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Système alimentaire 3.0: les voies de la disruption

Système alimentaire 3.0 : les voies de la disruption

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Page 1: Système alimentaire 3.0 : les voies de la disruption

Système alimentaire 3.0:

les voies de la disruption

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Digitalisation, décentralisation, réintermédiation,

mutualisation, pair-à-pair, le système alimentaire n’

échappe pas aux mutations que connaissent l’ensemble

de la société. Des plateformes d’intermédiation via le

web rapprochent producteurs d’aliments et

consommateurs et leur permettent de contractualiser en

direct, mais les contraintes liées à la production et au

déplacement des aliments limitent encore le

changement d’échelle de ces initiatives et un

quelconque effet “disruptif”. Par contre, les services aux

agriculteurs, ainsi que la restauration voient déjà

apparaître des acteurs chamboulant l’organisation des

activités et obligeant les opérateurs historiques à se

repositionner. Avec l’internet des objets, les robots et

autres drones, les métiers se transforment. Enquête sur

les évolutions en cours du système alimentaire.

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© AMAP du Coeur Joyeux © VoulezVousDiner © Terre-net Média

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1- Un modèle disruptif à la Uber peut-il s’appliquer au système

alimentaire? Raisonnons par analogie.

Prenons l’industrie des taxis, profondément disruptée

par l’entrée d’Uber sur le marché, et raisonnons par

analogie. Une profession influence l'État pour mettre

des quotas en place (appelés licences) pour s’assurer

que les producteurs (les chauffeurs ici) n’offrent pas

trop de volumes (de courses), histoire de maintenir les

prix à un niveau suffisamment haut. Ça ne vous fait pas

penser à une autre histoire ? Celle de la PAC est des

quotas imposés aux agriculteurs pour maintenir les

cours des matières premières ? Certes, ces quotas

disparaissent peu à peu.

Si on continue le parallèle, un modèle à la Uber consiste

à connecter instantanément, à faible coût, un offreur et

un demandeur de service/produit, tout en assurant la

transparence et la sécurité des échanges, et en ouvrant

la possibilité à de nouveaux offreurs de service de les

proposer librement (ici, un particulier peut faire taxi à

ses heures perdues…). Appliqué à l’agriculture cela

signifierait que :

a- N’importe qui pourrait devenir

producteur, même à une micro échelle, et

vendre sa production, même simplement

celle de son jardin. Tous producteurs? Cet adage pourrait bien devenir une

réalité si l’on en croit le dynamisme croissant de ce

mouvement des “growers”: incroyables comestibles,

jardins partagés, jardins communautaires, jardins

ouvriers, balcons végétalisés, kits pour faire pousser des

champignons dans sa cuisine… même Ikea s’y met et

commence à vendre des kits pour faire pousser des

herbes aromatiques chez soi. Si Ikea s’y met, c’est que le

mouvement doit bien commencer à devenir

mainstream. Et comment ! 17 millions de jardiniers en

France, 10% de la population française fait déjà pousser

des légumes dans un petit coin de potager ! Mais de là à

produire suffisamment pour vendre à d’autres, il y a un

pas.

Certes, la technologie vient à la rescousse du jardinier

néophyte plein de bonne volonté: Farmbot sort son

robot CNC farming pour que les légumes poussent tout

seul dans le jardin pendant qu’on sirote un verre

tranquillement devant la télé. Le MIT media lab open

ccc

agriculture invente “l’ordinateur alimentaire” (food

computer) qui fait pousser les blettes et les salades sous

le contrôle de votre smartphone. On n’a même plus

besoin de jardin, ni même de balcon pour faire pousser

ses tomates. Kiloupoule (malheureusement fermé) vous

louait des poules au mois avec le poulailler et les grains

pour vous permettre de produire vos œufs tout en

soutenant l’économie de la fonctionnalité. MyFood sort

la micro-serre hydroponique et permaculturelle à

mettre dans son jardin, qui fournit à la fois les haricots

et les truites, de quoi se faire un bon repas complet.

Alors les particuliers vont-ils se mettre à vendre via une

plateforme type Uber les productions de leur jardin?

Aujourd’hui ce n’est pas si simple. D’après la loi, on peut

produire et vendre les légumes de son potager sans

déclaration ni versement de taxes si celui-ci est attenant

à la maison d’habitation et si le potager fait moins de

500m2. Il s’agit d’une tolérance fiscale, qui s’applique

uniquement si les ventes sont réalisées de façon très

ponctuelle, dans le cas d’une vente de surplus par

exemple. Et il y a bien déjà quelques sites qui organisent

ces échanges, comme cavientdujardin.com. Mais la

règle en France, c’est que pour produire et vendre des

aliments, il faut créer une entreprise, s’inscrire à la

Mutuelle Sociale Agricole (MSA) et éventuellement au

Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), et payer

les taxes afférentes, assez défavorables aux petits

producteurs. Le statut d’auto-entrepreneur n’est pas

accepté dans le cas d’une activité de production

agricole, il est donc relativement complexe pour un

jardinier amateur, producteur à temps très partiel, mais

néanmoins régulier, de s'officialiser et vendre

légalement des aliments, via une plateforme à la Uber.

Ces législations compliquent la mise en place d’un

modèle C to C, car aucun statut simple de type

micro-entrepreneur ne s’applique au commerce de

produits agricoles.

b- On commanderait nos aliments sur une

app, le producteur le plus près serait

identifié et un gentil chauffeur du

dimanche m’amènerait mon panier. 3

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Bon sauf que la logistique pour déplacer de la nourriture

est un peu plus compliquée. D’abord, “faire ses

courses”, ce n’est pas acheter des légumes uniquement

à un producteur. L’achat d’une course de taxi est un

produit relativement standardisé, avec peu de

références (à la limite, on peut choisir entre la course

Uber Pop et la course Uber classique) ce qui n’est pas le

cas dans l’alimentaire. Aussi, les acheteurs veulent

pouvoir faire l’ensemble de leurs courses en un seul

point, de façon simple, pratique et rapide. La

plateforme seule ne suffit pas pour intermédier

producteurs et consommateurs dans le cas de la

production/vente de denrées alimentaires. Pour les

achats alimentaires, on a besoin d’un outil

d'agrégation, d’un “hub”, intermédiaire qui organise la

logistique entre de multiples micro-producteurs

indépendants et distribués, et des consommateurs eux

aussi distribués. Pour que les coûts logistiques

n’explosent pas, il faut pouvoir déplacer de gros

volumes pour faire baisser le coût par unité.

i- Un “hub” alimentaire, kezako?

Le système alimentaire est organisé via une multitude

de hubs aux formes et modes opératoires variés:

> Des hubs gérés par des producteurs

- vente directe autogérée: le producteur vend en

direct et organise lui même la logistique pour

livrer ses clients, que ce soit sur les marchés ou

via un site de vente/troc en ligne.

- vente directe cogérée: plusieurs producteurs se

regroupent et mutualisent la commercialisation

de leurs productions. Par exemple, ils vont sur

une même boutique, en ligne ou physique,

proposer les différents produits et organiser la

logistique et la livraison aux acheteurs. On

retrouve ici les initiatives type Drives Fermiers,

comme Lecourtcircuit.fr dans le Nord,

Ahlavache, ou les magasins de producteurs.

> Des hubs gérés par des acheteurs

- les AMAP (association pour le maintien de

l’agriculture paysanne), groupement d’achat de

fruits et légumes, parfois viandes, oeufs ou

autre produits frais. Les AMAP reposent sur un

partage du risque entre les producteurs et les

acheteurs, qui s'engagent à l’avance sur un

nombre de paniers dont ils ne choisissent pas

précisément le contenu (produits de saison) et

paient souvent ces paniers à l’avance.

- plus généralement, les groupements d’achat,

que ce soit pour des fruits et légumes, de l’

épicerie (modèle des GASE, comme

Lepotcommun à Rochefort ou encore le projet

de la Coop 5 sur 100), ou des produits du

terroirs (Peligourmet). Des individus se

rassemblent et passent ensemble des

commandes groupées, qu’ils récupèrent en un

lieu et à une date donnée.

- les supermarchés/épiceries coopératifs/

associatifs, comme La Louve à Paris. Ici des

acheteurs créer et gèrent ensemble un

commerce, et donc achètent ensemble de très

grandes quantités en direct aux producteurs.

Les membres choisissent les produits qui seront

vendus dans leur commerce. Cette formule

offre la flexibilité d’un commerce classique aux

membres, qui peuvent faire leurs courses sur

des horaires d’ouverture classique.

> Des hubs gérés par des intermédiaires “extérieurs”

- un commerçant indépendant organise la vente

directe de produits locaux sourcés chez les

producteurs. Cette vente passe par une

boutique en ligne, soit gérée de manière

indépendante (site de vente en ligne comme

lecomptoirlocal.fr à Paris ou Deligreens à Lyon,

cc

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- ou encore monpotager.com qui propose au

client de choisir les légumes à faire pousser dans

son potager virtuel et de recevoir ensuite les

paniers correspondants), soit ces managers de

hubs peuvent s’appuyer sur des marketplaces

pour opérer leur initiative. Pour ce type de hub,

l’entrepreneur peut être considéré davantage

comme un facilitateur, permettant l’achat

direct, que comme un intermédiaire (même si

légalement il pourra, selon le cas, être

considéré comme intermédiaire de commerce)

- les boutiques, épiceries, supérettes et ccccccccc

- supermarchés classiques sous leurs formes

physiques ou en ligne, ou des nouveaux acteurs

comme Amazon Fresh qui jouent encore le rôle

d’intermédiaire opaque, l’origine des produits y

est toujours floue. L’affichage de valeurs fortes

sur la sélection de produits (biologiques, locaux)

par des supermarchés engagés comme Biocoop,

ou de petits commerces indépendants, peut

certes renforcer la confiance de l’acheteur, mais

ces modèles restent néanmoins basés sur un

intermédiaire (ou une chaîne d’intermédiaires) à

qui le client doit faire confiance...

5

ii- Le rôle des marketplaces

Pour faciliter la gestion de ces hubs dans leur version

digitale (vente en ligne), des marketplaces apparaissent

et offrent aux entrepreneurs des outils pour opérer leur

activité. LaRucheQuiDitOui (LRQDO), ou Locavor,

proposent à des entrepreneurs d’ouvrir leur “ruche” ou

“locavor” et d’organiser les ventes en ligne et

distributions de produits par les producteurs, sur des

modèles de hubs définis: le mode opératoire, les

commissions sont fixés par les startups derrière ces

marketplaces. Open Food France, le projet auquel j’ai

choisi de contribuer, est aussi une marketplace

permettant la gestion de hubs alimentaires, mais

ccccccc ccc

n’impose aucun modèle de hub: aussi bien des hubs

d’entrepreneurs indépendants, que des groupements

d’achat, ou encore des drives fermiers peuvent utiliser

la plateforme pour opérer leur activité.

Mais on se rend bien compte que la construction d’une

marketplace sur l’alimentaire n’est pas simple,

notamment à cause des problématiques logistiques

spécifiques à l’alimentaire. Amazon d’ailleurs n’a pour

l’instant pas proposé son service Fresh sur un modèle

marketplace, les producteurs ne créent pas de boutique

pour vendre en direct, pour l’instant il s’agit d’un simple

site de e-commerce.

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iii- Des modèles logistiques à réinventer dans un

environnement distribué

Comment optimiser la logistique pour livrer rapidement,

efficacement et à bas coût les commandes d’acheteurs

distribués sachant que dans une commande, il y a des

produits de multiples producteurs, et qu’un kg de

tomates c’est coûteux et pas très pratique à envoyer par

la poste…

On a dit qu’on avait besoin d’un acteur logistique, que

nous avons appelé ici “hub”. Aujourd’hui, chaque hub

organise sa logistique de façon indépendante. Chaque

groupement d’achat, chaque AMAP, chaque épicerie

indépendante, organise sa propre logistique. Même

dans une marketplace comme LRQDO, il n’y a pas

encore de modèle de coopération logistique, et chaque

producteur est censé venir apporter et distribuer ses

produits en direct le jour du retrait des produits. La

logistique est un véritable goulet d’étranglement

empêchant la montée en puissance et les gains

d’efficacité de ces modèles de distribution directe.

Les mutualisations logistiques par contre se font de

façon centralisée dans les grands groupes de la

distribution alimentaires, disposant de multiples

enseignes et engendrant d’énormes volumes de vente.

Ces groupes achètent aux producteurs en grande

ccccccc

quantité via des centrales d’achat et dispatchent ensuite

les produits dans leurs différents points de vente. Mais

ce système crée non seulement de l’opacité entre le

producteur et l’acheteur final, écarte du marché les

petits producteurs ne pouvant fournir les volumes

demandés, et engendre aussi un pouvoir de négociation

très fort détenu par les services achats de ces grands

groupes, au détriment des producteurs.

Alors comment optimiser la logistique dans un modèle

marketplace basé sur de multiples hubs indépendants

et de multiples producteurs vendant chacun de petites

quantités? Pour l’instant, aucun acteur sur le marché

n’a encore trouvé de réponse à cet enjeu. Je pense que

la réponse pourrait être liée à la question des données.

Dans un modèle de type big data où l’on sait en temps

réel qu’est-ce qui doit être livré, en quelle quantité, où

et quand les produits doivent être récupérés, et si les

produits nécessitent un transport par le froid, quel type

de froid. J’imagine qu’avec un algorithme bien pensé,

des services logistiques pourraient proposer des offres

sur une base mutualisée bien moins coûteuses que si

chaque hub gère lui-même sa logistique en direct.

L’enjeu logistique me semble donc être intimement lié à

la question du BigData, notamment au niveau de

l’ouverture et de la standardisation des données.

© Matt Gibson

Page 7: Système alimentaire 3.0 : les voies de la disruption

2- Contrôler l’intermédiation

EDF l’a bien compris : l’entreprise propose désormais

d’accompagner les individus à l’autonomie, à

l’autosuffisance énergétique. Produire et consommer sa

propre énergie. EDF ne propose pas encore de vendre

les surplus à ses voisins, en mode distribué, mais ça ne

saurait tarder, d’autres acteurs comme Vanderbron aux

Pays-Bas le font déjà. Revirement de stratégie,

inévitable stratégie de survie, car le pouvoir est

aujourd’hui dans le contrôle du réseau, la facilitation du

smart grid.

Les grosses fédérations d’agriculteurs ou coopératives

n’en sont pas encore là. Passer de

- produire la nourriture et la livrer dans le monde

entier en s’appuyant sur des professionnels

habilités, « chefs d’exploitation », à

- accompagner les individus pour qu’ils

produisent eux-mêmes la nourriture et

échangent leurs denrées entre eux sur un mode

distribué… ça fait quand même un pas à passer.

a- L’enjeu des dataPour contrôler le réseau, il faut contrôler les données.

Monsanto a racheté en 2013 The Climate Corporation,

entreprise spécialisée dans le BigData agricole, ainsi que

Solum (mesures du sol), PrecisionPlanting (données sur

les semis) et 640 Labs (analyse de données). Google

aussi l’a bien compris, puisqu’il est à présent le principal

investisseur de la giga database du réseau des fermiers

américain, Farmers business network. L’entreprise

anime une communauté de professionnels qui

partagent leurs données, que ce soit sur leurs

rendements, les intrants utilisés ou pratiques culturales.

Des algorithmes font ensuite le travail d’analyse des

informations, proposent des diagnostics et évaluent les

facteurs qui influent sur les récoltes. L’objectif étant

d’aider les agriculteurs à prendre de meilleures

décisions comme, par exemple, le choix des graines les

plus adaptées à leurs terres.

Avec tous ces objets connectés, capteurs dans les

champs, drones survolant les parcelles, le volume et la

précision des données ne cessent d’augmenter, et le

travail de l’agriculteur pour les collecter devient de plus

en plus léger: le capteur parle tout seul. Et l’intelligence

artificielle prodigue des conseils de pointe à coût

marginal. L'utilisation d'objets connectés tout au long de

ccccccc

la chaîne alimentaire peut contribuer à son

optimisation: limiter voir supprimer les intrants par des

pratiques culturales optimales et réactives, assurer la

traçabilité du produit et améliorer la transparence vis-

à-vis du consommateur, limiter le gaspillage alimentaire,

etc.

Mais le BigData s’applique aussi à l’optimisation des

problématiques logistiques et de distribution évoquées

plus haut. Savoir à chaque instant qu’est-ce qui est

disponible, où et en quelle quantité d’un côté, et de

l’autre, qu’est-ce qui est commandé, par qui, et où et

quand ça doit être livré. L'accès à de telles informations

permettrait, au moyen d’algorithmes, de bâtir des offres

disruptives en matière de distribution alimentaire. C’est,

pour reprendre le parallèle initial, le positionnement

d’Uber en matière de contrôle des données. Pour que ce

système soit opérant, il faut atteindre une certaine

masse critique en terme de quantité de données.

Se pose alors le problème de la gouvernance de ces

données. Quel serait l’impact d’un contrôle de ces

données par un acteur privé cherchant à maximiser son

profit? Faut-il assurer une gouvernance démocratique

de ces données? Voir les partager, dans des logiques

d’open/common data, pour stimuler la création de

services innovants par de multiples acteurs? Ma

réflexion personnelle m’amène à penser que les

données devraient rester propriété de celui qui en est à

l’origine (l’agriculteur), et que ce producteur de données

devrait avoir le choix de partager ces données en open

ou common data (par exemple choisir sur quels sites de

vente en ligne son catalogue produit s’affichera), ou de

la louer à un acteur privé, soit contre de l’argent, mais

plus communément, peut-être en l’échange de services

gratuits, comme l’utilisation d’un outil de

planification/gestion des cultures. Je suis confiante que

nombre d’agriculteurs préfèreront garder la main sur

leurs données et leur utilisation, si tant est qu’ils soient

sensibilisés à cette problématique...

b- Du web centralisé en silos au

web distribué

Aujourd’hui, un producteur qui vend via LRQDO, une

AMAP, voire qui répond à des appels d’offres pour la

grande distribution doit saisir ses données dans de

cccccc

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3- Des activités agro-alimentaires déjà en passe d’être

disruptées

multiples interfaces, plusieurs fois. Il doit aussi décider

par avance quelle part de sa production il va dédier à tel

ou tel circuit, car il n’a pas de moyens de suivre son

stock de façon “dynamique”, et que le stock disponible

global s’adapte en temps réel pour les différents

circuits.

Avec la multiplication des plateformes et sites de vente,

la logique de silos aujourd’hui encore la norme sur le

web complexifie la gestion et le partage des données

entre producteurs et hubs.

Pour avancer vers un modèle optimisé de

production/achat-vente distribué via de multiples hubs,

de natures et tailles différentes, et atteindre des

volumes importants dans un modèle distribué, certains

acteurs commencent à poser les briques de ce que

pourrait être le web distribué appliqué au système

alimentaire. Open Food Network par exemple affiche

ccc

clairement sa vision de devenir une plateforme

interopérable, permettant d’une part aux producteurs

gérant leur catalogue produit sur OFN d’ouvrir leurs

données à d’autres applications, afin que leur catalogue

produit s’affiche sur d’autres sites de vente en ligne &

marketplace. Et d’autre part, aux hubs utilisant la

marketplace Open Food Network de se connecter à des

catalogues produits gérés sur d’autres bases de donnée

externes. Ainsi, quel que soit l’outil choisi par le

producteur pour gérer ses données produits, il pourrait

suivre son stock en temps réel et proposer son offre

globale de façon beaucoup plus agile et réactive.

Foodsoft en Allemagne avance dans la même direction.

Les API pour permettre cela ne sont pas encore

développées, mais la vision est là, et les communautés

derrière ces projets open source y travaillent.

a- les services aux agriculteursAu-delà de la production/distribution alimentaire, qui

du fait de la complexité logistique ne peuvent se voir

directement appliquer un modèle à la Uber, les services

aux agriculteurs pourraient bien se faire rapidement

“ubériser”:

> le conseil aux agriculteurs, aujourd’hui une des offres

des syndicats et fédérations agricoles, pourrait être

organisé sur un mode pair-à-pair, avec une

intermédiation par le web permettant la mise en

relation directe entre un paysan cherchant un conseil et

un autre paysan ayant une expertise par rapport au

besoin. Mais le conseil aux agriculteurs pourrait être

encore plus profondément disrupté par le

cccccccccccccc

développement de l’internet des objets et l’intelligence

artificielle. L’interprétation par des algorithmes des

données fournies par les capteurs et drones sillonnant

les champs permet aujourd’hui, pour un coût marginal

et sans intervention humaine, de fournir des conseils

précis à l’agriculteur. Des plateformes émergent

proposant des logiciels de gestion de cultures connectés

à des capteurs qui fournissent les informations

permettant d’optimiser les cultures. Dans ce domaine,

on peut citer la plateforme Ekylibre, partiellement

open-source.

> Les services de location de machines agricoles. Jusqu’

à récemment, les agriculteurs avaient deux choix pour

se procurer une machine le temps des travaux: soit

acheter cette machine, pour l’avoir à disposition dès

que

8

Représentation schématique du web distribué

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besoin. Soit rejoindre une CUMA (Coopérative

d’utilisation de matériel agricole) et louer cette machine

à la coopérative. Aujourd’hui, de nouveaux acteurs

arrivent sur le marché et proposent la location de

machines en pair-à-pair, comme WeFarmUp,

court-circuitant ainsi l’offre des CUMA: dorénavant un

agriculteur peut louer une machine soit à sa CUMA, soit

en direct à un autre paysan, en pair-à-pair. Bien sûr, ces

pratiques existent depuis longtemps de façon

informelle, les paysans se louent/se prêtent/troquent

des services et produits depuis toujours. Mais ces

nouvelles plateformes, en élargissant la recherche au

delà de son cercle de connaissances et en optimisant

l’offre de service et la logistique, peuvent permettre à

ces pratiques de changer d’échelle.

> Les entreprise de travaux agricoles (ETA) pourraient

également se faire chambouler par des plateformes de

jobbing agricole. Une Entreprises de Travaux Agricoles

(ETA) possède des matériels adaptés et du personnel

compétent pour effectuer des prestations de services

chez les agriculteurs soit pour le compte de l'agriculteur

soit pour le compte d'entreprises agro-alimentaires

(conserveries, sucreries...). Préparation du sol, semis,

récoltes, désherbage, épandages, transports des

produits, un agriculteur pourrait assez facilement

acheter tous ces services via une plateforme à la Uber,

où les individus, agriculteurs, mais aussi jardiniers

amateurs, pourraient proposer leurs services. Le fermier

possédant une moissonneuse aura donc le choix de

mettre sa moissonneuse en location sur WeFarmUp, ou

de louer son service de moissonnage sur le Uber des

travaux agricoles. En enlevant la marge de l’ETA, le prix

du service pourrait bien devenir plus attractif pour

l’agriculteur, et cela permettrait aussi à des particuliers,

jardiniers amateurs, d’arrondir leurs fins de mois. Mais

là aussi, il est fort à parier que les ETA seront les

premiers prestataires à proposer leurs services sur cette

Uber-like plateforme… à moins même qu’elle ne la

développe elles-mêmes, s’ubériser ou se faire ubériser?

Il est fort à parier qu’avec l’arrivée de ces nouvelles

plateformes, les constructeurs de machines agricoles

cherchent aussi à se positionner pour assurer leurs

arrières, car c’est leur volume de vente qui est en

péril… de même que Citroën s’intéresse au partage de

voitures et propose un service “Share your fleet” depuis

2013, ou encore s’allie à Bolloré sur l’installation

d’Autolibs à Lyon et Bordeaux.

Monétiser son tracteur qui dort… quels autres actifs

non utilisés de façon optimale un agriculteur pourrait-il

monétiser? Des places en bâtiment d’élevage? Des

capacités de stockage? Des hectares non utilisés? La

semence de son taureau de race rustique bien fertil?

Des outils? De l’espace dans la camionnette lors d’une

livraison?

b- La vente de petit-plats en P2PEn bout de chaîne alimentaire, la distribution de

produits passe aussi par la restauration, individuelle ou

collective.

Pour la restauration collective, difficile de disrupter une

cantine d’entreprise, qui doit produire des repas pour

1000 salariés quotidiennement.

Par contre, pour ce qui est de la restauration

individuelle, certaines plateformes émergent et

proposent des modèles type Uber permettant à un

individu de commander un petit plat à un “producteur”,

qui peut être un individuel, ou un restaurateur. Là

encore, même logique, ces plateformes permettent à

des non professionnels ou acteurs freelances d’avoir

accès au marché.

3 tendances principales sur ce secteur:

- les plateformes qui organisent la livraison de

plats issus de cartes de restaurants: bien sûr,

UberEats, mais aussi Deliveroo, Alloresto,

Foodora. Avec des difficultés de rentabilités, ces

plateformes n’ont pas encore trouvé de modèle

pérenne. Assez proche, des offres types

traiteurs/plateaux repas, comme PopChef,

s’adressent plutôt à des cibles professionnelles,

pour des déjeuner-meeting.

- les plateformes qui misent sur le pair-à-pair,

comme Comuneat, où les gens achètent vos

petits plats et viennent les récupérer chez vous,

ou alors des modèles type Vizeat où le cuisinier

amateur ouvre sa table et devient restaurateur

le temps d’une soirée.

- et le marché des surplus alimentaires, avec des

plateformes telles que TooGoodToGo qui

proposent la commande à prix très réduits

d’invendus des restaurants ou distributeurs.

Quel que soit le modèle, ces nouvelles plateformes

renforcent les possibilités pour les individus de proposer

leurs services, que ce soit sur l’aspect logistique

(livraison) ou production du service (cuisine), et offrent

aux acheteurs la possibilité d’acheter en direct un repas

au cuisinier, avec des options de livraison/retrait

variées.

9

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2- Mutations digitales et collaboratives

a- Mutualisation et P2P:

disruption ou symbiose?Uber Pop, c’est plutôt le modèle P2P: mettre en lien un

offreur et un demandeur de service de façon

instantanée. Mais Uber propose aussi le service Uber

Pool, modèle davantage mutualiste, qui propose de

partager un taxi à plusieurs. Cela démontre que l’un et

l’autre sont bien complémentaires.

Dans le secteur alimentaire, on observe les mêmes

tendances. Jusqu’à présent, seule la logique

mutualiste/coopérative était développée, comme dans

l’exemple des CUMA. Dans ce cas, on se rassemble, on

achète ensemble des machines qui deviennent alors des

Communs, elles n’appartiennent pas à un agriculteur en

particulier, et en même temps elles appartiennent un

peu à tous les agriculteurs de la CUMA. La logique

WeFarmUp, au contraire, propose la location de

machines agricoles en direct à un agriculteur, lui

permettant ainsi d’optimiser l’utilisation, et donc

l’amortissement, de son actif. Ces deux modèles

peuvent être considérés comme complémentaires, et il

est fort à parier que nombre de machines en ligne sur

WeFarmUp soient de fait les machines des CUMA! Donc

même si l’on peut considérer que les CUMA se font

“Ubériser” par des plateformes comme WeFarmUp, cela

ne fera pas forcément disparaître les CUMA, car ils

offrent aux agriculteurs membres une autre forme de

garantie d’accès au matériel, et peut-être une logique

de complémentarité va-t-elle plutôt se mettre en place.

Sur le volet distribution, là aussi les deux logiques

coexistent et se complémentent: on peut acheter des

légumes à son voisin, au producteur à côté de chez soi,

via des hubs pair-à-pair (par exemple comme évoqué

plus haut, un fermier qui vend en direct et opère son

propre hub), mais on a aussi besoin de hubs

d’agrégation, basés sur la logique de mutualisation, qui

organisent le regroupement des commandes/ventes

pour faciliter la logistique. Certains hubs, gérés de façon

démocratiques, peuvent d’ailleurs être considérés

comme des Communs, car ils mettent en oeuvre une

“gestion collective de biens matériels ou immatériels”

(cf définition wikipedia).

Toujours dans cette même logique, on observe à l’

échelle des politiques publiques territoriales des

tendances complémentaires, allant dans les deux sens:

cc

des Communes remettent en place des régies publiques

alimentaires, un Commun à l’échelle d’une ville pour

assurer l’approvisionnement des écoles, la ville assurant

ainsi l’autosuffisance de ses cantines. Et en parallèle,

elles facilitent les échanges pair-à-pair en organisant des

marchés de producteurs, ou en encourageant le

développement de circuits courts.

b- Mutation des emplois Nous l’avons dit, dans les champs, les capteurs, les

drones et les robots s’invitent à table. Alors, si la tech

produit les légumes pour nous… on n’a plus besoin de

savoir jardiner pour récolter. L’agriculteur sera-t-il le

pilote d’avion du 21ème siècle ? Regardant le robot

travailler en contemplant le paysage, juste là au cas où

le mécanisme s’enraierait, pour aller mettre un peu

d’huile ou réparer un bout de code. “L’agriculture

assistée par ordinateur” est en train de faire son

apparition, irrigation, désherbage, lutte contre les

ravageurs, les capteurs et robots assistent aujourd’hui

l’agriculteur dans de plus en plus de tâches et lui

permettent une intervention beaucoup plus précise et

économe en temps humain. De même que les

dessinateurs sont devenus graphistes et dessinent

maintenant sur des tablettes numériques et au moyens

de logiciels de dessin, les agriculteurs de demain

cultiveront au moyens de logiciels, le métier est en train

de se transformer. Demain il faudra être ingénieur pour

faire pousser des légumes. Voire même, biochimiste,

comme en témoigne les avancées en matière

d’agriculture cellulaire, ou plutôt, pour appeler cela

comme il se doit, en “production d’aliments de

synthèse”, car peut on encore parler d’agriculture

lorsqu’on ne travaille plus avec la vie mais qu’on

reconstitue des tissus à partir d’une molécule d’origine?

De nombreuses Startups développent et commencent à

commercialiser de la viande, des oeufs, du fromage,

produits à partir de cultures cellulaires, donc en

laboratoire. A terme ces technologies pourraient être

accessibles à chacun, via des imprimantes 3D

alimentaires. Mais la question de la propriété

intellectuelle de ces “recettes” se pose.

Il me semble important de garder du recul par rapport à

notre lien à la terre et au vivant. Faut-il investir des

millions dans la production de viande via les méthodes

de culture cellulaire pour répondre à la consommation

cc

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croissante, ou dépenser ces mêmes millions dans l’

éducation pour réduire drastiquement notre

consommation de viande, lutter contre le gaspillage

alimentaire qui représente aujourd’hui plus du ⅓ des

aliments produits, et soutenir des modes de production

plus organiques et distribués, micro-fermes, agriculture

verticale urbaine, etc? Ici, on cherche des solutions

technologiques pour compenser nos comportements

irresponsables.

Même si je reconnais les arguments potentiellement

positifs de telles pratiques sur la limitation de l'impact

environnemental et éthique de l'élevage, je m'interroge

sur l'importance de notre rapport à la terre et au vivant,

et la compréhension du vivant, dans la survie à long

terme de notre espèce. On a souvent tendance à penser

que la technologie résoudra tous nos problèmes, et

même si elle peut y contribuer, je pense que c'est avant

tout par l'éducation qu'on trouvera des solutions long

terme. Peut-être continuer à mettre les mains dans la

terre a-t-il un autre rôle: celui de nous rappeler que

notre destin est lié à celui de nos sols, et que nous

devons en prendre soin.

c- High tech vs low tech

Dans le foisonnement des initiatives qui on le vent en

poupe, on voit se développer deux tendances fortes,

assez opposées:

> Le high tech. S’affranchir de la nature et de ses lois.

Robots, culture hors sol, drones, imprimantes et

ordinateurs alimentaires, serres connectées, steaks de

synthèse. Face à la demande croissante de

transparence, de produits non transformés, ces options

high tech constituent-elles des options d’avenir? Les

partisans diront que ces pratiques culturales font gagner

en temps et en efficacité, et que les aliments de

synthèse ont un meilleur bilan carbone / consomment

moins de ressources.

> Le low tech. Se reconnecter à la nature, comprendre le

fonctionnement des écosystèmes, la permaculture. Le

faire-soi même, l’artisanat, réapprendre à cultiver,

limiter l’usage de machines nécessitant pétrole ou

électricité. La régulation de sa consommation de viande

pour limiter les impacts. Les partisans diront que les

robots et l’internet des objets certes permettent de

gagner en efficacité mais font perdre en autonomie et

en résilience, et augmentent les consommations d’

électricité. Ils questionneront également le goût et la

qualité nutritionnelle des aliments de synthèse.

Ces deux tendances, opposées, peuvent aussi être vue

comme complémentaires, le retour à la nature inspirant

de nouvelles pratiques culturales de pointe, et les

machines en open-source pouvant être fabriquées et

maîtrisées par les partisans du low tech.

11Farmbot, la CNC farming open source. Photo ©htxt.africa

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5- En conclusion… faut-il craindre ou souhaiter ces mutations?

Il me semble crucial de réussir à disrupter l’ordre établi par les quelques grands groupes agro-industriels, qui

contrôlent l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la sélection génétique à la distribution. Les agriculteurs tout

comme les acheteurs ont tout à y gagner: offres de services et fournitures plus pertinentes à moindre coût, gains de

temps par l’utilisation d’objets connectés et optimisation de leurs actifs pour les producteurs; offres de produits en

direct du paysan, moins chers et affichant en toute transparence les critères de qualité/conditions de production

pour les acheteurs. En reconnectant producteurs et consommateurs, les plateformes de réintermédiation

contribuent à rendre au citoyen son pouvoir de décision sur ce qu’il mange et le type d’agriculture qu’il souhaite

soutenir. Elles rapprochent aussi producteurs et consommateurs en offrant de nouvelles opportunités à ce dernier

de devenir à son tour producteur, même pour quelques heures par mois.

Certes, ces évolutions sont à suivre de près, afin de s’assurer que ces plateformes se développeront bien dans

l’intérêt et au service des producteurs et des consommateurs: quelle est la gouvernance de ces plateformes?

Sont-elles collaboratives ou le contrôle est-il assuré par une entreprise pilotée par des investisseurs en quête d’un

retour rapide sur leurs investissements? Quels systèmes agricoles ces plateformes défendent-elles? Est-il

soutenable, équitable, contribue-t-il à la régénération des sols et à la résilience des écosystèmes? Voilà quelques

questions qu’il me semble important de poser aux futurs Ubers de l’agriculture.

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Références/articles qui m’ont inspirés:

http://www.renaissancenumerique.org/publications/rn/769-2015-11-13-16-46-10

http://www.agroeconomie.com/#!Qui-sera-l%E2%80%99UBER-de-l%E2%80%99agriculture-/c1khz/558edeba0cf2ef0f928e4b3f

http://foodtechconnect.com/2016/08/01/food-unwinnable-for-startups/?mc_cid=c9469fd6ce&mc_eid=f00eba6cac

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Etude réalisée et diffusée avec le concours de: