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Voltaire traité sur la tolérance

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  • TABLE

    DES

    CHAPITRES.

    CHAP.I.HIstoireabrgedelamortdeJeanCalas, page1CHAP.II.ConsquencesdusupplicedeJeanCalas, 16CHAP.III.IdedelaRformeduseiziemesiecle, 19CHAP.IV.SilaTolranceestdangereuse;&chezquelsPeupleselleestpratique,

    25

    CHAP.V.CommentlaTolrancepeuttreadmise, 36CHAP.VI.Sil'Intolranceestdedroitnaturel&dedroithumain?

    41

    CHAP.VII.Sil'IntolranceatconnuedesGrecs? 42CHAP.VIII.SilesRomainsontttolrants? 46CHAP.IX.DesMartyrs, 55CHAP.X.Dudangerdesfausseslgendes,&delaperscution,

    72

    CHAP.XI.Abusdel'Intolrance, 80CHAP.XII.Sil'IntolrancefutdedroitdivindansleJudasme,&siellefuttoujoursmiseenpratique?

    88

    CHAP.XIII.ExtrmeTolrancedesJuifs, 111CHAP.XIV.Sil'IntolranceatenseigneparJesus-Christ?

    123

    CHAP.XV.Tmoignagescontrel'Intolrance, 133CHAP.XVI.DialogueentreunMourant&unHommequiseportebien,

    137

    CHAP.XVII.LettrecriteauJsuiteLeTellier,parunBnficier,le6Mai1714,

    141

    CHAP.XVIII.Seulscasol'Intolranceestdedroithumain, 146CHAP.XIX.Relationd'unedisputedecontroverselaChine,

    150

  • CHAP.XX.S'ilestutiled'entretenirlePeupledanslasuperstition?

    153

    CHAP.XXI.Vertuvautmieuxquescience, 158CHAP.XXII.DelaTolranceuniverselle, 161CHAP.XXIII.PriereDieu, 166CHAP.XXIV.Postscriptum, 168CHAP.XXV.Suite&Conclusion, 176

    Al'occasiondelamortdeJeanCalas.

  • CHAPITREPREMIER.

    HistoireabrgedelamortdeJeanCalas.

    LEmeurtre deCalas, commis dansToulouse avec le glaive de la Justice, le 9meMars1762,estundesplussinguliersvnementsquimritentl'attentiondenotrege&delapostrit.Onoubliebienttcettefouledemortsquiapridansdesbataillessans nombre, non-seulement parce que c'est la fatalit invitable de la guerre,maisparcequeceuxquimeurentpar lesortdesarmes,pouvaientaussidonner lamortleursennemis,&n'ontpointprisanssedfendre.Loledanger&l'avantagesontgaux, l'tonnement cesse, & la piti mme s'affaiblit: mais si un Pere de familleinnocentestlivrauxmainsdel'erreur,oudelapassion,oudufanatisme;sil'accusn'adedfensequesavertu,silesarbitresdesavien'ontrisquerenl'gorgeantquedesetromper,s'ilspeuventtuerimpunmentparunarrt;alorslecripublics'leve,chacuncraintpoursoi-mme;onvoitquepersonnen'estensretdesaviedevantunTribunal rig pour veiller sur la vie desCitoyens,& toutes les voix se runissentpourdemandervengeance.

    Il s'agissait, dans cette trange affaire, de Religion, de suicide, de parricide: ils'agissaitdesavoirsiunpere&unemereavaienttranglleurfilspourplaireDieu,siun frereavait trangl son frere, siunamiavait trangl sonami,&si les Jugesavaient se reprocher d'avoir fait mourir sur la roue un pere innocent, ou d'avoirpargnunemere,unfrere,unamicoupables.

    JeanCalas, g de soixante & huit ans, exerait la profession de Ngociant Toulousedepuisplusdequaranteannes,&taitreconnudetousceuxquiontvcuavecluipourunbonpere.IltaitProtestant,ainsiquesafemme&toussesenfants,except un qui avait abjur l'hrsie, & qui le pere faisait une petite pension. Ilparaissaitsiloigndecetabsurdefanatismequi rompt tous les liensde laSocit,qu'ilapprouva laconversiondesonfilsLouisCalas,&qu'il avaitdepuis trenteanschezluiuneservantezleCatholique,laquelleavaitlevtoussesenfants.

    Undes filsdeJeanCalas,nommMarc-Antoine, tait unhommedeLettres: ilpassaitpourunespritinquiet,sombre&violent.Cejeunehommenepouvantrussirni entrerdans lengoce, auquel il n'tait paspropre,ni tre reuAvocat, parcequ'ilfallaitdescertificatsdeCatholicit,qu'ilneputobtenir,rsolutdefinirsavie,&fit pressentir ce dessein un de ses amis: il se confirma dans sa rsolution par la

  • lecturedetoutcequ'onajamaiscritsurlesuicide.

    Enfin, un jour, ayant perdu son argent au jeu, il choisit ce jour l mme pourexcutersondessein.Unamidesafamille,&lesien,nommLavaisse,jeune-hommededix-neufans, connupar la candeur& ladouceurde sesmurs, filsd'unAvocatclebredeToulouse,taitarriv[1]deBordeauxlaveille;ilsoupaparhasardchezlesCalas. Le pere, la mere, Marc-Antoine leur fils ain, Pierre leur second fils,mangerentensemble.Aprslesouperonseretiradansunpetitsallon;Marc-Antoinedisparut: enfin, lorsque le jeune Lavaisse voulut partir, Pierre Calas & lui tantdescendus,trouverenten-bas,auprsdumagasin,Marc-Antoine,enchemise,penduuneporte,&sonhabitplisurlecomptoir;sachemisen'taitpasseulementdrange;ses cheveux taient bien peigns: il n'avait sur son corps aucune playe, aucunemeurtrissure.[2]

    On passe ici tous les dtails dont les Avocats ont rendu compte: on ne dcrirapointladouleur&ledsespoirdupere&delamere:leurscrisfurententendusdesvoisins. Lavaisse & Pierre Calas, hors d'eux-mmes, coururent chercher desChirurgiens&laJustice.

    Pendantqu'ils s'acquittaientdecedevoir,pendantque lepere& lameretaientdans les sanglots&dans les larmes, lePeupledeToulouse s'attroupait autourde lamaison.CePeuple est superstitieux&emport; il regardecommedesmonstres sesfreresquinesontpasdelammeReligionquelui.C'estToulousequ'onremerciaDieu solemnellement de la mort deHenri trois, & qu'on fit serment d'gorger lepremier qui parlerait de reconnatre le grand, le bon Henri quatre. Cette Villesolemniseencoretouslesans,paruneProcession&pardesfeuxdejoye,lejouroellemassacraquatremilleCitoyenshrtiques,ilyadeuxsiecles.EnvainsixArrtsdu Conseil ont dfendu cette odieuse fte, les Toulousains l'ont toujours clbrecommelesjeuxfloraux.

    Quelquefanatiquedelapopulaces'criaqueJeanCalasavaitpendusonproprefilsMarc-Antoine.Cecrirptfutunanimeenunmoment.D'autresajouterentquelemortdevaitlelendemainfaireabjuration;quesafamille&lejeuneLavaissel'avaienttrangl, par haine contre laReligionCatholique: lemoment d'aprs on n'en doutaplus;toutelaVillefutpersuadequec'estunpointdeReligionchezlesProtestants,qu'unpere&unemeredoiventassassinerleurfils,dsqu'ilveutseconvertir.

    Lesespritsune foismusne s'arrtentpoint.On imaginaque lesProtestantsduLanguedocs'taientassemblslaveille;qu'ilsavaientchoisilapluralitdesvoixunbourreau de la secte; que le choix tait tomb sur le jeuneLavaisse; que ce jeunehomme,envingt-quatreheures,avaitreulanouvelledesonlection,&taitarrivdeBordeauxpouraiderJeanCalas,safemme&leurfilsPierre,tranglerunami,

  • unfils,unfrere.

    LeSr.David, Capitoul deToulouse, excit par ces rumeurs,& voulant se fairevaloir par une prompte excution, fit une procdure contre les Regles & lesOrdonnances.LafamilleCalas,laservanteCatholique,Lavaissefurentmisauxfers.

    On publia unmonitoire nonmoins vicieux que la procdure.On alla plus loin.Marc-AntoineCalastaitmortCalviniste;&s'ilavaitattentsurlui-mme,ildevaittre tran sur la claye: on l'inhuma avec la plus grande pompe dans l'Eglise St.Etienne,malgrleCurquiprotestaitcontrecetteprofanation.

    IlyadansleLanguedocquatreConfrairiesdePnitents, lablanche, lableue, lagrise,&lanoire.LesConfreresportentunlongcapuceavecunmasquededrappercdedeuxtrouspourlaisserlavuelibre:ilsontvouluengagerM.leDucdeFitz-James,Commandant de la Province, entrer dans leur Corps, & il les a refuss. LesConfreres blancs firent Marc-Antoine Calas un Service solemnel comme unMartyr. Jamais aucuneEglise ne clbra la fte d'unMartyr vritable avec plus depompe; mais cette pompe fut terrible. On avait lev au-dessus d'un magnifiquecatafalque,unsqulettequ'onfaisaitmouvoir,&quireprsentaitMarc-AntoineCalas,tenantd'unemainunepalme,&del'autrelaplumedontildevaitsignerl'abjurationdel'hrsie,&quicrivaiteneffetl'arrtdemortdesonpere.

    Alors il ne manqua plus aumalheureux qui avait attent sur soi-mme, que lacanonisation;toutlePeupleleregardaitcommeunSaint:quelques-unsl'invoquaient;d'autres allaient prier sur sa tombe, d'autres lui demandaient des miracles, d'autresracontaientceuxqu'ilavaitfaits.UnMoineluiarrachaquelquesdentspouravoirdesreliques durables. Une dvote, un peu sourde, dit qu'elle avait entendu le son descloches.UnPrtreapoplectiquefutguriaprsavoirprisdel'mtique.Ondressadesverbauxdecesprodiges.Celuiquicritcetterelation,possedeuneattestationqu'unjeune homme de Toulouse est devenu fou pour avoir pri plusieurs nuits sur letombeaudunouveauSaint,&pourn'avoirpuobtenirunmiraclequ'ilimplorait.

    QuelquesMagistratstaientdelaConfrairiedesPnitentsblancs.DscemomentlamortdeJeanCalasparutinfaillible.

    Cequisur-toutprparasonsupplice,cefutl'approchedecetteftesingulierequeles Toulousains clebrent tous les ans en mmoire d'un massacre de quatre milleHuguenots;l'anne1762taitl'annesculaire.OndressaitdanslaVillel'appareildecette solemnit; cela mme allumait encore l'imagination chauffe du Peuple: ondisait publiquement que l'chafaud sur lequel on rouerait lesCalas, serait le plusgrand ornement de la fte; on disait que la Providence amenait elle-mme cesvictimespourtresacrifiesnotresainteReligion.Vingtpersonnesontentenducesdiscours,&deplusviolentsencore.Etc'estdenosjours!&c'estdansuntempsola

  • Philosophie a fait tant de progrs! & c'est lorsque cent Acadmies crivent pourinspirer la douceur desmurs! Il semble que le fanatisme, indign depuis peu dessuccsdelaraison,sedbattesouselleavecplusderage.

    TreizeJugess'assemblerenttouslesjourspourterminerleProcs.Onn'avait,onnepouvaitavoiraucunepreuvecontrelafamille;maislaReligiontrompetenaitlieude preuve. Six Juges persisterent longtemps condamner Jean Calas, son fils, &Lavaisselaroue,&lafemmedeJeanCalasaubucher.Septautres,plusmodrs,voulaientaumoinsqu'onexamint.Lesdbatsfurentritrs&longs.UndesJuges,convaincude l'innocencedesaccuss,&de l'impossibilitducrime,parlavivementenleurfaveur;ilopposalezeledel'humanitauzeledelasvrit;ildevintl'Avocatpublic desCalas dans toutes lesmaisons de Toulouse, o les cris continuels de laReligionabusedemandaientlesangdecesinfortuns.UnautreJuge,connuparsaviolence, parlait dans la Ville avec autant d'emportement contre lesCalas, que lepremiermontraitd'empressementlesdfendre.Enfinl'clatfutsigrand,qu'ilsfurentobligsdesercuserl'un&l'autre;ilsseretirerentlacampagne.

    Mais,parunmalheur trange, le Juge favorable auxCalas eut ladlicatessedepersisterdanssarcusation,&l'autrerevintdonnersavoixcontreceuxqu'ilnedevaitpoint juger: ce fut cettevoixqui forma la condamnation la roue; car ily euthuitvoixcontrecinq,undessixJugesoppossayantlafin,aprsbiendescontestations,passaupartileplussvere.

    Ilsemblequequandils'agitd'unparricide,&delivrerunPeredefamilleauplusaffreuxsupplice,lejugementdevraittreunanime,parcequelespreuvesd'uncrimesiinoui[3]devraienttred'unevidencesensibletoutlemonde:lemoindredoute,dansuncaspareil,doitsuffirepourfairetremblerunJugequivasignerunArrtdemort.Lafaiblessedenotreraison&l'insuffisancedenosLoixsefontsentirtouslesjours;mais dans quelle occasion en dcouvre-t-on mieux la misere que quand laprpondrance d'une seule voix fait rouer un Citoyen? Il fallait dans Athenescinquantevoixau-deldelamoitipouroserprononcerunjugementdemort.Qu'enrsulte-t-il?cequenoussavons trs-inutilement,que lesGrecstaientplus sages&plushumainsquenous.

    Il paraissait impossible queJeanCalas, vieillard de soixante-huit ans, qui avaitdepuislong-tempslesjambesenfles&faibles,etseultrangl&penduunfilsgdevingt-huitans,quitaitd'une forceau-dessusde l'ordinaire; il fallaitabsolumentqu'ilettassistdanscetteexcutionparsafemme,parsonfilsPierreCalas,parLavaisse,&parlaservante.Ilsnes'taientpasquittsunseulmomentlesoirdecettefatale aventure. Mais cette supposition tait encore aussi absurde que l'autre: carcomment une servante zle Catholique aurait-elle pu souffrir que des Huguenotsassassinassent un jeune-homme lev par elle, pour le punir d'aimer laReligion de

  • cette servante?CommentLavaisse serait-ilvenuexprsdeBordeauxpour tranglersonami,dontil ignoraitlaconversionprtendue?Commentunemeretendreaurait-ellemis lesmainssursonfils?Comment tousensembleauraient-ilsputranglerunjeune-hommeaussirobustequ'euxtous,sansuncombatlong&violent,sansdescrisaffreux qui auraient appell tout le voisinage, sans des coups ritrs, sans desmeurtrissures,sansdeshabitsdchirs?

    Il tait videntquesi leparricideavaitputrecommis, tous lesaccusstaientgalementcoupables,parcequ'ilsnes'taientpasquittsd'unmoment;iltaitvidentqu'ilsnel'taientpas; iltaitvidentquelepereseulnepouvait l'tre;&cependantl'arrtcondamnacepereseulexpirersurlaroue.

    Lemotifdel'arrttaitaussiinconcevablequetoutlereste.LesJugesquitaientdcidspourlesupplicedeJeanCalas,persuaderentauxautresquecevieillardfaiblenepourraitrsisterauxtourments,&qu'ilavoueraitsouslescoupsdesbourreauxsoncrime&celuidesescomplices.Ilsfurentconfondus,quandcevieillard,enmourantsur la roue, pritDieu tmoin de son innocence,& le conjura de pardonner sesJuges.

    Ilsfurentobligsderendreunsecondarrtcontradictoireaveclepremier,d'largirlamere,sonfilsPierre,lejeuneLavaisse&laservante:maisundesConseillersleurayant fait sentir que cet arrt dmentait l'autre, qu'ils se condamnaient eux-mmes,que tous les accuss ayant toujours t ensemble dans le temps qu'on supposait leparricide, l'largissement de tous les survivants prouvait invinciblement l'innocenceduperedefamilleexcut;ilsprirentalorslepartidebannirPierreCalassonfils.Cebannissementsemblaitaussiinconsquent,aussiabsurdequetoutlereste:carPierreCalas tait coupable ou innocent du parricide; s'il tait coupable, il fallait le rouercommesonpere;s'iltaitinnocent,ilnefallaitpaslebannir.MaislesJugeseffraysdu supplice du pere, & de la pit attendrissante avec laquelle il tait mort,imaginerentsauverleurhonneurenlaissantcroirequ'ilsfaisaientgraceaufils;commesi ce n'et pas t une prvarication nouvelle de faire grace: & ils crurent que lebannissement de ce jeune homme, pauvre & sans appui, tant sans consquence,n'taitpasunegrandeinjustice,aprscellequ'ilsavaienteulemalheurdecommettre.

    OncommenaparmenacerPierreCalasdanssoncachot,deletraitercommesonperes'iln'abjuraitpassaReligion.C'estcequecejeunehomme[4]attesteparserment.

    PierreCalas, en sortant de laVille, rencontra unAbb convertisseur, qui le fitrentrer dans Toulouse; on l'enferma dans un Couvent de Dominicains, & l on lecontraignit remplir toutes les fonctionsde laCatholicit; c'tait enpartiecequ'onvoulait, c'tait le prix du sang de son pere; & la Religion qu'on avait cru venger,semblaitsatisfaite.

  • On enleva les filles la mere; elles furent enfermes dans un Couvent. Cettefemmepresquearrosedusangdesonmari,ayant tenusonfilsainmortentresesbras,voyantl'autrebanni,privedesesfilles,dpouilledetoutsonbien,taitseuledans le monde, sans pain, sans esprance, &mourante de l'excs de sonmalheur.Quelques personnes ayant examin mrement toutes les circonstances de cetteaventurehorrible,enfurentsifrappes,qu'ellesfirentpresserlaDameCalas, retiredansunesolitude,d'oservenirdemanderjusticeauxpiedsduTrne.Ellenepouvaitpasalorssesoutenir,elles'teignait;&d'ailleurstantneAnglaise,transplantedansuneProvincedeFrancedssonjeunege,lenomseuldelaVilledeParisl'effrayait.Elles'imaginaitquelaCapitaleduRoyaumedevaittreencoreplusbarbarequecellede Toulouse. Enfin le devoir de venger la mmoire de son mari l'emporta sur safaiblesse.EllearrivaParisprted'expirer.Ellefuttonned'ytrouverdel'accueil,dessecours&deslarmes.

    Laraison l'emporteParissur le fanatisme,quelquegrandqu'ilpuissetre;au-lieuqu'enProvincecefanatismel'emportepresquetoujourssurlaraison.

    Mr.DeBeaumont,clebreAvocatduParlementdeParis,pritd'abordsadfense,&dressauneconsultation,quifutsignedequinzeAvocats.Mr.Loiseau,nonmoinsloquent, composa un Mmoire en faveur de la famille. Mr.Mariette, Avocat auConseil,dressauneRequtejuridique,quiportaitlaconvictiondanstouslesesprits.

    Ces trois gnreux dfenseurs des Loix & de l'innocence abandonnerent laveuveleprofitdesditionsdeleursPlaidoyers.[5]Paris&l'Europeentieres'murentdepiti,&demanderentjusticeaveccettefemmeinfortune.L'arrtfutprononcpartoutlePubliclong-tempsavantqu'ilpttresignparleConseil.

    La piti pntra jusqu'auMinistere,malgr le torrent continuel des affaires, quisouventexclutlapiti,&malgrl'habitudedevoirdesmalheureux,quipeutendurcirle cur encore davantage. On rendit les filles la mere: on les vit toutes troiscouvertesd'uncrpe&baignesdelarmes,enfairerpandreleursJuges.

    Cependantcettefamilleeutencorequelquesennemis,carils'agissaitdeReligion.Plusieurspersonnes,qu'onappelleenFrancedvotes,[6]direnthautementqu'ilvalaitbienmieuxlaisserrouerunvieuxCalvinisteinnocent,qued'exposerhuitConseillersde Languedoc convenir qu'ils s'taient tromps; on se servit mme de cetteexpression:IlyaplusdeMagistratsquedeCalas;&oninfraitdelquelafamilleCalas devait tre immole l'honneur de laMagistrature. On ne songeait pas quel'honneurdesJugesconsistecommeceluidesautreshommes rparer leurs fautes.OnnecroitpasenFranceque lePape, assistde sesCardinaux, soit infaillible:onpourraitcroiredemmequehuitJugesdeToulousenelesontpas.Toutlerestedesgens senss&dsintresssdisaientque l'ArrtdeToulouse serait cassdans toute

  • l'Europe,quandmmedesconsidrationsparticulieresempcheraientqu'il ft cassdansleConseil.

    Teltaitl'tatdecettetonnanteaventure,lorsqu'elleafaitnatredespersonnesimpartiales,maissensibles,ledesseindeprsenterauPublicquelquesrflexionssurla tolrance, sur l'indulgence, sur la commisration, que l'AbbHouteville appelleDogmemonstrueux,danssadclamationampoule&erronesurdesfaits,&quelaraisonappellel'appanagedelanature.

    OulesJugesdeToulouse,entransparlefanatismedelapopulace,ontfaitrouerun pere de famille innocent, ce qui est sans exemple; ou ce pere de famille & safemmeonttrangl leur filsain,aidsdansceparricideparunautre fils&parunami,cequin'estpasdanslanature.Dansl'unoudansl'autrecasl'abusdelaReligionla plus sainte a produit un grand crime. Il est donc de l'intrt du Genre-humaind'examinersilaReligiondoittrecharitableoubarbare.

  • CHAPITREII.

    ConsquencesdusupplicedeJeanCalas.

    SI lesPnitentsblancsfurent lacausedusuppliced'un innocent,de laruine totaled'une famille, de sa dispersion, & de l'opprobre qui ne devrait tre attach qu'l'injustice, mais qui l'est au supplice; si cette prcipitation des Pnitents blancs clbrercommeunSaint,celuiqu'onauraitdtranersurlaclaye,afaitrouerunperedefamillevertueux;cemalheurdoitsansdoute lesrendrepnitentseneffetpour lerestede leurvie:eux& les Jugesdoiventpleurer,maisnonpasavecun longhabitblanc&unmasquesurlevisage,quicacheraientleurslarmes.

    OnrespectetouteslesConfrairies;ellessontdifiantes:maisquelquegrandbienqu'elles puissent faire l'Etat, gale-t-il ce mal affreux qu'elles ont caus? Ellessemblent instituespar lezelequianimeenLanguedoc lesCatholiquescontreceuxquenousnommonsHuguenots.Ondiraitqu'onafaitvudeharsesfreres;carnousavonsassezdereligionpourhar&perscuter,nousn'enavonspasassezpouraimer& pour secourir. Et que serait-ce, si ces Confrairies taient gouvernes par desenthousiastes,commel'onttautrefoisquelquesCongrgationsdesArtisans&desMessieurs, chez lesquels on rduisait en art & en systme l'habitude d'avoir desvisions,commeleditundenosplusloquents&savantsMagistrats?Queserait-cesion tablissait dans les Confrairies ces chambres obscures, appelles chambres demditation, o l'on faisait peindre des diables arms de cornes & de griffes, desgouffresdeflammes,descroix&despoignards,aveclesaintnomdeJESUSau-dessusdutableau?Quelspectaclepourdesyeuxdjafascins,&pourdesimaginationsaussienflammesquesoumisesleursDirecteurs!

    Ilyaeudestemps,onnelesaitquetrop,odesConfrairiesonttdangereuses.LesFrrots,lesFlagellantsontcausdestroubles.LaLiguecommenapardetellesassociations. Pourquoi se distinguer ainsi des autres Citoyens? s'en croyait-on plusparfait? cela mme est une insulte au reste de la Nation. Voulait-on que tous lesChrtiensentrassentdanslaConfrairie?Ceseraitunbeauspectaclequel'Europeencapuchon&enmasque,avecdeuxpetitstrousrondsau-devantdesyeux!Pense-t-ondebonnefoiqueDieuprferecetaccotrementunjustaucorps?Ilyabienplus;cethabitestununiformedeControversistes,quiavertitlesAdversairesdesemettresouslesarmes;ilpeutexciteruneespecedeguerreciviledanslesesprits;ellefiniraitpeut-tre par de funestes excs, si le Roi & sesMinistres n'taient aussi sages que les

  • fanatiquessontinsenss.

    Onsaitassezcequ'ilenacotdepuisquelesChrtiensdisputentsurledogme;lesangacoul,soitsurleschafauds,soitdanslesbatailles,dslequatriemesieclejusqu'nosjours.Bornons-nousiciauxguerres&auxhorreursquelesquerellesdelarforme ont excites, & voyons quelle en a t la source en France. Peut-tre untableauraccourci&fideledetantdecalamitsouvriralesyeuxdequelquespersonnespeuinstruites,&toucheradescursbienfaits.

  • CHAPITREIII.

    IdedelaRformeduseiziemesiecle.

    LOrsqu' la renaissance des Lettres, les esprits commencerent s'clairer, on seplaignitgnralementdesabus;toutlemondeavouequecetteplaintetaitlgitime.

    LePapeAlexandreVIavaitachetpubliquement laTiare,&sescinqbtardsenpartageaient lesavantages.Son fils, leCardinalDucdeBorgia, fitprir,deconcertaveclePapesonpere,lesVitelli,lesUrbino,lesGravina,lesOliveretto,&centautresSeigneurs, pour ravir leursdomaines.Jules II, anim dumme esprit, excommuniaLouisXII,donnasonRoyaumeaupremieroccupant,&lui-mmelecasqueentte,&lacuirassesurledos,mitfeu&sangunepartiedel'Italie.LonX,pourpayersesplaisirs,trafiquadesIndulgences,commeonvenddesdenresdansunmarchpublic.Ceuxquis'leverentcontretantdebrigandages,n'avaientdumoinsaucuntortdanslamorale;voyonss'ilsenavaientcontrenousdanslapolitique.

    IlsdisaientqueJESUS-CHRISTn'ayantjamaisexigd'annates,niderserves,nivendudesdispensespourcemonde,&desindulgencespourl'autre,onpouvaitsedispenserde payer un Prince tranger le prix de toutes ces choses. Quand les annates, lesprocsenCourdeRome,&lesdispensesquisubsistentencoreaujourd'hui,nenouscoteraientquecinqcentsmillefrancsparan,ilestclairquenousavonspaydepuisFranois I, en deux cents cinquante annes, cent vingtmillions;& en valuant lesdiffrentsprixdumarcd'argent,cette sommeencomposeuned'environdeuxcentscinquante millions d'aujourd'hui. On peut donc convenir sans blasphme, que lesHrtiques, en proposant l'abolition de ces Impts singuliers, dont la postrits'tonnera,nefaisaientpasencelaungrandmalauRoyaume,&qu'ilstaientpluttbonscalculateursquemauvaissujets.Ajoutonsqu'ilstaient lesseulsquisussent laLangueGrecque,&quiconnussentl'antiquit.Nedissimulonspointque,malgrleurserreurs, nous leur devons le dveloppement de l'esprit humain, long-temps ensevelidanslapluspaissebarbarie.

    MaiscommeilsniaientlePurgatoire,dontonnedoitpasdouter,&quid'ailleursrapportaitbeaucoupauxMoines;commeilsnervraientpasdesreliquesqu'ondoitrvrer, mais qui rapportaient encore davantage; enfin, comme ils attaquaient desdogmes trs-respects,[7]onne leur rponditd'abordqu'en les faisantbrler.LeRoiqui lesprotgeait,& les soudoyait enAllemagne,marchadansParis la tted'une

  • Procession,aprslaquelleonexcutaplusieursdecesmalheureux;&voiciquellefutcetteexcution.Onlessuspendaitauboutd'unelonguepoutrequi jouaitenbasculesurunarbredebout;ungrandfeutaitallumsouseux,onlesyplongeait,&onlesrelevaitalternativement;ilsprouvaientlestourments&lamortpardegrs,jusqu'cequ'ilsexpirassentparlepluslong&leplusaffreuxsupplicequejamaisaitinventlabarbarie.

    Peu de temps avant lamort deFranois I, quelquesMembres du Parlement deProvence, anims par des Ecclsiastiques contre les Habitants de Mrindol & deCabriere, demanderent au Roi des Troupes pour appuyer l'excution de dix-neufpersonnes de ce Pays, condamnes par eux; ils en firent gorger six mille, sanspardonnerniausexe,nilavieillesse,nil'enfance;ilsrduisirenttrenteBourgsencendres.CesPeuples,jusqu'alorsinconnus,avaienttortsansdouted'trensVaudois,c'taitleurseuleiniquit.Ilstaienttablisdepuistroiscentsansdansdesdserts,&sur des montagnes qu'ils avaient rendu fertiles par un travail incroyable. Leur viepastorale&tranquilleretraaitl'innocenceattribueauxpremiersgesdumonde.LesVilles voisines n'taient connues d'eux que par le trafic des fruits qu'ils allaientvendre;ilsignoraientlesprocs&laguerre;ilsnesedfendirentpas;onlesgorgeacommedesanimauxfugitifsqu'ontuedansuneenceinte.[8]

    Aprs lamortdeFranois I,Princeplusconnucependantpar sesgalanteries&parsesmalheursqueparsescruauts,lesupplicedemilleHrtiques,sur-toutceluidu Conseiller au ParlementDubourg, & enfin le massacre de Vassy, armerent lesperscuts, dont la secte s'taitmultiplie la lueur des buchers,& sous le fer desbourreaux;laragesuccdalapatience; ils imiterent lescruautsdeleursennemis:neuf guerres civiles remplirent la France de carnage; une paix plus funeste que laguerre,produisit laSt.Barthelemi,dont iln'yavaitaucunexempledans lesannalesdescrimes.

    LaLigueassassinaHenriIII&HenriIV,parlesmainsd'unFrereJacobin,&d'unmonstrequiavaittFrereFeuillant. Ilyadesgensquiprtendentque l'humanit,l'indulgence,&lalibertdeconscience,sontdeschoseshorribles;maisenbonnefoi,auraient-ellesproduitdescalamitscomparables?

  • CHAPITREIV.

    SilaTolranceestdangereuse;&chezquelsPeupleselle

    estpratique.

    QUelques-unsontditquesil'onusaitd'uneindulgencepaternelleenversnosfrereserrants,quiprientDieuenmauvaisFranais,ceseraitleurmettrelesarmeslamain,qu'onverraitdenouvellesbataillesdeJarnac,deMoncontour,deCoutras,deDreux,deSt.Denis,&c.C'estcequej'ignore,parcequejenesuispasProphete;maisilmesemblequecen'estpasraisonnerconsquemment,quededire:Ceshommessesontsoulevsquand je leurai faitdumal,donc ils sesouleverontquand je leur feraidubien.

    J'oseraisprendre la libertd'inviterceuxqui sont la tteduGouvernement,&ceuxquisontdestinsauxgrandesplaces,vouloirbienexaminermrement,sil'ondoitcraindreeneffetqueladouceurproduiselesmmesrvoltesquelacruautafaitnatre;sicequiestarrivdanscertainescirconstances,doitarriverdansd'autres;silestemps,l'opinion,lesmurssonttoujourslesmmes?

    Les Huguenots, sans doute, ont t enivrs de fanatisme, & souills de sangcomme nous:mais la gnration prsente est-elle aussi barbare que leurs peres? letemps, la raison qui fait tant de progrs, les bonsLivres, la douceur de la Socit,n'ont-ils point pntr chez ceux qui conduisent l'esprit de cesPeuples?&ne nousappercevons-nous pas que presque toute l'Europe a chang de face depuis environcinquanteannes?

    LeGouvernements'estfortifipar-tout,tandisquelesmurssesontadoucies.LaPolice gnrale, soutenue d'armes nombreuses toujours existantes, ne permet pasd'ailleursdecraindreleretourdecestempsanarchiques,odesPaysansCalvinistescombattaientdesPaysansCatholiques, enrgiments lahte entre les semailles&lesmoissons.

    D'autres temps, d'autres soins. Il serait absurde de dcimer aujourd'hui laSorbonne, parce qu'elle prsenta requte autrefois pour faire brler la Pucelled'Orlans; parce qu'elle dclara Henri III dchu du droit de rgner, qu'ellel'excommunia,qu'elleproscrivitlegrandHenriIV.Onnerechercherapas,sansdoute,

  • les autres Corps du Royaume qui commirent les mmes excs dans ces temps defrnsie;celaseraitnon-seulementinjuste,maisilyauraitautantdefoliequ'purgertouslesHabitantsdeMarseilleparcequ'ilsonteulapesteen1720.

    Irons-noussaccagerRome,commefirentlestroupesdeCharles-quint,parcequeSixte-quint,en1585,accordaneufansd'indulgencetouslesFranaisquiprendraientlesarmescontreleurSouverain?&n'est-cepasassezd'empcherRomedeseporterjamaisdesexcssemblables?

    Lafureurqu'inspirentl'espritdogmatique&l'abusdelaReligionChrtiennemalentendue, a rpanduautantde sang, aproduit autantdedsastres enAllemagne, enAngleterre,&mmeenHollande,qu'enFrance:cependantaujourd'hui ladiffrencedesReligionsnecauseaucuntroubledanscesEtats;leJuif,leCatholique,leGrec,leLuthrien, leCalviniste, l'Anabatiste, leSocinien, leMemnoniste, leMorave& tantd'autres, vivent en freres dans cesContres,&contribuent galement aubiende laSocit.

    OnnecraintplusenHollandequelesdisputesd'unGomar[9]surlaprdestinationfassent trancher la tte au grandPensionnaire.On ne craint plus Londres que lesquerellesdesPresbytriens&desEpiscopauxpouruneLithurgie&pourunsurplis,rpandentlesangd'unRoisurunchafaud.[10]L'Irlandepeuple&enrichie,neverraplus ses Citoyens Catholiques sacrifier Dieu pendant deux mois ses CitoyensProtestants,lesenterrervivants,suspendrelesmeresdesgibets,attacherlesfillesaucou de leurs meres, & les voir expirer ensemble; ouvrir le ventre des femmesenceintes,entirerlesenfantsdemi-forms,&lesdonnermangerauxporcs&auxchiens; mettre un poignard dans la main de leurs prisonniers garrots, & conduireleursbrasdansleseindeleursfemmes,deleursperes,deleursmeres,deleursfilles,s'imaginant en faire mutuellement des parricides, & les damner tous en lesexterminant tous. C'est ce que rapporte Rapin-Toiras, Officier en Irlande, presquecontemporain; c'est ce que rapportent toutes les Annales, toutes les Histoiresd'Angleterre, & ce qui sans doute ne sera jamais imit. La Philosophie, la seulePhilosophie,cettesurdelaReligion,adsarmdesmainsquelasuperstitionavaitsilong-tempsensanglantes;&l'esprithumain,aurveildesonivresse,s'esttonndesexcsol'avaitemportlefanatisme.

    Nous-mmes, nous avons enFranceuneProvinceopulente, o leLuthranismel'emporte sur le Catholicisme. L'Universit d'Alsace est entre les mains desLuthriens: ils occupent une partie des Charges municipales; jamais la moindrequerelle religieusen'adrang le reposdecetteProvincedepuisqu'elleappartientnosRois.Pourquoi?c'estqu'onn'yaperscutpersonne.Necherchezpointgnerlescurs,&touslescursserontvous.

  • Je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de laReligion du Prince doiventpartager les places& les honneurs de ceux qui sont de la Religion dominante. EnAngleterre, les Catholiques, regards comme attachs au Prtendant, ne peuventparvenir aux emplois; ils payentmme double taxe;mais ils jouissent d'ailleurs detouslesdroitsdesCitoyens.

    On a souponn quelques Evques Franais de penser qu'il n'est ni de leurhonneur,nideleurintrt,d'avoirdansleurDiocesedesCalvinistes;&quec'estlleplus grand obstacle la Tolrance: je ne le puis croire. Le Corps des Evques enFranceestcomposdegensdequalit,quipensent&quiagissentavecunenoblessedignede leurnaissance; ils sontcharitables&gnreux,c'estune justicequ'ondoitleur rendre: ils doivent penser que certainement leurs Diocsains fugitifs ne seconvertirontpasdanslesPaystrangers,&que,retournsauprsdeleursPasteurs,ilspourraienttreclairsparleursinstructions,&touchsparleursexemples;ilyauraitde l'honneur les convertir: le temporel n'y perdrait pas; & plus il y aurait deCitoyens,pluslesterresdesPrlatsrapporteraient.

    Un Evque de Varmie, en Pologne, avait un Anabatiste pour Fermier, & unSocinienpourReceveur;onluiproposadechasser&depoursuivrel'unparcequ'ilnecroyaitpaslaconsubstantiabilit,&l'autreparcequ'ilnebaptisaitsonfilsqu'quinzeans: il rpondit qu'ils seraient ternellement damns dans l'autre monde, mais quedanscemonde-ciilsluitaienttrs-ncessaires.

    Sortons de notre petite sphere, & examinons le reste de notre globe. Le grandSeigneurgouverne enpaixvingtPeuplesdediffrentesReligions; deux centsmilleGrecsviventavecscuritdansConstantinople;leMuphtimmenomme&prsentel'EmpereurlePatriarcheGrec;onysouffreunPatriarcheLatin.LeSultannommedesEvquesLatinspourquelquesIslesdelaGrece,[11]&voicilaformuledontilsesert;Je lui commande d'aller rsider Evque dans l'Isle de Chio, selon leur anciennecoutume & leurs vaines crmonies. Cet Empire est rempli de Jacobites, deNestoriens,deMonotlites; ilyadesCophtes,desChrtiensdeSt.Jean,desJuifs,des Guebres, des Banians. Les Annales Turques ne font mention d'aucune rvolteexciteparaucunedecesReligions.

    Allezdansl'Inde,danslaPerse,danslaTartarie;vousyverrezlammetolrance& la mme tranquillit.Pierre-le-Grand a favoris tous les Cultes dans son vasteEmpire:leCommerce&l'Agricultureyontgagn,&leCorpspolitiquen'enajamaissouffert.

    LeGouvernementdelaChinen'ajamaisadopt,depuisplusdequatremilleansqu'il est connu, que le Culte des Noachides, l'adoration simple d'un seul Dieu:cependant il tolere les superstitions de Fo, & une multitude de Bonzes qui serait

  • dangereuse,silasagessedesTribunauxnelesavaitpastoujourscontenus.

    Il estvraique legrandEmpereurYont-Chin, le plus sage& leplusmagnanimepeut-trequ'aiteulaChine,achasslesJsuites;maiscen'taitpasparcequ'iltaitintolrant,c'taitaucontraireparcequelesJsuitesl'taient.Ilsrapportenteux-mmesdansleursLettrescurieuses,lesparolesqueleurditcebonPrince:JesaisquevotreReligionestintolrante;jesaiscequevousavezfaitauxManilles&auJapon;vousaveztrompmonPere,n'esprezpasmetromperdemme.Qu'onlisetoutlediscoursqu'il daigna leur tenir, on le trouvera le plus sage& le plus clment des hommes.Pouvait-ileneffetretenirdesPhysiciensd'Europe,qui,sousprtextedemontrerdesthermometres&desolipiles laCour,avaient soulevdjaunPrincedusang?&qu'auraitditcetEmpereur,s'ilavaitlunosHistoires,s'ilavaitconnunostempsdelaligue,&delaconspirationdespoudres?

    C'entaitassezpourluid'treinformdesquerellesindcentesdesJsuites,desDominicains,desCapucins,desPrtressculiersenvoysduboutdumondedanssesEtats: ils venaient prcher la vrit, & ils s'anathmatisaient les uns les autres.L'Empereur ne fit donc que renvoyer des perturbateurs trangers:mais avec quellebont les renvoya-t-il? quels soins paternels n'eut-il pas d'eux pour leur voyage,&pour empcher qu'on ne les insultt sur la route? Leur bannissementmme fut unexempledetolrance&d'humanit.

    Les Japonois[12] taient les plus tolrants de tous les hommes, douze ReligionspaisiblestaienttabliesdansleurEmpire:lesJsuitesvinrentfairelatreizieme;maisbienttn'envoulantpas souffrird'autre,on sait cequien rsulta;uneguerrecivile,nonmoinsaffreusequecellesdelaLigue,dsolacePays.LaReligionChrtiennefutnoyeenfindansdes flotsdesang.LesJaponois fermerent leurEmpireau restedumonde,&nenous regarderentquecommedesbtes farouches, semblablescellesdontlesAnglaisontpurgleurIsle.C'estenvainqueleMinistreColbert,sentantlebesoinquenousavionsdesJaponois,quin'ontnulbesoindenous,tentad'tabliruncommerceavecleurEmpire;illestrouvainflexibles.

    AinsidoncnotreContinententiernousprouvequ'ilnefautniannoncerniexercerl'intolrance.

    Jettezlesyeuxsurl'autrehmisphere,voyezlaCaroline,dontlesageLokefutleLgislateur;toutperedefamillequiaseptpersonnesseulementdanssamaison,peutytabliruneReligionsonchoix,pourvuquecesseptpersonnesyconcourentaveclui. Cette libert n'a fait natre aucun dsordre. Dieu nous prserve de citer cetexemplepourengagerchaquemaisonsefaireunculteparticulier:onnelerapportequepourfairevoirque l'excs leplusgrandopuissealler la tolrance,n'apastsuividelapluslgeredissension.

  • Maisquedirons-nousdecespacifiquesPrimitifs,quel'onanommsQuakrespardrision, & qui, avec des usages peut-tre ridicules, ont t si vertueux, & ontenseigninutilementlapaixaurestedeshommes?IlssontenPensilvanieaunombredecentmille;ladiscorde,lacontroversesontignoresdansl'heureusePatriequ'ilssesontfaite:&lenomseuldeleurVilledePhiladelphie,quileurrappelletoutmomentqueleshommessontfreres,estl'exemple&lahontedesPeuplesquineconnaissentpasencorelatolrance.

    Enfincette tolrancen'a jamaisexcitdeguerrecivile; l'intolranceacouvert laterredecarnage.Qu'onjugemaintenantentrecesdeuxrivales,entrelamerequiveutqu'ongorgesonfils,&lamerequilecedepourvuqu'ilvive.

    Jeneparleiciquedel'intrtdesNations;&enrespectant,commejeledois,laThologie,jen'envisagedanscetarticlequelebienphysique&moraldelaSocit.JesupplietoutLecteurimpartialdepesercesvrits,delesrectifier&delestendre.DesLecteursattentifs,quisecommuniquentleurspenses,vonttoujoursplusloinquel'Auteur.[13]

  • CHAPITREV.

    CommentlaTolrancepeuttreadmise.

    J'Ose supposerqu'unMinistre clair&magnanime,unPrlat humain& sage, unPrincequisaitquesonintrtconsistedanslegrandnombredesesSujets,&sagloiredans leur bonheur, daigne jetter les yeux sur cet Ecrit informe & dfectueux; il ysuppleparsespropreslumieres;ilseditlui-mme:Querisquerai-jevoirlaterrecultive & orne par plus de mains laborieuses, les tributs augments, l'Etat plusflorissant?

    L'Allemagne serait un dsert couvert des ossements des Catholiques,Evangliques, Rforms, Anabatistes, gorgs les uns par les autres, si la paix deWestphalien'avaitpasprocurenfinlalibertdeconscience.

    NousavonsdesJuifsBordeaux,Metz,enAlsace;nousavonsdesLuthriens,des Molinistes, des Jansnistes; ne pouvons-nous pas souffrir & contenir desCalvinistes peu prs aux mmes conditions que les Catholiques sont tolrs Londres? Plus il y a de sectes, moins chacune est dangereuse; la multiplicit lesaffaiblit; toutes sont rprimes par de justes Loix, qui dfendent les assemblestumultueuses, les injures, les sditions,& qui sont toujours en vigueur par la forcecoactive.

    Nous savons que plusieurs Chefs de famille, qui ont lev de grandes fortunesdanslesPaystrangers,sontprtsretournerdansleurPatrie;ilsnedemandentquelaprotectiondelaLoinaturelle,lavaliditdeleursmariages,lacertitudedel'tatdeleursenfants,ledroitd'hriterdeleursperes,lafranchisedeleurspersonnes;pointdeTemples publics, point de droit aux Charges municipales, aux dignits: lesCatholiques n'en ont ni Londres, ni en plusieurs autres Pays. Il ne s'agit plus dedonnerdesprivileges immenses, desplacesde sret une faction;maisde laisservivreunPeuplepaisible,d'adoucirdesEdits,autrefoispeut-trencessaires,&quinelesontplus:cen'estpasnousd'indiquerauMinisterecequ'ilpeutfaire;ilsuffitdel'implorerpourdesinfortuns.

    Que de moyens de les rendre utiles, & d'empcher qu'ils ne soient jamaisdangereux! La prudence duMinistere& duConseil, appuye de la force, trouverabienaismentcesmoyens,quetantd'autresNationsemployentsiheureusement.

  • IlyadesfanatiquesencoredanslapopulaceCalviniste;maisilestconstantqu'ilyenadavantagedanslapopulaceConvulsionnaire.LaliedesinsenssdeSt.MdardestcomptepourriendanslaNation,celledesProphetesCalvinistesestanantie.Legrandmoyen de diminuer le nombre desManiaques, s'il en reste, est d'abandonnercette maladie de l'esprit au rgime de la raison, qui claire lentement, maisinfailliblement les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspirel'indulgence, elle touffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimablel'obissance aux Loix, plus encore que la force ne les maintient. Et comptera-t-onpourrienleridiculeattachaujourd'huil'enthousiasmepartousleshonntesgens?Ceridiculeestunepuissantebarrierecontre lesextravagancesde tous lesSectaires.Lestempspassssontcommes'ilsn'avaientjamaist.Ilfauttoujourspartirdupointol'onest,&deceluiolesNationssontparvenues.

    Il a t un temps o l'on se crut oblig de rendre des Arrts contre ceux quienseignaientuneDoctrinecontraireauxCathgoriesd'Aristote, l'horreurduvuide,auxquiddits,& l'universelde lapartde lachose.NousavonsenEuropeplusdecentvolumesdeJurisprudencesur laSorcellerie,&sur lamanierededistinguer lesfaux Sorciers des vritables. L'excommunication des sauterelles, & des insectesnuisiblesauxmoissons,attrs-enusage,&subsisteencoredansplusieursRituels;l'usage est pass, on laisse en paix Aristote, les Sorciers & les sauterelles. Lesexemplesdecesgravesdmences,autrefoissi importantes,sont innombrables: ilenrevientd'autresdetempsentemps;maisquandellesontfait leureffet,quandonenest rassassi, elles s'anantissent. Si quelqu'un s'avisait aujourd'hui d'treCarpocratien,ouEutichen,ouMonothlite,Monophisite,Nestorien,Manichen,&c.qu'arriverait-il?Onenriraitcommed'unhommehabilll'antiqueavecunefraise&unpourpoint.

    La Nation commenait entr'ouvrir les yeux, lorsque les JsuitesLe Tellier &Doucin fabriquerent laBulleUnigenitus, qu'ils envoyerent Rome; ils crurent treencore dans ces temps d'ignorance, o les Peuples adoptaient sans examen lesAssertions les plus absurdes. Ils oserent proscrire cette proposition, qui est d'unevrit universelle dans tous les cas & dans tous les temps; La crainte d'uneexcommunicationinjustenedoitpointempcherdefairesondevoir:c'taitproscrirelaraison, les libertsdel'EgliseGallicane,&lefondementdelamorale;c'taitdireaux hommes, Dieu vous ordonne de ne jamais faire votre devoir, ds que vouscraindrez l'injustice. On n'a jamais heurt le sens commun plus effrontment; lesConsulteursdeRomen'yprirentpasgarde.OnpersuadalaCourdeRomequecetteBulletaitncessaire,&quelaNationladesirait;ellefutsigne,scelle&envoye,onensait les suites:certainement sion lesavaitprvues,onauraitmitig laBulle.Lesquerellesonttvives,laprudence&labontduRoilesaenfinappaises.

    IlenestdemmedansunegrandepartiedespointsquidivisentlesProtestants&

  • nous;ilyenaquelques-unsquinesontd'aucuneconsquence,ilyenad'autresplusgraves, mais sur lesquels la fureur de la dispute est tellement amortie, que lesProtestants eux-mmes ne prchent aujourd'hui la controverse en aucune de leursEglises.

    C'est donc ce tempsdedgot, de satit, ouplutt de raison, qu'onpeut saisircomme une poque & un gage de la tranquillit publique. La controverse est unemaladiepidmiquequiestsursa fin,&cettepeste,dontonestguri,nedemandeplusqu'unrgimedoux.Enfin l'intrtde l'Etatestquedesfilsexpatrisreviennentavec modestie dans la maison de leur pere; l'humanit le demande, la raison leconseille,&lapolitiquenepeuts'eneffrayer.

  • CHAPITREVI.

    Sil'Intolranceestdedroitnaturel&dedroithumain.

    LEdroitnaturelestceluiquelanatureindiquetousleshommes.Vousavezlevvotreenfant,ilvousdoitdurespectcommesonpere,delareconnaissancecommesonbienfaicteur.Vousavezdroitauxproductionsde la terrequevousavezcultiveparvosmains,vousavezdonn&reuunepromesse,elledoittretenue.

    Ledroithumainnepeuttrefondenaucuncasquesurcedroitdenature;&legrandprincipe, leprincipeuniverselde l'un&de l'autre, estdans toute la terre:Nefaispascequetunevoudraispasqu'onteft.Or,onnevoitpascomment,suivantceprincipe,unhommepourraitdireunautre:Croiscequejecrois&cequetunepeuxcroire,outupriras:c'estcequ'onditenPortugal,enEspagne,Goa.OnsecontenteprsentdansquelquesautresPaysdedire:Crois,oujet'abhorre;crois,oujeteferaitout lemalque jepourrai;monstre, tun'aspasmaReligion, tun'asdoncpointdeReligion;ilfautquetusoisenhorreurtesvoisins,taVille,taProvince.

    S'il tait de droit humain de se conduire ainsi, il faudrait donc que le Japonoisdtestt le Chinois, qui aurait en excration le Siamois; celui-ci poursuivrait lesGangarides,quitomberaientsurlesHabitantsdel'Indus;unMogolarracheraitlecurau premier Malabare qu'il trouverait; le Malabare pourrait gorger le Persan, quipourraitmassacrer leTurc;& tous ensemble se jetteraient sur lesChrtiens, qui sesontsilong-tempsdvorslesunslesautres.

    Ledroitdel'Intolranceestdoncabsurde&barbare;c'estledroitdestigres;&ilest bien plus horrible: car les tigres ne dchirent que pour manger, & nous noussommesexterminspourdesparagraphes.

  • CHAPITREVII.

    Sil'IntolranceatconnuedesGrecs.

    LEsPeuples,dontl'Histoirenousadonnquelquesfaiblesconnaissances,onttousregard leurs diffrentes Religions comme des nuds qui les unissaient tousensemble; c'tait une association du Genre-humain. Il y avait une espece de droitd'hospitalit entre lesDieux comme entre les hommes.Un Etranger arrivait-il dansuneVille, il commenait par adorer les Dieux du Pays; on nemanquait jamais devnrer lesDieuxmmes de ses ennemis. Les Troyens adressaient des prieres auxDieuxquicombattaientpourlesGrecs.

    Alexandreallaconsulter,danslesDsertsdelaLibie,leDieuAmmon,auquellesGrecsdonnerentlenomdeZeus&lesLatinsdeJupiter,quoiquelesuns&lesautreseussentleurJupiter&leurZeuschezeux.Lorsqu'onassigeaituneVille,onfaisaitunsacrifice&desprieresauxDieuxdelaVille,pourselesrendrefavorables.Ainsi,aumilieu mme de la guerre, la Religion runissait les hommes, & adoucissaitquelquefoisleursfureurs,siquelquefoiselleleurcommandaitdesactionsinhumaines&horribles.

    Je peuxme tromper;mais ilme parat que de tous les anciensPeuples polics,aucun n'a gn la libert de penser. Tous avaient une Religion;mais ilme semblequ'ilsenusaientavec leshommescommeavec leursDieux; ils reconnaissaient tousun Dieu suprme, mais ils lui associaient une quantit prodigieuse de Divinitsinfrieures; ils n'avaient qu'un culte, mais ils permettaient une foule de systmesparticuliers.

    LesGrecs, par exemple, quelque religieuxqu'ils fussent, trouvaient bonque lesEpicuriensniassent laProvidence& l'existencede l'ame. JeneparlepasdesautresSectes,quitoutesblessaientlesidessainesqu'ondoitavoirdel'Etrecrateur,&quitoutestaienttolres.

    SocratequiapprochaleplusprsdelaconnaissanceduCrateur,enporta,dit-on,lapeine,&mourutmartyrdelaDivinit;c'estleseulquelesGrecsayentfaitmourirpour ses opinions. Si ce fut en effet la cause de sa condamnation, cela n'est pas l'honneurdel'Intolrance,puisqu'onnepunitqueceluiquiseulrenditgloireDieu,&qu'onhonoratousceuxquidonnaientdelaDivinitlesnotionslesplusindignes.Les

  • ennemisdelatolrancenedoiventpas,monavis,seprvaloirdel'exempleodieuxdesJugesdeSocrate.

    Ilestvidentd'ailleurs,qu'ilfut lavictimed'unpartifurieuxanimcontrelui.Ils'tait fait des ennemis irrconciliables desSophistes, desOrateurs, desPotes, quienseignaient dans lesEcoles,&mmede tous lesPrcepteurs qui avaient soin desenfantsdedistinction.Ilavouelui-mmedanssonDiscoursrapportparPlaton,qu'ilallait de maison en maison prouver ces Prcepteurs qu'ils n'taient que designorants:cetteconduiten'taitpasdignedeceluiqu'unOracleavaitdclarleplussagedeshommes.OndchanacontreluiunPrtre,&unConseillerdescinqcents,qui l'accuserent; j'avoue que je ne sais pas prcisment de quoi, je ne vois que duvaguedanssonapologie;onluifaitdireengnral,qu'onluiimputaitd'inspirerauxjeunes gens desmaximes contre la Religion& le Gouvernement. C'est ainsi qu'enusenttouslesjourslescalomniateursdanslemonde:maisilfautdansunTribunaldesfaitsavrs,deschefsd'accusationprcis&circonstancis;c'estcequeleprocsdeSocrate ne nous fournit point: nous savons seulement qu'il eut d'abord deux centsvingt voix pour lui. Le Tribunal des cinq cents possdait donc deux cents vingtPhilosophes:c'estbeaucoup;jedoutequ'onlestrouvtailleurs.Enfin,lapluralitfutpourlacigu;maisaussi,songeonsquelesAthniens,revenuseux-mmes,eurentlesaccusateurs&lesJugesenhorreur;queMelitus, leprincipalauteurdecetArrt,futcondamnmortpourcetteinjustice;quelesautresfurentbannis,&qu'onlevaunTemple Socrate. Jamais la Philosophie ne fut si bien venge, ni tant honore.L'exemple de Socrate est au fond le plus terrible argument qu'on puisse allguercontre l'intolrance.LesAthniensavaientunAutelddiauxDieuxtrangers,auxDieux qu'ils ne pouvaient connatre. Y a-t-il une plus forte preuve, non-seulementd'indulgencepourtouteslesNations,maisencorederespectpourleurscultes?

    Unhonntehommequin'estenneminide laraison,nide la littrature,nide laprobit,nidelapatrie,enjustifiantdepuispeulaSaint-Barthelemi,citelaguerredesPhocens,nommelaguerresacre,commesicetteguerreavaittallumepourleculte,pour ledogme,pourdesargumentsdeThologie; il s'agissaitde savoirquiappartiendrait un champ: c'est le sujet de toutes les guerres.Des gerbes de bled nesontpasunsymboledecrance;jamaisaucuneVilleGrecquenecombattitpourdesopinions. D'ailleurs que prtend cet homme modeste & doux? veut-il que nousfassionsuneguerresacre?

  • CHAPITREVIII.

    SilesRomainsontttolrants.

    CHez les anciens Romains, depuis Romulus jusqu'aux temps o les ChrtiensdisputerentaveclesPrtresdel'Empire,vousnevoyezpasunseulhommeperscutpoursessentiments.Cicrondoutadetout;Lucreceniatout;&onneleurenfitpaslepluslgerreproche:lalicencemmeallasiloin,quePline leNaturalistecommencesonLivreparnierunDieu,&pardireques'ilenestun,c'estleSoleil.Cicrondit,enparlantdesEnfers:Nonestanustamexcorsqucredat:Iln'yapasmmedevieilleassez imbcille pour les croire. Juvenal dit:Nec pueri credunt: Les enfants n'encroyent rien.On chantait sur le Thtre deRome:Postmortem nihil est, ipsaquemors nihil: Rien n'est aprs la mort, la mort mme n'est rien. Abhorrons cesmaximes,&,toutauplus,pardonnons-lesunPeuplequelesEvangilesn'clairaientpas;ellessontfausses,ellessontimpies;maisconcluonsquelesRomainstaienttrs-tolrants,puisqu'ellesn'exciterentjamaislemoindremurmure.

    LegrandprincipeduSnat&duPeupleRomaintait:Deorumoffensadiiscur;C'estauxDieuxseulssesoucierdesoffensesfaitesauxDieux.CePeupleRoinesongeaitqu'conqurir,gouverner,&policerl'Univers.IlsonttnosLgislateurscommenosvainqueurs;&jamaisCsar,quinousdonnadesfers,desloix&desjeux,nevoulutnousforcerquitternosDruidespourlui,toutgrandPontifequ'iltaitd'uneNationnotreSouveraine.

    LesRomains ne professaient pas tous les cultes, ils ne donnaient pas tous lasanction publique, mais ils les permirent tous. Ils n'eurent aucun objet matriel deculte sousNuma, point de simulacres, point de statues; bientt ils en leverent auxDieux Majorum Gentium, que les Grecs leur firent connatre. La Loi des douzeTables,Deos peregrinos ne colunto, se rduisit n'accorder le culte public qu'auxDivinitssuprieuresouinfrieuresapprouvesparleSnat.IsiseutunTempledansRome, jusqu'au temps o Tibere le dmolit, lorsque les Prtres de ce Temple,corrompusparl'argentdeMundus, le firentcoucherdans leTemplesous lenomduDieuAnubis,avecunefemmenommePauline.IlestvraiqueJosephestleseulquirapportecettehistoire;iln'taitpascontemporain,iltaitcrdule&exagrateur.Ilyapeud'apparencequedansuntempsaussiclairqueceluideTibere,uneDamedelapremiere condition et t assez imbcille pour croire avoir les faveurs du DieuAnubis.

  • Maisquecetteanecdotesoitvraieoufausse,ildemeurecertainquelasuperstitionEgyptienneavaitlevunTempleRomeavec leconsentementpublic.LesJuifsycommeraient ds le temps de la guerre Punique; ils y avaient des Synagogues dutemps d'Auguste, & ils les conserverent presque toujours, ainsi que dans Romemoderne. Y a-t-il un plus grand exemple que la tolrance tait regarde par lesRomainscommelaloilaplussacredudroitdesgens?

    Onnousditqu'aussi-ttque lesChrtiensparurent, ils furentperscutsparcesmmesRomains qui ne perscutaient personne. Ilme parat vident que ce fait esttrs-faux;jen'enveuxpourpreuvequeSt.Paullui-mme.Chap.21.&22.LesActesdesAptresnousapprennentqueSt.PaultantaccusparlesJuifsdevouloirdtruirelaLoiMosaqueparJESUS-CHRIST,St.JacquesproposaSt.Pauldesefaireraserlatte,&d'allersepurifierdansleTempleavecquatreJuifs,afinquetoutlemondesachequetoutcequel'onditdevousestfaux,&quevouscontinuezgarderlaLoideMose.

    Paul,Chrtien, alladonc s'acquitterde toutes les crmonies Judaquespendantseptjours;maislesseptjoursn'taientpasencorecouls,quanddesJuifsd'Asie lereconnurent;&voyantqu'iltaitentrdansleTemple,non-seulementavecdesJuifs,maisavecdesGentils,ilscrierentlaprofanation:onlesaisit,onlemenadevantleGouverneurFlix,& ensuite on s'adressa auTribunal deFestus. Les Juifs en fouledemanderent samort;Actes des Aptres, Chap. 25.Festus leur rpondit:Ce n'est point lacoutumedesRomainsdecondamnerunhommeavantquel'accusaitsesaccusateursdevantlui,&qu'onluiaitdonnlalibertdesedfendre.

    Cesparolessontd'autantplusremarquablesdansceMagistratRomain,qu'ilparatn'avoir eu nulle considration pour St. Paul, n'avoir senti pour lui que du mpris;trompparlesfausseslumieresdesaraison,illepritpourunfou;illuiditlui-mmequ'iltaitendmence,Act.desAp.Ch.26.v.34.multtelitteradinsaniamconvertunt.Festusn'coutadoncque l'quitde laLoiRomaine,endonnant saprotectionuninconnuqu'ilnepouvaitestimer.

    Voil le St. Esprit lui-mme qui dclare que les Romains n'taient pasperscuteurs,&qu'ils taient justes.Cene sontpas lesRomainsqui se souleverentcontreSt.Paul,cefurentlesJuifs.St.Jacques,freredeJESUS,futlapidparl'ordred'unJuifSaducen,&nond'unRomain:lesJuifsseulslapiderentSt.Etienne;[14]&lorsqueSt. Paul gardait les manteaux des excuteurs, certes il n'agissait pas en CitoyenRomain.

    LespremiersChrtiensn'avaientriensansdoutedmleraveclesRomains;ilsn'avaientd'ennemisque lesJuifsdont ilscommenaientsesparer.OnsaitquellehaineimplacableportenttouslesSectairesceuxquiabandonnentleursecte.Ilyeutsans doute du tumulte dans les Synagogues de Rome. Sutone dit, dans la Vie de

  • Claude,JudosimpulsoreChristoassidutumultuantesRomaexpulit.Ilsetrompait,endisantquec'taitl'instigationdeCHRIST:ilnepouvaitpastreinstruitdesdtailsd'unPeupleaussimprisRomequel'taitlePeupleJuif,maisilnesetrompaitpassurl'occasiondecesquerelles.SutonecrivaitsousAdrien,danslesecondsiecle;lesChrtiensn'taientpasalorsdistingusdesJuifsauxyeuxdesRomains.Lepassagede Sutone fait voir que les Romains, loin d'opprimer les premiers Chrtiens,rprimaient alors les Juifs qui les perscutaient. Ils voulaient que la Synagogue deRomeetpoursesfreressparslammeindulgencequeleSnatavaitpourelle;&lesJuifschasssrevinrentbienttaprs;ilsparvinrentmmeauxhonneursmalgrlesLoixquilesenexcluaient:c'estDionCassius&Ulpienquinousl'apprennent.[15]Est-ilpossiblequ'aprslaruinedeJrusalemlesEmpereurseussentprodigudesdignitsauxJuifs,&qu'ilseussentperscut,livrauxbourreaux&auxbtes,desChrtiensqu'onregardaitcommeunesectedeJuifs!

    Nron,dit-on,lesperscuta.Tacitenousapprendqu'ilsfurentaccussdel'incendiedeRome,&qu'on lesabandonna lafureurduPeuple.S'agissait-ilde leurcrancedans une telle accusation? Non sans doute. Dirons-nous que les Chinois, que lesHollandaisgorgerent,ilyaquelquesannes,danslesFauxbourgsdeBatavia,furentimmols la Religion? Quelque envie qu'on ait de se tromper, il est impossibled'attribuerl'intolranceledsastrearrivsousNronquelquesmalheureuxdemi-Juifs&demi-Chrtiens.[16]

  • CHAPITREIX.

    DesMartyrs.

    ILyeutdanslasuitedesMartyrsChrtiens:ilestbiendifficiledesavoirprcismentpourquelles raisonscesMartyrs furentcondamns;mais j'osecroirequ'aucunne lefutsouslespremiersCsars,poursaseuleReligion;onlestolraittoutes;commentaurait-on pu rechercher & poursuivre des hommes obscurs, qui avaient un culteparticulier,dansletempsqu'onpermettaittouslesautres?

    LesTitus,lesTrajans,lesAntonins,lesDeciusn'taientpasdesbarbares:peut-onimaginerqu'ilsauraientpriv lesseulsChrtiensd'une libertdont jouissait toute laterre?Lesaurait-onseulementosaccuserd'avoirdesmysteressecrets,tandisquelesmysteresd'Isis,ceuxdeMitras, ceuxde laDessedeSyrie, toustrangers auculteRomain, taient permis sans contradiction? Il faut bien que la perscution ait eud'autres causes,&que les haines particulieres, soutenuespar la raisond'Etat, ayentrpandulesangdesChrtiens.

    Parexemple,lorsqueSt.Laurent refuseauPrfetdeRome,CorneliusSecularis,l'argentdesChrtiensqu'ilavaitensagarde,ilestnaturelquelePrfet&l'Empereursoientirrits;ilsnesavaientpasqueSt.Laurentavaitdistribucetargentauxpauvres,& qu'il avait fait une uvre charitable & sainte, ils le regarderent comme unrfractaire,&lefirentprir.[17]

    Considrons le martyre de St. Polyeucte. Le condamna-t-on pour sa Religionseule? Il va dans le Temple, o l'on rend auxDieux des actions de graces pour lavictoirede l'EmpereurDecius; il y insulte lesSacrificateurs, il renverse&brise lesAutels & les Statues: quel est le Pays au monde o l'on pardonnerait un pareilattentat?LeChrtienquidchirapubliquementl'Editdel'EmpereurDiocltien,&quiattirasursesfrereslagrandeperscution,danslesdeuxdernieresannesduregnedece Prince, n'avait pas un zele selon la science;& il tait bienmalheureux d'tre lacausedudsastredesonparti.Cezeleinconsidrquiclatasouvent,&quifutmmecondamnparplusieursPeresdel'Eglise,atprobablementlasourcedetouteslesperscutions.

    Je ne compare point, sans doute, les premiers Sacramentaires aux premiersChrtiens; je nemets point l'erreur ct de la vrit:maisFarel, prdcesseur de

  • JeanCalvin,fitdansArleslammechosequeSt.PolyeucteavaitfaitenArmnie.Onportait dans les rues la Statue deSt. Antoine l'Hermite en procession;Farel tombeavec quelques-uns des siens sur les Moines qui portaient St. Antoine, les bat, lesdisperse,&jetteSt.Antoinedanslariviere.Ilmritaitlamortqu'ilnereutpas,parcequ'ileutletempsdes'enfuir.S'ils'taitcontentdecriercesMoines,qu'ilnecroyaitpasqu'uncorbeauetapport lamoitid'unpainSt.Antoine l'Hermite,niqueSt.Antoine eteudesconversationsavecdesCentaures&desSatyres, il auraitmrituneforterprimande,parcequ'iltroublaitl'ordre;maissilesoir,aprslaprocession,ilavaitexaminpaisiblementl'histoireducorbeau,desCentaures&desSatyres,onn'auraitrieneuluireprocher.

    Quoi! les Romains auraient souffert que l'infameAntinos ft mis au rang dessecondsDieux,&ilsauraientdchir,livrauxbtestousceuxauxquelsonn'auraitreprochqued'avoirpaisiblementadorunjuste!Quoi!ilsauraientreconnuunDieusuprme[18],unDieuSouverain,matredetouslesDieuxsecondaires,attestparcetteformule,Deusoptimusmaximus,&ilsauraientrecherchceuxquiadoraientunDieuunique!

    Iln'estpascroyablequejamaisilyetuneInquisitioncontrelesChrtienssouslesEmpereurs,c'est--dire,qu'onsoitvenuchezeux les interrogersur leurcrance.On ne troubla jamais sur cet article ni Juif, ni Syrien, ni Egyptien, ni Bardes, niDruides,niPhilosophes.LesMartyrsfurentdoncceuxquis'leverentcontrelesfauxDieux.C'tait une chose trs-sage, trs-pieuseden'ypas croire;mais enfin, si, noncontents d'adorer unDieu en esprit&envrit, ils claterent violemment contre lecultereu,quelqueabsurdequ'ilpttre,onestforcd'avouerqu'eux-mmestaientintolrants.

    Tertullien,danssonApologtique,avouequ'onregardaitlesChrtienscommedesfactieux; Chap. 39.l'accusation tait injuste, mais elle prouvait que ce n'tait pas laReligionseuledesChrtiensquiexcitait lezeledesMagistrats.Chap. 35.Ilavouequeles Chrtiens refusaient d'orner leurs portes de branches de laurier dans lesrjouissances publiques pour les victoires des Empereurs: on pouvait aismentprendrecetteaffectationcondamnablepouruncrimedeleze-Majest.

    LapremieresvritjuridiqueexercecontrelesChrtiens,futcelledeDomitien;mais elle se borna un exil qui ne dura pas une anne: Facile cptum repressitrestitutisquosipserelegaverat,ditTertullien.Lactance,dont lestyleestsiemport,convient que depuis Domitien jusqu' Decius Chap. 3.l'Eglise fut tranquille &florissante. Cette longue paix, dit-il, fut interrompue quand cet excrable animalDecius opprima l'Eglise: post multos annos extitit execrabile animal Decius, quivexaretEcclesiam.

  • OnneveutpointdiscutericilesentimentdusavantDodwel,surlepetitnombredesMartyrs;maissilesRomainsavaienttantperscutlaReligionChrtienne,sileSnatavaitfaitmourirtantd'innocentspardessupplicesinusits,s'ilsavaientplongdesChrtiens dans l'huile bouillante, s'ils avaient expos des filles toutes nues auxbtesdansleCirque,commentauraient-ilslaissenpaixtouslespremiersEvquesdeRome?St.IrenenecomptepourMartyr,parmicesEvques,queleseulTlesphore,dansl'an139del'Erevulgaire;&onn'aaucunepreuvequeceTlesphoreaittmismort.Zphirin gouverna le troupeau de Rome pendant dix-huit annes, &mourutpaisiblementl'an219.IlestvraiquedanslesanciensMartyrologes,onplacepresquetous les premiers Papes; mais le mot de martyr n'tait pris alors que suivant savritablesignification:martyrevoulaitdiretmoignage,&nonpassupplice.

    Il estdifficiled'accordercette fureurdeperscutionavec la libertqu'eurent lesChrtiens d'assembler cinquante-six Conciles, que les Ecrivains Ecclsiastiquescomptentdanslestroispremierssiecles.

    Ilyeutdesperscutions;maissiellesavaienttaussiviolentesqu'onledit,ilestvraisemblable queTertullien, qui crivit avec tant de force contre le culte reu, neserait pas mort dans son lit. On sait bien que les Empereurs ne lurent pas sonApologtique; qu'un Ecrit obscur, compos enAfrique, ne parvient pas ceux quisont chargs du gouvernement du monde: mais il devait tre connu de ceux quiapprochaient le Proconsul d'Afrique; il devait attirer beaucoup de haine l'Auteur;cependantilnesouffritpointlemartyre.

    OrigeneenseignapubliquementdansAlexandrie,&ne futpointmismort.CemmeOrigene, qui parlait avec tant de libert aux Paens & aux Chrtiens, quiannonait JESUS aux uns, qui niait un Dieu en trois Personnes aux autres, avoueexpressmentdanssontroisiemeLivrecontreCelse,qu'ilyaeutrs-peudeMartyrs,&encoredeloinloin;cependant,dit-il,lesChrtiensnengligentrienpour faireembrasser leur Religion par tout le monde; ils courent dans les Villes, dans lesBourgs,danslesVillages.

    Il est certain que ces courses continuelles pouvaient tre aisment accuses desdition par les Prtres ennemis, & pourtant ces missions sont tolres malgr lePeupleEgyptien, toujours turbulent, sditieux& lche; Peuple qui avait dchir unRomainpouravoirtuunchat;Peupleentouttempsmprisable,quoiqu'endisentlesadmirateursdespyramides.[19]

    Qui devait plus soulever contre lui les Prtres & le Gouvernement que St.Grgoire Taumaturge, disciple d'Origene?Grgoire avait vu pendant la nuit unvieillardenvoydeDieu,accompagnd'unefemmeresplendissantedelumiere:cettefemmetaitlaSte.Vierge,&cevieillardtaitSt.Jeanl'Evangliste.St.Jeanluidicta

  • unsymbole,queSt.Grgoireallaprcher.Ilpassa,enallantNocsare,prsd'unTempleo l'onrendaitdesoracles,&o lapluye l'obligeadepasser lanuit; ilyfitplusieurssignesdecroix.Lelendemain,legrandSacrificateurduTemplefuttonnquelesdmonsquiluirpondaientauparavant,nevoulaientplusrendred'oracles:illesappella;lesdiablesvinrentpourluidirequ'ilsneviendraientplus;ilsluiapprirentqu'ilsnepouvaientplushabiterceTemple,parcequeGrgoireyavaitpasslanuit,&qu'il y avait fait des signes de croix. Le Sacrificateur fit saisir Grgoire, qui luirpondit:Jepeuxchasserlesdmonsd'ojeveux,&lesfaireentreroilmeplara.Faites-lesdoncrentrerdansmonTemple,ditleSacrificateur.AlorsGrgoiredchiraunpetitmorceaud'unvolumequ'iltenaitlamain,&ytraacesparoles:Grgoire,Sathan; je te commandede rentrerdans ceTemple: onmit cebillet sur l'Autel; lesdmonsobirent,&rendirentcejour-lleursoraclescommel'ordinaire;aprsquoiilscesserent,commeonlesait.

    C'est St. Grgoire de Nysse qui rapporte ces faits dans la Vie de St. GrgoireTaumaturge.LesPrtresdesIdolesdevaientsansdoutetreanimscontreGrgoire,&dans leuraveuglement ledfrerauMagistrat;cependant leurplusgrandennemin'essuyaaucuneperscution.

    Il estdit dans l'HistoiredeSt.Cyprien, qu'il fut lepremierEvquedeCarthagecondamn lamort.LemartyredeSt.Cyprien est de l'an 258, de notreEre; doncpendantuntrs-long-tempsaucunEvquedeCarthagenefutimmolpoursareligion.L'Histoire ne nous dit point quelles calomnies s'leverent contreSt. Cyprien, quelsennemisilavait,pourquoileProconsuld'Afriquefutirritcontrelui.St.Cypriencrit Cornelius, Evque de Rome: Il arriva depuis peu une motion populaire Carthage, & on cria par deux fois qu'il fallait me jetter aux lions. Il est bienvraisemblablequelesemportementsduPeuplefrocedeCarthagefurentenfincausede lamortdeCyprien;& il estbiensrquecene futpas l'EmpereurGallusqui lecondamnade si loin pour sa religion, puisqu'il laissait en paixCorneille qui vivaitsoussesyeux.

    Tant de causes secretes semlent souvent la cause apparente, tant de ressortsinconnus servent perscuter un homme, qu'il est impossible de dmler, dans lessieclespostrieurs,lasourcecachedesmalheursdeshommeslesplusconsidrables,plusforteraisoncelledusuppliced'unParticulierquinepouvaittreconnuqueparceuxdesonparti.

    RemarquezqueSt.GrgoireTaumaturge,&St.Denis,Evqued'Alexandrie,quinefurentpointsupplicis,vivaientdansletempsdeSt.Cyprien.Pourquoi,tantaussiconnus pour le moins que cet Evque de Carthage, demeurerent-ils paisibles? &pourquoiSt.Cyprienfut-illivrausupplice?N'ya-t-ilpasquelqueapparencequel'unsuccombasousdesennemispersonnels&puissants,souslacalomnie,sousleprtexte

  • de la raisond'Etat, qui se joint si souvent laReligion,&que les autres eurent lebonheurd'chapperlamchancetdeshommes?

    Iln'estgurespossibleque laseuleaccusationdeChristianismeait faitprirSt.Ignace, sous le clment & juste Trajan, puisqu'on permit aux Chrtiens del'accompagner&deleconsolerquandonleconduisitRome[20].IlyavaiteusouventdessditionsdansAntioche,ville toujours turbulente,oIgnacetaitEvquesecretdesChrtiens:peut-trecessditions,malignementimputesauxChrtiensinnocents,exciterent l'attention du Gouvernement, qui fut tromp, comme il est trop souventarriv.

    St. Simon, par exemple, fut accus devant Sapor d'tre l'espion des Romains.L'Histoire de sonmartyre rapporte que leRoiSapor lui proposa d'adorer le Soleil:mais on sait que les Perses ne rendaient point de culte au Soleil; ils le regardaientcomme un emblme du bon principe, d'Oromase, ouOrosmade, du Dieu Crateurqu'ilsreconnaissaient.

    Quelque tolrant que l'on puisse tre, on ne peut s'empcher de sentir quelqueindignation contre ces dclamateurs, qui accusent Diocltien d'avoir perscut lesChrtiens,depuisqu'ilfutsurleTrne:rapportons-nous-enEusebedeCsare,sontmoignage ne peut tre rcus; le favori, le pangyriste de Constantin, l'ennemiviolent des Empereurs prcdents, doit en tre cru quand il les justifie: voici sesparoles:Hist. Ecclsiastiq. Liv. 8.LesEmpereursdonnerent long-tempsauxChrtiensdegrandes marques de bienveillance; ils leur confierent des Provinces; plusieursChrtiens demeurerent dans le Palais; ils pouserent mme des Chrtiennes;DiocltienpritpoursonpousePrisca,dontlafillefutfemmedeMaximienGalere,&c.

    Qu'onapprennedoncdecetmoignagedcisifnepluscalomnier;qu'onjugesila perscution excite parGalere, aprs dix-neuf ans d'un regne de clmence& debienfaits,nedoitpasavoirsasourcedansquelqueintriguequenousneconnaissonspas.

    Qu'on voye combien la fable de la LgionThbaine ou Thbenne,massacre,dit-on,touteentierepourlaReligion,estunefableabsurde.Ilestridiculequ'onaitfaitvenir cette Lgion d'Asie par le grand St. Bernard; il est impossible qu'on l'etappelled'AsiepourvenirappaiserunesditiondanslesGaules,unanaprsquecettesdition avait t rprime: il n'est pasmoins impossible qu'on ait gorg sixmillehommesd'Infanterie,&septcentsCavaliers,dansunpassageodeuxcentshommespourraient arrter une Arme entiere. La relation de cette prtendue boucheriecommenceparuneimposturevidente:QuandlaterregmissaitsouslatyranniedeDiocltien, leCiel se peuplait deMartyrs.Or cette aventure, commeon l'a dit, est

  • supposeen286,tempsoDiocltienfavorisaitlepluslesChrtiens,&ol'EmpireRomainfutleplusheureux.Enfincequidevraitpargnertoutescesdiscussions,c'estqu'ileutjamaisdeLgionThbaine:lesRomainstaienttropfiers&tropsensspourcomposeruneLgiondecesEgyptiensquineservaientRomequed'esclaves,VernaCanopi: c'est comme s'ils avaient eu une Lgion Juive. Nous avons les noms destrente-deux Lgions qui faisaient les principales forces de l'Empire Romain;assurment laLgionThbainene s'y trouvepas.Rangeonsdoncce conte avec lesversacrostichesdesSibyllesquiprdisaientlesmiraclesdeJESUS-CHRIST,&avectantdepiecessupposes,qu'unfauxzeleprodiguapourabuserlacrdulit.

  • CHAPITREX.

    Dudangerdesfausseslgendes,&delaperscution.

    LE mensonge en a trop long-temps impos aux hommes; il est temps qu'onconnaisse le peu de vrits qu'on peut dmler travers ces nuages de fables quicouvrent l'Histoire Romaine, depuisTacite & Sutone, & qui ont presque toujoursenvelopplesAnnalesdesautresNationsanciennes.

    Comment peut-on croire, par exemple, que les Romains, ce Peuple grave &svere, de qui nous tenons nosLoix, ayent condamndesViergesChrtiennes, desfilles de qualit, la prostitution. C'est bienmal connatre l'austere dignit de nosLgislateurs, qui punissaient si svrement les faiblesses des Vestales. Les Actessinceres de Ruinart rapportent ces turpitudes; mais doit-on croire aux Actes deRuinart,commeauxActesdesAptres?CesActessinceresdisent,aprsBollandus,qu'ilyavaitdanslaVilled'AncyreseptViergesChrtiennes,d'environsoixante&dixanschacune;queleGouverneurThodecte lescondamnapasserparlesmainsdesjeunesgensdelaVille,maisquecesViergesayanttpargnes,(commederaison)il les obligea de servir toutes nues aux mysteres deDiane, auxquels, pourtant, onn'assistajamaisqu'avecunvoile.S.Thodote,quilavrittaitCabaretier,maisquin'entaitpasmoinszl,priaDieuardemmentdevouloirbienfairemourircessaintesfilles,depeurqu'ellesnesuccombassentlatentation:Dieul'exaua;leGouverneurlesfitjetterdansunlacavecunepierreaucou:ellesapparurentaussi-ttThodote,&leprierentdenepassouffrirqueleurscorpsfussentmangsdespoissons:cefurentleurspropresparoles.

    LeSt.Cabaretier&sescompagnonsallerentpendantlanuitauborddulac,gardpardessoldats;unflambeauclestemarchatoujoursdevanteux,&quandilsfurentaulieuotaientlesGardes,unCavaliercleste,armdetoutespieces,poursuivitcesGardeslalancelamain:St.ThodoteretiradulaclescorpsdesVierges:ilfutmendevant leGouverneur,& leCavalier cleste n'empchapas qu'onne lui trancht latte.NecessonsderpterquenousvnronslesvraisMartyrs,maisqu'ilestdifficiledecroirecettehistoiredeBollandus&deRuinart.

    Faut-il rapporter ici le Conte du jeune St. Romain?On le jetta dans le feu, ditEusebe,&desJuifsquitaientprsents,insulterentJESUS-CHRISTquilaissaitbrulersesConfesseurs, aprs que Dieu avait tir Sidrac,Mizac &Abdenago de la fournaise

  • ardente.ApeinelesJuifseurent-ilsparl,queSt.Romainsortittriomphantdubucher:l'Empereur ordonna qu'on lui pardonnt,&dit au Juge qu'il ne voulait rien avoir dmleravecDieu.(trangesparolespourDiocltien!)LeJuge,malgrl'indulgencede l'Empereur, commandaqu'oncoupt la langueSt.Romain;&quoiqu'il etdesbourreaux, il fit faire cette opration par unMdecin. Le jeuneRomain, n begue,parla avec volubilit ds qu'il eut la langue coupe. Le Mdecin essuya unerprimande;&pourmontrerquel'oprationtaitfaiteselonlesreglesdel'art,ilpritunpassant,&luicoupajusteautantdelanguequ'ilenavaitcoupSt.Romain,dequoilepassantmourutsurlechamp:car,ajoutesavammentl'Auteur,l'Anatomienousapprendqu'un homme sans languene saurait vivre. En vrit, siEusebe a crit depareillesfadaises,sionnelesapointajoutessesEcrits,quelfondpeut-onfairesursonHistoire?

    OnnousdonnelemartyredeSte.Flicit&desesseptenfants,envoys,dit-on,lamortparlesage&pieuxAntonin,sansnommerl'Auteurdelarelation.Ilestbienvraisemblable que quelqueAuteur, plus zl que vrai, a voulu imiter l'Histoire desMacabes;c'estainsiquecommencelarelation:Ste,FlicittaitRomaine,ellevivaitsous le regne d'Antonin: il est clair, par ces paroles, que l'Auteur n'tait pascontemporaindeSte.Flicit;ilditquelePrteurlesjugeasursonTribunaldanslechampdeMars;mais lePrfetdeRome tenait sonTribunal auCapitole,&nonauchampdeMars,qui,aprsavoirservitenirlesComices,servaitalorsauxrevuesdesSoldats,auxcourses,auxjeuxmilitaires:celaseuldmontrelasupposition.

    Il est dit encore, qu'aprs le jugement, l'Empereur commit diffrents Juges lesoindefaireexcuterl'Arrt;cequiestentirementcontrairetouteslesformalitsdecestemps-l,&cellesdetouslestemps.

    Il y a de mme un saint Hyppolite, que l'on suppose tran par des chevaux,comme Hyppolite fils de Thse. Ce supplice ne fut jamais connu des anciensRomains;&laseuleressemblancedunomafaitinventercettefable.

    ObservezencorequedanslesRelationsdesmartyres,composesuniquementparlesChrtiensmmes,onvoitpresquetoujoursunefouledeChrtiensvenirlibrementdanslaprisonducondamn, lesuivreausupplice,recueillirsonsang,ensevelirsoncorps, faire des miracles avec les reliques. Si c'tait la Religion seule qu'on etperscute,n'aurait-onpasimmolcesChrtiensdclarsquiassistaient leurs frerescondamns,& qu'on accusait d'oprer des enchantements avec les restes des corpsmartyriss? Ne les aurait-on pas traits comme nous avons trait les Vaudois, lesAlbigeois,lesHussites,lesdiffrentessectesdesProtestants?nouslesavonsgorgs,brlsenfoule,sansdistinctionnid'genidesexe.Ya-t-ildanslesRelationsavresdes perscutions anciennes un seul trait qui approche de la St. Barthelemi, & desmassacresd'Irlande?Yena-t-ilunseulquiressemblelaFteannuellequ'onclebre

  • encoredansToulouse,ftecruelle,fteabolissablejamais,danslaquelleunPeupleentierremercieDieuenprocession,&seflicited'avoirgorgilyadeuxcentsansquatremilledesesConcitoyens?

    Jeledisavechorreur,maisavecvrit:c'estnousChrtiens,c'estnousquiavonstperscuteurs,bourreaux,assassins!&dequi?denosfreres.C'estnousquiavonsdtruitcentVilles,leCrucifixoulaBiblelamain,&quin'avonscessderpandrelesang,&d'allumerdesbuchers,depuisleregnedeConstantinjusqu'auxfureursdesCannibalesquihabitaientlesCvennes;fureurs,qui,gracesauCiel,nesubsistentplusaujourd'hui.

    Nous envoyons encore quelquefois la potence, de pauvres gens duPoitou, duVivarais, de Valence, de Montauban. Nous avons pendu depuis 1745, huitpersonnages de ceux qu'on appelle Prdicants, ou Ministres de l'Evangile, quin'avaientd'autrecrimequed'avoirpriDieupour leRoienpatois,&d'avoirdonnunegouttedevin&unmorceaudepainlevquelquesPaysansimbcilles.OnnesaitriendeceladansParis,oleplaisirestlaseulechoseimportante,ol'onignoretout ce qui se passe en Province& chez les Etrangers. Ces procs se font en uneheure,&plusvitequ'onnejugeundserteur.SileRoientaitinstruit,ilferaitgrace.

    OnnetraiteainsilesPrtresCatholiquesenaucunPaysProtestant.IlyaplusdecentPrtresCatholiques enAngleterre&en Irlande, on les connat, on les a laissvivretrs-paisiblementdansladerniereguerre.

    Serons-nous toujours les derniers embrasser les opinions saines des autresNations?Ellessesontcorriges;quandnouscorrigerons-nous?IlafallusoixanteanspournousfaireadoptercequeNewtonavaitdmontr;nouscommenonspeineosersauverlavienosenfantsparl'inoculation;nousnepratiquonsquedepuistrs-peu de temps les vrais principes de l'agriculture; quand commencerons-nous pratiquer lesvraisprincipesde l'humanit?&dequel frontpouvons-nousreprocherauxPaensd'avoirfaitdesMartyrs,tandisquenousavonstcoupablesdelammecruautdanslesmmescirconstances?

    AccordonsquelesRomainsontfaitmourirunemultitudedeChrtienspourleurseule Religion; en ce cas, les Romains ont t trs-condamnables. Voudrions-nouscommettre la mme injustice? & quand nous leur reprochons d'avoir perscut,voudrions-noustreperscuteurs?

    S'il se trouvaitquelqu'unassezdpourvudebonne foi, ouassez fanatique,pourme dire ici: Pourquoi venez-vous dvelopper nos erreurs & nos fautes? pourquoidtruirenosfauxmiracles&nosfausseslgendes?ellessontl'alimentdelapitdeplusieurspersonnes;ilyadeserreursncessaires;n'arrachezpasducorpsunulcereinvtr qui entranerait avec lui la destruction du corps: voici ce que je lui

  • rpondrais.

    Touscesfauxmiracles,parlesquelsvousbranlezlafoiqu'ondoitauxvritables,toutesceslgendesabsurdesquevousajoutezauxvritsdel'Evangile,teignentlaReligiondanslescurs;tropdepersonnesquiveulents'instruire,&quin'ontpasletempsdes'instruireassez,disent:LesMatresdemaReligionm'onttromp,iln'yadoncpointdeReligion;ilvautmieuxsejetterdanslesbrasdelanaturequedansceuxdel'erreur;j'aimemieuxdpendredelaLoinaturellequedesinventionsdeshommes.D'autresontlemalheurd'allerencoreplusloin;ilsvoyentquel'impostureleuramisunfrein,&ilsneveulentpasmmedufreindelavrit;ilspenchentversl'Athisme:ondevientdprav,parcequed'autresonttfourbes&cruels.

    Voilcertainementlesconsquencesdetouteslesfraudespieuses&detouteslessuperstitions.Leshommesd'ordinaireneraisonnentqu'demi;c'estuntrs-mauvaisargument que de dire: Voragin, l'auteur de la lgende dore, & le JsuiteRibadeneira,compilateurdelafleurdesSaints,n'ontditquedessottises;donciln'yapoint de Dieu: Les Catholiques ont gorg un certain nombre d'Huguenots, & lesHuguenots leur tourontassassinuncertainnombredeCatholiques;donciln'yapoint de Dieu. On s'est servi de la Confession, de la Communion & de tous lesSacrements,pourcommettrelescrimeslesplushorribles;donciln'yapointdeDieu:Je conclurais au contraire, donc il y a unDieu, qui aprs cette vie passagere, danslaquellenousl'avonstantmconnu,&tantcommisdecrimesensonnom,daigneranousconsolerde tantd'horriblesmalheurs;carconsidrer lesguerresdeReligion,lesquaranteschismesdesPapes,quiontpresquetoustsanglants,lesimposturesquiontpresquetoutestfunestes,leshainesirrconciliablesallumesparlesdiffrentesopinions,voirtouslesmauxqu'aproduitlefauxzele,leshommesonteulong-tempsleurenferdanscettevie.

  • CHAPITREXI.

    Abusdel'Intolrance.

    MAis quoi! sera-t-il permis chaque Citoyen de ne croire que sa raison, & depensercequecette raisonclaireou trompe luidictera? Il le fautbien,[21]pourvuqu'ilnetroublepointl'ordre;carilnedpendpasdel'hommedecroire,oudenepascroire;maisildpenddeluiderespecterlesusagesdesaPatrie:&sivousdisiezquec'estuncrimedenepascroirelaReligiondominante,vousaccuseriezdoncvous-mmeslespremiersChrtiensvosperes,&vousjustifieriezceuxquevousaccusezdelesavoirlivrsauxsupplices.

    Vous rpondez que la diffrence est grande, que toutes les Religions sont lesouvragesdeshommes,&que l'EgliseCatholiqueApostolique&Romaineestseulel'ouvragedeDieu.Maisenbonne foi,parcequenotreReligionestdivine,doit-ellergner par la haine, par les fureurs, par les exils, par l'enlvement des biens, lesprisons,lestortures,lesmeurtres,&parlesactionsdegracesrenduesDieupourcesmeurtres?PluslaReligionChrtienneestdivine,moinsilappartientl'hommedelacommander; si Dieu l'a faite, Dieu la soutiendra sans vous. Vous savez quel'intolranceneproduitquedeshypocritesoudesrebelles;quellefunestealternative!Enfin, voudriez-vous soutenir par des bourreaux la Religion d'un Dieu que desbourreauxontfaitprir,&quin'aprchqueladouceur&lapatience?

    Voyez,jevousprie,lesconsquencesaffreusesdudroitdel'intolrance:s'iltaitpermisdedpouillerdesesbiens,dejetterdanslescachots,detuerunCitoyen,quisous un tel degr de latitude ne professerait pas la Religion admise sous ce degr,quelleexceptionexempteraitlespremiersdel'Etatdesmmespeines?LaReligionliegalementleMonarque&lesmendiants:aussi,plusdecinquanteDocteursouMoinesont affirm cette horreur monstrueuse, qu'il tait permis de dposer, de tuer lesSouverains qui ne penseraient pas comme l'Eglise dominante;& les Parlements duRoyaume n'ont cess de proscrire ces abominables dcisions d'abominablesThologiens.[22]

    LesangdeHenri-le-Grandfumaitencore,quandleParlementdeParisdonnaunArrtquitablissaitl'indpendancedelaCouronne,commeuneLoifondamentale.LeCardinalDuperron,quidevaitlapourpreHenri-le-Grand,s'levadanslesEtatsde1614 contre l'Arrt du Parlement, & le fit supprimer. Tous les Journaux du temps

  • rapportent les termes dontDuperron se servit dans ses harangues: Si un Prince sefaisaitArien,dit-il,onseraitbienobligdeledposer.

    Non assurment,Monsieur le Cardinal; on veut bien adopter votre suppositionchimrique, qu'un de nosRois ayant lu l'Histoire desConciles&desPeres, frappd'ailleursdecesparoles,monPereestplusgrandquemoi,lesprenanttroplalettre,& balanant entre leConcile deNice& celui deConstantinople, se dclart pourEusebedeNicomdie, je n'en obirais pasmoins monRoi, je neme croirais pasmoinsliparlesermentquejeluiaifait;&sivousosiezvoussoulevercontrelui,&quejefusseundevosjuges,jevousdclareraiscrimineldeleze-Majest.

    Duperron poussa plus loin la dispute, & je l'abrege. Ce n'est pas ici le lieud'approfondirceschimeresrvoltantes;jemeborneraidireavectouslesCitoyens,quecen'estpasparcequeHenriIV.futsacrChartresqu'onluidevaitobissance,maisparcequeledroitincontestabledelanaissancedonnaitlaCouronnecePrince,quilamritaitparsoncourage&parsabont.

    Qu'ilsoitdoncpermisdedirequetoutCitoyendoithriter,parlemmedroit,desbiensdesonpere,&qu'onnevoitpasqu'ilmrited'entrepriv,&d'tretranaugibet,parcequ'ilseradusentimentdeRatramcontrePascaseRatberg,&deBrengercontreScot.

    On sait que tous nos dogmes n'ont pas toujours t clairement expliqus, &universellementreusdansnotreEglise.JESUS-CHRISTnenousayantpointditcommentprocdait le St. Esprit, l'Eglise Latine crut long-temps avec la Grecque, qu'il neprocdaitqueduPere:enfinelleajoutaauSymbole,qu'ilprocdaitaussiduFils.Jedemande,silelendemaindecettedcision,unCitoyenquis'enseraittenuausymboledelaveilleettdignedemort?Lacruaut,l'injusticeserait-ellemoinsgrandedepuniraujourd'huiceluiquipenserait commeonpensait autrefois?Etait-oncoupabledutempsd'HonoriusI,decroirequeJESUSn'avaitpasdeuxvolonts?

    Iln'yapas long-tempsque l'ImmaculeConceptionesttablie: lesDominicainsn'ycroyentpasencore.DansqueltempslesDominicainscommenceront-ilsmriterdespeinesdanscemonde,&dansl'autre?

    Si nous devons apprendre de quelqu'un nous conduire dans nos disputesinterminables,c'estcertainementdesAptres&desEvanglistes. IlyavaitdequoiexciterunschismeviolententreSt.Paul&St.Pierre.PaulditexpressmentdanssonEptreauxGalates,qu'ilrsistaenfacePierre,parcequePierretaitrprhensible,parce qu'il usait de dissimulation aussi-bien que Barnab, parce qu'ils mangeaientaveclesGentilsavantl'arrivedeJacques,&qu'ensuiteilsseretirerentsecrtement,&sesparerentdesGentilsdepeurd'offenserlesCirconcis.Jevis,ajoute-t-il,qu'ilsnemarchaientpasdroitselonl'Evangile;jedisCphas:Sivous,Juif,vivezcomme

  • lesGentils,&noncommelesJuifs,pourquoiobligez-vouslesGentilsjudaser?

    C'tait l un sujet de querelle violente. Il s'agissait de savoir si les nouveauxChrtiensjudaseraientounon.St.Paulalladanscetemps-lmmesacrifierdansleTemplede Jrusalem.Onsaitque lesquinzepremiersEvquesde Jrusalemfurentdes Juifs circoncis, qui observerent le Sabath & qui s'abstinrent des viandesdfendues. Un Evque Espagnol ou Portugais, qui se ferait circoncire & quiobserveraitleSabath,seraitbruldansunauto-da-f.Cependantlapaixnefutaltrepourcetobjetfondamental,niparmilesAptres,niparmilespremiersChrtiens.

    Si les Evanglistes avaient ressembl aux Ecrivains modernes, ils avaient unchampbienvastepourcombattrelesunscontrelesautres.St.Matthieucomptevingt-huit gnrations depuisDavid jusqu' JESUS.St.Luc en compte quarante-une;& cesgnrationssontabsolumentdiffrentes.Onnevoitpourtantnulledissentions'leverentre lesDisciples sur ces contrarits apparentes, trs-bien conciliesparplusieursPeresde l'Eglise.Lacharitne futpointblesse, lapaix fut conserve.Quelleplusgrandeleondenoustolrerdansnosdisputes,&denoushumilierdanstoutcequenousn'entendonspas?

    St.Paul, dans sonEptrequelques JuifsdeRome,convertis auChristianisme,employetoutelafinduChapitreIIIdirequelaseuleFoiglorifie,&quelesuvresne justifient personne. St. Jacques, au contraire, dans son Eptre aux douze Tribusdispersespartoutelaterre,ChapitreII,necessededirequ'onnepeuttresauvsanslesuvres.VoilcequiaspardeuxgrandesCommunionsparminous,&cequinedivisapointlesAptres.

    Si laperscutioncontreceuxavecquinousdisputons, taituneaction sainte, ilfautavouerqueceluiquiauraitfaittuerleplusd'hrtiquesseraitleplusgrandSaintdu Paradis. Quelle figure ferait un homme qui se serait content de dpouiller sesfreres,&delesplongerdansdescachots,auprsd'unzlquienauraitmassacrdescentaineslejourdelaSt.Barthelemi?envoicilapreuve.

    LeSuccesseurdeSt.Pierre&sonConsistoirenepeuventerrer;ilsapprouverent,clbrerent, consacrerent l'action de la St. Barthelemi: donc cette action tait trs-sainte; donc, dedeuxassassins gauxenpit, celui qui aurait ventrvingt-quatrefemmesgrossesHuguenotes,doittrelevengloiredudoubledeceluiquin'enauraventr quedouze: par lamme raison les fanatiquesdesCvennesdevaient croirequ'ilsseraientlevsengloireproportiondunombredesPrtres,desReligieux,&des femmesCatholiques qu'ils auraient gorgs.Ce sont l d'tranges titres pour lagloireternelle.

  • CHAPITREXII.

    Sil'intolrancefutdeDroitDivindansleJudasme,&si

    ellefuttoujoursmiseenpratique?

    ON appelle, je croisDroitDivin, les prceptes que Dieu a donns lui-mme. IlvoulutquelesJuifsmangeassentunagneaucuitavecdeslaitues,&quelesConviveslemangeassentdebout,unbtonlamain,encommmorationduPhase;ilordonnaquelaconscrationdugrandPrtreseferaitenmettantdusangsonoreilledroite,samaindroite,&sonpieddroit;coutumesextraordinairespournous,maisnonpaspour l'antiquit; il voulut qu'on charget le boucHazazel des iniquits du Peuple;Deutr.Chap.14.ildfenditqu'onsenourrtdepoissonssanscailles,deporcs,delievres,dehrissons,dehiboux,degriffons,d'ixions,&c.

    Il institua les ftes, les crmonies; toutes ces choses, qui semblaient arbitrairesauxautresNations,&soumisesaudroitpositif,l'usage,tantcommandesparDieumme,devenaientundroitdivinpourlesJuifs,commetoutcequeJESUS-CHRIST,filsdeMarie,filsdeDIEU,nousacommand,estdedroitdivinpournous.

    Gardons-nousderecherchericipourquoiDieuasubstituuneLoinouvellecellequ'il avaitdonneMose,&pourquoi il avait commandMose, plus de chosesqu'auPatriarcheAbraham,&plusAbrahamqu'No.[23] Il semblequ'ildaigneseproportionner aux temps & la population du Genre-humain; c'est une gradationpaternelle:mais ces abymes sont trop profonds pour notre dbile vue; tenons-nousdanslesbornesdenotresujet;voyonsd'abordcequ'taitl'IntolrancechezlesJuifs.

    Ilestvraiquedansl'Exode,lesNombres,leLvitique,leDeutronome,Amos,Chap.5,v.26.

    Jrm.Chap.7,v.22.

    ActesdesAp.Ch.7,v.42.ilyadesLoixtrs-sveressurleCulte,&deschtimentsplussveres encore. Plusieurs Commentateurs ont de la peine concilier les rcits deMose avec les passages de Jrmie & d'Amos, & avec le clebre Discours de St.Etienne, rapport dans les Actes des Aptres. Amos dit que les Juifs adorerenttoujoursdansleDsertMoloc,Remphan&Kium.Jrmieditexpressment,queDieune demanda aucun sacrifice leurs peres quand ils sortirent d'Egypte. St. Etienne,

  • dans son Discours aux Juifs,s'exprime ainsi: Ils adorerent l'Arme du Ciel, ilsn'offrirentnisacrificesnihostiesdansleDsertpendantquaranteans,ilsporterentleTabernacleduDieuMoloc,&l'astredeleurDieuRempham.

    D'autres Critiques inferent du culte de tant de Dieux trangers, que ces DieuxfurenttolrsparMose,& ilscitentenpreuvescesparolesduDeutronome:Deutr.Chap. 12, v. 8.Quand vous serez dans la Terre deCanaan, vous ne ferez point commenousfaisonsaujourd'hui,ochacunfaitcequiluisemblebon.[24]

    Ilsappuyentleursentimentsurcequ'iln'estparld'aucunactereligieuxduPeupledansleDsert:pointdePqueclbre,pointdePentecte;nullemention qu'onaitclbrlaftedesTabernacles,nullePrierepubliquetablie;enfin,laCirconcision,cesceaudel'alliancedeDIEUavecAbraham,nefutpointpratique.

    Ilsseprvalentencoredel'HistoiredeJosu.Josu,Ch.14.v.15&suiv.Ceconqurantdit aux Juifs: L'option vous est donne, choisissez quel parti il vous plara, oud'adorer lesDieuxquevousavezservisdans lePaysdesAmorrhens,ouceuxquevousavez reconnusenMsopotamie.LePeuple rpond: Iln'enserapasainsi,nousservironsAdona.Josu leur repliqua:Vous avez choisi vous-mmes, tez donc dumilieudevous lesDieux trangers. Ils avaient donceu incontestablementd'autresDieuxqu'AdonasousMose.

    Ilesttrs-inutilederfutericilesCritiquesquipensentquelePentateuquenefutpascritparMose; tout atditds long-temps surcettematiere;&quandmmequelquepetitepartiedesLivresdeMoseauraittcritedutempsdesJugesoudesRois,oudesPontifes,ilsn'enseraientpasmoinsinspirs&moinsdivins.

    C'est assez, ceme semble, qu'il soit prouv par la Ste. Ecriture, quemalgr lapunition extraordinaire attire aux Juifs par le culte d'Apis, ils conserverent long-tempsunelibertentiere:peut-tremmequelemassacrequeMosefitdevingt-troismillehommespour leveaurigpar son frere, lui fit comprendrequ'onnegagnaitrienparlarigueur,&qu'ilfutobligdefermerlesyeuxsurlapassionduPeuplepourlesDieuxtrangers.

    Lui-mmeNomb.Chap.21,v.9.semblebientttransgresserlaLoiqu'iladonne.Iladfendutoutsimulacre,cependantilrigeunserpentd'airain.LammeexceptionlaLoisetrouvedepuisdansleTempledeSalomon;cePrincefaitsculpterdouzebufsquisoutiennentlegrandbassinduTemple;desChrubinssontpossdansl'Arche,ilsontunetted'aigle&unettedeveau;&c'estapparemmentcettettedeveaumalfaite, trouvedansleTemplepar lesSoldatsRomains,quifitcroire long-tempsquelesJuifsadoraientunne.

  • En vain le culte des Dieux trangers est dfendu; Salomon est paisiblementidoltre.Jroboam, quiDieudonnadixpartsduRoyaume, faitrigerdeuxveauxd'or, & regne vingt-deux ans, en runissant en lui les dignits deMonarque & dePontife.LepetitRoyaumedeJudadressesousRoboam desAutels trangers&desstatues.LesaintRoiAsanedtruitpointleshautslieux.LeGrand-PrtreUriasLiv.IV.desRois,Chap.16.rigedansleTemple,laplacedel'Auteldesholocaustes,unAutelduRoideSyrie.Onnevoit,enunmot,aucunecontraintesurlaReligion.JesaisquelaplupartdesRois Juifs s'exterminerent, s'assassinerent lesuns les autres;mais ce futtoujourspourleurintrt,&nonpourleurcrance.

    IlestvraiqueparmilesProphetesLiv.III.desRois,Chap.18,v.38&40.

    Liv.IV.desRois,Chap.2,v.24.ilyeneutquiintresserentleCielleurvengeance.Eliefitdescendre le feu cleste pour consumer le Prtre deBaal;Elise fit venir des ourspourdvorerquarante-deuxpetits enfantsqui l'avaient appell ttechauve:mais cesontdesmiraclesrares,&desfaitsqu'ilseraitunpeudurdevouloirimiter.

    OnnousobjecteencoreNomb.Chap. 31.que lePeupleJuif fut trs-ignorant& trs-barbare.Ilestditquedanslaguerrequ'ilfitauxMadianites,[25]Moseordonnadetuertous les enfants mles& toutes les meres, & de partager le butin. Les vainqueurstrouverent dans le camp675000brebis, 72000bufs, 61000 nes,&32000 jeunesfilles;ilsenfirentlepartage,&tuerenttoutlereste.PlusieursCommentateursmmeprtendent que trente-deux filles furent immoles au Seigneur: cesserunt in partemDominitrigintaduanim.

    En effet, les Juifs immolaient des hommes laDivinit, tmoin le sacrifice deJepht,[26] tmoin leRoiAgag,[27]coupenmorceauxpar lePrtreSamuel.EzchielEzch.Chap.39,v.18.mmeleurpromet,pourlesencourager,qu'ilsmangerontdelachairhumaine. Vous mangerez, dit-il, le cheval & le Cavalier, vous boirez le sang desPrinces.Onnetrouvedanstoutel'HistoiredecePeupleaucuntraitdegnrosit,demagnanimit, de bienfaisance; mais il s'chappe toujours dans le nuage de cettebarbarie,silongue&siaffreuse,desrayonsd'unetolranceuniverselle.

    Jepht, Juges, Chap. 11, v. 24.inspir de Dieu, & qui lui immola sa fille, dit auxAmmonites:CequevotreDieuChamosvousadonn,nevousappartient-ilpasdedroit?SouffrezdoncquenousprenionslaTerrequenotreDieunousapromise.Cettedclarationestprcise;ellepeutmenerbienloin;mais,aumoins,elleestunepreuvevidente que Dieu tolraitChamos. Car la sainte Ecriture ne dit pas: Vous pensezavoirdroitsurlesTerresquevousditesvousavoirtdonnesparleDieuChamos;elleditpositivement:Vousavezdroit,Tibijuredebentur:cequiestlevraisensdecesparoleshbraques,Othothirasch.

  • L'histoir