aimon et un grand-père de Clément – de son vrai nom Robert de Genève - étaient frères). Son fils Geoffroy, 2e du nom, passe son temps, comme son père et à l’instar des chevaliers de son époque, à chevaucher et guerroyer pour le compte du roi de France. Mais en 1380 il se met au service du duc de Bourgogne Philippe II le Hardi. A priori il ne s’occupe guère des affaires de sa petite seigneurie de Lirey.

La position de Cément VII n’est pas connue avec exactitude. Aux réclamations et plaintes des uns et des autres (doyen et évêque) il répond par une bulle datée du 6 janvier 1390 mais l’original de celle-ci, malheureusement, est perdu ; les historiens et chercheurs aujourd’hui se réfèrent à 2 copies… différentes et annotées ! Il aurait, pour certains, donné entière satisfaction au doyen et aux chanoines en autorisant sans aucune restriction l’exposition du linceul (ce qui implique la reconnaissance de l’authenticité du sydoine), mais pour les autres au contraire il leur aurait donné une autorisation « a minima » …leur enjoignant d’expliquer aux pèlerins que « chaque fois qu’ils montreront le suaire à la foule, ils aient soin de dire à haute et intelligible voix que ce n’est pas le vrai linceul de Notre Seigneur, mais une toile peinte qui représente le Christ ». Qui croire ? Pour ma part je trouve la 2e hypothèse un peu farfelue sachant que l’époque n’est pas propice aux compromis mais plutôt soumise aux extrémismes qu’ils soient politique ou religieux !

De toute manière 2 protagonistes, l’évêque et le pape, meurent en 1394 et 1395 laissant une situation confuse et c’est dans la discrétion que les ostentations – avec autant de succès ? - se poursuivent jusqu’en 1418.

A Saint-Hippolyte en Bourgogne30

Le 6 juillet 1418 le chapitre de Notre-Dame-de-Lirey confie la pieuse relique au comte de la

Roche, Humbert de Villersexel. Pourquoi et qui est ce personnage ? En ce début du XVe siècle la France et la Champagne traversent de nouveau une période de

forte insécurité. C’est le temps de la « grande pitié du royaume de France » si dévasté qu’on n’y entend plus le chant du coq ou de la poule ! Nulle région ne fut épargnée et nombreuses sont les terres désertes et incultes, retournées à l’état sauvage et inhabitées. Etablie en dehors de toute protection, hors d’un rempart protecteur, la petite église de Lirey est exposée particulièrement aux effets de la guerre, guerre qui est devenue fratricide entre Armagnacs (partisans du dauphin Charles) et Bourguignons (partisans du duc de Bourgogne). Nous sommes – après la pitoyable défaite d’Azincourt31 - entre l’assassinat du duc d’Orléans (frère de Charles VI) en 1407 et celui – par vengeance – du commanditaire, le duc de Bourgogne à Montereau en 1419. Soumise à 3 dominations, celle des Anglais, des Bourguignons et du dauphin, la France est dévastée ; la région de Troyes est occupée par les partisans du duc de Bourgogne, conquête qui ne s’est pas réalisée sans exactions ni luttes sauvages ni incendies de fermes et villages.

La communauté religieuse de Lirey en charge d’un tel objet sacré a donc raison de le remettre à leur seigneur, Humbert de Villersexel.

C’est le 2e mari de Marguerite de Charny (le premier Jean de Bauffremont est mort à Azincourt) ; il

est comte de la Roche, seigneur de Villersexel32 et de Saint-Hippolyte. Marguerite est la fille aînée et héritière de Geoffroy II de Charny (décédé en 1398).

Il entrepose le linceul d’abord dans son château de Montfort situé sur la commune de Montigny près de Montbard, puis très rapidement (il a dû estimer que cet endroit n’est pas assez éloigné des zones de turbulences) dans une chapelle de l’église Notre-Dame de Saint-Hippolyte à environ 60 de

30

Franche-Comté aujourd’hui 31

Encore une fois c’est un désastre dû à l’indiscipline, au manque de cohésion et au peu de réflexion des « grands et nobles

seigneurs » français ! 32

Village de la Haute-Saône aujourd’hui entre Vesoul et Montbéliard

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nos kilomètres à l’est de Besançon. Cette collégiale – encore une – située dans un de ses fiefs, fondée au début du XIVe siècle au « fin fond » de l’ancien comté de Bourgogne en plein massif jurassien est un refuge idéal pour le Saint Suaire. Il y restera jusqu’en 1453… enfin ce sera son point d’ancrage car il voyagera beaucoup durant ces quelque 35 ans !

Bien entendu dès la fin de l’interminable conflit franco-anglais et le calme revenu près de Troyes les chanoines de Lirey réclament la sainte relique puisque, selon le document signé en 1418, ils l’avaient confiée en dépôt afin de la mettre en sureté et devait être restituée... dès que la tribulation qui à présent est en France sera finie… C’est le cas en mai 1443. Mais Marguerite de Charny (elle est veuve depuis 1438) ne veut en aucun cas remettre le linceul aux chanoines en estimant qu’elle en est la propriétaire, conquis qu’il a été par son grand-père feu messire Geoffroy de Charny et que la collégiale n’en avait eu que la garde !

Durant 10 ans (en 1446, en 1449, en 1452 en particulier) ce seront de longs et interminables procès entre Marguerite et le chapitre de Lirey ! A chaque fois elle obtiendra la garde de la relique pendant un certain temps en payant une amende ! Cela ne l’empêche pas – bien au contraire – de voyager et de présenter la relique en obtenant de substantiels revenus ! Ainsi elle est à Chimay en 1449 mais l’évêque de Liège l’expulse après que 2 ecclésiastiques aient déclaré que le linge n’était qu’une toile peinte avec « un art inédit ».

Lasse, et des voyages et des procès – on peut le supposer – elle se résigne à se séparer du

Saint Suaire en le cédant au duc de Savoie Louis Ier qui satisfait ainsi le désir ardent de sa femme la très pieuse Anne de Lusignan, fille du roi de Chypre33 Janus Ier. La transaction – même si le nom de « l’objet » n’est jamais mentionné - est signée à Genève le 22 mars 1453, elle obtient en compensation le château de Varembon34… dit-on dans tous les articles consacrés au linceul. Mais, permettez-moi d’en douter car à cette époque le château est rasé… et c’est une longue histoire qui implique un « triste sire » seigneur caractéristique de ces temps difficiles et troubles, impétueux, violent et imprévisible car rétif à toute autorité, François de la Palud, sire de Varambon (voir son histoire en Annexe) ! En réalité elle reçut – peut-être – les revenus de cette sirerie (fief bressan de la Savoie) puis ensuite, en échange, ceux de la châtellenie de Miribel.

Pourquoi la Savoie ? La question est légitime et pour y répondre essayons de nous mettre à la place de Marguerite

de Charny. Elle a certainement entre 55 et 60 ans (on ne connait pas sa date de naissance ; ses parents se

sont mariés en 1392…) et malgré 2 mariages elle n’a pas eu d’enfants, elle est donc sans héritier direct. Epuisée par ses pérégrinations où elle exhibe la sainte relique contre « monnaie sonnante et trébuchante » et par le litige – qu’elle devine sans fin - avec le chapitre de Lirey elle veut transmettre le Saint Suaire à une famille princière digne d‘intérêt.

La Savoie, en cette première partie du XVe siècle, est à son apogée de puissance et de gloire. Son premier duc, Amédée VIII (1383-1451), est le digne continuateur d’une lignée prestigieuse d’Amédée appelée « les illustres Amédée » ; chacun d’eux a su acheminer, avec prudence et opiniâtreté, leur Etat, la paisible Savoie, vers une certaine renommée. Amédée VIII surnommé le « Salomon de son siècle », uni avec une grande partie des familles régnantes en Europe, resté neutre durant la fin du misérable conflit franco-anglais-bourguignon35, est considéré comme talentueux et sage ; son Etat, bien administré, est un « oasis de paix » comme le souligne si bien Olivier de la Marche (1426-1502) diplomate et chroniqueur attaché à la cour bourguignonne… sous ses sages lois, la Savoie devint le pays le plus riche, le plus sûr et le plus plantureux du voisinage… En plus le duché est une province proche du Jura puisque, à cette époque, la

33

Celui-ci avait beaucoup perdu de sa superbe car il était en fait, vassal et sous la dépendance des Mamelouks d’Egypte ! 34

Situé près de Pont-d’Ain 35

Cependant il a joué un rôle important de conciliateur pour rapprocher les 2 « cousins » ennemis Charles VII et Philippe le

Bon. Voir mon texte La Savoie d’Amédée V à Amédée VIII sur slideshare.net

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Dombes, la Bresse, le Bugey, le Valromey, le Revermont, le Pays de Gex et celui de Vaud font partie de la Savoie.

Normal donc que dame Marguerite s’adresse à son prestigieux voisin même si Louis – qui règne en 1453 - le fils et successeur d’Amédée VIII, n’aura jamais la réputation de son père en s’avérant au fil des ans, faible et imprévoyant.

En Savoie

Il ne faut pas croire que la relique, devenue savoyarde, resta tranquillement en place à

Chambéry alors capitale du duché ! La dévotion du duc et de la duchesse pour le linceul du Christ était si grande qu’ils s’en séparaient difficilement et le faisaient transporter dans une châsse au cours de leurs déplacements, d’un château à l’autre… d’après Marie-José (1906-2001), la dernière reine d’Italie et excellente historienne de la dynastie des Savoie en rajoutant qu’une chronique de l’époque dit que la seule chose qui mérite d’être relatée dans la vie du duc Louis est l’acquisition du Saint Suaire !

Mais il ne faut pas oublier la persévérance de « nos amis les chanoines de Lirey » qui se sont aperçus, peut-être tardivement (le Champenois est pugnace mais lent…), que Marguerite de Charny s’était délestée du linceul au profit du duc de Savoie, ils écrivent donc à celui-ci (début 1464) pour demander soit la restitution de la relique vénérée soit une compensation financière avec dommage et intérêts. Par une lettre datée du 6 février 1464 Louis accorde une rente annuelle et perpétuelle de 50 écus d’or36 au chapitre de Lirey.

Insatisfaits, ils interviennent encore en mai 1473 auprès de la duchesse Yolande37 veuve d’Amédée IX (il a succédé à son père Louis en 1465) et régente durant la minorité de son fils Philibert puis auprès du roi de France XI ! En vain, le linceul restera en Savoie et ne retournera jamais en Champagne.

A la fin du XVe siècle il voyage beaucoup essentiellement en Piémont. Il est montré à la vénération des habitants de Verceil, Turin, Ivrée, Moncalieri, Pignerol, Suse, Rivoli, Avigliana, Savigliano, etc.

Entreposé jusqu’à lors dans l’église des franciscains – celle qui deviendra cathédrale en 1779 - le Saint Suaire prend place dans la chapelle du château ducal à Chambéry – qui devient la Sainte Chapelle - le 11 juin 1502, transfert solennel organisé par le duc Philibert II dit le Beau et son épouse Marguerite d’Autriche38. Sa construction, sous la direction de l’architecte et maître-maçon Nicolas Robert, est due à Amédée VIII qui l’a initiée en 1408 mais elle ne sera terminée qu’à la fin du XVe en ce qui concerne le « gros œuvre » car sa façade, baroque, date du XVIIe ! La relique prend place dans une cavité creusée derrière l’autel et n’est montrée à la population chambérienne que 2 fois par an, le vendredi saint et le 4 mai, date choisie par le pape Jules II en 1506 pour honorer l’objet saint.

Lorsque Philibert meurt subitement dans sa ville natale Pont d’Ain le 10 septembre 1504 le Saint Suaire est dans cette cité et le restera quelque temps. Son successeur et demi-frère Charles III le transporte – à proximité - au château de Billiat (près de Bellegarde), résidence de sa mère Claudine de Brosse mais est obligé de le rapatrier dans la chapelle ducale suite aux récriminations de la population chambérienne !

On sait qu’en mai 1516 le Saint Suaire est à Chambéry car François Ier – pour remercier Jésus qui l’a aidé, pense-t-il, à gagner la bataille de Marignan en septembre 1515 - vient le vénérer en provenance de Lyon ; il fait le trajet en empruntant l’ancienne voie romaine Bourgoin, La Tour du Pin, Pont de Beauvoisin, Aiguebelette et franchit la montagne de l’Epine par le col St Michel39.

La terrible nuit du 3 au 4 décembre 1532

36

Ecu d’or qui remplace le franc or de Jean le Bon 37

Fille de Charles VII donc sœur de Louis XI 38

Chacun sait qu’elle est à l’origine de la construction de la magnifique église de Brou où elle est inhumée avec son mari 39

Voir mon texte Les routes reliant Lyon à Chambéry à travers les siècles sur slideshare.net

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C’est la fameuse nuit durant laquelle le linceul a failli brûler et disparaitre ! Un important incendie endommage la chapelle dont la façade s’écroule en détruisant les magnifiques vitraux gothiques. Le linceul se trouve dans un coffret d’argent finement travaillé avec des ornements en or (réalisé par un orfèvre flamand commandité par Marguerite d’Autriche) et celui-ci dans une niche de l’abside. La chaleur est telle qu’elle provoque la fusion d’une partie du coffret et que quelques gouttes d’argent incandescent tombent à l’intérieur : un angle de tissu replié est carbonisé et un autre roussi ! Grâce à l’intervention de 4 courageux personnages le coffret est sorti du brasier puis refroidi avec des seaux d’eau mais malheureusement il n’est pas étanche et des gouttes d’eau atteignent l‘intérieur en dessinant des auréoles sur le tissu.

En Savoie… suite et fin

Le linceul fait l’objet d’une inspection minutieuse dans les mois qui suivent : endommagé par

l’incendie certes mais les « images » ne sont pas impactées. Il est remis solennellement le 16 avril 1534 aux sœurs clarisses du couvent Sainte-Claire-en-Ville40 de Chambéry pour « réparations ».

Celles-ci feront un procès verbal de l’état du Saint Suaire à sa réception et des réparations qu’elles ont effectuées : aux 16 endroits endommagés du tissu elles ont cousu des pièces de corporal (linge liturgique) et « fixé » le linceul sur une toile de lin de Hollande qui recouvre totalement « sa face arrière ».

La restauration terminée, elles restituent le linceul le 2 mai 1534. A cette époque la Savoie, autrefois paisible contrée, va devenir – coincée qu’elle est entre la

France redevenue conquérante et l’Empire germanique dont le monarque, Charles Quint, règne sur l’Autriche, l’Espagne, les Flandres, le Milanais entre autres – une province d’affrontement et d’invasions… quand elle ne sera pas occupée !

Par précaution en 1535 Charles III transporte le Saint Suaire de Chambéry à Turin par le col d’Arnas en Haute-Maurienne qui relie Bessans (entre Lanslebourg et Bonneval) à Balme dans le val d’Ala. D’après le prince le passage par ce sentier (même aujourd’hui il n’y a pas de route carrossable) est plus sûr que par le col beaucoup trop emprunté du Mont-Cenis. Dès février 1536 les troupes françaises commandées par l’amiral Chabot investissent Chambéry et envahissent le duché ! Craignant que les Français atteignent Turin le duc se réfugie à Verceil (entre Turin et Milan) puis Nice où le Saint Suaire va rester dans la citadelle du château jusqu’en 154341. Les historiens niçois racontent qu’il fut exposé à la vénération des fidèles le 30 mars 1537 du haut d’une tour de la forteresse.

L’occupation française de la Savoie – la première - va durer jusqu’au traité de Cateau-Cambrésis signé en mars et avril 1559. La nouvelle situation géopolitique ainsi créée (la reconnaissance de la prédominance de l’Espagne) permet au duc Emmanuel-Philibert (qui a remplacé son père en août 1553) de recouvrer ses Etats. La réconciliation franco-savoyarde est consolidée par le mariage de son duc avec Marguerite, la propre sœur du roi de France Henri II. Avec la paix le Saint Suaire peut revenir en Savoie ; ainsi le 4 juin 1561 il retrouve sa place dans la chapelle ducale à l’intérieur d’un coffret de fer.

En juillet 1566 il est à Annecy pour l’entrée officielle d’Anne d’Este qui vient d’épouser Jacques de Savoie, duc de Nemours et de Genève… ce sera la dernière ostentation qui aura lieu sur le territoire de l’ancestral duché de Savoie.

Le 14 septembre 1578 le Saint Suaire retourne à Turin et il y restera… définitivement puisque c’est la capitale de la Savoie et du Piémont depuis 1563. Le duc Emmanuel-Philibert a dû estimer

40

Les clarisses étaient des franciscaines. D’après Réjane Brondy (Chambéry, histoire d’une capitale 1350-1560) le couvent –

fondé par la duchesse Yolande en 1471 - devait se situer entre l’avenue Général de Gaulle et la rue de Boigne aujourd’hui et il y

avait aussi un couvent Sainte-Claire-hors-la-vile… (au sud de la place Monge actuelle ?) !! 41

On peut supposer qu’il s’éloigne de la ville avant le siège de celle-ci par les troupes franco-turques en août

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que les rives du Pô étaient plus sûres que celles de la Leysse… en mettant la chaîne des Alpes entre sa capitale – où se trouve la précieuse relique - et la France42 !

Quelques constatations essentielles

Il me semble que le plus extraordinaire dans l’histoire du Saint Suaire est… qu’il existe encore

aujourd’hui ! Quand on suit l’itinéraire de ce « morceau de tissu » depuis 1357, quand on imagine tous les voyages qu’il a effectués, toutes les expositions publiques et toutes les manipulations qu’il a subies ainsi que tous les périls auxquels il a dû échapper, on peut presque parler de miracle qu’il soit parvenu jusqu’à nous et ce, dans un état convenable ! Et si on croit qu’il ne date pas de l’époque médiévale mais du début de notre ère c’est encore pire.

Au fait, à ce propos, qu’en est-il exactement ? Il nous faut évoquer le fameux test de datation au carbone 14 effectué en 1988 dont les

résultats ont été publiés en février de l’année suivante. Il conclut que « le lin du suaire peut être daté de 1260 à 1390 avec un intervalle de confiance de 95%. Ces résultats apportent la preuve définitive que le lin du Suaire de Turin est médiéval ».

Contrairement à ce qu’on pourrait croire ce résultat n’a pas mis fin à la polémique sur l’origine et l’authenticité du suaire… bien au contraire !

En réalité toute personne informée sur l’histoire du suaire se trouve confronter à un dilemme : d’un côté la datation au carbone 14 nous indique que le suaire est un « faux moyenâgeux » du XIVe environ et de l’autre nous avons le codex de Pray (voir page 3) qui prouve l’existence de ce même suaire à la fin du XIIe !

Qui croire ? Et c‘est encore plus compliqué si on prend connaissance des conclusions de certains experts en tissus anciens comme Madame Flury-Lemberg… " Le tissu de lin du suaire de Turin ne montre aucune technique de tissage ou de couture qui pourrait témoigner contre son origine, à savoir une fabrication de haute qualité produit par des tisserands du 1er siècle " et elle conclut « Mon opinion est que le suaire n’est pas un faux médiéval. Les ressemblances que j’ai découvertes indiquent qu’il pourrait avoir existé au temps de Jésus et là où se trouve ce qui est maintenant Israël43 ».

En fait le problème se situe au niveau de l’échantillonnage c'est-à-dire du morceau du suaire prélevé (1 cm sur 7 cm environ) soumis au test de radiodatation44. Pour ceux qui soutiennent l’authenticité du suaire, il n’est pas représentatif car son poids moyen …est de 17,85 mg au cm2 de plus que le poids moyen de la totalité du suaire qui est de 25 mg au cm2. Cela signifie que ce fragment était chargé d’une forte quantité de matériau textile étranger au tissu d’origine selon Maria Grazia Siliato auteure du remarquable livre Contre- Enquête sur le Saint Suaire.

Que chacun se détermine. Pour ma part je pense que le Saint Suaire ne date pas du Moyen Age ; d’ailleurs, par quel

moyen ou par quel artifice les « images » auraient été réalisées ? Aujourd’hui il est convenu qu’aucune technologie ne permet de reproduire un phénomène analogue !

Quant à dire si c’est le corps de Jésus Christ qui a été enveloppé dans le suaire… c’est une autre histoire même si certains spécialistes en sont persuadés car il a été le seul crucifié couronné d’épines… (et le linceul en garde les traces). L’Eglise, quant à elle, n’a jamais cru devoir prendre position ; c’est le reflet de son habituelle prudence.

Conclusion

42

Effectivement la France a essayé de voler le Saint Suaire. En 1553 après la mort de Charles III à Verceil la ville est occupée

par les troupes françaises commandées par le maréchal de Brissac… qui soupçonnait la présence du précieux linceul dans la cité

et le fit rechercher, en vain. 43

Ces 2 citations proviennent du site suaire-science.com 44

Rappelons que ce type de tests est destructif, cela veut dire que l’échantillon n’est pas récupérable

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Marguerite de Charny est morte le 7 octobre 1460, peu de temps après qu’elle ait cédé son précieux tissu et on ne sait pas exactement si elle a touché réellement les revenus de Varambon ou de Miribel. Elle était excommuniée – par le tribunal ecclésiastique de Besançon - depuis le 30 mai 1457 pour ne pas avoir rendu le Saint Suaire aux chanoines de Lirey et ne pas avoir payé les amendes consenties pour le conserver !

Aujourd’hui dans la chapelle de l’église de St Hippolyte une plaque commémorative rappelle aux fidèles la présence de la sainte relique pendant trente quatre ans ; elle remplace une fresque détruite pendant la Révolution, image du précieux tissu.

La première église collégiale de Lirey, celle construire en bois par le noble et preux chevalier Geoffroy Ier de Charny, a été démolie et remplacée par une autre – toujours dans le cadre de la collégiale – construite en pierre de Tonnerre, consacrée le 27 mars 1526. La collégiale – qui se maintient petitement avec 4 à 5 chanoines durant de longs siècles – ne résiste pas aux troubles révolutionnaires et est dissoute, ses biens fonciers seront vendus le 4 avril 1792. L’église est démolie en 1828 et celle qui existe aujourd’hui date de la fin du XIXe. Je serais curieux de savoir si on évoque parfois le Saint Suaire dans ce petit village champenois ? Certainement pas à croire Alain Hourseau qui écrit qu’il [le village] est complètement oublié alors qu’il était universellement connu durant le Moyen Age et qu’aucune pancarte et aucun support touristique n’indiquent son passé glorieux45 ! Je peux apporter ma contribution : aubois de naissance et ayant vécu ma prime jeunesse à proximité de Lirey (à Estissac en particulier) je n’ai jamais entendu mes parents – instituteurs férus d’histoire et ma mère très pieuse – évoquer le Saint Suaire !

La Sainte Chapelle de Chambéry a été restaurée après l’incendie de 1532. Il a fallu attendre 15 ans pour que les vitraux du chœur soient remplacés, ce sont ceux que l’on peut voir aujourd’hui. Quant à la façade elle a été refaite dans le style baroque par la volonté de Christine de France, fille d’Henri IV et épouse de Victor-Amédée Ier, duc de Savoie de 1630 à 1637. Elle est surtout célèbre aujourd’hui pour son grand carillon dit de « Saint François de Salles » composé de 70 cloches dont les concerts sont réputés dans le monde entier ; implanté dans la tour Yolande de France située au dessus du chevet il date du XXe siècle. Elle a fait l’objet de 2009 à 2013 d’importants travaux intérieurs de restauration.

Sources

Deux livres m’ont guidé : Contre-enquête sur le Saint Suaire de Maria Grazia Siliato écrit en

1997 et Autour du Saint Suaire et de la collégiale de Lirey (Aube) d’un érudit aubois46 nommé Alain Hourseau écrit en 2013.

L’article d’Alain Decaux dans un Historama daté de juin 1972 Le suaire de Turin fut-il celui du Christ ? m’a surtout servi pour retracer les premières années du linceul.

J’ai trouvé des précisions sur quelques sites Internet qui m’ont paru sérieux, Le suaire et la science et Les sources scripturaires depuis le Mandylion d'Edesse au Linceul de Turin et consulté une partie d’un livre écrit en 2001 intitulé 101 questions sur le Saint Suaire de Pierluigi Baima Bollone.

Annexe I - François de la Palud, sire de Varambon « fait son apparition dans l’histoire » lors de la

bataille d’Anthon le 10 juin 143047 ! Il a été mandaté par son duc Amédée VIII pour commander le contingent de 3 mille hommes que celui-ci envoie à Louis de Chalon, le Bourguignon pour lutter contre Louis de Saluces, le Dauphinois (donc français), les 2 Louis se disputant les terres d’Anthon depuis la mort, à la bataille de Verneuil en août 1424, de son seigneur Bernard de Saluces.

45

A. Hourseau m’a fait savoir (10/2014) qu’il avait obtenu l’autorisation de poser des panneaux historiques dans le village 46

Oui je sais c’est un pléonasme… 47

Anthon est un bourg situé rive gauche du Rhône au niveau de son confluent avec l’Ain. Voir le pourquoi et le comment de

cette confrontation dans mon texte Les batailles près de Lyon sur slideshare.net

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Malgré la défaite des Bourguignons il s’illustre, est fait prisonnier (il sera libéré peu de temps après à la suite du versement d’une forte rançon) et a l’appendice nasal sectionné par un coup d’épée, l’obligeant désormais à porter un nez coulé en argent.

L’année suivante en mars 1431, pour se venger on suppose, il va saccager Trévoux avec un groupe de nobliaux régionaux et moleste quelques familles juives. Comme la cité fait partie du duché de Bourbon depuis le début du siècle (avec un régime spécial cependant car elle est, théoriquement du moins, « terre d’empire » : c’est l’origine de l’Etat souverain de la principauté de Dombes) Amédée VIII reçoit les protestations du comte de Clermont, fils du duc Jean Ier de Bourbon prisonnier à Londres depuis Azincourt. Pour démontrer qu’il n’est pas l’instigateur de cet acte de vandalisme Amédée est obligé de composer. Par un traité signé à Lyon il s’engage à verser une forte indemnité à la cité pour réparer les dommages et à saisir les terres et châteaux de La Palud (Varambon en particulier). Quant à sa promesse d’arrêter et de punir le coupable, il ne pourra la tenir car…celui-ci s’était déjà réfugié chez le duc de Bourgogne !

En 1451 il fomente – avec quelques nobles savoyards comme le maréchal de Savoie Jean de Seyssel - une tentative d’assassinat contre le favori du couple ducal Jean de Compey, sire de Thorens réputé pour être un fieffé courtisan et un intrigant notoire. Les comploteurs sont bannis par le Conseil ducal et leurs châteaux devront être soit occupés soit rasés et ce fut le cas du celui de Varambon.

Ils font appel au roi de France Charles VII – auréolé de la récupération de la Normandie aux Anglais - pas mécontent d’intervenir dans les affaires savoyardes (il est fort mécontent du duc qui a marié sa fille au dauphin Louis sans son consentement). Le 27 octobre 1452 à Cleppé près de Feurs, le roi fait pression sur le duc Louis qui n’a pas, loin de là, les qualités de négociateur de son père, et qui sera obligé de faire amende honorable et de signer un traité pour le moins désobligeant pour la Savoie par lequel il se met sous la protection de la France et se désolidarise du dauphin48 !

Le roi exige la restitution des biens de François de la Pallud mais comme son château de Varambon a déjà été démoli il obtient une compensation de 12 mille écus.

Pour clore l’histoire de cet impétueux personnage il faut mentionner qu’il s’est marié en 2e noce (en 1342) à la nièce d’Humbert de Villersexel et lorsque celui-ci meurt en 1438, ses biens reviennent à la nièce et donc à notre personnage… neveu par alliance de Marguerite de Charny !

II – Enseigne de Lirey Source : wikipedia

Enseigne du pèlerinage de Lirey représentant le suaire de Turin (Croquis d'Arthur Forgeais,

1865) seconde moitié du XIVe. On identifie les 2 empreintes du suaire et en dessous les blasons des familles Charny et Vergy

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D’après Paul Murray Kendall dans son prodigieux Louis XI

Page 15: Le Saint Suaire de Turin... de la Champagne à la Savoie

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III – Le codex de Pray Source : http://www.suaire-science.com/index.htm

IV – Geoffroy de Charny Source Wikipedia

Geoffroi de Charny (à gauche, reconnaissable, non pas à sa figure… mais à son blason) affrontant Edouard III

lors de sa tentative pour reprendre Calais en 1349/50, d'après un manuscrit enluminé des Chroniques de Froissart.