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Mémoire de Master 2 portant sur l'impact de la stratégie d'extension de marque et de massmarket sur le prestige d'une marque de luxe. La première partie définit la notion de prestige et la question du luxe. La seconde partie fait un état des lieux du secteur du luxe aujourd'hui et permet de comprendre les stratégies adoptées. En dernière partie, la réflexion nous conduit à envisager des manières de reconstruire le prestige des marques et ainsi conserver leur statut de luxe.
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Université de Strasbourg EM Strasbourg
MASTER MARKETING ET GESTION D’EVENEMENTS
« Face à la démocratisation du luxe, comment conserver
le prestige de la marque de luxe ? »
Par Marion MAISTRE
Tuteurs : M. Daniel HAROCHE et M. Angelo PULICE
Responsable de Master : Mme Sylvie HERTRICH
Année universitaire 2013-2014
Université de Strasbourg EM Strasbourg
MASTER MARKETING ET GESTION D’EVENEMENTS
« Face à la démocratisation du luxe, comment conserver
le prestige de la marque de luxe ? »
Par Marion MAISTRE
Tuteurs : M. Daniel HAROCHE et M. Angelo PULICE
Responsable de Master : Mme Sylvie HERTRICH
Année universitaire 2013-2014
REMERCIEMENTS
Avant toute chose, je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont rendu possible la réalisation de ce
mémoire.
Je pense tout particulièrement à mes tuteurs MM. Daniel HAROCHE et Angelo PULICE qui m’ont
soutenue et assistée tout au long de son élaboration. Leur disponibilité, leur écoute et leur
bienveillance m’ont permis d’avancer dans ce travail avec sérénité et quiétude.
De même je remercie Mme Sylvie HERTRICH, responsable du diplôme, pour la patience et la
pédagogie dont elle a fait preuve vis-à-vis de ses élèves, ainsi que Mme Agnès WALSER-
LUCHESI pour ses cours de méthodologie et ses bons conseils.
Pour le temps qu’ils m’ont accordé, j’adresse mes remerciements à Mme Nathalie ROLAND-
HUCKEL, M. Thibault de LA RIVIERE, M. Gilles AUBERGER et les intervenants de la journée
de réflexion sur l’industrie du luxe en Alsace. Leurs connaissances ont apporté une lumière
nouvelle à cette réflexion.
Je souhaite également remercier les étudiants dont les travaux antérieurs à cet ouvrage ont facilité
ma recherche, mes remerciements également aux documentalistes qui ont su m’aiguiller.
De même, je remercie mes relecteurs pour l’exigence dont ils ont su faire preuve ainsi que leur
regard critique sur ce travail. Merci enfin à mes proches pour leur soutien et leur compréhension
tout au long de cette année.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE 01
PARTIE I : LE PRESTIGE D’UNE MARQUE DE LUXE 04
I.1 : La notion de prestige pour l’individu 04
I.2 : Le luxe, un apport de prestige 12
I.3 : La marque de luxe 17
PARTIE II : DE L’EMERGENCE DU LUXE ACCESSIBLE A SON DEVELOPPEMENT 25
II.1 : Le marché du luxe aujourd’hui, et sa clientèle 25
II.2 : La stratégie marketing du luxe accessible 30
II.3 : Le luxe accessible par les extensions de marque 34
II.4 : Les risques pour le luxe 40
II.5 : Autres stratégie de marques : co-branding 43
Partie III : LE PRODUIT, PORTEUR DU PRESTIGE DE LA MARQUE DE LUXE 46
III.1 : Méthodologie 46
III.2 : Analyse des entretiens : l’objet de luxe 48
III.3 : Discussion : vers une nouvelle définition du luxe ? 53
III.4 : Limites du travail 58
CONCLUSION GENERALE 60
BIBLIOGRAPHIE 62
SCHEMAS ET TABLEAUX 66
ANNEXES 67
1
« Jadis alimenté par la consommation ordinaire de gens exceptionnels, le luxe se nourrit
aujourd'hui de la consommation exceptionnelle de gens ordinaires », Les Echos, 23 mai 2007
Cette affirmation d’un journaliste des Echos est parue en mai 2007, date à laquelle le journal a
publié un dossier sur cette « forteresse entamée » qu’est le luxe. Selon les spécialistes interrogés, le
luxe s’effrite et perd de son lustre. En effet, depuis plusieurs années et tout particulièrement depuis
les années 1980, la consommation du luxe a évolué. Secteur à part, dont l’accès a longtemps été
réservé à une élite – que ce soit par des normes ou par son prix –, il est aujourd’hui devenu
accessible. Cette mutation est due à des changements majeurs : la hausse du pouvoir d’achat, à la
démocratisation des sociétés et à la mondialisation [Bastien & Kapferer, 2013].
L’actuelle démocratisation du luxe – fait de rendre populaire et accessible le luxe en proposant des
produits diversifiés et à un prix inférieur au prix du luxe – est un fait acquis et reconnu par la
littérature1. Stratégie voulue par les marques afin de survivre dans un univers concurrentiel toujours
plus fort – les marques premium sont de plus en plus qualitatives et la notion de service et
personnalisation propre au luxe est appliquée dans la plupart des marchés – ou stratégie subie, la
démocratisation est fille de la nécessité pour les marques d’être rentables et viables. Comme
l’analyse Marie-Claude Sicard, « les marques de luxe voudraient faire croire qu’elles ne font pas de
marketing, mensonge » (2010). De fait, l’industrie du luxe est passée d’un artisanat familial à une
industrie financière et distribuée largement [Floch & Roux, 1996]. Utilisant des techniques
marketings visant à survaloriser la marque afin de vendre en masse – mass-marketing – les marques
de luxe ne maîtrisent pas toujours leurs extensions ou leurs licences, perdant alors leur image. Le
mix marketing semble incohérent pour du luxe, et des associations surprenantes apparaissent,
comme Sonia Rykiel pour H&M, Christian Lacroix pour TGV… où la marque de luxe est liée à la
diffusion en masse, enlevant au luxe son caractère sacré. Le mass-tige – contraction de mass
marketing et prestige – est né [Danziger, 2005].
D’autre part, avec un chiffre d’affaire en progression de 10%2 en 2012, le marché du luxe semble
pourtant parfaitement gérer cette descente parmi les classes populaires. Et même si les spécialistes
du luxe se font critiques et n’hésitent à parler de la mort du luxe et de naissance de l’hyperluxe
[Fashion Industry Insight, Décembre 2013], d’autres marques jouent pleinement du mythe de la
marque et annoncent des prix exorbitants. Quelle est la réalité du luxe aujourd’hui ? De quel luxe
parle-t-on alors ? Pourquoi associer luxe et prestige ? Telles sont les questions soulevées par le
1 Bastien, V. & Kapferer, J-N., 2013 ; Allères, D., 2008 ; Roux, E., 2009 ; De Barnier, V., Falcy S. &Valette-Florence
P., 2012 ; Paquot 2007 2 Etude Bain et Cie, 2013, menée sur le secteur du luxe : étude de 10% hors taux de change, ramené à 6% à taux de
change comparable
2
marché du luxe, amenant alors la problématique de cette recherche : face à la démocratisation du
luxe, comment conserver le prestige de la marque de luxe ?
Pour y répondre, il faut commencer par étudier, dans une première partie, le fondement du luxe : la
recherche de prestige et d’appartenance. L’humain est un être social qui cherche à montrer son
appartenance à un groupe tout en se référençant à un groupe idéal [Darpy, 2012]. Le prestige rejoint
l’identification à un groupe de référence. Les marques de luxe peuvent répondre à ce besoin de
prestige [Kim et al., 2001]. L’analyse de la marque de luxe et sa réponse au besoin de prestige de
l’individu permettra de poser les concepts nécessaires à la compréhension de l’importance de
l’image de marque pour le luxe et le prestige. En effet, l’image de marque est très importante pour
les entreprises, mais pour les marques de luxe elle revêt un rôle tout particulier. C’est elle qui est
porteuse de l’histoire de la marque et ce qui fait d’elle du luxe : l’élément différenciateur. Oublier
de travailler son image de marque pour le luxe, c’est prendre le risque de ne plus se démarquer, de
ne plus avoir un atout différenciant. En étudiant la composante de la marque de luxe, nous
parviendrons à comprendre son fonctionnement et la façon dont elle créé le prestige et le transmet.
Dans une seconde partie, l’analyse des concepts de démocratisation du luxe et mass-tige permettra
de comprendre leur réalisation. Il semblerait effectivement que plusieurs types de luxe coexistent
[Vigneron & Jonhson] dépendant de la marque et de son image. Ceci est également lié aux choix
stratégiques lors de la définition des produits, passant par plusieurs stratégies marketing : les
licences, le co-branding et l’extension de marque.
Par définition, l’extension de marque correspond à l’élargissement du territoire d’une marque vers
une nouvelle catégorie de produits3. Pour, Kapferer, « l’ère n’est plus aux marques mono-produits.
La marque ne se vit plus comme un produit, mais comme un concept : or, une fois construit, un
concept s’élabore et se renforce par des extensions » (2007)4. Le co-branding, quant à lui, consiste
à associer deux marques distinctes afin de créer un nouveau produit profitant de la renommée des
deux marques. On pense notamment au partenariat de Coca-Cola avec la marque James Bond, ou
même avec Jean-Paul Gaultier. Dans ce cas, le co-branding permet à Coco-cola de toucher une cible
différente de son cœur de cible. Cependant, un risque de perdre son auditorat premier ou de créer
une confusion entre les marques existe.
L’utilisation d’un nom de marque connue rassure le consommateur sur la qualité et les
caractéristiques des produits et permet à celui-ci d’accepter le nouveau produit [Kim et al., 2001].
Cependant, selon Dimitriadis (1993), « à partir du moment où le consommateur tient compte de la
3 Lendrevie & Levy, Mercator, 2013, 10
ème édition. Paris : Dunod
4 Kapferer, J-N., 2007, p74
3
marque pour faire son évaluation et que cette même marque se retrouve sur deux (ou plusieurs)
produits, il faut étudier les liens que le consommateur fera entre ces produits du fait de la présence
de la marque commune ». De fait, les extensions de marque se multiplient, pensons à Armani qui
propose Emporio Armani, Giorgio Armani, Armani Privè pour différents publics ou encore Cartier,
joaillier, qui produit désormais de la maroquinerie5. En effet la diffusion massive de produits
associés à une marque de luxe risque aussi de nuire à sa reconnaissance par son cœur de cible : les
élites de la méritocratie. Un autre risque apparaît également : la perte d’identité liée à la
délocalisation et la démocratisation. Les produits sont fabriqués à l’étranger pour réduire les coûts
de main d’œuvre et ouvrir le marché de clientèle. Est-ce qu’un sac Louis Vuitton produit en Italie
respecte le luxe français ? Enfin, une dernière question apparaît, est-ce qu’un vernis à ongle Chanel
appartient encore au luxe ? L’extension verticale risque de noyer le luxe dans les marques modes,
premium et haut de gamme – la qualité des produits devenant alors similaire. Seule la marque reste
porteuse du rêve lié au luxe – et non plus le produit.
Extension de marque et prestige de la marque ont déjà été étudiés dans la littérature [Kim et al.,
2001], sans réussir à prouver qu’une extension de marque nuisait au prestige de la marque de luxe.
Il semblerait que cela dépende de la perception du consommateur et de l’image de la marque. Cette
hypothèse n’ayant jamais été vérifiée, nous essaierons de découvrir dans cet écrit si ce lien existe.
La troisième partie de cette recherche permettra de comprendre la démarche que les marques de
luxe doivent suivre si elles veulent continuer à refléter le prestige et l’envie. Ces recommandations
sont basées sur l’analyse des entretiens réalisés.
5 Les extensions de marque font d’ailleurs l’objet d’une littérature nombreuse, en augmentation chaque année
4
PARTIE I : LE PRESTIGE D’UNE MARQUE DE LUXE
Afin de comprendre comment une marque de luxe peut conserver son prestige face à la
démocratisation du luxe, il convient tout d’abord de définir ce que sont le prestige et une marque de
luxe. Il faudra aussi comprendre pourquoi le client ressent le besoin de consommer6 du luxe.
Le prestige, pour le Larousse, est « la qualité de quelque chose ou quelqu’un qui frappe
l’imagination et impose l’admiration par son éclat et sa valeur ». Ce concept, dans son sens
premier, signifie illusion, et pour le Trésor de la Langue Française, il est un enchantement des sens
et de l’intellect par une manifestation artistique ou culturelle. Nous considèrerons dans ce travail
que le prestige est lié d’une part à la perception de l’individu en fonction de sa place dans la société
ainsi qu’aux attitudes et comportement7 en usage dans celle-ci ; d’autre part du point de vue de la
marque en fonction de son exclusivité, sa qualité et du mythe qui l’entoure.
1. La notion de prestige pour l’individu
L’étude du comportement humain est nécessaire à la compréhension de la recherche de prestige par
celui-ci. L’être humain a des besoins et des désirs communs à tous, qui ont été définis et ont fait
l’objet d’études, notamment en psychologie sociale. La notion de besoin se rapporte à une situation
naturelle de manque, un déséquilibre qu’il faut combler. La faim, le sommeil, le froid sont des
besoins à combler au même titre que la domination, le jeu, l’intellect. Les premiers sont qualifiés de
biogéniques car rattachés à notre nature humaine. Les seconds sont décrits comme
psychogéniques8 : ils sont dépendants de notre appartenance à une société. Denis Darpy précise que
« les besoins résultent donc souvent de normes sociales » (2012). On recherche un produit pour la
façon dont il va répondre au besoin. Ainsi, on désire une montre pour répondre à un besoin
d’appartenance et de prestige ; une horloge ou un cadran solaire aurait pu tout aussi bien indiquer
l’heure, mais il est plus prestigieux d’avoir une montre. Ce n’est pas le produit qui créé le besoin :
le besoin est antérieur, il existait auparavant. De plus, d’une part le désir est l’expression du besoin
et sa prise de conscience. Il est défini comme « l’expression culturellement apprise d’un besoin »
par Joël Brée (2009, p70). Il est surtout la partie la plus subjective du besoin. D’autre part, un même
besoin peut correspondre à plusieurs désirs. Celui qui voudra séduire (besoin) pourra choisir de se
6 Chevalier & Mazzalovo (2008) considèrent que le terme « consommateur » est inadapté dans le secteur du luxe étant
donné que ce dernier est considéré comme non-consommable. Cependant, pour faciliter la compréhension de ce travail,
nous utiliserons le terme « consommateur » du luxe aussi bien que « client » du luxe. 7 Joëlle Michaud cite les différentes théories de sociologies l’amenant à ces distinctions p.4
8 On utilise également les notions de « besoins hypothalamiques » et de « besoins limbiques » ou de « besoins absolus »
et de « besoins relatifs ».
5
parfumer (désir de sentir bon), faire du sport (désir d’être svelte), se maquiller (désir d’améliorer
son apparence).
Maslow (1943) a hiérarchisé les besoins selon différents niveaux. Cette typologie distingue les
besoins fonctionnels (sommeil, nourriture), de sécurité (logement, sûreté), d’appartenance à un
groupe (amitiés, amour), de reconnaissance (honneur, gloire) et de réalisation de soi (culture,
sagesse).
Figure I : Pyramide des besoins dite de Maslow (1943)
Source : Maslow, A., A theory of human motivation, Psychological review, 1943, pp 370-396
Alderfer (1972) a également déterminé un modèle appelé ERG9 reprenant ces notions de distinction
des besoins entre des besoins de survie, de vie en société et de réalisation personnelle.
Le besoin de prestige est un besoin relatif, c’est-à-dire créé par rapport à une société et reposant sur
l’imaginaire. En effet, pour Daniel Allères « passé un certain niveau de développement
économique, le système de consommation va devenir un phénomène culturel : le besoin comme
nécessité sociale de signe et non pas comme nécessité vitale de consommation » (2005). De fait, les
sociologues et psychologues analysent les motivations profondes des besoins comme étant un
besoin d’identification, de distinction et de reconnaissance ainsi qu’un besoin de rêve et de
fantasme.
9 Le modèle ERG ou Existence, Relatedness, Growth a été décrit par Alderfer en 1972. Il considère que les besoins sont
reliés à la survie de l’individu (existence), aux contacts humains (relatedness) et à son épanouissement personnel
(growth)
Epanouissement
Reconnaissance
Appartenance à un groupe
Sécurité
Survie
6
1.1.Le prestige social : groupes de références et élévation sociale
Les sociétés sont structurées selon une stratification : divisées en groupes sociaux – strates – selon
des critères variables – religieux, économiques, … Marx et Weber ont tous deux défini différents
types de sociétés. Qu’elles soient basées sur des principes distincts n’est pas le sujet de cette
réflexion. Ce qui nous intéresse ici, c’est leur capacité à souligner l’existence d’une hiérarchie dans
la société : hiérarchie économique mais également issue d’un besoin humain d’avoir un ordre social
établi [Hobbes, 1651]. Cependant, l’homme n’aime avoir un ordre établi que pour mieux le
dépasser et se prouver qu’il peut évoluer.
Selon Weber, le prestige est ce qui créé le statut et la stratification sociale. Le prestige est ainsi
fondé sur le style de vie, le niveau d’instruction ou de culture, la naissance (aristocratie) ou encore
l’exercice d’un métier particulier (médecin, avocat). Le statut est acquis en fonction de sa
consommation et son style de vie. On montre son statut grâce à des symboles qui permettent
également de créer une certaine ségrégation ou distinction des autres statuts. Ainsi, l’objet permet
de s’identifier à un groupe : c’est un ensemble de signes et symboles qui sont reconnus par les
autres [Allérès, 2005 ; Darpy, 2012]. Posséder un objet c’est déclarer appartenir à un groupe.
Au-delà de la société existe le groupe social défini par la proximité des liens et le partage de
valeurs. Deux types de groupes sont définis : les groupes d’appartenance et les groupes de
références. Les groupes d’appartenance sont ceux auxquels un individu appartient de par leur
proximité : les liens sont directs entre l’individu et le groupe. Les valeurs peuvent ne pas être
partagées. Ce sont en général la famille, la nationalité, l’entreprise, les amis. Au sein des groupes
d’appartenance, la hiérarchie est souvent structurée et définie. Les groupes de références sont des
groupes d’individus auxquels l’être humain s’identifie soit par attirance soit par rejet. Il s’agit des
groupes de tendances ou tribus. Soit la personne souhaite être comme les individus du groupe, soit
elle fera tout pour ne pas leur ressembler.
7
Figure II : Les groupes sociaux par rapport à l’individu
Source : Tunca, 2012
De par le besoin de conformisme de l’individu10
, les groupes influent directement sur le
comportement de l’individu – soit en le poussant à agir, soit en refreinant l’action. L’influence du
groupe sur le choix du produit ou de la marque dépend de sa consommation – privée ou publique –
ainsi que le montre le tableau suivant.
Figure III : Influence du groupe sur les comportements de consommation
Utilitaire (faible influence) Hédoniste (forte influence)
Utilisation privée (faible
influence)
Nécessité privée (papier
toilettes, piles, pâtes et
riz…)
Luxe privé (home cinéma,
auto-cuiseur, centrale-
vapeur…)
Utilisation publique (forte
influence
Nécessité publique (voiture,
lunettes, téléphone,
montre…)
Luxe public (bijoux, ski,
bateau, club de golf)
Source : Darpy, 2012 ; Tunca, 2012
10
Diverses études sociales ont montré le fort besoin de conformisme de l’être humain, la plus connue étant celle de
Ash. Ce psychologue américain a réalisé une expérience sur des individus : ceux-ci devaient étudier divers dessins
similaires mais différents et dire s’ils étaient identiques. Dans le groupe d’individus, tous sauf un étaient des acteurs qui
devaient affirmer la similitude des dessins même quand ce n’était pas le cas. Le « cobaye » est alors confronté à un
dilemme : dire la vérité ou rejoindre le groupe. Après plusieurs essais, l’expérience montre que l’individu préfère suivre
le groupe même s’il sait avoir tort plutôt qu’être différent.
8
Les produits nécessaires sont avant tout jugés sur leur utilité. Les produits luxueux n’ont pas cette
utilité première : ils satisfont des besoins acquis. On considère que le luxe privé satisfait un besoin
personnel de qualité et de produit réussi – respect de soi et élévation psychique. Le luxe public est
fait pour être exposé – appartenance sociale ou réussite. Le groupe de référence aura un poids
d’autant plus grand sur ces produits.
La vision de soi pour un individu dépend ainsi de sa perception de lui-même, de sa perception de
son entourage (soi social) et de son soi idéal. Ce dernier est un désir permanent d’élévation de soi :
il correspond à ce que l’individu voudrait être. Rattaché au besoin, le soi social doit combler les
besoins d’appartenance à un groupe et de reconnaissance ; le soi idéal, le besoin d’épanouissement
[Darpy, 2012]. L’humain se réfère non seulement au groupe social auquel il appartient mais
également à un groupe de référence dans lequel il se reconnaît par les valeurs, le statut social et
auquel il tend à appartenir. Ces groupes définissent ses comportements d’achat.
1.2.Rêve hédoniste de l’objet de luxe
Les marques de luxe se reposent sur le rêve. L’être humain a besoin d’un idéal vers lequel tendre,
et, comme l’expliquent les sciences sociales, le rêve caractérise l’humain. Contrairement au désir
qui est fugace et disparaît une fois satisfait, le rêve perdure et peut même durer toute une vie.
La société actuelle est une société hédoniste, qui s’intéresse au plaisir par opposition au
matérialisme. L’individu ne cherche plus simplement à satisfaire des besoins primaires mais il
souhaite également répondre à un besoin d’amusement et de plaisir. Il en découle deux types de
consommation différents : la consommation utilitaire et la consommation hédoniste. La première est
la conséquence d’un besoin fonctionnel et primaire. La seconde quant à elle satisfait des aspirations
supérieures mais peut alors apparaître comme frivole car non-nécessaire. Dans un produit, la
dimension hédoniste est subséquente aux sensations qui apparaissent lors de son utilisation alors
que la dimension utilitaire découle directement des fonctions du produit [Michaud, 2006]. Ainsi, un
même produit peut répondre aux deux dimensions. Une montre permet de connaître l’heure : on la
choisira en fonction de sa fiabilité ainsi qu’également de son poids, de la durée de vie de la pile, de
son étanchéité, mais aussi pour son esthétisme, le dessin des chiffres, la marque. Un produit peut
ainsi avoir des attributs fonctionnels et des attributs hédonistes.
Face au nombre grandissant de produits et de leurs significations – pour Allérès (2005), les
individus se définissent par rapport aux objets et leur symbolique –, le consommateur se tourne vers
l’expérience, l’émotion, les sensations et les produits lui permettant d’atteindre un monde de rêve et
9
d’imagination [Holbrook, 1993]. Cette notion de plaisir est même qualifiée de bénéfice de nature
intangible pour le produit de luxe, par Dubois, et al. (2001).
La composante hédoniste du luxe est liée au caractère pluri sensoriel du produit comme l’indiquent
Bastien & Kapferer (2013) mais également au plaisir qui ressort de sa consommation. « La
consommation du luxe est hédoniste, et désigne les facettes du comportement du consommateur qui
sont liées aux aspects sensoriels, imaginaires et émotionnels de l’expérience de consommation. Les
produits de luxe renforçant les significations véhiculées par les objets, par les émotions et les
sensations. L’achat d’un produit de luxe est lié au plaisir de l’instant, au sentiment de satisfaction
intrinsèque, gratification dont est avide le consommateur », Almeida, et al. (2008).
1.3.La sensibilité aux marques génératrices de prestige : la valeur perçue du luxe
Aaker (1999) explique qu’une marque permet de s’exprimer et de refléter sa véritable personnalité.
Kim et al. (2001) précise d’ailleurs qu’une marque est perçue comme attirante lorsqu’elle permet à
l’individu de s’exprimer et qu’il s’identifie à la marque11
. L’individu va s’intéresser aux marques
afin de pouvoir dire qui il est et l’affirmer à la société – que ce soit une société réduite et
sélectionnée ou bien le monde entier.
Kim et al. (2001) considèrent qu’il existe différents types de marques : les marques dites
fonctionnelles et les marques dites de prestige. Les marques fonctionnelles correspondent aux
marques vendant des produits utiles et nécessaires au quotidien, comme Casio ou Renault. Les
marques dites de prestige permettent d’accéder à un statut social plus élevé. Les marques associées
à ce type de qualification sont par exemple Rolex et Rolls Royce : les marques de luxe. Selon Kim
et al., le prestige de la marque repose sur l’impression d’exclusivité – distribution, service, produit –
et sur la qualité des produits.
Cependant, il s’avère que, d’après les études de Roux (1991) et Vigneron & Johnson (1999), la
notion de prestige de la marque dépend de l’individu. Selon Vigneron & Johnson, la consommation
de marques de prestige est considérée comme un signe de statut social et de possession de biens. La
marque augmentera d’autant plus le prestige d’un individu que le prix du produit est perçu comme
supérieur aux standards, et que sa distribution est limitée. Le prestige est également issu de la
conception du produit et du soin extrême porté à sa réalisation : plus le produit semblera artisanal
ou d’une technique supérieure, plus il sera prestigieux. A ce titre, une montre Rolex pouvant
fonctionner sous l’eau jusqu’à 1,220 mètres de profondeur sera plus prestigieuse qu’une simple
montre ne pouvant fonctionner sous l’eau [Vigneron & Johnson, 1999]. Ils précisent également que
11
Texte original : « The brand will be perceived as attractive when it helps a person to express him/herself,
and when the person identifies with the brand », 2001
10
l’esthétique et l’hédonisme sont des critères de prise en compte d’augmentation du prestige, une
fois la marque établie comme prestigieuse. Ainsi si une marque est considérée comme illustre,
l’attention portée au caractère esthétique de ses produits sera génératrice d’un prestige encore plus
grand.
De plus, Vigneron & Johnson (1999) ont établi que la recherche de prestige était propre à chaque
individu et dépendait de son environnement (économique) et de ses motivations. Ainsi, les
motivations d’expression de soi et de sociabilité sont primordiales. C’est pour étudier ces
motivations que nous nous pencherons sur les cinq valeurs du prestige et les motivations de
recherche dont ces valeurs découlent.
Figure IV : Valeurs de prestige par rapport aux motivations
Valeurs Motivation
Ostentatoire Veblen (Statutaire)
Différenciation Snob
Appartenance Bandwagon (Suiveur)
Emotionnelle Hédoniste
Qualité Perfectionniste
Source : Vigneron & Johnson, 1999
Appartenance et différenciation sont deux manières distinctes de développer le concept de soi,
comme l’indiquent Dubois & Desquenes (1996).
Le Veblen doit son nom à Thorstein Veblen (1899) qui considérait que l’ostentatoire était utilisé
pour signifier son statut social et ses revenus. La possession démontre le pouvoir de son détenteur.
Le prix et la notoriété des marques sont alors les deux preuves de la qualité du produit.
Les Snobs cherchent à se différencier du reste de la population en achetant en priorité les produits
des marques qui sont limitées d’accès et en rejetant les marques qui sont en diffusion massive. Un
produit rare à une valeur plus importante. Sa possession impose le respect et le prestige.
La motivation des Suiveurs est d’appartenir à une classe sociale plus prestigieuse et de se détacher
de leur classe sociale selon eux moins reluisante. Ils cherchent à se conformer à une symbolique
associée au prestige. Cette motivation apparaît, dans la littérature, comme la raison première de
consommer du luxe.
Les trois valeurs associées à ces comportements sont considérées comme interpersonnelles car
dépendantes du regard des autres. Les deux autres valeurs sont liées à la perception personnelle.
11
Figure V : Effets interpersonnels sur la recherche de prestige
L’hédoniste recherche le plaisir et le perfectionniste un produit de qualité. Ces deux composantes
sont offertes par les marques dites premium aussi bien que les marques de luxe. Ainsi, un individu
recherchant avant tout la qualité préfèrera une Lexus à une Roll Royce dont les défauts sont connus.
Son prestige social en sera amoindri d’autant. Alors que l’individu préférant une Ferrari à une
Lexus indiquera son statut social. L’hédoniste pourra préférer une expérience incroyable mais ne lui
apportant aucun prestige direct : un saut en parachute est une expérience hédoniste – pas d’utilité
fonctionnelle – mais sans prestige direct.
Le perfectionniste cherchera avant tout un produit parfait au niveau de la qualité. A ce niveau,
Macintosh correspond au perfectionniste ; ce n’est pas un produit de marque – au départ – mais un
produit reconnu pour sa qualité. L’esthétique devra être présente mais sans être prioritaire.
De plus, ainsi que l’expliquent Bastien & Kapferer (2013), le prestige est directement lié à la
marque et l’occasion de consommation. Plus un individu aura l’occasion de porter publiquement
son achat d’un produit de luxe, plus le produit et son propriétaire seront valorisés. Le produit de
luxe joue un rôle social : s’il n’est pas vu, même s’il est utilisé, il perd une partie de sa fonction
première. Des chaussures Louboutin ne sont pas faites pour être portées en intérieur, sans être vues.
Une montre Patek Philippe, même discrète, est portée en public afin que les initiés, en la voyant
connaissent la valeur de son propriétaire. Un vase Daum ou un lustre Baccarat ne resteront pas au
fond du grenier : ils seront exposés dans la maison. La valeur perçue est d’autant plus élevée que le
consommateur en voit son bénéfice social – son prestige – augmenter.
Eff
ets
inte
rper
sionel
s Valeur ostentatoire Ostentation Veblen
Valeur d'unicité Non-conformité Snob
Valeur sociale Conformité Bandwagon
Valeur Motivation Dénomination
12
Le consommateur du luxe porte avant tout son attention au plaisir et à l’accomplissement de soi
mais également au regard des autres. Il est en conséquent fortement impliqué lors de sa
consommation d’où l’importance de la valeur perçue du produit.
Lors de l’achat d’un produit, le client fixe une certaine valeur au produit. Cette valeur est souvent
différente de la valeur voulue par l’entreprise. Elle est définie par le sacrifice accepté par le
consommateur : ce que l’individu est prêt à donner pour acquérir l’objet. Le sacrifice est aussi bien
lié à l’aspect monétaire de l’achat mais également au temps consacré à l’achat, à la recherche du
produit adéquat, aux efforts consacrés pour comprendre son utilisation, aux risques liés à l’achat ou
la consommation. C’est pour cette raison que la valeur perçue d’un produit n’est pas toujours liée à
son rapport qualité-prix. Aurier et al. (2004) ont défini six valeurs pour définir la valeur perçue d’un
produit : utilitaire, connaissance, stimulation expérientielle, expression de soi, lien social,
spiritualité. On parle également de valeur fonctionnelle, valeur économique, valeur ludique et
valeur esthétique [Darpy, 2012]. De par son prix élevé, l’objet de luxe a une valeur forte, d’autant
plus qu’il augmente le pouvoir imaginaire et le lien social d’un individu.
Bien que la valeur perçue soit subjective et propre à chaque individu, on considère souvent que plus
un consommateur est impliqué lors de l’achat d’un produit, plus sa valeur perçue augmente ; plus
les sacrifices sont élevés, plus l’attente de bénéfices en retour est grande.
Une fois compris les notions de prestige du point de vue de l’individu et le besoin de
reconnaissance sociale, il est nécessaire d’expliquer ce qu’est une marque de luxe et d’étudier son
fonctionnement afin de réaliser comment une marque de luxe peut créer du prestige.
2. Le luxe, un apport de prestige
2.1.Tentative de définition
C’est du luxe ! Quel luxe ! C’est un petit luxe. Le terme luxe est employé couramment pour
désigner des notions différentes, mais souvent relatives à la perception de l’individu en comparaison
à son quotidien. Ainsi, pour certains, le luxe sera de bénéficier d’une journée de repos. Pour
d’autres, le luxe sera d’être en famille. Mais ces types de luxe sont considérés comme « des » luxes
– l’attention est portée à l’indéfini devant le mot, qui change sa signification. Le luxe quant à lui est
un concept difficile à définir de par sa fonction symbolique et sociétale.
13
D’après l’étymologie, le luxe viendrait de luxus, qui signifie faste, abondance et excès. La notion de
lumière (lux) est également évoquée par Sicard (2005) : le luxe serait ce qui brille. Le Larousse
(2004) désigne le luxe comme « ce qui est coûteux, raffiné et somptueux ».
D’après la littérature, le luxe est « subjectif, personnel et perceptuel » [Laurent & Dubois, 1996].
Pour Mason (1981), « un produit est considéré comme luxueux si l’élasticité de la demande par
rapport au revenu est supérieure à un ». Selon Lombard (1989), « un produit de luxe est un objet
acquis ou reçu pour se faire plaisir ou se valoriser ». D’après Allerès (1997) « Toute création hors
du commun, de l’ordinaire, extraordinaire, synonyme de beauté, d’esthétique, de raffinement,
produit magique, empreint de séduction, objet ludique, évocateur de rêve, de plaisir, promesse de
bonheur, est qualifiée de prestigieuse, “haut de gamme”, inaccessible produit de luxe ».
Selon Roux (1991), « la marque de luxe se caractérise par une valeur ajoutée symbolique
imaginaire ou sociale qui la différencie des autres. La marque de luxe correspond ainsi aux besoins
symboliques que le consommateur peut ressentir (par opposition aux besoins fonctionnels ou de
variété) ».
Pour Touzani & Laouti (2005), « le luxe relève le plus souvent de l’inaccessible, du rêve et de
l’élévation symbolique. A travers sa dimension ostentatoire, il est également source de
différenciation sociale et d’appartenance à des groupes de référence. […] il revêt une dimension
hédonique – caractérisée par la recherche d’émotion, de plaisir et de beauté – et une dimension
existentielle – marquée par la volonté d’affirmation, d’expression et de réalisation de soi ».
Il en ressort, globalement, que chacun définit le luxe à sa façon en partant de principes reconnus de
tous : le rêve, et la valeur symbolique du luxe qui permet de recréer de l’écart.
2.2.Les attributs du luxe
Pour Bastien & Kapferer, « le luxe est fondé sur l’hédonisme et l’esthétique » (2013), c’est
d’ailleurs ainsi qu’il répondrait au besoin d’idéal de l’homme. Les attributs essentiels du luxe sont :
le prix, la rareté, la durabilité, l’authenticité ainsi que la valeur symbolique et la notion de rêve. La
rareté et le prix sont souvent les deux concepts mis en avant lorsqu’on interroge des individus sur la
notion de luxe [Touzani & Laouti, 2005].
Le rapport du luxe à l’argent n’est plus à démontrer. Tous deux permettent de définir une
stratification sociale : l’argent en permettant d’acheter, le luxe en cultivant. De plus, longtemps le
luxe et l’argent ont été possédés par une même classe sociale : l’élite, la noblesse. En effet, plus un
produit est cher, plus il sera difficile d’accès par la majorité de la population et sera alors considéré
comme luxueux. Enfin, comme vu précédemment, certains clients n’achètent des produits que s’ils
14
sont chers et reconnus comme tels afin de mieux se valoriser socialement. Cependant croire qu’un
prix élevé suffit à faire le luxe est illusion. La valeur du luxe est différente de son prix : elle est
également dépendante du travail fourni pour l’obtenir et de la symbolique de l’objet pour le
consommateur.
La rareté est le second concept généralement associé au luxe. Bernard Catry (2007) considère qu’il
existe plusieurs types de rareté comme l’indique le schéma suivant.
Figure VI : Compatibilité du volume avec le type de rareté (naturelle à virtuelle)
Source : Catry, 2004
Un produit massivement distribué ou disponible ne peut pas faire rêver : il est accessible à tous. Il
ne permet pas de se différencier ni de répondre à des aspirations sociales. Les produits non rares
répondent à des besoins physiques. L’exclusivité est une notion utilisée en marketing : les
promotions, les ventes éphémères ou les éditions limitées sont autant de stratégies marketing
illustrant le besoin humain d’exclusivité. L’être humain veut être différent des autres, à part, afin
d’être valorisé. La rareté est directement liée à l’exclusivité. Le vrai luxe est celui dont la rareté est
avant tout physique ou humaine – ressources ou compétences. Il implique une distribution limitée
car le stock est épuisable. Cependant, la rareté peut aussi passer par des contraintes techniques, des
innovations technologiques ou une distribution contrôlée. Ferrari produit moins de 6000 voitures
par an, afin de créer de la rareté et augmenter l’attente. La satisfaction à l’achat en est d’autant plus
grande. De son côté, Chanel innove régulièrement la technologie d’ouverture de ses rouges à lèvres
Faible
• Ingrédients, composants, expertise humaine rare, limite de capacité
• Diamants, bagues, fourrures
Moyenne
• Techno-rareté, innovations, nouveaux produits
• Toyota et la voiture hybride
Moyenne
• Editions limitées, sur mesure, one to one
• Les Exclusifs de Chanel
Bonne
• Rareté fondée sur la distribution
• Ferrari
Pas de limite physique
• Rareté informationnelle, star system, marque, secrets et rumeurs
• Magasins éphémères, Fashion Week
Dis
trib
uti
on
15
tout en étant les seuls sur le marché à le faire. La rareté permet de créer un sentiment d’exceptionnel
et d’unique.
D’après les consommateurs, la qualité est le troisième élément qui définit l’objet de luxe, au même
titre que son prix et que sa rareté. Le client attend d’un produit de luxe qu’il soit de bonne fabrique
et qu’il soit durable : inscrit dans le temps. Cependant, un produit de parfaite qualité n’est pas
toujours considéré comme du luxe ; sa qualité ne passe pas par une absence de défaut mais par
l’utilisation de matériaux résistants au temps et à l’usure. Il pourra ainsi perdurer. Un lustre
Baccarat gardera son éclat plus longtemps qu’un lustre en verre. Une fourrure Fendi résiste au
temps, de même que les malles en cuir Vuitton. La qualité inclut l’imperfection. La qualité d’une
montre Cartier est indéniable. Pourtant, sa mécanique la rend plus lourde et nécessité de la remettre
à l’heure chaque année : elle est résistante par ses matériaux mais l’esthétique passe avant la
perfection. La qualité seule ne fait pas rêver.
La notion d’esthétique est également partagée par l’artisanat dont l’objet de luxe fait partie. Il se
reconnait par sa qualité, le temps passé à le créer, et le rapport à l’humain. Ainsi un produit de luxe
est un produit d’art, issu de l’artisanat. Il est fait par un Homme pour un Homme. L’industrie du
luxe est mécanisée au minimum. Les finitions sont manuelles. D’après Bastien & Kapferer, plus il y
a d’hommes pour réaliser un objet, plus l’objet perd son luxe et son humanité. Autrement dit, un
produit artisanal fabriqué par un homme seul a plus de valeur que celui produit par une machine. Il
est vrai que le retour du « fait à la main » ou plutôt « fatte a mano » pour la conception
maroquinerie italienne semble souligner cette affirmation. Cela implique qu’un objet de luxe doit
être fait entièrement ou en partie à la main. De plus, la notion d’artisanat souligne l’importance des
savoir-faire et de la maîtrise d’une technique particulière. Cependant, l’artisanat seul n’explique pas
le luxe – sans quoi chaque artisan serait directeur d’une maison de luxe.
L’appartenance au luxe est également liée à une histoire : la marque doit avoir un héritage ou à
défaut un méritage12
– mérite et héritage – expliquant son mythe. Cette notion de mythe et
d’histoire est liée à la personnalité du créateur, réel fondateur d’une marque de luxe. Une marque
est un nom : Chanel, Dior, Yves Saint Laurent. Ou alors elle reflète une personnalité : Hermès,
Ralph Lauren, Montblanc, … Cette histoire permet de créer l’univers de la marque : un espace où la
marque pourra déployer son style de vie avec des symboles et des valeurs connus. Le mythe passe
aussi par la création d’un univers, d’une cosmogonie avec ses icônes et ses rituels. Le rapport du
12
Le méritage est le terme utilisé pour décrire les marques récentes ou américaines, qui n’ont pas accès à un passé de
200 ou 300 ans et fondent leur succès sur le mérite de leur créateur et sur des mythes inventés. La Maison de Haute-
Couture ESCADA est un exemple de méritage.
16
luxe au sacré revient régulièrement, ne serait-ce que par son origine : les premiers objets de luxe
étaient mis dans des tombes pour représenter le mort dans l’au-delà et étaient sacrés.
La notion d’innovation découle directement du créateur. La marque de luxe est avant-gardiste. Elle
est là où on ne l’attend pas et ne cherche pas à correspondre à une cible. Coco Chanel a inventé des
tenues choquantes pour son époque, mais qui sont aujourd’hui perçues comme naturelles. Yves
Saint Laurent a été le premier à dessiner un tailleur féminin. Montblanc a inventé le premier stylo à
plume qui ne coule pas. La marque de luxe est en avance sur son temps, au même titre que l’art,
d’où les alliances nombreuses entre les galeries d’art contemporain et les marques de luxe : la
Fondation Cartier en étant l’initiatrice. Tout comme l’art, la marque de luxe permet d’atteindre un
idéal et de s’élever spirituellement [Bastien & Kapferer, 2013]. Elle a une notion de sacré.
Enfin, le luxe est plaisir. Cela implique que l’objet de luxe est pluri sensoriel.
Figure VII : Les mots clés du luxe : une définition ?
Les différents mots clés du schéma ci-dessus sont les différents principes repris par Marie-Claude
Sicard, Bastien & Kapferer, Daniel Allérès et Chevalier & Mazzalovo.
Luxe
Esprit créateur
Rareté
Prix
Qualité
Rêve mythe univers
Hédonisme
Art et esthétique
Savoir-faire et
artisanat
17
Cette étude des différentes composantes et définitions du luxe montre bien que celui-ci est difficile
à cerner mais surtout qu’il est porteur de signes et symbolique.
2.3.Le luxe pour les autres et le luxe pour soi : le rôle du luxe
D’une part, le luxe est basé sur le désir d’appartenance à une classe supérieure grâce à des symboles
[Bastien & Kapferer, 2013]. Grâce au luxe, chacun peut atteindre son rêve d’appartenance à tel ou
tel groupe. Ainsi, tant qu’un objet est signifiant social, il conserve un statut de luxe. A contrario, le
moment où l’objet perd son statut de stratificateur social signe la perte du luxe. Le luxe est alors un
marqueur social : il doit être visible et montré. Il repose sur des codes explicites – ceux de la
marques – ainsi que culturels. Il symbolise la réussite sociale. D’autre part, le luxe possède une
composante personnelle très forte : il doit faire plaisir. C’est la recherche d’hédonisme et de
satisfaction. Il ne s’agit pas seulement d’impressionner ou d’afficher un statut, de consommer pour
consommer, mais également de faire adhérer le client à une culture, de toucher les individus en
quête de sens et pas seulement de signes. Deux versants du luxe s’opposent : le « connecting
luxury » celui qui permet de s’afficher socialement et le « cocooning luxury », celui qui permet de
vivre une expérience individuelle.
Ces deux facettes sont mesurées par le Luxury Institute et expliquent la complexité de la définition
du luxe.
3. La marque de luxe
L’acte d’achat suppose généralement une prise de risques de la part du consommateur. Lorsque la
marque du produit a un impact social fort, on estime que son obtention est délicate. L’achat
demande au consommateur de s’impliquer [Vigneron & Johnson, 1999]. Celui-ci cherche en
conséquent à se rassurer : c’est la marque qui va jouer ce rôle.
La marque est un nom, un logo, un symbole, une image permettant de reconnaître une entreprise.
Elle se présente au consommateur sous différentes formes :
- le signe verbal (nom, slogan),
- le signe visuel (logo, couleurs, design),
- le signe sonore (jingle),
- le produit phare ou la forme du produit.
La marque génère la confiance : elle garantit l’origine des produits, elle est porteuse d’une promesse
qui la distingue de ses concurrents, elle rassure les individus en valorisant leur choix. Elle crée en
18
conséquent de la valeur pour le consommateur et l’entreprise. Pour Aaker (1996), « elle aide le
consommateur à traiter l’information sur le produit, elle différencie le produit et le positionne, elle
fournit des raisons d’acheter, elle tend à développer un sentiment positif à l’égard de la marque et
elle permet des extensions de marque ». Ainsi, la marque facilite le processus d’achat pour le
consommateur.
Elle a également une valeur financière, commerciale – actif immatériel – et l’entreprise est
directement liée à son image – en interne comme en externe [Lendrevie, Lindon, Lévy, 2013, pp.
802-808]. Cette définition issue du Mercator suffit à elle-même à justifier l’existence des marques
et expliquer les nombreuses recherches qui portent sur ce sujet.
Le Publicitor va même plus loin, parlant d’un pouvoir d’influencer le consommateur. Ainsi
Kapferer (2007) explique que la marque est liée au risque perçu sur un marché et en dépend. Elle
doit fournir un bénéfice client mais également porter un dessein.
La marque de luxe a une valeur financière, commerciale et de distinction sociale supérieure aux
marques classiques et premium de par le prestige dont elle est porteuse. Les produits – créations – et
rêves qui lui sont associés sont la raison de cet écart de même que l’identité de marque. Mais
comment construire une marque de luxe ?
3.1.Une marque avant tout
3.1.1. De la notoriété à l’image : l’identité de marque
Pour apprendre à construire une marque de luxe, il faut comprendre qu’une marque a des fonctions
et des bénéfices clients, détaillés par Kapferer (2008). La communication permet de faire connaître
les avantages de la marque aux clients et ainsi de les fidéliser. Une communication réussie passe par
la définition d’une identité de marque réussie, faisant découler une notoriété et une image forte.
La notoriété est la capacité de la marque à être présente dans l’esprit du consommateur : elle est
dépendante de la visibilité de la marque. Elle permet de mesurer quantitativement la marque. On
distingue différents types de notoriété :
- Spontanée : la marque est citée spontanément par le consommateur
- « Top of Mind » : la marque est citée en premier parmi un groupement de marques ou vient
spontanément à l’esprit et en premier
- Assistée : le consommateur reconnaît le nom de l’entreprise lorsqu’on lui présente
L’image de la marque est la perception que le consommateur ou le public a d’une marque : sa vision
d’une marque, d’une entreprise, d’un service construite sur la réception et l’interprétation des
19
signes, symboles, noms émis par la marque ou par l’entreprise. L’image et la notoriété ne sont pas
forcément liées ; une marque peut avoir une bonne notoriété – être connue – mais avoir une
mauvaise image. Par exemple, SNCF a une mauvaise image mais une très forte notoriété. Les
consommateurs y associent le retard et les grèves. Une mauvaise image est difficile à faire oublier
et perdure dans l’esprit du consommateur.
L’identité, à l’inverse, est un concept d’émission [Kapferer, 2008]. Elle est voulue par l’entreprise
là où l’image est subie, car perçue par le consommateur. L’identité permet de définir la marque, sa
mission. Bastien et Kapferer précisent : « l’identité est ce qui donne un sentiment très fort d’unicité
à la marque, une cohérence dans le temps et la nécessaire authenticité qui nourrit la durée », 2013.
Kapferer (2008) explique que la marque a une structure pyramidale : au sommet s’exprime l’idéal
de la marque, sa vision et sa mission. Cet étage est celui de l’ADN, et de la personnalité. Le second
étage est l’espace d’expression du ton et des codes de la marque. Les codes doivent permettre à la
marque de garder sa cohérence et définir une ligne directrice, permettant d’appuyer une vision
unique. Un troisième étage permet de préciser la vision de la marque : ce sont les axes stratégiques.
Pour Toyota, ça sera l’innovation technologique, les « options » fournies d’office et le respect de
l’autre. Pour Michelin, la vision est celle du progrès dans la mobilité [Gilles Auberger, 2014] et les
axes stratégiques seront l’innovation, la libération par l’automobile, la sécurité. Kapferer précise
que « chaque modèle doit être la concrétisation des valeurs de la marque » (2008) d’où le
quatrième étage, celui des produits, directement issu des traits stratégiques. L’expérience et le
sensoriel correspondent au vécu du consommateur et la première expérience qu’il a de la marque.
Cela implique qu’un produit hors du territoire de la marque ne représentera pas correctement ses
valeurs et risque de la desservir.
Figure VIII : Le système de la marque
20
Source : Le système de la marque, Kapferer, 2008
3.1.2. Construire son identité
Pour Bastien & Kapferer, le succès d’une marque vient avant tout de sa cohérence et donc de la
codification de son identité. Le prisme de l’identité de la marque – inventé par Kapferer – permet
d’analyser une marque en fonction de ses spécificités – extérieures et intérieures – qui font qu’elle
est cette marque. L’identité de la marque repose sur les concepts suivants : un héritage, des racines,
un territoire, des savoir-faire et des codes. En respectant l’identité définie par le prisme et en la
déclinant pour chaque produit, la marque s’assure la cohérence nécessaire à son succès et établit un
territoire, créant ainsi son univers13
.
Figure IX : Le prisme d’identité de marque
Source : Kapferer, 2008
Le sommet du prisme définit la représentation de la marque : le physique et la personnalité.
Le physique de la marque permet de définir la ressemblance nécessaire entre les différents produits
d’une même marque : les codes, les signes, les gestes, couleurs. Un produit doit montrer son
appartenance à la marque même si le logo n’est pas visible. La marque Bjorg mise sur des couleurs
et une écriture reconnaissable. Les produits Apple sont reconnaissables par leur design, la couleur
type, la présentation. Les produits iconiques se retrouvent aussi dans cette catégorie. D’après 13
Le territoire d’une marque est défini par le Mercator comme « les marchés actuels ou potentiels où une marque est
légitime aux yeux des consommateurs », ainsi pour Lendrévie & Lévy, Cartier ne pourrait pas vendre des produits
alimentaires de luxe si ce n’est pas inscrit dans son ADN.
21
Kapferer, l’imagerie non verbale est d’autant plus importante que le produit a une fonction
symbolique. Les marques de luxe ont un très fort besoin du physique.
La personnalité de marque est définie comme « l’ensemble des caractéristiques humaines associées
à une marque », Aaker (1997). La marque a des traits de caractères typiques – ceux de son créateur
ou ceux construits dans le temps – qui sont humains et permettent un reflet du soi par l’individu.
L’échelle de mesure de personnalité de la marque adaptée par Aaker (1997) distingue des facteurs
généraux qui définissent les traits de la marque (cf. Annexes). L’association de traits de personnalité
humains à une marque permet au consommateur d’exprimer sa perception de soi – self-concept –
apportant ainsi des bénéfices symboliques forts [Vernette, 2003]. De plus, la personnalité permet la
construction de liens humains, émotionnels et affectifs forts avec le consommateur. Dans le luxe,
c’est souvent la personnalité du créateur qui est reprise : Yves Saint Laurent est une marque
impertinente, provocante et inaccessible comme l’homme lui-même ; Chanel est provocante,
élégante et sophistiquée comme Mademoiselle. Ce sont avant tout des marques féminines ou
masculines, avec un caractère dominant : séductrices et distinguées ou indépendantes et assurées.
Elles sont également perçues comme fiables, bien que ce dernier point ne soit pas un critère majeur
d’évaluation par le consommateur [Normand, 2010].
La personnalité de la marque est fortement liée à la perception du consommateur de la marque et
non aux attributs réels des produits. Il est nécessaire de connaître sa personnalité perçue pour
essayer de la contrôler mais sans un ADN clairement exprimé, une marque ne pourra pas tenir sa
personnalité. Les spécificités d’une marque, sans lesquelles elle ne serait plus la même,
correspondent à l’ADN de la marque. Ces invariants sur lesquels la marque ne peut pas transiger
peuvent être de nature physique – conception et fabrication du produit –, esthétique ou même
éthique. C’est également là que l’on retrouve les valeurs de la marque.
La facette relationnelle décrit la relation entre le destinataire de la marque et son émetteur. Elle est
dépendante de la personnalité, de l’ADN et du reflet du client. La marque peut choisir de dominer
son client, comme certaines marques de luxe tentent de le faire.
Le reflet du client et la mentalisation correspondent à la construction du client idéal par la marque :
celle-ci s’adresse à une cible précise et pense à elle dans son expression. Cette construction est un
miroir : intérieur pour la mentalisation et extérieur pour le reflet. Le reflet est l’image des clients
construit par les autres. Ce sont les clients types tels qu’on les imagine. C’est grâce au reflet que la
marque de luxe nourrit le désir et qu’à l’inverse elle peut s’effondrer. La mentalisation est la
représentation de soi par la marque : c’est la création et la valorisation du self-concept. Une marque
de luxe se doit donc de faire correspondre la mentalisation de ses cibles au reflet de ses clients réels.
22
C’est à cause du reflet mal géré que Lacoste en France et Burberry en Angleterre ne sont plus
perçues comme des marques de luxe mais associées aux jeunes des cités.
3.2.Spécificités de la marque de luxe
La marque de luxe a été définie par Marie-Claude Sicard en 2010 d’après sept concepts : le temps
(ou ancrage à l’héritage et intemporalité), le projet de la marque, les relations de la marque au
destinataire, les postures (comme la supériorité), les normes (et codes) de la marque, son espace de
distribution, le physique de la marque (ou le produit et sa conception). Considérant que « le luxe est
un écart »14
, elle a fixé que, si au minimum quatre des sept curseurs sont au maximum pour une
marque, alors cette marque appartient au luxe.
Figure X : Le clavier des curseurs
Source : Sicard, 2010
La marque de luxe ne cherche pas simplement à définir un positionnement spécifique pour se
différencier dans un univers concurrentiel : elle souhaite faire adhérer à son univers culturel. En
offrant « une élévation de soi à la fois en son for intérieur (la mentalisation de l’individu) et dans
l’image de soi qu’il donne aux autres (le reflet de l’individu), elle contribue à la construction de
l’identité même de ses clients », Bastien & Kapferer, 2013. L’importance de l’identité de marque en
est alors d’autant plus forte.
14
Marie-Claude Sicard explique que le luxe est un écart vers le haut, le bas ou de côté. Ecart vers le haut pour le désir
d’ascension sociale, écart de côté pour le désir de différenciation, et écart vers le bas pour les excès du luxe comme le
porno-chic ou les sommes astronomiques demandées en raison d’un luxe.
23
3.2.1. Le reflet, source de prestige
Ainsi, le reflet de la marque de luxe a un impact plus important encore que celui d’une marque
traditionnelle. Comme expliqué précédemment, le reflet du client ou la perception qu’un individu a
de la marque (en fonction de l’image que lui renvoient ses clients) en nourrit le caractère. La femme
Chanel n’est pas la même que la femme Gucci ou la femme Yves Saint Laurent : chacune a ses
particularités et cible un type de segment-cible. Le reflet est d’autant plus important à la marque de
luxe qu’il doit lui permettre d’assurer sa cohérence. Si la marque présente de multiples reflets, elle
fragmente le profil de ses clients potentiels et brise l’image qu’elle renvoie : elle n’est plus unique.
Pour sa nouvelle campagne publicitaire, Dove a filmé plusieurs clientes montrant que la marque
s’adressait à toutes les femmes. Ce type de campagne qui fonctionne pour une marque classique ne
fonctionne pas dans le luxe, sous peine de détruire l’image.
Le parfum Miss Dior Chérie reflète des valeurs différentes de Dior J’adore, car il s’adresse à un
public différent. L’un cible la femme sublime, sûre d’elle et élégante, un peu impertinente ; l’autre
est consacrée à la jeune femme, encore innocente mais déjà séductrice. Les deux parfums pourraient
être de deux marques différentes. Reste l’impertinence en commun, lien sans lequel l’image de Dior
se fragmenterait.
3.2.2. La dimension du rêve dans le luxe
Enfin, le prestige de la marque de luxe repose sur sa capacité à créer du rêve par son aptitude à
construire un univers et un idéal. Une marque de luxe doit avoir un potentiel onirique fort et
détacher l’individu du quotidien pour tendre vers un idéal quasiment sacré.
Marques classiques et marques premium se construisent par rapport à un positionnement,
formulation de leur promesse garantie à une clientèle ciblée par rapport aux concurrents. Ainsi,
Panzani propose des pâtes inscrites dans la tradition italienne par opposition à Lustucru qui cible
avant tout la fraicheur des pâtes, et le prix plus accessible. Le positionnement est défini par
Kapferer (2007) comme la pierre angulaire du management de marque. Pour étendre sa part de
marché, une marque doit apporter un plus considéré comme valable aux yeux de la clientèle ciblée.
Cette stratégie n’est pas valable pour le luxe, secteur dans lequel l’identité de marque a été, selon la
littérature, substituée au positionnement. La marque cherche à être unique, différente. Elle ne se
compare pas aux autres marques de luxe : elle navigue dans un autre univers, qu’elle se construit.
Les marques de luxe ne cherchent pas à être supérieures les unes par rapport aux autres si cela nuit à
leur image de marque. Elles préfèrent conserver leur identité, ce qui fait leur unicité. Il ne viendrait
pas à l’esprit d’un consommateur averti de comparer un carré de chez Hermès avec un foulard en
soie Chanel – ou une montre Oméga à une Patek Philippe. Chacun des produits cités a ses
24
spécificités et une histoire particulière, elle-même liée à l’histoire et l’identité de la marque dont
dépend le produit. C’est parce qu’un client achète le produit d’une marque – et non pas un produit
parmi tant d’autres – que l’image de marque de luxe est à ce point importante. Le client achète un
morceau d’histoire et d’identité d’une marque en laquelle il se reconnait, une culture propre à
travers laquelle il percevra le monde.
Le story-telling permet de raconter cette épopée et l’ancrer à l’Histoire comme l’illustrent Guerlain
et Shalimar ou encore Chanel et Coco Mademoiselle. Le produit de luxe a une raison d’être,
justifiée par une narration qui augmente sa part de rêve. Reposer sur un passé véritable ou création
d’une histoire propre à la marque, peu importe : ce qui compte c’est de développer un univers
permettant de créer le rêve. L’expérientiel et le sensoriel ont aussi leur rôle à jouer dans cette
construction du rêve. Les lieux de vente sont théâtralisés comme les bars à parfums Chanel et Dior,
ou bien les magasins Louis Vuitton. Veuve Clicquot s’invente un passé et Dior s’expose dans un
musée. Bastien & Kapferer considèrent ainsi que le rêve peut être construit grâce à :
- La saga du créateur
- L’épopée du produit et du terroir
- Les clients
- La mise en scène d’un univers et d’une expérience dans les magasins
Le rêve d’une marque de luxe est fonction de l’écart entre le nombre de possesseurs de la marque et
sa notoriété. Cette notion de rêve reprend le concept de Marie-Claude Sicard du luxe comme
créateur d’écart.
SYNTHESE
L’être humain a besoin de s’identifier à des groupes et a une nécessité d’élévation spirituelle et
sociale. Les marques de luxe peuvent répondre à ces besoins en offrant du prestige lié à l’image de
la marque et à la dimension hédoniste du produit.
La cohérence de la marque de luxe – dont l’importance a déjà été soulignée – passe par un respect
de l’identité telle qu’elle est définie par le prisme. Cependant, le paradoxe des marques de luxe est
de savoir rester fidèles à leur héritage sans renoncer à leur modernité et leur rentabilité. Comment
rester source d’inspiration et d’innovation, créer un désir d’élévation de soi, sans perdre son
identité ?
25
PARTIE II : DE L’EMERGENCE DU LUXE ACCESSIBLE A SON DEVELOPPEMENT
« La démocratisation de quelque chose, c’est-à-dire le fait d’en permettre l’accès à tous n’entraîne
pas forcément sa vulgarisation c’est à dire une perte totale de valeur », Bastien & Kapferer, 2013
La partie précédente nous a permis d’étudier la notion de prestige et de comprendre comment une
marque de luxe pouvait répondre à ce besoin humain, en lui fournissant une satisfaction sociale et
hédoniste. Face à l’évolution des sociétés, et l’accès facilité au prestige, le luxe a dû évoluer et son
marché changer. Cette réflexion nous mène désormais à analyser le marché du luxe aujourd’hui, à
étudier sa clientèle et à comprendre les concepts de luxe inaccessible, intermédiaire et accessible
pour enfin s’intéresser à un type de stratégie de luxe accessible : l’extension de marque.
1. Le marché du luxe aujourd’hui et sa clientèle
1.1. Evolution du marché
Avec l’évolution du marché mondial depuis le XIXème siècle, des changements majeurs sont
apparus, transformant les habitudes de consommation et ouvrant le marché du luxe à des nouveaux
profils de clients.
La première remarque possible, lorsque le marché du luxe est étudié, c’est que celui-ci se porte
bien. C’est l’un des seuls secteurs qui voit son chiffre d’affaires progresser chaque année, même en
période de crise. En 2012, on remarquait une hausse de 10% par rapport à 2011. Bien que 2013 soit
remarquable par sa faible hausse – seulement 2% - le marché continue de progresser. Bain &
Company estime qu’en 2025, le marché mondial des produits de luxe sera cinq fois plus grand
qu’en 1995.
Selon une étude de Bain & Company, le nombre de consommateurs de produits de luxe a plus que
triplé dans le monde en vingt ans. Estimé à 330 millions aujourd’hui, il devrait passer la barre des
400 millions de consommateurs en 2020. Le nombre de millionnaires augmente chaque année,
laissant la place à des opportunités grandissantes pour les marques de luxe.
Les meilleurs clients potentiels au monde – les High Net Worth Individuals (HNWI) – dépassent les
11 millions d’individus. Chacun d’eux possède plus d’un million de dollars en actifs, en excluant la
résidence principale.
26
Les ultra-riches (ultra HNWI) quant à eux sont 98 000 mais ont un actif supérieur à 30 millions de
dollars : représentant 0,9% des HNWI, ils en possèdent 36,1% de la fortune15
.
Figure XI : Les pays où vivent le plus de millionnaires
Source : Capgemini
Cela est sans compter l’ouverture du marché grâce à la mondialisation et la démocratisation, comme
l’explique Marc-André Kamel, responsable de Bain & Company France : « le marché du luxe entre
dans une nouvelle phase de son évolution. Plus de marchés, plus de segments clients, une plus
grande diversité des goûts, autant de variables supplémentaires avec lesquelles il faudra compter
pour résoudre l’équation de la bonne stratégie de croissance. ». Il faut dire qu’avec un chiffre
d’affaire de 217 milliards d’euros, le secteur du luxe est un marché porteur. De plus, contrairement
au secteur agroalimentaire, dont la part dans les dépenses du ménage français est en baisse continue,
la part du secteur du luxe augmente16
. « Liddl finance Chanel » disent Bastien & Kapferer.
Les secteurs du luxe sont recensés au nombre de huit :
- La joaillerie et la haute-horlogerie
- La haute-couture
- La haute-gastronomie
15
Etude Bain & Cie 2013 et Luxe Oblige p. 165-166 16
Insee, Consommation des ménages 2013
27
- L’hôtellerie de luxe
- Les parfums et les cosmétiques
- La maroquinerie
- Le prêt à porter
- Les arts de la table
Figure XII : Ventilation des ventes dans le secteur du luxe en 2013
Source : Bains & Co, estimation sur les chiffres de 2013
La ventilation des ventes du luxe permet de comprendre qu’aujourd’hui le luxe ne se consacre pas
qu’à un seul secteur cependant les ventes concernent principalement des produits issus du luxe
accessible.
De plus, les données issues de Forbes (2011) montrent que l’évolution des niveaux de vie entre
classe moyenne et classe supérieure n’est pas similaire, conduisant à une augmentation de l’écart.
28%
20% 23%
25%
4%
UNE VENTILATION DES VENTES ÉQUILIBRÉE
Parfums et cosmétiques
Maroquinerie et chaussures
Montres, joaillerie
Prêt à porter
Autres
217 milliards
€
28
1976 1983 1994 2000 2007 2010
Cost of living
extremely well
100 200 400 500 772 910
Cost of living :
consumer
price index
100 160 250 300 385 400
Figure XIII : Comparaison de la croissance du coût de vie des très riches avec le coût moyen de vie
Source : Forbes, 2011, Bastien & Kapferer, 2013
1.2. Conséquence de la démocratisation et mondialisation
Les changements ayant amené l’accessibilité du luxe sont tout d’abord, pour Bastien & Kapferer
(2013), la démocratisation progressive du monde économique. Passant de monarchies établies ou
dictatures où la distinction sociale était clairement avérée et visible, les sociétés sont devenues
démocratiques, ouvrant l’univers des possibles en termes d’évolution sociale. La naissance ne
définit plus l’avenir d’un individu. Tout au plus pose-t-elle des conditions de début de vie plus
difficiles. Chacun peut espérer réussir et s’élever socialement. La démocratie a également été
accompagnée d’une suppression des privilèges liés à la naissance : le privilège de porter du parfum
ou même certains tissus considérés comme royaux ou réservés à une élite a été aboli en même
temps que les oligarchies. La méritocratie a fait disparaître les privilèges écrits d’une élite, en même
temps que la définition précise de classes sociales.
La hausse notable du pouvoir d’achat depuis les années 1950 est liée aux progrès technologiques et
à la baisse des coûts manufacturés augmentant la possibilité de consommer. Depuis les années
1980, la consommation du luxe a explosé - +10% chaque année - renforçant la déstructuration de la
société : en économisant, un individu peut espérer acheter du luxe, fait impensable au XIXème
siècle. Non seulement il peut espérer avoir les moyens de l’acheter, mais s’il le fait, il
n’outrepassera pas ses droits en accédant à un privilège.
Avec la démocratisation et la technologie est venue la mondialisation. Celle-ci favorise les échanges
permettant de produire en Chine des produits conçus dans la Silicon Valley et revendus en France.
Les interactions entre les peuples sont devenues plus aisées : les échanges sont rapides – on peut
faire le tour du monde en quelques heures – et des projets entre plusieurs pays sont régulièrement
mis au jour – on se souviendra du Concorde, mais également des Airbus construits par l’Europe. La
29
délocalisation a également permis une baisse significative des coûts de la main d’œuvre, issue des
pays en développement. Il est possible d’acheter plus pour un prix équivalent. Cependant, ces
échanges culturels multiplient la perte d’identité et de repères – de l’individu qui appartient à
l’Europe, au monde, à son pays ou du produit qui vient d’un peu partout dans le monde. L’humain
ne peut supporter d’appartenir à un tout indifférent décrit comme l’indifférenciation sociale par
Hobbes dans le Léviathan (1651).
Ces transformations historiques et culturelles sont une opportunité formidable pour le luxe qui de
par son appartenance à une culture et son rôle de différenciateur social recrée des strates au sein de
la société, comme nous l’avons vu dans la définition du luxe. Toutefois, ces mêmes changements
constituent une menace à cause de l’élargissement de la base de clientèle du luxe avec la hausse du
pouvoir d’achat et la démocratisation sociale.
1.3. Evolution de la clientèle
« Les clients du luxe d’aujourd’hui sont différents : ils doivent être surpris, émoustillés, captivés,
courtisés, choyés et constamment satisfaits », Okonkwo, 2007, p.60
Cette évolution du marché a impacté les comportements des clients de luxe. La littérature est
formelle, les mentalités ont changé17
.
La hausse du pouvoir d’achat a amené l’apparition d’une société de consommation du plaisir,
permettant l’accès aux dépenses de loisirs. Pour Allérès, « les actes de consommation traduisent
davantage la recherche de plaisir, le désir narcissique de chaque individu de flatter son
imaginaire », 2005. C’est aussi la conclusion de Dubois & Laurent sur l’étude menée en 1999 et
conduisant à appeler ce type de clientèle les « excursionnistes ». De fait, ceux-ci attendent d’une
marque de luxe :
- Une qualité exceptionnelle,
- Un prix élevé pour refléter l’achat inhabituel,
- Une certitude de rareté et exclusivité,
- Un produit intemporel s’inscrivant dans une histoire,
- Une expérience pluri sensorielle,
- De la futilité et du superflu apportant du rêve.
Les nouvelles attentes du consommateur sont l’affectif et l’esthétique du produit, faisant découler
de nouveaux comportements : des clients éclectiques aux valeurs hédonistes [Chevalier &
Mazzalovo, 2011] accordant une importance forte au développement personnel.
17
Cf. : Danièle Allèrés, Bastien & Kapferer, Marie-Claude Sicard
30
Face à cette quête hédoniste, l’élite cherche à maintenir l’écart social par une fuite en avant :
l’innovation et l’originalité des produits sont alors recherchées, par opposition aux consommateurs
suiveurs. L’élite a une consommation audacieuse, tournée vers l’intimiste, la rareté et la création
d’un mythe alors que la démocratisation des produits démystifie la marque. « Le luxe des classes
nanties est la recherche et le culte permanent de la PPDM (plus petite différence marginale) :
rechercher les petits différences qualitatives par lesquelles se signalent le style et le statut », Jean
Baudrillard (1970).
Figure XIV : L’acte d’achat en fonction du type de consommateur
Source : Gilles Auberger
Ainsi, on observe des comportements différents de consommation en fonction de l’attente du client
définissant des styles de vie différents. La segmentation se fait alors en opposant qualité du produit
et présence du logo, authenticité et histoire, ou encore individualisation et intégration.
Bastien & Kapferer ont également analysé des types de comportements en fonction de la rupture
voulue par l’achat de luxe : la disruption pour se distinguer des autres ou s’intégrer dans un monde
aspirationnel, préférer le produit pour ce qu’il est ou choisir l’emblème social (cf. Annexes).
2. La stratégie marketing du luxe accessible
La réussite d’une extension de marque passe avant tout par la cohérence de la marque avec son
identité et son ADN, comme défini dans la première partie. Géraldine Michel ajoute même :
« L'identité de la marque, les valeurs de la nouvelle catégorie de produit, puis l'image du produit en
extension de marque. Une extension réussie repose ainsi sur les liens entre ces trois éléments. D'abord, la
cohérence entre l'identité de la marque et l'image de l'extension. Ensuite, la pertinence de cette identité avec
les valeurs de la nouvelle catégorie de produit. Enfin, sur la valeur ajoutée que l'extension peut apporter à
31
cette nouvelle catégorie », 2004. De fait, Bastien & Kapferer ont analysé le potentiel d’extension
d’une marque de luxe en fonction de ce qui fait la marque : le produit, le savoir-faire, la catégorie,
les attributs, l’univers et les valeurs. Plus la marque apporte une différenciation et une
personnification sociale – tout en proposant des valeurs, une histoire, un héritage et un savoir-faire
– plus elle pourra s’étendre. Une stratégie spécifique doit alors être mise en place, mais seule une
marque de luxe dont le centre de gravité s’élève pourra voir son extension (Bastien & Kapferer,
2013).
Figure XV : Potentiel d’extension d’une marque en fonction de son centre de gravité
Source : Bastien & Kapferer, 2013
2.1. Les deux modèles stratégiques du luxe
Le premier business modèle du luxe est d’origine européenne. Il est décrit comme le modèle
pyramidal par Marie-Claude Sicard (2010). Ce modèle est fondé sur une image noble et porteuse,
déclinée pour être accessible au peuple : la créativité inspire toute la pyramide. La hiérarchie se
construit en diffusant l’énergie créative et le prestige.
32
Figure XVI : Le modèle de la pyramide
Source : Sicard, 2010
L’illustration de ce modèle peut être trouvée dans les maisons de haute-couture qui créent une
exclusivité indéniable avec des robes uniques déclinant ensuite des lignes de prêt à porter
accessible. Le rêve provient du sommet. Cartier et Dior se sont également construits sur ce modèle.
Cependant certains produits déclinés peuvent ne plus être du luxe.
Face à ce modèle, Marie-Claude Sicard décrit le modèle dit de la galaxie, où chaque secteur se
construit autour d’une vision portée par le créateur, mais sans hiérarchie contrairement à la structure
pyramidale. Chaque produit est traité sur un pied d’égalité et participe à la construction d’un
univers.
33
Figure XVII : Le modèle de la galaxie
Source : Sicard, 2010
Contrairement à la pyramide, la galaxie ne définit pas un territoire à partir d’un produit précis, mais
définit un univers qui peut s’étendre. Les extensions de marque sont plus aisément justifiables et
légitimes que dans la pyramide, plus adaptée aux extensions de gamme. Certaines marques de luxe
comme Chanel ou Hermès ont bâti leur stratégie sur un mélange des deux modèles : la Haute-
Horlogerie Chanel est constituée de véritables montres créées au sein de la Maison Chanel et non
pas licenciées, et sont déclinables en prix ; la Haute-Couture propose des lignes de prêt à porter.
Chaque univers suit le modèle de la pyramide mais tout est construit autour d’un univers précis,
pour conserver la cohérence.
2.2. Luxe inaccessible, intermédiaire et accessible
Le terme de luxe est d’autant plus flou que les notions de premium, haut de gamme et mode lui font
concurrence, sans parler de l’apparition de « l’hyperluxe », ainsi que des notions de luxe
inaccessible, intermédiaire et accessible [Allérès, 2005]. Bain & Company reprennent cette
stratification sous les dénominations de luxe accessible, luxe aspirationnel et luxe absolu.
Créateur
Parfums et cosmétiques
Arts de la table
Prêt à porter
Maroquinerie
34
Figure XVIII : Hiérarchie des objets de luxe
Source : Danièle Allérès, 2005
L’annexe 5 permet de comprendre les différents types de luxe en fonction de sa clientèle, ses
produits types et les motivations de la clientèle.
3. Le luxe accessible par les extensions de marques
« Avant tout projet d’extension, on doit mener une étude dite de fond de marque pour comprendre
le sens profond de la marque, clarifier son prisme identitaire et en particulier la facette culturelle
de celui-ci », Bastien & Kapferer, 2013
3.1. Définition et concepts
Le développement de l’offre de produits et de services proposée par une marque s’appelle stratégie
d’extension. Profitant de la renommée d’une marque ou d’un produit, la stratégie d’extension
permet d’en lancer de nouveaux à moindre coûts – financiers et humains. En effet, le lancement
d’une nouvelle marque et sa promotion – communication et notoriété – constitue un budget
important pour une entreprise [Aaker, 1997]. Le client ayant tendance à acheter un produit ou une
marque qu’il connaît [Dimitriadis, 1993], s’appuyer sur une marque existante pour proposer une
nouvelle offre est une stratégie reconnue et efficace.
Luxe inaccessible (modèles)
Luxe intermédiaire (reproduction des modèles)
Luxe accessible (objets de série)
35
L’extension s’appuie sur la maîtrise d’un réseau de distribution, d’un savoir-faire technique ou de la
légitimité de la marque sur un territoire. L’entreprise peut ainsi choisir d’étendre son champ de
compétences ou d’étendre sa marque. Les différents types d’extensions sont recensés dans le
tableau ci-après.
Figure XIX : Les différents types d’extensions
Catégorie de
produits
Marque
Existante Nouvelle
Existante Extension de gamme Extension de marque
Nouvelle Marques multiples Nouvelles marques
Source : Michel (2000)
La stratégie de marques multiples correspond au lancement d’une nouvelle marque dans un marché
sur lequel l’entreprise est déjà présente mais avec une autre catégorie de produits. Ses produits se
font alors concurrence, comme les différents produits laitiers-santé Danone, avec les marques
Activia, Danacol et Taillefine. Le risque de cannibalisme étant fort, le luxe utilise peu cette
stratégie.
La stratégie de lancement de nouvelles marques consiste à créer une nouvelle marque, sur un
nouveau marché. Cette solution concerne peu les marques de luxe.
Les deux stratégies de marque du luxe sont l’extension de gamme et l’extension de marque,
chacune correspondant à l’un des modèles définis et décrits précédemment : l’architecture
galactique ou l’architecture pyramidale de la marque.
Extension de gamme et extension de marque sont souvent décrites de manière similaire dans la
littérature [Aaker, 1990 ; Lendrévie & Levy, 2013] créant une réelle confusion. Cegarra et Merunka
(1993) considèrent que l’extension de marque se distingue de l’extension de gamme grâce à la
nature et la fonction du produit lancé. Ainsi en extension de marque, la fonction et la nature du
nouveau produit sont fondamentalement différentes des produits existants alors que l’extension de
gamme propose un produit soit de nature soit de fonction différente – mais pas les deux à la fois.
36
3.1.1. Extension de marque
L’extension de marque correspond à l’élargissement du territoire d’une marque vers une nouvelle
catégorie de produits18
. Elle consiste à lancer un nouveau produit (extension) dans un nouveau
marché – une catégorie de produits différente de la catégorie de produits vendus – en utilisant une
marque existante (marque-mère) [Aaker & Keller, 1990]. Il s’agit pour la marque d’acquérir une
nouvelle compétence, sans toucher directement au prix ni à la qualité des produits. Ce type
d’élargissement permet à la marque d’apparaître dans les divers univers de la vie du client,
représenté par le modèle de la galaxie.
Lendrévie & Lévy (2013) distinguent deux types d’extension de marque :
- l’extension de marque continue
- l’extension de marque discontinue
L’extension de marque continue utilise les savoir-faire et les compétences acquises de la marque
pour créer un nouveau produit, comme Baccarat proposant des bijoux en cristal après avoir été
spécialisé dans les arts de la table. A contrario, dans le cadre d’une extension discontinue, la marque
occupe des marchés totalement différents. Le cœur de métier de Ralph Lauren est le prêt à porter.
Le créateur a ensuite décliné sa marque en développant une gamme de décoration intérieure, de
petite maroquinerie, de soins du corps… De la même façon, Hermès, bien qu’étant à l’origine un
sellier, s’est reconverti en produisant tout d’abord de la maroquinerie – extension continue –, puis
de la soie et des parfums – extension discontinue.
3.1.2. Extension de gamme
L’extension de gamme consiste à développer l’offre de produits sur un même domaine de produits.
Il s’agit d’enrichir une catégorie existante afin d’augmenter la visibilité de la marque pour le produit
considéré – augmentation du linéaire. On distingue extension de gamme et complément de gamme,
bien que ces deux notions soient souvent confondues. Le complément de gamme n’affecte pas de
manière directe la nature ou la fonction du produit. Le produit changera en goût, en format, en
couleur : comme les eye-liners noirs, kaki, brun, taupe chez Chanel. L’extension de gamme
proposera deux types de produits : soit des produits de nature différente mais de fonction identique,
soit des produits de fonction différente et de nature identique. Le second cas permet de toucher une
cible différente du cœur de cible [Cegarra & Merunka, 1993].
Il existe deux types d’extensions de gamme :
18
Lendrevie & Levy (2013) ; Cegarra et Merunka (1993)
37
- l’extension verticale
- l’extension horizontale
L’extension horizontale vise à étendre le nombre de produits au sein d’une gamme. Ceux-ci auront
un prix et une qualité similaire mais des caractéristiques différentes.
Dans l’extension verticale, les nouveaux produits sont proposés à des niveaux de prix et de qualités
très différents de l’offre initiale, afin de créer une véritable distinction. L’extension verticale peut
être faite vers le haut ou vers le bas, dans une stratégie d’accessibilité. Le luxe utilise ces deux
stratégies : les MUST de Cartier, lancés en 1973, répondent à un désir de pénétrer une cible moins
aisée et occasionnelle – les « excursionnistes » décrits par Dubois & Laurent19
; à l’inverse, Armani
a lancé la marque Armani Privè afin de séduire une clientèle élitiste et conserver un écart avec la
clientèle occasionnelle. L’extension vers le haut permet également à la marque de luxe de recréer
des barrières à l’entrée par le prix et la création d’un univers culturel ; Armani a ainsi ouvert un
hôtel à Dubaï en 2010, dans la tour la plus haute du monde.
3.2. Enjeux
L’enjeu principal de l’extension vers le bas est d’accroître le volume des ventes – en réalisant des
économies d’échelle [Aaker, 1997] ainsi que la conquête d’une nouvelle cible qui n’a actuellement
pas les moyens financiers d’acquérir la marque – avec à terme l’objectif d’augmenter le panier
moyen (somme dépensée par achat) [Kirmani et al., 1997]. C’est la stratégie suivie par Cartier, qui
augmente peu à peu les prix des MUST en les intégrant à sa collection de joaillerie.
L’extension vers le haut permet de (re)séduire le cœur de cible, une clientèle élitiste qui doit être
convaincue que la marque de luxe est la plus appropriée pour elle.
De plus, les occasions de plus en plus rares de porter les robes de haute-couture et de la haute-
joaillerie ont conduit les marques de luxe comme Chanel ou Mellerio à se reconvertir vers des
secteurs plus porteurs, sous peine de disparaître. Cette stratégie de diversification et d’extension de
marque est considérée comme nécessaire dans un monde où le luxe fait face aux produits premium
et haut de gamme.
19
Bastien & Kapferer, Luxe Oblige, 2013. 2ème
édition. Paris : Eyrolles. p166
38
3.2.1. Occuper le terrain et perdurer
L’extension discontinue de gamme permet à une marque d’étendre son territoire et en conséquent
d’être plus présente. Elle augmente son chiffre d’affaires potentiel et sa notoriété.
Mais avant tout, la marque s’assure que le territoire conquis ne pourra pas l’être pas une autre. Si un
territoire n’est pas occupé, il est pris par un concurrent. Lorsque Cartier avait choisi de vendre des
cigarettes, il s’était assuré d’être présent sur le marché des cigarettes de luxe, comme Malboro ou
Dunhill avant lui. Mais à l’inverse de ses concurrents, Cartier a maîtrisé sa distribution et ses prix,
afin de rester une marque de luxe. Les étuis Cartier sont aussi une autre occasion de valoriser la
maîtrise du travail des métaux, par le célèbre joaillier.
De plus, si le domaine d’une marque de luxe n’est plus rentable ou en disparition, l’extension lui
permet de se repositionner pour acquérir une légitimité dans un autre domaine. Fendi, qui était dans
la fourrure, a su survivre grâce à sa reconversion, en proposant de la haute-couture ; de même que
Hermès à l’origine dans la sellerie, s’est tourné vers la soierie. L’extension permet alors à la marque
de luxe de s’adapter à un marché concurrentiel mouvant.
3.2.2. Développer sa notoriété et sa clientèle
Pour Thiébault de La Rivière, ancien directeur de Lancel et actuel directeur de Sup de Luxe, la
problématique actuelle – autour du luxe qui s’émancipe et s’adapte à la société (se démocratise) en
risquant la vulgarisation – n’en est pas une. Selon lui, les marques doivent « aller chercher de
nouveaux clients, les nouveaux riches et les bourgeois, qui sont une source d’inspiration et un
potentiel extraordinaire ». Développer la marque, c’est alors séduire de nouveaux consommateurs
et élargir la cible. Ces nouveaux clients pourront pénétrer l’univers de la marque et s’intéresser à
d’autres produits : l’intérêt de l’extension est alors de permettre à des clients occasionnels de
découvrir la marque, son univers, de tester sa qualité et ses valeurs – à un coût moindre qu’avec un
produit de luxe. Si le client est conquis, il aura tendance à revenir vers la marque. C’est ainsi qu’un
client ayant acheté un portefeuille Louis Vuitton aura tendance à acheter un sac Louis Vuitton par la
suite. Il peut s’agir de proposer des produits plus accessibles, permettant de faire connaître la
marque, ou de proposer une gamme de produits s’adressant à une autre cible. La gamme Epi de
Louis Vuitton répondait au besoin pour la marque de se rajeunir et séduire une cible citadine – le
voyage urbain. En fixant un prix de base 50% supérieur à la gamme Monogram, cœur de marque de
Louis Vuitton, la marque de luxe ne revoyait pas ses critères de segmentation à la baisse. La gamme
Epi correspond à un public différent et n’a pas cannibalisé la gamme Monogram : au contraire, les
ventes ont même augmenté. La gamme Epi a permis de faire connaître Louis Vuitton et sa qualité
[Bastien & Kapferer, 2013]. De la même façon, Chanel qu’on associe à la femme sophistiquée,
39
indépendante et glamour a lancé en 2008 la gamme de montres J12 - afin de séduire une clientèle
masculine.
Enfin, en permettant à une clientèle occasionnelle de découvrir le luxe, les marques de luxe
entretiennent le rêve : elles augmentent leur notoriété et valorisent ainsi leurs clients les plus riches.
Une marque totalement inaccessible n’est ni connue ni reconnue et ne remplit donc pas de fonction
sociale pour son consommateur. La marque de luxe ne doit pas devenir accessible à tous – au risque
de perdre son rôle de différenciateur social – mais doit être suffisamment connue pour qu’on
reconnaisse la signification de sa possession. Cela peut passer par l’accessibilité. Ainsi, une montre
Swatch n’est pas une montre de luxe, car bien que connue de tous, elle est accessible. En revanche,
une Rolex continue de faire rêver car – même s’il est possible pour un client plus modeste d’en
acheter une un jour – sa valeur étant connue, elle valorise son porteur.
3.2.3. Développer le chiffre d’affaires et stabiliser la marque
L’extension de marque a pour but premier le développement du chiffre d’affaires et de la marge
produite, en limitant les risques. La réutilisation d’une marque connue rassure le consommateur qui
accepte d’acheter le produit. En effet, selon Mc Kinsey, « cette pratique a un impact direct sur les
performances boursières; les groupes qui l’utilisent ont vu leur capitalisation progresser de 5%
contre seulement 0,5% pour les autres », preuve de l’augmentation du chiffre d’affaires.
Dans le cas du luxe, l’extension de marque permet d’atteindre une population dont le panier moyen
de consommation sera sûrement moins élevé que celui de sa clientèle habituelle, mais dont le
nombre compense largement la différence. De fait, les parfums les plus chers au monde – plusieurs
milliers d’euros – ne sont pas ceux qui rapportent le plus : leur rareté et leur prix exorbitant limitent
leur distribution. D’un autre côté, Coco Mademoiselle – parfum le plus vendu dans le monde en
201220
– a permis à Chanel de séduire une nouvelle cible et redévelopper son chiffre d’affaire alors
que N°5 n’était plus aussi rentable.
L’extension de gamme permet également à la marque d’éviter la faillite. Rentabiliser l’image de
marque en conservant une activité de haute-couture tout en proposant des produits dérivés
accessibles est la solution adaptée par Dior, Yves Saint Laurent et Chanel. Le domaine des
accessoires et de la cosmétique sont souvent les lieux privilégiés des extensions de gamme du luxe
du fait de leur forte rentabilité : un parfum Dior se vend en moyenne 30% au-dessus du marché –
soit 70€ pour J’adore, face aux 55€ d’un jus non-luxe. Il s’agit alors de lancer des produits de série,
en s’appuyant sur le rayonnement de la marque qu’il faut alors récréer en permanence en
maintenant son prestige et sa créativité, comme l’explique Kapferer (2007).
20
Thiébault Dromar, « Le top 10 des parfums les plus vendus en France », Challenges, 15 février 2013
40
4. Les risques pour le luxe
L’extension de marque semble être une solution idéale pour l’entreprise qui souhaite à la fois
augmenter sa notoriété, son chiffre d’affaire et ses compétences. Cependant, Géraldine Michel
explique que : « la stratégie d'extension de marque consiste à transposer les valeurs fondamentales
de la marque sur une nouvelle catégorie de produits (nature et fonction différentes par rapport aux
catégories de produits originelles de la marque), ce qui implique la création d'une nouvelle
légitimité de la marque et des risques importants pour la marque. »21
Ce sont ces risques que nous
allons à présent étudier. Le risque principal est la perte de l’image de marque, noyée par les
nouvelles gammes, ainsi que l’explique Ingarao : « la modification des niveaux de qualité et de prix
d’une marque implique, pour les consommateurs, des efforts d’accommodation accompagnés d’un
raisonnement de catégorisation complexe qui entraînent une dilution de l’image de marque.
L’extension vers le bas, tout comme l’extension vers le haut, engendre ainsi une dilution de la
marque » (2010). Ce risque est lié à la perte de cohérence et à la perte de la créativité de la marque :
son identité et son positionnement.
4.1. La perte de cohérence et légitimité
La marque est basée sur la cohérence. Elle traduit une identité, un esprit, une ADN qui lui est
propre [Bastien & Kapferer, 2013]. Elle porte des valeurs qui peuvent justifier son extension aux
yeux des consommateurs : c’est la définition du territoire de la marque. Cela implique que le
nouveau produit doit être porteur de la marque et de cette cohérence. De son côté, le produit peut
être porteur d’une image propre. Cette image-produit doit également être en adhésion avec la
marque.
Bic est une marque reconnue pour sa maîtrise du plastique. La marque a commencé une extension
continue en proposant des rasoirs jetables, des briquets et même des téléphones portables. En 1988,
elle lance des parfums jetables vendus en bar-tabac. Bien qu’innovant et basé sur une technologie
que la marque maîtrisait, le nouveau produit est un échec. Bic le retire du marché. Que s’est-il
passé ? Les stylos Bic sont associés à une notion de jetable, de pratique, utile et bon marché. Le
parfum est associé à l’agréable, au reflet de soi et à un certain prix. Les deux images – marque et
produit – n’étaient pas cohérentes et n’ont pas permis au client de croire au produit. Cependant la
21
Géraldine Michel, La stratégie d’extension de marque, 2000. Paris : Vuibert
41
marque Bic elle-même n’a pas pâti de cet échec puisque le produit lancé était cohérent avec ses
valeurs.
Dans le luxe, la marque est d’autant plus importante qu’elle est porteuse de sa capacité à produire la
distinction sociale. Le produit ne doit pas contredire la marque sous peine d’en faire pâtir l’image et
l’univers : ainsi le parfum Barbara Bui n’a pas eu le succès escompté car les consommateurs ne
l’ont pas jugé légitime, de même que la maroquinerie Cartier ou Lalique.
4.2. La sortie du luxe
4.2.1. Perte de créativité
Pour Bastien et Kapferer, l’un des autres grands désavantages de l’extension de la marque est le
risque d’être pris dans son propre jeu : une marque de luxe doit être innovante, créative et avant-
gardiste. Or la stratégie d’extension est une stratégie marketing qui se base majoritairement sur des
écoutes de marché et des études du comportement du consommateur. C’est ce dernier qui va en
partie créer le produit : le produit doit à coup sûr satisfaire un besoin afin d’être acheté et générer du
chiffre d’affaire. C’est ainsi que la plupart des parfums se ressemblent aujourd’hui, afin de plaire au
plus grand nombre de consommateurs possibles ; cependant, les jus créés sont fades et se
distinguent peu les uns des autres. De même, dans le prêt à porter, la créativité est limitée par les
consommateurs qui recherchent avant tout des vêtements pratiques à porter et à laver : le cachemire
disparaît au profit du coton. Cette sélection de publicités des parfums Chanel, Dior et Yves Saint
Laurent montre combien la perte de la créativité détruit ce qui faisait l’unicité de la marque.
42
Les égéries Chanel, Dior et Yves Saint Laurent sont toutes trois incarnées par des personnages
virils, sauvages et représentés en noir et blanc.
4.2.2. Perte de la cible primaire
La perte de cohérence d’une marque passe aussi par la perte de sa cible primaire, qui ne se reconnaît
plus dans la marque. La modification du niveau de prix et de qualité engendrée par une stratégie de
marque verticale vers le bas risque tout particulièrement de diluer l’image de la marque, de même
que son capital-marque [Aaker, 1996]. Le lancement sur le marché d’un produit moins onéreux que
le précédent nuit au prestige de la marque, selon Kim & Lavack (1996), diminuant le statut social
des actuels possesseurs de la marque. L’accès au plus grand nombre créé un risque de dilution. Une
extension de gamme verticale vers le bas diminue forcément le prix d’achat. Comme les
consommateurs associent le prestige au prix [Park et al., 1986 ; Petroshius & Monroe, 1987], la
baisse du prix influe directement sur l’image de la marque. Lorsque Ford rachète Jaguar en 1989
puis Aston Martins afin de créer PAG – Premier Automobile Group -, le groupe décide d’appliquer
une stratégie d’extension vers le bas à Jaguar. La voiture serait désormais accessible à un public de
classe moyenne, grâce à la rationalisation du processus de production – utilisation de pièces
motorisées Ford Mondeo – et la définition d’un modèle plus petit. L’aura de la marque n’a pas suffi
à la sauver de la faillite. En effet, en changeant le produit et détruisant ce qui faisait Jaguar – le
moteur, le socle – Ford a détourné les clients initiaux de la marque, qui ne veulent voir ni des Jaguar
partout dans la rue22
ni la qualité détournée au profit de la quantité.
4.2.3. Déficit de rêve
Le déficit de rêve d’une marque vient de la perte de l’écart entre l’élite et la clientèle accédant au
luxe. Plus le luxe est accessible, plus il est diffusé, plus le risque est grand de perdre son potentiel
de rêve. Comme l’explique Bastien & Kapferer : « pour les marques de luxe en revanche, la
diffusion perçue tue le rêve via la perte d’exclusivité, donc la perte du ressort social du luxe et de la
tension du désir de l’autre ».
22
Bastien & Kapferer, p228
43
Figure XX : Manager l’équilibre du rêve, entre notoriété et diffusion
Source : Bastien & Kapferer, Luxe Oblige
Lorsque Pierre Cardin a commencé à commercialiser des parfums en grandes et moyennes surfaces
(GMS), sa clientèle habituelle s’est détournée de lui, car ne se sentant plus en phase avec une
marque disponible à tous.
Ingarao précise d’ailleurs, que « plus particulièrement, l’extension de circuit de distribution de la
marque sélective vers une enseigne de distribution intensive fait évoluer l’image de la marque en
témoignant de la volonté de la marque de se démocratiser et de devenir accessible au grand
public » (2010).
Le lancement de marques-fille limite ces risques en permettant à la marque de lancer une extension
avec un prix différent, une cible différente et un nom suffisamment distinct de la marque-mère pour
qu’on ne les confonde pas – tout en bénéficiant de l’aura de la marque-mère. C’est exactement ce
qu’Armani fait avec Armani Privè, Armani Jeans, Giorgio Armani, … de même que Ralph Laurens
propose Purple Label, Polo Ralph Lauren ou Ralph Laurens Collection. Dior et Chanel ont aussi
nommé leurs extensions orientées cosmétiques actives – Dior Science et Chanel Précision – afin de
se détacher de la notion de rêve portée par les marques-mères pour paraître plus crédibles.
5. Autres stratégies de marque : co-branding
D’autres stratégies de marque existent, telles que le co-branding ou les licences. Le choix a été fait
de ne pas traiter des licences dans ce travail, considérant que les marques de luxe utilisent peu ce
100%
0%
% Notoriété % Pénétration
Valeur de rêve Déficit de rêve
44
procédé, sous risque d’être très vite déclassées – la licence conduit à la perte de contrôle sur son
image de marque et la qualité du produit. Le co-branding est une stratégie consistant à associer deux
marques connues pour créer un produit nouveau. Le but est d’intéresser la cible habituelle de la
marque A à la marque B, qui va alors bénéficier de son prestige. Ainsi, Cartier et Ferrari ont
travaillé ensemble sur une montre Ferrari produite par Cartier, avec l’espoir que les clients Ferrari
achèteraient ainsi un produit Cartier et découvriraient sa qualité – dans l’idée de les pousser à
renouveler leur achat au sein de la marque. D’un autre côté, Ferrari espérait remonter son prestige
en s’associant à Cartier. Le partenariat a été rompu suite à l’utilisation intensive de licences par
Ferrari. Depuis la marque automobile s’est associée à Hublot pour les montres.
Dans d’autres situations, c’est une marque de luxe qui s’associe à une marque de marché, comme
Karl Lagerfeld for H and M ou Sonia Rykiel pour H&M. Ainsi, en 2007, à l’occasion du lancement
de la ligne TGV Est, Christian Lacroix, artiste de mode, créé le design intérieur des TGV, de même
que la tenue des agents SNCF. Ce partenariat avait pour but d’améliorer l’image de marque TGV
liée, pour l’opinion publique, à des retards incessants et de trop nombreuses grèves. Au départ, un
effet de surprise a été créé. Perçue comme une marque qui valorisait le savoir-faire français et
permettait à ses clients de voyager dans un univers luxueux, l’image de SNCF a été revue à la
hausse.
SYNTHESE
Une forte identité de marque, porteuse d’un univers et d’une vision du monde, explique la
possibilité pour les marques de luxe d’étendre leur territoire23. Contrairement au marketing
classique, où la marque est liée au produit – lancée au même moment et cantonnée à une expertise
de métier – la marque de luxe peut accumuler les expertises. Le cas Chanel l’illustre bien : haute-
couture, parfumerie, cosmétiques lancée par Mademoiselle elle-même dès 1920 puis maroquinerie,
soulier, haute-joaillerie, haute-horlogerie. Cela leur permet d’augmenter leur puissance onirique en
développant leur notoriété. Sans notoriété, il n’y a pas de reconnaissance sociale et en conséquent
pas de prestige. Cela implique qu’une marque de luxe doit mener un minimum de communication et
d’extension tout en gérant les risques de dilution d’identité. Cependant que penser de la volonté de
Louis Vuitton de lancer son parfum, lancement sans cesse repoussé et prévu en 2016 ? Permettra-t-
il à la marque de développer sa clientèle ou ne risque-t-il pas plutôt de détacher ses clients fidèles de
la marque ?
23
Bastien & Kapferer, 2013 ; Allérès, 2005 ; Sicard, 2010
45
Figure XXI : Equilibre des produits et des gammes dans une marque de luxe
Source : Bastien & Kapferer, 2013
Le créateur
Valeurs de la
marque
Toujours plus haut pour
la beauté du geste
Jeux avec
l’icône et
réinvention
Lignes pour ouvrir
la marque
Surprises
créatives,
séries limitées
46
PARTIE III : LE PRODUIT, PORTEUR DU PRESTIGE DE LA MARQUE DE LUXE ?
Les parties précédentes ont permis d’établir d’une part que l’être humain a un besoin naturel et
social de prestige avec un désir d’ascension sociale et une nécessité de hiérarchie, que la notion de
luxe et la marque de luxe permettent de satisfaire ce besoin ; d’autre part, que l’évolution de la
consommation et du niveau de vie liée à la stratégie d’extension de marques ont amené la
démocratisation du luxe et la disparition relative du prestige des marques. En effet, même si le
prestige d’une marque est fonction de sa notoriété, une trop forte diffusion de la marque détruit son
potentiel de rêve en réduisant l’écart. Bastien et Kapferer précisent ainsi que : « pour les marques
de luxe, la diffusion tue le rêve via la perte d’exclusivité, donc la perte du ressort social du luxe et
de la tension de désir de l’autre », 2013. Cette partie en suggérant des pistes de réflexion devrait
permettre aux marques de luxe d’être pérennes dans ce secteur en conservant leur clientèle
primaire : les High Net Worth Income (HNWI).
1. Méthodologie
Afin de mener ce travail, il s’agissait de suivre un raisonnement scientifique en commençant dans
une première partie par récolter de l’information secondaire. Cette recherche documentaire a permis
une analyse des concepts clés : la notion de prestige, la marque et son image, l’extension d’une
marque. Après collecte de l’information grâce à une revue de la littérature existante et une analyse
des données externes à l’entreprise issues des études Bain & Company, CapGemini et de l’INSEE,
il a semblé pertinent de construire le plan autour de ces notions : étudier les notions de prestige et
image de marque, puis se pencher sur l’extension de marque avant de confronter les deux parties. Il
a également été réalisé que l’application réelle de ces concepts n’a pas toujours pu être vérifiée, de
même que leur impact sur le consommateur.
L’information concernant la réaction réelle du consommateur face au changement du luxe n’est pas
suffisamment étudiée. Une étude permettrait de créer de l’information primaire manquante. Etant
donné le temps limité pour la réalisation de cette étude, le choix s’est porté sur une méthode
interrogatoire plutôt qu’un observatoire des comportements de consommation ou une
expérimentation. Il ne s’agissait pas de vérifier des hypothèses ou d’analyser des données mais
d’ouvrir des pistes de réflexions grâce à des entretiens exploratoires.
Contrairement à l’observation qui permet d’étudier le comportement des consommateurs in vivo,
l’interrogation analyse l’affirmation d’un individu, limitée par la mémoire et les croyances
personnelles. Les limites de l’interrogation sont directement liées à celle du discours ; ce qu’un
47
individu A essaie de transmettre à un individu B est déformé par : 1. Le choix des mots par A, 2. La
réception du discours par B, 3. L’interprétation des mots par B. Cependant, le choix de
l’interrogation est justifié par son accessibilité et la possibilité d’obtenir un regard d’experts.
La décision a été prise de mener des entretiens semi-directifs avec des professionnels du monde du
luxe afin de déterminer avec eux comment le changement dans la définition du luxe ainsi que dans
le comportement des consommateurs a été perçu ces dernières années. Un entretien semi-directif
laisse la possibilité au répondant de mener son raisonnement et ainsi assure une objectivité plus
grande. De plus, grâce à la construction au préalable d’un guide des entretiens, les grands thèmes
devant être abordés ont pu l’être. La réaction des répondants aux hypothèses a permis d’évaluer leur
pertinence. Cette étude qualitative a été menée sur deux individus : elle ne pourra être considérée
comme objective mais permet d’obtenir un regard d’expert. Afin de garder une objectivité relative,
les professionnels représentent différents types de métiers issus et différentes marques de luxe.
Depuis 1870, Hermès est reconnu comme une marque de luxe française conservant son aura élitiste
; Nathalie Rolland-Huckel est artisan d’art et travaille depuis vingt ans avec cette marque, sous
contrat exclusif. Cartier est également une marque conservant le prestige d’antan ; Thibault de La
Rivière, ancien directeur de Lancel et actuel directeur de Sup de Luxe, membre de la chaire Cartier,
a pu expliquer en quoi Cartier reste du luxe. En plus des entretiens, des rencontres ont pu
s’organiser lors d’une journée de discussions et de réflexions sur « L’industrie au service du luxe en
Alsace », journée organisée par la CCI Alsace, la DIRRECTE et les industriels d’Alsace avec la
participation notamment de Gilles Auberger sur le sens d’une marque et de Pascal Favier, de DHJ
International.
Au départ, en parallèle des entretiens, qui proposent une information primaire qualitative, un
questionnaire devait être mené afin d’obtenir des réponses quantitatives sur le point de vue de la
clientèle du luxe. Cependant, après analyse de la littérature et compréhension des concepts, ce
questionnaire n’a pas été réalisé. En effet, les répondants au questionnaire n’auraient pas été les
clients réels du luxe mais plutôt la population du mass-tige. L’avis obtenu aurait été celui des
suiveurs et non pas des innovateurs. Les recommandations qui en auraient découlé auraient été
concentrées sur une cible croyant en la puissance de la marque mais pas en ce qui peut faire le luxe
et permet de conserver le prestige et l’écart.
48
2. Analyse des entretiens : l’objet de luxe
« L’objet de luxe est un des paradoxes des sociétés de consommation : sublime, somptueux,
inaccessible et pourtant objet de tous les désirs, de tous les fantasmes ; superflu voire inutile et
pourtant un des triomphes de l’augmentation du niveau de vie », Allérès, 2005, p 53
A l’issue des entretiens et de la journée de réflexion du jeudi 10 avril 2014, il est apparu que l’objet
de luxe, plus encore que le prix, la distribution ou la communication, était ce qui définissait le luxe
et transmettait les valeurs de l’entreprise. Commençons par comprendre ce qui fait un produit de
luxe.
2.1. Significations et symboliques
Comme nous l’avons vu dans les parties précédentes, « acquérir des produits déclinés (parfums,
accessoires de mode…) c’est adhérer au patrimoine culturel des marques et accéder à leur
territoire », Allérès, 2005. La première partie de ce travail a permis d’établir que les marques ont
des valeurs aux yeux du consommateur : des valeurs internes et externes au produit, des valeurs
pour soi et des valeurs pour les autres. Le tableau ci-après récapitule ces différents types de valeurs
décrites par Holbrook.
Figure XXII : Les différentes facettes de la valeur de consommation des produits
Extrinsèque Intrinsèque
Orientée vers soi Valeur économique
Rapport qualité / prix
Valeur fonctionnelle
Provient des fonctionnalités,
des caractéristiques, de la
qualité, des performances,
de « l’excellence du
produit »
Valeur émotionnelle
Provient de sensations ou
d’états sentimentaux et
affectifs qu’un produit
provoque (ludique, plaisir,
beauté)
Orientée vers les autres Valeur sociale
Concerne la construction de
l’image de soi qu’un
individu renvoie aux autres
Valeur altruiste
Evoquée à travers la valeur
éthique qui repose sur la
vertu, la justice ou la morale
Source : Holbrook
Le produit de luxe est construit sur les valeurs intrinsèques pour soi et une valeur extrinsèque pour
soi et pour les autres. Mais il s’agit souvent d’une recherche de valeurs fonctionnelle et sociale,
versus une recherche de valeurs émotionnelle et fonctionnelle [Allérès, 2005]. Pour comparaison, le
produit haut de gamme doit avoir une forte valeur économique, une forte valeur fonctionnelle et une
49
valeur émotionnelle. Ayant vu l’importance de la valeur sociale dans le luxe, il est nécessaire de
proposer un luxe permettant de créer l’écart tout en gardant sa valeur émotionnelle forte.
2.2. Composantes du produit de luxe
2.2.1. Un supplément d’âme…
« Dans un produit, il y a d’autant moins d’âme qu’un plus grand nombre d’âmes a été associé à sa
fabrication », Georg Simmel La philosophie de l’argent
Pour Thibault de La Rivière, directeur de Sup de Luxe, le luxe est « un art de vivre : un idéal à
atteindre qui apporte un supplément d’âme »24
. Pour d’autres, un produit de luxe est avant tout un
objet rare que très peu peuvent posséder – création d’un écart et d’un désir de possession - puis dont
la diffusion augmente jusqu’à ce que le produit perde de sa valeur aux yeux des premiers
détenteurs. Nathalie Rolland-Huckel quant à elle considère que le luxe « est un mot difficile à
définir : il n’y a pas de normes »25
mais reconnaît que ce sont les objets qui font le luxe. Utilisant
également l’expression de « supplément d’âme »26
, elle insiste sur la notion de création et du geste
du créateur.
2.2.2. Qui s’inscrit dans le temps
Pour Nathalie Rolland-Huckel comme pour Thibault de La Rivière, le luxe est pérenne, et reflète un
héritage transmissible qui « donne le temps au temps ». Le produit ne meurt pas. Il est d’ailleurs
indestructible et résiste au temps, tout en s’adaptant à la société. Il est un héritage que l’on peut
transmettre. Etroitement lié au sacré, le luxe doit permettre à sa clientèle d’accéder l’éternité, pour
Gilles Auberger. La beauté et le luxe des perles est leur rareté dans la nature, leur caractère
éphémère – une perle perd de sa nacre au contact de la peau, des parfums, de la pollution - et leur
pérennité – bien conservé et protégé, il peut être transmis sur des générations et des siècles. Ainsi,
du parfum, en soi n’est pas du luxe. Mais la marque créant le parfum est du luxe car elle appartient
à l’héritage, au patrimoine ; le flacon, travaillé et œuvre d’art miniature résistant au temps est
également du luxe. Malgré la faillite de la marque en 1995 et son rachat par Volkswagen, Bugatti
reste porteuse de rêve. La marque pour laquelle « rien n’est trop beau, rien n’est trop cher »
continue à déposer des brevets et lancer de nouveaux modèles grâce à l’investissement de
Volkswagen, qui a su voir le potentiel toujours existant de la marque mais surtout les anciens
modèles subsistent et roulent toujours. En 1981 lorsque Karl Lagerfeld reprit la maison Chanel,
cette dernière voyait ses ventes décroître : elle avait perdu sa clientèle et s’était détachée de ses
24
Entretien du 25 janvier 2014 25
Entretien du 23 avril 2014 26
Expression utilisée de manière spontanée, sans que l’entretien ait guidé Nathalie dans sa réponse puisqu’il s’agissait
de la question ouverte : « quelle est votre définition du luxe ? »
50
valeurs originelles. Karl Lagerfeld a su les faire revivre et transformer les produits, innover tout en
conservant l’impudence propre à Mademoiselle. En s’appuyant sur les valeurs de la marque, il l’a
faite revivre. Même en arrêtant la production, une marque de luxe continue de vivre, dans les
mémoires et en alimentant perpétuellement le feu du désir. La fermeture des usines Pleyel signe-t-
elle pour autant la fin de la marque ? Ou au contraire, les pianos ne vont-ils pas se vendre encore
plus chers entre connaisseurs et sur les marchés aux enchères ?
2.2.3. Notion de plaisir : une émotion pour créer du lien
Les deux experts du luxe se rejoignent également sur une autre composante de l’objet de luxe :
celui-ci doit transmettre une émotion afin de faire partager un « moment d’exception ». La notion de
plaisir est très forte lors de l’achat d’un produit de luxe : l’objet de luxe n’est pas acheté puis rejeté.
C’est un achat affectif et subjectif : il offre de partager une histoire et de créer des liens avec la
marque. Il est vénéré et traduit une satisfaction personnelle.
Le terme « esthétique » a été utilisé par cinq personnes lors de la journée de réflexion sur le luxe, de
même que le mot « hédonisme ». Le produit de luxe doit porter une émotion et permettre à
l’individu de s’exprimer et cela passe par la création d’un lien avec la marque, comme le
suggéraient Bastien & Kapferer. « Si elle [la relation] n’existe pas, c’est que le produit n’est pas
un produit de luxe aux yeux du client », (2013). La création du lien passe par l’expérience,
l’émotion et la transmission de sens, d’après les résultats des entretiens et les réflexions.
Cette notion de plaisir implique l’utilisation d’un marketing expérientiel : le produit de luxe doit
faire plaisir et cela passe par la création d’une expérience.
Cependant cette expérience seule n’est pas garante du prestige de la marque. L’exemple de Guerlain
montre comment une marque haut-de-gamme peut reproduire les techniques du luxe sans atteindre
le prestige et la capacité de rêve de celui-ci. Premier parfumeur français à créer sa marque, Guerlain
est connu pour des jus mythiques comme Shalimar ou Insolence. Très vite, Dior, Chanel et Yves St
Laurent lancent également leurs parfums. Guerlain dépérit face à ces concurrents dont l’image est
plus connue. De plus, contrairement à eux, la marque est spécialisée dans un seul domaine, la
parfumerie, qui est devenu accessible à tous. En automne 2010, pour le lancement du parfum Idylle,
un espace éphémère Guerlain sillonne huit villes françaises sélectionnées. Cet espace permet de
rencontrer le personnel Guerlain, de recevoir un accueil personnalisé et des conseils en maquillage
adaptés à sa carnation de peau, de définir avec un professionnel le parfum le plus adapté à ses goûts,
habitudes à partir d’images, couleurs, musiques et non pas de l’odeur même. Des séances de
51
maquillage avec des produits Guerlain sont offertes. Il est ensuite possible d’aller acheter un flacon
de parfum gravé à son nom. L’expérience de l’univers Guerlain est vécue avec intensité :
l’exclusivité est présente. L’espace est classieux et valorise la clientèle présente. Cependant,
interrogés les visiteurs, principalement de sexe féminin, ne considèrent pas plus Guerlain comme
une marque de luxe apportant du prestige. La reconnaissance sociale n’existe pas. Tout au plus ont-
elles un sentiment de bienveillance envers la Maison de parfumerie.
La littérature estime que la marque de luxe, de par sa forte valeur symbolique, crée du lien avec le
consommateur. « Cela implique que le luxe est qualitatif – on ne mesure pas le luxe à la taille de
l’objet acheté ou à son prix mais au goût exprimé -, hédoniste, esthétique, multi sensoriel, humain
et de manière surprenante [qu’il] ne se consomme pas » [Bastien et Kapferer, 2013]. Guerlain n’a
pas cette capacité à créer un lien.
2.2.4. Le sens de l’objet de luxe
Si aujourd’hui le sens a autant d’importance pour le luxe c’est parce que la marque ne peut survivre
en ne s’appuyant que sur les clients qui achètent du signe plutôt que du sens. Même les HNWI des
BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – dont Thibault de La Rivière vante le
potentiel pour le secteur du luxe, n’achètent pas seulement du signe. Les clients du signe sont ceux
du luxe accessible et ceux-là même qui détournent la clientèle principale des marques.
Le second sens de la marque pour Gilles Auberger est de rendre auteur son client : aider l’individu à
devenir auteur de son identité. De fait, le luxe ayant une composante personnelle très forte, il doit
permettre à son client de se construire, comme la littérature l’affirmait déjà. Afin d’obtenir cette
résonance sincère avec la marque, l’ADN de la marque doit être associée à la collaboration et
l’individualisation.
Figure XXIIII : Triangle de la valeur de la marque
ADN de la marque
Valeur collective Singularité
Source : Gilles Auberger
52
Ce triangle de la valeur de la marque souligne l’importance de la singularité des produits.
D’ailleurs, aujourd’hui, c’est la Haute-Couture Chanel qui est considérée comme du luxe par les
acteurs du luxe, comme le souligne Nathalie Rolland-Huckel, et non pas le prêt à porter, la
maroquinerie ou les cosmétiques qui sont distribués en masse et similaires.
Ainsi, d’après les entretiens, le produit de luxe évolue vers une fusion du modèle de Dubois &
Desquenes (1993) : une consommation hédoniste permettant une extension de soi par une
expression de ses valeurs [Michaud, 2006] associée à un luxe authentique reflet de l’excellence de
la marque. Cependant, contrairement à ce qui est conseillé dans la littérature, il ne s’agit pas
d’étudier au maximum le comportement du client pour connaître ses « insights »27
et de transmettre
ces valeurs dans la publicité. Ces actions sont réalisées aujourd’hui et ne permettent pas aux
marques de luxe de regagner en prestige. La première recommandation faite serait de se concentrer
sur son identité de marque pour ne pas oublier ce qui définit la marque et être porteur d’une vision
plutôt que se laisser porter par les consommateurs. Être l’artiste qui créé la demande plutôt que
l’artisan qui répond à un cahier des charges. La seconde serait de se concentrer sur l’objet de luxe
avant toute chose et de délaisser le luxe accessible – le mass-tige. Celui-là en effet n’est pas porteur
de prestige mais plutôt de déchéance pour la marque, ainsi que l’illustre la figure suivante.
Figure XXIV : Les marques de luxe vues par les professionnels
27
« Insights » : vision de la vie et sentiments du client
Luxe véritable : Cartier, Montblanc, Jaguar,
Hermès
Produits intermédiaires : Haute-Couture Chanel, Haute-Couture Yves Saint Laurent,
commandes exceptionnelles Ferrari
Mass-tige : Chanel, Dior, Yves Saint Laurent, Ferrari, Patek Philippe
53
Source : Analyse des réponses aux entretiens
Cette figure illustre que pour les professionnels, les produits trop industrialisés comme Patek
Philippe, ou trop répandus comme Chanel et Dior ne sont plus du luxe.
3. Discussion : vers une nouvelle définition du luxe ?
3.1. Le prestige par le produit ?
3.1.1. L’écart avant tout ?
« À trop courir après une clientèle excursionniste certes nombreuse mais acheteuse occasionnelle,
des marques de luxe peuvent se discréditer auprès des HNWI, là où réside le vrai marché potentiel
du luxe. Pour eux, seules les marques ayant su conserver l’écart jouiront d’un attrait fort. »,
Bastien & Kapferer, 2013, p166
Comme nous l’avons étudié dans les parties précédentes, la notion de prestige est liée à la notoriété
d’une marque et à sa diffusion. Plus une marque est diffusée, plus elle est banalisée. Au contraire,
une marque connue mais dont la rareté est contrôlée permet de recréer l’écart nécessaire au luxe et à
la création du rêve. Cet écart était auparavant lié :
- Au prix
- A la distribution contrôlée
Le prix d’un produit de luxe doit être assez élevé pour contrer la hausse du pouvoir d’achat et le
choix des ménages de favoriser les dépenses de plaisir. Toutefois un prix élevé n’est pas toujours
synonyme de luxe ni même de prestige comme nous avons pu le voir. Il s’agit également de
contrôler la distribution, comme le fait Hermès ou Ferrari. Le contrôle de la distribution passe par
des points de vente limités, une production limitée. Cependant le prix et une diffusion contrôlée ne
suffisent pas à définir le produit de luxe. Un produit rare et en conséquent cher implique une notion
de prestige liée à l’inaccessibilité du produit mais ne prend absolument pas en compte ce qui fait
aussi le luxe et qui a été détaillé par les professionnels : l’excellence, la pérennité, l’histoire, le
savoir-faire et l’émotion. L’objet de luxe est précieux : par l’émotion qui lui est liée, par les produits
utilisés, par le travail réalisé. Il est également esthétique.
3.1.2. Un produit d’hommes
Le luxe est un métier d’hommes. Les professionnels interrogés sont unanimes : le luxe doit valoriser
les métiers d’art, autrement dit les artisans. Nathalie Rolland-Huckel précise qu’elle « espère que
54
les marques de luxe réaliseront combien les artisans sont l’avenir du luxe ». Il est vrai que la
tendance semble être à un retour à l’origine du luxe : le créateur est un artiste travaillant à la main.
Le rachat des différents artisans du métier par Chanel et Hermès semble le prouver. Les grandes
Maisons ont compris qu’un produit de luxe nécessite un travail de l’objet et une qualité que seuls
les artisans maîtrisent. Les objets de luxe peuvent être déclinés grâce à la technologie mais le travail
initial est réalisé par un artisan. Cela permet également d’obtenir un produit plus authentique et
esthétique. De fait, le regard des artisans d’art est souvent celui d’un esthète qui apporte un
supplément d’âme au produit.
Même en production industrielle, comme c’est le cas pour les triplures de col de chemises Hermès
produites par DHJ International, le luxe se différencie par la taille de sa production qui est contrôlée
et humaine. Par exemple, l’entreprise alsacienne produit 15 millions de triplures de chemise pour la
marque Zara contre 6 000 triplures pour Hermès. Une attention particulière est également portée au
produit : celui-ci doit répondre à des normes très précises, et même ainsi peut être refusé par la
direction Hermès. Pour que le produit final soit du luxe, il ne doit pas seulement correspondre à un
catalogue de critères très précis : il doit faire vibrer l’acheteur. La triplure est choisie par des
hommes et valorise la main d’œuvre, comme l’explique Pascal Favier, directeur commercial.
La vaisselle Hermès est dessinée par Nathalie Rolland-Huckel : ce travail lui prend plusieurs jours
voire plusieurs semaines. Son dessin terminé, elle l’envoie à la Maison qui grâce à la technologie –
logiciels de reproduction – peut imprimer son dessin en plusieurs exemplaires. Chaque dessin
servira ensuite pour une assiette, une tasse ou une soucoupe. Pour un dessin, ce sont des centaines
de reproduction qui sont ainsi possibles.
55
Figure XXV : Vaisselle Hermès Cheval d’Orient, dessinée par Nathalie Rolland-Huckel
Les artisans sont également valorisés, que ce soit dans un court-métrage réalisé par Hermès en 2011
ou par les défilés des artisans d’art de la Maison Chanel. Louis Vuitton en confiant la réalisation de
ses souliers aux artisans italiens recherche également la qualité, l’authenticité et le respect du temps.
De plus, le temps d’attente lié à la diffusion limitée et à la production artisanale augmente le désir
du produit.
3.1.3. Recréer de la rareté et de l’exclusivité
En offrant un idéal vers lequel tendre et une émotion forte, le produit de luxe fait rêver. Comme
nous l’avons vu précédemment, ce rêve est fonction de la notoriété du produit et de sa diffusion.
Cela signifie que le produit de luxe ne doit être accessible ni par tous, ni facilement. Avec
l’avènement d’internet et de la contrefaçon, la diffusion n’est pas toujours facilement contrôlée. Un
produit peut se revendre en ligne ou aux enchères – même si ces dernières valorisent généralement
le produit en l’ancrant au mythe. Recréer le rêve pour les marques qui sont diffusées – Chanel,
Louis Vuitton, Hermès, Cartier … - doit passer par une stratégie de rareté et d’exclusivité. La mise
en place d’éditions limitées permet de créer de l’envie. Les collections exclusives Chanel sont
même distribuées de manière éphémère, en faisant des objets de collection pour ceux qui les
achètent. La montre J12 White Phantom était vendue en série limitée pour les dix ans du produit.
L’exclusivité peut également transparaître par l’évènementiel. Des évènements à cible limitée et
sélectionnée créent ce sentiment de privilège et prestige : les soirées very important client (VIC)
sont nombreuses parmi les Maisons françaises. Elles permettent de montrer aux clients qu’ils sont
56
différents et reconnus comme tels. Elles sont également l’occasion de dévoiler en avant-première
les nouveaux produits de la marque et de rencontrer les artisans ayant créé l’objet.
A l’inverse, le groupe LVMH propose depuis 2011 des « Journées Particulières » qui se tiennent en
juin. Cependant, cette démarche de portes ouvertes permettant l’accès à l’antre du luxe par un
public du luxe accessible a plutôt tendance à sortir le groupe du luxe : l’exclusivité n’est pas
respectée. En 2013, ce sont 120 000 « privilégiés » qui ont ainsi pu visiter les quarante-deux sites
ouverts au public. Avec plus de 2 800 visiteurs par site, on ne peut effectivement plus parler de
clients triés sur le volet. La démarche n’est plus la même : LVMH souhaite s’ancrer dans le
patrimoine et non plus dans l’exclusivité.
3.1.4. L’unicité et l’individualisation
En effet, la clientèle du luxe, plus que toute autre, veut se sentir unique et différente : elle paie pour
cela. Il est nécessaire de se souvenir que le luxe est un stratificateur social et qu’il est lié à l’excès.
L’émergence des bars à parfums, espaces consacrés à l’élaboration de parfums uniques en fonction
du client, illustre bien ce besoin de personnalisation à l’extrême. Les marques de luxe doivent en
conséquent également répondre à ce besoin d’unique et personnalisation. Dior et Chanel proposent
également des parfums nommés « Exclusifs » par Chanel. Ne répondant pas aux tendances du
marché et présentés dans des flacons de laboratoire, ces parfums favorisent le jus plutôt que la
beauté du flacon. Les senteurs développées sont peu courantes et singularisent leur porteur.
Hermès propose des vases ou des montres en série très limitée – 12 vases peints à la main et 36
montres -, avec Ferrari c’est de l’ultra-personnalisation avec la possibilité d’ajouter des étriers aux
voitures. Le sur-mesure réapparaît : chaussures, vêtements. Charvet conçoit des chemises sur-
mesure.
Les commandes exceptionnelles sont des pièces créées sur-mesure pour répondre à une demande du
client. La marqueterie Spindler est connue dans le monde entier et la dernière commande réalisée
par l’artisan était au bénéfice d’un Turc souhaitant décorer sa maison : Spindler s’est déplacé en
personne pour réaliser cette commande en répondant aux attentes de son client, nous a-t-il raconté le
10 avril.
57
Parfois, les caractéristiques de bases du produit sont respectées afin qu’il reste représentatif de la
marque mais le client peut choisir dans un éventail d’options de plus en plus large. Ferrari propose
plusieurs options permettant aux clients de personnaliser son produit. Lorsque la décision du client
intervient en fin de parcours produit, on estime souvent que la marque propose une forme de
masstige.
Cette individualisation doit également passer par le traitement des clients en boutique. Chaque
client veut être perçu comme unique.
3.2. Le prestige par l’apport d’éternité ?
Les entretiens ont mis en lumière le lien entre éternité et luxe. Alors que la religion est une quête
d’éternité collective, le luxe est une quête d’éternité individuelle. Cela implique que le luxe est lié
au désir humain d’avoir une partie de soi qui lui survivra.
Aujourd’hui, plus que l’argent, c’est le temps qui fait défaut à l’humanité occidentale – celle qui a
accès au luxe. Nous entrons dans une société qui court après le temps, toujours occupée28
. Le luxe
offre à ses clients un rapport au temps : il leur permet d’accéder à un morceau d’éternité en
s’ancrant dans le passé et le futur. L’innovation des produits, le respect des traditions de travail, la
possibilité d’offrir un héritage intègre le luxe au temps. Les classiques sont toujours retravaillés afin
de continuer d’exister. Les matériaux précieux et résistants sont favorisés. La nouvelle collection de
sacs à main de Louis Vuitton sera réalisée entièrement en cuir : ce choix est justifié par la volonté
de la marque de revenir aux produits résistants et pérennes.
L’expérientiel est aussi un moyen d’apporter un morceau d’éternité à l’individu : une expérience
reste gravée dans les mémoires, plus sûrement qu’un objet car elle fait appel aux cinq sens. Les
vrais produits de luxe apporteront cette expérience par eux-mêmes. Conduire une Jaguar est une
expérience en soi : le bruit du moteur interpelle l’ouïe, l’odeur du cuir et du bois vernis touche
l’odorat, la ligne de la voiture flatte la vue, le contact du volant et le confort du siège se rapporte au
toucher…
Les marques de luxe accessible tentent de limiter leur descente vers le masstige en proposant un
rêve qui vient de la création d’un univers mythique ou passé que l’on peut atteindre par la marque –
et non plus du produit en soi. C’est l’image de marque qui est centrale dans ce type de prestige :
l’individu s’identifie à la marque, se construit autour des personnalités évoquées et peut ainsi
pénétrer un univers éternel.
28
Les ouvrages sur le sujet du temps comme nouvelle monnaie de notre civilisation augmentent chaque année
58
Le story-telling est le mode de communication de ces marques. Louis Vuitton est une invitation au
voyage. Chanel raconte l’histoire de sa marque. Guerlain décrit la construction du Taj Mahal lieu
mythique ayant inspiré la création de Shalimar à travers une fresque épique. « La Maison Guerlain
change d’échelle, souligne son président Laurent Boillot. Ce film, fresque sublime au souffle
épique, est l’expression de notre désir de renforcer notre statut de maison de luxe ». Les vidéos
illustrant ces univers sont légions sur internet : un mode de diffusion de masse pour un univers
unique et onirique. Les musées sont de plus en plus nombreux, de même que les expositions,
comme « Dior, images de légende », essayant d’ancrer les marques dans le patrimoine puisqu’elles
ne sont plus du luxe pour les HNWI. La marque devient histoire et patrimoine. Le risque apparaît
pour elle alors d’être figée et de ne plus évoluer pour correspondre au passé.
Cependant ce faisant, les marques construisent autour d’elles un univers et un capital sympathie
grandissant. Elles font voyager même si pour l’instant elles ne font plus rêver leur cible principale –
leur diffusion de masse réduit leur potentiel de rêve. Le public les connaît. Ces marques restent
prestigieuses : elles sont rattachées à un passé et une histoire. Rappelons que le luxe est étroitement
lié à sa perception par l’individu et les autres. C’est l’individu qui décide de ce qui est luxe ou pas ;
c’est la société qui définit ce qui stratificateur social ou pas. En conséquent une grande partie de la
restauration du luxe dans les marques dépendra de la capacité des acheteurs à redécouvrir du luxe
pour une marque qu’ils estiment capable de formuler du rêve et de l’écart.
4. Limites du travail
Dans la revue de littérature, luxe et prestige ont été associés ; ces deux termes sont souvent
comparés et considérés comme allant de pair. Il est vrai que le luxe correspond au prestige d’une
classe sociale supérieure et permet de le montrer, ainsi que nous l’avons vu. Toutefois, ce travail n’a
pas cherché à vérifier si l’association de prestige et de luxe pouvait être contredite. Il a toujours été
sous-entendu qu’une marque de luxe devait répondre au besoin de prestige, et que, sans cette
réponse, elle quittait le domaine du luxe. Cependant, une des limites de cette réflexion serait de ne
pas avoir pu analyser l’existence d’un luxe sans prestige. De plus, nous avons vu que certaines
marques semblaient continuer à être porteuses de prestige tout en étant sorties du luxe ainsi il
pourrait être intéressant d’étudier la notion de prestige dans les marques non luxueuses pour la
comparer au prestige du luxe.
D’autre part, lors des différentes recherches d’information primaire, le point de vue des
consommateurs du luxe n’a pas été étudié : les recommandations faites sont limitées par l’absence
du regard critique de l’élite sur l’état du luxe aujourd’hui, leur rapport aux marques dites de luxe et
59
leur nouvelle vision du luxe. Même si l’importance de la perception du client du luxe a été
soulevée, sans analyse directe de leur avis, ce travail ne peut être jugé comme infaillible.
Afin d’ouvrir ce travail, il serait judicieux d’analyser le lien entre le luxe et la quête d’éternité de
l’homme – le sacré. Il est en effet apparu que le luxe et le sacré étaient fortement liés, mais jusqu’à
quel point ce lien influe-t-il la stratégie marketing des marques de luxe ?
60
CONCLUSION GENERALE
Ce travail a permis d’établir que face à la démocratisation du luxe, des solutions sont envisageables
pour conserver le prestige des marques de luxe.
Ainsi la première partie a permis d’analyser les concepts nécessaires à la compréhension de
l’évolution actuelle du marché du luxe : le prestige et l’image de marque pour le luxe. Le prestige
est directement lié à la perception du statut social et à l’aura accordée par un groupe d’individus à
une personne. L’être humain ayant un besoin de reconnaissance et d’ascension sociale, la notion de
prestige est intrinsèquement liée à ce besoin. Les signes et les symboles sont autant de moyens de
signifier son statut social. Les marques de luxe sont des signifiants comme les autres. Elles
apportent également une réponse au besoin hédoniste de l’individu. La notion de luxe a été d’autant
plus difficile à définir qu’elle est dépendante de la perception de l’individu et de la société.
Toutefois, ce travail a établi que le luxe devait reprendre les concepts de prix, rareté, authenticité,
qualité et excellence, hédonisme, univers mythique, artisanat et exclusivité. Enfin, les marques de
luxe étant le type de luxe concerné par la démocratisation, il a semblé nécessaire d’étudier le
fonctionnement de la marque de luxe ; l’image de marque et la définition de son identité expliquent
son positionnement et son unicité. Afin de savoir si une marque est du luxe différentes techniques
de mesure ont été abordées, comme les sept curseurs de Marie-Claude Sicard.
Dans un second temps, il s’agissait d’étudier les mutations du marché du luxe pour mieux
comprendre la raison d’être de ce travail. L’essor du luxe dépend de la hausse du pouvoir d’achat et
la démocratisation des sociétés. Bien que secteur porteur, avec des possibilités d’évolution liées à
l’augmentation du nombre de millionnaires, on note un changement du comportement des clients du
luxe. L’élite se détache de plus en plus des marques démocratisées pour rechercher des produits
d’excellence, où l’écart sera signifié par le prix et l’émotion plutôt que par le logo. De l’autre côté,
les excursionnistes sont de plus en plus nombreux et la base de clientèle du luxe s’élargit,
conduisant les marques à mener une stratégie d’accessibilité. Cette transformation du comportement
de la clientèle est à la fois un acteur majeur et un bénéficiaire intrinsèque de la stratégie de
démocratisation des marques de luxe. Celle-ci traduit la volonté de la rendre accessible au plus
grand nombre afin de rentabiliser la marque et d’augmenter sa notoriété. Les diverses stratégies
appliquées sont celles des extensions de marque et des extensions de gamme. Les risques majeurs
d’une telle politique pour une marque de luxe sont la perte de leur statut de luxe par une trop grande
diffusion et la disparition du prestige de la marque. Ainsi, une marque de luxe devant stratifier et
permettre une distance entre ceux qui veulent et ceux qui peuvent, sa démocratisation entraîne un
déficit en rêve.
61
Ce travail posait une hypothèse majeure : la démocratisation du luxe nuit au prestige de la marque
de luxe ; dont découlaient cinq hypothèses mineures : la marque de luxe doit être porteuse de sens
pour intéresser les clients ; le produit est porteur du prestige de la marque de luxe ; le luxe vient de
l’unicité du produit ou sa perception d’unicité ; l’individualisation est une solution viable pour le
luxe ; le prestige de la marque est dû à sa capacité à apporter de l’éternité à l’individu. La rencontre
avec des professionnels a permis de discuter les hypothèses. Il est apparu que la démocratisation du
luxe nuit au prestige d’une marque en tant que luxe mais pas au prestige qu’une marque peut avoir
autrement. Cela implique que le prestige n’est pas toujours dépendant du luxe. Certaines marques
peuvent ainsi être porteuses de prestige sans être du luxe.
RECOMMANDATIONS
Comme il a été vu précédemment, pour replacer le prestige au cœur de leur activité, les marques
souhaitant réintégrer les sphères du luxe devraient organiser leur stratégie autour des deux axes
suivants : le retour du produit porteur de rêve au statut de matière première de leur activité, et
l’inscription de leur héritage dans le temps.
Ainsi, pour assurer la centralité du produit comme charpente des rêves, les marques aspirant au titre
de marques de luxe devront rétablir la notion d’écart comme pilier de leur stratégie de
communication, afin de réamorcer le ressort du désir et ainsi recréer le rêve de l’acquisition. Ce
procédé s’appuiera sur la mise en avant de l’artisanat comme support d’une qualité unique, recréant
la rareté de l’œuvre d’Homme destinée à l’Homme. Ce faisant, ces maisons de marque assureront
une rareté de leurs produits qui – si elle parvient à trouver l’équilibre entre l’unicité et la satisfaction
du besoin de personnalisation recherché par les connaisseurs - assurera un sentiment d’exclusivité
chez ses acheteurs. Ces derniers se sentant privilégiés, ils reforgeront par leur appréciation du
produit la valeur de rêve sur lequel le prestige repose.
Enfin, ces marques parviendront à préserver leur luxe et leur prestige lorsqu’elles puiseront dans
leur histoire et leur héritage les outils leur permettant de refaçonner un univers qui leur soit propre –
univers dans lesquels leurs clients se reconnaitront, et qu’ils chercheront à transmettre, à léguer.
62
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66
SCHEMAS ET TABLEAUX
I : Pyramide des besoins dite de Maslow (1943) 05
II : Les groupes sociaux par rapport à l’individu 07
III : Influence du groupe sur les comportements de consommation 07
IV : Valeurs de prestige par rapport aux motivations 10
V : Effets interpersonnels sur la recherche de prestige 11
VI : Compatibilité du volume avec le type de rareté (naturelle à virtuelle) 14
VII : Les mots clés du luxe : une définition ? 16
VIII : Le système de la marque 19
IX : Le prisme d’identité de marque 20
X : Le clavier des curseurs 22
XI : Les pays où vivent le plus de millionnaires 26
XII : Ventilation des ventes dans le secteur du luxe en 2013 27
XIII : Comparaison de la croissance du coût de vie des très riches avec le coût moyen de vie 28
XIV : L’acte d’achat en fonction du type de consommateur 30
XV : Potentiel d’extension d’une marque en fonction de son centre de gravité 31
XVI : Le modèle de la pyramide 32
XVII : Le modèle de la galaxie 33
XVIII : Hiérarchie des objets de luxe 34
XIX : Les différents types d’extensions 34
XX : Manager l’équilibre du rêve, entre notoriété et diffusion 43
XXI : Equilibre des produits et des gammes dans une marque de luxe 45
XXII : Les différentes facettes de la valeur de consommation des produits 48
XXIIII : Triangle de la valeur de la marque 51
XXIV : Les marques de luxe vues par les professionnels 52
XXV : Vaisselle Hermès Cheval d’Orient, dessinée par Nathalie Rolland-Huckel 55
67
ANNEXES
Annexe 1 : Les avantages et fonctions de la marque
Fonction Bénéfice client
Repérage (rôle signalétique) Facilitation dans le repérage de l’offre en
identifiant rapidement les produits
recherchés
Praticité (rôle heuristique) Gain de temps au rachat
Garantie (sécurisation) Certitude de trouver un produit dont la
qualité est connue et stable
Optimisation Certitude d’achat du produit adapté à
l’usage
Personnalisation (badge) Confortation dans l’image de soi
Permanence Fidélisation par la satisfaction et l’intimité
des liens
Hédonisme Satisfaction face à l’esthétique de la marque
et l’utilisation
Stimulation Augmentation de l’excitation de vivre
Ethique et morale Satisfaction d’un comportement responsable
lié au comportement de la marque
Source : Kapferer, 2008
68
Annexe 2 : Personnalité de la marque par Aaker
La personnalité de la marque peut être évaluée dans un système de mesure qualifié d’échelle de la
personnalité de la marque. Les différentes dimensions mesurées sont : la sincérité, le dynamisme, la
compétence, la féminité et la robustesse de la marque. Ces dimensions ont été déterminées à la suite
d’études sur le lien du consommateur à la marque.
Source : Aaker, 1997
Personnalité de la marque
Sincérité
Réaliste
Familiale
Honnête
Concrète
Saine
Authentique
Gaie
Dynamisme
Audacieuse
Moderne
Contemporaine
Unique
Imaginative
Excitante
Fougueuse
Jeune
Entrain
Compétence
Travailleuse
Intelligente
Technique
Organisée
Leader
Sûre d'elle
Leader
Digne de confiance
Féminité
Distinguée
Séduisante
Envoûtante
Douce
Charmante
Aristocratique
Robustesse
Masculine
Virile
Rude d'extérieur
Solide
Indépendante
Tra
its
Dim
ensi
ons
69
Annexe 3 : Evolution du secteur du luxe
Source : Bain & Cie, 2013
Source : Bain & Cie, 2013
70
Annexe 4 : Quatre façons de se distinguer par le luxe
Source : Bastien & Kapferer, 2013
Créativité Audace
transgressive
Anthentique discret
Mise en scène
d'histoire sur soi
L’emblème, le logo
Disruption pour se re-
distinguer
Le produit pour soi,
ses valeurs et l’art de
vivre
L’intégration dans un
monde aspirationnel
71
Annexe 5 : Comprendre les différents types de luxe en analysant les classes sociales et styles de vie
Classe sociale Motivation Style de vie Modèle de
consommation
Catégorie de luxe
Classe nantie Distinction
absolue « fuite en
avant »
Conversion des
privilèges
Distinction des
usages et choix
Objets
traditionnels,
rares et chers
Objets
nouveaux et
originaux
Luxe absolu
Classe
intermédiaire
Distinction
relative
« rattrapage des
écarts »
Imiter la classe
dominante
Certains
objets
traditionnels
Objets de
séries limitées
Luxe intermédiaire
Classe moyenne Mimétisme des
choix et des
usages
Accéder à un
patrimoine
culturel
Appartenir à une
classe
Se distinguer
Objets de
série
Luxe accessible
Source : Allérès, 2005
72
Annexe 6 : Guide des entretiens
Introduction
Dans le cadre de mon mémoire sur la démocratisation du luxe, je cherche à comprendre comment le prestige
d’une marque est généré et comment le conserver. Cet entretien me permettra d’obtenir un regard d’expert –
qualitatif – et de définir les solutions marketing pérennes pour le luxe.
Profil de l’interviewé
Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours en quelques phrases ?
Quel est votre lien avec le secteur du luxe ? Quelle est votre notion de la marque ?
Thème 1 : Définition du luxe
Comment définiriez-vous le luxe ?
Qu’est-ce pour vous que le prestige d’une marque ?
Thème 2 : Situation du luxe aujourd’hui
Qu’est-ce que la démocratisation du luxe selon vous ? Comment la qualifierez-vous ?
Considérez-vous les cosmétiques comme du luxe ?
Je vais vous citer plusieurs marques reconnues comme luxe par les études de marché, et vous me direz si
selon vous elles appartiennent toujours au luxe ou pas
- Chanel / Ferrari / Yves St Laurent
- Patek Philippe
- Cartier / Hermès / Louis Vuitton
Avez-vous senti un changement de comportement des consommateurs ces dernières années ? Si oui, lequel ?
Avez-vous eu l’impression que la clientèle du luxe évoluait ? Si oui, comment ?
Thème 3 : Avenir du luxe
Qu’est-ce qui selon vous serait l’avenir du luxe ?
Recréer la rareté, mais comment ?
Communiquer, mais comment ?