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24 janvier 2015 — M Le magazine du Monde GASTRONOMIE Un continent à la carte. MéCONNUE EN FRANCE, OUBLIéE DES MéDIAS, LA CUISINE D’AFRIQUE NOIRE OFFRE UNE VARIéTé DE PRODUITS ET DE RECETTES EXCEPTIONNELLE. DES CHEFS COMMENCENT à LA FAIRE SORTIR DE L’OMBRE, EN ADAPTANT à LA SAUCE CITADINE DES PLATS POPULAIRES ET RURAUX à L’ORIGINE. PAR CAMILLE LABRO Le chef Dieuveil Malonga, d’ori- gine congolaise, a imaginé un dessert appelé Mon rêve africain, fondé sur une cartogra- phie d’épices et de fruits locaux. 63 Hugues Lawson-Body

Le monde afrique, continent à la carte

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Page 1: Le monde   afrique, continent à la carte

24 janvier 2015 — M Le magazine du Monde

g a s t r o n o m i e

Un continent à la carte.méconnue en France, oubliée des médias, la cuisine d’aFrique noire

oFFre une variété de produits et de recettes exceptionnelle. des cheFs commencent à la Faire sortir de l’ombre, en adaptant à la sauce citadine des plats populaires et ruraux à l’origine.

par Camille labro

Le chef Dieuveil Malonga, d’ori-

gine congolaise, a imaginé un

dessert appelé Mon rêve

africain, fondé sur une cartogra-phie d’épices et de fruits locaux.

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Page 2: Le monde   afrique, continent à la carte

­esthétiques ?­Est-ce­lié­aux­lieux­urbains,­bouis-bouis­et­quartiers­comme­Château-Rouge­à­Paris,­où­l’on­retrouve­« le­goût­du­bled »­mais­qui­res-tent­encore­ghettoïsés ?­Pour­l’historien­Jean-Baptiste­Noé,­­la­logique­historique­est­simple :­« L’Afrique noire est l’un des continents découverts le plus tardivement sur le plan culturel. Les négriers ne connaissaient que les côtes, et les colons ont préféré reproduire la vie européenne plutôt que goûter aux produits sur place. » Résultat :­cela­fait­à­peine­­cinquante­ans­que­l’on­s’inté-resse­aux­goûts­de­l’Afrique,­pourtant­« berceau de produits extra ordinaires ».« La cuisine africaine en est à ses balbutiements,­confirme­le­chef­d’origine­camerounaise­Alexandre­Bella­Ola.­Elle manque de soldats prêts à défendre et à répandre leur culture. » Dans­son­restaurant­Rio­dos­Camaraos­à­Montreuil,­ce­cuisinier­autodidacte­­et­pédagogue,­considéré­par­beaucoup­comme­le­pape­de­­la­cuisine­africaine,­mitonne­depuis­vingt­ans­les­plats­typiques­de­là-bas :­le­célèbre­mafé,­bien­sûr,­recette­malienne­à­base­de­sauce­arachide ;­le­yassa­sénégalais,­avec­sa­sauce­aux­oignons,­olives­et­citron ;­l’attiéké­(Côte­d’Ivoire)­à­base­de­semoule­de­manioc ;­le­tiep­bou­dienn,­ou­riz­au­poisson­

(Sénégal) ;­le­N’dolé­à­base­d’épinards­amers­ou­encore­­le­poulet DG,­deux­emblèmes­du­Cameroun.­« L’Afrique et l’Europe n’ont pas le même rapport à la nourriture,­analyse­le­chef.­En Afrique rurale, on mange une fois par jour, tous ensemble, avec les mains. C’est une cuisine mijotée qui demande patience et disponi­bilité. »­Eléments­qui,­selon­lui,­sont­inadaptés­à­l’univers­urbain­moderne,­où­il­faut­savoir­être­rapide,­efficace­et­séduisant­à­la­fois.­« Les cuisi­niers africains n’arrivent pas encore à transposer leur expres­sion, à réfléchir et s’adapter. »­Pourtant,­à­Paris­notamment,­­le­secteur­compte­quelques­­initiatives­dynamiques :­petits­comptoirs­rapides­comme­Afrik’n’Fusion­et­Best­Africa,­food­trucks­« afropolitains »­­tels­Le­Tricycle­ou­Black­Spoon.­Mais­pour­Bella­Ola,­« ces gens sont surtout des entrepreneurs, qui veulent gagner de l’argent rapidement, alors que la cuisine africaine, c’est lent ! ».­La­solu-tion ?­Il­faut­d’abord­apprendre­à­travailler­les­produits,­que­l’on­trouve,­selon­le­chef,­facilement­en­France :­manioc,­gombo,­

sorgho,­bissap,­safou,­poissons­frais­et­séchés,­fruits­et­innom-brables­épices…Après­un­passage­rapide­à­« Top­Chef »,­le­jeune­chef­­d’origine­congolaise­Dieuveil­Malonga,­qui­voue­une­passion­aux­produits­de­son­continent,­s’est­donné­pour­mission­de­« rendre hommage à l’Afrique, à travers un nouveau regard ». Chef­itinérant,­il­accommode­les­saveurs­et­traditions­afri-caines­à­la­sauce­moderne,­jouant­la­carte­de­l’afro-fusion­pour­des­mafés­revisités,­des­yassas­de­caille,­des­assiettes­bigarrées­où­se­rencontrent­vanille­de­Madagascar,­fruit­­de­la­passion­et­poudre­de­­bao­bab,­raviolis­de­plantain­­et­morue,­mangues­sauvages,­sauté­d’agneau­et­ignames­­violets.­Parmi­ses­projets,­outre­l’ouverture­d’un­restaurant,­la­publication­d’une­« cartogra-phie­de­l’Afrique­gourmande »,­ses­produits­et­ses­recettes.­­Un­travail­de­titan.­« Personne n’a encore fait ça,­s’enthou-siasme­Julien­Pham,­définir les goûts et les couleurs de l’Afrique. C’est grâce à ce genre d’initiative que la sauce africaine pourrait enfin prendre. »­ ­

C ’est le grand

absent­de­la­déferlante­gas-tronomique­contemporaine.­

Alors­que­l’on­découvre­et­explore­aujourd’hui­les­mille­saveurs­du­monde,­de­la­Corée­au­Pérou,­en­passant­par­l’Inde,­le­Brésil­ou­la­Nouvelle-Zélande,­le­continent­africain­reste­large-ment­ignoré­– à­l’exception­du­Maghreb­(et­de­son­couscous­devenu­le­« plat­préféré­des­Français »).­De­la­cuisine­d’Afrique­subsaharienne,­on­ne­sait­presque­rien.­Pourquoi,­malgré­l’intégration­en­France­d’une­vaste­communauté­­africaine,­les­plats,­produits­et­cuisiniers­d’Afrique­noire­res-tent-ils­ainsi­dans­l’ombre,­loin­de­tout­écho­médiatique ?­La­question­taraude­Julien­Pham,­rédacteur­en­chef­du­magazine­culinaire­urbain Fricote,­qui­a­consacré­son­dernier­numéro­au­continent­noir.­« J’adore l’Afrique et sa cuisine,­assure­Pham, mais ce n’est pas évident d’en faire un dossier : il y a très peu de chefs français qui s’intéressent aux produits ou aux recettes, pourtant déli­cieuses, de ces pays. »­Est-ce­parce­que­les­cuisines­afri-caines,­issues­de­transmissions­orales,­manquent­cruellement­de­documentation ?­Ou­parce­que­ce­sont­des­plats­paysans,­rustiques,­bouillis,­en­sauce,­­pas­des­plus­raffinés­ni­

c a r n e t d ’ a d r e s s e s

rio dos Camaraos , 55, rue Marceau, MontreuiL (93)

my Food montreuil , (sud-africain)

22, rue roBespierre, MontreuiL (93)

l’équateur , 151, rue saint-Maur, paris 11e

Waly-Fay, 6, rue Godefroy-

cavaiGnac, paris 11e

sheger , (étHiopien) 2, passaGe

du Jeu-de-BouLes, paris 11e

la gazelle , 9, rue rennequin, paris 17e

épiCerie el mundo, 28, rue pouLet, paris 18e

à l i r e  Cuisine aCtuelle

de l’afrique noire, d’aLexandre BeLLa

oLa, éd. first-Gründ, 2012.

www.cHefMaLonGa.coM

Au Rio dos Camaraos, à Montreuil, le Camerounais Alexandre Bella Ola,

sublime la cuisine africaine. Ci-contre, un de ses plats : gombos et queue de bœuf.

La cuisine d’Afrique noire reste pour

l’instant cantonnée aux restaurants spécialisés : ci-dessus, le Waly-Fay

(Paris 11e) tenu par la chef sénégalaise Fatou Sylla. Pour la faire connaître, la revue Fricote a

consacré son dernier numéro à ce continent.

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