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Regards sur la politique des forêts en France Emmanuelle Neyroumande et Daniel Vallauri © WWF/Canon

Regards sur la politique des forêts en france 2011

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Depuis le Moyen-Âge, le Royaume puis la Nation ont lutté pour maintenir, puis développer, des ressources forestières soumises aux pressions fortes des besoins de la société française. Cette vision patrimoniale mais utilitariste de la ressource a accompagné la restauration quantitative progressive de la couverture boisée depuis la fin du XIXe siècle. Après la seconde guerre mondiale, une vision productiviste, imitant le développement agricole, l’a remplacée, alors même que la déprise rurale mais aussi les préoccupations concernant les loisirs, puis plus tard la biodiversité et le développement durable, transformaient la réalité sociétale des forêts françaises. Lorsque la gestion de la forêt devenait officiellement multifonctionnelle (loi de 2001), les moyens pour l’y inciter n’étaient pas en place, voire réduits. Le rôle social et environnemental de la forêt, unanimement reconnu, a été délégué aux choix du rédacteur du plan d’aménagement, considéré « garantie de gestion durable », et aux schémas de certification volontaire. Récolter plus de bois est resté constamment la priorité, prétendument pour « diminuer le déficit de la balance commerciale » de la filière forêts-bois, de « payer » la gestion et les autres fonctions, puis aujourd’hui pour « lutter contre les changements climatiques ». Or les connaissances scientifiques et les expériences de terrain de gestionnaires innovants montrent qu’il est au contraire urgent de rénover cette vision erronée, et de fonder les modes de gestion sur la résilience écologique et la plasticité économique des forêts, dont diversité, naturalité et économie en travaux sont des éléments clef. Les forêts françaises sont globalement encore jeunes et en cours de recapitalisation après des siècles de sur-exploitation. Ce fait laisse plus de flexibilité au gestionnaire d’aujourd’hui, notamment face aux aléas climatiques, et permet d’envisager de stocker plus de carbone en forêt. Il est temps aujourd’hui de dépasser les a priori, de regarder avec objectivité les connaissances scientifiques et les réalités des forêts en vue de fonder une autre vision mieux en phase avec les enjeux du XXIe siècle. Plus que jamais depuis un siècle, les choix politiques sont cruciaux pour l’avenir de la qualité des forêts françaises.

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Remerciements :Les auteurs et le WWF remercient tous ceux qui, anonymement, ontcontribué à la réalisation de cette synthèse, par le partage de leurs idées,expérience et ressources historiques, ainsi que leur relecture attentive etcritique de la première version du manuscrit.

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Résumé - Regards sur la politique des forêts en FranceDepuis le Moyen-Âge, le Royaume puis la Nation ont lutté pour maintenir, puis développer, desressources forestières soumises aux pressions fortes des besoins de la société française. Cettevision patrimoniale mais utilitariste de la ressource a accompagné la restauration quantitativeprogressive de la couverture boisée depuis la fin du XIXe siècle. Après la seconde guerre mondiale,une vision productiviste, imitant le développement agricole, l’a remplacée, alors même que ladéprise rurale mais aussi les préoccupations concernant les loisirs, puis plus tard la biodiversitéet le développement durable, transformaient la réalité sociétale des forêts françaises. Lorsque lagestion de la forêt devenait officiellement multifonctionnelle (loi de 2001), les moyens pour l’yinciter n’étaient pas en place, voire réduits. Le rôle social et environnemental de la forêt,unanimement reconnu, a été délégué aux choix du rédacteur du plan d’aménagement, considéré« garantie de gestion durable », et aux schémas de certification volontaire. Récolter plus de boisest resté constamment la priorité, prétendument pour « diminuer le déficit de la balancecommerciale » de la filière forêts-bois, de « payer » la gestion et les autres fonctions, puisaujourd’hui pour « lutter contre les changements climatiques ». Or les connaissances scientifiqueset les expériences de terrain de gestionnaires innovants montrent qu’il est au contraire urgent derénover cette vision erronée, et de fonder les modes de gestion sur la résilience écologique et laplasticité économique des forêts, dont diversité, naturalité et économie en travaux sont deséléments clef. Les forêts françaises sont globalement encore jeunes et en cours de recapitalisationaprès des siècles de sur-exploitation. Ce fait laisse plus de flexibilité au gestionnaire d’aujourd’hui,notamment face aux aléas climatiques, et permet d’envisager de stocker plus de carbone en forêt.Il est temps aujourd’hui de dépasser les a priori, de regarder avec objectivité les connaissancesscientifiques et les réalités des forêts en vue de fonder une autre vision mieux en phase avec lesenjeux du XXIe siècle. Plus que jamais depuis un siècle, les choix politiques sont cruciaux pourl’avenir de la qualité des forêts françaises.

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Summary – A look on forest policies in FranceSince the Middle-Age, the Kingdom and then the Nation have fought to maintain and develop forestresources despite the strong pressures linked to the needs of French society. The vision, which wasboth based on natural resources heritage and utilitarian perspectives, enabled quantitativerestoration of the forest cover since the end of the XIXth century. After WWII, a productivist vision,mimicking agriculture development, replaced the previous one, while at same time ruralabandonment but also recreation, and later biodiversity and sustainable development, hadtransformed the social context of French forests. When forest management became officiallymultifunctional (law of 2001), the means to promote it were no more in place, or reduced. The socialand environmental role of forest, unanimously acknowledged, has been delegated to choices madeduring the writing of management plans, considered as the “sustainable management guarantee”,and also to voluntary certification scheme. Supposedly to “reduce the commercial balance deficit”of the wood industry, or to “pay” the management costs of the other functions, or today to “fightclimate change”, harvesting more wood stayed a constant priority. On the contrary, the scientificknowledge and the field experience of innovative managers show that it is urgent to renovate thisfalse vision, and to base management rules on ecosystem resilience and economic plasticity offorests, for which diversity, naturalness and a sparingly use of costly works are keystone. The Frenchforest are overall still young and in a process of recapitalisation after centuries of over-exploitation.It gives to managers a certain flexibility, especially in order to face climate change, and enable theincrease of the forest carbon stock in the forest itself. It is time to overpass biased visions, to analysewith objectivity scientific knowledge on forest ecosystems and other forests realities in order tolaunch another vision more adapted to the stakes of the XXIth century. More than ever since acentury, the political orientations are vital for the future quality of French forests.

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Sommaire

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SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Politiques d’un temps de pénurie (1291-1827) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8Les premières politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8Gérées durablement depuis 1291 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Les politiques de reconquête (1850-1939) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10L’âge d’or des forestiers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10Changement de paradigme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10Une foresterie cartésienne s’affirme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Produire plus tout en protégeant mieux ? (1950-1985) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Aménager et produire pour la nation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Combler le déficit de la balance commerciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2Aménager n’est pas (forcément) bien gérer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13Une forêt patrimoine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13L’impossible conciliation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14Un vieux slogan qui pourrait resservir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14Vers une gestion multifonctionnelle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15Une période politique duale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Vers une politique de gestion durable des forêts (1985-1999). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Menace sur les forêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Une ambition mondiale : le développement durable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Les réticences du microcosme forestier français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18Obliger à la gestion durable ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19Qui paie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

Si les certitudes vacillent (2000-2003) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22Tempêtes du siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22Débat sur les valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

L’heure de la récolte est venue ? (2003-…) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Exploiter plus pour sauver la planète ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Une Stratégie Nationale pour la Biodiversité à contre-courant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26La forêt, lumière du Grenelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27Urmatt, un discours productiviste sans nuance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28Toujours et encore le déficit commercial !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Voie d’avenir : plus d’écologie pour s’adapter aux enjeux du XXIe siècle ? . . . . . . 31Les deux voies de l’adaptation : biodiversité & résilience ou artifices ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31Quelle gestion forestière favorise à la fois la biodiversité et la résilience ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31La biodiversité, atout du forestier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33La futaie continue et irrégulière, une option intéressante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33Des orientations politiques à l’encontre des données scientifiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33Stocker du carbone dans des forêts « vieillies » ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34Capitaliser pour augmenter la résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Redéfinir le rôle des produits forestiers ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37Les constantes de la culture forestière française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37Quels seraient les principes directeurs d’une alternative d’avenir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Références. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

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Introduction

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INTRODUCTION

Les politiques forestières ont évolué au fil dutemps sous diverses impulsions sociétales, éco-nomiques, climatiques… L’objet de ce rapportest d’identifier les courants de pensées et lespréoccupations qui ont dirigé l’évolution despolitiques forestières de la France, en se basantessentiellement sur l’un de leurs résultats écrits,les lois et rapports réalisés pour l’Etat. En effet,ces derniers reflètent la plupart du temps lecourant de pensée dominant, et justifient sou-vent – bien que pas systématiquement – lesorientations politiques mises en œuvre.

Identifier les constantes, mais aussi les évolu-tions passées et récentes, permet de mieuxcomprendre le fil de l’histoire politique etforestière, ses hésitations, ses retours enarrière. Au commencement d’un millénaire oùseule l’incertitude est certaine, tant sur le planclimatique qu’économique, ce retour sur lepassé cherche à partager cet histoire et ses legs,contribuer au débat nécessaire et, si possible,éclairer les décisions futures.

A travers un bref rappel des politiques menéesdu Moyen-Âge jusqu’à la seconde guerre mon-diale, les deux mouvements clefs de déforesta-tion/dégradation puis de restauration de la

couverture boisée sont exposés. Puis la périodede l’après guerre voit se développer en paral-lèle une politique productiviste et de protectiondu patrimoine, jusqu’à la naissance de la thé-matique du développement durable dans lesannées 90. Jusqu’aux tempêtes de 1999, ledébat autour de la gestion durable et de la mul-tifonctionnalité des forêts prend lentementforme, non sans antagonismes forts. La périodequi suit les tempêtes de 1999 est une périodede remise en cause des choix sylvicoles et degrands questionnements ouverts, sous la pres-sion de la société et des médias notamment. Aposteriori, c’était une période où tout semblaitpossible pour une évolution en profondeur.Malheureusement, ce rendez-vous avec l’his-toire est manqué. Aujourd’hui, malgré l’émer-gence lente de la prise de conscience deschangements climatiques dans les milieuxforestiers et, paradoxalement grâce au Grenellede l’Environnement (2007), la vision producti-viste est fortement de retour. Enfin, sur la basedes connaissances scientifiques actuelles surles écosystèmes et de l’expérience de gestion-naires innovants, des pistes sont données pourune rénovation politique plus que jamaisnécessaire pour l’avenir de la qualité des forêtset de leur biodiversité.

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Politiques d’un temps de pénurie (1291-1827)

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POLITIQUES D’UN TEMPS DE PÉNURIE(1291-1827)

Les premières politiquesPhilippe le Bel crée l’administration des Eauxet Forêts en 1291 et l’ordonnance de Brunoysignée par Philippe VI de Valois instaure uneébauche de Code forestier pour le Royaume en1346. Cette dernière ordonnance précise que« les maîtres des eaux et forêts enquerront etvisiteront toutes les forez et bois et feront lesventes qui y sont, en regard à ce que les ditesforez puissent perpétuellement soutenir en bonestat » (analysé par Arnould, 2001). Ainsi,dans les forêts du roi, par exemple en cas decoupe, 10 arbres doivent être gardés par arpent(soit 0,5 ha) aussi bien dans les taillis que dansles futaies, et le défrichement est contrôlé pourlutter contre les pressions fortes des usagesagricoles.

Trois siècles plus tard, l’état des forêts nes’améliorant pourtant pas, l’ordonnance deColbert (1669) marque la volonté de voir lesforêts « produire avec abondance au publictous les avantages qu’il peut en espérer »,identifiant les différents « usages » en forêt,alors très variés, et établissant des règles degestion afin que les bois soient abattus « sui-vant la possibilité des forêts ». Des inventairesprécis des ressources disponibles pour leRoyaume et l’armée sont réalisés, et des prin-cipes et contrôles limitant le pâturage, lachasse, l’utilisation des glandées sont posés.Les taillis doivent avoir une rotation supérieureà 10 ans, et 16 tiges par arpent doivent êtreréservées en futaie en cas de coupe, y comprisdans les forêts privées. Les forêts des commu-nautés doivent de plus réserver ¼ de la surfaceen futaie (« quart en réserve »).

Gérées durablement depuis 1291 ?Certains forestiers français estiment quedepuis sept siècles les forêts seraient géréesselon les principes de la gestion durable. Bienavant la formulation internationale de ceconcept à la fin du XXe siècle (Brundtland,1987). Rappelons que, tel que défini dans l’ar-ticle L1 du code forestier aujourd’hui envigueur, « la gestion durable des forêts garan-tit leur diversité biologique, leur productivité,leur capacité de régénération, leur vitalité etleur capacité à satisfaire, actuellement et pourl’avenir, les fonctions économique, écologiqueet sociale pertinentes, aux niveaux local, natio-nal et international, sans causer de préjudicesà d’autres écosystèmes ».

La réalité de l’histoire des forêts françaisesmontre que jusqu’au XIXe siècle, les forêts sontsurexploitées par une société qui dépend forte-ment de leurs ressources pour survivre. Lesforêts sont en effet défrichées pour augmenterla production agricole au cours de plusieursvagues successives et surexploitées pour demultiples produits, notamment à des fins éner-gétiques. Le bois est la seule source d’énergieexistante à l’époque pour le développement del’artisanat, puis de l’industrie naissante. Lemanque de bois – surtout de bois de marine –inquiète également les dirigeants militaires. Lapolitique forestière du Royaume répond pro-gressivement à ce contexte de surexploitationgénéralisée des ressources des forêts, en pre-mier lieu en organisant une administrationresponsable des eaux et forêts, mise en pre-mière ligne d’un combat social difficile. Mais,c’est le maintien d’une production durable debois, en plus de la chasse, qui motive principa-lement la rédaction des ordonnances ancienneset du nouveau code forestier de 1827. Il est bienplus question de produire durablement desressources que de gestion ou développementdurable au sens actuel du terme.

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Politiques d’un temps de pénurie (1291-1827)

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Héritage pour une profession ?Trois traits forestiers, que l’on retrouvera jusqu’auXXe siècle, apparaissent dès cette époque et sontutiles à la réflexion d’aujourd’hui :• tout d’abord, le forestier est de fait investi depuistoujours par le politique national pour produire desressources. Hier des bois de marine, aujourd’hui dubois d’œuvre et d’énergie. C’est la nation qui fixeainsi la mission du forestier ;• pour cela, il doit (et reçoit les moyens juridiquesnotamment pour) lutter contre les abus nés desbesoins concurrents de la société de cette époque,notamment agricoles. Il demeure sans doute de cepassé de lutte et de contrôle, fort légitime à l’époque,une certaine réticence à une gouvernance partagée,ouverte sur l’échange avec tous les citoyens, pour-tant également usagers des forêts ;• l’enjeu de la régénération des forêts est dans cespériodes anciennes un vrai stress du forestier,nécessitant des mesures drastiques et coûteuses,mises en défends, plantations… Compréhensiblejusqu’au XIXe siècle inclus, ce stress semble perdu-rer sans raison aujourd’hui et conduit, par exemple,à renouveler par anticipation des forêts pourtantjeunes ou à laisser peu de place à la spontanéité desdynamiques écologiques.

Le succès des politiques d’avant le XIXe siècleest tout relatif, tant les besoins humains sontgrands, faisant naître des oppositions vivesdans la société. Lors de l’adoption du nouveaucode forestier (1827), la forêt ne représente plusque 16 % du territoire (Cinotti, 1996) et les res-sources sont profondément dégradées (bois,sols). La situation est suffisamment critiquepour que la question des forêts devienne unenjeu politique. Les forestiers vont alors êtredotés par l’Etat d’un pouvoir renforcé decontrôle et dotés de moyens d’actions significa-tifs. Le nouveau code forestier sera strictementappliqué.

En terme de corpus technique, on l’a vu, lesprincipes mis en avant vise à contrôler lesdéfrichements, maintenir une ressource etassister la régénération (âge des coupes, réten-tion d’arbres lors des coupes, quart en réserve).Il s’agit d’un progrès important, mais cela res-semble plus à une foresterie de crise qu’à unevéritable gestion durable (exemple des âgesminimum des coupes de taillis). Certainesrecommandations, comme celle de Colbert exi-geant qu’une autorisation soit demandée pourdes coupes à une certaine distance des côtes etdes rivières, ont un effet environnemental réel,mais par ricochet, car le but initial était de four-nir du bois accessible pour la marine.

Bien des thématiques nouvelles, apparues avecla gestion durable à la fin du XXe siècle, sontsans surprises absentes des politiques fores-tières anciennes. A chaque société et époque sesproblèmes ; à chacune ses idées et solutions.

Le bison d’Europe a disparu des forêts françaises dès le VIIIe siècle

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Les politiques de reconquête (1850-1939)

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LES POLITIQUES DE RECONQUÊTE (1850-1939)

L’âge d’or des forestiersMalgré les politiques forestières de la premièremoitié du XIXe siècle, les forêts sont dégradéeset défrichées. Il y a pénurie de ressources et lessols s’érodent dans les zones les plus fragiles,provoquant des catastrophes.

Une politique de grands reboisements est alorslancée, dans les Landes pour fixer les dunes etvaloriser les zones marécageuses jugées insalu-bres, et en montagne pour juguler les érosions,inondations et avalanches. En 1857, la loi rela-tive à l’assainissement et la mise en culture desLandes de Gascogne est promulguée, ainsiqu’en 1861 une première loi destinée à la res-tauration des terrains de montagne. Suivra unesérie d’autres lois pour ajuster ces politiques.

En 1870, des mesures sont prises contre lesincendies de forêt, renforcées par plusieurs loisau début du XXe siècle. En 1922, le statut desforêts de protection est créé pour le maintiendes sols de montagne et la prévention desrisques naturels. À ce jour, 114 500 hectaressont concernés par ce statut, soit 0,74% de lasurface forestière métropolitaine.

Changement de paradigmeCes grandes lois sont le résultat d’un contextehistorique spécifique, notamment le SecondEmpire. Mais d’un point de vue forestier, ilmarque aussi un changement de paradigme dela demande de la nation. Auparavant, la forêtétait considérée comme l’ennemi du progrès,puisque s’opposant à l’indispensable expansionde l’agriculture et des villes ; seule la pénuriede la ressource en bois était déplorée. Dans lenouveau paradigme, la politique forestière estsynonyme de reconquête d’un espace dégradéet de sa revalorisation par le reboisement.

Ce changement a sans doute été incité par lesdestructions dues aux crues et au sable, et faci-lité par la révolution industrielle. La période secaractérise par une accélération des moyensd’échanges entre les régions industrielles etagricoles, rendant certains terroirs, de mon-tagne par exemple, dégradés et de faiblefertilité, beaucoup moins indispensables audéveloppement de la nation. Le charbon debois est concurrencé par le charbon de minedont l’exploitation fournit les nouvelles indus-tries. Le développement des industries prochedes villes crée un exode rural qui dépeuplecampagnes et montagnes.

Ce changement profond de société et, pour cequi nous concerne ici de politique forestière, nes’est pas effectué sans conflits, surtout avec lespopulations locales. Elles se sont parfois forte-ment opposées aux projets forestiers. AinsiBoutefeu (2005) écrit-il : « le XIXe siècle consa-cre une administration forestière puissante,utilisant son savoir technique pour asseoir sonautorité et sa légitimité. Elle développe unevision hégémonique et normative de l’aména-gement des forêts. Les dimensions sociales dela forêt sont occultées ou niées. La révolutionindustrielle à l’origine de l’exode rural amorcédès le milieu du XIXe siècle va, en diminuant laLe pin noir a été utilisé pour la restauration des terrains de montagne

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Les politiques de reconquête (1850-1939)

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pression des communautés paysannes sur laforêt, favoriser le travail des agents des Eauxet Forêts. On peut ainsi dire que la durabilitésociale est acquise passivement ». A l’intérieurmême de l’administration des Eaux et Forêtscette question d’une meilleure intégration desdemandes des sociétés rurales donne lieu àdébats et courants (forestier de l’école dite “deNîmes” par exemple). Toutefois, cette contesta-tion restera marginale du fait de l’organisationforestière « militaire » de l’époque.

Une foresterie cartésienne s’affirmeL’école forestière de Nancy, établie en 1824, fait la promotion active d’un modèle de sylvi-culture, la futaie régulière. Elle incite àconvertir le taillis et le taillis-sous-futaie, trai-tements traditionnels, en futaie régulière afinde produire un bois d’œuvre calibré. Elle pré-cise au fil des ans des règles de sylviculturestrictes, avec la volonté de les formaliser defaçon « scientifique », suivant ainsi le modèlede l’école allemande.

Les artistes sont parmi les premiers à s’opposerà cette vision trop simple et rationnelle desrègles de conduite d’un peuplement forestier.Quid de la valeur esthétique et paysagère desforêts d’antan ? Les peintres de l’école de Bar-bizon obtiennent ainsi après quelques annéesde lutte la création des séries artistiques enforêt domaniale de Fontainebleau (1861), danslesquelles toute coupe est interdite.

La fin du XIXe siècle voit un début de l’arrêt desdégradations des sols et des forêts du fait de laréduction des surexploitations agro-sylvo-pastorales. Il voit aussi les premiers résultatsdes reboisements entrepris. Cela prépare larégénération des surfaces forestières et un rela-tif vieillissement des forêts ce qui, après dessiècles de surexploitation, est positif.

Héritage pour une profession ?Quatre traits forestiers apparaissent à cette époqueet sont utiles à la réflexion d’aujourd’hui :• le forestier du XIXe siècle avait besoin, au-delà deslois, d’asseoir son autorité et sa légitimité d’action. Ila dû faire ses preuves devant des sociétés localessouvent sceptiques, quelques fois hostiles. Pour cela,le forestier s’est appuyé sur son savoir technique. Or,en 1850, il est en partie lacunaire, nouveau, empiriqueet en tout cas mal compris dans la société (voir parexemple les débats importants qui ont précédé ouaccompagné la « légende du déboisement desAlpes » ; Vallauri, 1998) ;• la “science” forestière d’alors crée un jargon spé-cifique et compliqué pour tout un chacun qui necontribue pas à améliorer le dialogue avec la société.Cela reste vrai en partie aujourd’hui. La tentation esttoujours plus d’informer pour justifier les actionsentreprises (sens unique de communication), que cesoit au sujet de la coupe rase, de l’enrésinement, dela futaie régulière... que de faire de la pédagogie(écouter, transmettre, échanger, s’adapter) ;• le savoir technique forestier est fondé dès cetteépoque sur les mathématiques (surtout la dendromé-trie). Les autres sciences nécessaires au forestier sontnaissantes (comme l’écologie) ou quasi-absentes(sciences sociales). Malgré certaines bonnes intui-tions dès cette époque, les concepts de l’écologietardent au XXe siècle à irriguer les principes de ges-tion, alors même que l’objet même d’attention duforestier, la forêt, est intrinsèquement un écosystème(les concepts d’écologie et d’écosystème datent res-pectivement de 1866 et 1930) ;• le contexte politique de l’époque est favorable à laformation d’une pensée forestière unique et officielle.Malgré la diversité des forêts françaises, la variétédes solutions techniques possibles, la relative réus-site des choix techniques du XIXe siècle conduit à deschoix qui se transforment au fil des ans en positionsfigées. Par exemple : 1. la futaie régulière est promue par une politiqueactive de conversion des taillis-sous-futaie et du tail-lis qui croîtra au cours du XIXe siècle. Elle a de fait uneplace à jouer pour répondre à certains contextes etbesoins, mais interdit le développement de la futaiecontinue (à peine 5% des forêts encore aujourd’hui) ;2. les grandes plantations résineuses valident unmodèle sylvicole agricole ou industriel. L’ensemblesimplifie et homogénéise fortement les milieuxforestiers.

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Produire plus tout en protégeant mieux ? (1950-1985)

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PRODUIRE PLUS TOUT EN PROTÉGEANT MIEUX ? (1950-1985)

Aménager et produire pour la nation…A l’issue de la seconde guerre mondiale, unélan pour restaurer le patrimoine forestier estlancé, face à la constatation – à nouveau – de lapénurie de bois. En 1946, le Fonds forestiernational est créé, afin de substituer les peuple-ments jugés improductifs par des espèces àcroissance rapide, de reboiser les terres agri-coles, d’améliorer la desserte forestière, defavoriser le regroupement forestier et lamodernisation des entreprises de la filière.L’objectif est d’augmenter la disponibilité de laressource forestière. Produire du bois est consi-déré par certains comme un devoir patriotiquepour produire de la richesse nationale. Le boisest « une matière qui n’appartient pas qu’à sonpropriétaire, mais un peu à tous », selon R.Lorne, alors directeur régional à l’ONF (Lorne,1967). Des espèces à croissance rapide commele douglas et l’épicéa sont installées en plaineet en moyenne montagne, et le peuplier dansles plaines alluviales.

Sur cette lancée est créé l’Inventaire ForestierNational (1958), et édictée la loi du 6 août 1963«pour l’amélioration de la production et de lastructure foncière des forêts françaises ». La priorité de cette loi est l’aménagement desforêts. En effet, il s’agit d’empêcher les pro-priétaires de « cueillir tout d’un coup etprématurément, ce qui les ruine à terme etprive le pays d’une production à laquelle ilavait droit. D’autres ne cueillent pas assez, cequi entraîne une dépréciation des produits,enlevés alors qu’ils commencent à se tarer »(Lorne, 1967). Les CRPF (Centres Régionauxde la Propriété Forestière) sont institués pouraccompagner la forêt privée. La gestion fores-tière publique passe en 1966 del’Administration des Eaux et Forêts à un EPIC(Etablissement Public à caractère Industriel etCommercial), l’Office National des Forêts.L’ONF doit aménager les forêts soumises au

régime forestier, et les propriétaires privésayant des forêts de plus de 25 ha doivent éta-blir un Plan Simple de Gestion (PSG) souscontrôle des CRPF.

Pour s’assurer du maintien et de l’accroisse-ment de la surface boisée, sont promulguées encomplément une loi créant la taxe sur les défri-chements (1969), et une loi sur les EspacesClassés Boisés ou espaces boisés à conserver(1973).

Combler le déficit de la balance commercialeCet effort d’aménagement ne conduit pas àl’augmentation des prélèvements attendus. Le« déficit de la balance commerciale » et la« sous-exploitation des forêts » sont régulière-ment stigmatisés à partir des années 1970,sous-entendant un lien direct entre les deux.Guillon (1974) reprend ce leitmotiv : « malgréson importance, la production française nesuffit pas aux besoins intérieurs, et la filière-bois présente un déficit commercial de 2,6milliards de francs en 1970, ce qui équivaut à40% du déficit total de la balance commer-ciale ». Selon lui, « ce déficit global importantest dû essentiellement aux produits de lapartie de la filière aboutissant aux papiers etcartons et pour les conifères et leurs dérivés,tandis que les exportations consistent surtouten bois feuillus et leurs dérivés ». En particu-lier le rapport du député Duroure (1982),demandé par le premier ministre en 1981,mentionne « de nombreux rapports depuis 7ans » laissés sans suite, et tente d’apporter denouvelles solutions à la sous-exploitation desforêts, considérée comme une « richesse stéri-lisée ». En effet, en 1978, un groupe de travailprésidé par B. de Jouvenel avait rendu un volu-mineux rapport intitulé « vers la forêt du XXIe

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siècle » (De Jouvenel, 1978), comprenant denombreuses recommandations pour améliorerla productivité, et peu mises en œuvre. Duroure(1982) précise que : « on entend constammentdire que nos 14 millions d’hectares de forêtssont largement sous-exploités et que notrerécolte atteint un faible volume à l’hectare. Ilfaut savoir qu’en réalité seuls 9 millions d’hec-tares sont susceptibles d’être productifs,puisqu’il ne faut prendre en compte dans cetteoptique, ni les forêts assurant le rôle primor-dial qu’est le rôle de protection, ni lesformations boisées improductives ». Ni les boi-sements juvéniles apparus depuis la dépriseagricole sommes-nous tentés d’ajouter. Nousreviendrons sur la question du capital forestierconsidéré comme dormant.

Aménager n’est pas (forcément) bien gérerL’effort d’aménagement a atteint son maxi-mum suivant les obligations de la loi, c’est àdire 45 % de la surface des forêts privées ettoutes les forêts publiques. Il n’a pas permisd’augmenter autant que voulu la récolte. Toutau moins certains espèrent-ils qu’elle ait amé-lioré la gestion. Dans son article « Le poids desmots dans le langage Forestier », Debazac(1986) signale que « aménagement » est sou-vent utilisé à tort comme synonyme de « bonnegestion ».

Or, bien que les plans aient limité les coupesabusives, ils exposent plutôt un projet d’inter-vention, dont les volets écologique et socialsont faibles. Selon B. Boutefeu (2005), « cen’est qu’à partir des années 1980 que desconsidérations environnementales sont pro-gressivement prises en compte dans les plansd’aménagement. En revanche, l’intégrationdes attentes sociales continue de poser pro-blème et constitue l’un des défis majeurs de laforesterie de demain ». On peut donc difficile-ment considérer les plans de gestion commedes garanties de bonne gestion ipso facto, lescontre-exemples sont légion.

Une forêt patrimoineParallèlement, une vision patrimoniale demeure,jouant sur l’ambiguïté entre ce qu’elle soutenden termes économiques d’un côté et écolo-giques de l’autre.

Les termes environnementaux et sociaux lesplus utilisés dans les 20 années suivant l’après-guerre s’articulent autour de « nature »,« tourisme », « loisir », « citadin », « forêtvierge », « protection », « écologie », « écosys-tème », « environnemental ». Il est intéressantde noter que dès 1950, la Revue ForestièreFrançaise (RFF) publie des articles sur lanature sauvage, l’intérêt du bois mort et lafutaie jardinée – thématique qui remonte àbien avant encore. En 1969, les rubriques «Biologie et forêt » ainsi que « Nature, loisir etforêt » sont créées dans la RFF. Un premierarticle remarqué sur le sujet est celui de Beto-laud (1968), « Forêt et civilisation urbaine ».

Les loisirs se développent après la seconde guerre mondiale, en particulier en forêt

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En effet, en parallèle de la relance productivistedes forêts avec le FFN et la loi de 1963, une fortesensibilité patrimoniale se développe. Des ini-tiatives de protection du patrimoine forestiersont ainsi prises. En 1960 est votée la loi créantles Parcs Nationaux et en 1967 sort le décretcréant le statut de Parc Naturel Régional (modi-fié à plusieurs reprises : loi de décentralisationdu 7 janvier 1983, loi paysage du 8 janvier 1993).En 1971 est créé le Ministère de l’Environne-ment, appelé le « ministère de l’impossible »avec 0,1% du budget de l’Etat. Cette évolutionest renforcée, au niveau international, par laConférence des Nations Unies sur l’Environne-ment Humain (CNUEH) qui s’est tenue du 5 au16 juin 1972 à Stockholm (Suède), et qui a placépour la première fois les questions écologiquesau rang de préoccupations internationales. En1976, la loi sur la protection de la nature pose lesbases juridiques françaises d’une politique d’in-térêt général.

L’impossible conciliation ?En 1978, un groupe de travail présidé par B. deJouvenel rend un rapport intitulé « vers la forêtdu XXIe siècle » (Jouvenel, 1978). Particulière-ment visionnaire, il concilie la visionproductiviste et environnementale et insiste surla nécessité – et la possibilité – d’équilibrer enFrance les fonctions protectrices, productives etsociales dans la majeure partie des forêts.

Pour la première fois, dans les textes de portéepolitique, la protection n’est pas cantonnée à laquestion des risques naturels (restauration desterrains de montagne, fixation des dunes etlutte contre l’incendie). Il s’agit d’avoir les forêts« le plus proche possible de la forêt naturelle »,tout en étant cultivées, afin qu’elles puissentremplir leurs fonctions sociales et de maintiendes équilibres biologiques, d’abri de la vie sau-vage, et de régulation du climat et du régime deseaux. « La fonction de la sylviculture est [...] des’appuyer sur la nature et de s’inspirer étroite-ment de ses lois, au lieu de la contrarier ». Laforêt est présentée comme étant essentielle-ment un patrimoine culturel et protecteurirremplaçable. Ce à quoi il ajoute que « la peu-pleraie n’est pas une forêt patrimoine, mais

une culture d’arbre qui s’apparente par biendes aspects à l’agriculture ».

Le rapport faisant suite au choc pétrolier, l’évo-lution vers un regain de demande de bois à buténergétique est fortement pressenti, et l’ac-croissement de la demande sociale est vuecomme inéluctable.

Un vieux slogan qui pourrait resservirLes recommandations du rapport concernentcertes en grande partie l’amélioration de la pro-ductivité, mais dans l’esprit d’une « sylvicultureen même temps intensive et respectueuse dumilieu ». Ce dernier ressemble étrangement auslogan des Assises de la forêt organisées dans lafoulée du Grenelle de l’Environnement 30 ansplus tard : « récolter plus tout en préservantmieux la biodiversité » signé par FNE et lespartenaires forestiers.

La recherche a un rôle important à jouer pour B.de Jouvenel afin de s’assurer que les méthodessylvicoles utilisées (essences, rotation descoupes, etc.) permettent effectivement de conci-lier augmentation de la productivité etconservation du patrimoine. Il demande de ren-forcer les effectifs de chercheurs sur cesquestions, ainsi que sur la technologie du bois.

Il est intéressant de noter que les premièresactions retenues par le conseil des ministres en1978 concernent quasi exclusivement lesaspects économiques. Les mesures de protec-tion restent cantonnées aux activitéshabituelles de gestion des risques naturels, etdans le domaine de la recherche, seuls lesrecherches en technologie du bois voient leursmoyens augmentés.

Cependant, l’idée d’une gestion multifonction-nelle des forêts fait son chemin – même si leterme n’est pas encore utilisé.

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Vers une gestion multifonctionnelle ?Dans le rapport de R. Duroure par exemple, ilest ainsi question de nature, d’environnement,d’écologie en plus d’économie, et la productionde bois d’œuvre doit « être compatible avec lesfonctions sociales et d’environnement »(Duroure, 1982). Il parle de la forêt commed’« un patrimoine naturel collectif ». La diver-sité des forêts françaises est vue comme unavantage compétitif par rapport à la Finlande età la Suède (alors que 15 ans plus tard elle seravue dans le rapport Bianco comme un handi-cap !). Le rapport est cependant loin de préciserla façon dont cette compatibilité doit être menéeen pratique. Il indique même dans le corps deson rapport, concernant l’ouverture des forêtsaux activités de loisir, qu’« il ne faut pas secacher que la production de bois est, sauf excep-tion, largement incompatible avec unefréquentation dense de la forêt. Le gestionnairesera amené à faire des choix qui entraînerontinéluctablement une spécialisation croissantede la forêt ». La spécialisation des territoires est

alors fortement tentante, peut-être de par sasimplicité. On retrouve la même logique quimène, pour la production de bois cette fois, à lasuprématie de la futaie régulière.

Le rapport recommande un décloisonnementdes métiers, de nouvelles instances de concer-tation, le financement du rôle social de la forêtpar les aides publiques, et prône une sylvicul-ture dynamique et la conversion des taillis ettaillis sous futaie (TSF) en futaie. La seulerecommandation concrète sur l’environnementest d’offrir la possibilité pour le FFN de finan-cer les plantations en mélange d’essence ou enfeuillus.

Suite à ce rapport, et en conclusion du travailfourni par R. Duroure, est promulguée la loiforestière de 1985. En introduction, des décla-rations sont placées en tête de la loi. Elles ontvaleur de recommandation, et indiquent l’évo-lution de la vision de la forêt : globalité desfonctions économiques, écologiques et socialesde la forêt, et reconnaissance de l’intérêt géné-

Une forêt mélangée en plaine (hêtraie-chênaie)

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ral de la valorisation et de la protection decelle-ci. La loi en elle-même apporte quelquesnouveautés : plus grande régionalisation, avecla mise en place des Orientations RégionalesForestières (ORF), possibilité de remembre-ment forestier et plus grande protection contrele défrichement et les incendies.

Une période politique dualeLa priorité de l’après guerre est d’augmenter laproductivité des forêts, en y appliquant unevision agricole et d’aménagement volontariste.La discussion autour de la sous-exploitationdes forêts émerge, reliée plus tard au déficitcommercial. Des mesures sont mises en place,au niveau institutionnel et règlementaire, maiscelles-ci, bien qu’encadrant mieux la gestion,ne permettent pas d’augmenter la récolte.

Les préoccupations environnementales sontconsidérées comme secondaires dans la gestioncourante, mais apparaissent fortement sousforme d’espaces protégés, afin de protéger lepatrimoine par une spécialisation de l’espace.La vision d’une nature bien ordonnée demeureà cette époque, renforcée par la mécanisation etla demande en produits normés par l’industrie.

Toutefois, la période est plus complexe qu’il n’yparaît. La vision politique de spécialisation del’espace forestier entre production et protec-tion qui dominait, fut cependant accompagnéepar un fort sentiment patrimonial. Cette pé-riode de la politique forestière françaises’achève avec la recherche d’une réconciliationentre production, loisirs et protection. Cette réconciliation reste cependant théorique. Eneffet, rien dans la loi de 1985 n’indique com-ment, en pratique, améliorer la prise en comptedes aspects sociaux et environnementaux dansla gestion forestière. De plus, malgré la nais-sance d’une vision multifonctionnelle, l’enga-gement pour la nature a été petit à petit remisen cause par ce que B. de Jouvenel appelait « larentabilité financière ». Cette dernière est devenue, selon lui, un critère prédominant desinvestissements publics forestiers.

Héritage pour une profession ?Quelques traits forestiers apparaissent à cetteépoque et sont utiles à la réflexion d’aujourd’hui :• la gestion multifonctionnelle, comme la gestiondurable plus tard, est difficile à formaliser et mettreen œuvre. Des outils innovants manquent encore(notamment de gouvernance, financement et arbi-trage). Une solution de facilité est alors de prôner unesimplification ou spécialisation plutôt que de cher-cher à concilier les fonctions. Cette tendance revientrégulièrement dans l’histoire. Maintenir le cap d’unegestion multifonctionnelle face aux enjeux d’au-jourd’hui est un réel acte politique indispensable ;• les impératifs financiers (dont le fameux déficit dela balance commerciale) sont dès cette époque l’ar-gument « massue » pour justifier une augmentationde l’exploitation ou les enrésinements. En 2011,malgré 40 ans de politiques forestières infructueuses,l’idée est toujours fortement ancrée dans la menta-lité forestière. Si le problème n’a pas été résolu, sansdoute pourrait-on se demander si cela ne signifie pasque la question de fond est au moins mal posée ?L’évaluation des politiques et l’écoute d’argumentsportés depuis maintenant plus de 20 ans par certainsdonnent des pistes de réponses (exploiter plus enquantité vs amélioration de la qualité, courir après unmodèle scandinave vs créer un modèle françaisadapté, exporter des bois ronds vs aider l’industrie àfaire de la valeur ajoutée en France…) ;• quel que soit le discours, la mise en œuvre de lapolitique forestière est beaucoup plus efficace entermes administratifs et financiers pour la productionde bois et l’artificialisation des sylvicultures, que pourtout autre objectif affiché. Nous retrouverons cettemême tendance dans les décennies qui suivent ;• malgré les intentions louables des rapporteurs etdu législateur, la “real politics” des gouverne-ments, pilotée par l’administration forestière, nepermet des avancées que très lentes. Le rappor-teur de la mission parlementaire suivante reprenden général les mêmes questions, dogmes et solu-tions, qui n’ont pourtant pas donné les résultatsescomptés dix ans plus tôt. La politique forestièrefrançaise fait du sur place.

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Vers une politique de gestion durable des forêts (1985-1999)

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VERS UNE POLITIQUE DE GESTION DURABLE DES FORÊTS (1985-1999)

Menace sur les forêtsL’utilisation des forêts à des fins de loisir et dereconnexion à la nature de citoyens de plus enplus urbains augmente, renforcée par l’aug-mentation des congés payés, passés de deuxsemaines en 1936, à 3 en 1956, puis à 4 en 1969et enfin à 5 semaines en 1982. Ainsi, en 1980,un numéro spécial de la Revue forestière fran-çaise (RFF) est consacré à la relation entre« Forêt et société ».

Le développement de la société urbaine et deloisir s’accompagne dans les années 1980d’une inquiétude grandissante pour l’état desforêts. En effet, les ONGs internationales aler-tent sur l’ampleur de la déforestation en milieutropical, sur le dépérissement des forêts enAllemagne, en France et une partie de l’Eu-rope, attribué aux pluies acides conjuguées àla sècheresse, ainsi que sur les grands incen-dies méditerranéens. Les forêts reviennent audevant de l’actualité sociale. Les menacesgrandissantes sur les forêts ont fait naître enFrance le besoin de mettre en place un dispo-sitif de surveillance de la santé des forêts. LeDépartement de la Santé des Forêts (DSF) estainsi créé en 1988 au sein du Ministère del’Agriculture et les réseaux systématique etintensif de suivi des forêts (DSF, RENECO-FOR) en 1989 et 1992 respectivement.

Une ambition mondiale : le développement durableLes termes biodiversité, développement dura-ble, gestion multifonctionnelle et naturalité desforêts commencent à apparaître, mais cesconcepts émergeant sont encore mal définis parles scientifiques. Ils restent souvent encore flous

pour le forestier. Dans son article sur « le poidsdes mots dans le langage forestier », Debazac(1986) regrette que les « fonctions » de la forêtne soient pas quantifiées davantage, ni les« équilibres écologiques » définis plus précisé-ment : « s’il s’agit de la conservation, dans desperspectives à très long terme, de ressourcesnaturelles – eau, sols, patrimoine génétique –,pourquoi ne pas le dire et essayer de l’expliciterdans chaque cas ? » souligne-t-il.

En 1987, le rapport Brundtland sur le dévelop-pement durable va marquer un tournant sur lascène internationale et préparer des résolu-tions fortes. En mai 1992 a lieu le Sommet de laTerre à Rio (Brésil) organisé par l’ONU et don-nant lieu à des engagements souscrits par lesétats. Cela comprend :- la Déclaration de Rio sur l’environnement etle développement (27 principes) dont nousciterons le principe de précaution, d’informa-tion et de participation des citoyens, le droit audéveloppement durable et à une vie saine etproductive en harmonie avec la nature, la responsabilité pour les dommages à l’environ-nement, l’étude de l’impact des activitéshumaines ;- l’Agenda 21 : 600 pages pour promouvoir le

développement durable au XXIe siècle ;- la Déclaration de principe sur la gestion

durable des forêts (non juridiquementcontraignante) ;

- la Convention sur la diversité biologique ;- la Convention sur les changements clima-

tiques.

Les principes de précaution, de pollueur-payeur et de participation seront repris dans laloi de 1995 sur le renforcement de la protectionde l’environnement en France.

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Vers une politique de gestion durable des forêts (1985-1999)

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Les réticences du microcosme forestier françaisLa gestion durable rentre alors au cœur desdébats, et se cristallise autour du choix (quisemblait pourtant acquis dans la loi de 1985)entre la multifonctionnalité ou la spécialisationdes territoires. Le terme « multifonctionnel »apparaît dans les articles de la RFF pour la pre-mière fois en 1991, dans l’article « Pro Silva enFrance, pourquoi et comment ? » (Hubert,1991). M. Hubert, alors président de Pro Silvaécrit : « à Pro Silva, nous allons étudier unesylviculture « multifonctionnelle » qui, tout endonnant la priorité à la production et surtoutà la rentabilité, veut peut-être donner uneplace plus importante aux autres fonctions dela forêt ». Ce que pointe cet article, c’est que lamultifonctionalité implique de laisser plus deplace que par le passé aux considérationssociales et environnementales. Une des raisonsde la création de ce mouvement de gestion-naires privés, initié en Slovénie en 1989, est,entre autre, que l’« on sent de plus en plus despressions s’exercer sur les forestiers, de la part

des « écologistes » dont le poids politique necesse de croître ». Proposer une réponse tech-nique à cette pression permettrait, selon M.Hubert, d’éviter de « perdre la liberté de ges-tion des forêts ».

Ainsi la multifonctionnalité n’est-elle plus seu-lement un principe théorique, elle se doitdésormais de devenir pratique en réponse à lapression de la société ! Il n’en fallait pas moinspour créer une forte résistance au sein dumonde forestier traditionnel, gestionnairescomme propriétaires. Ainsi Gadant (1996)exhorte-t-il dans son article « Quand l’écolo-gie devient nuisance » : « laissons faire lecoup d’œil compétent du praticien de la sylvi-culture ». La résistance vient du fait que lesforestiers revendiquent l’exclusivité de la com-pétence forestière, de part leur formation, etacceptent mal que subitement, après avoirreconstitué “seuls” les forêts pendant un siècle,et en avoir eu l’autorité (n’oublions pas lecaractère militaire des Eaux et Forêts auXIXe siècle), la société, à travers les associa-tions et les élus, demande des évolutions pours’adapter aux besoins de l’époque.

Dans un contexte international préoccupé par la déforestation, comme ici à Madagascar, la politique forestière nationale vise au développement durable.

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Obliger à la gestion durable ?La demande environnementale d’une partie dela société a ainsi été mal reçue et perçue, jugéecomme une contrainte inacceptable. Le rapportde J.-L. Bianco (1998) « La forêt, une chancepour la France » rend compte parfaitement deces tensions. Il parle de « norme écolo-stali-nienne » et de « khmers verts ». Fait-il allusionà des associations de protection de la nature ?Sans doute. Cela sonne comme une critiqueplus fantasmée que nourrit de la réalité d’uneconsultation des associations. Il regrette que« les préoccupations environnementales sem-blent désormais vampiriser la perception dela forêt ». Il reconnaît cependant qu’ « il fautrompre avec une pratique qui a tendance àrester auto-définie par les gestionnaires ».

Il présente 4 scénarios possibles, dont un est laspécialisation des forêts. Selon lui, « après unelongue période de spécialisation et de privati-sation, on assiste aujourd’hui à l’émergenced’une idée de responsabilité collective sur l’es-pace forestier, quels qu’en soient lespropriétaires ». Mais il considère que « ledébat entre “multifonctionnalité” et “spéciali-sation” (vers la production, ou le loisir, ou labiodiversité) est un faux débat ». Indiquant lesdangers d’une spécialisation à outrance, il pré-cise que « philosophiquement, la diversité desfonctions me paraît s’apparenter à cette “ges-tion durable” qui est si fort à la mode ». Ainsila multifonctionnalité lui semble irréversible, ilconclut que « la gestion durable des forêtsconstitue un enjeu écologique majeur pourl’avenir. J’affirme qu’il est possible de concilieréconomie et écologie, à condition d’être res-pectueux, à la fois des équilibres biologiques etde la réalité économique. »

Une fois affirmée cette nécessité de mettre enœuvre une gestion forestière intégrant lesaspects écologiques et sociaux, le plus dur resteà faire. Bien que le déficit de la balance com-merciale ait diminué de 40% entre 1983 et 1996,la ressource forestière est encore considéréeselon J.L. Bianco, comme « sous-valorisée ». Ily a notamment un déficit de compétitivité dûaux dévaluations monétaires de la Suède et dela Finlande en 1993. Les mesures préconisées,avec prudence (« tant de diagnostics exacts

aujourd’hui et tant de propositions restées sanssuites ») sont principalement de :- Définir une stratégie forestière pour la

France ;- Augmenter la productivité dans tous les

maillons de la filière ;- Mettre à niveau le FFN pour financer cet

effort ;- Mettre en place la certification de la gestion

durable ;- Elaborer un plan bois matériau ;- Développer le bois-énergie ;- Favoriser le développement de l’ONF comme

acteur majeur des espaces naturels, en pas-sant par l’augmentation du versementcompensateur de l’Etat et en augmentant lamise de m3 sur le marché de 4 millions de m3

en 5 ans (le lien entre les deux ne paraît pasclairement !) ;

- Développer la contractualisation, Etat/régionet contrats de territoire, pour mettre en placela gestion durable ;

- Simplifier les dispositifs juridiques de pro-tection concernant la forêt ;

- Développer le principe « prescripteur-payeur » ;

- Développer l’offre de loisirs en forêt ;- Relancer la prévention des risques (Incendie,

érosion en montagne..) ;- Mettre en place une structure de coordina-

tion de la recherche.

In fine, la gestion durable sera mise en œuvre,selon les propositions de ce rapport, non pas àtravers la réglementation mais à travers lacontractualisation et la certification, aprèsqu’un cap ait été fixé au niveau national à tra-vers une stratégie forestière. Il faut donc, selonlui, « au lieu de multiplier les interdictions etles autorisations, utiliser de préférence lecontrat qui associe les propriétaires, les ges-tionnaires et les usagers ». La gestion durable,bien qu’inscrite dans la loi, est donc volontaire.

Qui paie ?Une autre tension vient de l’aspect financier.S’il faut prendre davantage en compte ces fonc-tions, selon J. Gadant, « la question “quipaie ?” est plus rarement posée. Elle est pour-

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Vers une politique de gestion durable des forêts (1985-1999)

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tant essentielle : en effet, si on conserve un éco-système en le classant, c’est que la biodiversitéqu’il recèle a une valeur à laquelle il faudrabien attribuer un prix ». Les termes « aménitésenvironnementales », « paiement pour servicesenvironnementaux », apparaissent dans laRevue Forestière Française.

Or les moyens pour financer la forêt viennent àmanquer. Les ressources du FFN diminuent,puis ce dernier est supprimé en 2000, pour desquestions juridiques vis à vis du droit européen.Le versement compensateur de l’ONF diminueà partir de 1996, et les effectifs de l’établisse-ment sont en baisse depuis 1982. Or nombreuxsont les forestiers qui affirment, comme J.-L.Bianco dans son rapport, que « les coûts de lagestion durable des forêts sont essentiellementsupportés par la vente du bois ». La questiondu financement de la politique – et de la gestion– forestière devient aigüe.

Le rejet, à prime abord, de la mise en œuvre en1996 du réseau Natura 2000, suite à l’adoptionde La directive Habitats en 1992 par la CEE,était en partie lié à cette question du finance-ment. Mais aussi, selon Pinton et Alphandéry(2007), « c’était la remise en cause du mono-pole de la science à définir de nouvellesnormes de gestion des territoires qui était aucentre de nombreux débats ». Comme avec lagestion durable, les propriétaires et gestion-naires forestiers craignaient de ne plus êtreseuls maîtres chez eux.

Progressivement, l’idée vient de transformerces « contraintes environnementales », désor-mais inévitables, en ressource. J.-L. Biancoappelait par exemple à une relance du FFNpour financer les plantations dans le cadre de lalutte contre l’effet de serre. Comme les agricul-teurs demandant à ce que leur fonction demaintien du paysage, jusque là gratuite, soitrémunérée, le secteur forêt a espéré et espèretoujours trouver des financements de substitu-tion via la fonction environnementale et socialede la forêt. Ainsi, la fin du FFN fait s’interrogerBarthod (2001) dans son article « la réformedes financements publics aux investissementsforestiers » sur les possibilités d’instaurer desnouveaux financements. Selon lui « la questionde la gestion durable trébuchera toujours sur

la question de la multifonctionnalité de laforêt, aussi longtemps qu’un mécanisme finan-cier ne permettra pas une reconnaissanceeffective, autrement qu’en paroles, de la valeuraccordée aux fonctions écologiques et sociales,au même titre qu’à la fonction économique ».Certains pays ont mis de tels mécanismes enplace.

Selon Christian Barthod, « la référence inter-nationale la plus citée en la matière est la loiforestière de 1996 du Costa Rica. Elle prévoiten effet un paiement compensatoire aux pro-priétaires forestiers pour quatre types deservices environnementaux rendus à lasociété: la séquestration de carbone, la pré-servation de la diversité biologique, laprotection de la beauté des paysages et la pro-tection des bassins versants ».

Outre la question du budget alloué par laFrance pour la forêt, ces demandes de finance-ment soulèvent la question des mesuresenvironnementales qui seraient éligibles, etcelles qui ne seraient pas un surcoût, mais seu-

Quelle valeur pour les services rendus par la forêt comme la purification de l’eau ?

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Vers une politique de gestion durable des forêts (1985-1999)

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Héritage pour une profession ?Quelques traits forestiers apparaissent et sont utilesà la réflexion d’aujourd’hui :• les débats forestier, environnemental, mais égale-ment commercial, se mondialisent. La politique fo-restière nationale est encadrée par un débat mondialduquel certains forestiers se sentent exclus ; • le monde forestier français est extrêmement sen-sible à sa souveraineté, pour la définition de sesobjectifs, de ses principes et de ses méthodes de ges-tion. Il peut évoluer sous l’appropriation libre demodèle (allemand pour la sylviculture, américain ouscandinave pour la filière bois), mais s’oppose vive-ment à tout changement qui pourrait paraître lui êtreproposé de l’extérieur du microcosme. Cette posture,qui est illustrée dans ce chapitre par l’exemple rap-porté des réactions vis-à-vis des associations deprotection de la nature et de Natura 2000, se retrou-vera sur le sujet sensible de la certification parexemple. Dans ces conditions les solutions nouvellesnécessaires à s’adapter à un monde changeant rapi-dement sont reçues souvent avec frilosité ; • En reliant à des financements les changements,une appropriation plus rapide peut se faire. Reste àlever les limites financières, à identifier les bons le-viers permettant la transition vers la gestion multi-fonctionnelle et à s’assurer de la durabilité de sonapplication.

lement le produit d’une gestion en « bon pèrede famille ». En effet, le slogan « le bois paie laforêt » n’est-il pas erroné ? C’est plutôt un bonfonctionnement naturel d’un écosystème, laforêt et sa biodiversité qui en produisant pourla société de nombreux produits et services, ycompris le bois, paie la gestion forestière quandelle est nécessaire.

La gestion durable est désormais un conceptacquis, dont le contenu doit être défini collé-gialement et à l’échelle du territoire. Ceci posela question des acteurs présents sur ce terri-toire, nous y reviendront. Cette évolutionsonne-t-elle la fin de la forêt patrimoine natio-nal et le début de la forêt patrimoine mondialmais ressource locale ? Associée à cette décen-tralisation se pose la question du financementde la politique forestière. On retrouve danscette période beaucoup des éléments du débatsur la politique forestière qui occupe encoreaujourd’hui les acteurs.

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Si les certitudes vacillent (2000-2003)

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SI LES CERTITUDES VACILLENT (2000-2003)

A l’entrée dans le nouveau millénaire, la poli-tique forestière doit faire fasse à trois types decrise nouvelles : les tempêtes, dont il sera ques-tion dans ce chapitre, une crise de confiance (lasociété demande des preuves de la gestiondurable) et une crise climatique majeure dontle forestier se réjouit dans un premier temps (lacroissance augmente !) mais dont il prendrapleinement conscience des dangers après 2005.

Tempêtes du siècleDe violentes tempêtes balayent la France endécembre 1999, touchant une majorité desrégions métropolitaines. 139 millions de m3 debois sont au sol, sur un stock de plus de 2 mil-liards de m3. Les pertes économiques sontconsidérables. Ecologiquement parlant, lespeuplements touchés sont des futaies souventrégulières ; l’accroissement de bois mort ainsiproduit, trop faible en France, relativise l’im-pact sur la biodiversité. Seulement dansquelques forêts apparaissent des impacts néga-tifs sur la faune et la flore. Les associations sontattentives bien plus aux conséquences deschoix sylvicoles passés et aux dommages cola-téraux sur la biodiversité d’une exploitation

réalisée dans l’urgence. Elles sont source depropositions alternatives de gestion.

Le débat forestier prend alors une autre tour-nure, car l’ampleur des tempêtes et ses effetsdans bien des régions met les questions fores-tières sur le devant de la scène médiatiquenationale pendant plusieurs mois. Le publics’intéresse à nouveau à la problématique desrésineux en plaine, des forêts monospécifiques,de la biodiversité des forêts. L’expertise collec-tive INRA/Cemagref/IDF/ONF animée par leGip Ecofor a surtout étudié la résistance desforêts aux aléas, mais Lescuyer (2004) indiqueque « pour des écosystèmes relativement peuriches en espèces, une biodiversité élevéeentraîne une meilleure productivité, stabilité,résilience, résistance ». Une sylviculture favorisant la résilience de l’éco-système et s’appuyant sur le bon fonctionne-ment de l’écosystème est la gestion en futaieirrégulière ou continue, soutenue par le réseaude gestionnaires forestiers Pro Silva. Cette der-nière est à l’honneur. De nombreux articles sontpubliés dans la RFF sur ce sujet entre 1999 et2000. Des forestiers, et en particulier à l’ONF,s’engagent à renouveler les méthodes vers unegestion forestière prenant davantage en comptele fonctionnement naturel. Dans son guide « Re-constitution des forêts après tempête » (Mortieret Rey, 2002), l’ONF préconise de « façonnerune forêt productive plus stable, plus naturelle,plus diversifiée et plus résiliente ».

Un ambitieux plan chablis est lancé, afin demobiliser les bois, de favoriser le stockage, et infine la reconstitution des peuplements. Mal-heureusement, alors que ces financementsauraient pu servir à la mise en œuvre sur le ter-rain de mesures favorables aux fonctionsécologiques et sociales, ils n’ont été condition-nés à aucune orientation sur la question. Bienau contraire, la circulaire pour la reconstitutionaprès tempête prône la « reconstitution à

Chablis et volis après les tempêtes de 1999 touchent profondément les forêts françaises

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Si les certitudes vacillent (2000-2003)

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l’identique ». Les actions favorables à la biodi-versité se retrouvent dans une annexe, laissée àla libre appréciation des Régions. Une clause« biodiversité » permettant la mise de côté dejusqu’à 30 % de la superficie restaurée, si elleétait gérée dans un but de diversification ou deconservation, et une circulaire portant sur la question furent bien produites mais cesmesures restèrent sans financement national.Sans orientations nationales claires et surtoutfinancement spécifique, les Régions les ont trèspeu appliquées (Subotsch-Lamande, 2002).Ainsi, si les forêts publiques ont majoritaire-ment été reconstituées par régénérationnaturelle, les forêts privées ont eu massivementrecours à la plantation – moins favorable àl’équilibre écologique – de par les modalités desaides attribuées. Dans plusieurs régions, parexemple, la futaie irrégulière ne pouvait pasrecevoir d’aide à la reconstitution.

Débat sur les valeursDe nombreuses études montrent que la valeurdes forêts dépasse largement celle du bois. En2002, Peyron et al. indiquent que la valeurrécréative est « probablement égale à celle dubois ». Selon le Commissariat au Développe-ment Durable (CDD, 2010), la valeur des forêtsest égale à 3 à 6 milliard d’euros, dont un peuplus d’1,2 milliard pour les produits forestiers(tableau 1). Une synthèse réalisée par laFRAPNA et le WWF (Lebreton et Vallauri,2004) arrive à une conclusion similaire : le boisn’est pas l’essentiel de la richesse produite.

Pour les forêts publiques, l’Etat assurejusqu’alors une part du financement de ces ser-vices non marchands. Monin (2003) indiqueque le versement compensateur à l’ONF pourla gestion des forêts communales est une« méthode de financement des frais de gestion

Types de services Valeur annuelle Qualité/Fiabilité des données(en millions d’euros)

Services d’approvisionnement 1 226 à 1 238

En bois 1 125 Moyenne 2000-2004 de la récolte commercialisée de bois issue des comptes économiques de la forêt

En menus produits forestiers (ex. : liège) 101,4 à 113 Estimations 2002, 2003 ou 2004 selon les organisations professionnelles

Services de régulation 415 à 3 333

Séquestration du CO2 20 à 2 832 D’après le prix du carbone issu du marchépar l’écosystème forestier européen du CO2

Séquestration du CO2 D’après le prix du carbone issu du marchépar les puits artificiels 0,5 à 76,6 européen du CO2 (forte variabilité sur la

période 2005-2007

Maintien de la biodiversité 364 D’après des méthodes d’évaluation contingente (consentement à payer)

Lutte contre l’érosion 30 Budget relatif à la restauration des terrainsen montagne

Services récréatifs (ex. : chasse) D’après plusieurs méthodes d’évaluation 1 460 (méthode des coûts de déplacement, calcul

du surplus du consommateur)

Total 3 101 à 6 031

Note : les résultats sont à prendre avec précaution et doivent être considérés avant tout comme des ordres de grandeur de la valeur des services forestiers au début desannées 2000. L’évaluation économique des fonctions offertes par la forêt repose en effet sur l’utilisation de sources et de méthodes variées.

Tableau 1. Valeur des services rendus par la forêt française au début des années 2000 (d’après CDD, 2010).

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Si les certitudes vacillent (2000-2003)

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permettant d’assurer l’ensemble des fonctionsmarchandes ou non marchandes pour chaqueforêt communale ». De même, la péréquationau niveau de l’ONF entre forêts au niveaunational permet d’utiliser les bénéfices généréspar les unes pour financer la gestion des autres.Selon Monin (2003), « le système actuelgarantit donc une péréquation efficace quipermet à chaque forêt domaniale, quelles quesoient les recettes marchandes qu’elle procure,d’assurer l’ensemble des fonctions relevant desobjectifs de gestion durable et de satisfactiondes besoins collectifs ». Selon lui, « l’émergencecroissante de nouvelles demandes sociales, aubénéfice d’utilisateurs de plus en plus distants,sans financement pour le propriétaire, poseclairement la question de la rémunération desfonctions non marchandes des forêts, clé d’unéquilibre socio-économique qui reste le princi-pal garant de la gestion durable des forêts. Ladiminution relative des cours des bois accen-tue cette tendance de fond ».

A défaut de financements sonnants et trébu-chants provenant du bois et de la chasse, lesmoyens manquent. S’il est vrai que des mesuresfiscales ou des subventions peuvent et doiventorienter la gestion vers plus de multifonction-nalité, nombre d’actes de gestion favorables à labiodiversité sont aussi favorables au producteurde bois.

L’opportunité de financer la transition vers« une politique de gestion durable et multi-fonctionnelle », pourtant inscrite dans la loid’orientation forestière de 2001, a-t-elle étératée dans la gestion de l’après-tempête ? Pour-tant, cette période, par le fait qu’elle a mis laquestion des forêts et de la gestion au premierplan médiatique, est sans nul doute celle ayantexercée la plus forte pression de la société sur lemonde forestier, le poussant à se remettre enquestion, au moins de façon passagère.

L’environnement, une demande sociale ou une nécessité ?L’environnement est trop souvent encore considérécomme une « demande » environnementale, au mêmetitre que les « demandes sociales », alors qu’un bonfonctionnement naturel est la base même de la pro-ductivité de l’écosystème, donc de la production debois de qualité et donc rémunérateur. L’écosystème,sa diversité, sa résilience, est le moteur de la pro-duction de valeurs, biens et services associés à laforêt. C’est l’outil de travail du forestier. Maintenir sonintégrité est primordial.De plus, la protection du capital naturel est d’intérêtgénéral partout, et pas seulement là où s’exerce une demande d’ « une société civile essentiellementurbaine » (Terrasse, 2004). Ainsi, la gestion durable nedoit pas avoir lieu uniquement là où des acteurslocaux sont présents, mobilisés, formés en collectifs,ou à même d’aider à la financer. C’est toute la limitede la décentralisation et de la contractualisation pourtraiter des questions environnementales. Or lesmoyens incitatifs qui prévalent dans la loi de 2001,comme la certification ou les contrats territoriaux, nepermettent pas de remettre au cœur de toute gestionforestière la question environnementale et sociale.

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L’heure de la récolte est venue ? (2003-…)

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L’HEURE DE LA RÉCOLTE EST VENUE ? (2003-...)

Exploiter plus pour sauver la planète ?Les engagements d’après tempête pour unegestion des forêts plus proche d’un fonctionne-ment naturel ont duré le temps de l’intérêt desmédias. Même si, dans son bilan 10 ans après,l’ONF peut montrer des applications concrètessur le terrain d’un changement de pratique derégénération, les certitudes anciennes ont viterepris le dessus et les bonnes intentions étéoubliées. Dans les financements, on l’a vu, rienn’a changé en termes d’orientation et, de plus,ces derniers continuent de diminuer régulière-ment, hors reconstitution après tempête(Terrasse, 2004).

Le thème du déficit de la balance commercialeet de la sous-exploitation redevient rapide-ment prioritaire, dans la continuité despolitiques menées depuis les années 1960.Avec une nouvelle approche cependant, quiconsiste à considérer l’augmentation de l’ex-ploitation comme justifiée pour des raisonsenvironnementales.

Ainsi, Juillot (2003), dans son rapport de mis-sion parlementaire « La filière-bois française :la compétitivité, enjeu du développement dura-ble » considère–t-il que la multifonctionalité est« le compromis [...] entre des objectifs contra-dictoires » mais que « l’essentiel au présentsiècle n’est plus là ». Il y a « une nouvelle prio-rité : l’effet de serre ». Selon Juillot, cettenouvelle priorité met de côté l’impératif de ges-tion durable, tel que discuté jusqu’à présent :« Il ne s’agit donc plus ici de chercher à conci-lier des objectifs contradictoires, mais decontribuer directement grâce à la productionet à la transformation du bois à un objectifenvironnemental essentiel pour la société ». Iln’y aurait donc plus de contradiction potentielleentre l’exploitation du bois et la protection del’environnement. L’effet de serre chasse la bio-diversité. Les chapitres suivants de son rapport

parlent de certification des forêts et de commu-nication. Il est clair que, pour la missionparlementaire, la certification améliore ou amé-liorera « la gestion en liaison avec les réelsenjeux environnementaux les plus sensibles ».L’enjeu n’est plus aujourd’hui d’essayer d’at-teindre la gestion durable, mais d’exploiterdavantage pour l’environnement. Toutes lesautres recommandations du rapport sont sur lesujet de la mobilisation et de l’utilisation dubois, notamment pour l’énergie.

Ainsi, seulement 3 ans après les tempêtes, lagestion durable n’est plus au centre des débatsforestiers. Avec l’argument de l’importance dubois comme produit de substitution aux pro-duits émettant des gaz à effet de serre, sonexploitation redevient un enjeu national.

La mise en œuvre de la gestion durable est elleconsidéré comme acquise ? En 1986, Debazacsignalait déjà que le « mot “aménagement” atendance à être accepté comme synonyme de“bonne gestion” ». La loi d’orientation de 2001exigeait un document de gestion pour les forêtsde plus de 10 ha sous certaines conditions, etau passage remplaçait le terme traditionnel de« plan d’aménagement » en « garantie de ges-tion durable », sans en modifier de façonconséquente le contenu environnemental etsocial. Dès le rapport Bianco, en 1998, la certi-fication des forêts, s’appuyant sur cette« garantie », était censée apporter l’assurancecomplète que l’équilibre entre les trois fonc-tions de la forêt est atteint. Ce glissementsémantique s’avèrera dangereux.

Ainsi, le « Programme Forestier National »(Ministère de l’Agriculture et de la Pêche,2006), pourtant issu des engagements de laFrance suite à la conférence de Rio en 1992,initie-t-il la délégation de la bonne gestion,voire même des plans de gestion eux-mêmes, àla seule certification : « Par souci de simplifi-

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L’heure de la récolte est venue ? (2003-…)

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cation, des synergies seront recherchées entreles documents de gestion durable existants etla certification ». Le Ministère de l’Agriculture,lors du Grenelle de l’Environnement en 2007,a ainsi proposé de déléguer le contrôle et lamise en œuvre des plans de gestion aux sys-tèmes de certification, mais ces derniers ontalors – fort heureusement – refusé d’inverserles rôles entre exigence légale et démarchevolontaire.

Le groupe de travail sur « l’insuffisante exploi-tation de la forêt française », coordonné parBallu (2008), rend un rapport « pour mobili-ser la ressource de la forêt française » quiexprime très clairement cette idée qui est dés-ormais devenue la norme : « déstocker ens’appuyant plus sur la certification de la gestion durable ». Cette idée n’est pas sansrappeler les recommandations analysées plushaut du Rapport Bianco (Bianco, 1998) concer-nant l’aspect contractuel et volontaire de laprise en compte de l’environnement.

La gestion durable serait donc atteintegrâce aux plans de gestion simplifiés et à lacertification volontaire. Le nouvel/ancienenjeu, exploiter davantage, est remis à l’or-dre du jour sous des prétextes écologiques.Mais l’Etat peut-il réellement seulement sesatisfaire de ses outils d’encadrement pourgarantir la gestion durable ?

- Protéger ou parfois restaurer des habitatsnaturels menacés ou à espèces menacées ;

- Préserver la biodiversité ordinaire pour favo-riser la résilience des écosystèmes face auxchangements climatiques.

La multifonctionnalité des forêts y est réaffir-mée : « Sur l’ensemble du territoire national,la préservation de la biodiversité ordinaire enforêt, milieu naturel plus ou moins cultivémais généralement faiblement anthropisé, relève de l’approche multifonctionnelle ».Contrairement à une vision de la demande en-vironnementale dont l’outil principal serait lacertification volontaire et les chartes de terri-toire, la SNB affirme que la biodiversité doitêtre prise en compte partout. La gestion dura-ble est ainsi « une pondération différente selonles sites, une légitime valorisation écono-mique, une nécessaire prise en compte des en-jeux environnementaux et la recherche dubien-être des populations ». Tout en indiquantque les « documents de gestion durable »(c’est-à-dire les plans de gestion) le permet-traient, il reconnaît que « le porter à connais-sance des forestiers, propriétaires etgestionnaires, est indispensable pour qu’ilsprennent en compte, dans leurs actes de ges-tion, les éléments à protéger et les enjeux lo-caux de biodiversité. Il est pour l’instantencore très imparfait ».

Le plan d’action forêt de la SNB est décliné en6 objectifs transversaux et 23 actions. Les 6objectifs sont :1. Mieux cibler les actions de protection et

mesurer leurs effets sur la biodiversité ;2. Mieux prendre en compte la biodiversité

dans la gestion forestière aux différenteséchelles ;

3. Compléter les réseaux d’espaces protégés etles plans de restauration d’espèces proté-gées, améliorer l’efficacité de ces dispositifs– Promouvoir la gestion des sites Natura2000 ;

4. Renforcer la coordination et la concertationau plus proche du terrain et simplifier lesprocédures ;

5. Informer et former les propriétaires forestierset les autres acteurs de la gestion forestièredans le domaine de la biodiversité ;

6. Sensibiliser et informer le grand public.

Une Stratégie Nationale pour la Biodiversité à contre-courantDans le même temps, et suite aux engage-ments pris à la conférence de Rio de Janeiro etau niveau européen, la France réalise en 2006sa Stratégie Nationale pour la Biodiversité(SNB) (Ministère de l’écologie, 2006), puis larévise en 2008 suite au Grenelle de l’Environ-nement. Elle devait inspirer le ProgrammeForestier National (PFN). Ainsi, dans le Pland’Action Forêt de la SNB, trois grandes priori-tés sont dégagées :- Protéger et valoriser l’écosystème forestier

français d’outre-mer ;

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L’heure de la récolte est venue ? (2003-…)

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De son côté, le PFN (Ministère de l’agricultureet de la pêche, 2006), valant sur la période2006-2015, n’intègre pas cette vision et cespriorités. Il affiche le slogan « l’heure de larécolte est venue ». La prise en compte de labiodiversité est toujours considérée comme «une demande sociale » qui « suscite toutefoisdes inquiétudes chez les propriétaires et ges-tionnaires forestiers », concernant les coûts. Ilrecommande « d’approfondir les connais-sances sur la dimension économique del’intégration de la biodiversité dans la gestionforestière ». Le rapport cite les Chartes de ter-ritoire comme outil de financement, maisreconnaît que « la rémunération des produc-tions immatérielles n’est actuellement pasrésolue [...]. Le mécanisme des “crédits car-bone” pourrait y contribuer ».

Les recommandations du PFN sont majoritai-rement d’ordre économique. Quelquesrecommandations concernent l’améliorationde la gestion (noter le temps, futur, qui recon-naît implicitement les progrès à faire) : « Lesdocuments de gestion des forêts publiques etprivées, approuvés par l’autorité administra-tive, intégreront l’enjeu de préservation de

la biodiversité ». Le PFN reprend dans un cha-pitre les propositions de la SNB.

Les distorsions éventuelles entre ce que sous-tend la récolte accrue avec la protection de labiodiversité, sont mises de côté : « Au-delà desimpressions subjectives, le niveau de la récoltene doit pas apparaître comme un signald’alerte au titre du développement durable,mais au contraire, comme un indicateur debonne gestion ». La compatibilité ou lescontradictions éventuelles entre « l’exploita-tion mécanisée » sous le chapitre « augmenterla mobilisation des bois », et la « plus grandediversité des sylvicultures et la promotion depratiques favorables à la biodiversité » men-tionnée sous le chapitre « préserver labiodiversité ordinaire et remarquable », nesont pas analysées.

La forêt, lumière du GrenelleCes contradictions potentielles ne sont pasnon plus prises en compte dans le cadre duGrenelle de l’Environnement en 2007. Lapriorité a été donnée à l’objectif de « 23 % del’énergie consommée en France d’originerenouvelable en 2020, dont le tiers par lebois ». Ainsi l’objectif de récolter 20 millionsde m3 supplémentaires par an doit être atteinten 2020. FNE, FNCOFOR, ONF et Forêtprivée française (2007) ont établi un accorden marge du Grenelle intitulé « Produire plusde bois tout en préservant mieux la biodiver-sité ». Repris dans les conclusions du Grenellede l’environnement, cet accord valide querécolter davantage est souhaitable à tous lespoints de vue. Il indique aussi que cela devraitpouvoir se faire « en renforçant la prise encompte de la biodiversité dans la gestion cou-rante ». La façon concrète d’y arriver n’estcependant pas donnée et nécessite encore des« échanges pour en préciser le contenu ». Cecontenu ne semble malheureusement pasavoir été précisé depuis ou tout au moins n’estpas connu des acteurs forestiers de terrain.

La faible appréhension du rôle de la biodiversitédans le bon fonctionnement d’un écosystèmeapparaît dans les rapports gouvernementaux

Chouette de Tengmalm, une espèce cavicole parmi d’autres nichant dans les vieux bois

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L’heure de la récolte est venue ? (2003-…)

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qui suivent. Dans le rapport coordonné parBallu (2008) pour le groupe de travail duConseil général de l’agriculture, de l’alimenta-tion et des espaces ruraux (CGAAER), il affirmeque « l’accélération de la récolte à court termesera sans conséquence sur la biodiversité, aucontraire (cf. chablis 1999) ». Mais de quellebiodiversité parle-t-on ? Nous y reviendront auchapitre suivant.

Le rapport de l’ancien Ministre J. Puech « Miseen valeur de la forêt française et développementde la filière bois », remis au Président de la Répu-blique en 2009, ne répond pas non plus à cesquestions, et développe essentiellement desmesures pour augmenter la récolte. Cependantil affirme que la forêt « n’a pas la place qu’ellemérite. Elle doit toujours être placée sous la pro-tection de la Nation ». La notion de « nation »avait disparu des rapports publics depuis plu-sieurs dizaines d’années, et s’il en appelle à laNation, peut-être est-ce que la décentralisationet la délégation des responsabilités aux acteursprivés ont atteint leurs limites ?

Il propose ainsi de rétablir un financementnational, « un Fonds de reboisement et d’adap-tation de la forêt au changement climatiqueremplaçant le FFN », ainsi qu’ « un Fond Forêt-Bois (FFB) pour la mobilisation pendant 6ans » et un « fonds d’investissement stratégique“filière bois” » pour le bois-énergie. Seul ce der-nier a été créé en 2009, avec 20 millions d’eurosla première année, et un objectif de 100 millionsd’euros. Le premier fond aurait donné desmoyens à la gestion des forêts. Il visait à doterla politique forestière de moyens adéquats« pour aider les forêts, et notamment les com-munales qui ne sont plus soutenues, à s’adapteret résister demain au changement climatique,par “résilience” ou si besoin par substitutionsd’essences de provenances, de traitement… etpour aider à remplacer des peuplementsmédiocres ce qui conduira à mobiliser des bois,il faut créer un fonds de reboisement et d’adap-tation au changement climatique, puissant etstable, hors incertitudes de l’annualité budgé-taire. La forêt doit se gérer dans le long termeet seul un tel fonds peut garantir une vraie poli-tique forestière et lui donner les moyensd’adapter la forêt et d’assurer les approvision-nements futurs de la filière ». Même si le

« remplacement des peuplements médiocres »est loin de favoriser la « résilience » du milieu, ilest à noter que c’est le premier rapport officielqui utilise ce mot.

La façon concrète de mettre en œuvre unegestion durable tout en récoltant davantagen’est toujours pas explicitée. Les éventuellesincompatibilités sont savamment éludées,comme l’illustre l’exercice habile du Pro-gramme Forestier National, juxtaposantdeux approches de la foresterie sans chercherà les faire se rencontrer, ou l’engagement duGrenelle vite réduit à « produire plus ». Parailleurs, la question du financement des ser-vices environnementaux reste d’actualité. Ala suite du Grenelle, un fond était attendu encomplément du fond de mobilisation du boisénergie. Il ne verra pas le jour.

Urmatt, un discours productiviste sans nuanceLe discours du Président de la République àUrmatt en 2010 reprend la vision productivistedes années 60. Il mentionne essentiellement laréduction du déficit de la balance commercialeet l’exploitation pour la réduction du réchauf-fement climatique. « En ce début du XXIe

siècle, la valorisation du bois de nos forêts estdonc stratégique, elle est stratégique pour leréchauffement climatique, enfin sa lutte, pourl’avenir des territoires ruraux, pour notre éco-nomie » (Sarkozy, 2010). La préservation de labiodiversité est mentionnée sans être reprisedans les mesures. Par contre, des mesures sontproposées pour pénaliser les propriétaires quin’exploitent pas : « J’ai donc décidé que l’en-semble des aides publiques octroyées parl’Etat, et des allègements fiscaux existantsseront conditionnés à l’exploitation effective dela forêt ». Cela rappelle étrangement les pro-positions de Lorne (1967) « l’on pourraitsonger à des dispositions fiscales, exonérationpendant un certain temps des forêts enconversion feuillue, au contraire impôt accrupour les massifs sous-exploités avec accumu-lation inconsidérée de vieux bois ».

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L’heure de la récolte est venue ? (2003-…)

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L’impact faible sur la balance commercialede la récolte accrue pendant les tempêtespeuvent interroger sur la pertinence du liensupposé entre augmentation de la récolte etdiminution du déficit. Il ne semble pas man-quer de récolte en volume pour satisfaire auxbesoins, mais bien plus d’une capacité detransformation capable de générer de la va-leur ajoutée en adéquation avec la ressourceet avec les besoins des consommateurs.

Toujours et encore le déficit commercial !Est-ce à dire que, malgré toutes les mesuresprises, rien n’a changé en 50 ans concernant laréduction du déficit ? Dans les faits, dans lestêtes ?

Il y a bien eu des années fastes, ou le déficit dela balance commerciale a été fortement réduiten 1993 et 1996. Mais il ré-augmente depuis,malgré toutes les dispositions prises. Cinotti(2002), directeur de CRPF, note à propos destempêtes que « les aides publiques ont incon-testablement amélioré les conditions derécupération des bois chablis. En portant surle transport et le stockage, elles ont favorisé lasortie des meilleurs bois. Néanmoins, trop debois est sorti de forêt sans rémunération pourle producteur ou le gestionnaire forestier, puissans valeur ajoutée par la transformation denotre pays. Dans le même temps, nous avonsaugmenté nos importations de produits déri-vés du bois ». Les tempêtes de 1999 ont permisd’exploiter plus en quantité mais n’ont pasréduit le déficit. Le problème du déficit est ail-leurs. Et il constate opportunément : « notrecommerce extérieur se caractérise par desexportations de matière brute et des importa-tions de produits à forte valeur ajoutée ». Netoucherait-on pas enfin à un nœud clé du pro-blème depuis 50 ans ?

ble, de la jeunesse des peuplements spontanésrecolonisant les terres agricoles, et qui doiventencore être capitalisés, des besoins en bois mortet rameaux pour la biodiversité et la fertilité dessols, et des forêts à préserver dans le cadre d’unréseau cohérent et représentatif d’espaces pro-tégés. Dès 2008, des forestiers avertis desquestions sylvicoles et économiques remettaienten cause la pertinence et l’atteignabilité de cetobjectif (Givors, 2008). Il ne resterait, selon lesAmis de la Terre (2009), que 10 millions de m3

de bois fort supplémentaires potentiellementmobilisables. La ressource en bois fort auraitbien été surestimée selon le SNUPFEN, « leschiffres de l’IFN (inventaire forestier national)comportent une erreur de 20 millions de m3

(sur 103 millions de m3 de production annon-cés) » (SNUPFEN, 2011).

Pourtant, la Loi de modernisation de l’agricul-ture du 27 juillet 2010 met un accent très fortsur la mobilisation du bois, avec le développe-ment de plans pluriannuels régionaux dedéveloppement forestier, qui « identifie(nt) àl’échelle régionale les massifs forestiers quijustifient, en raison de leur insuffisante exploi-tation, des actions prioritaires pour lamobilisation du bois ». Ce plan est réalisé entreinstitutionnels et propriétaires forestiers, etn’implique ni la recherche ni la société civile.Sans la participation de ces acteurs, qui sontmoteurs dans la prise en compte de la multi-fonctionnalité, l’identification de ces massifsrisque d’ignorer les aspects environnementauxet sociaux, et de créer de nombreux conflits.

Enfin, les chiffres de l’augmentation de la récoltede bois de 20 millions de m3 de bois fort (dia-mètre supérieur à 7 cm) donnés en 2007 lors duGrenelle de l’Environnement ne sont pas réa-listes au vu de l’incertitude sur les données del’IFN, de l’accessibilité à une exploitation renta-

Le volume de bois mobilisable a été largement sur-évalué en 2007

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Guyane, la forêt oubliée ?Si la plupart des rapports remis au gouvernement omet-tent de parler de la spécificité des forêts d’outre-mer, ilest intéressant de noter que le Rapport Bianco, en 1998,lui réserve un paragraphe complet. Il relève que les fo-rêts de Guyane, d’une surface de 8 millions d’ha, com-portent 10 fois plus d’espèces d’arbres que les forêtsmétropolitaines et qu’elles sont désormais bien gérées :« Depuis 1992, l’aménagement et l’équipement des fo-rêts sont orientés vers la gestion durable qui se substi-tue à une exploitation de type “minier” ». L’exploitationest limitée à une bande côtière de 200 km et des plansd’aménagement sont réalisés, comportant 20% des sur-faces en protection, qui permettent de répondre « auxdemandes de nouvelles formules d’écotourisme qui sonten croissance de 30% par an ». Cependant, après plusde 10 ans de réflexions, il faut attendre 2008 pour que lecode forestier s’applique à la Guyane.

La Stratégie Nationale sur la Biodiversité lui fera la partbelle, au vu des enjeux environnementaux. Les prioritésidentifiées sont : 1. Renforcer les instruments de conservation et de gestion

durable de la biodiversité et leur financement :- Compléter le réseau d’espaces protégés d’ici 2010 ;- Compléter le dispositif de protection des espèces d’ici

2010 ;- Mettre en place des mesures de conservation de la di-

versité génétique ;

- Réduire l’utilisation abusive des ressources biolo-giques et son impact sur la diversité biologique ;

- Renforcer les actions de lutte contre les invasions bio-logiques ;

- Développer des outils innovants de conservation et degestion durable ;

2. Mobiliser les acteurs économiques, les collectivitésterritoriales, les citoyens et la recherche sur la conser-vation de la biodiversité ;

3. Intégrer la prise en compte de la biodiversité dans lessecteurs d’activités pour en réduire les impacts néga-tifs à son égard et encourager les pratiques favorablesà la biodiversité ;

4. Améliorer la connaissance opérationnelle sur la biodi-versité ;

5. Coordonner la mise en œuvre des plans d’action terri-toriaux des collectivités d’outre-mer et développer lacoopération régionale en matière de biodiversité.

Cependant le problème le plus grave pour l’environne-ment comme pour la santé publique est l’orpaillage illé-gal. Selon le WWF dans son dossier « L’orpaillage illégalen Guyane : fléau majeur pour la forêt, l’eau et la santéhumaine » de 2008, l’INSERM relevait déjà en 1998 untaux d’imprégnation au mercure supérieur aux seuils del’OMS chez 70 % des enfants du Haut-Maroni. 5 tonnesde mercure seraient en effet rejetées tous les ans dansle milieu naturel.

L’heure de la récolte est venue ? (2003-…)

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Beaucoup d’acteurs privés et publics du mondeforestier, à défaut d’orientations claires, ontchoisi de rester sur la première partie de laphrase de l’accord du Grenelle « produireplus... ». Or, comme l’indique le syndicatEFA/CGC, « “Produire plus et préservermieux” est un tout. Il faut préserver tout enproduisant. La préservation doit se faire auquotidien par les agents patrimoniaux (sur-veillance des coupes, respect du règlement destravaux forestiers, police de la nature, etc...).Et pour cela, il faut s’assurer que les effectifssoient en adéquation avec les besoins. Il fautpoursuivre l’exemplarité de l’exploitation desforêts publiques. » (EFA/CGC, 2011).

Si l’exploitation supplémentaire de certainesforêts sous-exploitées est parfois possible etsouhaitable dans le cadre d’une production deressource de proximité, l’enjeu n’est-il pas toutautant d’intégrer la prise en compte de la bio-diversité dans la gestion forestière ? Cettequestion est en effet loin d’être réglée, malgré ledéveloppement des initiatives volontaires, etest cruciale au moment où le rôle de la biodi-versité apparait clairement comme une clépour l’adaptation des forêts au changement cli-matique.

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Voie d’avenir : plus d’écologie pour s’adapter aux enjeux du XXIe siècle ?

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VOIE D’AVENIR : PLUS D’ÉCOLOGIE POUR S’ADAPTER AUX ENJEUX DU XXIe SIÈCLE ?

Les deux voies de l’adaptation : biodiversité & résilience ou artifices ?Dans la Stratégie Nationale pour la Biodiver-sité (Ministère de l’écologie, 2006), peu deréponses étaient données et beaucoup de ques-tions posées, notamment à la recherche. Dansles différents rapports soumis au gouverne-ment ces dernières années pourtant desrecommandations techniques ont été écritessans se soucier de leur compatibilité avec lapréservation du milieu, ni de l’impact par rap-port aux changements climatiques.

Ainsi, dans le chapitre du Rapport Puech(2009) « Propositions pour récolter plus touten préservant mieux la biodiversité », il estrecommandé de revoir les directives et orien-tations régionales en :- « raccourcissant d’environ 20% les âges

d’exploitabilités, pour presque toutes lesessences,

- recourant à des éclaircies plus fortes, pouraccroître rapidement le diamètre des arbreset la stabilité des peuplements,

- préparant le remplacement de peuplementsinadaptés et susceptibles de dépérir (…) »

Or la Stratégie Nationale pour la biodiversité(SNB) indiquait comme grand principe qu’ « uneraréfaction généralisée des phases de sénes-cence et le raccourcissement des stadespionniers ou de la phase de régénération peu-vent être préjudiciables à la survie de la faune etla flore des cortèges associés ». Elle insistait surl’importance de la résilience des forêts pourl’adaptation aux changements climatiques. Révi-sée en 2008, elle indique que « l’ensemble desactions préconisées dans le plan doit s’inscriredorénavant dans un souci de prise en compte dela composante changement climatique et de lapriorité à donner à l’amélioration à cet égard dela résilience des écosystèmes et des essencesforestières, dans un contexte d’incertitude ».

Quelle gestion forestière favorise à lafois la biodiversité et la résilience ? Le mélange d’espèces locales, la présence desous-étage en forêt, de bois mort débout etcouché, de vieux arbres, du maintien des élé-ments comme les lisières, les mares, etc. sontrecommandées depuis longtemps. Suite auGrenelle de l’Environnement, le Ministère del’Agriculture de l’Aménagement et de la Pêche,a commandé au CEMAGREF une étude surl’état de l’art, reconnaissant qu’ « au-delà de lavolonté affichée des acteurs de mieux intégrerla biodiversité dans les actes de gestion, sepose la question du “comment ?”». Ainsi dansson étude « Mieux intégrer la biodiversité dansla gestion forestière » (Gosselin et Paillet,2010), le CEMAGREF recommande-t-il lespoints pratiques suivants, à utiliser en fonctiondes enjeux spécifiques de chaque forêt :- Diversifier les traitements et encourager les

peuplements pluristratifiés ;- Ne pas mettre toutes ses graines dans le

même panier : raisonner les mélanges et pri-vilégier les essences locales ;

- Limiter l’extension d’espèces envahissantes ;

La résilience des écosystèmes forestiers,c’est-à-dire leur capacité à s’adapter et évo-luer rapidement face à un aléa, est considé-rée comme indispensable par la StratégieNationale pour la Biodiversité pour adapterles forêts au changement climatique. Or labiodiversité est indispensable à la résiliencedes écosystèmes (Heller et Zavaleta, 2009,Thompson et al., 2009). Elle n’est pas fa-vorisée par le raccourcissement des cycles.La question sur la compatibilité entre le “ré-colter plus” et le “préserver mieux” ne peutdonc être aussi facilement éludée.

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Maintenir des arbres veterans, du bois mort préserve la biodiversité, maintien la fertilité et facilite la régénération naturelle

- Privilégier la régénération naturelle en variantles modalités ;

- Raisonner les plantations et le choix du maté-riel de reproduction ;

- Maintenir en forêt les rémanents d’exploitation :bons pour les espèces, bons pour la fertilité !

- Préserver les sols et raisonner la circulationd’engins ;

- Adapter les calendriers de coupes et travaux ;- Limiter l’utilisation de produits phytosanitaires ;- Mieux comprendre les interactions forêt-

ongulés : une question d’équilibre ;- Maintenir du bois mort et des arbres habi-

tats ; mettre en place des îlots de vieux bois ;- Préserver les milieux ouverts intraforestiers

existants ; préserver les zones humides ;- Gérer les lisières existantes… sans excès de zèle !

Aussi, quand J.-M. Ballu affirme en 2008 dansson rapport qu’ « avec les mêmes techniquessylvicoles, régimes et traitement, l’accéléra-tion de la récolte à court terme sera sansconséquences sur la biodiversité, au contraire(cf. chablis de 1999) », il est en contradictionavec les scientifiques.

La prise en compte de la biodiversité est insuffi-sante dans les techniques sylvicoles actuelles, etle sera plus encore si les préconisations d’accélération des cycles et de substitution d’es-sences sont appliquées. La référence aux chablisde 1999 concerne les bénéfices pour la biodi-versité associée… au bois mort. La gestionforestière ayant trop simplifié et « nettoyé » lesforêts, les espèces vivant sur les volis et les cha-blis sont en effet pour certaines menacées. Latempête a produit du bois mort et a permisd’améliorer leur situation temporairement. Lesespèces de pleine lumière se sont aussi dévelop-pées, mais ce ne sont pas celles qui sontmenacées. Dans le cadre d’une récolte accrue, lemême bénéfice pour la biodiversité n’aurait paslieu. Certes l’apport de lumière dans un peuple-ment très dense, comme une plantation réaliséeavec l’aide du FFN et non éclaircie depuis parexemple, permet la juste restauration du sous-bois. Mais l’enjeu actuel pour maintenir ourestaurer la biodiversité forestière est ailleurs.C’est plutôt, comme l’indique le CEMAGREF,une sylviculture permettant une forêt pluri-stra-tifiée, mélangée et riche en micro-habitats.

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La biodiversité, atout du forestier Selon le CEMAGREF, « plus un écosystème estrésilient, moins il sera nécessaire de dépenserpour la régénération ou la restauration à la suited’une perturbation ». Suite aux tempêtes de1999, beaucoup de recherches – et de recom-mandations – étaient tournées vers l’améliora-tion de la résistance de la forêt aux aléas. Or sitout arbre tombe à des vents de plus de 140 km/h,la résilience de la forêt permet, elle, de s’assurerque la relève est présente, car seuls les grands ar-bres tombent, et il reste des arbres d’avenir, de larégénération, et surtout une ambiance forestièrefavorable à la croissance. De plus, un écosystèmerésilient est diversifié par définition, ce qui per-met de diversifier aussi les options économiques.

Vouloir chercher la stabilité absolue est unleurre. Un écosystème est en dynamiquepermanente. L’objectif sylvicole de faire desarbres plus petits, plus vite, pour passerentre deux tempêtes, est une impasse éco-logique comme économique. Pourtant celaa été recommandé et largement repris. Cepari a déjà été mis en défaut lors des tem-pêtes de 2009, dans les forêts des Landesde Gascogne, qui avaient été déjà durementtouchées en 1999.

La futaie continue et irrégulière, une option intéressanteSeule la résilience permet de restaurer rapide-ment la forêt et de limiter les pertes dans letemps. En 2003, un article publié dans la news-letter du CNRS « Tempêtes et dégâts auxforêts : évolution sur le XXe siècle » (CNRS,2003), proposait trois solutions pour réduire lasensibilité aux tempêtes :- la futaie irrégulière, sylviculture continue le

plus proche de la résilience écologique ; - la futaie régulière claire ;- les lignicultures à courte révolution (TCR ou

TTCR).

Il indiquait que la sylviculture à courte révolu-tion n’est « pas performante sur le plan

écologique », et que, contrairement à la futaierégulière, même claire, la futaie irrégulière« permet après le passage de la tempête, lareconstitution rapide du peuplement à partirdes arbres les plus jeunes ». Ce dernier choix estcelui qui semble le plus favorable. Pourquoi cetterecommandation n’a-t-elle pas été reprise ?

Il rajoute que « toute monoculture sur degrandes surfaces est dangereuse ». D’ailleurs,« on constate que c’est l’Europe Centrale, oùl’enrésinement massif remonte à la fin du XIXe

siècle, qui a fourni l’essentiel du contingent dechablis jusqu’aux années 80. Puis l’Europe del’Ouest, où l’enrésinement est plus récent, asuivi la même tendance, avec un décalage dequelques dizaines d’années, lorsque les peu-plements des années 50 ont été suffisammenthauts pour être sensibles au vent ».

Des orientations politiques à l’encontredes données scientifiquesJ.-M. Ballu, on l’a vu, ne se base pas sur uneanalyse scientifique des écosystèmes, mais rai-sonne à très court terme, lorsqu’il recommandedans son rapport de « mettre la forêt en état derésistance au changement climatique, avecplus de sylviculture, des éclaircies plus fortes,la rajeunir et faire des substitutions d’essencesou de variétés ; cela implique de sortir du boisau-delà même du stock-retard » (Ballu, 2008).

Il en va de même lorsque Puech (2009) proposeque « sauf dans les secteurs de vieillissement et

La sylviculture à courte rotation n’est pas la plus performante ni sur leplan écologique, ni économique

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de protection, les règles de sylviculture doiventêtre adaptées, les révolutions raccourcies, leséclaircies intensifiées pour accroître la stabilitédes peuplements ».

La politique de l’ONF suit malheureusementces recommandations, oubliant les engage-ments d’après tempêtes (Mortier et Rey, 2002).L’organisme a développé des directives par rap-port à la biodiversité, notamment sur le boismort (au moins un arbre mort/ha) et les îlots devieillissement (1 à 3% de la surface). Cependant,Gaymard (2010), dans ses propositions pourl’ONF, reprend le discours sur la surcapitalisa-tion des forêts et la stratégie de « passer entredeux tempêtes ». En effet, il indique que « delarges zones de nos forêts sont en état de sur-capitalisation et il est urgent, d’un point de vueéconomique, mais aussi écologique, de lesrécolter et de les renouveler, avant qu’une tem-pête, une sécheresse, le feu ou une attaque deparasites ne viennent décimer ce qu’il a falludes dizaines d’années à produire ». Il reprendaussi l’analyse erronée indiquant que « l’adap-tation de la forêt au changement climatiquecommande d’avoir une sylviculture plus dyna-mique, avec des cycles de rotation plus courtsqu’aujourd’hui ».

Bien qu’elle ne permette pas une bonneadaptation aux changements climatiques,la sylviculture dite « dynamique » est lar-gement promue au niveau national, pourl’ONF et dans les forêts privées. Cette sylvi-culture qui vise à raccourcir les cycles,simplifier les écosystèmes et récolterdavantage, risque d’artificialiser encoredavantage la forêt française, au détrimentde la biodiversité, reléguée à quelques îlotsde vieillissements et arbres morts, lorsqu’ilsexistent. Pourtant, la meilleure garantie àlong terme, tant sur le plan écologiquequ’économique est, comme le prouve denombreuses recherches, d’augmenter larésilience de la forêt, en s’appuyant sur labiodiversité et le bon fonctionnement del’écosystème.

Stocker du carbone dans des forêts « vieillies » ?L’ultime argument présenté en faveur de la syl-viculture dynamique serait l’importance destocker du carbone hors forêt, en substitution àdes matériaux ou énergies plus fortementémetteurs de CO2. Ce serait le rôle d’atténua-tion des changements climatiques assigné à laforêt.

Le PFN indiquait en 2006 : « il importe d’opti-miser et de pérenniser la capacité deséquestration du carbone par la forêt, mena-cée de décroître dans des peuplements“survieillis” ». J.-M. Ballu affirme aussi en2008 qu’« on ne peut dans une forêt maximi-ser à la fois le stock (sol et peuplement) et leflux exporté de carbone, or il vaut mieuxstocker en continu du bois hors forêt ». Lacrainte est aussi de ne pouvoir tirer profit d’ar-bres trop gros : « il faudrait savoir récolteravant parfois de dépasser le diamètre desciage acceptable aujourd’hui ».

Or qu’est ce qu’un arbre vieux ? Qu’est qu’uneforêt sur-agée en France ? La recolonisation oula recapitalisation des forêts datent au mieuxdu XIXe siècle. Les plantations de l’après-guerre et la sylviculture classique font que lesforêts françaises sont de fait relativementjeunes. 79% des arbres des futaies régulièresfrançaises ont moins de 100 ans (DGFAR2006), quand leur maturité écologique est d’aumoins le double. L’arrivée à maturité des plan-tations FFN n’est qu’une maturité économiquepar rapport à des hypothèses de marché, descalculs d’accroissement et des contraintesindustrielles.

Ainsi, l’argument de la décroissance du stockde carbone dans les forêts françaises car celles-ci seraient « survieillies » n’a pas de fondementécologique. Au contraire, le stockage en forêtpeut fortement augmenter en allongeant lescycles de production, ou en faisant des îlots devieillissements. Les forêts françaises, relative-ment jeunes, pourraient se permettre de vieillirdavantage, notamment pour stocker du car-bone et favoriser la biodiversité. La« surcapitalisation » dénoncée n’est en fait

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qu’une nécessaire capitalisation. Dans son rap-port en 2003, Juillot indiquait d’ailleurs que lestockage en forêt est « entre 500 et 1 000 m3par hectare, atteints en un à deux siècles, pourla majorité des essences en conditions nor-males en Europe de l’Ouest ».

La CGT Forêt indiquait dans sa contribution auplan état/ONF 2012-2016 (CGT, 2011) : « Il estd’autres chiffres de l’IFN qui ne sont jamaismis en avant alors qu’ils s’avèrent fondamen-taux. Ainsi montrent-ils que la forêt françaisedans son ensemble est riche d’un capital surpied estimé entre 160 et 170 mètres-cubes parhectare de bois fort, ce qui est bien inférieur aucapital sur pied des forêts présentes dans lespays voisins de la France. Ainsi, en Suisse, ilatteint 330 m3 par hectare. Il est égal à 280 m3

par hectare en Allemagne et en Slovénie, à 250au Luxembourg et il se situe à 210 en Bel-gique… ».

La thèse de Vallet (2005) confirme l’intérêt despeuplements plus âgés pour le stockage de car-bone. Il a comparé le stockage de carbone entreune sylviculture favorisant la capitalisation surpied et une autre substituant des feuillus àcroissance lente par des résineux à croissancerapide, en prenant en compte le stockage dansle sol, aérien, mais aussi dans les produits finis.La conclusion est que la substitution des feuil-lus à croissance lente par des résineux àcroissance rapide conduit à « un stock de car-bone moyen inférieur sur le long terme ». Lasubstitution ne serait valable, sur le plan du car-bone, que si les plantations de résineux sonteffectuées sur des sols pauvres et « avec un scénario long ». D’autres auteurs étrangersarrivent aux mêmes conclusions (Luyssaert etal 2008, Nunery & Keeton, 2010).

Le résultat du programme de recherche del’INRA CARBOFOR publié en 2010 (Lousteauet al. 2010) confirme que les cycles longs per-mettent un meilleur stockage du carbone queles cycles courts.

Capitaliser pour augmenter la résilienceEnfin, d’après Barthod (2005), certains fores-tiers de l’USDA Forest Service (serviceforestier américain) s’étonnent de notre obses-sion sur l’écart entre récolte et accroissementbiologique, étant donné que leur expérience amontré toute la valeur de celui-ci comme un« tampon indispensable à tout système biolo-gique en situation de durabilité », et ced’autant plus avec les changements clima-tiques. La capitalisation des forêts permettraitainsi non seulement l’atténuation mais aussi,in fine, une meilleure adaptation des forêts,des forestiers et de la filière bois.

L’objectif d’augmentation de la récolteconduit dans certaines régions à préleverau-delà de l’accroissement naturel. Or lefait que l’accroissement naturel ne soit pasentièrement récolté permet en fait aux for-mations forestières jeunes de mûrir, de res-taurer la biodiversité menacée qui estdépendante des forêts vieillies, d’augmen-ter la résilience de l’écosystème, de stockerdu carbone, et enfin d’accroître le capitalsur pied avec des produits de qualité si unesylviculture adéquate est mise en œuvre.

Redéfinir le rôle des produits forestiers ?Le stockage dans les produits finis, souventavancé pour justifier l’augmentation de larécolte et le raccourcissement des rotations,peut en fait être considéré comme négligeableselon Vallet (2005). D’après lui, « la raison dece stock très faible tient à la fois à la faibledurée de vie des produits en comparaison avecla révolution de la forêt, et au faible pourcen-tage du bois d’œuvre devenant des produitsfinis en raison des rendements matière ». Ilconstate que « ce compartiment n’est donc pascritique et même des erreurs importantesseraient de peu de conséquence sur les résul-tats finaux ». La Direction de l’energie et duclimat indique dans sa synthèse sur « forêt etchangement climatique » (DGEC, 2009) qu’enFrance, la moyenne de la durée de stockage

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Sur le plan du carbone, la politique du rac-courcissement des cycles et de l’âged’exploitabilité ainsi que la substitution pardes espèces à croissance rapide, n’a ainsipas de justification scientifique à moyen etlong terme. Même si le rôle de substitutionà des matériaux plus émetteurs de CO2

n’est peut être pas négligeable, il ne méritesans doute pas la priorité absolue qui lui estsouvent donnée, à la vue notamment del’importance du stockage en forêt. Celui-cidevrait ainsi devenir une priorité politiqueau même titre que celle de l’utilisation dubois d’œuvre.

On retrouve dans cette période le manquede prise en compte des bases de l’écologiescientifique. Les discours sans nuances surla résistance des forêts, sur l’optimisationdu piégeage du carbone « en exploitantplus », révèlent le caractère totalementdéconnecté de l’écologie réelle des déci-sions politiques. Plus que jamais, il estnécessaire une évolution vers une approcheécosystémique plus en adéquation avec lesconnaissances disponibles. Elle demanderaun effort de formation important. Elleconstitue une décision politique majeure.

d’un m3 de produit bois est faible (Tableau 2).Ce chiffre couvre en fait une grande variabilitéselon les produits :

Il faudrait ajouter cependant le rôle de substi-tution du bois à des matériaux fortementémetteurs de CO2 à ce bilan. Peu d’études per-mettent de calculer, sur différentes échelles detemps, le bénéfice entre stockage en forêt etsubstitution à des matériaux utilisant desénergies fossiles. La direction de l’énergie etdu climat estime, en 2009, que « la substitu-tion, par le bois, d’autres matériaux deconstruction (béton, ciment…) permettraitd’éviter l’émission en moyenne de 0,3-0,7tCO2/m3 » (DGEC, 2009). Ceci augmenteraitde 30 à 70% la quantité de carbone attribuée à1 m3 de produit bois transformé. Est ce quecela rendrait pour autant le stockage hors forêtplus significatif ? Dupouey (2006) affirme que« ce rôle de séquestration par les forêts esttrès supérieur à celui qu’elles jouent par lasubstitution de carbone fossile grâce au bois-énergie ». De plus le carbone évité parsubstitution ne pourrait être comptabilisé dansson intégralité que s’il y a additionnalité, c’està dire si la part des produits bois consommésaugmente et que les produits non-bois équiva-lents diminuent. Il n’y aurait sinon pas dediminution des émissions de CO2.

Matériau / Produit bois Durée de vie (an)

Construction 5-75

Emballage 0, 1-8

Meubles et objets divers en bois 5-25

Papier et carton 0,1-1,5

Bois de chauffage 0,1-2

Tableau 2. Durée de vie des principales utilisations du bois (source : Direction de l’énergie et du climat, 2009).

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Conclusion

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CONCLUSION

Les constantes de la culture forestière françaiseAu fil de la lecture des rapports, études etrecommandations rédigés pour éclairer leschoix politiques, on remarque des constantes :- la forêt est avant tout une ressource et consi-

dérée comme nationale ;- depuis sa médiatisation au niveau internatio-

nal, la gestion durable des forêts estconsidérée comme importante mais laissée àdes actions volontaires et avec peu de cadretechnique ou mesures gouvernementalesfinancées ;

- malgré l’inscription dans la loi de la multi-fonctionnalité, la tentation revient régulière-ment de retourner formellement à laspécialisation des fonctions des forêts poursimplifier la production de bois ;

- la volonté exprimée d’augmenter la quantitéde bois exploitée est un leitmotiv, malgré lesfaibles résultats des politiques successives enla matière ;

- l’inquiétude devant le déficit de la balancecommerciale est régulièrement utilisée pourjustifier cette augmentation quantitative del’exploitation.

De façon sous-jacente, ressortent des élémentsqui perdurent dans le monde forestier depuisplusieurs décennies, comme la hantise de l’ab-sence de régénération et de la forêt adulte (parcrainte que la forêt ne meure de vieillesse ?), unecertaine satisfaction concernant le modèle fran-çais de gestion des forêts, la résistance auchangement lorsque la demande émerge en-dehors du monde forestier, un retard de prise encompte des connaissances scientifiques sur lefonctionnement écologique des forêts.

Les évolutions récentes suivent le cheminpassé et confirme l’insuffisante prise encompte de l’aspect environnemental sur le ter-rain. Ainsi la gestion de long terme estmenacée par le raccourcissement des cycles, lamultifonctionnalité, bien qu’affirmée, n’em-

pêche pas la mise en oeuvre des monocultureset des taillis à courte rotation. Le territoire estidentifié comme l’échelle de concertation et dedécision, mais les modalités pratiques d’unegouvernance réellement ouverte à tous lesacteurs peinent à se généraliser pour la forêtprivée comme publique. Les financementssont débloqués pour l’exploitation mais peupour promouvoir les gestions innovantes etalternatives ou la prise en compte de la biodi-versité. Enfin, la réduction constante despouvoirs et moyens humains des gestionnaires(ONF comme CRPF) ne permet pas d’accom-pagner les changements nécessaires, pourtantdevenus urgents dans la perspective desimpacts des changements climatiques.

Quels seraient les principes directeursd’une alternative d’avenir ?La forêt, en tant qu’écosystème, n’a pas besoinde l’homme ni pour survivre, ni pour s’adapteraux aléas, fussent ils aussi importants que leschangements climatiques produits par nosémissions de gaz à effets de serre. C’est lasociété qui a besoin de la forêt. La mission duforestier du XXIe siècle est donc bien de co-piloter avec la nature un écosystème sus-ceptible de fournir à la société de multiplesvaleurs, produits et services. Ceci peut se faireen fondant une politique sur la recherched’équilibre entre viabilité écologique, équitésociale, durabilité économique, soit les troispiliers énoncés du développement durable,idée nouvelle et répondant aux enjeux inéditsde ce siècle. Les bénéfices de la gestion nepeuvent se restreindre à la chasse et au bois,même s’ils sont importants, au risque de dés-équilibrer le fonctionnement de la forêt, et neplus lui permettre de garder ses qualités natu-relles. Ainsi un milieu artificialisé pourproduire uniquement du bois sera beaucoupplus sensible aux incendies, tempêtes, sèche-resses et maladies.

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Conclusion

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Un écosystème forestier qui fonctionne bienest la base de la fertilité et de la productivité, etdonc le moteur d’un bon fonctionnement éco-nomique, et ce sur le long terme. De ce fait, lesfinancements devraient plutôt être ciblés surle maintien des espèces menacées et sur l’aidepour une sylviculture plus proche de la nature(comme est aidée la conversion à l’agriculturebiologique). La gestion d’écosystème devraitêtre plus largement diffusée dans les forma-tions et approfondie de façon prioritaire par larecherche. En 1978 déjà, B. de Jouvenel expri-mait d’ailleurs cette recommandation.

Un écosystème fonctionnant bien permet lamultifonctionnalité ; il est économe en soins eten travaux coûteux nécessaires à son co-pilo-tage. Il est important aujourd’hui de réaffirmerle rôle multifonctionnel des forêts. On ne peut,on l’a vu, séparer la fonction écologique (biodi-

versité) de celle du carbone, de celle du bois…etc, ou séparer le moteur (l’écosystème) desvaleurs, produits et services rendus à la société.

Enfin, c’est par une gouvernance réellementouverte à tous les acteurs et participative qu’uneconciliation des différents intérêts peut se trou-ver au niveau territorial. L’ouverture et ledialogue doit être institutionnalisé, et non facul-tatif (cf. chartes de territoire), et la place donnéeaux différents centre d’intérêt équilibrés, indé-pendamment de leur représentation locale.

Le WWF, et ses partenaires, œuvre en Francedepuis plus de dix ans dans ce sens, dans unesprit de dialogue, d’échange d’expériences deterrain et de construction d’outils d’aide à ladécision pour le gestionnaire. Le chemin estencore long…

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Résumé - Regards sur la politique des forêts en FranceDepuis le Moyen-Âge, le Royaume puis la Nation ont lutté pour maintenir, puis développer, desressources forestières soumises aux pressions fortes des besoins de la société française. Cettevision patrimoniale mais utilitariste de la ressource a accompagné la restauration quantitativeprogressive de la couverture boisée depuis la fin du XIXe siècle. Après la seconde guerre mondiale,une vision productiviste, imitant le développement agricole, l’a remplacée, alors même que ladéprise rurale mais aussi les préoccupations concernant les loisirs, puis plus tard la biodiversitéet le développement durable, transformaient la réalité sociétale des forêts françaises. Lorsque lagestion de la forêt devenait officiellement multifonctionnelle (loi de 2001), les moyens pour l’yinciter n’étaient pas en place, voire réduits. Le rôle social et environnemental de la forêt,unanimement reconnu, a été délégué aux choix du rédacteur du plan d’aménagement, considéré« garantie de gestion durable », et aux schémas de certification volontaire. Récolter plus de boisest resté constamment la priorité, prétendument pour « diminuer le déficit de la balancecommerciale » de la filière forêts-bois, de « payer » la gestion et les autres fonctions, puisaujourd’hui pour « lutter contre les changements climatiques ». Or les connaissances scientifiqueset les expériences de terrain de gestionnaires innovants montrent qu’il est au contraire urgent derénover cette vision erronée, et de fonder les modes de gestion sur la résilience écologique et laplasticité économique des forêts, dont diversité, naturalité et économie en travaux sont deséléments clef. Les forêts françaises sont globalement encore jeunes et en cours de recapitalisationaprès des siècles de sur-exploitation. Ce fait laisse plus de flexibilité au gestionnaire d’aujourd’hui,notamment face aux aléas climatiques, et permet d’envisager de stocker plus de carbone en forêt.Il est temps aujourd’hui de dépasser les a priori, de regarder avec objectivité les connaissancesscientifiques et les réalités des forêts en vue de fonder une autre vision mieux en phase avec lesenjeux du XXIe siècle. Plus que jamais depuis un siècle, les choix politiques sont cruciaux pourl’avenir de la qualité des forêts françaises.

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