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TLM 105 OCT-NOV-DÉC 2016 7 LE DR BENJAMIN SARFATI EST CHIRURGIEN PLASTICIEN SPÉCIALISÉ EN CHIRURGIE RECONSTRUCTRICE DU CANCER DU SEIN ET DU CANCER DE LA FACE À L’INSTITUT GUSTAVE ROUSSY. À L’APPUI DE SON EXPÉRIENCE IL EXPLIQUE ICI POURQUOI LES APPLICATIONS DE LA ROBOTIQUE VONT ÉVOLUER ET SE MULTIPLIER TLM : Comment en êtes-vous venu à la chirurgie robotisée ? Dr Benjamin Sarfati : En règle générale, les chirurgiens plasticiens n’ont pas accès à l’utilisation du robot, il n’y a pas d’indica- tion à cette technologie prévue pour la chi- rurgie plastique. Nous n’y sommes donc ni formés ni exercés. L’arrivée d’un robot Da Vinci dernière génération, le Xi, à l’Institut Gustave Roussy où je suis en poste depuis 2010 nous a permis d’avoir une première approche du robot et de le voir fonction- ner. C’est alors, en novembre 2012, que m’est venue l’idée de l’utiliser en chirurgie du sein. Personne ne l’avait fait jusque-là. Pourquoi y avoir pensé ? C’est qu’en chi- rurgie classique, donc sans robot, la mas- tectomie avec reconstruction mammaire immédiate laisse sur le sein ou sur sa partie latérale, une longue cicatrice allant de 10 à 12 centimètres. Cette cicatrice indélébile est souvent très traumatisante pour la pa- tiente. Elle constitue une atteinte à l’image de soi et réactive sans cesse le souvenir pé- nible de l’opération. En outre, en cas de reconstruction mammaire avec prothèse, la cicatrice sur le sein est en contact avec cette dernière, ce qui favorise les compli- cations —infections, explosion de pro- thèse, etc. Mon idée, que seul le robot ren- dait techniquement réalisable, a donc été de déplacer sous le bras la cicatrice. Jusque-là, personne au monde ne l’avait fait, fût-ce avec un robot. Notre équipe a donc entrepris de s’exercer à l’utilisation du robot à l’école de chirurgie. Constatant que cette technologie fonctionnait très bien sur le cadavre nous avons décidé de l’appliquer au vivant. Or, le robot n’avait pas de marquage pour la chirurgie du sein. Il nous a fallu établir un protocole d’essais cliniques et déposer une demande d’autori- sation spécifique auprès de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médica- ment et des produits de santé). À ce jour, Gustave Roussy est le seul établissement au monde à avoir été autorisé par Intuitive, le constructeur, et les autorités à utiliser Vinci Xi dans la chirurgie du sein santé. Cette in- tervention est réservée aux patientes ayant, premièrement, une indication de mastecto- mie avec conservation de l’aréole, et, deuxièmement, un bonnet taille C maxi- mum car au-delà, la cicatrice sur le sein est inévitable puisqu’il faut réduire la peau. TLM : Quels sont les avantages de cette technique ? Dr Benjamin Sarfati : Le robot permet d’obtenir, comme nous l’avons dit, un bien meilleur résultat esthétique. Deuxième avantage, comme il n’y a plus de contact entre la cicatrice et la prothèse, les risques d’infection et d’explosion de prothèse sont diminués d’autant. Troisième avantage, les risques de nécrose de l’aréole du sein sont réduits du fait que cette technique laisse intact le réseau vasculaire de l’aréole, et j’ajoute que nous avons l’impression que la peau la supporte bien. TLM : Quels sont vos résultats ? Dr Benjamin Sarfati : La première pa- tiente a été opérée en décembre 2015. C’était une première mondiale sur le Da Vinci Xi. Depuis, nous avons amélioré notre technique. A ce jour j’ai opéré 13 patientes. Au j ourd’hui nous parvenons à pratiquer des interventions qui ne laissent qu’une « IL EXISTE ENCORE DE LARGES MARGES D’AMÉLIORATION » Dr Benjamin Sarfati : La chirurgie robotisée, une aventure aux perspectives immenses… e n t r e t i e n S § Quand il y aura eu des études multicentriques, ou que, dans le cadre de la législation européenne, le marquage CE aura été obtenu, nous mettrons en place, bien entendu, des cours et des formations. § Le Dr Benjamin Sarfati : « La robotique est appelée à occuper une place croissante dans la chirurgie » uuu

TLM n° 105 : Entretien avec le Dr Benjamin Sarfati : la chirurgie robotisée, une aventure aux perspectives immenses

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TLM N° 105 OCT-NOV-DÉC 2016 7

LE DR BENJAMIN SARFATI ESTCHIRURGIEN PLASTICIEN SPÉCIALISÉ EN CHIRURGIE RECONSTRUCTRICE DU CANCER DU SEIN ET DU CANCER DELA FACE À L’INSTITUT GUSTAVE ROUSSY. À L’APPUI DE SON EXPÉRIENCE ILEXPLIQUE ICI POURQUOI LESAPPLICATIONS DE LA ROBOTIQUE VONTÉVOLUER ET SE MULTIPLIER

TLM : Comment en êtes-vous venu à lachirurgie robotisée ?Dr Benjamin Sarfati : En règle générale,les chirurgiens plasticiens n’ont pas accès àl’utilisation du robot, il n’y a pas d’indica-tion à cette technologie prévue pour la chi-rurgie plastique. Nous n’y sommes donc niformés ni exercés. L’arrivée d’un robot DaVinci dernière génération, le Xi, à l’InstitutGustave Roussy où je suis en poste depuis2010 nous a permis d’avoir une premièreapproche du robot et de le voir fonction-ner. C’est alors, en novembre 2012, quem’est venue l’idée de l’utiliser en chirurgiedu sein. Personne ne l’avait fait jusque-là.Pourquoi y avoir pensé ? C’est qu’en chi-rurgie classique, donc sans robot, la mas-tectomie avec reconstruction mammaireimmédiate laisse sur le sein ou sur sa partielatérale, une longue cicatrice allant de 10 à12 centimètres. Cette cicatrice indélébileest souvent très traumatisante pour la pa-tiente. Elle constitue une atteinte à l’imagede soi et réactive sans cesse le souvenir pé-nible de l’opération. En outre, en cas dereconstruction mammaire avec prothèse,la cicatrice sur le sein est en contact aveccette dernière, ce qui favorise les compli-cations — infections, explosion de pro-thèse, etc. Mon idée, que seul le robot ren-dait techniquement réalisable, a donc étéde déplacer sous le bras la cicatrice.Jusque-là, personne au monde ne l’avait

fait, fût-ce avec un robot. Notre équipe adonc entrepris de s’exercer à l’utilisationdu robot à l’école de chirurgie. Constatantque cette technologie fonctionnait trèsbien sur le cadavre nous avons décidé del’appliquer au vivant. Or, le robot n’avaitpas de marquage pour la chirurgie du sein.Il nous a fallu établir un protocole d’essaiscliniques et déposer une demande d’autori-sation spécifique auprès de l’ANSM(Agence nationale de sécurité du médica-ment et des produits de santé). À ce jour,Gustave Roussy est le seul établissement aumonde à avoir été autorisé par Intuitive, leconstructeur, et les autorités à utiliser VinciXi dans la chirurgie du sein santé. Cette in-tervention est réservée aux patientes ayant,premièrement, une indication de mastecto-mie avec conservation de l’aréole, et,deuxièmement, un bonnet taille C maxi-mum car au-delà, la cicatrice sur le sein estinévitable puisqu’il faut réduire la peau.TLM: Quels sont les avantages de cettetechnique ? Dr Benjamin Sarfati : Le robot permetd’obtenir, comme nous l’avons dit, un bienmeilleur résultat esthétique. Deuxièmeavantage, comme il n’y a plus de contactentre la cicatrice et la prothèse, les risquesd’infection et d’explosion de prothèse sontdiminués d’autant. Troisième avantage, lesrisques de nécrose de l’aréole du sein sontréduits du fait que cette technique laisseintact le réseau vasculaire de l’aréole, etj’ajoute que nous avons l’impression que lapeau la supporte bien. TLM: Quels sont vos résultats ?Dr Benjamin Sarfati : La première pa-tiente a été opérée en décembre 2015.C’était une première mondiale sur le DaVinci Xi. Depuis, nous avons amélioré notretechnique. A ce jour j’ai opéré 13 patientes.Au jourd’hui nous parvenons à pratiquer desinterventions qui ne laissent qu’une

« IL EXISTE ENCORE DE LARGES MARGES D’AMÉLIORATION »

Dr Benjamin Sarfati : La chirurgierobotisée, une aventure aux perspectives immenses…

e n t r e t i e n S

§Quand il y aura eu des études

multicentriques, ou que, dans

le cadre de la législation

européenne, le marquage CE

aura été obtenu, nous mettrons

en place, bien entendu, des

cours et des formations.

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Le Dr Benjamin Sarfati : « La robotique est appelée à occuper

une place croissante dans la chirurgie »

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cica trice de 2 à 4 centimètres sous lebras. Les suites opératoires sont bonnes,sans complications notables. Les patientessont ravies parce qu’elles ont l’impressionde n’avoir pas été opérées, elles ne viventplus la mammectomie comme une mutila-tion. Enfin, et cet avantage n’est pas lemoindre, ces nouvelles perspectives per-mettent aux patientes qui ont des réticencesà la chirurgie de savoir les surmonter. S’il est encore trop tôt pour tirer des conclu-sions d’ensemble par rapport à la chirurgieclassique, les résultats actuels sont probantset encourageants, alors qu’il y a encore delarges marges d’amélioration. Comme nousn’avons, pour l’instant, d’autorisation quepour 35 patientes, nous envisageons de de-mander, le moment venu, une autorisationpour davantage d’interventions.TLM : Comment voyez-vous l’évolutiondes pratiques en matière de robotique ?Dr Benjamin Sarfati : La robotique estappelée à occuper une place croissantedans la chirurgie. L’évolution est inévita-ble, exactement comme il en a été lors del’arrivée de la coelioscopie. C’est doncmaintenant que la France doit savoirprendre le tournant, sous peine de se re-trouver dépassée. Il est clair que les appli-cations de la robotique vont évoluer et se

multiplier. La robotique va permettre unechirurgie de plus en plus fine, notammenten microchirurgie. Le robot pallie aux im-perfections des gestes de la main, le trem-blement par exemple. Il permet de travail-ler sur des zones très précises et d’opérerlà où on ne peut le faire à mains nues.L’avenir c’est aussi la réalité augmentée :le robot va pouvoir superposer les imagesdu scanner et de l’I.R.M. et permettre, entemps réel, de mieux visualiser la tumeurmais aussi les vaisseaux et les organes àpréserver. Le robot ne prend pas d’initia-tive, il reproduit, magnifie et amplifie legeste du chirurgien, mais on peut imagi-ner que le robot sache un jour repérer leszones à préserver et se bloquer si le chi-rurgien s’en approche de trop près. Lesperspectives sont immenses, nous sommesau tout début d’une aventure.TLM : Avez-vous envisagé de formerd’autres praticiens à cette technique ?Dr Benjamin Sarfati : C’est inévitable.Quand il y aura eu des études multicen-triques, ou que, dans le cadre de la législa-tion européenne, le marquage CE aura étéobtenu, nous mettrons en place, bien en-tendu, des cours et des formations.

Propos recueillis par Bernard Maruani et Dominique Noël n

§La robotique va permettre une

chirurgie de plus en plus fine,

notamment en microchirurgie.

Le robot pallie aux

imperfections des gestes de la

main, le tremblement par

exemple. Il permet de travailler

sur des zones très précises et

d’opérer là où on ne peut le

faire à mains nues.

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