1
22 Le journal du Médecin | 18 mars 2016 | N° 2442 U ne récente étude menée par ING démontre que près de 8,5 % de la population belge fait appel aux ser- vices des sites qui sont liés à l’éco- nomie collaborative. Ces systèmes fonctionnent sur la base d’échanges de biens ou de services entre particuliers. On parle aussi d’économie « horizontale ». Les exem- ples sont nombreux et certains ont même fait déjà couler beaucoup d’entre dans la presse. Des exemples de partages Vous l’aurez compris, cette nouvelle forme d’économie permet aux particuliers qui ne se servent pas de leurs biens d’en tirer des revenus. Combien de jours utilisez-vous réellement votre voiture, vos outils ou tant d’autres choses qui restent inactives tout au long de l’année ? Le partage de celles-ci au travers des sites internet qui se dévelop- pent sur la toile permet d’en tirer des reve- nus non-négligeables et de s’inscrire dans un souci d’économie des ressources. À titre d’exemples, citons la possibilité de mettre en location sa maison ou son appar- tement lors d’un séjour à l’étranger (AirBnB), la possibilité de mettre en location sa voiture pour une courte durée lorsque celle-ci n’est pas utilisée (CarAmigo), la possibilité de partager sa voiture lors d’une course en ville (Uber), celle de mettre en location sa foreuse ou sa ponceuse (EZILIZE) ou encore d’autres services plus insolites tels que la vente de repas à domicile (Menu Next Door) ou la réa- lisation de petits travaux (LISTMINUT). Insécurité juridique Cette nouvelle forme de consommer, en ne passant plus par le circuit habituel de la petite ou grande distribution, crée une grande insé- curité juridique pour les différents acteurs de ce genre d’économie puisque les lois fiscales et sociales complexes ne prévoient pas encore de régime spécifique facilement compréhen- sible pour les particuliers. En effet, les revenus tirés de ces nouvelles formes d’économie sont bels et bien taxa- bles et doivent parfois faire l’objet de retenues sociales. Il faut donc appliquer les règles exis- tantes et vérifier au cas par cas quel est le régime applicable aux revenus dégagés. Quels réflexes avoir ? Le premier réflexe sera de déterminer le type de biens ou de services qui sont offerts aux consommateurs. La location d’une voiture ou d’une tondeuse procure un revenu mobi- lier, la location de votre maison est un revenu immobilier, les prestations de services sont bien souvent des revenus professionnels ou divers (pour les prestations isolées et peu fréquentes). Le second réflexe sera de se demander s’il n’y a pas, en fait, une prestation de services. En effet, « l’apprenti chef de cuisine » qui prépare des repas à emporter dans sa cuisine ou le taximan amateur qui prend un passager réalisent une prestation de services qui sera quasi systématiquement sujette à des prélè- vements sociaux d’indépendants (INASTI). Il est admis que les services de ce type impli- queront, dès qu’ils dépassent un caractère exceptionnel, de devoir passer sous statut d’indépendant complémentaire. Le troisième réflexe concerne la TVA, la quasi-totalité de ces opérations y étant sou- mises. Comme l’application de la TVA est sou- mise à un régime de franchise qui s’applique aux acteurs qui ne réalisent pas un chiffre d’af- faires de plus de 15.000 euros par an, la TVA ne concernera donc que très rarement les acteurs de l’économie collaborative. Le quatrième réflexe concernera d’autres questions liées aux assurances ou à la déon- tologie. Les sociétés de taxis sont protégées par des assurances spéciales que n’ont pas les particuliers par exemple. Un médecin, phar- macien, avocat ou notaire peut-il aller ton- dre la pelouse de son voisin ou prendre un pas- sager moyennant rémunération ? Voici de nouvelles questions à poser à nos ordres res- pectifs. Il n’est pas acquis que la réponse sera positive. Le cinquième réflexe est lié au glissement d’une catégorie de revenus à une autre. En effet, la location de votre voiture ou de votre maison procure un revenu qui est soit mobilier taxé à 25 %, soit immobilier taxé selon le régime complexe des revenus immo- biliers. La fréquence joue Une répétition trop fréquente de ces opé- rations de location pourra néanmoins en faire une véritable activité professionnelle à laquelle le fisc voudra appliquer un taux beaucoup moins favorable que celui applicable aux revenus mobi- liers ou aux revenus immobiliers. ce jour, il n’existe pas encore une frontière claire qui permette de déterminer la hauteur des revenus ou le nombre d’opérations à par- tir desquels ces revenus seront considérés comme des revenus professionnels. CarAmigo : une première La société CarAmigo a négocié et obtenu un accord avec l’administration fiscale (ruling) qui définit plusieurs critères permettant de garan- tir une taxation au titre de revenus mobiliers moyennant la limitation : à un véhicule mis en location au travers du site par propriétaire ; de la location à une période cumulée de 60 jours par an au plus par propriétaire ; à 2.400 EUR des revenus générés par an par propriétaire ; aux particuliers et à l’exclusion des pro- fessionnels et indépendants. Cet accord constitue une première et l’on peut espérer que le législateur emboîtera rapidement le pas pour définir un cadre souple à cette nou- velle forme d’économie auxquelles les règles actuelles sont trop contraignantes pour s’ap- pliquer aux simples particuliers. La prudence est de mise Récemment, la commission des finances du Sénat français vient de proposer l’instauration d’une franchise de 5.000 EUR sur les revenus tirés de l’économie collaborative. Une telle démarche ne peut être qu’en- couragée puisqu’elle simpli- fie énormément les obliga- tions fiscales et sociales des acteurs de ces formes d’éco- nomie. On ne peut que louer l’ap- parition de ces nouveaux modes de consommation qui tranchent avec nos mau- vaises habitudes. En plus de cette dimension philoso- phique, les revenus qui peu- vent être générés par le par- tage de vos biens ne sont pas négligeables et peuvent facilement atteindre plu- sieurs milliers d’euros par an. Ces nouvelles formes de consommation créent néan- moins un imbroglio juri- dique, fiscal et social sans précédent. Bien entendu, les acteurs resteront libres de ne pas déclarer les reve- nus que ces opérations leur procurent, même si dans les faits, il s’agit d’une fraude lourde de conséquences. Tout porte à croire que cette nouvelle forme d’économie qui se déve- loppe attirera bien assez tôt l’attention du fisc qui ne se gênera pas pour réaliser des contrôles. Dans l’attente d’une intervention appropriée du législateur, les acteurs se montreront prudents et mesureront avec précaution les activités complémentaires auxquelles ils se livrent pour éviter de se voir considérés comme des indé- pendants complémentaires avec ce que cela entraine de conséquences éventuellement dom- mageables pour les professions libérales que nous constituons. Jérôme Havet Avocat GESTION Le partage peut-il s’avérer rentable ? Depuis quelques années, une nouvelle forme d’économie basée sur le principe du partage se développe. Cette nouvelle forme de consommer ne s’adresse pas uniquement aux personnes qui ont de faibles revenus, mais est devenue peu à peu un véritable phénomène de société qui s’inscrit dans une politique de développement durable. ©Belga Image L’économie de partage n’est pas neuve. Les exemples sont nombreux et certains ont même fait déjà couler beaucoup d’entre dans la presse.

Economie de-partage1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Economie de-partage1

22 Le journal du Médecin | 18 mars 2016 | N° 2442

Une récente étude menée par INGdémontre que près de 8,5 % de lapopulation belge fait appel aux ser-vices des sites qui sont liés à l’éco-nomie collaborative. Ces systèmes

fonctionnent sur la base d’échanges de biensou de services entre particuliers. On parleaussi d’économie « horizontale ». Les exem-ples sont nombreux et certains ont mêmefait déjà couler beaucoup d’entre dans lapresse.

Des exemples de partagesVous l’aurez compris, cette nouvelle forme

d’économie permet aux particuliers qui nese servent pas de leurs biens d’en tirer desrevenus. Combien de jours utilisez-vousréellement votre voiture, vos outils ou tantd’autres choses qui restent inactives tout aulong de l’année ? Le partage de celles-ci autravers des sites internet qui se dévelop-pent sur la toile permet d’en tirer des reve-nus non-négligeables et de s’inscrire dans unsouci d’économie des ressources.

À titre d’exemples, citons la possibilité demettre en location sa maison ou son appar-tement lors d’un séjour à l’étranger (AirBnB),la possibilité de mettre en location sa voiturepour une courte durée lorsque celle-ci n’estpas utilisée (CarAmigo), la possibilité departager sa voiture lors d’une course en ville(Uber), celle de mettre en location sa foreuseou sa ponceuse (EZILIZE) ou encore d’autresservices plus insolites tels que la vente derepas à domicile (Menu Next Door) ou la réa-lisation de petits travaux (LISTMINUT).

Insécurité juridiqueCette nouvelle forme de consommer, en ne

passant plus par le circuit habituel de la petiteou grande distribution, crée une grande insé-curité juridique pour les différents acteurs dece genre d’économie puisque les lois fiscaleset sociales complexes ne prévoient pas encorede régime spécifique facilement compréhen-sible pour les particuliers.

En effet, les revenus tirés de ces nouvellesformes d’économie sont bels et bien taxa-bles et doivent parfois faire l’objet de retenuessociales. Il faut donc appliquer les règles exis-tantes et vérifier au cas par cas quel est le régimeapplicable aux revenus dégagés.

Quels réflexes avoir ?Le premier réflexe sera de déterminer le type

de biens ou de services qui sont offerts aux

consommateurs. La location d’une voitureou d’une tondeuse procure un revenu mobi-lier, la location de votre maison est un revenuimmobilier, les prestations de services sont biensouvent des revenus professionnels ou divers(pour les prestations isolées et peu fréquentes).

Le second réflexe sera de se demander s’iln’y a pas, en fait, une prestation de services.En effet, « l’apprenti chef de cuisine » quiprépare des repas à emporter dans sa cuisineou le taximan amateur qui prend un passagerréalisent une prestation de services qui sera

quasi systématiquement sujette à des prélè-vements sociaux d’indépendants (INASTI).Il est admis que les services de ce type impli-queront, dès qu’ils dépassent un caractèreexceptionnel, de devoir passer sous statutd’indépendant complémentaire.

Le troisième réflexe concerne la TVA, laquasi-totalité de ces opérations y étant sou-mises. Comme l’application de la TVA est sou-mise à un régime de franchise qui s’appliqueaux acteurs qui ne réalisent pas un chiffre d’af-faires de plus de 15.000 euros par an, la TVAne concernera donc que très rarement lesacteurs de l’économie collaborative.

Le quatrième réflexe concernera d’autresquestions liées aux assurances ou à la déon-

tologie. Les sociétés de taxis sont protégéespar des assurances spéciales que n’ont pas lesparticuliers par exemple. Un médecin, phar-macien, avocat ou notaire peut-il aller ton-dre la pelouse de son voisin ou prendre un pas-sager moyennant rémunération ? Voici denouvelles questions à poser à nos ordres res-pectifs. Il n’est pas acquis que la réponse serapositive.

Le cinquième réflexe est lié au glissementd’une catégorie de revenus à une autre. Eneffet, la location de votre voiture ou devotre maison procure un revenu qui est soitmobilier taxé à 25 %, soit immobilier taxéselon le régime complexe des revenus immo-biliers.

La fréquence joueUne répétition trop fréquente de ces opé-

rations de location pourra néanmoins en faire

une véritable activité professionnelle à laquellele fisc voudra appliquer un taux beaucoup moinsfavorable que celui applicable aux revenus mobi-liers ou aux revenus immobiliers.

ce jour, il n’existe pas encore une frontièreclaire qui permette de déterminer la hauteurdes revenus ou le nombre d’opérations à par-tir desquels ces revenus seront considéréscomme des revenus professionnels.

CarAmigo : une premièreLa société CarAmigo a négocié et obtenu

un accord avec l’administration fiscale (ruling)qui définit plusieurs critères permettant de garan-tir une taxation au titre de revenus mobiliersmoyennant la limitation :

• à un véhicule mis en location au travers dusite par propriétaire ;

• de la location à une période cumulée de 60jours par an au plus par propriétaire ;

• à 2.400 EUR des revenus générés par an parpropriétaire ;

• aux particuliers et à l’exclusion des pro-fessionnels et indépendants.

Cet accord constitue une première et l’on peutespérer que le législateur emboîtera rapidementle pas pour définir un cadre souple à cette nou-velle forme d’économie auxquelles les règlesactuelles sont trop contraignantes pour s’ap-pliquer aux simples particuliers.

La prudence est de miseRécemment, la commission des finances du

Sénat français vient de proposer l’instaurationd’une franchise de 5.000 EUR sur les revenustirés de l’économie collaborative. Une telle

démarche ne peut être qu’en-couragée puisqu’elle simpli-fie énormément les obliga-tions fiscales et sociales desacteurs de ces formes d’éco-nomie.

On ne peut que louer l’ap-parition de ces nouveauxmodes de consommation quitranchent avec nos mau-vaises habitudes. En plus decette dimension philoso-phique, les revenus qui peu-vent être générés par le par-tage de vos biens ne sontpas négligeables et peuventfacilement atteindre plu-sieurs milliers d’euros par an.

Ces nouvelles formes deconsommation créent néan-moins un imbroglio juri-dique, fiscal et social sansprécédent. Bien entendu,les acteurs resteront libresde ne pas déclarer les reve-nus que ces opérations leurprocurent, même si dans lesfaits, il s’agit d’une fraude

lourde de conséquences. Tout porte à croire quecette nouvelle forme d’économie qui se déve-loppe attirera bien assez tôt l’attention du fiscqui ne se gênera pas pour réaliser des contrôles.

Dans l’attente d’une intervention appropriéedu législateur, les acteurs se montreront prudentset mesureront avec précaution les activitéscomplémentaires auxquelles ils se livrent pouréviter de se voir considérés comme des indé-pendants complémentaires avec ce que celaentraine de conséquences éventuellement dom-mageables pour les professions libérales quenous constituons.

Jérôme Havet

Avocat

GESTION

Le partage peut-il s’avérer rentable ?Depuis quelques années, une nouvelle forme d’économie basée sur leprincipe du partage se développe. Cette nouvelle forme deconsommer ne s’adresse pas uniquement aux personnes qui ont defaibles revenus, mais est devenue peu à peu un véritable phénomènede société qui s’inscrit dans une politique de développement durable.

©Be

lga

Imag

e

L’économie de partage n’est pas neuve.Les exemples sont nombreux et certainsont même fait déjà couler beaucoupd’entre dans la presse.