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DSB, Calavi, juillet 2009

Manuel de formation des défenseurs des droits de l'homme

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Manuel de formation des défenseurs des droits de l'homme

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DSB, Calavi, juillet 2009

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Dimension Sociale Bénin tient à remercier la Commission Européenne dont l’appui financier l’a aidée à produire la première édition du présent manuel de formation des défenseurs des droits de l’homme en Afrique.

Commission Européenne

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SOMMAIRE INTRODUCTION MODULE 1 : DROITS DE LA PERSONNE EN AFRIQUE Les Droits individuels garantis par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples Les Droits de la Femme en Afrique Les Droits de l’Enfant Droits de l’Homme et Société de l’Information en Afrique Les obligations des Etats dans la mise en œuvre des instruments relatifs aux Droits de l’Homme MODULE 2 : PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE EN AFRIQUE Les mécanismes onusiens de protection des Droits de l’Homme : Les organes de la Charte Les mécanismes onusiens de protection des Droits de l’Homme : Les organes de Traités Mécanismes juridictionnels (Commission et Cour) de protection des Droits de l’Homme en Afrique Mécanismes non juridictionnels de protection des Droits de l’Homme en Afrique La cour Pénale internationale : Place des victimes et rôle des ONG Justiciabilité des Droits de l’Homme MODULE 3 : DEFENSEURS DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE Rôle des ONG devant les institutions Internationales de Défense Des Droits de l’Homme Monitoring des violations des Droits de l’Homme en Afrique Techniques de Lobbying Règles essentielles pour la sécurité d’un militant des Droits de l’Homme en Afrique

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INTRODUCTION Le présent manuel de formation est rédigé dans le cadre de la mise en œuvre du Projet Synergie d’Actions pour la Professionnalisation et la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme en Afrique (SAPPDDHA). Le Projet couvre 15 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Tchad, R. D. Congo, Congo Brazzaville, Cameroun, Rwanda, Burundi, République centrafricaine, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Mali, Niger, Sénégal, et Togo) et est financé à 73.41% par la Commission Européenne et à 26.59% par Dimension Sociale Bénin (et ses partenaires locaux) qui en est l’organisme de mise en œuvre. L’activité de défense et de promotion des droits de l’homme en ce 21ème siècle n’est plus seulement une question de militantisme ni d’engagement mais une question de connaissance et de compétence. C’est plutôt une question de professionnalisme et d’expérience. Et même si on a du mal à l’affirmer, ne devient pas défenseur des droits de l’homme qui veut, mais qui peut car le travail d’un défenseur des droits de l’homme est le travail le plus compliqué et en même temps le plus simple. Il importe en effet de connaître, vivre et pratiquer les droits de l’homme dans la vie courante et quotidiennement avant de passer à sa promotion et à sa défense. Un défenseur des droits de l’homme c’est cette personne qui décide après mûre réflexion de s’engager pour la liberté et le bien-être des autres et partant de lui-même. C’est donc un engagement humanitaire mais un engagement qui demande assez de sacrifices. Un défenseur des droits de l’homme doit pouvoir connaître les textes qui promeuvent les droits de l’homme, les règles et les mécanismes de promotion et de défense de ces droits, en être profondément convaincu avant de décider d’agir publiquement pour faire respecter ces droits. Il trouvera souvent en face de lui un système politique prêt à répondre à toutes les dénonciations, à toutes les réclamations et à toutes les accusations. Les organisations de défense des droits de

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l’homme, malgré leurs expériences et leurs compétences, ont toujours été la cible d’Etats accusés de violer ces droits. Il est donc important et même stratégique que les défenseurs des droits de l’homme surtout en Afrique renforcent quotidiennement leurs capacités dans ce vaste domaine d’action que constituent la promotion et la défense des droits de l’homme. L’Organisation des Nations Unies (ONU) a mis en place des mécanismes devant faire avancer l’idéal de paix, d’harmonie et de bien-être des hommes, des femmes et des enfants. La plupart des Etats se sont engagés pour que ces mécanismes soient respectés. Des instruments universels ont été adoptés pour assurer à l’homme sa dignité dans tous les sens ; de nouveaux textes sont adoptés ou en cours d’étude tous les jours pour prendre en compte les nouvelles préoccupations de l’humanité. En outre la mise en œuvre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a conduit à l’adoption des instruments régionaux de protection des Droits de l’Homme. La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la Convention Américaine Relative aux Droits de l’Homme en sont une illustration éloquente. Malgré toutes ces dispositions louables, les intérêts politiques et économiques conduisent malheureusement le monde dans les guerres civiles, les génocides et les violations massives des droits de l’homme. Le métier de défenseur des droits de l’homme devient donc plus ardu compte tenu de la récurrence des violations des droits de l’homme malgré les textes. La connaissance des textes s’impose alors. Le présent manuel destiné aux défenseurs des droits de l’homme en général et aux défenseurs africains en particulier a pour vocation d’être un outil pratique de la pratique des droits de l’homme sur le terrain.

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Loin d’être un document exhaustif de réflexion sur les droits de l’homme, il propose dans un langage simple avec des exemples concrets les différents droits de l’homme consacrés par les instruments universels et africains relatifs aux droits de l’homme, les différents mécanismes universels et africains de protection des droits de l’homme et les techniques nécessaires à la sécurisation des défenseurs des droits de l’homme. Le manuel se veut un guide pour les défenseurs des droits de l’homme en Afrique. Il se veut également un guide de formation des défenseurs des droits de l’homme en Afrique. Il met en effet à la disposition des défenseurs des droits de l’homme des connaissances nécessaires pour une militance éclairée, dynamique et efficace. Si le travail du défenseur des droits de l’homme est difficile en général, celui du défenseur africain est ardu et nécessite du courage et encore de la persévérance. Certains défenseurs africains en payent de leurs vies malheureusement. C’est pourquoi le présent manuel se veut un manuel de promotion du nouveau paradigme de la défense des droits de l’homme en Afrique. Ce nouveau modèle de défense des droits de l’homme commande d’utiliser des méthodes nouvelles telles le dialogue, l’accompagnement, la synergie, susceptibles d’éviter la persécution des défenseurs des Droits de l’Homme. Rédigé par une équipe de spécialistes en droits de l’homme, le manuel est divisé en trois parties relatives respectivement aux droits de la personne en Afrique, à la protection des droits de la personne en Afrique, et aux défenseurs des droits de l’homme en Afrique.

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MODULE 1 : DROITS DE LA PERSONNE EN AFRIQUE Ce premier module est structuré en cinq thèmes complémentaires qui se présentent comme ci-après : • Les droits individuels garantis par la Charte Afric aine des

Droits de l’Homme et des Peuples Ce thème énonce les principaux droits individuels garantis par la Charte Africaine des Droits de l’homme et des peuples en insistant sur ces spécificités à travers une analyse comparative avec les autres instruments régionaux. • Les droits de la femme en Afrique Après un état des lieux de la situation des femmes en Afrique, ce thème énonce les principaux droits reconnus à la femme africaine, les analyse et aborde enfin les obligations des Etats. • Les droits de l’enfant en Afrique Après un état des lieux de la situation des enfants en Afrique, ce thème énonce les principaux droits reconnus à l’enfant africain, les analyse et aborde enfin les obligations des Etats. • Les Droits de l’Homme et la société de l’informatio n en

Afrique L’auteur a abordé sous ce thème la protection des données à caractère personnel, les risques liés à l’utilisation d’Internet, et, la vie privée et les nouvelles techniques de surveillance.

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• Les obligations de l’Etats dans la mise en œuvre de s Droits de l’Homme.

Pour que les différents droits reconnus à l’individu soient une réalité, il est important que les obligations de l’Etat qui est le débiteur de ces droits soient précisées, d’une part, et que les voies de leur justiciabilité soient connues et mises en œuvre, d’autre part. L’auteur a ainsi abordé les diverses obligations de l’Etat dans la mise en œuvre des instruments relatifs aux droits de l’homme : il s’agit des obligations de respecter, de protéger et de réaliser.

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LES DROITS INDIVIDUELS GARANTIS PAR LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES Par M. Félix AHOUANSOU L’Afrique, à l’instar de l’Europe et de l’Amérique dans le domaine de la protection des droits de l’homme, a trouvé le moyen de mettre sur pied un système de protection propre à elle. Ce moyen n’est rien d’autre que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée à Nairobi, au Kenya, le 27 juin 1981. Elle est entrée en vigueur le 21 octobre 1986. Comme objectif cette Charte vise à ‘’assurer la promotion et la protection des droits et libertés de l’homme et des peuples, compte dûment tenu de l’importance primordiale traditionnellement attachée en Afrique à ces droits et libertés’’1. Comme mesure de sauvegarde du respect des droits énoncés dans cette Charte, il est créé une Commission des droits de l’homme et des peuples qui tire son fondement de l’article 30 de la Charte. Il s’agit d’un mécanisme non juridictionnel comme cela a été le cas en Europe, en Amérique. Les premiers sont passés aussi par les Commissions - et aux Nations Unies où les mécanismes non juridictionnels, caractéristiques d’un système de protection faible, perdurent. Ce sont des mécanismes dont les décisions ne peuvent avoir force obligatoire en droit, faute d’un contrôle juridictionnel (une cour) sanctionné par une décision (arrêt) revêtue de l’autorité de la chose jugée. Du moment où les décisions de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, comme celles des Commissions européenne et américaine, ne revêtent pas un caractère contraignant, cela va sans dire que ce mécanisme, non juridictionnel, ne peut protéger efficacement les droits individuels des citoyens. Les droits individuels garantis par la Charte n’auraient donc aucun effet utile. C’est ainsi que, pour suivre l’exemple de l’Europe (avec la Cour européenne des droits de l’homme) et de l’Amérique (avec la Cour

1 Préambule de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

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interaméricaine des droits de l’homme), l’Afrique a pensé à mettre sur pied une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Le 9 juin 1998 à Ouagadougou, au Burkina Faso, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a été créée par l’adoption du protocole de Ouagadougou (entré en vigueur le 25 janvier 2004). Le protocole de 1998 vient donner un sens aux droits individuels prétendument garantis par la Charte depuis 1981. La Charte se distingue d’autres instruments régionaux de protection des droits de l’homme à travers le mérite qu’elle a de faire des ‘peuples’ des sujets de droit à part entière. Ceci constitue une originalité qu’il faut reconnaître à la Charte du fait qu’elle reste le seul instrument régional à prescrire expressément des droits pour les peuples, lorsqu’on la compare à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à la Convention américaine relative aux droits de l’homme (CADH). La Charte est également le seul instrument régional à contenir des dispositions garantissant, à la fois, les droits civils et politiques et les droits économiques sociaux et culturels. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples consacre paradoxalement des devoirs de l’individu alors qu’il s’agit d’un instrument de protection des droits de l’homme. Quoiqu’elle ne soit pas le seul instrument régional à faire cas des devoirs de l’individu, c’est quand même le seul instrument à imposer incomparablement des devoirs à l’individu. En l’occurrence, les articles 27, 28 et 29 de la Charte sont entièrement consacrés aux devoirs de l’individu envers la famille et la société, envers l’État et les autres collectivités légalement reconnues, et envers la communauté internationale. Ce n’est pas pour autant qu’il faille s’en offusquer car même les droits de l’homme les mieux garantis induisent, on le verra plus loin, des obligations et responsabilités pour leurs titulaires. Ce sont autant d’éléments qui témoignent de l’originalité de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

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Dans le présent article, nous nous intéresserons aux droits individuels consacrés par la Charte. Nous allons ici analyser dans les détails les principaux droits individuels garantis par la Charte. Il s’agira d’une analyse comparative centrée sur les possibles interprétations des différents articles consacrés aux droits des individus dans la Charte. I- Enoncé des droits individuels garantis par la C harte. La base juridique des droits consacrés aux individus se trouve dans les articles 2 à 18 de la Charte africaine. Ces droits ont bien sûr pour la plupart des équivalences dans d’autres instruments internationaux [le pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)] et régionaux [ci avant cités] de protection des droits de l’homme. Pour donner une lisibilité à ces droits individuels dans la Charte africaine, nous avons emprunté à Frédéric Sudre2 une classification, quoique arbitraire, qui nous a permis de regrouper lesdits droits en 8 catégories, à savoir : Intégrité de la personne (art.4 et 5) ; Libertés de la personne physique (art.6 et 12) ; Droits de procédure (art.3 et 7) ; Droit au respect de la vie privée et familiale (art. 4 et 18); Libertés de la pensée (art. 8, 9 et 17); Libertés de l’action sociale et politique (art.10, 11 et 13) ; Droit de propriété (art.14); et Droit des étrangers (art.12). Le droit à la non-discrimination consacré par les articles 2, 3, 15, 16 et 17(1) et (2)) constitue un “droit transversal’’3, l’ensemble des droits garantis étant en effet gouverné par le principe de l’interdiction de la discrimination. 2 Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, PUF, 2006, pp. 258- 259.

3 Frédéric Sudre, Ibid., p. 259.

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Nous allons procéder à présent à l’analyse de ces droits principaux liés à l’autonomie de la personne. II- Analyse II-1. Le droit à la non – discrimination (principe posé p ar l’art.2) L’étude des droits protégés par la Charte commencera par celle du droit à la non-discrimination qui fait figure de ‘’droit transversal’’. L’article 2 de la Charte africaine, à l’instar de l’article 14 de la CEDH et de l’article 1 § 1 de la CADH, pose en effet un principe général et neutre de non discrimination qui gouverne la jouissance de tous les droits garantis par la Charte. Issu du postulat général de l’égale dignité de tous les êtres humains, posé par l’article 1er de la DUDH, le principe de non –discrimination est un principe matriciel de la protection internationale des droits de l’homme que l’on retrouve dans tous les instruments internationaux de proclamation des droits de l’homme. La portée de l’interdiction de discrimination Au plan régional, la clause de non discrimination posée par l’article 2, puisqu’elle vaut uniquement pour les droits garantis par la Charte, n’a pas d’existence indépendante. En effet, le domaine d’application de l’égalité prescrite par l’article 2 de la Charte est celui constitué par l’ensemble des droits protégés par la Charte. De même, l’article 14 de la CEDH ne vaut que pour les droits garantis par la Convention. L’article 2 est alors inapplicable s’il n’est pas invoqué en liaison avec une autre disposition de la Charte. Car, il n’ajoute pas à la liste des droits garantis mais renforce leur protection. C’est l’égalité devant la Charte et non devant le Droit en général qui est proclamé. C’est ainsi que la Commission africaine a conclu à la violation de l’article 2 dans l’affaire Amnesty International c. Zambie, § 37, 43 et 44, du 5 mai 1999, Communication 212/98 :

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« 37. (…) Il ne faut pas perdre de vue la preuve que William Steven Banda était un opposant politique du MMD au pouvoir. (…). Il apparaît qu’il a été ciblé en raison de son origine ethnique qui par hasard existe aussi en Zambie. (…) 43. L’article 2 de la Charte stipule que : (…) 44. En expulsant de force de la Zambie les deux victimes, l’Etat a violé leur droit de jouir de tous les droits garantis par la Charte Africaine. L’article cité impose au gouvernement zambien l’obligation d’assurer à toute personne résidant sur son territoire, la jouissance des droits garantis par la Charte Africaine, indépendamment de leur opinion politique ou autre. Cette obligation a été réaffirmée par la Commission dans le cas ‘‘Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme c/ Zambie’’ (communication 71/92). L’annulation arbitraire de la nationalité dans le cas de Chinula ne peut pas se justifier». Selon cette jurisprudence, d’autres dispositions de la Charte ont été violées par la Zambie : « Par ces motifs, la Commission déclare qu’il y a eu violation des articles 2, 7(1) (a), 8, 9(2), 10 et 18(1) et (2) de la Charte Africaine»4. Il faut toutefois apporter la précision suivante : il n’est pas nécessaire que la mesure litigieuse viole en soi un des droits garantis par la Charte pour invoquer l’article 2. Même si une mesure respecte l’une ou l’autre disposition de la Charte, l’article 2 peut être utilement invoqué en liaison avec celle-ci pour autant qu’une discrimination soit décelable. Le principe posé par l’article 2 de la Charte étant le même que celui de l’article 14 CEDH, nous citons, à ce propos, l’affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique, arrêt du 23 juillet 1968 pages 33-34 §9 dans laquelle la Cour a consacré l’autonomie de l’article 14 CEDH . Selon cette jurisprudence de la Cour, l’article 14 CEDH complète les autres clauses normatives de la Convention et fait « partie intégrante de chacune des dispositions garantissant des droits et libertés » (aussi

4 CADHP, affaire Amnesty International c. Zambie, du 5 mai 1999, Communication : 212/98, par. 37, 43 et 44 : < http://www1.umn.edu/humanrts/africa/comcases/comcases.html>

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Marckx c/ Belgique, 13 juin 1979). Nous n’avons pas encore eu de décision de la Commission africaine allant dans le sens de l’autonomie de l’article 2. Cela pourrait être le cas avec la Cour africaine. L’article 2 de la Charte comme l’article 14 de la CEDH peuvent permettre donc de censurer la discrimination dans la jouissance d’un droit respecté. Quant aux articles 3, 15, 16 et 17(1) et (2) de la Charte, ils jouissent d’une existence indépendante comme toutes les autres dispositions, d’autant plus qu’ils s’appliquent à des situations particulières de non discrimination. Il n’est pas besoin de les invoquer conjointement avec un autre article de la Charte. Chacun d’eux constitue un droit à part entière. Au plan universel, le principe de non - discrimination a une portée générale en matière de protection des droits de l’homme (obs.gén.18/37 sur l’article 26, in Manuel…, p87)5. Le comité des droits de l’homme a fait une interprétation constructive de l’article 26 PIDCP (« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi »). L’article 26 visant la législation nationale impose à l’Etat de ne pas adopter et mettre en œuvre une loi dont les dispositions seraient discriminatoires vis-à-vis des citoyens. Le droit à la non discrimination garanti par l’article 26 est donc un droit autonome dont la portée ne se limite pas aux seuls droits énoncés par le pacte. II-2. INTEGRITE DE LA PERSONNE On peut y regrouper le droit à la vie, l’interdiction de la torture et l’interdiction de l’esclavage qui concourent à préserver l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Les articles 4 et 5 de la Charte constituent la base de cette protection.

5 Cité par Frédéric Sudre, op. cit. p. 260.

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II.2.1. Le droit à la vie La jouissance du droit à la vie (art. 4 Charte Afr. DHP, art. 2 CEDH, art.6 PIDCP) fait peser sur l’Etat trois types d’obligation afin de satisfaire l’individu : L’obligation de respecter (ne pas porter atteinte arbitrairement) ; L’obligation de protéger (dimension substantielle et procédurale) ; et l’obligation de réaliser. A- OBLIGATION DE RESPECTER L’obligation de respecter le droit à la vie trouve sa source tant dans l’article 4 de la Charte africaine, l’article 2 CEDH, l’article 6 PIDCP que dans certains codes de conduite ou principes au plan universel (Voir annexe n° 01 ). Article 4 Charte africaine : La personne humaine est inviolable. Tout être humain a le droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne : nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. Article 2 CEDH : 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. 2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire: a. pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale; b. pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;

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c. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. Article 6 PIDCP : Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. NATURE ET AMPLEUR DE L’OBLIGATION : Pour appréhender la nature et l’ampleur de l’obligation de respecter le droit à la vie, nous allons nous inspirer de l’observation générale n°6 du Comité des Droits de l’homme des Nations Unies et des décisions de la Cour Européenne des droits de l’homme En effet, dans son observation générale n°6 relativ e au droit à la vie, au paragraphe 3, le Comité des Droits de l’homme estime que : « la protection contre la privation arbitraire de la vie, qui est expressément requise dans la troisième phrase du paragraphe 1 de l'article 6, est d'une importance capitale. Le Comité considère que les Etats parties doivent prendre des mesures, non seulement pour prévenir et réprimer les actes criminels qui entraînent la privation de la vie, mais également pour empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire. La privation de la vie par les autorités de l'Etat est une question extrêmement grave. La législation doit donc réglementer et limiter strictement les cas dans lesquels une personne peut être privée de la vie par ces autorités ». Dans une décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire KARAGIANNOPOULOS c. GRÈCE ( 21 juin 2007), la Cour a eu l'occasion de revoir sa jurisprudence relative à l'article 2 de la Convention. Elle décida ainsi que cette disposition s'applique même s'il n'y a pas eu décès de la victime, dès lors que la force utilisée à l'encontre d'une personne était potentiellement meurtrière et que c'est pur hasard si celle-ci a eu la vie sauve.

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Lorsque la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose en son article 4, relatif au droit à la vie, que «nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit », elle ne précise pas les circonstances dans lesquelles la privation de la vie peut se justifier. L’article 6 du PIDCP ne le précise pas non plus, mais l’observation générale n° 6 relative au droit à la vie, nous l’avons vu supra, précise que les législations doivent réglementer et limiter strictement les cas dans lesquels une personne peut être privée de la vie par les autorités. Les législations étant diverses et variées, il paraît utile de prendre l’exemple de la Convention européenne des droits de l’homme en son article 2. Le texte de l'article 2, pris dans son ensemble, démontre que le § 2 ne définit pas avant tout les situations dans lesquelles il est permis d'infliger intentionnellement la mort, mais décrit celles où il est possible d'avoir "recours à la force", ce qui peut conduire à donner la mort de façon involontaire. Le recours à la force doit cependant être rendu "absolument nécessaire" pour atteindre l'un des objectifs mentionnés aux alinéas a), b) ou c).6 Les termes "absolument nécessaire" figurant à l'article 2 § 2 indiquent que la force utilisée par des agents de l’Etat doit en particulier être strictement proportionnée aux buts mentionnés. (Cf. Cour eur. DH, arrêt McCann et al. c Royaume-Uni du 27 septembre 1995). OBLIGATIONS PROCÉDURALES Lorsque les autorités sont mises au courant de la mort d’une personne par le fait des agents de l’Etat, il leur est fait obligation de commander d’office une enquête. Cette enquête doit être menée par des enquêteurs indépendants, elle doit être effective et marquée d’une célérité et d’une diligence raisonnable avec un droit de regard suffisant du public7.

6 Cour eur. DH, arrêt McCann et al. c Royaume-Uni du 27 septembre 1995, § 148. 7 Cour eur. DH, arrêt McKerr c. Royaume-Uni du 4 mai 2001

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Pour atteindre ces objectifs, les autorités doivent agir d'office , dès que l'affaire est portée à leur attention. Elles ne sauraient laisser aux proches du défunt l'initiative de déposer une plainte formelle ou d'assumer la responsabilité d'une procédure d'enquête. D'une manière générale, on peut considérer que pour qu'une enquête sur une allégation d'homicide illégal commis par des agents de l'Etat soit efficace il faut que les personnes qui en sont chargées soient indépendantes des personnes impliquées. Cela suppose non seulement l'absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi une indépendance concrète. L'enquête doit également être effective en ce sens qu'elle doit permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances de l’affaire et d'identifier et de sanctionner les responsables . Il s'agit d'une obligation non pas de résultat, mais de moyen. Les autorités doivent en effet avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l'obtention des preu ves relatives aux faits en question , y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires, des expertises et, le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès. Toute déficience de l'enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause du décès ou les responsabilités risque de faire conclure qu'elle ne répond pas à cette norme. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. Même si l’on peut admettre qu'il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l'enquête de progresser dans une situation particulière, une réponse rapide des autorités lorsqu'il s'agit d'enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour

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éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux. Pour les mêmes raisons, le public doit avoir un droit de regard suffisant sur l'enquête ou sur ses conclusions, de sorte qu'il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité tant en pratique qu'en théorie. Le degré requis de contrôle du public peut varier d'une situation à l'autre. Dans tous les cas, toutefois, les proches de la victime doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes. QUESTIONS SPÉCIFIQUES : AVORTEMENT ET PEINE DE MORT En ce qui concerne l’avortement dans le système européen des droits de l’homme, on peut se référer à l’affaire du mari dont on avait refusé la demande visant à obtenir une injonction empêchant son épouse enceinte de mettre fin à sa grossesse (Paton c/ Royaume-Uni). Selon la Commission européenne des droits de l’homme, le droit à la vie du foetus ne l’emportait pas sur les intérêts de la femme enceinte car l’usage de l’expression « toute personne » figurant à l’article 2 de la CEDH et dans d’autres dispositions de la Convention tendait à étayer la thèse qu’elle ne s’appliquait pas au foetus. « La vie du foetus est intimement liée à la vie de la femme qui le porte et ne saurait être considérée isolément. Si l’on déclarait que la portée de l’article 2 s’étend au fœtus et que la protection accordée par cet article devait, en l’absence de limitation expresse, être considérée comme absolue, il faudrait en déduire qu’un avortement est interdit, même lorsque la poursuite de la grossesse mettrait gravement en danger la vie de la future mère. Cela signifierait que « la vie à naître » du foetus serait considérée comme plus précieuse que celle de la femme enceinte. » Sur cette question les avis sont partagés en Europe car la Convention elle-même ne parle pas expressément du droit à la vie du fœtus. Et

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alors chaque législation est particulière sur la question. La tendance est quand même de protéger la vie de la mère face à celle du fœtus. En Afrique, l’article 4 de la Charte africaine ne fournit aucun indice qui permette d’affirmer que le droit à la vie trouve à s’appliquer à un fœtus. Le protocole de Maputo relatif aux droits des femmes en Afrique non encore entré en vigueur précise en son article 14, 2, c, que les Etats prennent toutes mesures appropriées pour « protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus ». Le même texte en son article 14, 1, confère aux femmes africaines le droit au libre choix des méthodes de contraception et le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité. L’application de ces dispositions ne peut raisonnablement conduire à privilégier la vie du fœtus par rapport à celle de la femme enceinte pour autant que cette dernière ait une raison valable de se débarrasser de sa grossesse. En revanche, la Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant entrée en vigueur le 29 novembre 1999 tend à faire penser qu’un fœtus peut être considéré comme un être humain, donc comme ‘toute personne’, au sens de l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. En effet, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant définit l’enfant en son article 2 comme « tout être humain âgé de moins de 18 ans ». En vue de protéger ce dernier, la Charte met à la charge des Etats l’obligation de prendre des mesures aux fins de réduire la mortalité prénatale et infantile (article 14, 2, a de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant). Cela voudra –t- il dire que le fœtus doit être considéré comme un enfant, donc comme « tout être humain âgé de moins de 18 ans » qu’il faille protéger au sens de l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ?

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En répondant par l’affirmative, on serait amené à considérer que l’avortement est interdit même lorsque la grossesse menace la santé de la mère. Mais il serait absurde de vouloir protéger le droit à la vie d’un fœtus en acceptant de violer celui de sa mère. De plus, le protocole de Maputo qui protège la femme contre certains types de grossesse prendrait le contre-pied de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant qui semble protéger l’enfant depuis le ventre de sa mère sans aucune réserve. Quid de la peine de mort ? Il est contradictoire de consacrer « le droit à la vie » et « la peine de mort » dans un même instrument international de protection des droits de l’homme. Car la peine de mort ne saurait être un droit de l’homme. C’est pourquoi la tendance dans les différents traités internationaux va vers l’abolition de la peine de mort. C’est ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 6 du Pacte) au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en passant par l’Observation générale no 6 du Comité des droits de l'homme sur l'article 6 du Pacte (1982), on ne peut que conclure à l’abolition de la peine de mort. Lorsque nous consultons la Convention relative aux droits de l'enfant en son article 37, nous notons que les Etats parties veillent à ce que a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libérati on ne doivent être prononcés pour les infractions commises par de s personnes âgées de moins de dix-huit ans. S'il ressort des §§ 2 à 6 de l'article 6 que les Etats parties ne sont pas tenus d'abolir totalement la peine capitale , ils doivent en limiter

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l'application et, en particulier, l'abolir pour tout ce qui n'entre pas dans la catégorie des "crimes les plus graves ". Ils devraient donc envisager de revoir leur législation pénale en tenant compte de cette obligation et, dans tous les cas, ils sont tenus de limiter l'application de la peine de mort aux "crimes les plus graves". D'une manière générale, l'abolition est évoquée dans cet article en des termes qui suggèrent sans ambiguïté (par. 2 et 6) que l'abolition est souhaitable. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies estime que l'expression "les crimes les plus graves" doit être interprétée d'une manière restrictive , comme signifiant que la peine capitale doit être une mesure tout à fait exceptionnelle 8. Aujourd’hui, l’on peut se féliciter de l’adoption du 2ème protocole facultatif PIDCP visant à abolir la peine de mort qui vient clôturer le débat sur la question de l’abolition de la peine de mort. L’article premier du protocole dispose : 1. Aucune personne relevant de la juridiction d'un Etat partie au présent Protocole ne sera exécutée. 2. Chaque Etat partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction. Il reste que les Etats ayant ratifié ce protocole s’y conforment dans leur législation nationale. Au plan régional africain, les textes ci après interdisent la peine de mort : article 4 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples article 5 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant article 4 du Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes

8 Cf Observation générale n°6 relative au droit à la vie, § 7.

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En outre, il y a eu une session extraordinaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples suite à des exécutions capitales au Nigéria en 1995 et résolution sur la peine de mort en 1999. En Europe, on peut citer les textes ci-après relatifs à la question de la peine de mort : article 2 CEDH – droit à la vie Protocole 6 - abolition peine de mort Protocole 13 - abolition peine de mort en toutes circonstances Les arrêts Soering -1989 et Oçalan -2002 de la Cour européenne des droits de l'homme peuvent être intéressants à étudier dans ce cadre. OBLIGATION DE PROTEGER L’obligation de protéger qui pèse sur les Etats peut s’analyser dans les cas de disparitions forcées et d’éloignement du territoire. Selon le Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 6: le droit à la vie (27 juillet 1982) , “les États parties doivent aussi prendre des mesures spécifiques et efficaces pour empêcher la disparition des individus, ce qui malheureusement est devenu trop fréquent et entraîne trop souvent la privation arbitraire de la vie. En outre, les États doivent mettre en place des moyens et des procédures efficaces pour mener des enquêtes approfondies sur les cas de personnes disparues dans des circonstances pouvant impliquer une violation du droit à la vie”. Nous avons aussi comme source de cette protection la Convention internationale pour la protection de toutes les per sonnes contre les disparitions forcées approuvée par le Conseil des droits de l’homme lors de sa 1ère session, le 16 juin 2006 qui définit en son article 2 la disparition forcée comme:

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« l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté commis par des agents de l’Etat ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’Etat, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ». La convention contient en outre des dispositions relatives, notamment, à : - l’obligation d’incrimination des comportements visés - l’obligation de conduire une enquête indépendante et effective L’obligation d’établir sa compétence à l’égard des actes de disparition forcée commis sur le territoire ou par des nationaux de l’Etat concerné (voire, si l’Etat le juge approprié, lorsque la personne disparue a sa nationalité) et le principe aut dedere, aut judicare lorsqu’une personne soupçonnée d’avoir causé des disparitions forcées se trouve sur le territoire. Dans ce domaine, on peut citer l’affaire Cour IADH, arrêt Godinez Cruz c. Honduras du 20 janvier 1989. Pour étayer le cas d’éloignement du territoire qui pose problème en ce qui concerne l’obligation de protéger qui pèse sur l’Etat, nous allons citer l’arrêt Soering de la Cour Eur. D. H. (vu supra) C- OBLIGATION DE REALISER Cette obligation de réaliser le droit à la vie trouve sa meilleure justification dans le paragraphe 5 de l’Observation générale n°6 : le droit à la vie (1982) du Comité des droits de l’hom me : « De plus, le Comité a noté que le droit à la vie était trop souvent interprété de façon étroite. L'expression "le droit à la vie ... inhérent à la personne humaine" ne peut pas être entendue de façon restrictive,

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et la protection de ce droit exige que les Etats adoptent des mesures positives. A cet égard, le Comité estime qu'il serait souhaitable que les Etats parties prennent toutes les mesures possibles pour diminuer la mortalité infantile et pour accroître l'espérance de vie, et en particulier des mesures permettant d'éliminer la malnutrition et les épidémies ». II.2.2. INTERDICTION DE LA TORTURE Sources : Article 5 de la Charte africaine : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites » Article 3 CEDH : « Nul ne peut être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » Article 7 PIDCP : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. … » Portée de l’interdiction : L’interdiction de la torture a une portée absolue. C’est ce qui ressort de l’affaire Com. Afr. D.H.P., MBDHP v. Burkina Faso, 23 avril 2001, § 43: La communication fait état entre autres de la mort de citoyens abattus par balles ou décédés des suites de tortures, de même que de la mort du décès de deux jeunes élèves descendus dans la rue avec leurs camarades pour exprimer certaines revendications et soutenir celles des enseignants du secondaire et du supérieur. La Commission déplore l'usage abusif des moyens de violence de l'Etat contre des

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manifestants ; même lorsqu'il s'agit de manifestations non autorisées par l'autorité administrative compétente. L'article 5 de la Charte prohibe en termes absolus la torture physique ou morale et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime. Cet article ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Charte, il ne souffre nulle dérogation même en cas de danger public menaçant la vie de la nation. Par voie de conséquence, l’arrêt Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995 est l’occasion pour la Cour européenne des droits de l’homme d’indiquer (arrêt Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, Requête n° 18896/91, Recueil A 336, paragraphe 38) que : A l’égard d’une personne privée de sa liberté, tout usage de la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par le propre comportement de ladite personne porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention. Elle rappelle que les nécessités de l’enquête et les indéniables difficultés de la lutte contre la criminalité ne sauraient conduire à limiter la protection due à l’intégrité physique de la personne. Il est à noter qu’il existe même une présomption de violation de l’interdiction de la torture lorsqu’une personne détenue présente des blessures à sa libération alors qu’elle était en bonne santé au début de sa privation de liberté. On peut se référer à cet égard à l’arrêt Selmouni c. France du 28 juillet 1999 (Recueil 1999-V § 87) : La Cour considère que lorsqu individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible pour l’origine des blessures, à défaut de quoi l’article 3 de la Convention trouve manifestement à s’appliquer (Voir aussi Tomasi c. France, du 27 aout 1992 §§ 40-41 et §§108-111).

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L’absoluité du principe implique que le fait d'avoir agi sur les ordres d'autorités supérieures n'exonère pas de la responsabilité pénale attachée à la perpétration du crime de torture. L’atteinte ne peut être justifiée par les motifs poursuivis. De plus, chaque Etat voit sa juridiction étendue du fait qu’il est obligé de juger un responsable de crime de torture où qu’il soit commis ou alors de l’extrader afin qu’il soit jugé par un autre Etat. C’est qui ressort des dispositions telles que : art. 4 de la Convention interaméricaine sur la prévention et la répression de la torture, article 2 § 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; Comité des droits de l’homme, Obs. Générale n° 20 (1992), para. 3). Implications procédurales : Comme pour le droit à la vie, l’interdiction de la torture entraîne pour l’Etat une obligation procédurale d’effectuer une enquête officielle approfondie et effective en vue de l’identification et de la punition des responsables, chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des traitements contraires à l’article 5 de la Charte africaine. DEFINITIONS La torture a été définie par l’article 1 § 1 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984) comme : tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire

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pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. Notion de traitements inhumains ou dégradants Les notions employées dans l’article 5 de la Charte africaine et dans l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que dans la définition de la Convention contre la torture sont relatives par essence. Il faut faire une appréciation contextualisée de la notion. C’est ainsi que pour la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH, Chamaiev et 12 autres c. Georgie et Russie du 12 avril 2005, § 338) : Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des « données de la cause », et notamment de la nature et du contexte du traitement ainsi que de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la personne concernée (arrêt Irlande c. Royaume Uni). La Cour a estimé un certain traitement à la fois « inhumain », pour avoir été appliqué avec préméditation pendant des heures et avoir causé « sinon de véritables lésions, du moins de vives souffrances physiques et morales », et « dégradant » parce que de nature à créer chez les intéressées des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale (Irlande c. royaume Uni).

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Notion de torture La définition de la Convention contre la torture permet d’établir trois éléments constitutifs de la torture : intensité des souffrances, intention délibérée, but déterminé. En effet, outre la gravité des traitements, la notion de torture suppose un élément intentionnel, reconnu par la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, entré en vigueur le 26 juin 1987, qui précise que le terme « torture » s’entend de l’infliction intentionnelle d’une douleur ou de souffrances aiguës aux fins notamment d’obtenir des renseignements, de punir ou d’intimider (article1). Exemples d’application L’interdiction de la torture a vocation à s’appliquer à de multiples situations : Lors d’une arrestation ; Pendant une garde à vue ; Lors d’une tentative de fuite, évasion ; Sanctions disciplinaires et châtiments corporels ; Détention (personnes souffrant de troubles mentaux, personnes handicapées) ; Extradition ; Expulsion ; Refoulement ; etc.

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II.2.3. Interdiction de l’esclavage Sources L’interdiction de cette forme d’exploitation et d’avilissement se trouve tout d’abord dans des textes universels particuliers, i.e. qui ont pour objet spécifique d’interdire l’esclavage. Il s’agit par exemple de la Convention relative à l’esclavage, adoptée à Genève le 25 septembre 1926, entrée en vigueur le 9 mars 1927 et amendé par le Protocole du 7 décembre 1953, entré en vigueur le 7 juillet 19559. Ensuite, cette interdiction est reprise dans les textes universels à caractère général, comme la DUDH : son article 4 interdit aussi bien l’esclavage que la traite des esclaves. De même, le ICCPR interdit les deux pratiques (art.8), et en fait une interdiction à laquelle on ne peut déroger (art. 4 § 2). La nature non dérogatoire de l’interdiction de l’esclavage est reprise dans la CEDH (art. 4 §1 : ‘Nul ne peut être tenu en esclavage ou en servitude’ combiné à l’article 15 § 2 de la Convention). De même, les autres textes régionaux contiennent une interdiction semblable : art. 6 CADH, art. 5 CAfrDHP. Remarquons que la CAfrDHP a ceci de particulier qu’elle inscrit au sein du même article ce qui est séparé dans les autres conventions : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites ».

9 Code de droit international des droits de l’homme, 3è édition, 2005, p. 228.

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L’interdiction du travail forcé Selon la jurisprudence européenne, le travail forcé ou obligatoire, au sens de l’article 4 de la Convention européenne relative aux droits de l’homme, se définit par référence expresse à la définition donnée par la Convention de OIT n° 29 (art. 2 § 2), comme « to ut travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de son plein gré ». On peut se référer à cette occasion à l’arrêt Cour eur. D. H. Van der Mussele c/ Belgique, 23 novembre 1983, A. 70, § 32 dans laquelle la cour déclare que l’obligation pour un avocat stagiaire d’assister gratuitement un prévenu ne peut être qualifié de travail forcé et obligatoire. Par contre dans l’affaire Siliadin § 116, la Cour constate que « la requérante a, au minimum, été soumise à un travail forcé ». En effet, pendant trois ans, la requérante, mineure, d’origine togolaise, travailla dans une famille française environs quinze heures par jour, sans jour de repos, sans, être payée, sans être scolarisée, sans papiers d’identité (son passeport ayant été confisqué), sans que sa situation administrative soit régularisée, dormant par terre dans la chambre des enfants. La situation de contrainte, physique ou morale est caractéristique du travail forcé et elle patente dans l’affaire Siliadin. Les textes internationaux précisent que les la notion de « travail forcé » ne couvre pas un certain nombre de cas limitativement énumérés : service militaire ou service d’un objecteur de conscience, travail d’un détenu, travail en cas de force majeur ou de sinistre, travail résultant des obligations civiques normales. Ces exceptions reposent sur « les idées maîtresses d’intérêt général, de solidarité sociale et de normalité »10.

10 Frédéric Sudre, Page 314.

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En matière d’interdiction de travail forcé, il faut relever la spécificité de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Tout d’abord la Charte mélange dans un même article l’interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants et l’interdiction de l’esclavage et de la traite des personnes. C’est une différence fondamentale car toutes les autres conventions ont séparé ces deux interdictions qui sont de différents ordres et obéissent à différents critères d’analyse et de qualification. Mais la spécificité la plus remarquable est soulignée par Frédéric Sudre. Il remarque en effet que la Charte prohibe l’esclavage (art. 5) mais ne fait pas mention de l’interdiction du travail forcé et obligatoire, à la différence des autres conventions générales. « Surtout, la Charte précise que l’individu, au nom de l’ « obligation de solidarité » qui s’impose à lui, a le devoir de travailler et « de s’acquitter des contributions fixées par la loi pour la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la société » (art. 29, § 6) : une telle disposition, aux contours mal définis, est lourde d’incertitudes et ne permet pas d’affirmer que la Charte africaine reconnaît à l’individu le droit fondamental de ne pas être contraint de faire un travail contre son gré »11. Travail forcé, Servitude et Esclavage : Gradation La Convention de 1926 contient une définition de l’esclavage : L’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exerce les attributs du droit de la propriété ou certains d’entre eux12. C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme ne peut que constater que Mlle Siliadin n’a pas été « tenue en esclavage au sens propre » (§ 122).

11 F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, pp. 315. 12 Art. 1 § 1 de la Convention relative à l’esclavage.

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Une différenciation du champ d’application de chacun de ces concepts – travail forcé, servitude ou esclavage - a été esquissée par le juge européen, telle que la « servitude » apparaît comme moins que l’ « esclavage » mais comme plus que le « travail forcé »13. Le juge européen a donc fait de la notion de « servitude » un concept utile, permettant d’offrir la garantie de la protection aux victimes des détestables formes contemporaines d’asservissement et d’exploitation de la personne( prostitution, esclavage domestique, exploitation de la mendicité, prélèvement d’organes. La situation de Mlle Siliadin est ainsi qualifiée d’ « état de servitude » au sens de l’article 4 de la Convention » (§129). Il en résulte pour les Etats une obligation positive qui apparaît à la fois de nature substantielle et procédurale. En effet, cette obligation positive impose à l’Etat de promulguer une législation pénale permettant de punir effectivement le travail forcé et le maintien en état de servitude et de l’appliquer au moyen d’une enquête et de poursuites effectives. Il faut avouer les lacunes de la Charte africaine dans le domaine du travail forcé et de la servitude et prendre appui sur le droit international des droits de l’homme pour la compléter. C’est sans nul doute le travail du juge africain du moment où la Charte elle-même dispose que le juge s’inspire du droit international relatif aux droits de l’homme et des peuples pour déterminer les principes applicables (art. 60). Car même si la Charte impose à l’individu de travailler et de s’acquitter des contributions fixées par la loi (article 29), elle ne saurait autoriser le « travail forcé » au sens propre du terme. Il s’agit plutôt de souligner l’indétermination et le manque de précision qui caractérise la Charte par endroit et qui ne faciliterait pas la tâche du juge africain.

13 F. Sudre, op. cit., p. 315.

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II. 3. Les libertés de la personne physique Le droit à la liberté et à la sécurité et le droit à la libre circulation sont l’un et l’autre susceptibles de faire l’objet de dérogations et de restrictions. II.3.1. Le droit à la liberté et à la sécurité Sources : Le droit à la liberté et les modalités de sa privation sont inclues dans les majeurs textes internationaux : art. 6 CAfrDHP, art. 5 § 1 CEDH, art. 9 DUDH, art. 9 ICCPR. La Charte dispose que tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. Les motifs pour lesquels et les conditions dans lesquelles il peut y avoir privation de liberté n’ont pas été précisés par l’article 6 de la Charte africaine. Le juge étudiera au cas par cas les affaires selon la législation de chaque pays africain. Or, le dialogue des juridictions peut conduire le juge africain à considérer par exemple les conditions de privation limitativement énumérées par l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Principes : Deux principes généraux caractérisent le droit à la liberté. Premièrement, la liberté est le principe, la privation l’exception. Cela implique qu’une loi qui prévoit des limitations de la liberté doit être interprétée de façon restrictive.

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De plus, le droit à la liberté n’est pas un droit indérogeable, c'est-à-dire qu’il peut y avoir des situations exceptionnelles énumérées par l’article 4 du ICCPR et par l’article 15 de la CEDH dans lesquelles on peut y déroger. La Convention américaine prévoit également la possibilité de déroger au droit à la liberté (art. 27), mais la Cour américaine a précisé que dans ces cas, certaines conditions restent en vigueur, telle la garantie du habeas corpus : le droit à un recours n’est pas dérogeable selon elle14. De manière surprenante, la Charte africaine ne prévoit aucune dérogation à ce droit ni à aucun autre droit garanti par elle. C’est à croire que tous les droits doivent être respectés en toute circonstance. Ce qui n’est pas très réaliste lorsqu’on sait que l’Afrique est le continent sur lequel les violations des droits de l’homme sont plus accentuées. Contenu : Le droit à la liberté et à la sécurité vise à protéger la liberté physique de la personne contre toute arrestation et détention arbitraire ou abusive. Ce droit occupe une place centrale dans le dispositif protecteur des droits individuels. On a observé un cas de détention arbitraire de 11 militaires nigérians dans l’affaire Constitutional Rights Project c. Nigeria , Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 148/96, 26ème Session Ordinaire, Kigali, 15 novembre, 1999 : 15. Le gouvernement n'ayant pas présenté une autre explication pour la détention des 11 soldats, la Commission doit considérer qu'ils sont encore détenus pour des faits dont ils ont été acquittés au cours de deux procès séparés. Cela est une violation flagrante de l'article 6 et dénote d'un manque de respect choquant des jugements des tribunaux par le gouvernement nigérian.

14 Cité par Jean Yves Carlier, Syllabus du Cours d’Autonomie au Master Complémentaire en Droits de l’Homme, 2007-2008.

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16. Plus tard, (bien que ce n'était plus nécessaire comme ils avaient été jugés innocents), ces militaires ont été graciés, mais n'ont pas été libérés. Il s'agit encore une fois d'une violation de l'article 6 et il est incompréhensible que ces détenus ne soient pas encore libérés. La Commission a déclaré que l’article 6 de la Charte a été violé par le Gouvernement nigérian et recommandé que le Gouvernement se conforme aux jugements des tribunaux nationaux et libère les 11 militaires. L’Etat peut cependant priver de liberté des personnes qui représentent une menace pour l’ordre social. Si les autres instruments internationaux et régionaux ne précisent pas dans quelles conditions l’Etat peut détenir des individus, la CEDH en son article 5 § 1 dresse la liste de six cas autorisés de privation de liberté : Il s’agit par exemple de : détention après condamnation, détention d’un mineur, détention d’un aliéné, détention en vue d’une expulsion, détention d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse. La Cour européenne précise qu’il s’agit d’une liste exhaustive devant l’objet d’une interprétation étroite, ce qui ne laisse aux Etats qu’une très faible marge d’appréciation pour l’application de l’article 5 de la Convention15. Faut-il faire une différence entre privation et restriction de liberté ? La précision a été donnée par la CrEDH dans l’affaire Guzzardi v Italie16. Dans cette affaire, M. Guzzardi ne se trouvait pas en prison mais sur une île devant la côte de la Sardenne. L’Italie invoque donc qu’il ne s’agit pas d’une privation de liberté (art. 5) mais d’une limitation à la liberté de circulation. Selon cette dernière qualification l’Italie n’aurait pas pu être condamné. Toutefois, la Cour estime que :

15 F. Sudre, op. cit. p. 318. 16 CrEDH, Guzzardi v Italie, arrêt du 6 novembre 1980.

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Entre privation et restriction de liberté, il n’y a pourtant qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence. Le classement dans l’une ou l’autre de ces catégories se révèle parfois ardu, car dans certains cas marginaux il s’agit d’une pure affaire d’appréciation, mais la Cour ne saurait éluder un choix dont dépendent l’applicabilité ou l’inapplicabilité de l’article 517. II.3.2 Le droit à la liberté de circulation L’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose que : 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, sous réserve de se conformer aux règles éditées par la loi. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques. 3. Toute personne a le droit, en cas de persécution, de rechercher et de recevoir asile en territoire étranger, conformément à la loi de chaque pays et aux conventions internationales. 4. L’étranger légalement admis sur le territoire d’un Etat … ne pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi. 5. L’expulsion collective d’étrangers est interdite. L’expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux.

17 Ibid, §§ 50-54.

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Le droit de circuler et de résider librement sur le territoire d’un Etat est reconnu à tous sans exception, nationaux comme étrangers. Ce droit est accordé sous réserve de la régularité de la situation des étrangers. Ce qui renvoie au droit interne de chaque pays et laisse le soin à l’Etat de définir les conditions rendant régulières la présence d’un étranger sur son territoire. (Voy. Arrêt Piermont c/ France, 26 avril 1995 de la Cour européenne des droits de l’homme.) Les simples restrictions au droit de circuler relèvent donc de la liberté de circulation. Il peut s’agir par exemple de mesures préventives telles que l’assignation à résidence, le placement sous la surveillance de la police, le retrait du permis de conduire prises à l’encontre d’un individu appartenant à la mafia. La liberté de circulation peut se trouver liée à la liberté de réunion. Ainsi, un refus d’autorisation de déplacement dans le but de participer à une manifestation ou à une réunion peut constituer une ingérence dans le droit à la liberté de réunion. Le droit de quitter tout pays y compris le sien est reconnu par l’article 12 alinéa 2 de manière identique aux nationaux comme aux étrangers sans réserve. Par contre, ce droit peut faire l’objet de restrictions si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques. La Cour européenne a interprété ce droit comme impliquant le droit de se rendre dans un pays de son choix et incluant, en conséquence, un « droit au passeport ». Dès lors la dépossession d’un document d’identité tel un passeport constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté de circulation (Baumann c/ France, 22 mai 2001). La Charte garantit aussi le droit de rechercher et d’obtenir asile dans un pays étranger conformément à la loi de chaque pays et aux conventions internationales. Ce droit semble consacrer les mêmes prérogatives que celui de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat sauf que ici la raison valable selon la Charte est la persécution. La Charte interdit d’expulser sans une décision judiciaire un étranger établi régulièrement sur un territoire étranger. A cet égard, on peut faire allusion à Mohamed Lamine Diakité c. Gabon, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples,

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Communication 73/92, 27e Session Ordinaire, Alger, 11 mai 2000. Si cette communication avait été déclarée recevable et étudiée au fond par la Commission, l’article 12 al. 4 qui était en cause trouverait à s’appliquer. II.4. Les droits de procédure Les droits de procédure s’analysent en des garanties dont dispose un individu dans un état de droit pour faire valoir ses droits et libertés. Il s’agit essentiellement du droit à un procès équitable et du droit à un recours effectif. Les droits de procédure sont garantis par la Charte africaine en ces articles 3 et 7. Ne pouvant aller en profondeur sur ces droits ici, nous avons juste voulu préciser que le droit à un procès équitable et le droit à un recours effectif consacre le principe fondamental de la prééminence du droit dans une société démocratique. La protection des droits et libertés des citoyens seraient vide de sens si elle n’était pas confiée à une justice indépendante et impartiale. Les articles 3 et 7 de la Charte en constituent la base. Ces droits sont aussi reconnus par le PIDCP (art. 14.1), la CADH (art. 8) etc. III. DES DEVOIRS DE L’INDIVIDU Dans les dispositions de la Charte en son article 27. (1), chaque individu a des devoirs envers la famille et la société, envers l’État et les autres collectivités légalement reconnues, et envers la communauté internationale. L’article 28 dispose que chaque individu a le devoir de respecter et de considérer ses semblables sans discriminations aucune, et d’entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et renforcer le respect et la tolérance réciproques.

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La Charte semble transposer en droit des normes qui relèvent normalement de la morale, surtout lorsqu’il s’agit en son article 28 de respect, de considération et de tolérance envers ses semblables. Cela est d’autant plus vrai que le manquement à ces devoirs ne fait encourir à son auteur aucune sanction légale. Par ailleurs, la Charte en son article 29 met à la charge de l’individu un « devoir de travailler, dans la mesure de ses capacités et de ses possibilités ». Lorsque nous considérons le taux de chômage dans nos Etats africains, malgré les capacités et les possibilités que ces chômeurs pourraient offrir à leurs Etats respectifs, on peut se demander si « travailler » est un devoir de l’individu ou une obligation de l’Etat. « Travailler » ne devrait pas être un devoir pour l’individu à moins de considérer que la Charte ne reconnaît pas à l’individu son droit fondamental de ne pas être contraint de faire un travail contre son gré. Par conséquent, « le devoir de travailler » consacré par la Charte devrait être analysé comme une obligation pour l’Etat d’offrir à l’individu un travail selon ses capacités et ses possibilités ou de créer les conditions économiques et juridiques qui lui permettent de s’auto employer. Cette interprétation de l’article 29 (6) de la Charte paraît plus logique d’autant plus que le même alinéa précise plus loin que l’individu doit s’acquitter des contributions fixées par la loi pour la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la société. Conclusion Tous ces droits seraient inutiles si les individus qui en sont titulaires n’ont pas la possibilité de saisir l’organe juridictionnel de contrôle qu’est la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Il est donc important que les Etats acceptent la compétence de la Cour à connaître des communications individuelles après bien sûr l’épuisement des voies de recours internes. C’est la seule condition pour que les articles de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples aient un effet utile.

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LES DROITS DE LA FEMME EN AFRIQUE. Par Maître NYALUMA MULAGANO Arnold Il y a 360 ans 18les femmes de Londres adressèrent, en 1649, leur « humble requête » au parlement anglais, qui avait édicté, vingt ans auparavant, la Pétition of Rights de 1628.Elles posèrent la question suivante : « serait-ce que les libertés et les garanties des Pétition of Rights et autres bonnes lois du royaume ne sont pas faites pour nous comme pour les hommes ? » Aujourd’hui les femmes africaines sont en droit de poser la même question. En effet l’Afrique est parmi les continents où la marginalisation de la femme trouve sa base dans les coutumes et même dans des législatifs. La Charte africaine des droits de l’homme et de peuple n’a pas vider la question la règle d’égalité et non discrimination qu’il s’est avéré nécessaire de la compléter par un protocole additionnel. Adopté à Maputo le 11juillet 2003 ce protocole relatif aux droits de la femme n’a pas été ratifié par plusieurs Etats et rencontre des graves résistances même au sein de la société civile, y compris dans les mouvements féministes. Il y a donc une urgence pour un engagement en faveur des droits de la femme en Afrique, ce à quoi veut participer ce travail composé de trois chapitres. Le premier porte sur l’état de lieu des droits de la femme en Afrique, le second sur les droits garantis par le protocole et le troisième sur les mécanismes de sauvegarde.

1. Etat de lieu des droits de la femme en Afrique

Les enquêtes réalisées par la FIDH19 en 2007 au Mali, en Gambie, au Mozambique, au Niger, en République Centre Africaine renseignent que les mariages forcés ou précoces, les violences conjugales, les

18 Abderrahman Youssoufi, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans la lutte contre les violations des droits de l’homme » in UNESCO, Violations des droits de l’homme, quels recours, quelles résistances ? Paris, Imprimerie des Presses Universitaires de France, 1983, p.109 19 FIDH, L’Afrique pour les droits de la femme, http//www. africa4womensrights.org

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violences sexuelles, les mutilations génitales féminines, les trafics des femmes, la prostitution forcée, les pratiques traditionnelles discriminatoires, les difficultés d’accès à la propriété, au travail, à l’éducation, à l’héritage ou encore à la santé pour les femmes restent largement rependus sur le continent. Ces violations sont principalement favorisées par le déficit législatif en matière de droits des femmes qui prévaut dans de nombreux pays et qui leur est particulièrement préjudiciable. Ainsi, en Gambie, malgré les interdictions de toutes les discriminations fondées sur le genre, le Code Pénal n’interdit pas les mutilations génitales féminines et ne prévoit pas de sanction à leur encontre. En Afrique Australe, le vide juridique en matière de répression des trafics de femmes, contribue à la propagation de ce phénomène, en dépit des préoccupations soulevées par les experts du Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard de la femme, lors de l’examen du rapport remis par la Namibie. Au Mozambique, aucune loi ne pénalise jusqu’à présent les violences domestiques et conjugales bien que de phénomène, sous toutes ses formes soit massif et représente une des atteintes les plus graves aux droits des femmes mozambicaines. Au Niger, en l’absence de l’adoption de tout code de la famille, pourtant en projet depuis 1975 le droit des femmes à l’héritage, la répudiation et ses conséquences, le rôle et les droits des femmes au sein de la famille, ne sont pas garantis par la loi, mais régis par les droits coutumiers et traditionnels, ce qui entraîne de nombreux abus aux conséquences sociales particulièrement graves. Si ce déficit législatif empêche les femmes de faire valoir leurs droits, l’existence de lois discriminatoires matérialise juridiquement la violation de ces droits. Ainsi, au Mali, l’enquête mandatée par FIDH a permis de faire état de certaines dispositions législatives qui pénalisent les femmes dans le domaine de la santé, de la famille, de l’héritage, de même que dans de nombreux secteurs de la vie économique et sociale. Au Mozambique, malgré la promulgation en décembre 2004 du nouveau code de la famille, les dispositions en matière d’héritage restent insuffisantes, notamment dans le cadre de l’union de fait où le conjoint ne peut hériter directement des biens de son époux défunt, une disposition qui laisse de nombreuses femmes sans revenus.

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Si cette traduction juridique des discriminations à l’égard des femmes leur enlève toute possibilité d’avoir recours aux instances judiciaires pour défendre leurs droits, l’existence de lois en leur faveur n’est pas toujours synonyme d’une amélioration de leur condition du fait de pratiques faisant fi de la législation en vigueur. Ainsi, au Niger, où une loi criminalisant la pratique de l’esclavage a été promulguée le 13 juillet 2003, la persistance de cette pratique, en particulier à l’encontre des femmes, démontre la faible application dans les faits de cette législation. Au Burkina Faso, pourtant contraire à l’article 234 du code des personnes et de la famille, la pratique du lévirat, qui touche principalement les femmes dans les zones rurales, continue de porter atteinte à leur intégrité psychologique voire physique. Dans les pays en situation de conflit ou post-conflit les femmes sont particulièrement exposées aux violences sexuelles, souvent utilisées comme une arme de guerre, les femmes souffrent de la double peine de l’indifférence de la communauté internationale et d’une stigmatisé au sein de leur société. Ainsi, au Darfour, les milices et factions rebelles sont tenues responsables de violences dans le conflit qui sévit depuis 2003, touchant non seulement les populations locales mais également les personnels féminins des organisations humanitaires présentes sur le terrain. En République centre africaine, les femmes victimes de viols à l’occasion des combats entre groupes rebelles en 2002/2003. Une impunité prévaut au Togo, où des auteurs des crimes sexuels commis à l’occasion de la répression des manifestations antérieures et postérieures aux élections présidentielles d’Avril 2005, n’ont toujours pas fait l’objet de poursuites judicaires. En République Démocratique du Congo les femmes sont encore victimes d’enlèvements, de maltraitance ou de violences sexuelles systématiques avec une grande impunité. Les troupes et milices étrangères qui ont occupé le pays depuis 1996 ont utilisé les violences sexuelles pour soumettre et humilier les communautés locales. Cette pratique qui est devenue systématique a fait à ces jours plus d’un demi million de victimes et en dépit du vote des lois du 20 juillet 2006 sur les violences sexuelles, les auteurs restent impunis. Un peu avant ce

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désastre le Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, a fait les observations suivantes à propos de la situation des droits de la femme 20 le comité s'est déclaré vivement préoccupé par la situation des femmes zaïroises dans les zones où le conflit avait éclaté et où les populations de réfugiés étaient nombreuses. Le Comité a regretté que le rapport oral de l'État partie n'ait pas suffisamment souligné les liens étroits existant entre la discrimination contre les femmes, la violence à leur encontre et la violation de leurs droits et libertés fondamentales, eu égard en particulier à la situation régnant actuellement dans le pays. Le Comité a invité l'État partie, lors de la présentation de son rapport initial et des rapports ultérieurs, à donner des précisions sur les conséquences que le conflit armé avait eues sur la vie des femmes zaïroises et sur la vie des femmes réfugiées des pays voisins du Zaïre. A ce jour la situation s’est plutôt empirée comme indiqué avant. Des dizaines des milliers21 de femmes, de jeunes filles, de femmes âgées ont été violées, réduites à l’esclavage sexuel, aux travaux forcés, torturées, enterrées vivantes ou tuées. Ces agressions sexuelles de fillettes de six ans à des femmes de 75 ans ont été commises par toutes les forces combattantes. Selon les rapports des ONG, toutes les forces armées impliquées en RDC, y compris les forces armées gouvernementales, celles du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda ont commis des actes de violence. Pour certaines femmes, les assaillants ont utilisé leur appareil génital pour les violer ou ont enfoncé des pierres, des morceaux de bâton, des couteaux, des clous rouillés, des verres, des baïonnettes, des morceaux de bois pointus, du sable et du piment dans leur appareil génital. D’autres encore ont été violées à plusieurs reprises dans les

20 Observations finales du Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Zaïre, U.N. Doc. 21 Alphonsine Ndaya Kabulu, Congo : le droit contre les violences sexuelles quelle

protection pour les femmes victimes de violences a l’est de la République

démocratique du Congo au regard des droits de l’homme ?

http://www.universitedesfemmes.be

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camps militaires où elles ont été amenées pour y subir des sévices sexuels, faire des travaux de cuisine, de nettoyage. Certaines femmes enceintes ont été éventrées à l’arme blanche devant les membres proches de leur famille, ce que les assaillants qualifiaient de «césarienne obligatoire», d’autres encore ont vu leurs organes sexuels mutilés. Des nombreuses victimes de viol souffrent de fistules recto-vaginales, de prolapsus, c’est-à-dire descente de l’utérus dans le vagin, de fistules vésico-vaginales et de fistules provoquant l’incontinence urinaire et fécale22.

2. Les droits garantis Nous allons dans ce point insister sur les droits spécifiques à la femme ou les droits tout en appartenant à l’ensemble du genre humain ne se décline pas de la même manière pour les deux sexes. A. Economie générale - Elimination de toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes en Afrique et la mise en œuvre d'une politique d'égalité entre hommes et femmes. - Inclure dans leur constitution nationale et autres instruments législatifs ces principes fondamentaux et à veiller à leur application effective. - Intégrer à leurs décisions politiques, à leur législation, à leurs plans de développement, à leurs actions, la notion de discrimination fondée sur le sexe - Veiller au bien-être général des femmes - Le protocole s’inscrit en prolongation de l’article 2 de la Charte

22Déclaration de la MONUC, Sud-Kivu: 4.500 cas de violence sexuelle au cours de

six premiers mois de l'année, 27 juillet 2007, http://www.monuc.org.

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- Reconnaissance du rôle crucial des femmes dans la préservation des valeurs africaines - En dépit de la ratification par la majorité des Etats Partis à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et de tous les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, la femme en Afrique continue d'être l'objet de discriminations et de pratiques néfastes; A. Elimination de la discrimination à l’égard de la femme La discrimination à l'égard des femmes désigne toute distinction, exclusion, restriction ou tout traitement différencié fondés sur le sexe, et qui ont pour but ou pour effet de compromettre ou d'interdire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quelle que soit leur situation matrimoniale, des droits humains et des libertés fondamentales dans tous les domaines de la vie. Les auteurs du pacte préconisent les mesures suivantes pour éliminer les discriminations à l’égard de la femme : a. Adopter les mesures appropriées aux plans législatif, institutionnel et autre qui consistent pour les Etats à : - Inscrire dans la Constitution et autres instruments législatifs, si cela n'est pas encore fait, le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes, et à en assurer l'application effective -Adopter et à mettre en œuvre effectivement les mesures législatives et réglementaires appropriées, y compris celles interdisant et réprimant toutes les formes de discrimination et de pratiques néfastes qui compromettent la santé et le bien-être général des femmes -Intégrer les préoccupations des femmes dans leurs décisions politiques : législations, plans, programmes et activités de développement ainsi que dans tous les autres domaines de la vie; Prendre des mesures correctives et positives dans les domaines où des discriminations de droit et de fait à l'égard des femmes continuent d'exister , mesures que certains auteurs qualifient de discrimination positive mais qu’il convient d’appeler actions positives en vue de

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corriger les tares d’une inégalité structurelle qui ne se résoudre par la simple affirmation de l’égalité. - Appuyer les initiatives locales, nationales, régionales et continentales visant à éradiquer toutes les formes de discrimination à l'égard de la femme. Ainsi les actions des ONG en faveur des droits de la femme devraient bénéficier d’un appui de la puissance publique. b. Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturels de la femme et de l'homme, par l'éducation du public, par le biais des stratégies d'information, d'éducation et de communication, en vue de parvenir à l'élimination de toutes les pratiques culturelles et traditionnelles néfastes et de toutes autres pratiques fondées sur l'idée d'infériorité ou de supériorité de l'un ou l'autre sexe, ou sur les rôles stéréotypés de la femme et de l'homme. Il s’agit de briser les us et coutumes assez rependus en Afrique et qui briment la femme. A. Droit à la dignité

La dignité est une notion fondamentale dans la Charte, son inscription en faveur de la femme dans le pacte rappelle surtout l’urgence de lutter contre les violences sexuelles et verbales qui affectent la dignité de la femme jusqu’à la réduire à un simple objet. B. Droit à la vie, à l’intégrité et à la sécurité Au delà du contenu ordinaire de ces droits, cette disposition voudrait protéger la femme contre toutes formes d'exploitation, de punition et de traitement inhumain ou dégradant, les rapports sexuels non désirés ou forcés, qu'elles aient lieu en privé ou en public; non seulement le viol mais aussi les violences sexuelles conjugales incluant les rapports contre nature. Elle rappelle la nécessité d’identifier les causes et les conséquences des violences contre les femmes et prendre des mesures appropriées pour les prévenir et les éliminer. Elle réitère l’obligation pour les Etats de réprimer les auteurs de la violence à l'égard des femmes et réaliser des programmes en vue de

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la réhabilitation de celles-ci; de mettre en place des mécanismes et des services accessibles pour assurer l'information, la réhabilitation et l'indemnisation effective des femmes victimes des violences; de prévenir et condamner le trafic de femmes, poursuivre les auteurs de ce trafic et protéger les femmes les plus exposées. C. Interdiction des pratiques néfastes Les pratiques néfastes désignent tout comportement, attitude ou pratique qui affecte négativement les droits fondamentaux des femmes, tels que le droit à la vie, à la santé, à l'éducation, à la dignité et à l'intégrité physique. Pour éradiquer ces pratiques, les Etats s’engagent à sensibiliser tous les secteurs de la société sur les pratiques néfastes par des campagnes et programmes d'information, d'éducation formelle et informelle et de communication; interdire par des mesures législatives assorties de sanctions, toutes formes de mutilation génitale féminine, la scarification, la médicalisation et la para-médicalisation des mutilations génitales féminines et toutes les autres pratiques néfastes; apporter le soutien nécessaire aux victimes des pratiques néfastes et protéger les femmes qui courent le risque de subir les pratiques néfastes ou toutes autres formes de violence, d'abus et d'intolérance. D. Mariage Contrairement à plusieurs législations internes prétendument conformes à la tradition africaine, le mariage ne devrait pas conduire à l’infirmité juridique de la femme ou limiter ses droits, l’homme et la femme mariés ont les mêmes droits qu’ils exercent en partenaires égaux. Pour assurer cette égalité, les Etats veilleront à ce que aucun mariage ne soit conclu sans le plein et libre consentement de deux époux, d’où la fixation de l'âge minimum de mariage pour la fille à18 ans; âge elle est capable de donner un consentement libre et éclairé. La monogamie est encouragée comme forme préférée du mariage ; elle n’est donc pas imposée. Il nous semble qu’il est urgent de réfléchir

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aujourd’hui sur la compatibilité ou la possibilité de rendre compatible la polygamie à l’égalité entre mari et femme. Le mariage sera enregistré et les deux époux choisiront de commun accord leur régime matrimonial et leur résidence. E. Séparation de corps, divorce et annulation du ma riage

L’égalité entre époux prévaut aussi au moment de la dissolution du mariage. Pour s’en assurer , une intervention du juge est nécessaire pour prononcer la dissolution ou la séparation ; les décisions unilatérales, les instances coutumières ou religieuses où les garanties d’impartialité ne sont pas assurées ne sont pas admises à mettre fin aux effets du mariage. L’homme et la femme auront le droit de demander la dissolution ou l’annulation du mariage et lorsque celle-ci est prononcée ils auront les mêmes droits et devoirs envers les enfants et les biens du ménage. Ils auront également droit au partage équitable des biens communs acquis durant le mariage. F. Accès à justice et l’égale protection devant la loi

Ici il s’agit également d’un droit reconnu aussi bien aux hommes qu’aux femmes mais pour lesquels les dirigeants africains ont pensé (avec raison) que certaines mesures étaient nécessaires afin que les femmes puissent en jouir effectivement. Parmi ces mesures figure l’appui à l’accès effectif à des femmes à l'assistance et aux services juridiques et judiciaires; des actions éducatives, la formation des acteurs judiciaires sur l’interprétation et l’application de l’égalité des droits entre l'homme et la femme ; une représentation équitable femmes dans les institutions judiciaires, la réforme des lois et pratiques discriminatoires en vue de promouvoir et de protéger les droits de la femme…

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G. Droit de participation au processus politique et à la prise de décisions

Les femmes ont été pendant longtemps exclues de la gestion de la cité ; l’affirmation de la règle « une personne une voix » ne suffit pas pour redresser la situation. C’est pourquoi les Etats entreprennent des actions positives spécifiques pour promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays, à travers une action affirmative et une législation nationale et d'autres mesures. H. Droit à la paix

Pour matérialiser ce droit, les Etats ont pris l’engagement d’assurer l’éducation à la paix et à la culture de la paix; de mettre en place des mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits aux niveaux local, national, régional, continental et international. Le droit à la paix suppose aussi la réduction des dépenses militaires au profit du développement social en général, et de la promotion des femmes en particulier. Ce droit implique aussi la garantie des protections physiques, psychologiques, sociales et juridiques des requérants d’asile, réfugiées, rapatriés et personnes déplacées, en particulier les femmes. Enfin la mise sur pied des programmes de reconstruction et de réhabilitation post-conflits. I. Protection des femmes dans le conflit armé Le contenu de ce droit peut s’épuiser dans les règles dans les règles classiques du droit international humanitaire mais les auteurs insistent sur la protection contre toutes les formes de violence, le viol et autres formes d'exploitation sexuelle et à s'assurer que de telles violences sont considérées comme des crimes de guerre, de génocide et/ou de crimes contre l'humanité et que les auteurs de tels crimes sont traduits en justice devant des juridictions compétentes.

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I. Droit à l’éducation et à la formation Au contenu classique de ce droit, les Etats africains ajoutent pour la femme la nécessité d’éliminer tous les stéréotypes qui perpétuent cette discrimination ; la protection de la petite fille contre toutes les formes d'abus, y compris le harcèlement sexuel dans les écoles et autres établissements et prévoir des sanctions contre les auteurs de ces pratiques. Faire bénéficier les femmes victimes d'abus et de harcèlements sexuels de conseils et de services de réhabilitation; intégrer la dimension genre et l'éducation aux droits humains à tous les niveaux des programmes d'enseignement scolaire y compris la formation des enseignants. K. Droits économiques et protection sociale - Garantir aux femmes l'égalité des chances en matière d'emploi, d'avancement dans la carrière et d'accès à d'autres activités économiques. Cette égalité passe par l’accès à l'emploi; une rémunération égale des hommes et des femmes pour des emplois de valeur égale; - répression du harcèlement sexuel dans les lieux de travail; la liberté de choisir leur emploi et les protéger contre l’exploitation, promouvoir et soutenir les métiers et activités économiques des femmes, valoriser le travail domestique des femmes; garantir aux femmes des congés de maternité, droits aux mêmes indemnités et avantages, combattre l'exploitation ou l'utilisation des femmes à des fins de publicité à caractère pornographique ou dégradant pour leur dignité. J. Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction Les spécificités du protocole sur ce droit porte sur : le droit d'exercer un contrôle sur leur fécondité; le droit de décider de leur maternité, du nombre d'enfants et de l'espacement des naissances; le libre choix des méthodes de contraception; le droit de se protéger et d'être protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA…

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K. Les droits de la veuve Les Etats africains se sont engagés à ce que : -La veuve ne soit pas soumise à ce traitement inhumain, humiliant ou dégradant; - Après le décès du mari, la veuve devient d'office la tutrice de ses enfants, sauf si cela est contraire aux intérêts et au bien-être de ces derniers; - La veuve a le droit de se remarier à l'homme de son choix. L. Droit de succession La veuve a le droit à une part équitable dans l'héritage des biens de son conjoint. La veuve a le droit, quel que soit le régime matrimonial, de continuer d'habiter dans le domicile conjugal. En cas de remariage, elle conserve ce droit si le domicile lui appartient en propre ou lui a été dévolu en héritage. Tout comme les hommes, les femmes ont le droit d'hériter des biens de leurs parents, en parts équitables. M. Protection spéciale des femmes âgées Cette protection porte sur l’assistance que nécessitent les femmes âgées mais aussi sur leur protection contre les abus auxquels leur fragilité les expose. N. Protection spéciale des femmes handicapées Assistance et protection. O. Protection spéciale des femmes en situation de d étresse

Les femmes pauvres, les femmes chefs de famille, les femmes issues des populations marginalisées ainsi que les femmes en détention en état de grossesse ou allaitant. Q. Autres droits - Droit à la sécurité alimentaire - Droit à un habitat adéquat

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- Droit à un environnement culturel positif - Droit à un environnement sain et viable - Droit à un développement durable

3. Mécanismes de mise en œuvre

Comme protocole additionnel, les mécanismes de la Charte s’appliquent aux dispositions du protocole mais quelques précisions s’imposent. Les Etats s'engagent à garantir une réparation appropriée et s'assurer que de telles réparations sont déterminées par les autorités judiciaires, administratives et législatives compétentes ou par toute autre autorité compétente prévue par la loi.

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LES DROITS DE L’ENFANT EN AFRIQUE Par Maître NYALUMA MULAGANO Arnold Introduction La Charte Africaine des droits et du bien-être de l'enfant23, adoptée en juillet 1990 par l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), rappelle que " l'enfant occupe une position unique et privilégiée dans la société africaine ". La Charte égrène ensuite une série de normes dont certaines, hautement innovatrices, vont bien au-delà des exigences de la Convention aux Droits de l'Enfant (CDE) adoptée par l'ONU et entrée en vigueur en 1990, et placent l'enfant au cœur des enjeux et impératifs de paix, de développement et de progrès. Ce tableau donnerait à penser que les droits de l’enfant en Afrique sont à leur meilleur jours et pourtant la réalité et toute sombre. Les droits de l'homme des enfants africains sont violés tous les jours de leur vie, avec de graves conséquences qui s'étendent bien au-delà de leur enfance", a déclaré Amnesty International24. Dans la présente communication, nous ferons un bref aperçu sur la situation des droits de l’enfant en Afrique avant d’examiner les droits substantiels reconnus à l’enfant africain (en insistant sur les droits spécifiques). Nous allons clôturer par l’étude des mécanismes de sauvegarde mis en place par la Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant africain.

23 Extraits de l'article paru dans SEDOS Bulletin, vol. 35, n° 3-4, Mars -Avril 2003, pp. 42-48, www.Org

24 http://www.amnesty.org. for

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1. Etat de lieu

La dernière décennie du 20ème25 siècle aura été celle d'un engagement diplomatique, juridique et politique sans précédent en faveur des enfants… Malheureusement, pour la majorité des enfants africains, la grande espérance née de cette effervescente activité diplomatique et juridique attend toujours de prendre corps dans leur vie de chaque jour. A quoi tient cet échec du droit et du politique à garantir efficacement les droits de l'enfant en Afrique ? Si l'on peut relever l'absence de bonne foi de nombreux dirigeants africains, ce manque de volonté politique n'est pas seul en cause… Aux facteurs structurels qui tiennent à l'échec des politiques de développement économique et social, aggravé par la marginalisation dans le processus de mondialisation, s'ajoutent des facteurs conjoncturels liés à l'absence de démocratisation, à la déliquescence du pouvoir étatique, ainsi qu'à des conflits armés persistants.

A. La misère économique La grave crise économique que subit actuellement l'Afrique affecte au premier chef les enfants, " caste d'abandonnés, sans assistance et avec très peu d'espoir de s'en sortir". Ainsi, de plus en plus nombreux sont les enfants du continent qui sont contraints de se débrouiller par eux-mêmes pour survivre. Le travail est en passe de devenir la seule voie de survie de nombreux enfants en Afrique. En Côte d'Ivoire, par exemple, le gouvernement reconnaît que " la paupérisation des familles pousse les parents à avoir recours aux revenus du travail de leurs enfants ". De plus, dans les grands centres urbains du pays, on constate " l'existence d'une prostitution

25 Extraits de l'article paru dans SEDOS Bulletin, vol. 35, n° 3-4, Mars -Avril 2003, pp. 42-48, www, Org

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occasionnelle, masquée par des activités de façade (vendeuses ambulantes, petits gardiens, domestiques) et une prostitution professionnelle encadrée par des réseaux criminels évoluant en marge et hors de la loi. Au Gabon, on observe une augmentation du nombre d'enfants travaillant avant l'âge de 16 ans de manière informelle. Si certains enfants travaillent pour leur compte et à leur rythme (laveurs de voiture, gardiens sur les parkings), d'autres sont exploités par des adultes. C'est notamment le cas des enfants victimes de trafic (Bénin, Togo, Nigeria).

B. Un nouvel esclavage ? Le drame de la majorité des enfants utilisés comme main-d'œuvre corvéable dans les grandes plantations industrielles d'Afrique de l'Ouest et Centrale notamment, a conduit certains observateurs à soutenir que " l'esclavage et la traite des Noirs existent encore en Afrique, mais, cette fois-ci, les négriers sont les Africains eux-mêmes, et leurs marchandises, des enfants africains26. Force est malheureusement de reconnaître que l'extrémisme du propos est peut-être à la mesure de la démesure des tragédies vécues par les enfants sur ce continent. De manière générale, l'on observe que chaque année, quelque 200.000 enfants des régions les plus pauvres d'Afrique sont vendus comme esclaves27 Doublement victime - d'une crise économique galopante et d'une abominable résurrection du mythe de " Nègre dur à la tâche " - l'enfant africain est en train de devenir une " denrée " fortement sollicitée à travers le monde entier, à des fins d'exploitation économique ou sexuelle. En Europe, dans un pays comme la France par exemple, l'on constate une aggravation de

26 Joëlle Billé, Esclavage : le bateau de la honte, L'Autre Afrique, 19 décembre 2001-8 janvier 2002 ; in SEDOS op. cit.

27Olenka Frenkiel, Trafic d'enfants africains : Etireno, le bateau de l'esclavage, Courrier International n° 580, 13-19 décembre 2001, p. 66.

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la prostitution des mineurs de plus en plus souvent venus de l'étranger, en particulier d'Afrique.

C. Violence armée et défaite du droit

Dans ceux des pays devenus sans Etat, ou continuant miraculeusement de subsister avec tout juste un résidu d'institutions publiques (Somalie, Sierra Leone, Liberia, République Démocratique du Congo, Soudan, etc.), des générations entières d'enfants ne savent rien d'autre de la vie que la violence homicidaire à large échelle. Cette autre particularité des misères de l'enfant africain place la question des droits de l'enfant au confluent des exigences de la règle de droit et des contraintes de sécurité. Le phénomène des " enfants de guerre " est loin d'être une simple et marginale excroissance des situations de conflit armé. Il est en train de devenir une tendance générale qui, dans de nombreux pays, atteint une majorité d'enfants. Au Liberia, l'UNICEF estimait, en 1994, qu'à peu près 20 % des 60.000 combattants libériens étaient des enfants de moins de 17 ans. Nombre de ces combattants aux dents de lait étaient âgés de moins de 10 ans au moment de leur enrôlement dans l'armée de libération. Au Soudan, pays d'une région à forte tradition d'enfants combattants, ces " garçons perdus " sont encore plus nombreux. Au cours des 16 années de guerre civile au Mozambique, 10.000 enfants ont été enrôlés souvent de force dans la guérilla de la RENAMO ou au sein de l'armée gouvernementale28 Certains de ces braves " soldats " avaient tout juste 6 ans. Tout au long de la guerre civile mozambicaine, au moins 92 % des enfants ont été séparés de leur famille ; 77 % ont été témoins de meurtres en masse ; 88 % ont été témoins d'abus physiques ou de torture ; 51 % ont été eux-mêmes abusés physiquement ou torturés ; 63 % ont été témoins de kidnapping et d'abus et ont été obligés de travailler comme porteurs : 28 % des enfants kidnappés (tous des garçons) ont été entraînés comme combattants. En Angola, une enquête a révélé, en 1995, que 30 % des enfants avaient accompagné ou soutenu des soldats, et que 7 % des

28 Comité Français de l'UNICEF, Les enfants et la guerre, 1996, p. 12

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enfants angolais avaient fait feu sur un être humain. En Ouganda, on estime que l'Armée de Résistance Nationale (aujourd'hui au pouvoir) comptait quelque 3.000 enfants (dont 500 filles) dans ses rangs. Quant à l'Armée de Résistance du Seigneur, qui combat l'actuel gouvernement ougandais, on évalue à au moins 10.000 le nombre d'enfants enrôlés dans ses rangs. Ces enfants sont utilisés comme combattants, domestiques, porteurs ou esclaves sexuels. En Sierra Leone, depuis 1991, le terrifiant Front Révolutionnaire Uni avait pour " stratégie de guerre " de faire des razzias dans des villages, afin de capturer des enfants pour les engager dans ses rangs.

D. Dans les prisons S'agissant toujours du rapport de l'enfant à la violence, demeure également entière la question de la justice pénale et celle des droits de l'enfant en temps de paix ou de guerre. Généralement, les Etats Africains manquent à la fois de cadre juridique et de capacité institutionnelle dans ce domaine. Ainsi, par exemple, dans les prisons de Conakry, en Guinée, sont enfermés de nombreux enfants et mineurs de moins de 18 ans. Généralement, ce sont surtout des enfants qui vivaient dans la rue, car leur famille était trop pauvre pour s'occuper d'eux. Ils ont été arrêtés par la police parce qu'ils se bagarraient, mendiaient ou volaient pour manger. Partout en Afrique, des centaines - sinon des milliers - d'enfants sont entassés dans des prisons surpeuplées et de grande insanité. Ces enfants sont parfois dans les mêmes cellules que les adultes, qui mangent souvent les repas des jeunes. Au Rwanda, des centaines de gamins emprisonnés doivent répondre du terrible chef d'accusation de " génocide ". Généralement, ils ne bénéficient ni d'assistance juridique, ni d'aide psychologique appropriées.

E. L'avenir hypothéqué

L'ampleur des misères de ces enfants est telle que la distance demeure immense entre la réalité et les règles de droit. En adhérant

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aux instruments juridiques de protection des droits de l'enfant, les Etats africains souscrivent pourtant à des engagements d'où découlent des obligations internationales. S'agissant de la Convention relative aux droits de l'enfant, par exemple, les Etats parties s'engagent non seulement " à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention ", mais aussi " à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction " (article 2). L'UNICEF est sans ambiguïté sur la responsabilité, en la matière, des autorités publiques : " Les gouvernements et institutions internationales doivent assumer leurs responsabilités en ce qui concerne les initiatives qu'ils prennent pour placer la question des droits et du bien-être des enfants au premier rang des préoccupations ". Pour l'organisation statutairement chargée de promouvoir et de garantir le bien-être de l'enfance, " ceux qui ne le feront pas devront rendre des comptes ". Le continent continu néanmoins d'évoluer en marge ou hors des normes et principes auxquels il a librement souscrit. Quant à l'enfant africain, il est progressivement en passe de devenir le laissés-pour-compte de sociétés végétant elles-mêmes à la limite de la survie… L'Union africaine a mis en place des institutions et des lois de protection des droits des enfants en Afrique, mais les gouvernements africains ont encore à prouver leur engagement à faire plus que la multiplication de ces mécanismes juridiques, écrit Mireille Affa'a Mindzie.29 Les enfants ont le droit, sans discrimination, à des soins spéciaux et de la protection de leur famille, de la société et l'État. Bien que des pratiques telles que le travail des enfants ont une longue histoire en Afrique, et notamment les pratiques culturelles ou traditionnelles ont un impact négatif sur la santé et le développement de milliers d'enfants, il n'en est pas moins vrai que les enfants africains ont toujours reçu des soins et la protection de leurs parents et soignants.

29 http://www.pambazuka.org/en/category/comment/44416

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La modernisation a apporté avec elle un large éventail de violations subies par les enfants africains, tels que l'exploitation économique et sexuelle, la discrimination entre les sexes dans l'éducation et l'accès à la santé, et leur implication dans les conflits armés. Il est estimé que l'Afrique subsaharienne a le plus haut taux de travail des enfants dans le monde, avec environ 80 millions d'enfants, soit 41 pour cent des personnes de moins de 14 ans, Ces chiffres sont influencés par des facteurs tels que la migration , le mariage précoce, les différences entre zones urbaines et rurales, les enfants chefs de ménages, les enfants de la rue et de la pauvreté. En outre, alors que la mortalité infantile sur le continent a diminué entre les années 1970 et au début des années 1990, cette tendance s'est inversée depuis. Les maladies endémiques comme le paludisme et la tuberculose, ont sapé les efforts visant à atténuer et de décrochage de la propagation du VIH / sida. On estime que 19.000 enfants africains meurent chaque jour de maladies facilement curables, et que 80 pour cent du monde, le VIH - positive des enfants de moins de 15 ans vivent en Afrique. En ce qui concerne les conflits violents, à concurrence de 100000 enfants, parfois dès l'âge de neuf ans, a été pensée pour être impliqués dans les conflits armés, à la mi-2004.

2. Les droits reconnus à l’enfant africain

En Juillet 1990 les gouvernements africains ont adopté la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. La charte a été justifiée par plusieurs motifs, y compris les multiples compromis qui ont été nécessaires pour parvenir à l'adoption de la convention de l'ONU, la participation limitée des pays africains, dans sa rédaction, et l'absence de prise en compte de situations particulières à l'Afrique. La charte proclame une série de droits qui englobent les droits civils et des libertés fondamentales, économiques, sociaux et culturels, et des droits spécifiques pour la protection des enfants dans le contexte africain. Certaines des caractéristiques spécifiques de la Charte comprennent une plus grande définition de l'enfant que dans la

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convention des Nations unies, une interdiction stricte de la participation des enfants dans les conflits armés, la protection des enfants déplacés et réfugiés, la protection de la prison des femmes enceintes et les mères de nourrissons et jeunes enfants, et de la protection des jeunes filles qui deviennent enceintes avant la fin de leurs études. La charte réaffirme l'appel lancé en vue d'éliminer les pratiques sociales et culturelles qui affectent le bien-être, la dignité et le développement des enfants, y compris l'utilisation des enfants mendiants, les mariages d'enfants et les fiançailles des filles et des garçons À l'instar de la CDE, les principes fondamentaux guidant la mise en œuvre de ces droits de la non-discrimination, l'intérêt supérieur de l'enfant, la vie, la survie et le développement de l'enfant et la participation des enfants. Outre les droits de l'enfant, la charte prévoit les responsabilités que chaque enfant a, sous réserve de leur âge et de leur capacité, à la famille et la société, l'État et la communauté internationale. Le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant, créé en vertu de la charte, est chargé d'assurer la promotion et la protection des droits consacrés dans la Charte, pour surveiller leur mise en œuvre, d'interpréter les dispositions de la Charte à la demande de le faire par les États membres de l'Union africaine, par une institution de l'UA, ou par toute autre personne ou institution reconnue par l'UA ou de tout État partie, et d'entreprendre toute autre tâche qui lui est confié par l'assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement, le président de la commission ou tout autre organe de l'UA ou l'ONU.

A. Les obligations des Etats

L’article 1er rappelle les obligations qui se résument en …points : a. Engagement à prendre des mesures pour la réalisation

progressive des Droits contenus dans la Charte.

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Certains détracteurs des droits de l’homme ont vu en cette affirmation la négation de l’exigibilité. Disons avec le Comité 30 que « le fait de prévoir une démarche qui s'inscrit dans le temps, autrement dit progressive, ne saurait être interprété d'une manière qui priverait l'obligation en question de tout contenu effectif. D'une part, cette clause permet de sauvegarder la souplesse nécessaire, compte tenu des réalités du monde et des difficultés que rencontre tout pays qui s'efforce d'assurer le plein exercice des droits; d'autre part, elle doit être interprétée à la lumière de l'objectif global, qui est de fixer aux Etats parties des obligations claires en ce qui concerne le plein exercice des droits en question. Ainsi, cette clause impose l'obligation d'oeuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible pour atteindre cet objectif». Il s’agit d’une obligation d’agir31 ; « dans le texte anglais, l'obligation est "to take steps" (prendre des mesures); en français, les Etats s'engagent "à agir" et, dans le texte espagnol, "a adoptar medidas" (à adopter des mesures). Ainsi, alors que le plein exercice des droits considérés peut n'être assuré que progressivement, les mesures à prendre à cette fin doivent l'être dans un délai raisonnablement bref à compter pour les Etats concernés. Ces mesures doivent avoir un caractère délibéré, concret et viser aussi clairement que possible à la réalisation des engagements de l’Etat. L’engagement implique aussi une obligation de standstill. Le caractère progressif de ces droits implique l’interdiction de revenir sur les avancées dans la protection. Cette doctrine est confortée par la jurisprudence du conseil d‘Etat Belge32 qui a admis « que les articles

30 Comité des DESC, La nature des obligations des Etats parties, Observation générale n°3, 5è session,1990,www.aidh.org/ONU-GE/Comité-Drteco/hp-desc.htm 31Comité des DESC, La nature des obligations des Etats parties, Observation générale n°3, 5è session,1990,www.aidh.org/ONU-GE/Comité-Drteco/hp-desc.htm

32 Conseil d’Etat Belge, 6 septembre 1989, M’Feddal e crts c. l’Etat belge. Avec une note de Michel LEROY, « Le pouvoir, l’argent, l’enseignement et les juges », cité par Jean –Marie Dermagne, La gratuité dans l’enseignement, Bernadette Schepens (dir.) Quels droits dans l’enseignement ? Enseignants, Parents, Elèves ; Actes du colloque

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13 et 14 du PIDESC n’imposent pas immédiatement et inconditionnellement de rendre l’enseignement primaire gratuit à tous. Ils imposent de tendre vers cette gratuité .Implicitement, mais certainement, ils interdisent toute- fois aux Etats d’édicter des mesures qui iraient à rebours de l’engagement qu’ils ont pris. Cet engagement comporte au minimum le droit de clichage de la situation existante». Pour le comité33 « tout laisse supposer que le pacte n’autorise aucune mesure régressive s’agissant du droit à l’éducation, ni d’ailleurs des autres droits qui y sont énumérés. S’il prend une mesure délibérément régressive, l’Etat partie considéré doit apporter la preuve qu’il l’a fait après avoir mûrement pesé toutes les autres solutions possibles et qu’elle est pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits visés dans le pacte et à l’ensemble des ressources disponibles. Ainsi, à l’examen du rapport de Maurice le comité s’est dit préoccupé par la réintroduction de frais d’étude au niveau tertiaire, ce qui constitue un pas en arrière délibéré. b. Affirmation de la clause la plus favorable Lorsque les Etats ont pris dans leurs lois internes ou à travers d’autres Conventions des engagements plus favorables à l’enfant que ceux contenus dans la Charte, ils ne peuvent se fonder sur celle-ci pour se soustraire de ses obligations. La Charte vient donc compléter la protection existante et non la réduire. c. Engagement à supprimer les coutumes « jus-cide ». Les coutumes, traditions, pratiques culturelles ou religieuses contraires aux droits contenus dans la Charte seront découragées. Cette disposition trouve sa pertinence dans le fait qu’il subsiste en Afrique des coutumes liberticides alors que des nombreuses juridictions africaines appliquent abondamment la coutume et la CADHP inscrit la tradition africaine parmi les sources du droit applicable par la Cour.

des13 et 14 mai 1993, Faculté de Droit de Namur, Centre de Droit régional, Namur, 1994, p.35 33 Sciotti-Lam, op.cit ; pp.239-240

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B. Qui est enfant ? Sur ce point l’instrument africain a un niveau de protection que n’ont pas atteint beaucoup d’autres instruments. L’enfant est tout être humain âgé de moins de dix ans (Art.2). Il n’y donc pas cette dérogation qui souvent donne privilège aux législations nationales de raccourcir la majorité, ce qui finalement aboutit à vider la législation de tout sens. La question se situe au commencement de la vie et là il s’observe une divergence entre Etats. Il me semble néanmoins que l’intérêt supérieur de l’enfant commande que « l’enfant simplement conçu soit considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt ».

C. Intérêt supérieur de l’enfant

Dans toute action ou décision qui concerne l’enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci sera la considération primordiale (Art. 4). La Charte ne définit pas la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Il sert néanmoins de critère d’appréciation des actions politiques et décisions des autorités, le principe étant que si de choix doivent être faits, il conviendra d’opter pour celui qui est le plus favorable à la vie, au bien être, à la croissance …de l’enfant. Ce principe directeur sera examiné même lorsque l’Etat n’a pas décidé, il s’agira de dire si l’absence de décision profite à l’enfant. Nous pouvons considérer l’interdiction de la peine de mort contre les enfants (Art. 5) comme une des expressions de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant.

D. Le droit à l’éducation

Ce droit est prévu à l’article11 qui inique les buts de l’éducation notamment la promotion et le développement de la personnalité, le respect des droits humains, le renforcement des valeurs morales…Il affirme ensuite le droit à l’instruction qui comprend la gratuité de

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l’enseignement, l’obligation scolaire, le pluralisme éducatif et la liberté de l’enseignement, l’égalité devant l’école. Certains auteurs y voient pour l’Etat l’obligation de création et financement des écoles. A ce minimum standard il faut ajouter l’engagement de prendre des mesures spéciales pour la scolarisation des jeunes filles, l’humanisation du régime disciplinaire…

E. Droit aux loisirs, activités récréatives et cult urelles (Art .12)

La Charte affirme par là l’importance des activités récréatives pour l’épanouissement de l’enfant. Si la charge de ce droit incombe aux parents, l’Etat devrait aménager des conditions nécessaires notamment créer et encadrer les infrastructures et les structures nécessaires.

F. Protection spéciale pour les enfants handicapés (Art.13 )

Au regard des difficultés que rencontrent les enfants handicapés dans leur évolution normale, les Etats se sont engagés à une assistance spéciale en leur faveur ainsi que ceux qui ont leur charge. Cette assistance doit aider l’enfant handicapé à pouvoir vivre de manière autonome. Elle s’inscrit dans les limites des moyens dont dispose l’Etat, mais l’Etat pour s’affranchir de ses obligations devra prouver qu’il a mobilisé le maximum de ses ressources, y compris l’aide internationale.

G. Travail des enfants

Cette disposition réfère aux législations nationales pour organiser des mécanismes de protection de l’enfant contre l’exploitation en milieu professionnel. Les défenseurs des droits de l’enfant veilleront à s’assurer que l’Etat respecte un équilibre parfois délicat entre le besoin du plein épanouissement de l’enfant qui le voudrait en dehors du milieu professionnel et les urgences de survie qui voudraient que

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l’enfant à un certain âge puisse utiliser ses potentialités pour combattre la misère.

H. Protection contre l’abus et les mauvais traiteme nts

Les Etats s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre les maltraitances dont les enfants sont victimes en Afrique. Il suffit de penser à certaines pratiques coutumières, au sort des enfants accusés de sorcellerie, aux enfants dépourvus de cadre familial …Ces mesures comprennent des procédures effectives pour la création d'organismes de surveillance spéciaux chargés de fournir à l'enfant et à ceux qui en ont la charge le soutien nécessaire ainsi que d'autres formes de mesures préventives, et pour la détection et le signalement des cas de négligences ou de mauvais traitements infligés à un enfant, l'engagement d'une procédure judiciaire et d'une enquête à ce sujet, le traitement du cas et son suivi. La Cour constitutionnelle Sud africaine dans son arrêt S. contre William a déclaré inconstitutionnelle les châtiments corporels contre les enfants. Cette affaire concernait six mineurs, qui avait été condamné à recevoir une "correction modérée" d'un certain nombre de coups de canne avec une lumière en termes de l'article 294 du Code de procédure pénale de 1977. La Cour a déclaré inconstitutionnels les châtiments corporels sur le motif qu'ils violent la dignité, et le droit de ne pas être traité ou puni dans un des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans l’affaire « L'éducation chrétienne de l'Afrique du Sud contre le ministre de l'Education » la question était de savoir si le Parlement, en interdisant les châtiments corporels dans toutes les écoles, a inconstitutionnellement limité les droits des parents d'enfants dans les écoles indépendantes qui, conformément à leurs convictions religieuses, ont consenti à la "correction corporelle" de leurs enfants par les enseignants. Une association chrétienne de 196 établissements indépendants ont fait valoir que "la correction corporels" est une partie intégrante de la philosophie chrétienne, et que l'interdiction imposée par l'article 10 de la loi sur les écoles devrait être déclarés nuls. Dans sa décision la Cour a pris en considération l'importance du droit de l'enfant à la dignité et le droit d'être libre de

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toutes les formes de violence. Ici, les parents ne sont pas fondés à choisir entre l'obéissance à la loi ou à la suite de leur conscience. Ils ont été empêchés d'autoriser les enseignants à remplir ce qu'ils considéraient comme leur droit biblique. La Cour a refusé d'accorder une dérogation qui permettrait à des châtiments corporels dans les écoles.

I. Justice pour mineurs

Tout enfant accusé ou déclaré coupable d’avoir enfreint la loi pénale a droit à un traitement spécial compatible avec le sens qu’a l’enfant de sa dignité et de sa valeur, et propre à renforcer le respect de l’enfant pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales des autres. Cette disposition voudrait que l’enfant en conflit avec la loi soit dans la mesure du possible soumis à des mesures de rééducation plutôt qu’à une procédure judiciaire. Et si les poursuites ne peuvent être évitées, les garanties particulières liées à sa condition seront prises notamment pour veiller à ce qu’aucun enfant qui est détenu ou emprisonné, ou qui est autrement dépourvu de sa liberté ne soit soumis à la torture ou à des traitements ou châtiments inhumains ou dégradants ; que les enfants soient séparés des adultes sur les lieux de détention ou d’emprisonnement … Tout naturellement les garanties traditionnelles du procès équitable seront reconnues à l’enfant et il sera déterminé un âge où toute responsabilité pénale de l’enfant sera exclue. Les lois nationales devraient déterminer le civilement responsable pour des cas où l’enfant devrait être condamné à des réparations civiles. Lorsque l’enfant est victime de violation de ses droits et qu’il a l’âge de discernement, il lui sera donné la possibilité de participer à la procédure.

J. Protection de la famille et adoption

Les gouvernants africains expriment la valeur reconnue à la famille et le rôle qu’elle joue comme cadre de vie de l’enfant. D’où la nécessité de sa protection par l’Etat. Les mesures de protection porteront

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notamment sur l’égalité de droits et de responsabilités des époux à l’égard des enfants durant le mariage et pendant sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions sont prises pour assurer la protection des enfants. Les enfants seront traités de manière identique, qu’ils soient dans le mariage ou hors mariage. Les Etats qui reconnaissent le système de l’adoption veilleront à s’assurer qu’elle se déroule dans l’intérêt de l’enfant, que des contacts sont maintenus avec la famille biologique, d’où la priorité sur l’adoption à l’intérieur du pays et qu’elle ne s’apparente pas à la vente d’enfant notamment en cas d’adoption transnationale.

K. Soins et protection par les parents et responsab ilité de ceux-ci

La Convention impose aux parents de protéger leurs enfants et si possible de résider avec eux. La séparation entre parents et enfant ne peut intervenir qu’à l’issue d’une décision judiciaire et ce, dans l’intérêt de l’enfant. Même dans ce cas, l’enfant doit avoir des relations personnelles et des contacts directs avec ses parents. Dans l’impossible l’Etat devra trouver une personne qui continuera à assumer l’autorité parentale avec les mêmes obligations de protection. Les parents ou ceux qui exercent l’autorité parentale sont responsables au premier chef de son éducation et de son épanouissement. A cet effet ils ont le devoir de veiller à ne jamais perdre de vue l'intérêt supérieur de l’enfant ; d’assurer, compte tenu de leurs aptitudes et de leurs capacités financières, les conditions de vie indispensables à l’épanouissement de l’enfant ; de veiller à ce que la discipline domestique soit administrée de manière à ce que l’enfant soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité humaine. Les Etats parties à la Charte s’engagent à suppléer aux carences des parents démunis et notamment à organiser les services de garderie pour les parents qui travaillent. Les Etats ne sont tenus que dans la limite de leurs moyens et situation nationale, ce qui pourrait parfois

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justifier leur inertie et abandonner l’enfant à son triste sort. Un examen minutieux doit être fait sur l’utilisation des moyens disponibles. Les Etats veilleront à trouver des alternatives notamment des foyers d’accueil pour les enfants dépourvus de cadre familial et ouvreront à la réunification familiale. A défaut l’Etat manque à ses obligations internationales ; ainsi sur la situation en RDC34, le Comité (de N.U.) est préoccupé par le nombre élevé d'enfants vivant et/ou travaillant dans la rue et par la précarité de leur situation. Le Comité est préoccupé, entre autres, par le fait que ces enfants n'ont pas suffisamment à manger et qu'ils n'ont pas accès à des services médicaux et éducatifs, qu'ils sont exposés à des risques de plusieurs ordres, notamment ceux liés à l'abus de drogues, à la violence, aux maladies sexuellement transmissibles et au VIH/SIDA. Le Comité déplore en outre la tendance du système de justice pénale à traiter ces enfants comme des délinquants. Le Comité engage instamment l'État partie à renforcer son assistance en faveur des enfants vivant et/ou travaillant dans la rue, entre autres en étudiant les causes de ce phénomène et en mettant en œuvre des mesures de prévention, ainsi qu'en améliorant la protection des enfants déjà dans cette situation, notamment en leur offrant une éducation, des services médicaux, de la nourriture, un abri convenable et des programmes destinés à les aider à renoncer à vivre dans la rue. Le Comité prie instamment l'État partie de veiller à ce que les enfants vivant ou travaillant dans la rue ne soient pas traités comme des délinquants parce qu'ils sont dans la rue ou qu'ils mendient. Read the judgmentDans l’affaire Gouvernement de la RSA et autres contre Grootboom et d'autres la cour a examiné si les citoyens peuvent forcer l’Etat à agir positivement pour répondre à leur situation sociale et économique des droits. Dans la question c’est l'article 26 de la Constitution, qui donne à chacun le droit d'accès à un logement convenable, et l'article 28 (1) (c), qui offre aux enfants le droit au logement. Irène Grootboom, qui a porté l'affaire, a été l'un de 390 adultes et 510 enfants vivant dans des conditions effroyables dans

34 Human Rights Watch

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Wallacedene informelle. La Haute Cour a constaté que les enfants et, à travers eux, leurs parents ont le droit au logement en vertu de l'article 28 (1) (c). La Cour constitutionnelle, dans une décision unanime, a noté que la Constitution de l'État impose l'obligation d'agir positivement pour aider les personnes vivant dans des conditions déplorables. Il doit fournir un logement, les soins de santé, suffisamment de nourriture et d'eau, et de la sécurité sociale à ceux qui sont incapables de subvenir à leurs besoins et de leurs personnes à charge. La dignité humaine, la liberté et l'égalité ont été refusées à ceux qui vivent sans nourriture, habillement ou logement. La Cour a reconnu que cela était une tâche extrêmement difficile et n'a pas le pouvoir d'obliger l'Etat à aller au-delà de ses ressources disponibles ou à la réalisation de ces droits immédiatement. Mais l'État a un devoir de donner effet à ces droits et à mettre progressivement en place raisonnables, législatives et autres mesures visant à satisfaire le droit en question. Il a ensuite condamné l’Etat car le programme en vigueur dans le domaine à l'époque était loin de cette obligation. La Cour a ordonné à l'État de fournir des secours pour les personnes désespérées qui n'ont pas été satisfaites.

L. Protection contre les pratiques négatives social es et culturelles

Les Etats parties à la Charte prennent toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales qui sont au détriment du Bien-être, de la dignité, de la croissance et du développement normal de l’enfant. Il s’agit notamment de coutumes et pratiques préjudiciables à la santé, voire à la vie de l’enfant, celles discriminatoires. Des mesures législatives seront prises pour interdire les mariages d’enfants et la promesse de jeunes filles et garçons en mariage et imposer l’enregistrement des mariages et des naissances.

M. Enfants et Conflits armés Le phénomène d’enfants soldats est l’un des fléaux qui ternissent l’image de l’Afrique et malgré les efforts de répression (Thomas

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Lubanga, Charles Taylor…) le phénomène ne fait que s’accroître. C’est pourquoi les Etats s’engagent à éviter l’engagement des enfants sur le terrain des hostilités, qu’ils s’agissent de l’enrôlement volontaire ou de la circonscription. Ils s’engagent ainsi à respecter les règles du droit humanitaire notamment celles relatives à la protection des populations civiles et de prendre des mesures appropriées pour les enfants affectés par le conflit. Les mesures appropriées seront prises pour les enfants réfugiés ou déplacés à l’intérieur d’un pays que ce soit par suite d’une catastrophe naturelle, d’un conflit interne, de troubles civils, d’un écroulement de l’édifice économique et social, ou de toute autre cause.

N. Exploitation sexuelle L’exploitation économique des passions sexuelles des enfants est aussi un fléau en Afrique. Des mesures notamment pénales devront être prises par les Etats pour décourager ces pratiques qui non seulement violent la dignité de l’enfant mais aussi compromettent son épanouissement voire sa vie au regard des IST auxquelles il se trouve s’exposé.

O. Autres dispositions La charte contient aussi des dispositions pour protéger l'enfant contre l'usage des drogues, leur production et leur trafic. Ils s’engagent aussi à lutter contre la vente, la traite, l’enlèvement et la mendicité des enfants. Des mesures alternatives seront prises pour empêcher que les femmes ne soient emprisonnées avec leurs enfants ou à la limite trouver des installations appropriées lorsque l’emprisonnement ne peut être évité.

P. Responsabilités des enfants Comme dans d’autres instruments africains, la charte contient une disposition sur les devoirs et responsabilités. Tout enfant a des responsabilités envers sa famille, la société, l'Etat et toute autre communauté reconnue légalement ainsi qu'envers la communauté

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internationale. Il s’agit entre autre oeuvrer pour la cohésion de sa famille, respecter ses parents, ses supérieurs et les personnes âgées en toutes circonstances et de les assister en cas de besoin ; servir de communauté nationale en plaçant ses capacités physiques et intellectuelles à sa disposition ; de préserver et de renforcer la solidarité de la société et de la nation ; de préserver et de renforcer les valeurs culturelles africaines ; préserver et de renforcer l'indépendance nationale et l'intégrité de son pays ; contribuer au mieux de ses capacités, en toutes circonstances et à tous les niveaux, à promouvoir et à réaliser l'unité africaine. Ses devoirs s’exercent dans les limites de l’âge et les capacités de l’enfant et sous réserve des restrictions contenues dans la Charte.

3. Contrôle de la mise en œuvre de la Charte : le r ôle du Comité d’experts sur les droits et le bien être de l’enfant

Le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l’enfant, l'organe de contrôle de la charte, est le principal mécanisme de promotion et protection des droits des enfants en Afrique. Il est composé de onze membres ayant les plus hautes qualités de moralité, d'intégrité, d'impartialité et de compétence pour toutes les questions concernant les droits et bien-être de l'enfant. Les membres du Comité siègent à titre personnel. Le Comité ne peut comprendre plus d'un ressortissant du même Etat. Les membres du Comité sont élus au scrutin secret par la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement sur une liste de personnes présentées à cet effet par les Etats parties. Les membres du Comité sont élus pour un mandat de cinq ans et ne peuvent être rééligibles. Le comité est compétent pour examiner les rapports périodiques des États parties sur les mesures qu'ils ont adoptées pour donner effet aux dispositions de la Charte, pour examiner des communications individuelles ou des plaintes concernant toute question visée par la

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charte, et d'enquêter sur toute question relevant du champ d'application de la charte. La Cour Africaine peut-elle sanctionner les violations de la Charte des droits et du bien être de l’enfant africain ? La création du Comité comme mécanisme spécifique enclin à une réponse négative mais l’article 7 du protocole portant création de la Cour qui autorise la Cour à appliquer « tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par l’Etat concerné » peut permettre à la Cour de sanctionner le manquement à la Charte précitée. Ainsi les deux mécanismes seraient complémentaires.

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DROITS DE L’HOMME ET SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION EN AFRIQUE Par M. Félix AHOUANSOU Traiter le thème « droits de l’homme et société de l’information » revient à traiter la question « quels problèmes pose la circulation des données à caractère personnel par rapport à la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes ? ». A priori, il n’y a pas de mal à voir apparaître une nouvelle société de l’information qui facilite la communication et le traitement de l’information sous forme numérique. C’est même un signe de développement qui se sent beaucoup plus en occident que dans les pays africains. Or la vie privée des personnes se trouverait mal protégée si aucune réglementation n’accompagne cette expansion fulgurante des Technologies de l’information et de la communication (TIC). En effet, la notion de ‘’vie privée’’ est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale de la personne. Elle peut englober la sphère d’intimité de l’individu, ses choix existentiels, le traitement d’informations personnelles le concernant et sa vie sociale. Le 14 décembre 1990, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté des « Principes directeurs pour la réglementation des fichiers informatisés concernant des données à caractère personnel » dans sa résolution 45/95 du 14 décembre 1990 (voir infra). Le siège de la protection de la vie privée dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples se trouve à l’article 4 qui dispose que « … Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne : nul ne peut être privé

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arbitrairement de ce droit ». Voici le droit bien énoncé dans la Charte mais il n’existe pas de directives au plan régional ni de lois au plan national qui précisent les moyens de protéger les personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel. Il faut toutefois signaler que le parlement béninois vient d’adopter une loi sur la protection des données à caractère personnel. Puisque les africains sont des êtres humains dont les vies privées doivent être protégées aussi, je me permets d’exposer dans cet article les dispositions de la directive 95/46 du Conseil de l’Europe relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. L’objectif de cet article est double : susciter l’émergence dans les législations nationales africaines de telles dispositions sous forme de lois et avertir les usagers des TIC des dispositions en vigueur sur les autres continents, le monde étant devenu un village où les gens de tous les continents se côtoient. L’objectif de la réglementation est plutôt, d’une part, d’établir l’équilibre entre le droit des « ficheurs » d’utiliser des données personnelles et celui des « fichés » de contrôler ces utilisations, et, d’autre part d’établir l’équilibre entre la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes et la libre circulation des données personnelles. Pour traiter cette question, nous allons aborder la protection des données à caractère personnel (I), Internet et vie privée (II) et, vie privée et nouvelles techniques de surveillance (III), bien entendu sans avoir la prétention de vider la question.

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I- LA PROTECTION DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL I.1. DÉFINITIONS Avant d’aller en profondeur, il convient de définir un certain nombre de notions qui seront utilisées plus loin dans cet article. Il s’agit de : -Les données à caractère personnel -Le traitement de données à caractère personnel -Fichiers de données à caractère personnel -Le responsable du traitement et le sous-traitant ; et -Le champ d’application matériel de la directive 95/46/CE. I.1.1. Les données à caractère personnel Il faut remarquer que la résolution 45/95 des Nations Unies évoquée supra ne donne aucune définition des données à caractère personnel. Il n’existe non plus aucune définition de ces données dans l’arsenal de protection des droits de l’homme en Afrique. Je me réfère donc à la directive 95/46 du Conseil de l’Europe ci - avant évoqué. Est considérée comme donnée à caractère personnel, selon l’article 2, a, de la directive 95/46 du Conseil de l’Europe, du 24 octobre 1995, « Toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (Personne concernée); est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée directement ou indirectement ; notamment par référence à un numéro d’indentification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale ». L’information ne requiert pas une forme particulière ; elle peut être un écrit, un chiffre, une image ou un son. La personne physique est identifiable dès lors qu’une possibilité existe de l’identifier directement ou indirectement notamment par un numéro de téléphone, de plaque d’immatriculation de voiture, de sécurité

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sociale ou de passeport. La personne physique peut aussi être identifiée par référence à son âge, sa fonction professionnelle, son adresse, etc. I.1.2. Le traitement de données à caractère personn el La directive commentée ici définit, en son article 2, b, le traitement de données à caractère personnel comme suit : « toute opération ou ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés ». Cette définition implique qu’une ou plusieurs opérations automatisées ou non, portant sur des données à caractère personnel sont considérées comme un traitement de données depuis la collecte jusqu’à l’effacement ou la destruction de celles-ci. Il en résulte par exemple que de l’information brute présente dans un texte accessible sur un site web peut être considérée comme un traitement dès lors qu’elle fait l’objet d’une des opérations prévues ( conservation, communication, etc.). In concreto, peuvent être considérées comme traitement de données l’une quelconque des opérations suivantes portant sur des données à caractère personnel : collecte, enregistrement (organisation, modification, consultation, utilisation, transmission, diffusion, interconnexion) et destruction. I.1.3. Fichiers de données à caractère personnel Est considéré comme fichier de données à caractère personnel « tout ensemble structuré de données à caractère personnel, accessibles selon des critères déterminés, que cet ensemble soit centralisé, décentralisé ou réparti de manière fonctionnel ou géographique »35. Sont ainsi exclus du champ d’application de la directive les dossiers non structurés.

35 Article 2, c, de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995

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I.1.4. Le responsable du traitement et le sous trai tant Selon l’article 2, d, de la directive, le responsable du traitement est « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel ; lorsque les finalités et les moyens du traitement sont déterminés par des dispositions législatives ou réglementaires nationales ou communautaires, le responsable du traitement ou les critères spécifiques pour le désigner peuvent être fixés par le droit national ou communautaire ». Il s’agit plus simplement de la personne ou de l’autorité qui fixe l’objectif du traitement et les moyens de mettre en œuvre ce traitement. C’est cette personne ou cette autorité qui répond plutôt du traitement en cas où ce dernier serait illégale ou illicite. Le responsable du traitement doit être distingué du sous-traitant qui est « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui traite des données à caractère personnel pour le compte du responsable du traitement. Une entreprise peut par exemple faire poster sur son site web des images ou autres informations sur ses clients. Le technicien qui a exécuté l’opération ne serait pas responsable de ce traitement de données. Par contre, le chef d’entreprise en est responsable. I.1.5. Le champ d’application matériel de la réglem entation A priori, tout traitement de données à caractère personnel est soumis à la réglementation. Aussi faudrait-il préciser ici les exceptions à la règle. En fait, il peut y avoir des traitements de données à caractère personnel totalement exclus du champ d’application matériel de la réglementation (directive 95/46/CE) : traitements liés à des activités exclusivement personnelles ou domestiques (art. 3 § 2) et traitements liés au droit pénal et à la sûreté de l’Etat.

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D’autres traitements sont partiellement exclus du champ d’application de la réglementation : ceux effectués à des fins de sécurité publique (article 13) ou à des fins de journalisme ou d’expression littéraire et artistique (article 9). I.2. LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA PROTECTION Les principes directeurs adoptés par les Nations Unies en cette matière se retrouvent parmi les conditions générales de licéité des traitements de données à caractère personnel fixées par la directive 95/46. Sur base de la directive, nous distinguerons le principe de loyauté, le principe de finalité, le principe de qualité des données et les principes de légitimation des traitements. Nous verrons également sous cette section les régimes spécifiques aux données « sensibles » et aux finalités fondées sur la liberté d’expression. I.2.1. Le principe de loyauté Les données à caractère personnel doivent être traitées loyalement et licitement36. Pour être loyal, le traitement doit se dérouler dans la transparence. Cette transparence doit être assurée dès la collecte, notamment en respectant l’obligation d’informer la personne concernée. Les personnes concernées doivent savoir in limine quel est le but de l’utilisation des données et entre quelles mains elles se trouvent. Lorsque le traitement des données doit être effectué en dehors du pays des personnes concernées, il ne devrait être considéré comme loyal que si l’on informe ces dernières des destinataires des données37.

36 Article 6, a, de la directive 95/46/CE. 37 Article 10 de la directive 95/46/CE.

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Pour être licite, un traitement de données doit respecter l’ensemble des dispositions légales en la matière dans le pays ou dans la région. I.2.2. Le principe de finalité Les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités38. La finalité doit être déterminé et explicite : la détermination évoque la précision de la finalité alors que l’explicitation évoque le caractère non secret de la finalité. Il ne peut y avoir un traitement de données à caractère personnel avec une finalité implicite ou sans but précis. Cette obligation de déterminer d’avance la finalité poursuit trois objectifs : délimiter l’atteinte aux droits et libertés individuels, assurer la transparence du traitement et en permettre le contrôle39. La finalité doit être légitime : les données doivent être collectées pour des finalités légitimes. Le traitement des données aurait un but légitime s’il n’induit pas une atteinte disproportionnée à la vie privée des personnes concernées. Lorsque l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que ‘’nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit’, cela revient à dire qu’il s’agit d’un droit pouvant admettre une ingérence de la part de l’Etat ou d’une tierce personne, pourvu que cette ingérence respecte des conditions que ne fixent pas la Charte. L’article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme fixe les conditions que devraient respecter une telle ingérence : une atteinte à la vie privée doit être une mesure nécessaire dans une société démocratique, à l’un des objectifs énumérés à l’article 8, § 2, de la Convention. Les données ne doivent pas être traitées ultérieure ment de manière incompatible avec les finalités de la colle cte . Cette

38 Article 6, 1, b, de la directive 95/46/CE. 39 La protection des données à caractère personnel en droit communautaire, Marie Hélène B., Cécile de T., Thiérry L., Sophie L., Damien M., et Yves P. , p. 146.

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disposition permet aux intéressés d’avoir des prévisions raisonnables de ce qui serait fait avec les informations les concernant. Lorsqu’on analyse bien, l’utilisation incompatible n’est pas forcément interdite. Il suffira, pour le responsable du traitement, d’informer à nouveau les personnes concernées de l’intention d’utiliser leurs données précédemment recueillies à d’autres fins précises et légitimes. Cela revient à dire que c’est l’obligation d’informer les intéressés qui est reprise à travers la compatibilité des traitements avec les finalités. L’important est d’éviter que les intéressés ignorent la modification des finalités et ne puissent, le cas échéant, s’y opposer. I.2.3. Le principe de qualité des données Les données à caractère personnel doivent être « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement »40. Il est visé ici que l’information recueillie ait une liaison nécessaire et suffisante avec la finalité du traitement. Des données ne doivent pas être simplement enregistrées ou conservées alors qu’elles ne présentent pas d’utilité pour un traitement ou que le but recherché par le traitement peut être atteint autrement ou par un moyen moins dommageable pour les libertés individuelles. Les données ne doivent pas non plus induire une atteinte disproportionnée à la vie privée des intéressés. Les données doivent être « exactes, et si nécessaire mises à jour »41. Toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes, au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement, soient effacées ou rectifiées. Enfin, « les données doivent être conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une

40 Article 6, c, de la directive 95/46/CE 41 Article 6, d, de la directive 95/46/CE

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durée n’excédent pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement »42. Il s’agit de conserver les données pendant une durée limitée. I.2.4. Les principes de légitimation des traitement s Pour éviter une ingérence disproportionnée dans la vie privée de l’intéressé, nous avions vu supra que les traitements doivent poursuivre un but légitime. Suivant l’article 7 de la directive commentée, les traitements seront normalement admis s’ils trouvent leur fondement soit dans : le consentement indubitable de la personne concernée ; un contrat auquel l’intéressé est partie ; une obligation légale ; la poursuite par l’Etat d’une mission d’intérêt public ; la sauvegarde de l’intérêt vital de la personne concernée ; ou dans l’équilibre entre les intérêts de la personne concernée et du responsable du traitement. I.2.5. Traitement de catégories particulières de do nnées Le traitement des données « sensibles » : il s’agit des données relatives à l’origine raciale ou ethnique, à l’opinion politique, aux convictions religieuses ou philosophiques, à l’appartenance syndicale, ainsi qu’à la santé ou à la vie sexuelle. Le principe c’est l’interdiction de traiter les données sensibles, sauf : Consentement explicite de la personne concernée, Données manifestement rendues publiques, Associations à finalité politique, religieuse,… et pas de communication à des tiers sans consentement des membres, Obligation légale en matière de droit du travail, permis par la législation nationale ou pour un motif d’intérêt public important, aux fins de médecine préventive, de diagnostics médicaux, de

42 Article 6, e, de la directive 95/46/CE

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l’administration de soins, et le traitement est effectué par un praticien de la santé ou une personne tenue à l’obligation de secret équivalente Le traitement des données « judiciaires » : il s’agit des données relatives aux infractions, condamnations pénales ou administratives, aux jugements civils. Le principe c’est l’interdiction de traiter de telles données sauf si cela est placé sous le contrôle de l’Autorité publique et s’il y a des garanties appropriées et spécifiques prévues par le droit national. I.3. LES DROITS DE LA PERSONNE CONCERNÉE ET OBLIGATIONS DU RESPONSABLE DU TRAITEMENT La directive européenne garantit des droits à la personne dont les données sont traitées au travers des obligations qu’elle met à la charge du responsable du traitement. I.3.1. Le droit d’être informé Le responsable du traitement a l’obligation d’informer la personne concernée sur les caractéristiques principales du traitement qu’il poursuit. Cette obligation permet à la personne concernée d’exercer effectivement ses droits et de donner son consentement éclairé le cas échéant. De quoi la personne concernée doit-elle être informée et à quel moment ? Les informations de base concernent l’identité du responsable du traitement et les finalités du traitement. L’intéressé a le droit de s’opposer à un traitement qui le dérange (direct marketing par exemple). La personne doit être informé lors de la collecte si les données sont collectées auprès de la personne concernée. Si la collecte est indirecte, c’est – à – dire que les données n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée, l’information devra être fournie dès

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l’enregistrement ou lors de la première communication à une tierce personne. En plus des informations de base, des informations supplémentaires peuvent être fournies à la personne intéressée, telles que les catégories de données collectées, l’existence du droit d’accès et de rectification, les destinataires des données, le caractère obligatoire ou facultatif de la réponse et les conséquences d’un défaut de réponse. Cette obligation est due sauf si la personne est déjà informée. Une exception particulière est ici prévue pour les traitements à finalité statistique et de recherche historique ou scientifique à condition que l’information de la personne concernée se révèle « impossible ou implique des devoirs disproportionnés, ou si la législation prévoit expressément l’enregistrement ou la communication de données »43. Dans ces cas, les Etats prévoient des garanties appropriées. I.3.2. Le droit d’accès et de rectification des don nées La directive confère à la personne concernée un droit d’accès aux données à caractère personnel la concernant afin de lui permettre de contrôler la qualité des données et de vérifier le respect du principe de finalité. La personne a ainsi le droit d’obtenir sur demande et gratuitement la confirmation que ces données sont ou non traitées, de savoir la catégorie de données et les catégories de destinataires, les données contenues à son sujet, de connaître leur origine et la logique qui sous-tend le traitement44. La personne concernée a le droit d’obtenir, selon le cas, la rectification, l’effacement ou le verrouillage des données dont le traitement n’est pas conforme avec les principes directeurs de la protection.

43 Article 11, 2, de la directive 95/46/CE 44 Article 12, b, de la directive 95/46/CE

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Quant aux modalités d’exercice de ce droit, la personne concernée peut procéder à une demande datée et signée sur place, par poste ou autre moyen de télécommunication (e-mail). Des exceptions ou limites peuvent trouver à s’appliquer à ce droit d’être informé, d’accès et de rectification pour des questions de sécurité publique, poursuite des infractions, droits d’autrui. I.3.3. Le droit d’opposition La personne concernée à le droit de s’opposer aux traitement de certaines données à caractère personnel la concernant pour des raisons prépondérantes et légitimes45. Elle pourrait le faire sans justification en cas de traitements à des fins de prospection. I.3.4. Décisions individuelles automatiques L’article 15 de la directive européenne prévoit le droit pour toute personne « de ne pas être soumise à une décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ou l’affectant de manière significative, prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité tels que son rendement professionnel, son crédit, sa fiabilité, son comportement etc.». Il peut y avoir exception si l’on se trouve dans le cas d’un contrat ou d’une disposition légale et s’il y a une garantie de la sauvegarde des intérêts de la personne et de son point de vue. I.3.5. La notification La directive fait peser sur le responsable de traitements de données à caractère personnel le respect du principe de la notification à adresser à l’autorité de contrôle, préalablement à la mise en œuvre d’un

45 Article 14 de la directive 95/46/CE

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traitement46. Le responsable du traitement peut être dispensé d’observer cette règle s’il existe au sein de la structure (le responsable du traitement) un personnel détaché à la protection des données. Cette notification permet d’exercer un contrôle ex ante sur le traitement. Cette procédure favorise la détection des traitements à risque et de les prévenir. Le degré de responsabilité sera plus élevé en cas de dommage causé à une personne alors que le traitement n’avait pas été notifié à l’autorité de contrôle et qu’aucun personnel n’était détaché à la protection des données. Dans ce cas, le devoir de réparation incombe au responsable du traitement pour autant qu’il existe un lien de causalité entre le traitement et le dommage. I.3.6. La confidentialité et la sécurité des traite ments L’article 16 de la directive organise la confidentialité des données en ces termes : « toute personne agissant sous l’autorité du responsable du traitement ou celle du sous-traitant, ainsi que le sous-traitant lui-même, qui accède à des données à caractère personnel ne peut les traiter que sur instruction du responsable du traitement… ». En outre, pour assurer la sécurité des données, le responsable du traitement doit mettre en œuvre les mesures techniques et d’organisations appropriées pour protéger les données à caractère personnel contre : La destruction accidentelle ou illicite, La perte accidentelle, L’altération, La diffusion ou l’accès non autorisés47. Ces mesures sont indispensables notamment lorsque le traitement comporte des transmissions de données dans un réseau, ainsi que contre toute autre forme de traitement illicite.

46 Article 18, 1, de la directive 95/46/CE 47 Article 17, 1, de la directive 95/46/CE

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I.4. LES FLUX TRANSFRONTIÈRES DE DONNÉES La question du transfert des données à caractère personnel vers des pays tiers pose un problème lorsque le pays tiers ne dispose pas d’une législation offrant des garanties suffisantes pour la protection de ces données. Le principe qui a été posé par la directive européenne est celui d’une protection adéquate. En vertu de l’article 25, 1, de la directive, le transfert vers un pays tiers de données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement, ou destinées à faire l’objet d’un traitement après leurs transfert, ne peut avoir lieu que si le pays tiers en question assure un niveau de protection adéquat. Le principe s’analyse donc comme une interdiction du transfert sauf à démontrer le caractère adéquat de la protection offerte par le pays tiers. Mais « protection adéquate » ne signifie pas « protection similaire ». Autrement, il s’agirait d’une imposition des mécanismes européens aux autres pays. Il s’agit plutôt d’apprécier dans quelles mesures les objectifs poursuivis par la directive sont rencontrés par un pays tiers ; chaque pays étant libre d’adopter les mécanismes de son choix pour protéger les droits des uns et des autres. Il est en effet question d’une « similarité fonctionnelle », c’est – à – dire qui implique que l’on recherche non la transposition pure et simple des principes de protection européens dans le pays tiers, mais plutôt la présence de mesures assurant les mêmes fonctions. On peut par exemple se fier aux principes généraux de protection comme le respect du secret professionnel, les mesures de sécurité, etc. C’est ainsi qu’il y a des pays autorisés à recevoir des données en provenance de l’Europe compte tenu de leur législation en la matière. Des exceptions à ce principe s’observent quant aux flux opérés dans le cadre d’un transfert nécessaire à l’exécution d’un contrat, de la

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sauvegarde d’un intérêt public important, d’un transfert à partir d’un registre public destiné à l’information du public, ou lorsque l’intéressé donne son consentement indubitable ou encore lorsque le responsable du traitement offre des garanties satisfaisantes par des clauses contractuelles. Quant à la question spécifique de l’Internet , lorsqu’on met des données sur un site web, peut – on dire qu’il s’agit d’un transfert de données à travers les frontières ? Selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, l’arrêt « Lindqvist » du 06 novembre 2003 sur la notion de transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers, la réponse est la suivante : mettre des données sur un site web, c’est faire en sorte que les flux soient possibles. Le régime des flux transfrontières de données s’applique donc à de telles opérations, sauf quand elles se situent dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression. On note une différence entre le système européen et celui des Etats-Unis. Les négociations en vue d’harmonisation de la protection de la vie privée ont duré deux ans entre l’Europe et les Etats-Unis pour aboutir à un système co-régulatoire avec des principes moins contraignants que ceux en vigueur au sein de l’Union Européenne. A ce niveau, la question qui attire l’attention est celle du PNR pour les voyageurs par avion en provenance d’Europe et à destination des (ou en transit via les) Etats-Unis. Il s’agit d’un document exigé par les Etats-Unis et qui rassemble une trentaine d’informations chez chaque passager. Le PNR a fait l’objet de longues négociations entre Européens et Américains en ce qui concerne le nombre d’informations requises qui semble exagéré selon l’Union Européenne. Il faut noter que c’est la lutte contre le terrorisme qui sous-tend une telle exigence des Etats-Unis.

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II. INTERNET ET VIE PRIVEE Si le réseau Internet facilite la diffusion et l’échange d’informations à travers le monde, il peut présenter aussi des dangers par rapport à nos vies privées. En effet, différents types d’activités peuvent avoir lieu sur Internet dont notamment la navigation et le courrier électronique. Ces deux types d’activité présentent des risques sérieux pour la maîtrise par l’individu de l’information qui circule à son propos, la maîtrise de son image informationnelle. C’est pourquoi il paraît utile de relever certains des risques et enjeux de l’utilisation de Internet avant d’envisager les réponses qui peuvent y être apportées. II. 1. RISQUES ET ENJEUX L’utilisateur d’un serveur Internet fournit lui-même, de manière consciente ou inconsciente, de nombreuses données le concernant. Il fournit très souvent des données de manière tout à fait volontaire même s’il n’en mesure pas nécessairement toutes les implications possibles. Lorsque vous commandez par exemple des biens auprès d’une société de vente par correspondance, ou lorsque vous êtes à la recherche d’emploi, vous êtes amenés à fournir sur vous des informations. Dans le premier cas, vous donnez des informations qui permettent de vous acheminer le produit commandé et de régler le paiement. Dans l’autre, vous diffusez consciemment votre curriculum vitae pour un maximum de publicité. Certains serveurs conditionnent même l’accès à leurs services par la transmission de données personnelles. L’accès à un site peut être soumis à la communication de l’adresse électronique de celui qui le consulte. « D’une part, cette adresse peut contenir des éléments utiles retrouver l’identité de son titulaire. D’autre part, il existe des services

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spécialisés visant à identifier le titulaire d’une adresse électronique déterminée »48. L’utilisateur d’Internet laisse de nombreuses traces invisibles sur son passage. Le fonctionnement d’Internet étant basé sur le protocole TCP/IP, l’acheminement de paquets de données s’accompagne de renseignements techniques enregistrés, même dans l’espace d’un instant, dans chaque ordinateur qui a participé au transfert du paquet, en particulier les adresses IP de l’émetteur et du destinataire49. Or les fournisseurs d’adresse IP savent à quel utilisateur correspond une adresse IP et peuvent éventuellement opérés des recoupements sur cette base (types de services auxquels l’utilisateur a accédé). Le phénomène des cookies constitue encore une autre forme inconsciente de transmission d’information sur soi. Les cookies permettent à un serveur « d’imprimer » sur chaque navigateur des informations qu’il détermine. Le serveur inscrit dans les cookies l’adresse de la dernière page web consultée ainsi que la date d’expiration du cookie. Cette technique permet ainsi à un serveur Internet de reconnaître un utilisateur qui a interrogé son site précédemment et les dernières pages web visitées par l’utilisateur en question. Les enjeux sont donc de taille en matière de protection de données à caractère personnel. Internet véhicule de façon cachée de nombreuses données à caractère personnel. Les caractéristiques propres du réseau Internet ne permettent pas à l’individu de savoir quelles données sont collectées, par qui, auprès de qui et dans quel but. Ce réseau favorise le non respect des principes de protection des données à caractère personnel. Ainsi certains sites permettent de repérer des adresses électroniques qui peuvent être réutilisées par la suite pour l’envoi de messages publicitaires dans les boîtes aux lettres électroniques.

48 M.-H. Boulanger et C. de Terwangne, Internet et le respect de la vie privée, Cahier du CRID, n°12, Namur, 1997, p. 191. 49 Ibid.

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En outre, la dimension internationale du réseau Internet amplifie les problèmes et peut rendre aléatoire ou inapplicable les législations de protection des données. II.2. Solutions possibles Il peut être envisagé des solutions techniques et législatives pour parer au danger que constitue l’utilisation du réseau Internet. Les codes de bonne conduite peuvent aussi y aider, sauf qu’il n’existe pas d’armes pour les faire respecter. Ils sont élaborés et adoptés de manière unilatérale par les entreprises qui prétendent les respecter. Les codes de bonne conduite posent un problème d’efficacité. Par contre, les solutions techniques ou législatives méritent plus de crédit. En matière de solution technique, l’article 14 de la directive européenne 2002/58 du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques dispose que : « des mesures peuvent être adoptées pour garantir que les équipements soient construits de manière compatible avec le droit des utilisateurs de protéger et contrôler l’utilisation de leurs données ». Comme solutions législatives, il s’agit des lois et règlements adoptés au plan national ou régional pour protéger les données à caractère personnel. En Europe, en complément à la directive 95/46/CE qui a une portée générale, c’est la directive 2002/58 qui mérite d’être strictement appliquée pour protéger la vie privée dans le secteur des communications électroniques. La directive générale impose le devoir d’information qui se traduit par l’affichage de la « privacy policy » sur le site. Selon la directive spécifique, il faut distinguer les données relatives au trafic : ce sont les données traitées en vue de l’acheminement d’une communication ou de sa facturation. Il s’agit par exemple des données sur la durée d’une communication, le moment d’arrivée, le volume, le

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réseau de départ ou d’arrivée, etc. La règle est la confidentialité des communications et des données de trafic, sauf consentement des utilisateurs, pour l’acheminement d’une communication ou pour preuve d’une transaction ou d’une communication commerciale (les traders). Les cookies qui sont les témoins de connexion peuvent être permis à condition que l’information soit claire et complète sur les finalités à l’intention de l’utilisateur. L’utilisateur doit être en mesure de refuser les cookies. Par contre, les cookies sont permis sans condition s’ils visent à effectuer ou faciliter la transmission de messages ou s’ils sont strictement nécessaires à la fourniture d’un service demandé. Ils permettent par exemple de passer d’une page à une autre au moment de la navigation : ce sont des cookies techniques. Le principe est que l’équipement terminal de l’utilisateur et toute information stockée sur cet équipement relève de la vie privée de l’utilisateur qui doit être protégée. Le spamming ou les communications non sollicitées devraient répondre à la règle OPT - IN ou OPT – OUT. III. VIE PRIVEE ET NOUVELLES TECHNIQUES DE SURVEILLANCE Il existe de nouvelles techniques de surveillance qui peuvent créer des dommages à la vie privée des personnes. Il s’agit de la traque sur Internet, de la vidéosurveillance et de la surveillance des employés. III.1. La traque sur Internet La traque sur Internet est une pratique développée par les associations de protection des droits de propriété intellectuelle. On peut citer à ce propos l’affaire Promusicae en Europe relative au

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téléchargement de musique et image sur Internet en méconnaissance des droits de propriété intellectuelle. La traque sur Internet est utilisée aussi pour lutter contre la cybercriminalité. Il existe en Europe une Convention sur la cybercriminalité qui régule la conservation, la préservation des données de trafic ainsi que du contenu des communications électroniques. Nous n’allons pas faire ici un développement sur cette convention qui est même complétée par des directives d’application. Il s’agit en effet de montrer que même le monde virtuel réel que constitue le réseau Internet peut être contrôlé avec le soutien du législateur. III. 2. La vidéosurveillance La vidéosurveillance est un phénomène constaté presque partout aujourd’hui. Avec un œil un peu attentif, il n’est pas difficile de constater qu’on est filmé sur les routes, dans les espaces publics, les gares, le métro, les parkings. Lorsque vous rentrez dans un magasin ou un super marché, dans une banque ou une pharmacie, dans une bibliothèque ou dans un lieu professionnel, vous savez que vous êtes filmés. Des entrées d’immeubles sont même équipées de caméras. Dans des maisons individuelles et des garages, la camera trouve sa place. L’homme est surveillé ; parfois il est averti, c’est la formule « souriez, vous êtes filmés » ; souvent il ne sait même pas qu’il est surveillé pour contrôler ses actes, ses pas, son sourire, sa façon de manger ou de boire etc. Pour quelles finalités la vidéosurveillance est mise en œuvre ? Les raisons sont multiples. Ce peut être pour connaître ou surveiller le trafic sur les autoroutes ; c’est parfois pour prévenir les délits, détecter les infractions et réduire l’insécurité ; Les caméras de surveillance peuvent aider à la prévention et à la lutte contre les vols, les agressions, les détériorations, ou encore la lutte contre les intrusions.

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Les cameras de surveillance peuvent aussi servir à surveiller le personnel ou les enfants à la maison. Les multiples finalités que peut viser la vidéosurveillance sont susceptibles de générer des risques tels que : Banalisation de l’œil électronique, Images jugées hors contexte ; Images couplées avec d’autres données ; Lissage des comportements, gommage des comportements originaux ou différents ; discriminations ; Manque de proportionnalité des données et Réutilisation des données Le constat montre que le phénomène de vidéosurveillance est à la mode auprès des personnes publiques et des personnes privées. Notre analyse nous permettra de savoir si la vidéosurveillance atteint ses objectifs. Nous verrons également si c’est légal et dans l’affirmative, nous devons savoir à quelles conditions. Ce serait inexact de dire que la vidéosurveillance n’atteint pas ses objectifs. Mais elle serait plus efficace si elle était opérée dans le respect des normes protectrices de la vie privée. Une caméra qui est placée dans un supermarché sans que les usagers n’en soient informés ne permettra pas de prévenir le vol. Au contraire, le voleur trouve la situation favorable alors que s’il était informé, il ne poserait peut-être pas son acte. La vidéosurveillance, doit respecter aussi l’obligation d’information qui pèse sur le responsable du traitement. Ce dernier doit en informer l’autorité de contrôle sauf si un personnel est détaché à la protection des données. Il doit enfin respecter le principe de finalité. Ces exigences pèsent sur le responsable du traitement car les images sont des données à caractère personnel qui doivent être protégées sauf si la caméra est placée dans le seul but d’en faire un usage personnel et

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familial. Un usage journalistique est partiellement exempté de même qu’un usage par service de sécurité et de police. La surveillance des employés sur le lieu de travail constitue un autre phénomène. Elle prend la forme du contrôle de la navigation sur Internet et du courrier électronique. D’aucuns diront que la vie privée ne couvre pas le lieu de travail, le milieu professionnel. Or, selon la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans l’affaire Niemietz c. Allemagne, « le respect de la vie privée doit aussi englober dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables. Il paraît, en outre, n’y avoir aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de ‘’vie privée’’ comme excluant les activités professionnelles ou commerciales : après tout, c’est dans leur travail que la majorité des gens ont beaucoup, voire le maximum d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur. …. Dans les occupations de quelqu’un, on ne peut pas toujours démêler ce qui relève du domaine professionnel et de ce qui en sort.’’ Dans ces conditions, il y a nécessité de rechercher un équilibre entre l’intérêt légitime de l’employeur et l’intérêt, les droits et libertés fondamentaux de l’employé. Ce qui justifierait la légitimité du traitement. Cet équilibre dépendrait de différents facteurs (nature du travail, nature des responsabilités employeur-employé et la nature du travail à proprement parler. Il s’agit d’étudier la question au cas par cas. Lorsqu’on prend le secteur de la défense nationale par exemple, il devrait y avoir possibilité de prendre des mesures de contrôle plus poussées puisqu’il s’agit d’un secteur sensible. Le principe de proportionnalité recommande qu’il n’y ait pas une surveillance constante. La transparence de l’opération exige que les membres du personnel d’une entreprise soient informés de la mise en œuvre de cette mesure de contrôle. Enfin, ce traitement de données

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n’échappera pas au principe de confidentialité des communications électroniques sauf dans le cadre des régimes d’exception nationaux.

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LES OBLIGATIONS DE L’ETAT DANS LA MISE EN OEUVRE DES DROITS DE L’HOMME Par Maître NYALUMA MULAGANO Arnold Dans ce chapitre nous voudrions saisir la portée réelle des instruments juridiques relatifs aux droits de l’homme. Affirmés comme droits subjectifs, les droits de l’homme supposent un titulaire et un débiteur. Il est admis à ce jour que tout individu, personne humaine est titulaire des droits de l’homme mais ces droits resteraient des simples voeux si les obligations de l’Etat, débiteur ne sont d’une part précisées et si d’autre part les voies de leur justiciabilité ne sont pas connues et mise en œuvre. Ces obligations sont inscrites aux articles 2 du PIDCP et PIDESC. Il ressort de l’article 2 du PIDCP que « les Etats s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur le territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune… ». L’article 2 du PIDESC dispose « Chacun des Etats parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationale, notamment sur le plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption des mesures législatives. Ils s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination… » De ces dispositions ressortent trois obligations pour les Etats : respecter, réaliser, et protéger les droits de l’homme. L'accent 50 parfois été mis très fortement sur la distinction qui existe entre les formules employées dans le passage en question dans les deux pactes. En particulier, si le Pacte prévoit effectivement que l'exercice des droits devra être assuré progressivement et reconnaît les contraintes découlant du caractère limité des ressources disponibles, il impose aussi diverses obligations ayant un effet immédiat. L’étude des ces obligations nous conduira

50 Observation générale 3, Cinquième session, 1990

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ainsi à dépasser les oppositions artificielles entretenues entre les deux prétendues catégories des droits de l’homme. 1. Obligation de réaliser

Les Etats sont tenus de garantir les droits de l'homme, c'est-à-dire de veiller à ce que ceux-ci deviennent le plus possible une réalité pour leurs titulaires. Cela nécessite, selon les circonstances, des mesures légales ou administratives qui créent les conditions juridiques, institutionnelles et procédurales nécessaires pour que le droit puisse être pleinement réalisé. Pour concrétiser le droit des détenus à un traitement humain, il peut, par exemple, s'avérer nécessaire de donner au personnel carcéral une formation adéquate ou d'améliorer les prisons au niveau des bâtiments. Il arrive que la concrétisation d'un droit dont peuvent se prévaloir des individus exige des prestations directes de l'Etat sous forme d'argent, de biens (aliments par ex.) ou de services (soins médicaux, par exemple). Le devoir de garantie de l'Etat fait pendant au droit des titulaires à revendiquer une prestation. L'étendue de la prestation dépend toutefois des capacités de l'Etat à satisfaire à cette obligation, soit des moyens dont il dispose51. Réaliser les droits52, c’est donc prendre des mesures, notamment législatives, budgétaires et juridiques, par exemple, instaurer une loi qui, à travail égal, prévoit un salaire égal, ou augmenter les dépenses consacrées aux régions les plus défavorisées. L’obligation de réaliser consiste alors à faciliter, fournir et promouvoir. Faciliter en écartant les obstacles à l’acquisition par les individus des biens ou services concernés, créer un environnement propice à l’acquisition de ces biens ou services. Fournir des biens ou prestations si les individus sont dans l’incapacité de se procurer ces biens ou services par leurs propres moyens, obligation de fournir une prestation. Promouvoir en fournissant les informations requises.

51 Observation générale 3, Cinquième session, 1990 52 Olivier de Schutter, Cours de droits liés à l’autonomie de la personne, Master Complémentaire en Droits de l’homme, Academie-Louvain, 2007-2008, inédit

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Cette obligation connaît des traductions substantielles et procédurales (concernant les remèdes en cas de violation et les mécanismes préventifs (études d’impact, consultations, plans nationaux d’action, etc.) Les critères substantiels sont la disponibilité, la qualité, l’accessibilité et l’acceptabilité. Disponibilité car chacun doit pouvoir disposer d’une quantité suffisante du bien en cause, en fonction de ses besoins. Qualité : caractère “convenable” du logement, nourriture “exempte de substances nocives”… L’accessibilité comprend des exigences de non-discrimination, accessibilité économique (abordabilité), accessibilité physique, accessibilité de l’information. Acceptabilité du point de vue des valeurs culturelles ou religieuses… L'Etat doit adopter certaines mesures de portée générale, et ayant le cas échéant des conséquences budgétaires: l'étendue de l'obligation dépend des moyens budgétaires dont l'Etat dispose, mais en toute hypothèse : - le contenu essentiel du droit doit être préservé même si cela implique un coût -la réalisation du droit doit se faire dans le respect de la règle de non-discrimination. Sur le plan procédural trois implications majeures : -Définition d’objectifs en concertation avec la société civile (plans ou stratégies nationaux) -Ciblage des politiques en faveur des populations les plus défavorisées (mais risque de distorsions) -Indicateurs : distinguer l’incapacité de l’Etat de son absence de volonté d’agir ; surveiller le respect de l’exigence de non-discrimination (ventilation des indicateurs par catégories); opérer des comparaisons intertemporelles; vérifier l’efficacité des mesures adoptées; nourrir le débat public.

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2. Obligation de protéger L'expérience montre que les droits de l'homme peuvent être menacés non seulement par des interventions de l'Etat, mais aussi par les agissements de particuliers. La violence domestique, les actes de violence racistes et les hostilités à l'encontre de réunions pacifiques de minorités sont quelques exemples de telles violations. A un deuxième niveau, les Etats sont donc tenus, par les droits de l'homme, de protéger les individus contre les violations de leurs droits par des tiers, au moyen notamment de la loi ou des forces de police. Les personnes concernées peuvent prétendre à être protégées par l'Etat. Le devoir de protection incombe à l'Etat uniquement lorsque, dans un cas concret, il a tant connaissance de l'atteinte portée à un droit que la capacité de l'empêcher. Il peut avoir soit un caractère préventif, lorsqu'il s'agit d'écarter la menace d'une violation, soit un effet curatif, lorsque l'Etat prête assistance à une victime ou prend des mesures contre les auteurs des violations.53 Protéger les droits,54 c’est empêcher les violations par d’autres intervenants, qu’il s’agisse de vérifier que les employeurs satisfont aux normes élémentaires de travail, d’empêcher les parents de tenir leurs enfants à l’écart du système scolaire. L’obligation de protéger implique que l'Etat doit prendre des mesures raisonnables, son obligation (dite de prévention) est violée si le résultat n'est pas atteint et les mesures adoptées ne sont pas suffisantes. Il s’agit donc d’une obligation de moyens. Ce n’est pas le comportement d’agents privés qui est directement imputable à l’Etat, mais celui-ci peut se voir reprocher le défaut de prendre les mesures qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui. Il peut avoir manqué à son obligation de protection par le fait de ses organes (législatif, exécutif, judiciaire). Il peut néanmoins être dédouaner par :l’ imprévisibilité du comportement humain, le respect des droits fondamentaux d'autrui,

53 Observation générale 3, Cinquième session, 1990 54 Olivier de Schutter, Cours de droits liés à l’autonomie de la personne, Master Complémentaire en Droits de l’homme, Academie-Louvain, 2007-2008, inédit

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les limites budgétaires que rencontre l’Etat, et dans certains cas la faculté de renonciation . Dans l’Affaire n° 12.034. Ain O Salish Kendro (ASK) & Ors v. Government of Bangladesh & Ors [1999] ICHRL 118 (3 août 1999). Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale 12, de la législation en vigueur et des garanties relatives à la primauté du droit qui protègent les segments les plus vulnérables de la société contre les ingérences de l’extérieur. Ainsi, il pourrait y avoir non respect de l’obligation de protéger lorsque des aliments impropres à la consommation sont vendus et consommés, s’il peut être prouvé que la vente et la consommation sont dues à l'absence de normes et de contrôles relatifs à la sécurité sanitaire des aliments ou à la non application des normes en vigueur, le cas échéant. Un autre exemple serait de ne pas protéger des locataires contre l’expulsion illégale de leurs terres agricoles par d’autres particuliers ou par des entreprises. Dans l’affaire des Ogonis, la Commission africaine a jugé que le gouvernement militaire nigérian n’avait pas non plus respecté son obligation de protéger le droit à l’alimentation, puisqu’il n’avait pas empêché les compagnies pétrolières de stocker du pétrole et des déchets, ce qui a entraîné la contamination de l’eau utilisée pour l’agriculture et la pêche, la destruction des cultures et la mort d’animaux d’élevage, soit autant de facteurs ayant entraîné la malnutrition parmi les Ogonis. Dans la « Loi sur l’assurance sociale » le Conseil constitutionnel de la République de Lettonie a constaté que la Constitution et les traités internationaux protégeaient le droit à la sécurité sociale: L’assurance sociale publique est un secteur de droits publics et de relations juridiques entre l’assureur et l’assuré, ainsi qu’entre l’employeur et les droits publics. La loi oblige l’employeur à verser la prime obligatoire à chaque employé. Si l’employeur ne verse pas cette prime, le promoteur de l'assurance, à savoir l’État, est tenu de garantir l’application du régime d’assurance au moyen de mesures contraignantes. En conséquence, lors de l’établissement d’un régime

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d’assurance sociale publique, l’État est tenu de mettre au point un mécanisme efficace d’application des normes juridiques susmentionnées, garantissant ainsi le droit à la sécurité sociale, établi par [la Constitution]. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que le système mis en place par la Lettonie pour collecter les sommes dues par les employeurs n’était pas adéquat, en ce qu’il pouvait priver certains employés d’une assurance sociale. À ce titre, la législation sous-tendant ce système a été jugée nulle et non avenue. 3. Obligation de respecter Toutes les garanties peuvent, à un premier niveau, être efficacement protégées par la non intervention de l’Etat. L’obligation de respecter les droits de l’homme contraint l’Etat à adopter une attitude passive et à ne pas intervenir. L’interdiction de la torture est, par exemple, automatiquement respectée lorsque la police renonce à des méthodes d’interrogatoire qui causent de graves souffrances à la personne détenue. De même, la liberté de la presse est garantie lorsque l’Etat ne censure pas les imprimés. Le devoir de respect donne aux titulaires du droit la possibilité de se défendre contre l’Etat. Le devoir de non intervention découle automatiquement des droits de l'homme, c'est-à-dire sans autres conditions.55 Respecter les droits56, c’est s’abstenir de s’immiscer dans les droits des individus, que ce soit par la torture ou l’arrestation arbitraire, par l’expulsion d’individus hors de leur logement ou par l’application de tarifs qui rendent les soins médicaux inaccessibles aux personnes pauvres. L’obligation de respecter suppose que l’Etat doit éviter toute ingérence, sauf si celle-ci est : - prévue par la loi - vise à la réalisation d'un but légitime

55 Observation générale 3, Cinquième session, 1990 56 Olivier de Schutter, Cours de droits liés à l’autonomie de la personne, Master Complémentaire en Droits de l’homme, Academie-Louvain, 2007-2008, inédit

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- par des moyens nécessaires /proportionnés - et à moins qu’il s’agisse de droits absolus (non susceptibles de faire l’objet de restrictions). En outre, pourvu qu’elle respecte certaines conditions, la renonciation de l’individu peut exonérer l’Etat de sa responsabilité. 4. Des droits de l’homme aux obligations des Etats Le passage des droits de l’homme aux obligations de l’Etat comporte de nombreux avantages : Il enrichit la lecture des droits économiques et sociaux comme des droits civils et politiques, ce qui dépasse l’opposition entre catégories de droits. Chaque droit comporte les trois niveaux d’obligations dans le chef de la puissance publique comme l’illustre le tableau ci-après. Respecter Réaliser Protéger Droit à la vie

Ne pas tuer formellement Bannir la peine de mort

Conditions nécessaires pour une vie digne pleine

- Sanctionner les violations - Mécanismes de protection

Droit à l’éducation

-Pas de discrimination -Ne pas fermer les écoles

-Créer des écoles -Payer les salaires des enseignements

-Supprimer les frais -Protection contre la corruption, les abus des enseignements. -Veiller à la qualité

Ce passage situe la complémentarité des rôles respectifs du juge, du législateur et de l’exécutif dans la garantie des droits de l’homme au plan national. Ainsi l’obligation de respecter pèse d’avantage sur le pouvoir exécutif qui dans la gestion quotidienne de la cité est exposé à des risques de violation des droits de l’homme.

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L’obligation de réaliser incombe à l’exécutif en tant que gestionnaire et promoteur des services publics mais également au pouvoir législatif qui doit notamment voter des textes en vue de la réalisation des droits. L’obligation de protéger est d’avantage l’apanage du pouvoir judiciaire qui doit sanctionner les violations. Il intervient également dans la prévention des violations par l’entremise du ministère public et ses services connexes comme la police. Il permet de définir l’étendue de l’obligation de l’Etat en tenant compte de son degré de développement / des ressources dont il dispose. Ainsi l’obligation de réaliser peut suivre le rythme des ressources disponibles alors qu’un Etat pauvre est tout de même en mesure protéger et en tout s’empêcher de violer les droits de l’homme. Ce passage conduit aussi à souligner la complémentarité des mécanismes de contrôle au plan international : sur la base de plaintes / sur la base de rapports étatiques périodiques. Les premiers sont du domaine de la protection alors les seconds sont du domaine de la promotion. Il conduit aussi à souligner la neutralité, par rapport à l’obligation de garantir les droits de l’homme, de la division public/privé au sein de chaque Etat. Lors même que la violation viendrait d’un particulier, l’Etat serait condamnable s’il manque à son obligation de protection. De même l’Etat n’est pas tenu nécessairement de s’engager par ses organes, il peut bien satisfaire à ses obligations en aménageant les conditions qui favorisent l’activité des particuliers. Enfin, ce passage permet le dépassement de l’opposition entre « générations » de droits par l’analyse tripartite des obligations de l’Etat. En effet, si nous admettons que chaque droit comporte les trois niveaux d’obligation, il en découle que la notion de génération des droits de l’homme, vue sous l’angle de juridicité -c’est –dire au regard de la valeur de droits subjectifs des droits de chaque catégorie et leur exigibilité notamment en justice - perd toute consistance.

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MODULE 2 : PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE EN AFRIQUE Ce deuxième module consacré aux mécanismes de protection des droits de l’homme est subdivisé en six thèmes complémentaires qui se présentent comme ci-après : • LES MECANISMES ONUSIENS DE PROTECTION DES DROITS

DE L’HOMME : LES ORGANES DE LA CHARTE Le système des Nations Unies comprend plusieurs mécanismes de protection appelés mécanismes universels dont la connaissance est utile pour le travail d’un défenseur des droits de l’homme. Les mécanismes dont il est question sous ce thème sont ceux qui proviennent de la Charte des Nations Unies. Il s’agit notamment de la Commission des droits de l’homme remplacée par le Conseil des droits de l’homme, les procédures spéciales et le Haut Commissaire aux droits de l’homme. • LES MECANISMES ONUSIENS DE PROTECTION DES DROITS

DE L’HOMME : LES ORGANES DE TRAITES Les mécanismes dont il est question ici sont ceux créés par les traités de base des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme : ce sont les mécanismes conventionnels. Après avoir rappelé les traités de base de l’ONU dans le domaine, l’auteur a abordé trois principaux mécanismes conventionnels que sont : le contrôle sur rapports étatiques, le contrôle sur communications étatiques ou individuelles, et le contrôle au travers d’enquêtes ou de visites sur place. • MECANISMES JURIDICTIONNELS (COMMISSION ET COUR)

DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE L’auteur a exposé ici les vertus du mécanisme quasi juridictionnel (la Commission) et du mécanisme juridictionnel (la Cour) qui sont à notre disposition pour assurer la protection des droits de l’homme sur le

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continent africain. Il a aussi indiqué comment procéder pour saisir l’une ou l’autre de ces instances. • LES MECANISMES NON JURIDICTIONNELS DE PROTECTION

DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE Il est expliqué ici le fonctionnement de des différents mécanismes non juridictionnels de protection des droits de l’homme que sont : le contrôle sur rapports étatiques, les visites sur place, les rapporteurs spéciaux, l’adoption de résolution etc. • LA COUR PENALE INTERNATIONALE, PLACE DES VICTIMES

ET ROLE DES ONG Après avoir brièvement présenté la CPI, l’auteur a ici abordé le statut et les mesures de protection des victimes et témoins ainsi que le rôle des ONG devant la Cour. • JUSTICIABILITE DES DROITS DE L’HOMME Lors de son exposé, le présentateur a abordé le statut des traités internationaux dans le droit national d’un pays, les différentes options qui permettent d’appliquer ces traités au plan interne et les difficultés qu’elles posent, le rôle des différents juges nationaux et celui des ONG dans l’application directe ou indirecte de ces textes internationaux.

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LES MECANISMES ONUSIENS DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME : LES ORGANES DE LA CHARTE Par M. Félix AHOUANSOU Les droits de l’homme sont protégés par les Nations Unies suivant des mécanismes propres à l’organisation elle-même comme aux pratiques des gouvernements qui la composent. On distingue deux types de mécanisme au sein des Nations unies dans le cadre de la protection des droits de l’homme : les mécanismes non conventionnels et ceux conventionnels. Les mécanismes non conventionnels sont ceux créés sur base de la Charte des Nations Unies alors que les mécanismes conventionnels sont ceux institués par les traités entre Etats composant l’ONU. Nous allons nous intéresser ici aux mécanismes non conventionnels des Nations – Unies. Quatre sections sont prévues pour explorer ces mécanismes : Section 1 : Le système de l’Organisation des Nations Unies et les droits de l’homme Section 2 : La procédure fondée sur la résolution 1503 (1970) du Conseil économique et social Section 3 : La procédure fondée sur la résolution 1235 (1967) du Conseil économique et social Section 4 : Les procédures thématiques

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SECTION I : Le système de l’Organisation des Nations Unies et les droits de l’homme La Commission des droits de l’homme est restée le principal mécanisme non conventionnel de protection des droits de l’homme depuis la création de l’ONU jusqu’en avril 2005. Elle est appuyée par la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Largement discréditée, la Commission a été remplacée par le Conseil des droits de l’homme, créé par l’Assemblée générale des Nations Unies le 15 mars 2006. 1- Commission des droits de l’homme Créée en 1946 sur base de l’article 68 de la Charte de l’ONU, la Commission des droits de l’homme est composée de 53 représentants (experts gouvernementaux) des Etats. Elle tient une session annuelle d’une durée de 6 semaines (en mars-avril) à Genève. Elle a tenu sa dernière session, à Genève, du 14 mars au 22 avril 2005. La Commission a mis sur pied des procédures spéciales (mécanismes ou mandats) par pays ou par thème. Elle fonctionne entre les sessions par des groupes de travail (ex. Groupe de travail à composition non limitée, qui sera chargé d'examiner les options qui s'offrent en ce qui concerne l'élaboration d'un protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; Groupe de travail sur le projet de déclaration sur les droits des populations autochtones). 2- Sous-commission de la promotion et de la protect ion des droits de l’homme Avant 1999, la Sous – Commission portait le nom de Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Elle est composée de 26 experts indépendants, élus pour quatre ans (renouvellement par moitié tous les deux ans) en tenant compte de la nécessité d’une répartition

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géographique équitable (en 2005, la Sous-commission compte 7 experts originaires d’Afrique, 5 d’Asie, 5 d’Amérique latine, 3 d’Europe orientale et 6 des États d’Europe occidentale et autres États. Elle tient une session annuelle de 3 semaines (juillet-août) et a pour rôle d’étudier des questions touchant les droits de l’homme et de faire des recommandations à la Commission. 3- Procédures spéciales : mécanismes et mandats thé matiques La Commission a mis sur pied des procédures spéciales par thèmes, savoir : Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la vente d'enfants, la prostitution d'enfants et la pornographie impliquant des enfants (J. Miguel Petit). Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d'être atteint (P. Hunt) Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires Groupe de travail sur la détention arbitraire Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires (Ph. Alston). Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur le droit à l'alimentation (J. Ziegler, remplacé par le Professeur Olivier de Schutter en 2008.) Expert indépendant de la Commission des droits de l'homme sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté (A. Sengupta). Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme chargé d'examiner les questions se rapportant à la torture (M. Nowak). Rapporteur spécial sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste (M. Scheinin) (Résolution de la Commission des droits de l’homme 2 005/80)

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Représentant spécial chargé de la question des responsabilités en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises (J. Ruggie) Exemple du mandat du Rapporteur spécial sur la prot ection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dan s la lutte antiterroriste sur base de la Résolution de la Comm ission des droits de l’homme 2005/80) : 14. Décide de nommer, pour une période de trois ans, un rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, avec le mandat suivant: a) Faire des recommandations concrètes sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, notamment, à la demande des États, en vue de fournir des services consultatifs ou une assistance technique en la matière; b) Rassembler, solliciter, recevoir et échanger des renseignements et des communications émanant de toutes les sources pertinentes (gouvernements, personnes concernées, leurs familles, représentants ou organisations, etc.), notamment en se rendant dans les pays, avec l’accord de l’État concerné, sur les violations présumées des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, en portant une attention particulière aux aspects qui ne sont pas traités par d’autres titulaires de mandat; c) Relever, échanger et promouvoir les pratiques optimales en matière de mesures antiterroristes respectueuses des droits de l’homme et des libertés fondamentales; d) Travailler en étroite coordination avec les autres rapporteurs spéciaux, représentants spéciaux, groupes de travail et experts indépendants de la Commission des droits de l’homme, de la Sous-

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commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme et d’autres organismes des Nations Unies compétents; e) Établir un dialogue suivi et étudier les domaines de collaboration possibles avec tous les acteurs pertinents, y compris les gouvernements, les organes, institutions spécialisées et programmes des Nations Unies compétents, en particulier le Comité du Conseil de sécurité contre le terrorisme, le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, le Service de prévention du terrorisme de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, les titulaires de mandat dans le domaine des droits de l’homme et les organes conventionnels, la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, ainsi que les organisations non gouvernementales et les autres institutions internationales régionales ou sous-régionales, en respectant entièrement le mandat de chacun des organes susmentionnés et afin d’éviter tout double emploi; f) Rendre compte régulièrement à la Commission des droits de l’homme et à l’Assemblée générale; 4- Procédures spéciales : mécanismes et mandats par pays Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme au Bélarus ; Expert indépendant nommé sur la situation des droits de l'homme au Burundi Représentant spécial du Secrétaire général sur la situation des droits de l'homme au Cambodge ; Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme dans la République Démocratique du Congo Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Ouzbékistan (Procédure 1503)

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5- Comment fonctionnent les procédures spéciales ? Rapport de la réunion des rapporteurs et représentants spéciaux, experts et présidents des groupes de travail chargés de l'application des procédures spéciales de la Commission des droits de l'homme et du programme de services consultatifs qui s'est tenue à Genève, du 20 au 23 mai 1997 : 71. Guidés par les principes de neutralité, non-sélectivité et objectivité , les participants à la réunion ont réaffirmé les principes et critères généraux suivants : a) Les rapporteurs spéciaux sont des experts indépendants . Leur indépendance se reflète à la fois dans la forme et le fond de leurs communications, leurs enquêtes et leurs rapports. Ce principe constitue une caractéristique des relations que les rapporteurs spéciaux entretiennent avec toutes les parties concernées; b) Les modalités applicables aux missions, qui sont indiquées en annexe (…), constituent le minimum nécessaire pour assurer l'indépendance, l'impartialité et la sécurité des visites effectuées par les rapporteurs spéciaux sur le terrain. Cela n'exclut pas d'autres garanties supplémentaires, en fonction des mandats ou des circonstances; c) Les rapporteurs spéciaux et les groupes de travail s'acquittent de leurs tâches en toute impartialité et objectivité , en se fondant uniquement, pour analyser les situations relevant de leurs mandats, sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels les Etats concernés sont parties, ainsi que les instruments autres que des conventions adoptés par les organismes des Nations Unies. Leur travail consiste à évaluer les faits portés à leur connaissance et à les analyser à la lumière de ces instruments internationaux, et à faire des recommandations en vue de permettre à tous les habitants des pays

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considérés de jouir de tous les droits de l'homme consacrés par ces instruments; d) En outre, les rapporteurs spéciaux prennent particulièrement en compte les résolutions que la Commission des droits de l'homme, année après année, adopte sur les procédur es thématiques ; e) Les enquêtes menées par les rapporteurs spéciaux ne sont pas des enquêtes judiciaires ; f) Les rapporteurs spéciaux appliquent des procédures non pas confidentielles mais publiques . Leurs rapports sont publics. C'est pourquoi leurs relations avec la presse sont régies par le principe fondamental de transparence; g) Les rapporteurs spéciaux sont des organes de la Commission des droits de l'homme et, à ce titre, ils bénéficient pendant toute la durée de leur mandat et au-delà, pour les faits en rapport avec l'exercice de leur mandat, des privilèges et immunités , notamment de fouille, de saisie, de poursuites et d'arrestation, dont jouit l'Organisation des Nations Unies. 6- APPENDICE V - MODALITES APPLICABLES AUX MISSIONS D'ETABLISSEMENT DES FAITS DES RAPPORTEURS ET REPRESENTANTS SPECIAUX DE LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME Durant les missions d'établissement des faits, les rapporteurs ou représentants spéciaux de la Commission des droits de l'homme, de même que le personnel des Nations Unies qui les accompagne, devraient bénéficier de la part du gouvernement qui les a invités à visiter son pays des garanties et facilités suivantes : a) Liberté de mouvement dans l'ensemble du pays, y compris des facilités de déplacement, en particulier dans des zones d'accès limité;

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b) Liberté d'enquêter, notamment : i) Accès à toutes les prisons et tous les centres de détention et lieux d'interrogatoire; ii) Contacts avec les autorités centrales et locales de tous les secteurs gouvernementaux;

iii) Contacts avec les représentants des organisations non gouvernementales et d'autres institutions privées, ainsi qu'avec les médias; iv) Entretiens confidentiels et sans surveillance avec des témoins et d'autres particuliers, y compris des personnes privées de liberté, jugés nécessaires par le Rapporteur spécial pour s'acquitter de son mandat; et v) Plein accès à toute la documentation sur les questions relevant de son mandat. c) Assurances du gouvernement qu'aucune personne ou qu'aucun individu à titre officiel ou privé ayant eu des contacts avec le Rapporteur ou le Représentant spécial dans le cadre de son mandat ne sera soumis pour cette raison à des menaces, à des mesures de harcèlement ou à des sanctions, ou qu'il fera l'objet de poursuites judiciaires; d) Mesures de sécurité appropriées, sans que celles-ci ne restreignent toutefois les libertés de mouvement et d'enquêter susmentionnées; e) Extension de ces mêmes garanties et facilités aux fonctionnaires compétents des Nations Unies qui assisteront le Rapporteur ou le Représentant spécial avant, durant et après la visite.

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7- Le Conseil des Droits de l’Homme : Document fina l du Sommet mondial (14-16 septembre 2005) 157. Compte tenu de notre volonté de renforcer les mécanismes de l’Organisation dans le domaine des droits de l’homme, nous décidons de créer un Conseil des droits de l’homme. 158. Le Conseil sera chargé de promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, pour tous, sans aucune sorte de distinction et de façon juste et équitable. 159. Le Conseil examinera les violations des droits de l’homme, notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques, et fera des recommandations à leur sujet. Il s’emploiera à ce que les activités du système des Nations Unies relatives aux droits de l’homme soient coordonnées efficacement et à ce que la question des droits de l’homme soit prise en compte systématiquement par tous les organismes du système. 160. Nous prions le Président de l’Assemblée générale d’organiser des négociations ouvertes, transparentes et sans exclusion, devant aboutir le plus tôt possible, au cours de la soixantième session, afin d’arrêter le mandat, les modalités d’organisation, les fonctions, la taille, la composition et les méthodes de travail du Conseil des droits de l’homme. Composition et statut - nécessité de remédier aux carences de la Commission des droits de l’homme : ‘il importe d’assurer l’universalité, l’objectivité et la non-sélectivité de l’examen des questions relatives aux droits de l’homme et de mettre fin à la pratique du deux poids deux mesures et à toute politisation’ - décide d'instituer le Conseil des Droits de l'Homme en tant qu'organe subsidiaire de l'Assemblée générale ayant son siège à Genève

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- le Conseil sera composé de 47 Etats membres qui seront élus directement et individuellement au scrutin secret à la majorité des membres de l'Assemblée générale. - répartition géographique équitable, les sièges étant répartis comme suit entre les groupes régionaux : 13 sièges pour les Etats d'Afrique; 13 sièges pour les Etats d'Asie; 6 sièges pour les Etats d'Europe orientale; 8 sièges pour les Etats d'Amérique latine et des Caraïbes; et 7 sièges pour les Etats d'Europe occidentale et autres Etats (UE : 9 sièges au total, 7 membres UE et 2 candidats); élus pour un mandat de trois ans, les membres du Conseil ne seront pas immédiatement rééligibles après deux mandats consécutifs (para. 7) - le Conseil se réunira régulièrement tout au long de l'année et tiendra au minimum trois sessions par an, dont une session principale, qui dureront au total au moins dix semaines [alors que la Commission tenait une session annuelle de six semaines], et pourra tenir au besoin des sessions extraordinaires si un membre en fait la demande appuyé en cela par un tiers des membres du Conseil Ex. les 5-6 juillet 2006, session extraordinaire sur la situation des droits de l’homme dans les territoire s palestiniens occupés à la demande de la Tunisie, demande votée par 21 Etats membres du Conseil - aboutit au vote d'une résolution S-1/Res. 1. Situation des droits de l'Homme dans les territoires palestiniens occupés, qui décide de dépêcher une mission d’enquête urgente dirigée par le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 (mais résolution votée 28 voix pour, 11 contre, et 5 abstentions, division causée par l’omission d’une condamnation des atteintes aux droits de l’homme par les activistes palestiniens). Ex. le 11 août 2006, deuxième session extraordinaire du Conseil portant sur ‘les violations massives des dr oits de l'Homme par Israël au Liban’ , à la demande de la Tunisie au nom du groupe des Etats arabes - aboutit au vote d’une résolution

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condamnant les violations des droits de l’homme par Israël adoptée par 27 voix pour, 11 voix contre et 8 abstentions Obligations imposées aux membres du Conseil - cont rôle minimal ex ante, mais contrôle réel ex post - ‘lors de l'élection des membres du Conseil, les Etats membres prendront en considération le concours que chaque candidat a apporté à la cause de la promotion et de la défense des Droits de l'Homme et les contributions volontaires qu'il a annoncées et les engagements qu'il a pris en la matière; l'Assemblée générale pourra, à la majorité des deux tiers des membres présents et votants, suspendre le droit d'un membre du Conseil qui aurait commis des violations flagrantes et systématiques des Droits de l'Homme d'y siéger’ (para.8) - ‘les membres élus du Conseil observeront les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des Droits de l'Homme, prêteront tout leur concours au Conseil et seront soumis à la procédure d'examen périodique universel pendant la durée de leur mandat’ (para. 9) Mandat - le Conseil examinera les violations des Droits de l'Homme, notamment celles qui revêtent un caractère flagrant et systématique, fera des recommandations à leur sujet et s'emploiera à voir coordonner efficacement les activités du système en ce domaine et à voir tous les organismes du système institutionnaliser la question des Droits de l'Homme ; - parmi les missions du Conseil des droits de l’homme : ‘procéder à un examen périodique universel, sur la foi d'informations objectives et fiables, du respect par chaque Etat de ses obligations et engagements en matière de Droits de l'Homme de façon à garantir l'universalité de son action et l'égalité de traitement de tous les Etats; se voulant une entreprise de coopération fondée sur le dialogue auquel le pays concerné est pleinement associé et qui tient compte de ses besoins en formation des capacités, cet examen viendra compléter l'œuvre des organes conventionnels sans y faire double

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emploi; le Conseil décidera des modalités de l'examen périodique universel et du temps à y consacrer dans l'année qui suivra la tenue de sa première session’ (para. 5, e)) - le Conseil ‘assumera, réexaminera et au besoin améliorera et rationalisera tous les mandats, mécanismes, fonctions et attributions de la Commission des Droits de l'Homme de façon à entretenir le régime des procédures spéciales, des avis spécialisés et des plaintes; le Conseil achèvera cet examen dans l'année suivant la tenue de sa première session’ (para. 6) Avantages sur la Commission des droits de l’homme • le Conseil des droits de l’homme est un organe subsidiaire de l’Assemblée générale; • son travail se fonde sur un souci de dialogue et de coopération, ainsi que de renforcement des capacités des Etats à assumer leurs obligations en matière de droits de l’homme; • le Conseil peut se réunir en session d’urgence entre ses sessions ordinaires à la demande d’un tiers de ses membres (mais voy. Rés. Ecosoc 1990/48, prévoyait déjà cette possibilité pour la Commission des droits de l’homme à la demande de la moitié de ses membres, qui s’est réunie cinq fois en session d’urgence entre 1992 et 2000); • mécanisme périodique universel d’examen des obligations de chaque Etat : éviter le double emploi et la repolitisation 8- Mécanismes non conventionnels : développement chronologique Entre 1945 et 1959 la Commission n’avait aucun pouvoir d’examiner les communications individuelles. Ce n’est qu’à partir de 1959 que la Résolution Ecosoc Rés. 728F(XXVIII) (30 juillet 1959) a permis au Secrétaire général des Nations Unies de dresser deux listes des communications (liste publique des communications portant sur des sujets d’intérêt général ; liste confidentielle portant sur des Etats

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déterminés transmise aux membres de la Commission des droits de l’homme et au gouvernement concerné). La Résolution Ecosoc Rés. 1235 (XLII) du 6 juin 1967 a autorisé la Commission des droits de l'homme à examiner les informations concernant des violations flagrantes des droits de l'homme et des libertés fondamentales (origine : Afrique du Sud, Namibie et Rhodésie du Sud (Zimbabwe)) La Résolution Ecosoc Rés. 1503(XLVIII) du 27 mai 1970 instaure l’examen des communications par la Sous-Commission et la Commission des droits de l’homme si elles révèlent des “violations graves et systématiques”. La procédure 1503 a été améliorée (mais aussi politisée) par Ecosoc. Rés. 2000/3 (16 juin 2000). Section 2 : La procédure fondée sur la résolution 1 503 (1970) du Conseil économique et social (ci-après Procédure 15 03) : Originellement : Rés. 1503 (1970) du Conseil économique et social : Procédures à adopter pour l'examen des communicat ions relatives aux violations des droits de l'homme et d es libertés fondamentales (27 mai 1970) 4. Autorise la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités à désigner un groupe de travail composé de cinq de ses membres au maximu m, compte dûment tenu de la répartition géographique, qui se réunira une fois par an en séances privées pendant une période ne dépassant pas dix jours, immédiatement avant les sessions de la Sous-commission, afin d'examiner toutes les communications, y compris les réponses y relatives des gouvernements reçues par le Secrétaire général en application de la résolution 728 F (XXVIII) du Conseil, en date du 30 juillet 1959, en vue d'appeler l'attention de la Sous-commission sur celles de ces communications, accompagnées, le cas échéant, de réponses des gouvernements qui semblent révéler l'existence d'un

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ensemble de violations flagrantes et systématiques, dont on a des preuves dignes de foi, des droits de l'homme et des libertés fondamentales relevant du mandat de la Sous-Commission. 5. Prie la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités d'examiner en séance privée, conformément au paragraphe 1 ci-dessus, les communications dont elle sera saisie conformément à la décision de la majorité des membres du groupe de travail, et toutes réponses y relatives des gouvernements, ainsi que tous autres renseignements pertinents, en vue de déterminer s'il convient de soumettre à la Commission des droits de l'homme des situations particulières qui semblent révéler l'existence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques, dont on a des preuves dignes de foi, des droits de l'homme exigeant l'attention de la Commission; 6. Prie la Commission des droits de l'homme, après qu'elle aura examiné toute situation qui lui aura été signalée par la Sous-commission de déterminer : a) Si cette situation requiert une étude approfondie de la part de la Commission ainsi qu'un rapport assorti de recommandations au Conseil, conformément au paragraphe 3 de la résolution 1235 (XLII) du Conseil; b) Si elle peut faire l'objet, de la part d'un Comité spécial que désignerait la Commission, d'une enquête qui ne sera entreprise que si l'état concerné a donné expressément son consentement, et qui sera conduite en collaboration constante avec ledit Etat et dans les conditions fixées en accord avec lui. En tout état de cause, l'enquête ne pourra être engagée que :

i) Si tous les recours disponibles sur le plan national ont été utilisés et épuisés;

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ii) Si ladite situation ne touche pas une question qui serait à ce moment-là en cours d'examen en vertu d'autres procédures prescrites dans les actes constitutifs de l'Organisation des Nations Unies et des institutions spécialisées ou de conventions par elle adoptées ou de conventions régionales ou que l'Etat intéressé souhaiterait soumettre à d'autres procédures, conformément à des accords internationaux d'ordre général ou particulier auxquels il serait partie La Procédure 1503 a été modifiée en 2000 suite à la décision 2000/109 de la Commission (adoptée sans vote le 26 avril 2000) et la résolution 2000/3 du Conseil économique et social (16 juin 2000) : clarifie les modalités d’examen au sein de la Commission des droits de l’homme des communications transmises après examen de la recevabilité par la Sous-commission de la promotion et la protection des droits de l’homme Résolution 2000/3 du Conseil économique et social ( 16 juin 2000) : Procédure à suivre pour l'examen des communicatio ns concernant les droits de l'homme Selon cette Résolution, le Groupe de travail des communications se réunira désormais chaque année pendant deux semaines, immédiatement après la session annuelle de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme, pour examiner, en conformité avec les critères de recevabilité des communications énoncés dans la résolution 1 (XXIV) de la Sous-commission, les communications reçues en application de la résolution 728 F (XXVIII) du Conseil qui ont été transmises aux gouvernements concernés 12 semaines au minimum avant la réunion du Groupe de travail et toutes réponses y relatives adressées par les gouvernements, aux fins de porter à l'attention du Groupe de travail des situations les situations particulières qui semblent révéler l'existence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques, dont on a des preuves dignes de foi, des droits de l'homme et des libertés fondamentales’

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Toujours selon la Résolution du 16 juin 2000,le Groupe de travail des situations se réunira chaque année pendant une semaine, un mois au moins avant la session annuelle de la Commission, afin d'examiner le rapport confidentiel et les recommandations du Groupe de travail des communications et de décider de renvoyer ou non une situation particulière dont il est ainsi saisi à la Commission des droits de l'homme, ainsi que d'examiner les situations particulières que la Commission garde à l'étude au titre de la procédure, et, en conséquence, de soumettre à la Commission un rapport confidentiel dans lequel il dégagera les principaux sujets de préoccupation et qui sera normalement accompagné d'un projet de résolution ou de décision recommandant à la Commission la suite à donner en ce qui concerne les situations qui lui sont renvoyées Autorise la Commission, si elle le juge utile, à examiner les situations particulières dont elle est saisie par le Groupe de travail des situations, ainsi que les situations qu'elle garde à l'étude, au cours de deux séances privées séparées, selon les modalités suivantes : a) À la première de ces séances, chaque pays concerné serait invité à faire une déclaration liminaire; une discussion s'engagerait ensuite entre les membres de la Commission et le gouvernement concerné sur la base de la teneur des dossiers confidentiels et du rapport du Groupe de travail des situations; b) Dans l'intervalle entre la première et la seconde séance, il serait loisible à un ou plusieurs membres de la Commission de présenter un texte de substitution ou un amendement à l'un quelconque des textes communiqués par le Groupe de travail des situations; tout projet de texte de ce type serait distribué sous le sceau de la confidentialité par le secrétariat, conformément au Règlement intérieur des commissions techniques du Conseil économique et social, avant que ne se tienne la seconde séance; c) À la seconde séance privée, les membres de la Commission examineraient les projets de résolution ou de décision et se

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prononceraient à leur sujet; un (ou plusieurs) représentant(s) des gouvernements concernés aurai(en)t le droit d'être présent(s) lors de l'adoption de la décision/résolution finale sur la situation des droits de l'homme dans le pays en question; conformément à la pratique établie, le Président de la Commission dévoilerait ensuite en séance publique les noms des pays qui auraient fait l'objet d'un examen au titre de la procédure 1503, de même que les noms des pays qui ne feraient plus l'objet d'un examen au titre de cette procédure; les dossiers 1503 demeureraient confidentiels, à moins que le gouvernement concerné n'ait fait savoir qu'il souhaitait qu'ils soient rendus publics; d) Conformément à la pratique établie, la suite donnée en ce qui concerne une situation particulière devrait être l'une des suivantes : i) Mettre fin à l'examen de la question lorsqu'il n'y a pas lieu de le poursuivre ou de prendre d'autres mesures; ii) Garder la situation à l'étude en tenant compte de tous autres renseignements qui pourraient être reçus du gouvernement concerné et de toutes nouvelles informations qui pourraient parvenir à la Commission au titre de la procédure 1503;

ii) Garder la situation à l'étude et nommer un expert indépendant;

iv) Mettre fin à l'examen de la question au titre de la procédure confidentielle régie par la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil économique et social afin d'entreprendre l'examen de la même question au titre de la procédure publique régie par la résolution 1235 (XLII) du Conseil’. Le rôle de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme dans le cadre de la Procédure 1503.

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Le Groupe de travail des communications (de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme) reçoit et examine les plaintes (communications individuelles) et fait des recommandations. - Ce groupe de travail est constitué chaque année par la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Il est composé de membres de cet organe géographiquement représentatifs des cinq ensembles régionaux, avec roulement approprié - Le Groupe de travail se réunit tous les ans immédiatement après la session de la Sous-commission afin d’examiner les communications (plaintes) reçues de particuliers et de groupes dénonçant des violations des droits de l’homme et des réponses reçues des gouvernements - examine la recevabilité des communications - s’il relève des ‘preuves suffisantes de l’existence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme’, il transmet le dossier au Groupe de travail des communications de la Commission des droits de l’homme (à présent, au Conseil des droits de l’homme). Critères de recevabilité des communications individ uelles [résolution 1 (XXIV) de la Sous-commission datée du 13 août 1971] - Les communications incompatibles avec les principes de la Charte des Nations Unies ou motivées par des raisons politiques ne sont pas admissibles. - Les communications ne sont recevables que si leur examen donne raisonnablement lieu de croire - compte tenu aussi des réponses envoyées par le gouvernement - qu’elles révèlent l’existence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme et des libertés fondamentales. - Les communications peuvent émaner de tout individu ou groupe de personnes affirmant avoir été victime de violations des droits de l’homme ou ayant une connaissance directe et sûre de violations. Les communications anonymes ne sont pas recevables,

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non plus que celles qui reposent exclusivement sur des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse. - Toute communication doit contenir une description des faits et indiquer l’objet de la pétition et les droits qui ont été violés. En règle générale, les communications rédigées en termes outranciers ou insultant l'État en cause ne sont pas examinées. - Les recours internes doivent avoir été épuisés pour qu’une communication soit examinée, à moins qu'il ne soit établi que des démarches au niveau national seraient inefficaces ou que la procédure se prolongerait indûment. Le travail de la Commission des droits de l'homme s uivant la Procédure 1503 Le Groupe de travail des communications, composé de cinq membres désignés par les groupes régionaux, avec un roulement convenable, examine la recevabilité des communications triées par la Sous-commission des droits de l’homme Le Groupe de travail des situations, composé de cinq membres désignés par les groupes régionaux, avec un roulement convenable, se réunit au moins un mois avant la Commission afin d’examiner les situations qui lui ont été transmises par le Groupe de travail des communications et de décider de leur renvoi éventuel à la Commission. Le rôle du Conseil économique et social dans la Pro cédure 1503 La Commission des droits de l’homme peut décider de transmettre au Conseil économique et social : confidentialité jusqu’à ce stade mais les pays contre lesquels des communications sont introduites qui sont transmises à l’Ecosoc sont mentionnés par le président de la Commission des droits de l’homme (depuis 1978).

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Section 3 : La procédure fondée sur la résolution 1 235 (1967) du Conseil économique et social (ci-après Procédure 12 35) Depuis 1945, c’est la Résolution Ecosoc Rés. 1235 (XLII) du 6 juin 1967 qui vient autoriser la Commission des droits de l'homme à examiner les informations concernant des violations flagrantes des droits de l'homme et des libertés fondamentales (origine : Afrique du Sud, Namibie et Rhodésie du Sud (Zimbabwe)). Cette Résolution autorise la CDH à entreprendre ‘une étude approfondie des situations qui révèlent de constantes et systématiques violations des droits de l’homme (…) et présenter un rapport et des recommandations à ce sujet au Conseil économique et social’. Par application de cette Résolution, le coup d’Etat qui a eu lieu au Chili en 1973 a entraîné la mise sur pied à la CDH en 1975 d’un groupe de travail de 5 membres pour examiner la situation des droits de l’homme au Chili. En 1979, la procédure 1235 a été développée à l’égard d’autres situations. Malheureusement, la politisation de la Commission des droits de l’homme a conduit à la perte de crédibilité du mécanisme. Section 4. Le Haut Commissaire aux Droits de l’Homm e Résolution A/48/141 de l’Assemblée générale (20 décembre 1993): le Haut Commissaire aux droits de l’homme est le fonctionnaire des Nations Unies auquel incombe, « à titre principal », la responsabilité des activités des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme. Il a les fonctions suivantes : -Promouvoir et protéger la jouissance effective par tous de tous les droits de l’homme; -Adresser des recommandations aux organismes compétents des Nations Unies tendant à ce que tous les droits de l’homme soient encouragés et défendus plus efficacement; -Promouvoir et protéger la réalisation du droit au développement;

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-Apporter une assistance technique dans le domaine des droits de l’homme; Haut Commissaire aux Droits de l’Homme -Coordonner les programmes des Nations Unies relatifs à l’éducation et à l’information dans le domaine des droits de l’homme ; -Contribuer activement à écarter les obstacles qui entravent la réalisation des droits de l’homme; -Contribuer activement à empêcher que les violations des droits de l’homme ne persistent; -Engager un dialogue avec tous les gouvernements afin de garantir le respect de tous les droits de l’homme; -Renforcer la coopération internationale; -Coordonner les activités touchant la promotion et la protection des droits de l’homme dans l’ensemble du système des Nations Unies; -Rationaliser, adapter, renforcer et simplifier les mécanismes des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme. A titre informatif : 1 Ayalo Lasso Haut Commissaire (1994-1997) 2 Mary Robinson Haut Commissaire (1997-2002) 3 Sergio Viera de

Mello Haut Commissaire (2002-2003)

4 Bertrand Ramcharan Haut Commissaire (2003-2004) 5 Louise Arbour Haut Commissaire (2005- 2008) 6 Naviy Pillay Haut Commissaire ( 2008…… ) Le document final du Sommet mondial, 14-16 septembre 2005, met l’accent sur le renforcement de la mission du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. 124. Nous prenons la résolution de renforcer le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et prenons acte du plan d’action du Haut Commissaire visant à permettre au Haut Commissariat de s’acquitter effectivement de sa mission et de relever les multiples défis auxquels la communauté internationale doit faire

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face dans le domaine des droits de l’homme, en particulier pour ce qui touche l’assistance technique et le renforcement des capacités, en doublant son budget ordinaire au cours des cinq prochaines années, afin de rééquilibrer progressivement la répartition de ses ressources entre budget ordinaire et contributions volontaires, compte tenu des autres programmes prioritaires à l’intention des pays en développement et de la nécessité de recruter du personnel hautement qualifié, géographiquement très diversifié, et se répartissant également entre les sexes, personnel dont le coût sera imputé au budget ordinaire. Nous préconisons une coopération plus étroite entre le Haut Commissariat et tous les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies, notamment l’Assemblée générale, le Conseil économique et social et le Conseil de sécurité.

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LES MECANISMES ONUSIENS DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME : LES ORGANES DE TRAITES Par M. Félix AHOUANSOU Les mécanismes conventionnels de protection des droits de l’homme sont ceux créés par les traités de base des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme. Il faut retenir que chaque traité de base des Nations Unies, du moins pour la plupart, comporte la création d’un comité de surveillance et de contrôle de son respect. C’est le cas de tous les traités sauf le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Sous ce thème, nous distinguerons quatre sections : Section 1 : Les traités de base de l’Organisation des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme Section 2 : Le contrôle sur rapports étatiques Section 3 : Le contrôle sur communications étatiques ou individuelles Section 4 : Le contrôle au travers d’enquêtes ou de visites sur place Section 1 : LES TRAITES DE BASE DES NATIONS UNIES DANS LE DOMAINE DES DROITS DE L’HOMME On peut citer dans l’ordre chronologique les traités ci-après : 1. Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (21 déc. 1965) 2. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (16 déc. 1966) et protocole facultatif (juin 2008). 3. Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 déc. 1966) et (Premier) Protocole facultatif (16 déc. 1966), Second Protocole facultatif (15 déc. 1989)

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4. Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (18 déc. 1979) et Protocole facultatif (6 oct. 1999) 5. Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10.12.1984) et Protocole facultatif du 18 décembre 2002 (sous-comité de la prévention et mécanismes nationaux de prévention) 6. Convention relative aux droits de l’enfant (20 nov. 1989) 7. Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (18 déc. 1990) 8. Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (approuvée par le Conseil des droits de l’homme lors de sa première session, 29 juin 2006) 9. Convention internationale pour la protection et la promotion des droits des handicapés (28 août 2006) Chaque traité de base créant un mécanisme de contrôle de son respect, les principaux mécanismes basés sur les traités de base sont les suivants : Contrôle sur rapports étatiques : il débouche sur des observations finales adoptées par l’organe de contrôle habilité. A noter que même en l’absence de rapports étatiques mais sur base des événements et des situations avérés, les comités de contrôle du respect des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme élaborent des directives appelées Observations générales ou Recommandations générales (general comments). Communications individuelles (sauf PIDESC (ICESCR) et CIDE (CRC)) : Ce type de contrôle aboutit à ce qu’on appelle « constatations ». Il en est ainsi lorsqu’un individu saisit un organe de contrôle créé par un traité de base. Les communications peuvent aussi provenir d’un Etat contre un autre Etat. Dans ce cas, on parle de communications interétatiques.

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Enquêtes et visites sur place : Les comités de contrôle créés par les traités de base peuvent dans certaines situations entreprendre des enquêtes confidentielles ou des visites sur place avec l’accord de l’Etat intéressé. La procédure de saisine de l’Assemblée générale des Nations unies pour les situations condamnées par les traités de base repose sur des comités d’experts indépendants qui siègent à titre personnel. Ils sont élus par les Etats parties (sauf CDESC : Conseil économique et social) sur présentation des Etats. Les critères que doivent remplir les candidats sont ceux de haute intégrité et de compétence reconnue, mais aussi de répartition géographique équitable). Examinons à présent chaque mécanisme fondé sur les traités de base relatifs aux droits de l’homme. Section 2 : CONTROLE SUR RAPPORTS Les objectifs poursuivis par un comité de contrôle en examinant un rapport étatique périodique sont résumés par l’Observation générale n°1 (1989) du Comité des droits économiques, sociau x et culturels portant sur les rapports des Etats parties. Il s’agit de : • Screening dans le rapport initial • S’informer régulièrement afin de pouvoir réagir, notamment en surveillant le risque de discriminations • mettre en avant les politiques publiques qui concrétisent l’obligation de réaliser les droits • faciliter l’évaluation par l’opinion publique et la participation de la société civile • évaluer les progrès faits avec le CDESC • mieux comprendre les difficultés et identifier les solutions possibles • échange des bonnes pratiques en vue d’un apprentissage collectif des Etats

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Cet examen des rapports étatiques périodiques donne lieu à des recommandations du comité de contrôle en direction de l’Etat partie. Mais l’expérience a permis de découvrir plusieurs difficultés dans la mise en œuvre de ce mécanisme. C’est une situation d’autant plus inquiétante que l’on se pose des questions sur l’efficacité de ce mécanisme, à l’étape actuelle. Il y a lieu de penser à remédier à ces défaillances du système. Parlant de défaillances, on note un retard des Etats à produire leurs rapports périodiques. La résolution Rés. 2000/75 de la Commission des droits de l’homme et l’article 36 § 2 de la Convention sur les droits des personnes handicapées postulent à ce sujet que les comités de contrôle du respect des traités de base peuvent procéder à un ‘’examen sur la base d’informations fiables si l’Etat ne soumet pas un rapport dans les trois mois suivant la notification’’, comme pour pallier au retard des Etats. On note également un retard criard des comités dans l’examen des rapports étatiques périodiques : Le CRC : 22,3 mois pour l’examen des rapports; Le CEDAW : 23,25 mois; Le CDH : 12 mois; Le CDESC : 15,5 mois; Le CAT : 19 mois) Suivant les calculs ci-dessus (effectués en 2008), les comités sont très en retard dans l’examen des rapports qui leurs sont parvenus, alors que tous les Etats ne sont à jour. Qu’adviendrait-il alors si tous les Etats produisaient à temps leurs rapports périodiques ? On note par ailleurs, le manque de ressources pour permettre à ces organes de contrôle de faire le travail qui est le leur dans les langues indiquées et en temps raisonnable. La qualité et la pertinence des observations finales en souffrent évidemment. Et ce d’autant plus que les experts commis ne connaissent pas forcément les réalités des pays dont ils examinent les rapports. Les comités n’arrivent pas à

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procéder à un suivi efficace des observations finales qu’ils émettent à l’endroit des Etats. La question de l’indépendance des membres de ces comités ne doit pas non plus être occultés, du moment où les experts désignés pour jouer le rôle de contrôle sont choisis parmi ceux proposés par les Etats eux-mêmes. Ces difficultés sont évidentes car chaque Etat des Nations Unies est partie à au moins l’un des sept traités de base en matière de droits de l’homme et 75 % sont parties a quatre traités ou davantage (rapports tous les 4 ou 5 ans). C’est dire qu’un Etat ayant ratifié les neuf traités imposant des obligations de rapports doit présenter un rapport tous les 5 mois et demi. Or :

• 71 % des ratifications possibles ont été entamées (77% sans tenir compte de la CMW) • 7 comités en fonction, auxquels vont s’ajouter le sous-comité de la prévention (OPCAT), le comité contre les disparitions forces, le comité des droits des personnes handicapées • 115 membres élus par les Etats parties (ou par le Conseil économique et social) • Au total, 57 semaines de sessions par an A ce sujet, on peut se référer à des extraits de la Résolution 2000/75 de la Commission et du document final du sommet mondial du 14-16 septembre 2005 : Résolution de la Commission des droits de l’homme 2 000/75 : Application effective des instruments internationau x relatifs aux droits de l'homme, y compris l'obligation de présen ter des rapports à ce titre Réitérant l'inquiétude que lui cause le grand nombre de rapports en souffrance -– qui doivent être soumis en vertu des instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme –, l'arriéré de plus en plus important des rapports des États parties sur l'application des instruments et le retard qui affecte l'examen de ces rapports par les

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organes créés en vertu desdits instruments, ainsi que l'insuffisance des ressources, qui entrave le fonctionnement efficace desdits organes, notamment leur capacité de mener leurs activités dans les langues de travail voulues, 7. Prend note des mesures décidées par chacun des organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme pour améliorer son fonctionnement, comme il ressort du rapport annuel de chacun d'eux, et encourage ces organes et le Secrétaire général à poursuivre leurs efforts tendant à aider les États parties à mieux s'acquitter de leurs obligations en ce qui concerne la présentation de rapports périodiques et à diminuer l'arriéré des rapports devant être examinés par lesdits organes; 8. Se félicite des efforts que les organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et le Secrétaire général continuent de déployer pour simplifier, rationaliser, rendre plus transparentes et améliorer de toute autre façon les procédures de présentation des rapports, et encourage le Secrétaire général, les organes en question et les présidents de ces organes à leur prochaine réunion à examiner les moyens qui permettraient d'éviter que les rapports requis au titre des différents instruments ne fassent trop largement double emploi, sans nuire à leur qualité, et, de façon générale, de réduire la charge que l'établissement de ces rapports impose aux États parties, notamment en continuant d'examiner les propositions visant à faire en sorte que les rapports ne portent que sur un nombre limité de questions et à harmoniser les directives générales concernant la forme et le contenu des rapports, ainsi que les propositions concernant la possibilité de regrouper les rapports en retard, le moment où ils doivent être examinés et les méthodes de travail des organes en question; Document final du Sommet mondial, 14-16 septembre 2 005 125. Nous prenons la résolution d’améliorer l’efficacité des organes conventionnels s’occupant des droits de l’homme, notamment en assurant la présentation des rapports en temps utile, en améliorant et rationalisant les procédures d’établissement des rapports, en

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accordant une assistance technique aux États pour renforcer leurs capacités d’établissement de rapports, et en veillant à la mise en œuvre plus efficace des recommandations de ces organes. Quelles solutions pour remédier aux défaillances du mécanisme de contrôle sur rapports étatiques périodiques ? • rôle des ONG de défense des droits de l’homme • rôle des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme • consolidation des rapports (première étape : projet de directives pour un document de base élargi et des rapports ciblés (‘common core document’, constituant avec le ‘treaty-specific document’ le rapport de l’Etat), ainsi que du projet de directives harmonisées pour l’établissement des rapports destinés à tous les organes conventionnels) • consolidation des comités • ressources Parlant de consolidation des comités, la proposition d’un comité unique a été faite par le Haut Commissaire des droits de l’homme Louise Arbour en mars 2006. Concept paper on the High Commissioner’s proposal f or a unified standing treaty body (HRI/MC/2006/2, 22 mars 2006) • lack of visibility, authority and access affects the current system • the system is approaching the limits of its performance, structural change will be required in order to guarantee its effectiveness in the long term. • Unlike the current system of seven part-time Committees, a unified standing treaty body comprised of permanent, full-time professionals is more likely to produce consistent and authoritative jurisprudence. • A unified standing treaty body would be available to victims on a permanent basis and could respond rapidly to grave violations”.

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Section 3. CONTROLE SUR COMMUNICATIONS INDIVIDUELLES Protocole facultatif se rapportant au Pacte interna tional relatif aux droits civils et politiques Article premier Tout Etat partie au Pacte qui devient partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation, par cet Etat partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant un Etat Partie au Pacte qui n'est pas partie au présent Protocole. Article 2 Sous réserve des dispositions de l'article premier, tout particulier qui prétend être victime d'une violation de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu'il l'examine. Article 3 Le Comité déclare irrecevable toute communication présentée en vertu du présent Protocole qui est anonyme ou qu'il considère être un abus du droit de présenter de telles communications ou être incompatible avec les dispositions du Pacte. Article 5 1. Le Comité examine les communications reçues en vertu du présent Protocole en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui sont soumises par le particulier et par l'Etat partie intéressé. 2. Le Comité n'examinera aucune communication d'un particulier sans s'être assuré que: a) La même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement ; b) Le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles . Cette règle ne s'applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables.

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Section 4.- ENQUETES ET VISITES SUR PLACE Convention contre la torture et autres peines ou tr aitements cruels, inhumains ou dégradants Article 20 (mais article 28 : l’Etat peut exclure cette compétence du Comité contre la torture) 1. Si le Comité reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d'un Etat partie, il invite ledit Etat à coopérer dans l'examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet. 2. En tenant compte de toutes observations éventuellement présentées par l'Etat partie intéressé et de tous autres renseignements pertinents dont il dispose, le Comité peut, s'il juge que cela se justifie, charger un ou plusieurs de ses membres de procéder à une enquête confidentielle et de lui faire rapport d'urgence. 3. Si une enquête est faite en vertu du paragraphe 2 du présent article, le Comité recherche la coopération de l'Etat partie intéressé. En accord avec cet Etat partie, l'enquête peut comp orter une visite sur son territoire . 4. Après avoir examiné les conclusions du membre ou des membres qui lui sont soumises conformément au paragraphe 2 du présent article, le Comité transmet ces conclusions à l'Etat partie intéressé, avec tous commentaires ou suggestions qu'il juge appropriés compte tenu de la situation. 5. Tous les travaux du Comité dont il est fait mention aux paragraphes 1 à 4 du présent article sont confidentiels et, à toutes les étapes des travaux, on s'efforce d'obtenir la coopération de l'Etat partie. Une fois achevés ces travaux relatifs à une enquête menée en vertu du paragraphe 2, le Comité peut, après consultations avec l'Etat partie intéressé, décider de faire figurer un compte rendu succinct des résultats des travaux dans le rapport annuel qu'il établit conformément à l'article 24.

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Protocole facultatif à la Convention contre la tort ure et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradan ts (18 décembre 2002) (OP-CAT) Rappelant les articles 2 et 16 de la Convention, qui font obligation à tout État Partie de prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants soient commis dans tout territoire sous sa juridiction, Conscients qu’il incombe au premier chef aux États d’appliquer ces articles, que le renforcement de la protection des personnes privées de liberté et le plein respect de leurs droits de l’homme sont une responsabilité commune partagée par tous, et que les organes internationaux chargés de veiller à l’application de ces principes complètent et renforcent les mesures prises à l’échelon national. Evolution : subsidiarité et solidarité Protocole facultatif à la Convention contre la tort ure et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradan ts (18 décembre 2002) • crée le ‘Sous-comité de la prévention’ du Comité contre la torture (art. 2) : 10 experts indépendants (25 après 50 ratifications) choisis parmi des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l’administration de la justice, en particulier en matière de droit pénal et d’administration pénitentiaire ou policière • Principes de confidentialité, d’impartialité, de non-sélectivité, d’universalité et d’objectivité • Art. 3 : ‘Chaque État Partie met en place, désigne ou administre, à l’échelon national, un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants’ (mécanisme national de prévention )

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• Art 4 § 1 : ‘Chaque État Partie autorise les mécanismes visés aux articles 2 et 3 à effectuer des visites, conformément au présent Protocole, dans tout lieu placé sous sa juridiction ou sous son contrôle où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur l’ordre d’une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite (…). Ces visites sont effectuées afin de renforcer, s’il y a lieu, la protection desdites personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.’ Double rôle du Sous-comité de la prévention : a) visites et recommandations concernant la protection des personnes privées de liberté contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; b) soutien aux mécanismes nationaux de prévention: i) Offre des avis et une assistance aux États Parties aux fins de la mise en place desdits mécanismes ; ii) contacts directs et confidentiels avec ces mécanismes et formation et assistance technique en vue de renforcer leurs capacités ; iii) avis et assistance à ces mécanismes ; iv) recommandations à l’intention des États Parties en vue de renforcer les capacités et le mandat des mécanismes nationaux de prévention Article 26 : Fonds spécial : But : aider à financer l’application des recommandations que le SOUS-COMITÉ de la prévention adresse à un État Partie à la suite d’une visite, ainsi que les programmes d’éducation des mécanismes nationaux de prévention. Financé : par des contributions volontaires versées par les gouvernements, les organisations intergouvernementales et non gouvernementales et d’autres entités privées ou publiques En conclusion, on peut dire que l’évolution du système illustre le souci d’effectivité, mais aussi de faciliter le respect de ses obligations par l’Etat par : 1° la création d’institutions nationales visant à l a prévention (subsidiarité) ;

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2° le renforcement de la capacité de ces institutio ns par des ‘leviers’ internationaux, et 3° l’adoption de dispositions financières pour faci liter le respect par l’Etat de ses obligations internationales.

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MECANISMES JURIDICTIONNELS (COMMISSION ET COUR) DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE Par Maitre NYALUMA MULAGANO Arnold

Le continent africain n’a pas bonne presse en matière de protection des droits de l’homme ; les mécanismes de sauvegarde africains sont de ce fait dévalorisés, voire banalisés par une doctrine abondante/majoritaire afro- pessimiste. Par la présente communication, nous allons exposer les vertus du mécanisme quasi- juridictionnel (la commission) et un mécanisme juridictionnel (la cour) à notre disposition. L’efficacité de ces mécanismes de sauvegarde prévus par la CADHP sera fonction de l’usage que nous en ferons plutôt que des critiques dont nous allons les accabler.

1. La Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples 1.1. Composition et fonctionnement La commission a son siège à Banjul, elle est composée de 11 membres57 choisis parmi les personnalités africaines jouissant de la plus haute considération, connues pour leur haute moralité, leur intégrité et leur impartialité , et possédant une compétence en matière de droits de l’homme et des peuples. Les membres ne sont pas nécessairement juristes, encore moins des juges, il est seulement recommandé la participation des personnes ayant une expérience en matière de droit. Ils sont élus au scrutin secret par la conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement pour un mandat de six ans renouvelables. Chaque Etat présente un seul candidat, toute fois il peut présenter deux à condition que l’un ne soit pas son national. Le membre siège à titre individuel. 57 Art. 31et suivants

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1.2. Mandat La commission joue non seulement un rôle de protection mais aussi un rôle de promotion des droits de l’homme. Ce dernier sera examiné dans le module sur les mécanismes non juridictionnels. 1.2.1. Mise en œuvre des mécanismes de protection Les mécanismes de protection passent par le contrôle par sur rapport et le contrôle sur communication interétatique ou individuelle. Le contrôle sur rapport sera examiné dans le thème sur les mécanismes non juridictionnels. A. Qui peut agir ? a. Communications interétatiques L’article 47 reconnaît le droit à un Etat partie qui a des bonnes raisons de croire qu’autre Etat également partie a violé les dispositions de la charte d’agir devant la commission par voie de communication. Un seul cas jusqu’à présent : Communication 227/1999, RDC contre Burundi, Rwanda et Ouganda (20ème rapport d’activité).58 On ne peut s’étonner de cette rareté puisqu’il n’est pas évident qu’un Etat aille faire le procureur dans un autre. Certes les droits de l’homme ne relèvent plus des affaires intérieures de l’Etat mais on voit mal un Etat africain se lancer sur ce terrain diplomatiquement dangereux. Le seul cas ne correspond d’ailleurs pas à l’hypothèse visée par les auteurs de la charte. Certes le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ont été condamnés mais pour des violations des droits de l’homme commis sur le territoire congolais alors occupé par les trois pays et dont les victimes sont les citoyens congolais. b. Communications individuelles La Commission peut être saisie par : -Un individu : l’auteur de la communication ne doit pas obligatoirement être la victime de la violation alléguée. Bien que la cause peut être

58 Ch. Beyani, « Recent Developments in the African Human Rights System 2004-2006 », Human Rights Law Review, vol. 7 Nr. 3, 2007, 582-608

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instruite sous anonymat à la demande du requérant, il doit néanmoins mentionner son identité pour faciliter les échanges avec la commission. - Un groupe d’individus : il s’agit non pas d’action collective mais l’hypothèse où un groupe d’individus ont subis des violations de même nature, du même auteur… - Une ONG : il s’agit d’une ONG ayant le statut d’observateur près la commission africaine des droits de l’homme et des peuples. B. Les conditions de recevabilité des communication s a. Communications interétatiques : l’article 50 impose l’épuisement des voies des recours internes comme condition de recevabilité de la communication. A moins que la procédure interne ne se prolonge de manière manifestement anormale ou qu’ils soient inexistants. C’est la seule condition qui semble applicable aux requêtes interétatiques. Cette exigence est valable lorsque un Etat agit contre les violations commises par un autre Etat sur son territoire et contre ses propres nationaux. On ne peut s’étonner que ce recours soit rare car il ne sera pas « diplomatiquement correct » qu’un Etat puisse donner des leçons jusqu’à agir en justice pour des ressortissants étrangers et sur le territoire étranger. Encore que l’argument « tu coque » peut conduire beaucoup d’Etats à la retenue. Par contre le seul cas disponible l’affaire RDC contre Burundi, Rwanda et Ouganda démontre qu’il est plus loisible pour un Etat d’agir lorsque ses propres nationaux subissent des violations du fait d’un Etat étranger et de surcroît lorsque ces violations ont lieu sur le territoire de l’Etat requérant. Ici il n’est pas envisageable d’exiger l’épuisement des voies de recours internes pour deux raisons, chacune étant suffisante. La première est que souvent il s’agit des violations massives et systématiques pour lesquelles l’épuisement des voies de recours n’est pas exigé comme condition de recevabilité de la communication. La seconde est que par hypothèse les voies internes ne sont pas disponibles pour un Etat étranger.

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b. Communications individuelles : b.1. Obligation d’épuiser tous les recours internes existant, à moins qu’il ne soit manifeste que la procédure interne se prolonge de manière anormale. (Art. 56-5). Il s’agit des recours juridictionnels comme le précise la commission de l’affaire Alfred B. Cudjoe C/Ghana (communication – 221/98). Dans cette affaire, le requérant invoquait la résiliation abusive de son contrat de travail à l’ambassade du Ghana en Guinée. La Commission a estimé qu’il n’était pas suffisant que le requérant ait déposé une plainte devant la commission ghanéenne des droits de l’Homme. La saisine de cette instance non judiciaire aurait dû se prolonger par une action devant les tribunaux, et puisque cela n’avait pas été fait, la communication portée devant la Commission a été jugée irrecevable59. Point n’est besoin de noter que les recours politiques ne sont pas visés pour la simple raison qu’ils ne sont pas épuisables, ils peuvent être multipliés ou répétés à l’infini. Cette obligation consacre la subsidiarité 60du contrôle juridictionnel international par rapport à la protection des droits de l’homme assurée au plan interne. En principe, l’Etat est maître du choix des moyens par lesquels s’acquitter de son obligation internationale (le droit international impose des obligations de résultat et non de comportement déterminé) mais l’Etat a l’obligation de garantir un recours effectif. b. 2. Les tempéraments à la règle d’épuisement des voies de recours internes : - Le recours se prolonge de manière anormale Le délai considéré comme raisonnable n’est pas déterminé par la charte, il convient de se rapporter aux critères traditionnels tenant à la complexité de l’affaire et au comportement des parties. La commission apprécie donc au cas par cas, mais toujours est-il que la durée de

59 Ngoy Walupakah, La cour africaine des droits de l’homme et des peuples : le problème du contrôle juridictionnel des droits de l’homme en Afrique ; Mémoire de licence, Faculté de Droit, U.C.B.2007-2008, inédit 60 Olivier de Schutter, Cours de systèmes de protection des droits de l’homme, Master complémentaire en Droits de l’homme, FUSL-UCL-FUNDP, 2007-2008, inédit

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certains recours peut lui priver de tout effet utile lorsque la décision est rendue avec un grand retard. - Le recours doit être disponible, effectif et adéquat La Cour Eur. D.H. admet que l’exigence du recours effectif s’impose dès lors que le grief est défendable, notamment dès lors qu’une ingérence a été commise dans un droit garanti dont il faut examiner l’acceptabilité. Ainsi dans l’arrêt Conka c. Belgique du 5 février 2002, § 75 : la Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de s'y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L'« effectivité » d'un « recours » au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. La Cour considère que l'effectivité des recours exigés par l'article 13 suppose qu'ils puissent empêcher l'exécution des mesures contraires à la Convention et dont les conséquences sont potentiellement irréversibles (…). Dans le cadre du PIDESC : voy. Obs. gén. N°9 (1998) , § 9Le droit à un recours effectif ne doit pas être systématiquement interprété comme un droit à un recours judiciaire. Les recours administratifs sont, dans bien des cas, suffisants, et les personnes qui relèvent de la juridiction d'un État partie s'attendent légitimement à ce que toutes les autorités administratives tiennent compte des dispositions du Pacte dans leurs décisions, conformément au principe de bonne foi. Tout recours administratif doit être accessible, abordable, rapide et suivi d'effets. De même, il est souvent utile de pouvoir se prévaloir d'un recours judiciaire de dernier ressort contre des procédures administratives de ce type. D'ailleurs, pour certaines obligations, telles que celles qui ont trait à la non-discrimination (ainsi que bien d'autres), il est nécessaire d'offrir un recours judiciaire, sous une forme ou une autre, si l'on veut s'acquitter des dispositions du Pacte. En d'autres

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termes, chaque fois qu'un droit énoncé dans le Pacte ne peut être exercé pleinement sans une intervention des autorités judiciaires, un recours judiciaire doit être assuré. L’affaire61 John D. Ouko contre Kenya (entre autre) illustre le cas d’un recours indisponible. Le plaignant soutient être le chef de l’Union des Etudiants de l’Université de Nairobi, Kenya. Il a allégué qu’il a été forcé de fuir son pays à cause de ses opinions politiques. Il relève comme étant à l’origine de la tension dans ses relations avec le gouvernement, ainsi que de son arrestation, de sa détention et en fin de compte de sa fuite pour les motifs suivants : (a) la demande de la mise en place d’une Commission d’enquête judiciaire sur le meurtre de feu son oncle M. Robert Ouko, l’ancien Ministre des Affaires étrangères du Kenya.(b) la condamnation de l’apparente implication du gouvernement dans le meurtre de son prédécesseur à l’Union des Etudiants, M. Solomon Muruli ; (c) la condamnation de la corruption, du népotisme et du tribalisme au sein du gouvernement ; (d) la condamnation de la fréquente fermeture des universités publiques. Avant sa fuite, le plaignant a été arrêté et détenu sans jugement pendant 10 mois dans les cellules du “fameux sous-sol” du siège du Département des Services secrets de Nairobi dans des conditions épouvantables où il a fait l’objet de torture physique et morale. Il indique qu’il a fui le pays le 10 novembre 1997 vers l’Ouganda où il a initialement demandé l’asile politique qui lui a été refusé. Sur la recevabilité la commission a pris la décision suivante: la recevabilité des communications soumises conformément à l’Article 55 de la charte est régie par les conditions énoncées à l’Article 56 de ladite charte. La disposition qui s’applique dans ce cas particulier est celle de l’Article 56 (5) de la Charte qui stipule notamment : ”les communications … reçues à la commission et relatives aux droits de

61 John D. Ouko c. Kenya, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 232/99, 28e Session Ordinaire, Cotonou, Bénin, 6 novembre 2000.

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l’homme et des peuples doivent pour être examinées… être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifesté à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale…” Dans cette affaire les faits se présentent comme suit : Le plaignant ne se trouve plus en République du Kenya ; Cette situation ne dépend pas de sa volonté – il a été obligé de fuir le pays en raison de ses opinions politiques et de ses activités au sein de l’Union des Etudiants ; Dans une lettre datée du 30 octobre 1999, écrite par un certain M. Tane Tamba, Chef du Bureau auxiliaire du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il est indiqué que le plaignant ”a le statut de réfugié aux termes du mandat du HCR conformément aux dispositions de la Convention de l’OUA du 10 septembre 1969 auxquelles il satisfait”. Se basant sur sa jurisprudence (voir communication 215/98 – Rights International c/Nigeria (un étudiant avait été arrêté et torturé dans un camp de détention militaire au Nigeria. La commission a estimé que « dans un cas particulier, la Commission a trouvé que l’étudiant était dans l’incapacité de faire usage d’une quelconque voie de recours interne, suite à sa fuite en République du Bénin par peur pour sa vie et de l’octroi du statut de réfugié par les Etats-Unis d’Amérique), la Commission estime que le plaignant ne dispose d’aucune voie de recours interne étant donné qu’il a fui la République Démocratique du Congo parce qu’il craignait pour sa vie et aussi parce que le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés lui reconnaît le statut de Réfugié. En conséquence, et se fondant sur le principe de l’épuisement des voies de recours internes, la Commission a reçu la communication. Le recours n’est pas disponible en cas d’existence de clauses dérogatoires empêche tout recours. Dans le cas de l’existence de clauses dérogatoires qui interdisent aux tribunaux d’examiner des décrets et des décisions de la branche exécutive, la Commission a considéré que ces clauses rendent les recours internes « inexistants, inefficaces ou illégaux ». C’était notamment le cas au Nigeria dans les années 1990, où le gouvernement militaire a adopté une série de clauses dérogatoires. C’est aussi le cas de tout acte soustrait à tout contrôle juridictionnel, y compris des cas de privilège de juridiction.

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La Communication 129/94 Civil Liberties Organisation c/ Nigéria illustre l’hypothèse d’un recours inadéquat, inutile. Le plaignant soutenait que l’application normale de la loi avait été rendue difficile à cause de l’état d’urgence décrété dans le pays. Du fait de la situation politique qui prévalait au Nigéria, la Commission a jugé recevable la communication estimant qu’en pareil cas, « la procédure de recours internes serait trop longue, mais qu’elle ne produirait aussi aucun résultat ». - Lorsque les violations dénoncées sont des violations graves et massives ; la règle de l’épuisement des voies de recours ne s’applique pas. Free Legal Assistance Group et Autres contre Zaïre62. Sur la recevabilité la commission a pris la position suivante : Après délibérations, tel qu'il est envisagé par l'article 58 de la Charte africaine, la Commission a considéré que les communications 25/89, 47/90, 56/91 et 100/93 contre le Zaïre révèlent l'existence de violations graves et massives des droits de l'homme. L’article 56 de la Charte africaine exige que les plaignants épuiser les recours internes avant que la Commission peut prendre jusqu'à un cas, à moins que ces recours sont, en pratique, inaccessibles ou trop prolongée. L'exigence de l'épuisement des recours est fondé sur le principe selon lequel un gouvernement devrait avoir connaissance d'une violation des droits de l'homme afin d'avoir l'occasion de remédier à ces violations avant d'être appelé devant un organe international. Dans ce cas, le gouvernement a eu amplement l'avis de la violation. La Commission n'a jamais tenu l'exigence de l'épuisement des recours internes à appliquer littéralement dans le cas où il est impossible ou indésirable pour le requérant de saisir les tribunaux nationaux dans le cas de chaque violation. Telle est la situation ici, étant donné la grande étendue et variée des violations alléguées et la situation générale qui prévaut au Zaïre. Pour les raisons susmentionnées, la Commission a déclaré la communication recevable.

62Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Comm. N ° 25/89, 47/90, 56/91, 100/93 (1995). Communications 25/89, 47/90, 56/91, 100/93 (Inscription)

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Dans le même sens la Cour Européenne estime qu’en présence d’une pratique liberticide, il n’existe pas d’obligation d’épuiser les voies de recours internes. Dans l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni la Cour a décidé qu’une pratique incompatible avec la Convention consiste en une accumulation de manquements de nature identique ou analogue, assez nombreux et liés entre eux pour ne pas se ramener à des incidents isolés, ou à des exceptions, et pour former un ensemble ou système; elle ne constitue pas en soi une infraction distincte de ces manquements. On n'imagine pas que les autorités supérieures d'un Etat ignorent, ou du moins soient en droit d'ignorer, l'existence de pareille pratique. En outre, elles assument au regard de la Convention la responsabilité objective de la conduite de leurs subordonnés; elles ont le devoir de leur imposer leur volonté et ne sauraient se retrancher derrière leur impuissance à la faire respecter. La notion de pratique offre un intérêt particulier pour le jeu de la règle de l'épuisement des voies de recours internes. Cette règle (…) ne s'applique en principe pas s'il attaque une pratique en elle-même, dans le but d'en empêcher la continuation ou le retour. - La règle d’épuisement des voies des recours est voulu pour l’intérêt des parties : un pré-requis63 pour remédier à l’amiable aux violations de la Charte est la bonne foi des parties concernées, y compris leur volonté de participer à un dialogue. 1En l'espèce, il n'y a pas eu de réponse sur le fond du Gouvernement du Zaïre, malgré les nombreuses notifications de communications adressées par la Commission africaine. La Commission africaine, dans plusieurs décisions antérieures, a établi le principe que, lorsque les allégations de abus des droits de l'homme vont non par le gouvernement concerné, même après plusieurs notifications, la Commission devra se prononcer sur les faits présentés par le plaignant et traiter ces faits comme indiqué. Ce principe est conforme à la pratique d'autres organisations internationales des droits de l'homme et les organes de décision la Commission a le devoir de protéger les droits de l'homme.

63 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Comm. N ° 25/89, 47/90, 56/91, 100/93 (1995). Communications 25/89, 47/90, 56/91, 100/93

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Etant donné que le gouvernement du Zaïre ne souhaite pas participer à un dialogue, la Commission doit, malheureusement, continuer l'examen de l'affaire sur la base des faits et les opinions présentées par les plaignants à lui seul. - Le retrait de la requête met fin à la procédure 64: Le requérant qui a reçu pleins pouvoir pour agir au nom du Sieur Tumba Mboyo Sédar, soutient que le 30 mars 1998, des soldats de l'AFDL ont violé le domicile du Sieur Sédar qu'ils ont emmené de force sans mandat ni explications après l'avoir brutalisé et intimidé sa famille et son voisinage. Pendant trois jours, il fut ligoté, mis dans des conditions l'empêchant de satisfaire ses besoins naturels et a subit des interrogatoires "musclés" à l'issue desquelles il fut accusé d'incitation au soulèvement populaire. Il fut ensuite transféré et détenu à l'ex-camp militaire Mobutu en compagnie de dizaines autres manifestants anti-Kabila. Le Sieur Mboyo affirme y avoir été roué de coups et violé pendant deux jours par trois des soldats qui le gardaient. La durée totale de sa détention est de vingt trois (23) jours, Monsieur Mboyo fut tenu incommunicado. Le requérant soutien que ses activités des droits humains au sein de son ONG ont pu lui valoir ces accusations non fondées de la part du gouvernement. Le requérant allègue la violation des articles 5, 6, 7, 9, 10, 11, 13, 18 et 26 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Dans une lettre datée du 6 mars 2002, le Conseil du plaignant a informé la Commission que Mr. Mboyo a fait parvenir une requête selon laquelle il souhaitait que sa communication soit retirée de la considération par la Commission. Par ces motifs, la Commission prend note du retrait de la plainte par la partie plaignante et décide de radier la communication du rôle. b.2.Obligation d’introduire la communication dans u n délai raisonnable à compter de l’épuisement des voies de recours internes ou de la date retenue par la Commission. ( Article 56-6).Obligation

64 Institut pour les droits humains et le développement (pour le compte de Sédar Tumba Mboyo) c. République Démocratique du Congo, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 238/01, 31e Session Ordinaire, Pretoria, Afrique du Sud, 2 mai 2002.

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pour l’auteur de la communication d’indiquer son identité même s’il demande à garder l’anonymat (article 56-1). Cette règle s’écarte d’autres instruments de protection des droits de l’homme qui fixent des délais précis. Elle comporte un avantage et un risque. L’avantage ce qu’elle permet de pallier aux difficultés de communication que les justiciables rencontrent en Afrique et qui poseraient de difficultés pour atteindre la commission dans le délai. Le risque est qu’elle laisse l’appréciation libre arbitre de la commission avec le risque d’arbitraire que cela comporte. b. 3. La communication doit être compatible avec la Charte de l’UA et la Charte africaine des droits de l’homme e t des peuples (Article 56-2) : c'est-à-dire elle doit invoquer des dispositions de la Charte africaine supposées avoir été violées. La demande ne doit pas être contraire à l’esprit comme à la lettre de la charte. Dans le même sens, la Cour Eur. D.H., a dans l’arrêt Lawless c. Irlande, a jugé « pour autant qu’il vise (...) des individus, [l’article 17 CEDH] a pour but de les mettre dans l’impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention ; (...) ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés ci-dessus visés .» … b.4. Ne pas concerner des cas déjà réglés conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine ou des dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. (Article 56-7) Ainsi la Communication 69/92 Amnesty international c/ Tunisie a été déclarée irrecevable par la Commission africaine, celle-ci étant déjà en cours d’examen conformément à l’article 1503 du règlement des Nations Unies. b. 5. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants à l’égard de l’Etat mis en cause, de ses institutions ou de l’OUA (Article 56-3).

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Dans l’affaire ligue Camerounaise les droits de l’Homme c. Cameroun la commission a donné effet utile à cette disposition. Cette communication contenait des termes tels que : « Paul Biya [alors chef d’Etat Camerounais] doit répondre des crimes contre l’humanité », « trente années d’un régime néo-colonial, criminel, incarné par le duo Ahdjo - Biya », « régime tortionnaire » et « barbarismes gouvernementaux ». La Commission en arrive à la conclusion que les allégations de la Ligue sont un ensemble de violations graves de la Charte. Il s’agit là, relève-t-elle, des termes insultants et outrageants, en conséquence rejette la requête. b. 6. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les grands médias. (Article 56-4). Cette exigence (65) tend à éviter que certains plaignants ne se fondent sur de simples allégations voire de fausses informations sans en vérifier la véracité. La commission a précisé la portée de cette exigence l’affaire Sir Dauda K. Jawara contre Gambie (Communication 147/95 et 149/96-). Le gouvernement soutenait que la communication devrait être irrecevable parce qu’elle était basée exclusivement sur des informations diffusées par les médias. Selon la Commission : « Tout en étant peu commode de se fier exclusivement aux nouvelles diffusés par les moyens de communication de masse, il serait tout aussi préjudiciable que la Commission rejette une communication parce que certains aspects qu’elle contient sont basés sur des informations ayant été relatées par les moyens de communication de masse. Cela provient du fait que la Charte utilise l’expression « exclusivement ». Il ne fait point de doute que les moyens de communications de masse restent la plus importante, voire l’unique source d’information. Le génocide au Rwanda, les violations des droits de l’homme au Burundi, au Zaïre et au Congo pour n’en citer que quelques uns, ont été révélés par les moyens de communication de masse. La question ne devrait donc pas être de savoir si l’information provient des moyens de communication de masse, mais plutôt si cette information est correcte.

65 Www. fidh.org,

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1. 3. Les mesures provisoires Les mesures provisoires permettent de conjurer une violation irrémédiable comme une expulsion ou l’exécution d’une peine de mort. Sans ces mesures le système de protection serait sans aucune utilité. La Charte africaine66 garde un silence sur la question mais la commission a ouvert la possibilité de demander des mesures provisoires dans ses règles de procédure. Cette possibilité est rarement utilisée par la Commission. 1.4. La possibilité de règlement amiable Elle expressément indiquée pour les communications interétatiques : la commission doit tenter de parvenir à une solution amiable (article 52 de la Charte). En ce qui concerne les communications individuelles silence de la Charte mais procédure utilisée par la Commission. L'objectif 67principal des communications procédure devant la Commission est d'initier un dialogue positif, résultant en un règlement amiable entre le plaignant et l'État concerné, qui remédie à la plainte de préjudice. 1.5. L’examen du fond La procédure est en principe écrite. Le droit applicable est la Charte africaine mais aussi : les articles 60 et 61 de la Charte autorise la commission à s’inspirer d’autres traités et de recourir à d’autres sources notamment les pratiques africaines conformes aux normes internationales, les coutumes généralement admises comme du droit, les principes généraux, la jurisprudence et la doctrine. Le rapport de la Commission contient une décision sur l’existence ou non d’une violation et, le cas échant, recommandations adressées à l’Etat ; recommandations d’ordre divers allant jusqu’à la réouverture

66 Julie Ringelheim, Cours de systèmes de protection des droits de l’homme, Master complémentaire en Droits de l’homme, FUSL-UCL-FUNDP, 2007-2OO8, inédit

67Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Comm. N ° 25/89, 47/90, 56/91, 100/93 (1995). Communications 25/89, 47/90, 56/91, 100/93

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des procès ou la reforme législative. Ainsi dans l’Affaire Gaëtan Bwampamye contre Burundi68 la commission demande au Burundi d'en tirer toutes les conséquences légales et de pendre les mesures appropriées en vue de permettre la réouverture du dossier et le réexamen de cette affaire en conformité avec la loi Burundaise et les dispositions pertinentes de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ; lance un appel au Burundi pour conformer sa législation aux engagements auxquels il a souscrit en vertu de la Charte. Malheureusement les recommandations de la Commission n’ont pas de valeur juridique contraignante. La publication des décisions de la commission conditionnée à l’approbation de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement (article 59 de la Charte). 1.6. Le suivi des recommandations Il n’existe pas d’organe désigné par la Charte pour assurer le suivi c’est pourquoi pendant longtemps, le suivi n’a pas été effectué. Depuis quelques années, un suivi limité est réalisé par la Commission par le biais de ses autres fonctions (examen des rapports périodiques des Etats, adoption de résolution). En Novembre 2006 la commission a adopté une résolution sur l’importance de la mise en œuvre de ses recommandations, ce qui annonce une ébauche d’un mécanisme de suivi des recommandations de la Commission. 1. 7. Bilan de la commission Sans lister ici les ouvrages afro- pessimistes, notons que les auteurs sont dans l’ensemble assez négatifs quand au bilan de la commission ; deux éléments semblent mis en évidence ; la reforme actuelle vient corriger les défaillances de la commission et puis les violations des droits de l’homme s’amplifient en dépit de l’existence de la commission. Nous ne sommes de cet avis. Que les Etats décident de passer de la commission à la cour témoigne effectivement que la

68 Avocats Sans Frontières (pour le compte de Gaëtan Bwampamye) c. Burundi, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 231/99, 28e Session Ordinaire, Cotonou, Bénin, 6 novembre 2000.

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commission n’avait pas reçus des Etats le pouvoir à la mesure des critères sur lesquels il est évalué. Que les violations persistent et se multiplient, il n’est aucun organe juridictionnel qui soit chargé de prévenir les infractions. Lorsque nous examinons les décisions de la commission il se dégage d’abord que celle-ci est allée au- delà du pouvoir initial qui lui été dévolue, elle ensuite pris des décisions courageuses qui donnent effet utile aux dispositions de la Charte, aussi bien en ce qui concerne les Etats (condamnés) ou les particuliers (déboutés). Que ces décisions ne soient pas suivies d’effet, l’explication est simple, par la volonté des auteurs elles ne devraient l’être et ensuite même si elles l’étaient , il n’appartient pas à la commission de se substituer à la bonne ou mauvaise volonté des Etats. 2. De la commission à la cour : mesures transitoire s et nouveau statut de la commission 2.1. Le nouveau statut de la commission La Cour ne remplace pas la commission, elle complète les fonctions de protection reconnue à la commission par la charte. (Art.2) La commission conserve ainsi ses missions de promotion mais aussi celles de protection, la cour vient donc s’ajouter à la commission qui de ce fait a qualité pour la saisir. 2.2. Avantages de la Cour par rapport à la Commissi on La Cour rendra des arrêts assortis du caractère contraignant, elle a en outre compétence expresse d’ordonner des mesures de réparation en cas de constat de violation. De même, le protocole organise des règles expresses concernant le suivi de l’exécution des arrêts. La procédure est contradictoire et en principe publique. 3. La Cour africaine des droits de l’homme et des p euples 3.1. Création et composition de la cour La cour est née avec le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples : adopté le 9 juin 1998 à Ouagadougou (Burkina Faso), entré en vigueur le 25 janvier 2004 soit trente jours

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après le dépôt de l’instrument de ratification des îles comores. Cette quinzième ratification exigée par l’article 34 alinéa 3 , s’est ajoutée à celle de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, du Burkina-Faso, du Burundi, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Lesotho, de la Lybie, du Mali, de l’Ile Maurice, de l’Ouganda, du Rwanda, du Sénégal et du Togo.69 En annexe, les Etats qui ont ratifié le protocole. En janvier 2006, les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine réunis à Khartoum ont élus les 11 Juges de la Cour africaine. Le statut de la Cour est en cours d’élaboration. A ces jours la Cour n’exerce pas encore ses fonctions. Son siège sera établi à de Arusha (Tanzanie) dans les installation de l’ancien TPIR. Conformément à l’article 25 le siège doit être établi dans un Etat membre et peut être déplacé vers un autre Etat membre sur décision de la conférence des chefs d’Etats et des gouvernements après avis de la Cour. La Cour peut organiser des audiences dans d’autres pays membres sur décision de sa majorité et avec l’agrément de l’Etat concerné. La Cour est composée de 11membres, ressortissants des Etats membres de l’OUA aujourd’hui UA ,élus à titre personnel parmi des juristes jouissant d’une très haute autorité morale, d’une compétence et expérience juridique , judiciaire ou académique , reconnue dans le domaine des droits de l’homme des droits de l’homme et des peuples. La Cour ne peut avoir deux juges de même nationalité. Toute fois l’Etat peut présenter jusqu’à trois candidats, pourvu que les deux autres n’aient pas sa nationalité. Les juges sont élus au suffrage secret en veillant à la représentation adéquate des deux sexes, la répartition géographique équitable ainsi que les grands systèmes juridiques. Les juges sont élus pour un mandat de six ans renouvelable une seule fois. (Art. 15) On peut regretter que le

69 Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU, « Avancées et limites du système africain de protection des droits de l’homme : la naissance de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples », in Revue Droits fondamentaux, www. Droits-fondamentaux.org, 2004, cité par Providence Ngoy Walupakah, La cour africaine des droits de l’homme et des peuples : le problème du contrôle juridictionnel des droits de l’homme en Afrique ; Mémoire de licence, Faculté de Droit, U.C.B.2007-2008, inédit

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protocole n’ait pas prévu un mandat unique pour épargner les juges de conditionnement électoralistes. 3. 2. Le mandat de la Cour africaine La cour a un double mandat : consultatif et contentieux. A. La compétence consultative de la Cour africaine. Sont habilitées à soumettre des demandes d’avis consultatif : les Etats membres de l’UA, l’UA elle-même, tout organe de l’UA, une organisation africaine reconnue par l’UA. La demande d’avis porte sur toute question juridique concernant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme. L’avis demandé ne peut se rapporter à une requête pendante devant la Commission. L’avis est motivé et le juge peut y joindre une opinion personnelle (conforme : souvent lorsque tout en étant d’accord avec la majorité, il ne partage pas les motivations) ou dissidence (lorsqu’il n’est pas d’accord avec la majorité et pense avoir raison.) B. La compétence contentieuse de la Cour africaine

La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés. » Elle juge de sa compétence. (Art. 3). La Cour peut tenter de régler à l’amiable les conflits à l’amiable avant d’engager une procédure contentieuse. a. Qui peut saisir la Cour africaine ?

Ont qualité pour saisir la Cour (Art.5) : - La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples : lorsque la commission est saisie par les ONG ayant qualité d’observateur ou qu’elle décide d’examiner des situations individuelles ou collectives dont elle a connaissance ; elle peut décider de saisir la Cour.

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- L’Etat partie qui a saisi la commission : nous sommes encore ici dans hypothèse rare de recours inter- étatique. - L’Etat partie contre lequel une plainte est introduite : soit que la plainte est pendante devant la commission, soit devant la Cour. Mais tout état de cause, cette action qui s’apparente à une action reconventionnelle ne peut se concevoir que contre un Etat. Seuls en effet les Etats sont parties à la charte et à ses différents protocoles. - L’Etat partie dont le ressortissant est victime de violation : hypothèse plus facile de recours inter- étatique ; soit le ressortissant se trouve sur un Etat tiers qui viole ses droits, l’action s’inscrit en prolongation de la protection diplomatique. Soit qu’une partie du territoire d’un Etat est occupé par un autre qui viole les droits des populations occupées. - Les organisations intergouvernementales africaines : Les organes qui pourront saisir la Cour Africaine en vertu de cet article, comprennent, en plus de l’Union Africaine : il s’agit de l’Union du Maghreb Arabe, UMA ; la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, CEDEAO ; l’Union Economique et Monétaire Ouest- Africaine, UEMDA ; la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale, CEMAC ; la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale, CEEAC ; le Marché commun de l’Afrique Australe et orientale, COMESA ; le Southern African Development Community, SADC ; La Southern African Customs Union, SACU; la Communauté de l’Océan Indien, COI ; la Communauté de l’Afrique de l’Est, CEA ; (70) - Un Etat tiers qui estime avoir intérêt dans l’affaire, agissant comme intervenant (volontaire). - Individus et ONG si l’Etat mis en cause a accepté la compétence de la Cour africaine de recevoir des requêtes émanant des individus et des ONG ayant le statut d’observateur auprès de la Commission africaine. L’Etat peut faire cette déclaration à tout moment à partir de la ratification du Protocole. Des informations à notre disposition, seuls les Burkina-Faso, la Gambie, le Mali et le Sénégal ont accepté à ces jours accepter la compétence individuelle de la Cour. Lorsque l’Etat

70 Les organisations intergouvernementales africaines, www.fidh.org , consulté le 13 mars 2008, 15 heures par Ngoy Walupakah, op. cit.

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n’a pas reconnu la compétence individuelle de la Cour, les individus et les ONG dotées du statut d’observateur peuvent passer par la commission qui décidera de saisir la Cour. b. Les conditions de recevabilité des requêtes soumise s à la Cour

L’article 6 du protocole renvoie à l’article 56 de la charte, il convient donc de se rapporter sur le développement relatif à la commission. Il ajoute qu’avant de statuer sur la recevabilité d’une requête introduite par un individu ou une ONG, la Cour peut solliciter l’avis de la commission qui doit le donner dans les meilleurs délais. La commission va ainsi éclairer la Cour sur le respect ou non des conditions de recevabilité de la requête, la Cour n’est pas tenu par l’avis de la commission. Lorsque la Cour déclare la requête recevable, elle peut soit Nigeria des requêtes ou les renvoyer devant la commission. c. Droit applicable par la cour

La Cour applique les dispositions de la charte ainsi que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par l’Etat concerné. (Art. 7) Cette disposition permet à la Cour de sanctionner les violations des protocoles à la charte, d’autres instruments africains relatifs aux droits de l’homme ; pour autant qu’ils sont ratifiés par l’Etat poursuivi. Elle permet ainsi de confirmer une des originalités de la CADHP à savoir la justiciabilité de tous les droits. La question se complique lorsque il s’agit d’appliquer les instruments universels, il y a lieu de poser que les Etats sont libres de donner plus d’effet que ceux prévus par les auteurs d’un instrument relatif aux droits de l’homme. On peut néanmoins craindre que la corde ne soit poussée à l’infinie et que finalement les Etats ne sachent prévoir les faits ou omissions pour lesquels ils sont condamnables. d. Déroulement de la procédure devant la CADHP

Lorsque la Cour a déclaré l’action recevable, elle procède à l’examen des requêtes conformément à son règlement d’ordre intérieur. (Art. 8) Comme devant la commission, la Cour peut tenter un règlement à l’amiable (Art.9) Les audiences sont publiques sauf si la Cour décide le huis clos. La représentation et l’assistance par un conseil sont admises, un conseil gratuit peut être accordé si l’intérêt de la justice l’exige. Les témoins et les représentants bénéficient de la

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protection nécessaire. (Art.10) La Cour reçoit tous les moyens de preuves (écrites ou orales) et les examine de manière contradictoire. (Art. 26) La Cour est habilité à prendre des mesures provisoires et dans la décision au fond, elle ordonne toute mesure appropriée pour remédier à la violation. (Art. 27) L’arrêt de la Cour est définitif mais la Cour peut être amenée à interpréter son arrêt ou même le réviser en cas de survenance des preuves dont elle n’avait pas connaissance. Le juge a droit joindre à l’arrêt une opinion individuelle ou dissidente (Art. 28) Quand à la force exécutoire, les Etats parties s’engagent à exécuter de bonne foi les décisions de la Cour. (Art. 30)

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LES MECANISMES NON JURIDICTIONNELS DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE

Par Maître NYALUMA MULAGANO Arnold

1. Les visites sur place

- « Visites de promotion » But : promouvoir le respect des droits et libertés.

- « Visites de protection » But : enquêter sur des allégations de violations des

droits et libertés. (Article 46 de la Charte) o Missions d’enquête : enquête effectuée par la

Commission suite à la réception de communications alléguant des violations de droits garantis dans la Charte imputables à l’Etat visité.

o Missions d’établissement des faits (fact-finding missions) : enquête effectuée suite à la réception d’informations générales sur des violations de droits garantis dans la Charte imputables à un Etat partie (en l’absence de communication).

2. Les Rapporteurs spéciaux - Notion : une personnalité désignée pour suivre l’effectivité d’un

droit spécifique au regard notamment des violations systématiques dont il est objet.

- Rapporteurs spéciaux désignés jusqu’à présent : - Rapporteur spécial sur les exécutions extra-judiciaires (1994) - Rapporteur spécial sur les prisons et les conditions de

détention en Afrique (1996) - Rapporteur spécial sur les droits de la femme en Afrique (1999) - Rapporteur spécial sur les droits des défenseurs des droits de

l’homme en Afrique (2004)

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- Rapporteur spécial sur les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes déplacées (2004)

- - Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d’expression (2004) 3. L’adoption de Résolutions - Résolutions par thème - Résolutions par pays 4. Contrôle fondé sur l’examen des rapports étatiqu es

- Article 62 de la Charte africaine : obligation pour les Etats de soumettre des rapports périodiques sur les mesures d’ordre législatif ou autre, prises en vue de donner effet aux droits et libertés reconnus et garantis dans la Charte.

- Délai : tous les deux ans - Examen des rapports en session publique. - Rôle des ONG - Faiblesse du mécanisme : pas d’obligation pour la Commission

d’adopter un document écrit à l’issue de la discussion du rapport en séance publique. L’absence d’observations écrites est un obstacle à l’effectivité du mécanisme : elle empêche de donner une large publicité aux observations de la Commission.

Evolution : depuis quelques années la Commission adopte généralement des observations générales à l’issue de l’examen des rapports étatiques. 5. Autres fonctions d’ordre promotionnel (Voy. art. 45 § 1) - Séminaires, colloques, études - Rassembler et diffuser de la documentation relative aux droits de l’homme

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6. Le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) 2.1. Le Nouveau Partenariat pour le Développement e n Afrique (NEPAD) 2.2. La Déclaration de Durban (2002)

- Déclaration sur la bonne gouvernance démocratique, économique et des entreprises (Déclaration de Durban).

- Particularité : création d’un « mécanisme d’évaluation par les

pairs », c’est-à-dire par les autres Chefs d’Etats africains participant au mécanisme, pour assurer le suivi de la mise en œuvre de cette Déclaration.

- Idée de base : promouvoir un dialogue constructif entre égaux.

2. 3. Le mécanisme africain d’évaluation par les pa irs - Mémorandum d’entente relatif au Mécanisme d’évaluation par les pairs, ouvert à la signature des Etats membres de l’UA lors du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement chargés de la mise en œuvre du NEPAD en 2003. - Participation volontaire des Etats. - Evaluation réalisée par une équipe d’experts techniques après une visite sur place. - Rapport de l’équipe d’experts transmis au Forum des Chefs d’Etat et de gouvernement - Examen et discussion du rapport par le Forum, qui décide de l’approuver ou non. - Après approbation par les Pairs, le rapport est publié et doit être diffusé largement.

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LA COUR PENALE INTERNATIONALE, PLACE DES VICTIMES ET ROLE DES ONG. Par Maître NYALUMA MULAGANO Arnold Introduction La justice administrée par la CPI inclut la protection et la participation des victimes et des témoins des crimes. Le statut accorde également à la Cour des pouvoirs et prévoit des mécanismes qui garantissent la réparation des dommages subis par les victimes71. Bien que toutes les victimes ne soient pas des témoins et que d’autres que des victimes comparaissent comme témoins à la barre72, les deux groupes ont pour caractéristique commune d’être un groupe vulnérable, qui mérite une protection particulière, tant lors de l’instruction que dans le cadre d’une éventuelle procédure pénale. Quand le conflit armé est toujours en cours, et que les auteurs des crimes de guerre continuent à occuper des positions de pouvoir, les risques d’intimidation ou de vengeance sont réels, à l’égard non seulement de ceux qui sont directement concernés, mais aussi des membres de leur famille éventuelle. Depuis quelques années, les victimes s’émancipent. Avec le soutien d’organisations de défense des droits de l’homme, elles ne se

* Nous avons parfois utilisé des larges extraits de certains documents consultés, nous espérons que les auteurs ne nous en voudrons pas au vu de la vocation pédagogique de la présente communication. 71 Jean Pierre Fofe Djofia Malewa, La Cour pénale internationale : institution nécessaire aux pays des grands lacs africains. Justice pour la paix et la stabilité en RD Congo, en Ouganda, au Rwanda et au Burundi ; Paris, L’Harmattan, 2006, p.145 72 Luc Walleyn, Victimes et témoins de crimes internationaux : du droit à une protection au droit à la parole, www,

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contentent plus d’un rôle passif de « personnes protégées », mais revendiquent le droit d’être entendues comme partie au procès. Progressivement, elles acquièrent un droit à la parole devant les juridictions pénales internationales, et même les témoins deviennent des sujets de droit. Des Victimes et témoins de crimes internationaux peuvent provoquer des poursuites judiciaires contre les auteurs de crimes de guerre, d’intervenir dans la procédure relative à la question de la culpabilité et d’obtenir réparation.

1. La CPI en bref

La Cour pénale internationale a été crée par le statut de Rome du 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002.73 L’assemblée des Etats parties (art et ss.) a officiellement adopté plusieurs accords juridiques, qui permettent à la cour de fonctionner. Parmi ces documents : les règles de procédure et de preuve (225 articles), « les éléments des crimes », les règles et règlements financiers, l’accord entre la Cour et les Nations Unies, l’accord sur les privilèges de procédure de l’Assemblée des Etats Parties et les procédures pour la nomination et l’élection des juges et du procureur. Le Cour pénale internationale en tant qu’institution permanente, qui exercera sa compétence à l’égard des personnes uniquement, pour les crimes les « plus graves ayant une portée internationale ». La Cour est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être approuvé par l’Assemblée des Etats Parties au statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci. La cour pénale est complémentaire des juridictions nationales. Ratione materiae, la cour connait des crimes graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : crime de génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre, crime d’agression. Le crime d’agression n’a pas encore rencontrée le consensus des Etats. Sur le plan temporel, la Cour connait des infractions commises après son entrée en vigueur. Quand à la compétence ratione personae, la Cour ne juge que des personnes physiques ayant au moins dix huit ans.

73 Jacques Fierens, Introduction critique au droit humanitaire pénal international, Académie Louvain, Master Complémentaire en Droits de l’homme, 2007-2008, syllabus, pp. 158 et s.

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2. Les droits de la victime dans un procès pénal

Les droits de toute victime d’une infraction, y compris les infractions dont est compétente la CPI sont les suivants 74: A. Droit d’accéder à la justice

Le premier droit est celui qui permet tout simplement à la victime de faire valoir utilement ses droits, de déposer une plainte si elle entend une réparation. Il supprime les obstacles qui empêchent la victime d’aller en justice ; elle ne doit pas être freinée du fait de dépenses à engager, qu’il s’agisse de caution, des frais de procédure ou d’avocat. B. Le droit d’être informé

Aucun droit ne peut être mis en œuvre si son existence. Tel est malheureusement le plus souvent le cas des crimes internationaux. Ce devoir d’information pèse sur tous les intervenants, tout au long de la chaîne judiciaire, du dépôt de la plainte à l’exécution du jugement. Informations qui concerne aussi bien la connaissance générale des droits et obligations pesant sur la victime que la connaissance des différentes phases procès ou simplement de l’enquête qui la concerne. C. Le droit d’être assisté ou accompagné

La victime doit pouvoir être assistée d’un conseil qui l’oriente et la conseille dans ses choix. Le recours à ce professionnel sera facilité pour tous ceux qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires.

74 Gérard Lopez, Serge Portelli et Sophie Clément, Les droits des victimes. Droit, auditions, expertise, clinique. Paris, Dalloz, 2007, pp. 14 et s.

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D. Le droit d’obliger l’Etat à enquêter efficacemen t

L’action publique appartient au ministère public mais beaucoup de juridictions rappellent les obligations procédurales de l’Etat. Lorsque celui-ci n’a pas pu protéger la victime, il se doit au moins de mener une enquête efficace. La victime devra être autorisée de fournir des éléments de preuve qui devront être pris en considération par le juge. E. Le droit à un procès équitable

La victime doit pouvoir doit pouvoir soutenir sa cause d’une façon qui ne la désavantage pas substantiellement par rapport aux autres parties : les droits de la défense de la victime doivent être respectés, l’égalité des armes sera assurée, la victime doit pouvoir s’exprimer lors d’un débat contradictoire et public. F. Le droit à être indemnisé Le principe de l’indemnisation n’est pas contestable. C’est son effectivité qui fait de problème. Il ne suffit pas d’allouer des dommages et intérêts. G. Le droit à être protégé

La victime encourt des risques en s’adressant à la justice. La révélation de l’infraction et la dénonciation de son auteur peuvent conduire ce dernier à vouloir intimider, écarter, éloigner ou supprimer la victime ou s’en prendre à ses proches. La protection de la victime implique que la justice prenne diverses précautions : en ne fournissant pas l’adresse de la victime, en assurant s’il y a lieu sa sécurité physique , en poursuivant toute pression ou menace qui pourraient être exercées contre elle… H. Le droit à être pris en charge

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Il ne s’agit plus seulement de punir et d’indemniser ; une vision beaucoup plus large des intérêts de la victime se développe. L a prise en charge s’étend à des aspects psychologique, médical… I. Le droit à être traité avec compétence

Les services concernés se doivent d’être efficaces, en apportant des soins ou des prestations pertinentes. 3. Le statut de victime et de témoin devant la CPI A. Qui est victime ?

Pour ce qui concerne la définition de « victime », une contribution importante a été livrée par la Déclaration de l’Assemblée générale de 1985, dont les articles 1 et 2 définissent ainsi les victimes : on entend par « victimes », des personnes qui, individuellement ou collectivement ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales […]. Une personne peut être considérée comme une « victime »[…] que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme «victime » inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation. » L’important dans cette définition est le fait qu’elle couvre tant les victimes directes que les ayants droit et les membres de la famille, et même les personnes qui ont subi un préjudice en portant assistance aux victimes. Rien n’indique toutefois que cette définition vise également des personnes morales. Tel est bien le cas de la résolution 687/91 du Conseil de sécurité qui prévoit que : «L’Iraq […] est responsable, en vertu du droit international, de toute perte, de tout dommage – y compris les atteintes à l’environnement et la destruction des ressources naturelles – et de tous autres préjudices directs subis

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par des États étrangers et des personnes physiques et sociétés étrangères du fait de son invasion et de son occupation illicites du Koweït. »75 La Commission d’indemnisation pour l’occupation du Koweït, créée en exécution de cette résolution, utilise une définition très large du terme « victime ». Ainsi, entrent en ligne de compte, pour l’obtention d’une indemnisation, les pertes commerciales indirectes subies par des sociétés étrangères et les sommes consacrées à l’assistance aux réfugiés. Le préambule du Statut de la Cour reconnaît l’engagement des victimes comme une des raisons d’être principale de la Cour, « ayant à l’esprit qu’au cours de ce siècle, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination… ». La place privilégiée donnée à ces préoccupations dans le préambule est reflétée dans le Statut et les Règles de la Cour. Ceux-ci rendent effectifs les droits des victimes de plusieurs manières innovantes, telles qu’en donnant aux victimes le droit d’être informées de certaines décisions, accordant aux victimes le statut de victimes, des mesures protections et la capacité d’obtenir réparation. Ces dispositions innovantes reflètent l’esprit et la vision des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation, qui ont été rédigés en parallèle du Statut de la CPI et de la Déclaration de 1985 des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir76. Un séminaire international sur les droits des victimes, tenu à Paris en avril 1999, a proposé, en vue de l’élaboration du règlement de procédure, une définition proche de celle fournie par van Boven: « (…) toute personne ou groupe de personnes qui, directement ou indirectement, individuellement ou collectivement, a subi un préjudice à raison de crimes relevant de la compétence de la Cour. Le terme « préjudice » comprend toute atteinte physique ou mentale, toute souffrance morale, tout dommage matériel ou atteinte substantielle

75 S/Rés. 687 (1991), par. 16. 76 Adoptés par la Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies 40/34 le 29 novembre 1985.

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aux droits fondamentaux. Le cas échéant, des organisations ou des institutions qui ont pâti directement du crime peuvent aussi être des victimes. »77 Un compromis a été trouvé dans le Règlement de procédure et de preuve de la Cour (règle 85) : « a) Le terme «victime » s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ; b) Le terme « victime » peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct. » Cette règle souligne aussi que les victimes peuvent aussi comprendre les organisations ou institutions ayant subi un préjudice direct. Bien que la Cour ait tous les ingrédients pour remplir son mandat en lien avec les victimes, sa capacité à mettre en oeuvre cette vision sera l’unité de mesure de succès que les communautés victimes et ceux en faveur d’une justice internationale effective utiliseront pour juger la Cour. Pendant le processus de consultation qui a mené à ce document, les organisations ont souligné la façon dont laquelle les procédures précédentes avaient traité les victimes de crimes de masse en tant que simple observateur, exacerbant leur manque de responsabilisation. Les conséquences typiques du traumatisme incluent l’anxiété, la perte de confiance en soi, d’estime de soi, de confiance en les autres, et d’espoir. Il est donc vital que le processus de justice ne renforce pas le traumatisme des victimes et par conséquent ne les « re victimise » pas. Le processus de justice devrait à la place responsabiliser et mettre en valeur les victimes comme participants actifs dans la quête de justice. Les victimes doivent donc être appréciées dans leurs nombreux rôles en tant que parties prenantes, partenaires, témoins, clients et bénéficiaires.78

77 Séminaire international sur l’accès des victimes à la Cour pénale internationale, Rapport des ateliers, Paris, 1999. 78 www.vrwg.org

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B. Victimes et saisine du tribunal

En ce qui concerne les Tribunaux ad hoc, seul le procureur est compétent pour saisir le tribunal et il n’est pas prévu que les victimes puissent y jouer un rôle quelconque. En revanche, lors des négociations relatives au Statut de la CPI, le travail de lobbying des organisations de victimes et des droits de l’homme a reçu le soutien de la majorité des pays à tradition juridique continentale, ainsi que du groupe des pays like minded. Cela a finalement abouti à un statut offrant aux victimes une série de possibilités, qui ont encore été élargies par le Règlement de procédure et de preuve. L’article 15 du Statut de Rome prévoit explicitement que le procureur vérifie le sérieux des informations qu’il reçoit et collabore notamment avec des organisations non gouvernementales. Il est prévu que les victimes pourront se faire représenter dans le cadre d’une procédure préliminaire. Cela n’est pas encore un droit de saisine et on ne peut pas parler de « constitution de partie civile ». Néanmoins, il s’agit d’une vraie révolution par rapport à la tradition de common law, qui détermine la procédure des Tribunaux ad hoc. Le procureur doit avertir les victimes ou leur conseil éventuel dès qu’il décide d’ouvrir une instruction. Il peut le faire d’une façon collective via les organisations de victimes et faire appel à la Division d’aide aux victimes et aux témoins de la CPI. Les victimes ainsi averties peuvent se faire représenter dans la procédure devant la Chambre préliminaire et y faire valoir leur point de vue, sans limite quant au fond. La décision de la Chambre préliminaire, qui est sans appel, leur est communiquée. C. Intervention dans la procédure au fond

Les tribunaux ad hoc ne prévoient cependant aucune possibilité d’intervention des victimes dans un rôle autre que celui de témoins du ministère public. Cela est ressenti comme un manquement sérieux par

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les victimes, et notamment par des organisations de survivants et de proches des victimes du génocide rwandais, alors que devant les tribunaux rwandais internes, ceux-ci peuvent se constituer en partie civile et même citer l’État comme civilement responsable79.Le TPIR lui-même a reconnu le problème et a essayé de le compenser en laissant intervenir, en tant que amicus curiae, des représentants de certaines associations de victimes ou d’experts qui leur sont proches. Par ailleurs, le greffe a élaboré un programme d’assistance aux victimes, qui inclut un fonds pour des indemnisations. L’année passée, tant le TPIR que le TPIY ont envisagé d’adapter leur règlement de procédure afin de permettre la représentation des victimes et éventuellement l’octroi d’indemnisations. Finalement, il a été décidé d’y renoncer en raison, notamment, de la charge supplémentaire que cela entraînerait pour ces tribunaux. Le 12 octobre 2000, le président du TPIY a adressé au secrétaire général des Nations Unies un rapport détaillé sur le problème de l’indemnisation des victimes et de leur participation aux procédures, qui plaide pour la création d’un fonds d’indemnisation, avec un renvoi explicite à la Commission d’indemnisation des Nations Unies80. Une lettre allant dans le même sens a été adressée quelques semaines plus tard au secrétaire général par le président du TPIR81. Le Statut de la CPI prévoit bel et bien une place pour les victimes, non seulement dans la phase préparatoire mais aussi et surtout dans la procédure au fond. L’article central concernant les victimes est l’article 68 dont le titre, Protection et participation au procès des victimes et des témoins, en reflète le caractère historique (dans le projet RICR Mars IRRC March 2002 Vol. 84 No 845 initial ne figurait que la notion de protection). Une véritable ouverture a ainsi été créée pour une

79 Gasana Ndoba, « Les victimes face à la justice. Rwanda, deux ans après le génocide : quelles juridictions pour quels criminels ? », A. Destexhe et M. Forêt (Éds), De Nuremberg à La Haye et Arusha, Éd. Bruylant, Bruxelles, p. 93. 80 TPIY, Indemnisation et participation des victimes, Annexe à la lettre du président Jorda au secrétaire général des Nations Unies du 12.10.2000, Doc. ONU S/2000/1063. 81 TPIR, Lettre du 14.12.2000 du Président Pillay au secrétaire général des Nations Unies, Doc. ONU S/2000/1198.

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intervention dans la procédure. « Lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial. Ces vues et préoccupations peuvent être exposées par les représentants légaux des victimes lorsque la Cour l’estime approprié, conformément au Règlement de procédure et de preuve. » Remarquons que pour certains juristes de tradition anglo-saxonne, les « intérêts personnels des victimes » n’ont rien à voir avec la question de la culpabilité et touchent uniquement, par exemple, à leur protection en tant que témoins82. À nouveau, le Règlement de procédure et de preuve a élargi les éléments qui étaient inclus dans le Statut et élaboré une procédure à forte connotation continentale. Conformément à ce projet, les victimes pourront introduire une demande en vue d’intervenir dans la procédure. Une telle demande sera en principe accueillie par la Chambre si le requérant est réellement une victime au sens du Règlement. Les victimes peuvent se faire représenter individuellement ou collectivement par des avocats ou d’autres conseils. Ceux-ci seront invités aux audiences et recevront de la part du greffe une copie des pièces de procédure. Avec l’article 91 du Règlement de procédure et de preuve, la percée est complète. Cet article prévoit que les conseils des victimes auront en principe le droit d’assister aux audiences. Dans des circonstances exceptionnelles seulement, la Chambre pourra limiter l’intervention de ces conseils aux plaidoiries ou au dépôt de conclusions. Toutefois, ils pourront demander à la Chambre d’interroger les témoins experts et l’accusé ou faire poser des questions par le président. Cette disposition a été reprise directement des propositions du séminaire de Paris. On y a ajouté un rappel de la nécessité de respecter les droits

82 American Bar Association, Proposed Rules of Evidence and Procedure for the ICC (proposition faite en février 1999 lors des débats de la Commission préparatoire de la CPI), Rule 63. <www. igc.apc.org.icc/htlm.aba.htm>.

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de la défense, notamment sous l’influence d’Amnesty International qui, dans un texte présenté lors d’une réunion de la Commission préparatoire, avait exprimé des inquiétudes à ce sujet83. D. Indemnisation du préjudice encouru

On peut se demander s’il y a, dans le droit international, une base juridique pour les demandes directes d’indemnisation des victimes, les victimes de crimes de guerre étant traditionnellement renvoyées à l’intervention de leur État pour éventuellement négocier une indemnisation. Ici encore, c’est la Déclaration de l’Assemblée générale de 1985 qui a introduit dans le droit international la notion d’un droit personnel à l’indemnisation du préjudice. Aujourd’hui, il est généralement admis que les victimes de crimes internationaux peuvent prétendre à une indemnisation. Le rapport final que le rapporteur spécial a présenté à la Commission des droits de l’homme en 1999 met en évidence le droit des victimes de crimes internationaux aux formes suivantes de réparation : indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non renouvellement84. La Commission d’indemnisation des Nations Unies est une application claire de ce principe, fût-ce dans le cadre de crimes contre la paix. Les statuts et règlements de procédure des deux Tribunaux ad hoc, par contre, ne prévoient toujours que la restitution des biens à leurs propriétaires légitimes. L’indemnisation proprement dite est renvoyée aux tribunaux internes, qui peuvent utiliser le jugement du tribunal international comme précédent. Le Statut de la Cour pénale internationale prévoit cependant la possibilité d’accorder une indemnité aux victimes. Selon son article 75 : «La Cour établit des principes applicables aux formes de réparations,

83 Amnesty International, The International Criminal Court : Ensuring an effective role for victims, Prepcom Juillet 1999, p. 15, <www.icg. apc.org/icc/htlm/ai199907a>. 84 Rapport du Rapporteur spécial C. Bassiouni, Doc. ONU E/CN. 4/2000/62, Annexe no 21.

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telles que la restitution, l’indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Sur cette base, la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision. La Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. Le cas échéant, la Cour peut décider que l’indemnité accordée à titre de réparation est versée par l’intermédiaire du Fonds visé à l’article. » Cette disposition constitue une avancée énorme. Elle prévoit non seulement la réparation matérielle mais aussi la restitution et la réhabilitation. De plus, il s’agira d’une compétence de la Cour elle même, qui pourra estimer le dommage à réparer sans même qu’une demande spécifique soit formulée. La condamnation peut être prononcée à charge du prévenu, mais la Cour peut également octroyer une indemnisation à charge d’un fonds qui sera alimenté par des amendes ainsi que par le produit de biens confisqués, et complété par des contributions volontaires37. Les États parties au traité sont tenus non seulement d’exécuter sur les biens du condamné une condamnation à des dommages et intérêts, mais aussi de collaborer avec la Cour en vue de localiser ces biens. La procédure d’indemnisation des victimes a été élaborée dans le projet de Règlement de procédure et de preuve. Selon la règle 97, c’est la CPI elle-même qui évaluera le préjudice des victimes, éventuellement sur base d’une expertise, et après avoir entendu les parties. Si la Cour a l’intention d’accorder d’office une indemnisation, elle prévient l’accusé et, dans la mesure du possible, les victimes 40. La Cour a d’ailleurs l’obligation de donner la publicité la plus large à chaque procédure relative à l’indemnisation, éventuellement en collaboration avec les États parties, pour que le plus grand nombre de victimes soient en mesure de faire valoir leur demande. Si le nombre de victimes est très élevé, la Cour peut considérer qu’une

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indemnisation collective est plus appropriée et décider que l’indemnisation à laquelle l’accusé est condamné sera attribuée au Fonds au profit des victimes créé auprès de la CPI. Ce Fonds recevra également des indemnités s’il est provisoirement impossible de les remettre aux victimes individuelles. E. Représentation des victimes et aide légale

Le Statut de Rome ne fait que quelques références très indirectes aux « représentants des victimes» qui devraient faire connaître les positions des victimes à la Cour ou être entendus par celle-ci. L’article 90 du projet de Règlement de procédure et de preuve stipule que les victimes peuvent librement choisir leur conseil, à condition que celui-ci possède les qualifications nécessaires comme c’est le cas pour les conseils des accusés. Si le nombre des victimes est élevé, la Cour peut leur demander de se faire représenter collectivement. Cela fera l’objet de négociations entre le greffe et les conseils dans un premier temps. À défaut d’accord, la Chambre peut demander au greffier de désigner un ou plusieurs représentants communs. Chambre et greffe doivent cependant veiller à ce que les intérêts spécifiques de chaque victime soient pris en considération (par exemple l’intérêt, pour des femmes victimes de crimes sexuels, d’être représentées par une femme et à ce que des conflits d’intérêts soient évités. Les victimes, individuellement ou collectivement indigentes, peuvent prétendre à une indemnité financière de la part du greffe. En fait, les règles pour la représentation et la défense des victimes sont largement inspirées de celles prévues pour la défense des accusés. F. Droit des témoins à une protection et au respect

Intégrant l’expérience des deux Tribunaux ad hoc, le Statut de Rome consacre également une série de dispositions visant à protéger les intérêts des témoins tant durant la phase de l’enquête que dans celle de la procédure. Le Statut prévoit la création d’une section permanente pour l’assistance et l’aide aux victimes et aux témoins qui

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devra d’une part donner des avis et d’autre part fournir une assistance effective, notamment en matière de gestion des traumatismes. Le Règlement de procédure et de preuve a précisé cette mission et prévu que la section devra, au besoin, faire une distinction, au sein de ses propres services, entre l’assistance aux témoins à charge et l’assistance aux témoins à décharge. Le droit à la protection n’est pas réservé aux témoins et aux victimes qui comparaissent devant la Cour. Il couvre d’autres personnes (membres de la famille, par exemple) susceptibles d’être visées à cause de cette comparution devant la Cour. Il est prévu également que des audiences peuvent être tenues à huis clos dans l’intérêt des victimes, en particulier les enfants ou les victimes de crimes sexuels, et que des témoins peuvent être interrogés par l’intermédiaire d’un circuit vidéo ou par d’autres techniques. Quand la sécurité d’un témoin ou de sa famille est menacée, le procureur peut retenir certaines preuves et en communiquer uniquement un résumé. L’identité de certains témoins peut être écartée du dossier. De telles mesures doivent cependant être compatibles avec les droits de l’accusé à un procès équitable. Soulignons que les témoins peuvent aussi introduire eux mêmes une demande de protection, y compris une demande d’anonymat. Le Règlement prévoit alors une procédure spéciale, dans laquelle le témoin peut intervenir et le cas échéant se faire représenter par un conseil. Lors d’une telle mini procédure, l’intervention du témoin lui-même peut se faire anonymement. G. Protection des témoins durant la procédure

Témoigner devant un tribunal n’est pas une sinécure pour une victime de crimes graves. Ces dernières années, on a pris conscience du fait qu’une audition peut laisser des séquelles psychiques, notamment dans des causes de violences sexuelles et lorsque la victime est confrontée directement à son agresseur. Dans les procédures pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, beaucoup de témoins ont été victimes de torture, de traitements inhumains ou de viols, ce qui crée une situation comparable. C’est la raison pour laquelle le statut des deux Tribunaux ad hoc a prévu explicitement que le Tribunal

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peut siéger à huis clos. L’article 75 du Règlement de procédure du TPIY prévoit que le tribunal peut prendre des mesures pour protéger les victimes et les témoins par des moyens adaptés, notamment en permettant, lors d’un témoignage, l’usage d’un circuit de télévision fermé unidirectionnel. Le Statut du TPI a repris cet acquis. Le projet de Règlement de procédure et preuve contient une série de dispositions qui doivent protéger l’équilibre psychique et la vie privée des témoins victimes de violences sexuelles. Ainsi, un interrogatoire croisé n’est pas requis pour que leur témoignage puisse être valable. Le consentement de la victime ne peut pas être pris en considération en cas de menaces ou d’environnement menaçant, et ne peut pas être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la part de la victime. La crédibilité, l’honorabilité ou la disposition sexuelle de la victime ne peuvent pas être déduits de son comportement sexuel avant ou après les faits. La preuve de tels faits n’est d’ailleurs pas autorisée. De telles dispositions auront certainement leur influence sur la façon dont les témoins de tels crimes seront entendus. Enfin, des victimes, de violences sexuelles en particulier, peuvent être entendues non seulement à huis clos sans être présentes dans la salle d’audience, par l’intermédiaire d’un circuit vidéo fermé, mais aussi en présence d’une personne de confiance (psychologue, membre de la famille, etc.). H. Le dilemme du témoin anonyme

Certains témoins peuvent conditionner leur collaboration avec la justice à la protection de leur anonymat, notamment certains « repentis ». Un témoignage anonyme est cependant une restriction importante des droits de la défense. Dans les procédures devant les Tribunaux pénaux, deux droits fondamentaux s’affrontent. D’une part, les victimes et les témoins ont droit au respect et à la protection, d’autre part, l’accusé a droit à un procès équitable, ce qui implique la possibilité de prendre connaissance de l’intégralité du dossier et d’interroger ou de faire

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interroger les témoins à charge. Dans l’arrêt Kostovski85, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une attitude critique à l’égard des témoignages anonymes comme moyen de preuve, sans toutefois les exclure de façon absolue. Elle s’est en effet demandé si une telle atteinte aux droits de la défense pouvait être justifiée par les éléments de la cause. Dans sa jurisprudence ultérieure, notamment dans l’affaire Doorson86, la Cour a précisé sa jurisprudence en indiquant les circonstances dans lesquelles un témoignage anonyme est exceptionnellement admissible, ainsi que les garanties de procédure qui doivent alors être prévues. Ce débat est cependant loin d’être clos. On peut par ailleurs poser la question de savoir s’il faut nécessairement appliquer les mêmes règles dans les dossiers de droit commun et dans des dossiers relatifs à des crimes de guerre. D’une part, les tribunaux internationaux devraient donner l’exemple. D’autre part, si de façon générale une mise en balance des intérêts en jeu, à la lumière des droits de l’homme, est nécessaire, tel est d’autant plus le cas dans la situation exceptionnelle à laquelle sont confrontés les tribunaux internationaux. Ces tribunaux n’ont pas de police et dépendent donc de la collaboration des États, parfois des belligérants, pour la protection de leurs témoins, notamment quand il s’agit d’organiser un programme de protection effective (changement d’identité, nouveau domicile, etc.). Contrairement à ce qui s’est passé après la Seconde Guerre mondiale, des procès ont lieu alors que le conflit se poursuit (Bosnie) ou que la situation sur le terrain est loin d’être stabilisée (Kosovo), ce qui augmente évidemment les risques de représailles après un témoignage. Dès les toutes premières causes, le TPIY a été confronté à la demande d’anonymat du procureur pour certains témoins87.

85 CEDH, 20 novembre 1989, Série A, vol. 166. 86 CEDH, 26 mars 1996, Recueil 1996-II. 87J. de Hemptinne, « La déposition de témoins sous anonymat devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie », Journal des Tribunaux, 24 janvier 1998, p. 65. A. Klip, «Witnesses before the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia », International Review of Penal Law, 1996, p. 267.

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Comme le Règlement de procédure était resté flou sur ce point, le Tribunal a précisé dans l’affaire Tadic les conditions dans lesquelles une protection spéciale d’un témoin s’impose, en réponse à une demande du procureur tendant à laisser témoigner anonymement trois personnes88.Un tel témoignage implique que toute référence à l’identité doit être écartée du dossier et que le public comme la presse, de même que l’accusé et ses défenseurs, ne peuvent pas avoir de contact visuel avec le témoin. Pratiquement, on travaille avec un circuit vidéo, déformant la voix et l’image du témoin, qui se trouve dans un autre espace que l’accusé et qui ne le voit même pas. Il n’est pas facile de déterminer les conditions dans lesquelles un témoignage anonyme est acceptable. Cela résulte notamment du fait que, dans l’affaire citée, l’un des juges (Kay Stephen) a adopté une dissenting opinion qui va énergiquement à l’encontre de la décision de ses collègues qu’il estime être une violation des droits de la défense. Le tribunal a donc retenu les conditions suivantes : • Il existe une crainte fondée quant à la sécurité du témoin ou de sa famille. • Le témoignage doit être important pour l’accusation. • Aucun élément ne met en cause la crédibilité du témoin. Cela exclut le témoignage anonyme d’une personne ayant un passé criminel ou d’un complice (repenti ou pas). Des informations sur la personnalité de la victime doivent être communiquées à la défense dans la mesure du possible. • Le tribunal tient compte du fait que tout programme effectif de protection des témoins fait défaut. • Les mesures doivent être limitées à ce qui est strictement nécessaire. Ces conditions ont même été renforcées dans la jurisprudence ultérieure, en particulier dans l’affaire Blaskic89: le procureur ne peut pas se limiter à invoquer une crainte de représailles, l’importance du témoignage et la crédibilité du témoin, mais doit également apporter des éléments objectifs qui étayent sa position.

88 TPIY, décision du 10 août 1995, ICTY-94-1-PT. 89 TPIY, décision du 10 juillet 1997, ICTY-95-14-PT.RICR Mars IRRC March 2002 Vol. 84 No 845 73

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Dans cette décision, le Tribunal a accepté l’anonymat du témoin vis-à-vis du public et de la presse, mais l’a rejeté vis-à-vis de la défense. Le procureur a donc dû communiquer à l’audience l’identité des témoins qui étaient restés anonymes lors de l’instruction et même durant une certaine période avant l’audience, afin de permettre à la défense de préparer l’audition. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a élaboré une jurisprudence comparable90. La protection des témoins ne joue pas uniquement pour les victimes. Les témoins à décharge que la défense fait convoquer peuvent en effet être soumis à des pressions ou faire l’objet de représailles. Dans l’affaire Ruggiu 6691, le TPIR a pris, à la demande de la défense, des mesures pour protéger des témoins à décharge. Un témoin de la défense ne pouvait pas être filmé ou photographié. Son identité ne pouvait être communiquée qu’au tribunal et au procureur. Dans les pièces de procédure, on a fait usage d’un pseudonyme et le dossier a été épuré de tout élément susceptible de fournir une information sur son identité. Le Statut de Rome a prévu de très larges possibilités pour préserver la confidentialité de certaines informations lors de l’instruction, mais la question des témoignages anonymes a été laissée en suspens. Le séminaire de Paris avait adopté une recommandation, non sans des débats parfois violents6892. Le Règlement de procédure et de preuve a tranché en prévoyant explicitement que les Chambres peuvent décider d’entendre des témoins à distance, par l’intermédiaire d’un circuit électronique déformant la voix et l’image. Le témoin ou même la victime qui veut intervenir en tant que tel, peut obtenir l’autorisation d’être connu seulement sous un pseudonyme par la défense et d’être interrogé anonymement. Les conditions et les modalités pratiques de telles mesures sont laissées à l’appréciation de la Cour.

90 TPIR, décision du 27 septembre 1996, ICTR-96-4-T (Akayesu). 91 TPIR, décision du 9 mai 1997, ICTR-97-32-I. 92 Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Cour pénale internationale: les nouveaux défis, Rapport de position, 1999, p. 16.

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I. Confidentialité et secret professionnel des témo ins et informations obtenues par les collaborateurs du CIC R

Le Règlement de procédure des Tribunaux ad hoc contenait déjà une série de dispositions permettant au procureur de préserver la confidentialité d’informations fournies par des tiers et communiquées à son office, et le témoignage de personnes, que le Tribunal ne peut forcer à violer le secret professionnel69. Le projet de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale est plus précis et reconnaît le caractère confidentiel des relations entre une personne et son médecin psychiatre, son psychologue, son conseil ou son confesseur. La déclaration des Nations Unies de 1985 précisait déjà que des personnes assistant des victimes pouvaient subir elles-mêmes un préjudice et être dès lors assimilées à des victimes. Un problème spécifique se pose pour les représentants des organisations humanitaires. Envisager que les collaborateurs de ces organisations se retrouvent eux-mêmes dans un rôle de victime n’est malheureusement pas une hypothèse purement théorique. Les médecins et d’autres collaborateurs d’organisations humanitaires doivent pouvoir travailler dans un environnement de confidentialité. Une violation de cette confidentialité peut mettre en danger non seulement ces personnes mais aussi d’autres collaborateurs de l’organisation ou les civils qui leur ont communiqué de telles informations. Pour le CICR, la nécessité de préserver la confidentialité de certaines informations est intimement liée à la crainte de perdre l’accès aux victimes (lieux de détention, etc.) si l’interlocuteur doit craindre un témoignage contre lui. Dans un arrêt, le TPIY a reconnu le droit des représentants du CICR de ne pas communiquer les informations relatives à leurs activités93. Le Règlement de procédure et de preuve

93 TPIY, Décision du 27 juillet 1999 de la Chambre III. Voir Stéphane Jeannet, «Recognition of the ICRC’s long-standing rule of confidentiality - An important

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de la CPI contient également des dispositions précises pour la protection du secret professionnel des collaborateurs du CICR: toute information que les collaborateurs du CICR ont obtenue dans le cadre de leurs activités est confidentielle. Cela implique que ni le procureur ni le Tribunal ne peuvent, à l’occasion d’un témoignage, imposer la communication de telles informations. Le CICR peut cependant lui-même renoncer à cette obligation de confidentialité, ce qui peut faire l’objet d’une entente entre la Cour et l’institution. Une telle règle de confidentialité n’est pas prévue pour d’autres organisations humanitaires. Seul le CICR bénéficie de cette protection, qui ne s’étend pas aux collaborateurs des Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant Rouge. J. Les droits de la défense menacés ?

Certains droits et garanties accordés aux victimes et aux témoins peuvent paraître inquiétants, parce qu’ils portent atteinte aux droits de la défense des accusés. Tel est le cas non seulement du témoignage anonyme, mais aussi de l’interrogatoire à distance ou des limites apportées à l’interrogatoire de victimes de crimes sexuels. La nature des crimes jugés par les juridictions internationales ne peut pas justifier qu’on réduise outre mesure les droits de l’accusé. Au contraire, les juridictions internationales doivent être exemplaires aussi pour ce qui concerne les droits de la défense. Il y a lieu toutefois de prendre en considération le fait que la procédure devant la CPI n’est pas purement accusatoire, et que le procureur a aussi l’obligation d’instruire à décharge, ce qui compense en partie certaines mesures qui pourraient paraître restrictives par rapport aux droits de la défense. Enfin, c’est la Cour qui devra toujours chercher l’équilibre entre les intérêts des personnes en cause (accusés, victimes et témoins) et ceux de la justice elle-même.

decision by the International Criminal Tribunal for the former Yougoslavia », RICR, no 838, juin 2000, p. 403.

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Pour rendre effectifs les droits des victimes devant la CPI, un Groupe de travail sur les droits des victimes (GTDV) 94a été créé en décembre 1997 par des organisations non gouvernementales oeuvrant à la promotion des intérêts et droits des victimes au sein des institutions de justice pénale et de droits de l’Homme. Son objectif principal a jusqu’ ici été de sensibiliser les gouvernements et autres (la presse, les ONG et le public), au cours de divers forums sur les questions relatives aux victimes afin de s’assurer que le Statut de Rome et le Règlement de Procédure et de Preuve prévoient la protection et le respect des droits des victimes ainsi que la satisfaction de leurs besoins et préoccupations tout au long du processus judiciaire de la CPI. Une attention particulière a été portée à la nécessité de s’assurer que la Cour ne rendra pas seulement une justice répressive, mais aussi une justice réparatrice ayant notamment comme objectif la prévention de toute nouvelle victimisation, et de I’ explosion des cycles de violence et de guerre, ainsi que I’apport de réparations et réhabilitation aux victimes. Les organisations membres du Groupe de travail ont produit de nombreux documents de position et d’informations, participe a toutes les sessions des négociations, et propose des textes pour la rédaction du projet de Statut et du Règlement. Le GTDV continue d’être représenté aux réunions de l’Assemblée des Etats parties; il fait activement la promotion du développement des structures opérationnelles pour les victimes à la Cour et continuera à militer pour que les droits des victimes soient respectés par les parties aux procédures devant la Cour. Pour le cas de la RDC le Conseil de Direction a indiqué que la situation en RDC95 concernant l’ensemble du territoire de la RDC, le Conseil peut identifier et mettre en oeuvre des activités au bénéfice de toute victime ayant souffert d’un préjudice résultant d’un crime mentionné à l’article 5 du Statut et commis après le 1er juillet 2002. Considérant les crimes commis sur l’ensemble du territoire et non les crimes allégués contre des personnes identifiées, l’intention du Conseil 94 http://www.vrwg.org 95 www.vrwg.org 1 mise à jour juridique : le droit des victimes devant la CPI16 février 2008

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de mettre en oeuvre des activités spécifiques pour répondre aux besoins identifiés, ne nécessite pas la détermination préalable par la Cour de certaines questions. Les activités bénéficieront à des groupes de victimes et non à des individus. Les bénéficiaires ne se limiteront pas aux victimes admises à participer dans les procédures. Le fait qu’une victime bénéficie des activités du Fonds ne signifie pas qu’elle est automatiquement reconnue comme victime autorisée à participer dans la situation. Les activités seront mises en oeuvre par des intermédiaires afin d’assurer la sécurité des bénéficiaires qui pourrait être menacée, s’ils sont vus comme ayant des contacts avec la Cour. Le Conseil a défini trois catégories de projet: l’assistance physique, psychologique et matérielle. La Juge unique, Sylvia Steiner, a octroyé le statut de victimes à 61 demandeurs, parmi lesquels une école96. Elle a rappelé les critères que doivent satisfaire les demandes de participation pour être complètes ainsi que les principes considérés par la Chambre pour accorder ou non le statut de victime à un individu ou à une institution. Elle a confirmé que les victimes et leurs représentants légaux n’auraient pas, pour le moment, accès aux documents non publics. Des clarifications ont été apportées concernant les points suivants: K. Les demandes formulées au nom d’une personne dis parue ou

décédée

La Juge a indiqué qu’il n’était pas possible d’agir au nom d’une personne disparue ou décédée. Le statut de victime peut toutefois être reconnu directement aux membres de la famille d’une personne décédée ou disparue s’ils montrent avoir subi un préjudice personnel, lié à la mort ou à la disparition de leur proche.

96 www. icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-423-FRA.pdf

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L. Critères pour la participation dans l’affaire : dégagés dans l’affaire Lubanga 97

Les victimes doivent établir : - s’il existe, entre elles « et les preuves que la Cour examinera au cours du procès de Thomas Lubanga Dyilo (dans le cadre de l’examen des charges portées contre lui), un véritable lien probant permettant de conclure que les intérêts personnels de la victime sont concernés ? » - ou si elles sont « concernées par une question soulevée pendant le procès de Thomas Lubanga Dyilo dans le sens que la question en litige a une réelle incidence sur ses intérêts personnels ? Concernant la protection des victimes, la Chambre a décidé que : - dans certains cas, elles pourraient conserver leur anonymat : Tout en reconnaissant qu’il est préférable que l’identité des victimes soit pleinement communiquée aux parties, la Chambre de première instance est également consciente de la position particulièrement vulnérable de nombre de ces victimes, qui vivent dans une région toujours en proie au conflit et où il est difficile d’assurer leur sécurité. -la Chambre ajoute que : « plus l’ampleur et l’importance de la participation proposée seront grandes, plus il sera probable que la Chambre exigera de la victime qu’elle révèle son identité. » Un autre précédent important créé par la décision concerne la protection des demandeurs victimes. L’article 43 du Statut qui semblait limiter la protection de la Cour aux « victimes comparaissant devant la Cour » a maintenant été clarifié. La Chambre a en effet suggéré que les demandeurs n’étaient pas exclus : « la Chambre est d’avis qu’une fois qu’une demande de participation dûment remplie est reçue par la Cour, cela constitue « une comparution » au sens de cette disposition. » La Chambre reconnaît aussi la charge que cela pourrait représenter pour l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins et déclare que l’ampleur de cette protection doit être réaliste.

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M. La position du groupe de travail pour les droits des victimes 98

La Résolution ASP/5/Res.adoptée par l’Assemblée des Etats Parties99 encourage la Cour à développer plus loin son dialogue avec le Bureau sur son plan stratégique et ce faisant, à se concentrer sur la mise en oeuvre concrète des questions telles que le rôle des victimes dans les procédures devant la Cour. Lors de la réunion biannuelle entre la CPI et les ONGs qui s’est tenue à la Cour en septembre 2007, la contribution des ONGs sur le rôle des victimes devant la CPI a été bien accueillie par le chargé de liaison avec le Greffe. Le GTDV présente ainsi ces recommandations comme moyen de contribuer à ce dialogue, ayant réuni les vues d’ONG internationales et de terrain ainsi que d’avocats travaillant avec les victimes ou sur la question des victimes… Il recommande à la Cour de développer des modalités de participation qui permettent aux victimes de participer effectivement et de façon sûre. Une fois le statut de participant accordé aux victimes, les modalités de participation devraient être établies d’une façon qui considère la balance entre le besoin pour les victimes de participer sûrement d’un coté, et de participer effectivement de l’autre c'est-à-dire sans diminuer l’étendue de la participation à cause des mesures de sécurité. Tenir des procès ou audience in situ, reconnaissant les victimes comme partenaires et intervenants clés. Afin de fournir un accès à la justice sensé, autant que possible, la Cour devrait relocaliser les procès ou les audiences clés dans les pays de la situation ou les pays voisins si nécessaire. Etablir des cibles spécifiques aux situations pour assurer une participation quantitative adéquate des victimes. Pour assurer une participation adéquate des victimes, une sensibilisation, formation et assistance pour la complétion des formulaires de participation doit être fournie

98Une stratégie sur le rôle des victimes devant la CPI. Novembre 2007 99Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, adoptés et proclamés par la Résolution 60/147 de l’Assemblée Générale le16 Décembre 2005.

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systématiquement et inclure un suivi régulier. Si des cibles plus élevées doivent être atteintes, alors il est suggéré que les sections pertinentes soient relocalisées plus près des populations touchées afin d’être présentes en permanence sur le terrain. Le personnel de sensibilisation sur le terrain devrait être suffisamment indépendant et responsabilisé avec la prise de décision. En plus de former le personnel de terrain sur les questions concernant le traumatisme, les enfants et les victimes particulièrement vulnérables telles que les personnes âgées et handicapées, une formation sur la sécurité préventive (physique et psychosociale pour les victimes et le personnel) devrait aussi être assurée. Une formation pour assister les victimes à compléter les formulaires de demande est aussi vitale à la fois pour la sensibilisation et le personnel de SVPR. Ces formations devraient être étendues à un groupe centre de partenaires locaux dans chaque pays de situation pour agir comme multiplicateurs. L’information et les matériaux de formation devraient être traduits dans les langues locales et doivent être fournis dès les premières rencontres. Afin de faciliter une planification, évaluation et reformulation effective des stratégies de terrain, des ateliers avec les intervenants clés (principaux partenaires) devraient être organisés. Un formulaire de commentaire devrait être développé à travers ces ateliers locaux comme un moyen facilement accessible de suivre le travail de la Cour du point de vue des victimes/intervenants. Cela pourrait être complémenté par d’autres techniques d’évaluation tels que des groupes de discussion ou autres entretiens ; néanmoins le GDTV recommande que la Cour développe ses propres sources de vérification et indicateurs pour évaluer la performance. Utiliser les amicus curiae et enregistrements d’autres intervenants de façon constructive dans le but d’assister dans le développement de politiques et principes. Afin de créer des politiques efficaces et consistantes en regard de la participation des victimes et de la représentation, la Cour devrait utiliser les procédures disponibles d’amicus curiae pour demander ou recevoir des observations de représentants juridiques non participants et de victimes ainsi que des ONG ayant une expérience pertinente

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dans la formulation de politiques et principes concernant les rôles des victimes dans les procédures.100 Assister les victimes participant qui veulent assister aux audiences même celles pas in situ. Les victimes qui se sont vues accorder le statut de participant et voudraient être physiquement présentes aux audiences devraient être assistées pour le faire (financièrement et logistiquement, y compris sur la sécurité). Une telle présence physique aux audiences sera très importante pour le compte rendu dans les communautés touchées et les autres victimes. Prendre des mesures pour minimiser tous les risques pour la participation des victimes. La Cour devrait prendre des mesures pour éviter que les victimes soient exposées à des risques suite à leur participation aux procédures. De telles mesures devraient inclure la possibilité de traiter de façon confidentielle les demandes et la non - révélation de l’identité des victimes à toute personne sauf si cela est strictement nécessaire. La relocalisation si nécessaire et informée par les victimes concernées devrait aussi être facilitée. D’autres mesures devraient inclure une formation adéquate et le développement de politiques de sécurité claires concernant les intermédiaires qui travaillent avec les victimes. Etablir des réseaux et stratégies pour la sûreté des victimes dès leur premier contact avec la Cour. Des stratégies responsables doivent être établies pour assurer la sûreté physique et psychosociale des victimes dès le premier contact avec la Cour. Une formation sur les pratiques préventives pour le personnel local de la Cour ainsi que ses principaux partenaires, intermédiaires, et conseils devrait être assurée pour chaque pays de situation. Les stratégies de réponse rapide aux incidents pourraient inclure la provision de conseil immédiat aux intermédiaires, la facilitation de contacts et l’établissement d’accords avec les

100 www.vrwg.org

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partenaires concernés sur le terrain. Afin d’évaluer la performance et réactivité, des cibles pour un temps de réponse maximum devraient être établies. Dans tous les cas, le représentant légal des victimes devrait être consulté. En cas de risque accru et continu une fois que les victimes sont reconnues comme participants, la Cour devrait assurer que les interlocuteurs locaux (c'est-à-dire personnel de la Cour, corps des Nations Unies ou partenaires de la Cour, et non les intermédiaires des victimes qui ne devraient pas porter la charge de la sécurité des victimes) aient les moyens de répondre rapidement aux incidents et urgences, et soient aussi capables de conseiller, assister et de défendre les victimes si nécessaire sur une base ad hoc. La Cour devrait établir des moyens d’évaluer la sûreté des victimes, y compris la sûreté psychosociale. L’évaluation des temps de réponse pourrait être appropriée.101 Afin de protéger les droits des victimes pendant la phase de demande ainsi que pendant les procédures, les victimes devraient se voir octroyer une aide judiciaire dès les premières phases. Fournir une aide judiciaire pendant la phase de demande aidera aussi à assurer que les demandes sont aussi complètes que possible, contribuant à des procédures rapides. L’aide juridique doit être disponible jusqu’à la mise en oeuvre des réparations. Un instrument pour l’évaluation pourrait être une analyse du nombre éventuellement accru de demandes complètes reçues par la Cour, mais d’autres instruments devraient être pensés. La Cour devrait établir un seuil d’indigence automatique. Par exemple, une présomption d’indigence pour certaines catégories de victimes, ou pour les victimes de situations spécifiques devrait être mise en place. Dans les cas où l’indigence est présumée, la Cour doit faciliter autant que possible la demande des victimes d’aide judiciaire et l’attribution d’un représentant légal, assurant que les victimes ont toute l’information disponible.

101 www.vrwg.org

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La Cour devrait assurer que les demandeurs et victimes autorisées à participer dans les procédures reçoivent toute l’information nécessaire pour un accès approprié à la représentation légale. Cela comprend le développement de mécanismes efficaces pour grouper les victimes sous des représentations légales communes et pour éviter les conflits d’intérêt entre les différents groupes de victimes représentés par le même avocat. Une stratégie pour la représentation légale commune des victimes devrait être développée par la Cour, prenant en compte les vues des organisations de victimes et les conseils de victimes et évitant les conflits d’intérêt entre les groupes de victimes représentés par le même avocat. La Cour devrait développer des principes pour des formes de réparation adéquates qui sont en ligne avec la situation des victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour. La Cour, y compris le Fond au Profit des Victimes, devrait assurer que les victimes reçoivent une aide efficace. Des mécanismes devraient être mis en place pour consulter les victimes sur leurs besoins et les informer de la possibilité de soumettre des propositions pertinentes au le Fond au Profit des victimes. Les propositions devraient être gérées de façon transparente et dans un temps limité. Pour les victimes, comme pour beaucoup d’intervenants, la Cour sera largement reconnue et adéquatement soutenue s’il y a une satisfaction sur la substance de son travail. En vérité ce but pourrait être reformulé comme indicateur du succès de la Cour. Néanmoins, si maintenu tels que formulé, et si la Cour veut être largement reconnue et adéquate soutenue comme but en soi, du point de vue des victimes, les résultats correspondants devraient inclure que les victimes puissent comprendre et utiliser les procédures de la Cour quand elles sont éligibles102.

102 www.vrwg.org

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3. Rôle des ONG devant la CPI

Le rôle des ONG dans les enquêtes et poursuites de la CPI est extrêmement important103. Les ONG, organisations des droits de l'homme ou humanitaires, sont souvent les premières à témoigner des violations massives de droits de l'homme et droit humanitaire. Etant donné qu'ils travaillent directement avec les populations affectées, ils ont des contacts privilégiés avec les victimes et témoins, et peuvent également disposer d'éléments prouvant que ces violations se sont effectivement déroulées, les ONG ayant pour habitude de documenter les événements auxquels ils sont témoins ou que des témoins directs leur ont rapportés. Grâce à leur présence et les contacts qu'ils ont sur le terrain, les ONG ont un accès privilégié aux informations et témoignages. Ces ONG peuvent donc être une importante source d'informations pour le Procureur de la CPI dans plusieurs cas : lors de l'analyse d'une situation (afin de déterminer si des violations graves se sont produites), lors des enquêtes, et finalement lors des poursuites, que ce soit pour faire directement un témoignage, fournir toute autre forme de preuve ou soumettre des cas amicus curiae. Il est cependant important de rappeler que les ONG n'ont pas le même mandat que celui de la CPI et fonctionnent donc différemment. Le personnel des ONG est rarement un groupe d'enquêteurs expérimentés, et leur principale préoccupation n'est généralement pas la préservation des preuves pour leur utilisation dans les procédures criminelles. Au contraire, les ONG pourraient avoir des inquiétudes quant à la protection de la confidentialité de la source qui leur a fourni les informations. De plus, le personnel des ONG travaillant sur le terrain, les ONG ont besoin de prendre en compte plusieurs paramètres avant de décider de coopérer avec la Cour, étant donné que la sécurité de leur personnel peut être menacée et l'accès aux communautés affectées compromis

103 Stéphane Jeannet, « Testimony of the ICRC delegates before the International Criminal Court », RICR, no 840, décembre 2000, p. 993.

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A. Les ONG dans la création de la CPI

Leur rôle a été particulièrement important104 lors de la création de la Cour pénale internationale. Un millier d'entre elles ont même formé une "coalition pour une cour pénale internationale" qui poursuit son action de sensibilisation et de lobbying auprès des gouvernements. Elles sont devenues des intermédiaires actifs entre les Etats et la Cour pénale internationale. Une singularité importante de la négociation sur le statut de la Cour pénale internationale et de certaines des dispositions de ce dernier concerne le rôle éminent tenu par les organisations non gouvernementales (ONG). Cette tendance à l'émergence d'un rôle propre et important pour les ONG ou, comme l'a indiqué le professeur Bettati " l'explosion du phénomène des ONG comme aiguillon de la diplomatie internationale ", s'est trouvée fortement réaffirmée à l'occasion de la préparation du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. De fait, nombreuses sont les Organisations non gouvernementales qui, par leur action sur le terrain, depuis de nombreuses années, ont été en première ligne des tragédies vécues par tant de populations civiles, dans le cadre de différents conflits, internationaux ou non. Elles y ont acquis, ce faisant, une capacité d'analyse des faits, une légitimité à témoigner, qui ont trouvé, grâce également aux moyens de communication, des répercussions considérables auprès des opinions publiques. La généralisation et la systématisation de l'engagement de ces organisations font en quelque sorte de ces dernières le troisième " personnage-clé " qui vient interférer dans le dialogue habituel entre les Etats d'une part et les instances internationales qui ne relèvent pas d'une logique étatique d'autre part, comme, dans le cas précis, la Cour pénale internationale. Les coordinations d'ONG ont eu un rôle direct dans la négociation de Rome, aux côtés des représentants gouvernementaux et à égalité avec eux. Certains juristes se sont d'ailleurs émus de ce qu'ils ont considéré comme une certaine dérive du multilatéralisme, entraînant " une nouvelle dépossession des Etats 104 Dulait André, Rapport d'information sur la Cour pénale internationale (n°313/1998-99), Paris, Sénat, www,

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" au profit de certaines ONG plus " idéologiques " qu'" opérationnelles " " qui se bornent à des postures normatives, aspirent à devenir des partis politiques internationaux, sans légitimité, sans racines et sans contrôle, et développent une diplomatie parallèle, qui interfère avec les diplomaties étatiques, sans aucune base démocratique ". Ce jugement, quelque peu sévère, n'en permet pas moins d'apprécier avec plus de recul cette nouvelle réalité internationale qui peut conduire, concrètement, à l'adoption de dispositions normatives intégrant, dans un équilibre parfois fragile, des logiques concurrentes : celle de l'Etat souverain contre celle de l'Etat contrôlé ; celle de l'universalité des compétences de la Cour .De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) ont milité pour que soit reconnue la responsabilité des auteurs de graves crimes internationaux et qu'ils soient jugés par des cours pénales contre celle de la prééminence politique du Conseil de sécurité. Le rôle des ONG dans la Cour pénale internationale dépasse d'ailleurs le stade de la négociation. Le Statut de Rome leur confère un rôle non négligeable dans le fonctionnement judiciaire de la Cour pénale internationale. Le Statut de la Cour prévoit en effet que le Procureur de la Cour peut ouvrir proprio motu une enquête au vu de " renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ". Nul doute qu'une large part de ces renseignements proviendront en particulier des organisations non gouvernementales, au reste explicitement mentionnées au 2e alinéa de l'article 15 du Statut, au côté des Etats, des organes de l'ONU, d'organisations intergouvernementales ou "d'autres sources dignes de foi"." Les ONG des pays du sud ont adopté le 13 mai 1999 à La Haye une déclaration commune par laquelle elles s'engagent à faire pression sur leurs gouvernements pour qu'ils ratifient le plus vite possible le statut de Rome.

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B. Recommandations des ONG aux Etats en faveur de l a CPI

Dans une déclaration du 13 mai 1999105 les ONG incitent les gouvernements à : - Procéder immédiatement à la signature de la Convention de Rome donnant naissance à la Cour Pénale Internationale, acceptant ainsi de ne pas s'engager dans l'exercice de toute politique qui serait nuisible à sa rapide mise en oeuvre. Donner priorité à la ratification de la Convention soit en facilitant la procédure parlementaire soit en engageant une action de l'Exécutif quand cela est possible. Si la ratification de la Convention donnant naissance à la CPI rend nécessaire d'amender auparavant la Constitution, nous demandons que ces Etats engagent rapidement ces démarches. - Participer activement au travail réalisé par la Commission Préparatoire pour la constitution de la Cour Pénale Internationale, Commission qui a la délicate mission d'établir les "règles en matière de procédure juridique et de preuves ", " les éléments constitutifs du crime ", de débattre de la définition de l'Agression ainsi que d'autres points importants. Le débat au sein de cette Commission doit être mené avec le maximum d'efficacité et dans le but de faciliter le travail de la Cour tout en préservant l'intégrité de la Convention de Rome. - A la ratification les parlements doivent entreprendre l'importante mission de passer des législation qui permettront de garantir que les crimes tombant sous la juridiction de la CPI sont également des crimes sous la loi nationale. Ceci est essentiel afin de garantir que l'action de la Cour sera complémentaire à celle des tribunaux domestiques et que les Etats conserveront leur responsabilité première en tant que protecteurs du droit humanitaire et des Droits de l'Homme. Promulguer une législation habilitante sur les aspects de la coopération avec la Cour dans des domaines comme l'action de la police, les démarches judiciaires, les responsabilités financières et l'application des peines. -Rejeter l'activation de la clause des 7 ans qui protège leurs ressortissants des poursuites possibles dans le cas des crimes de guerre.

105 Déclaration de La Haye 13 mai 1999, www.Org

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-Eviter les traités bilatéraux avec des Etats non signataires de la Convention sur des questions comme l'extradition qui pourraient avoir une incidence sur l'obligation qu'a l'Etat signataire de livrer les personnes mises en accusation ou de coopérer pleinement avec la Cour. Constituer une Caisse Allocataire afin d'aider les pays les moins développés ou ceux en voie de développement à remplir leurs obligations financières envers la Cour. Ratifier d'autres actes juridiques internationaux visant à la protection des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire et accepter la juridiction des organes des tribunaux régionaux des Droits de l'Homme afin de consolider le nouvel ordre juridique au sein duquel la CPI doit opérer." C. Le rôle des ONG de défense des droits de l’homme dans les

enquêtes de la CPI 106

Les ONG ont potentiellement un rôle vital à jouer en relation avec les enquêtes de la CPI. Elles ont souvent une connaissance directe des violations et sont en contact avec les communautés de victimes et de témoins. Les ONGs sont aussi aptes à recueillir des informations sur des violations peu de temps après qu’elles aient été commises et à rassembler les renseignements sur des violations systématiques. Ainsi, il se peut que les ONG soient la principale source d’information attirant l’attention du Procureur de la CPI sur des situations où des crimes ont été commis. Cependant, il existe d’importantes limites auxquelles doivent faire face les ONGs. La plupart d’entre elles ne comptent parmi leurs personnels aucun enquêteur professionnel. Il se peut aussi que les mandats et les lignes de conduites des ONGs soient différents de ceux de la CPI. Enfin, les ONG risquent d’avoir des préoccupations particulières en ce qui concerne la protection de relations confidentielles ou de leurs sources.

106 Document de Travail. Distribué pour commentaire aux membres de la Coalition des ONG pour la Cour Pénale Internationale pendant la Troisième session de l’Assemblée des Etats Parties . La Haye Septembre 2004

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Les ONG doivent aussi prendre conscience du fait que leurs actions pourraient en réalité nuire à une enquête de la CPI. En effet, en prenant de multiples dépositions d’un témoin, les ONG peuvent créer des difficultés pour celui-ci quand il devra témoigner devant la CPI. De plus, le prélèvement de preuves matérielles ou médico-légales par des personnes non professionnelles risque de limiter leur valeur devant la Cour. A la lumière de ceci, les ONG sont confrontées à de nombreuses questions concernant leur rôle dans les enquêtes de la CPI. Un problème fondamental pour beaucoup d’ONG sera de savoir si elles transmettront leurs informations à la CPI ou même si elles témoigneront devant la Cour de ce qu’elles ont observé. Même si les ONG n’acceptent pas un tel rôle, elles doivent néanmoins se poser certaines questions similaires. Leur est-il nécessaire de changer les méthodes utilisées pour établir les faits ? Qu’implique une éventuelle enquête de la CPI pour les contacts que les ONGs ont avec les témoins, en particulier la prise de dépositions ? Quelles considérations nouvelles naissent en relation avec les preuves matérielles ? Comment les ONG peuvent-elles assurer la protection des témoins ? Dans quelle mesure les ONG sont capables de protéger la confidentialité ? La création de la CPI signifie que tout crime commis après le 1er juillet 2002, répondant à la définition contenue dans le statut de la CPI (ci-après le Statut de Rome) de crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide, peut faire l’objet d’une enquête auprès de la CPI. Le Bureau du Procureur de la CPI (ci-après le BP) est chargé de « recevoir les communications et tout renseignement dûment étayé concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, de les examiner, de conduire les enquêtes et de soutenir l'accusation devant la Cour ». La Défense mènera sa propre enquête une fois que les accusés ont été identifiés. Cependant, lorsque les enquêteurs du BP et de la Défense commencent à enquêter sur une situation où des crimes au

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sens du Statut de Rome pourraient avoir été commis, d’autres acteurs seront très souvent déjà sur les lieux. Il arrive que les premiers sur les lieux soient des agences internationales, comme les Nations Unies, et des agences humanitaires. Alors que leur mandat premier est de restaurer ou de maintenir la stabilité, ou d’apporter de l’aide humanitaire, ils sont souvent en possession d’informations qui peuvent s’avérer plus tard cruciales pour une affaire pénale. Dans certains contextes, de telles agences ont d'ailleurs été elles-mêmes chargées d’enquêter sur des atrocités. Par exemple, la MONUC, la mission des N.U. en République Démocratique du Congo (RDC), a été chargée de documenter les violations massives des droits de l’homme dans la partie Est du pays107. Il se peut aussi que des ONG locales soient les premiers sur les lieux, par exemple parce qu’elles apportent assistance aux réfugiés. Au cours de cette assistance, tant les agences NU que les ONG se retrouvent en possession de beaucoup d’informations provenant des victimes et témoins. Les ONG locales et internationales arrivent souvent rapidement sur les lieux dans le but d’établir ce qui s’est passé et de documenter les violations. Certaines ONGs sont déjà sur le terrain, accomplissant un autre travail. D’autres viendront spécialement pour enquêter et recueillir des informations sur les atrocités. Il est probable que les ONG partagent généralement le but de la CPI de combattre l’impunité des auteurs d'atteintes aux droits de l'homme et au droit international humanitaire. Le mouvement des droits de l'homme, qui a grandi ces dernières décades dans presque chaque pays du monde, a développé des méthodes et des pratiques pour suivre de près et documenter les

107 Le mandat donné par le Conseil de Sécurité à la MONUC comprend un élément de droits de l'homme, et des équipes MONUC ont à plusieurs occasions enquêté sur des allégations de violations spécifiques. Par exemple, en décembre 2002, une équipe MONUC a été envoyée pour enquêter dur des allégations selon lesquelles des violations graves avaient pris place à Mambasa et dans la région aux alentours. L'équipe interviewa plus de 350 témoins visuels. Voyez Treizième Rapport du Secrétaire Général sur la MONUC (S/2003/211), 21 février 2003.

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violations des droits de l'homme. Les ONG travaillent souvent dans des circonstances difficiles et dangereuses pour collecter et disséminer l’information, et ceci afin de mettre fin aux abus en attirant l’attention du monde dessus. Ils appellent fréquemment à la responsabilité des auteurs comme moyen d’adresser ces violations. Dans n’importe quelle situation soumise à la CPI, il se peut que des ONG aient déjà entrepris de rassembler des informations, que ce soit en tant que part normale de leurs activités d’établissement des faits, ou spécialement dans le but de soumettre ces renseignements à la CPI. Les ONG sont capables d’apporter une aide précieuse au procureur CPI. Elles ont souvent une connaissance du terrain, des contacts directs avec les victimes, et éventuellement des relations de confiance avec la communauté de victimes et autres groupes de la société civile, en ce compris les groupes religieux, unions et autres institutions. De même, les ONG sont souvent dans une bonne position pour apporter une compréhension plus large du contexte dans lequel les violations prennent place et pour présenter des événements systématiques. Il arrive que les ONG soient capables de documenter les violations peu de temps après qu’elles aient eu lieu, éventuellement avant que les gens s’éparpillent ou que les preuves se perdent. En effet, les ONG sont une des sources principales qui attirent l’attention du BP de la CPI sur des situations où des crimes au sens du Statut de Rome ont été prétendument commis. Aujourd’hui, les ONG à travers le monde sont déjà interrogées sur la manière dont elles déposent leurs renseignements auprès de la CPI, et la CPI a déjà reçu des centaines de communications de la part d'ONG et d'autres acteurs de la société civile. L’aide que peuvent apporter les ONG est de plus important en l’absence de coopération des Etats. Bien que les Etats parties au Statut de Rome aient l’obligation de coopérer avec le Procureur, et qu’en vertu du droit international, tous les Etats ont l’obligation de coopérer pour combattre l’impunité des crimes internationaux tels que

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ceux de la compétence de la CPI, la réalité est qu’il y a un certain nombre de facteurs susceptibles d’empêcher une telle coopération, dont notamment le fait que l’Etat lui-même peut ne pas avoir de contrôle sur le territoire en question. Certaines formes d'aide que les ONG peuvent apporter aux enquêtes de la CPI comprennent:

• Dresser une carte ou fournir des renseignements sur des violations systématiques

• Entreprendre des examens médico-légaux

• Publier des rapports et autres informations sur des violations

• Soumettre des informations sur les violations aux cours nationales ou à la CPI

• Rédiger des notes légales générales et apporter de l’aide dans les recherches aux cours nationales et à la CPI

• Suivre de près les procédures nationales ou sur les communications à la CPI et rédiger des rapports publics à leur propos.

Selon l'Article 15 du Statut de Rome et la règle 104 du Règlement de procédure et de preuve, le Procureur peut recevoir et chercher des renseignements de sources qu'il juge appropriées. L'Article 15 dispose de plus que s'il estime, sur base de telles informations, qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête, il peut requérir que la Chambre préliminaire donne son autorisation pour l'ouverture de l'enquête.

• Fournir des explications sur la CPI, et en particulier sur le rôle du BP, aux communautés affectées

• Conseiller le BP en communication avec les victimes et témoins dans les communautés affectées

• Apporter à la CPI des informations concernant le déplacement de population et des flux de réfugiés

• Identifier les témoins potentiels et agir comme courroie de transmission pour atteindre et gagner la confiance de tels individus pour le BP

• Conseiller la CPI sur la protection de témoins

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• Apporter du support aux victimes ou témoins, comme de l’aide psychologique, médicale et humanitaire, après qu’ils aient été interviewés par le BP

• Organiser les victimes dans le but de participation et réparations

• Assurer la formation d’avocats qui pourraient représenter les victimes, les suspects ou les accuses

• Agir en tant que amicus curiae dans les procédures judiciaires

D. Limites du rôle des ONG dans les enquêtes de la CPI

Même si les ONG peuvent apporter une aide considérable, il y a un certain nombre d’éléments importants qui imposent des limites à leur rôle dans les enquêtes pénales, que ce soit de la CPI ou d’autres juridictions pénales. Tout d’abord, la plupart des défenseurs et des activistes des droits de l'homme ne sont pas des enquêteurs professionnels. Et même s’ils sont professionnels, leur rôle de recueillir des informations sur les violations est, et restera, différent de celui des enquêteurs de la CPI, ou de toute autre juridiction, nationale ou internationale. Le BP doit construire son propre corps de preuves, mener ses propres interviews avec les témoins, rassembler et examiner lui-même les preuves matérielles. Pour aider une enquête, le rôle le plus utile que la plupart des ONG peuvent jouer est d’alerter le BP que certaines violations ont probablement été commises. Le BP pourra alors décider s’il ouvre ou non une enquête à l'aide de ses propres ressources. Deuxièmement, les ONG et la Cour elle-même ont leurs indépendances et mandats à préserver. Si la plupart des ONG souhaitent promouvoir la poursuite de la justice et la responsabilité liée à une situation où des violations des droits de l'homme ont été commises, toutes ne souhaitent pas promouvoir la poursuite d’individus particuliers. Certaines ont une politique à l'encontre du fait de citer des noms et estiment qu'un quelconque rôle direct dans les enquêtes pénales se situe hors de leur mandat.

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Troisièmement, les ONG de défense des droits de l'homme sont particulièrement concernées par la protection de leurs relations confidentielles, en ce compris l’identité de leurs sources. Ceci a des dimensions à la fois éthiques et pratiques. Il est compréhensible que les ONG soient préoccupées par la sécurité des individus avec qui elles sont en contact dans le cadre de leur travail. Souvent, les ONG sont présentes depuis longtemps sur les lieux de violations, et ont un fort intérêt à préserver leur capacité de long terme de protéger et supporter les victimes de violations des droits de l'homme. Elles ne veulent rien faire qui pourrait compromettre ce travail ou mettre leurs opérations ou des personnes en danger. Les organisations internationales peuvent aussi être préoccupées, si elles ne gardent pas le secret de leurs sources, par ce que cela impliquerait pour leur réputation au-delà de la région en question. Elles peuvent s’inquiéter de l'effet sur le mouvement des droits de l'homme en tant que tel si les défenseurs des droits de l'homme sont considérés comme n'étant pas capables de respecter la confidentialité. Des arguments similaires ont été soulevés par le CICR et par les journalistes, parmi d’autres, pour appuyer leur revendication au privilège et à la confidentialité. Malgré ces facteurs contraignants, les actions que les ONG prennent au lendemain d’atrocités pourraient avoir des conséquences significatives pour une enquête future, même si elles ne font rien pour jouer un rôle quelconque dans une procédure pénale. Par exemple, une ONG pourrait se trouver sur le lieu d’une tombe collective qui est sur le point d'être effacée par ceux qui ont un intérêt à cacher son existence, et pourrait avoir l’opportunité unique d’enregistrer la preuve d'un massacre qui disparaîtrait autrement. Dans un tel cas, les démarches qu’elle entreprend sont déterminantes pour pouvoir prouver le massacre. D’un autre côté, si une ONG entreprend des interviews en profondeur avec des individus qui s’avèrent être des témoins clés devant la cour, ou si elle devient impliquée dans le recueil de preuves médico-légales sans formation convenable, cela pourrait avoir un sérieux impact négatif sur toute enquête future. Même si complètement non

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intentionnel, les ONG pourraient compromettre la poursuite ou la défense. Il faut aussi rappeler que les ONG ne sont pas toujours capables d’agir librement : dans beaucoup de pays, elles sont sensibles à l’interférence et leur travail est susceptible d'être influencé par des agences officielles ou non officielles. De même, elles ne sont pas toujours indépendantes et impartiales. Par exemple, dans un conflit donné, une ONG peut se rallier à une des parties au conflit ou avoir un agenda particulier, que ce soit de nature politique ou autre. Même en l’absence de biais, elle sera accusée d’être partiale. Cela soulève des questions importantes à propos de la fiabilité des informations qu'elles procurent. De plus, une situation peut tout simplement dépasser leur expérience et leur capacité de recueillir des renseignements. Les situations qui seront probablement soumises à la CPI risquent d’être différentes, en terme d'échelle et de nature, de celles où des violations sont généralement commises. La perspective de procédures pénales peut soulever des difficultés et parfois des exigences contradictoires pour les ONG. Par exemple, la préoccupation dominante de protéger leur personnel et les gens avec qui elles sont en contact peut parfois paraître inconciliable avec leur désir d’assister le Procureur de la CPI ou de lui soumettre des renseignements. E. Quelles sont les implications pour les façons do nt les ONG

interagissent avec les témoins, en particulier à pr opos de la prise de dépositions ?

Des questions particulières peuvent se poser lorsque des procédures pénales risquent d'être enclenchées par la suite: lorsqu'il mène une interview, l’interviewer doit-il dire aux gens ce qu’il adviendra des informations qu’ils donnent ?

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Peut-il donner certaines assurances concernant leur protection, et si oui, quelles sortes d'assurances ? Comment la confidentialité peut-elle être sauvegardée si la personne interviewée souhaite parler en toute confidence ? Les ONG ont besoin de guidance pour répondre à ces questions. Il est clair qu'une victime ou un témoin devrait être informé du but dans lequel il/elle est interviewé(e), et de l'utilisation qui sera faite de l’information transmise lors de l’interview (par exemple, pour un rapport public, pour faire de la promotion, et/ou pour tenter de déclencher une enquête pénale). Si l'éventualité d'une procédure pénale existe, il est important de savoir si le témoin est volontaire pour coopérer avec une éventuelle enquête et/ou poursuite. Les chercheurs recueillant des faits à propos de violations des droits de l'homme à grande échelle doivent-ils dorénavant systématiquement soulever avec les gens qu’ils interviewent la possibilité qu’une affaire pénale puisse s’en suivre et demander la permission de transmettre l’information à une juridiction ? Par ailleurs, il est aussi important de suivre les déplacements des témoins, en particulier dans des situations où le témoin est un réfugié et pourrait être déplacé. Des conseils sur comment éviter de «contaminer» les témoins seraient également utiles aux ONG. Par exemple, si - avant que les enquêteurs de la CPI n’arrivent - des groupes prennent des dépositions détaillées verbales d’un individu qui s’avère être un témoin clé par la suite, cela peut créer des problèmes pour une future enquête CPI. Des problèmes peuvent aussi survenir si plusieurs ONG et OI prennent la déposition du même témoin. Dans de telles situations, la solution idéale pour la CPI pourrait être qu’une organisation droits de l'homme prenne seulement note de la preuve que le témoin révèle, et obtienne son consentement si elle a l’intention de transmettre la note à la CPI, plutôt que prendre une déposition complète, signée et écrite dans les propres mots du témoin. D’un autre côté, de tels témoignages personnels et directs sont exactement ce que les défenseurs des droits de l'homme et les

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médias cherchent quand ils veulent écrire une histoire qui touche et motive le public. Est-il réaliste, ou même raisonnable, d’attendre des ONG qu’elles changent leurs méthodes dans des situations pouvant éventuellement être soumise à la CPI ? Au lendemain immédiat d’un incident, on ne peut être certain qu'une procédure devant la CPI sera enclenchée. Par exemple, il peut arriver que ce soit seulement après un certain temps qu’il apparaît qu'un incident spécifique participe en réalité à une politique généralisée ou systématique équivalente à un crime contre l’humanité. Même si la procédure pénale apparaît comme une possibilité, les ONG de droits de l'homme risquent de toute façon d'avoir besoin d’entreprendre un sondage détaillé de témoins pour obtenir les informations à publier dans un rapport destiné à un forum non pénal. De même, il n'est pas immédiatement évident de savoir quelle personne serait un éventuel témoin clé dans une procédure pénale. Pour décider quoi faire au lendemain d’atrocités, les organisations des droits de l'homme ont à faire des choix difficiles en l’absence d’information suffisante. Elles ont besoin de peser les avantages immédiats d’un rapport détaillé et fait à temps contre ceux d’une souvent lointaine perspective de poursuites devant la CPI. Si des abus ont toujours lieu ou s’il y a un grand risque de récurrence, la priorité sera de mettre fin aux abus. Des rapports détaillés des violations, incluant des histoires de victimes et des témoignages à la première personne, sont souvent le moyen le plus efficace et le plus puissant pour forcer les politiciens à prendre une action décisive pouvant sauver des vies. Si le but est de documenter des violations aux fins d’établir un enregistrement historique, il peut être intéressant de collectionner les histoires de victimes et les témoignages personnels. D’un autre côté, si le principal objectif est d’assurer que les responsables soient traduits en justice, il peut être préférable pour les ONGs de se concentrer sur l’établissement des violations systématiques et sur le

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fait de renseigner la CPI quand celle-ci va collecter les preuves elle-même, et d’éviter de prendre des témoignages personnels détaillés de victimes et témoins. F. Quelles considérations pourraient apparaître en relation avec

les preuves matérielles ?

La plupart des ONG de défense des droits de l'homme n’incluent pas dans leur rôle la préservation ou le recueil de preuves matérielles. Néanmoins, les ONG sont parfois placées dans des situations où, si elles n’agissent pas de manière appropriée, des preuves cruciales peuvent être perdues. Que doivent-elles faire dans de telles situations, par exemple si on leur donne des documents originaux, des photographies, des cassettes audio, des compact discs ou autre preuves matérielles, et si on leur demande d’en prendre soin ? De même, que faire lorsqu’elles croient que si elles n'en prennent pas possession, ces preuves seront détruites ou enlevées ? D’autres problèmes pourraient aussi apparaître lorsque des ONG se décident à rapporter la vérité sur la découverte de corps, de tombes collectives, de munitions ou d'autres preuves, et lorsque les circonstances rendent simplement impossible la meilleure action normale, qui est d'informer les institutions officielles appropriées, agences spéciales ou officiers de cours. Dans de telles situations, que doivent-elles faire pour enregistrer ou préserver telles preuves et pour avoir des informations sur qui en a eu la garde ? Que doivent-elles faire si les proches sont sur le point d’exhumer les corps des victimes des crimes ? Ou encore, que faire si, une fois que la CPI a annoncé ouvertement son intention d’enquêter, telles preuves commencent à disparaître ? La présence d’ONG lors de suites immédiates d’atrocités peut offrir des opportunités uniques en matière de preuves, et les pas qu’elles font ou ne font pas à ce stade pourraient être cruciaux pour une enquête criminelle, que ce soit pour le Procureur de la CPI ou la Défense.

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G. Conduite à tenir pour assurer la protection des témoins ?

Des enquêtes de la CPI peuvent créer des risques majeurs de sécurité pour les victimes et témoins vulnérables, et cela devrait toujours être la préoccupation dominante des ONG impliquées dans une situation dont la Cour peut avoir à connaître ou que la Cour enquête déjà. Les ONG ont besoin de conseils sur quelles mesures pourraient être nécessaires pour assurer la sécurité et la protection des victimes et des témoins. Par exemple, lorsqu’il existe des risques de mise en danger ou d'éventuels problèmes de sécurité pour les victimes et témoins, résultant de procédures devant la CPI, il faut leur donner des informations précises sur les mesures de protection que la Cour peut ou ne peut pas fournir avant, pendant et après l’affaire. De cette façon, ils peuvent prendre une décision éclairée de donner ou non des preuves. Il est hautement probable que les ONG elles-mêmes ne soient pas capables d’offrir une telle protection, et la protection d’agences externes comme les NU varient selon les circonstances. De plus, les risques en terme de sécurité peuvent s’étendre au-delà des individus eux-mêmes jusqu'à leurs familles et associés. Les leçons tirées de l’expérience du TPIY et du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) peuvent aider. La protection de victimes et témoins vulnérables n’est pas seulement de la protection contre l’intimidation. Les ONG ont besoin aussi d’être conscientes que témoins et victimes peuvent être traumatisés par les événements qu’ils ont expérimentés. Cela peut avoir un impact sur les preuves que tels témoins ou victimes donnent, et ils peuvent nécessiter la consultation d’experts ou autre traitement. Les solutions à ces problèmes peuvent n’être ni évidentes ni faciles, et attirer l’attention des ONG sur ces problèmes et sur certaines solutions possibles pour les alléger pourrait être crucial pour la sécurité des victimes et témoins pendant l’enquête mais aussi pendant la poursuite.

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H. Dans quelle mesure les ONG seront-elles capables de préserver la confidentialité ?

Des questions de grande importance pour les ONG ont trait à la confidentialité. Quand les ONG se trouvent en possession de preuves précieuses concernant des crimes, se pose la question de savoir quels documents et autres informations elles seront requises de révéler à la CPI. Seront-elles prêtes à les remettre ? Dans certains cas, les ONG vont bien vouloir transmettre les informations ou témoigner, et donc souhaiteront être dispensées de tout privilège qu’elles auraient pu avoir autrement. Dans d’autres cas, il se peut que le Procureur de la CPI ou la Défense cherche à prendre connaissance du fruit du travail de ces ONG - tel que les dépositions de témoins, les noms des sources et les notes. I. Et si la CPI demande qu’elles transmettent certa ines

informations, en ce compris des dépositions de vict imes, les noms des victimes et autres données de recherche ?

Pour les ONG internationales, se pose aussi la question de savoir quelles seront les implications pour leurs partenaires et interlocuteurs locaux ? Dans certaines situations, si les ONG n’ont pas obtenu l’accord initial de leurs sources, il peut leur être difficile de retourner les voir afin que celles-ci consentent à dévoiler leur identité ou autres informations à la CPI. Si les ONG sont d’accord pour transmettre de la documentation ou des informations à la CPI, leur sera-t-il possible d’imposer des conditions sur l’usage qu’il en sera fait ? Par exemple, pourraient-elles requérir que cela soit uniquement utilisé comme base pour les propres enquêtes de la Cour, mais que cela ne soit pas produit lors du procès ? Leur sera-t-il possible d’avoir des assurances de confidentialité quant aux noms ou autres informations sensibles ? Sous l’article 54.3 (e) du Statut de Rome, qui établit les devoirs et pouvoirs du Procureur en matière d’enquêtes, le procureur peut « s’engager à ne divulguer à aucun stade de la procédure les documents ou renseignements qu’il a obtenus, sous la condition qu’ils

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demeurent confidentiels et ne servent qu’à obtenir de nouveaux éléments de preuve, à moins que celui qui a fourni l’information ne consente à leur divulgation ». La règle 82.2 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI spécifie de plus que, si le Procureur introduit tel élément de preuve protégé dans les preuves soumise à la Cour, la Cour ne peut pas ordonner la production de preuve supplémentaire fournie par la même personne ou appeler cette personne comme témoin. J. Les membres du personnel des ONG doivent-ils tém oigner ?

Au TPIY et au TPIR, des ONG comme HRW et Médecins Sans Frontières (MSF) ont accepté d’apporter des témoignages à quelques occasions mais ont résisté dans d’autres. Dans l’Affaire Randal, la Chambre d’Appel du TPIY a donné un indice sur la manière dont elle pourrait percevoir le refus de témoigner de la part d'organisations des droits de l'homme. Le journaliste Jonathan Randal avait refusé d’apparaître devant la chambre de première instance du TPIY en réponse à une injonction de comparaître aux fins d’apporter un élément de preuve en relation à un article qu’il avait publié sur l’accusé. La Chambre d’Appel annula l’injonction sur base d’un argument d’intérêt public et des intérêts de la liberté d’expression: elle nota que les correspondants de guerre jouent un rôle capital dans la mesure où ils rendent la communauté internationale consciente du caractère sérieux de violations des droits de l'homme, et attirent l’attention de la communauté internationale sur les horreurs et la réalité des conflits.108 La Chambre considère que le niveau de protection qui devrait être accordé aux correspondants de guerre est directement proportionnel aux conséquences que leur témoignage devant le Tribunal international pourrait avoir sur leur travail d’investigation. Ainsi, le Tribunal « ne veut pas entraver inutilement le travail de professions qui servent l’intérêt général ». Elle continue en construisant un test à utiliser quand on met en balance ces intérêts et

108 Le Procureur c. Radoslav Brdjanin, Chambre Appel TPIY, Décision relative à l'appel interlocutoire, 11 décembre 2002, ("Affaire Randal"), para. 35-37.

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l’intérêt d’avoir toutes les preuves devant le Tribunal: « Premièrement, la partie requérante doit démontrer que le témoignage demandé présente un intérêt direct et d’une particulière importance pour une question fondamentale de l’affaire concernée. Deuxièmement, elle doit prouver que ce témoignage ne peut raisonnablement être obtenu d’une autre source ». Il apparaît clair que les organisations de défense des droits de l'homme pourraient invoquer un privilège d’intérêt public similaire à celui ainsi reconnu aux correspondants de guerre. Ces organisations ont fréquemment joué le rôle d’attirer l’attention des la communauté internationale sur des violations sérieuses des droits de l'homme. Par analogie avec ce que la Chambre d’Appel du TPIY a accepté dans l’Affaire Randal, elles pourraient avancer qu’elles ne seraient pas capables de continuer leur fonction de manière efficace si elles n’étaient pas capables de protéger leurs sources. Ceci dit, le privilège accordé devant la CPI est plus étendu que celui disponible devant le TPIY ou le TPIR. En effet, pendant la rédaction du Statut de Rome, certaines ONG ont insisté que le Règlement de procédure et de preuve ne limite pas le nombre de relations confidentielles dans lesquelles les communications sont couvertes par le secret professionnel et ne peuvent être divulguées. Elles voulaient que la CPI soit capable de développer sa propre jurisprudence en la matière et établisse elle-même si la protection d’une relation confidentielle devait l’emporter sur d’autres considérations.109 C’est essentiellement ce qui a été décidé dans la règle 73 du Règlement de procédure et de preuve. En plus du privilège avocat- client, il y est reconnu une catégorie de « autres communications faites dans le cadre d’une certaine catégorie de relations professionnelles ou d’autres relations confidentielles » comme étant privilégiée aussi, aussi longtemps que: a) Ces communications relèvent d’une certaine catégorie de relations professionnelles et s’inscrivent dans des rapports confidentiels dont on

109Amnesty International, “The ICC: Drafting effective Rules of Procedure and Evidence concerning the trial, appeal and review,” AI Index: IOR 40/009/1999, June 1, 1999

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pouvait raisonnablement déduire qu’elles demeureraient privées et ne seraient pas révélées; b) La confidentialité est un aspect essentiel de la nature et de la qualité des relations existant entre l’intéressé et la personne à laquelle il s’est confié; et c) La reconnaissance du secret de ces communications servirait les fins du Statut et du règlement. La règle 73.3 spécifie que la Cour accorde une attention particulière à ce que le secret professionnel soit étendu à certaines relations professionnelles, comme celles entre une personne et son psychiatre, son psychologue ou son conseiller, ou entre une personne et un membre du clergé. La règle 73.4 établit une présomption de secret professionnel et donc de protection contre la divulgation pour le CICR. Reste qu’il faudra voir comment la CPI interprétera ces dispositions. Il semblerait qu’elles soient assez souples pour que les ONG de défense des droits de l'homme puissent se baser sur la règle 73 afin d’invoquer une protection contre la divulgation ou le témoignage. Le test établi par le TPIY dans l’Affaire Randal indique le genre de balance qui peut s’appliquer dans des cas particuliers. Pour les ONG recherchant les faits dans le sillage de violations massives, il apparaît donc utile de commencer la réflexion dès maintenant quant aux circonstances dans lesquelles elles seront d’accord pour remettre des éléments de preuve ou pour témoigner devant la CPI, et quant à la question de savoir dans quelle mesure elles chercheront à avoir un accord avec le BP dans le sens de l’article 54.3 (3) du Statut de Rome. K. Le rôle de sensibilisation des ONG

Les ONG devraient entreprendre une sensibilisation directe et une formation pour les populations victimes afin de s’assurer que les victimes connaissent, comprennent et soient capables d’utiliser les procédures offertes par la Cour. Il est important qu’une sensibilisation directe des populations victimes soit entreprise par les officiers de la

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Cour. La répétition et le suivi sont aussi importants que les rencontres initiales. Afin d’assurer qu’une sensibilisation et formation directe atteint les victimes les plus vulnérables, le personnel de terrain et les partenaires locaux principaux devraient recevoir une formation sur les questions touchant au traumatisme, à la violence basée sur le genre, les enfants victimes et autres groupes vulnérables tels que les minorités, les personnes âgées et les personnes handicapées. La sécurité préventive (physique et psychosociale) des victimes et du personnel devrait être étendue à tous les personnels locaux et les partenaires principaux. Encore, il est suggéré que le recours à des ateliers avec les représentants des populations touchées ou les partenaires locaux principaux peut être un véhicule de l’évaluation de la sensibilisation directe et de la formation. De plus, un indicateur de la sensibilisation directe sur les droits des victimes pourrait comprendre les augmentations mesurées du nombre de demandes de participation de victimes dans une région donnée110. Les victimes devraient être informées des décisions qui les concernent. Des mesures doivent aussi être définies pour assurer que les victimes ont connaissance des décisions qui les concernent. De plus, les victimes doivent aussi être informées dans un langage qu’elles comprennent, à propos des procédures et stades des procédures dans lesquelles leurs demandes pourront être adressées. Si les victimes veulent être capables d’utiliser les procédures de la Cour, elles doivent être informées de façon générale de certaines décisions, et parfois de façon individuelles. Dans tous les cas, leur sécurité doit être assurée, par exemple, en communiquant au travers de leurs représentants légaux ou intermédiaires selon le cas. Afin de faciliter cela, les victimes - demandeurs devraient avoir une représentation légale.

110 www.vrwg.org

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Des instruments doivent être pensés pour mesurer dans quelle mesure les victimes reçoivent l’information à propos des décisions qui les concernent111.

111 www.vrwg.org

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LA JUSTICIABILITE DES DROITS DE L’HOMME DEVANT LE JUGE NATIONAL Par Maitre NYALUMA MULAGANO Arnold Les obligations relatives aux droits de l’homme seraient vides de sens si les ayants obligation ne devaient pas rendre des comptes aux ayants droit, voire à la société dans son ensemble. Cette obligation de rendre des comptes est mise en pratique au moyen de plusieurs institutions et processus.112 Dans une société démocratique, l’obligation de rendre compte au niveau politique est établie grâce à des élections libres et régulières et peut également s’accompagner d’une validation parlementaire de l’organe exécutif du gouvernement. Au niveau administratif, l’obligation de rendre compte englobe l’obligation qu’ont les agents de la fonction publique de rendre compte à leurs supérieurs et à ceux pour qui ils sont tenus de travailler c'est-à-dire les administrés , des mécanismes juridiques ; juridictionnels ou administratifs ( y compris politiques comme la pétition) y participent.

Au niveau judiciaire et quasi judiciaire, l’obligation de rendre compte est établie grâce aux lois et à leur application et, en dernier lieu, à la capacité d’un organe judiciaire ou quasi judiciaire libre et indépendant de faire appliquer la loi en garantissant l’exécution des décisions judiciaires, et ce, à l’appui tant de la séparation des pouvoirs, que de leur équilibre. La justiciabilité est donc 113 est une faculté qu’a un droit de l’homme, reconnu de manière générale et dans l’absolu, de pouvoir être invoqué devant un organe judiciaire ou quasi judiciaire habilité: en

112 www.fao.org Troisième session du en juillet 2004.groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un ensemble de directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale , Rome juillet 2004. 113 www.fao.org Troisième session du en juillet 2004.groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un ensemble de directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale , Rome juillet 2004.

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premier lieu, à déterminer, dans le cadre d’un cas concret dont il est saisi, si ce droit de l’homme a été enfreint ou non; et en second lieu, à décider des mesures appropriées à prendre en cas de violation. La notion de “justiciabilité”, est présentée comme une qualité intrinsèque des normes à appliquer, alors qu’il faut la concevoir plutôt comme la combinaison de cette norme avec le contexte dans lequel elle s’insère. C’est en effet toujours dans un contexte défini que l’on demande à l’instance juridictionnelle de trancher un litige en faisant application des règles qui lui sont données114 Il peut être reproché à l’Etat de n’avoir pas respecté le droit en cause, ou de ne l’avoir pas protégé vis-à-vis des comportements d’autres particuliers, ou encore de n’avoir pas pris des mesures propres à en assurer la réalisation : c’est toujours le manquement de l’Etat dont il s’agit, à qui telle situation doit donc être imputable, avant qu’il puisse être mis en cause.

1. Les violations justiciables Disons avec Remy Ngoy115 que « la justiciabilité est facilitée par le degré de précision des obligations incombant aux Etats que par la définition des droits subjectifs reconnus aux bénéficiaires ».Ainsi116 « la question à poser est de savoir si les obligations que le Pacte impose aux Etats, au départ de ces différents droits, sont suffisamment définies pour permettre au Comité non pas d’indiquer dans le détail quelles mesures doivent être prises, mais d’identifier dans le chef de l’Etat certains comportements qui constituent des violations suffisamment claires de ces obligations. Il est plus opportun à cet égard de s’interroger sur la justiciabilité des

114Olivier de Schutter ; Le protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, CRIDHO Working Paper 2005/03.Université catholique de Louvain .Faculté de droit. Centre de philosophie du droit. www.cpdr.ucl.ac.be/ cridho. 115 Remy Ngoy Lumbu, L’instauration du mécanisme de communication individuelle devant le comité des droits économiques, sociaux et culturels : une contribution à l’étude des voies et moyens additionnels pour une mise en œuvre efficiente du pacte relatif à ces droits, Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, Mai 2008.p.15 116 Olivier De Schutter, Le protocole…op.cit

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obligations que le Pacte impose aux Etats ». C’est à cet exercice que suggère Olivier de Schutter que nous allons nous atteler ici. 1. 1. Violation manifeste La doctrine 117 suggère de distinguer la violation de l’exécution insatisfaisante. L’exécution insatisfaisante peut s’apprécier au regard des critères proposés par Olivier de Schutter118 « à savoir la disponibilité, la qualité, l’accessibilité économique ou abordabilité, l’accessibilité physique,l’accessibilité de l’information ainsi que l’acceptabilité ». Pour Olivier de Frouville119 « la violation d’un droit est manifeste lorsqu’elle peut être intuitivement déterminée. Mais une violation manifeste peut également être constatée lorsque l’obligation est suffisamment précise et l’action ou l’omission envisagée manifestement contraire à cette obligation ».Bien que la doctrine tant à distinguer les deux, nous considérons le manquement au minimum de chaque droit comme une forme de violation manifeste. La réalisation progressive ne peut se confondre avec l’inertie, l’Etat doit donc entreprendre un départ pour les obligations auxquelles il a souscrit. Les juridictions sont bien aptes à censurer la violation de ces obligations. 1. 2. L’adoption des mesures régressives L’adoption des mesures régressives est parfaitement justiciable120.A plusieurs reprises il est apparu que le fait pour l’Etat de prendre des mesures qui reviennent sur les avancées constituent une

117Georgio Malinverni, Le projet de protocole additionnel relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; Florence Benoît –Rohmer et Constance Grewe (dir.), Constance Grewe et Florence Benoit-Rohmer (dir.) Les droits sociaux ou la démolition de quelques poncifs, Presses Universitaires de Strasbourg ,2003 p.101.p.113 118 Olivier de Schutter, Protocole …op.cit. 119 Olivier Frouville, L’intangibilité des droits de l’homme en droit international. Régime conventionnel des droits de l’homme et droit des traités, éd. A.Pedone, Paris, 2004 p.241 120 Giorgio Malinverni , op.cit.p.111

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violation que peut (que doit) corriger le juge. Pour le comité121 « tout laisse supposer que le pacte n’autorise aucune mesure régressive s’agissant des droits qui y sont énumérés. Ainsi, à l’examen du rapport de Maurice le comité s’est dit préoccupé par la réintroduction de frais d’étude au niveau tertiaire, ce qui constitue un pas en arrière délibéré. » L’application par le juge du principe de standstill permet ainsi de sanctionner toute régression. Certes, le standstill vise le clichage de la situation existante, mais il exclu par là même toute mesure régressive. Sa justiciabilité n’étant plus remise en cause aujourd’hui 122il y a un champ ouvert au juge pour la justiciabilité des droits sociaux. 1. 3. La discrimination dans la mise en œuvre des d roits Un tribunal est parfaitement à même de vérifier si le principe de non discrimination dans l’exercice de ces droits est respecté. 123 Il veillera aussi bien à la discrimination active qu’à la discrimination passive124 en sanctionnant tout traitement différencié - sans justification admissible- de deux catégories de personnes se trouvant dans une situation comparable ou tout traitement identique des deux personnes se trouvant dans des situations non comparables.

2. Les mesures possibles (modalités des sanctions)

2. 1. Constat de la violation avec liberté laissée aux Etats

Pour Olivier de Schutter125 « il ne s’agira pas pour le Comité d’indiquer, positivement, ce que doit faire l’Etat pour s’acquitter des obligations que le Pacte lui impose ; il s’agira pour lui de constater que l’attitude qu’il a adoptée est ou n’est pas conforme à ces obligations. L’Etat conservera toujours le choix des moyens par lesquels s’acquitter des obligations que le Pacte lui impose. S’il résulte d’un constat de violation que telle voie lui

121 Claudia Sciotti-Lam, L’applicabilité des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2004. pp.239-240 122Lire Sébastien Van Drooghenbroeck, La sécurité sociale est elle un droit de l’homme ? La logique du « tiers » au service de l’effectivité de l’article 23, al.2è,de la constitution et Isabelle Hachez,Note sous C. A.,n° 137/2006,14septembre 2006.Lorsque Cour d’Arbitrage et standistill se rencontrent… 123 Giorgio Malinverni, op.cit.pp.103-104 124 Sébastien Van Drooghenbroeck, Cours …op. cit. 125 Olivier de Schutter, Protole…op.cit .

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est fermée, il peut explorer d’autres voies dans les limites qu’impose le respect du Pacte ». Cette approche que partage une doctrine permet à l’Etat de d’user des moyens les plus appropriés à cet effet. Dans l’ordre interne elle permet notamment de garantir la séparation entre la fonction de juger et la fonction de celle de gouverner ou de légiférer.

2. 2. Annulation des mesures contraires (violatrice s)

Nous avons admis que les droits de l’homme s’intègrent dans l’ordre juridique interne de chaque Etat et ce faisant toute violation constitue une illégalité que doit redresser le juge. Pour beaucoup des pays indépendants après le 10 Décembre 1948 les traités intègrent le bloc de la constitutionnalité et occupent le sommet de la hiérarchie des normes que le juge est habilité à appliquer. Il en découle que des actions du pouvoir en marge des traités garantissant le droit à l’instruction peuvent être annulés par le juge- selon le cas – pour inconstitutionnalité ou pour illégalité. Dans bien de cas cette annulation sera suffisante pour mettre fin à la violation et ses conséquences.

2.3. La question des mesures positives ; injonctions à l ’Etat

Les mesures positives ne sont étrangères au contentieux des droits sociaux. Il suffit de se reporter aux mesures positives que la Cour européenne a tiré des articles 6 et 8 pour réaliser qu’il est possible de condamner l’Etat à prester, à fournir. En ce qui concerne le droit à l’instruction, les arrêts linguistiques Belge et surtout Chypre c. Turquie accréditent cette thèse.

A ce sujet les organes de la Convention américaine des droits de l’homme126 font montre d’une grande originalité. L’application de la Charte par les juridictions internes se prête effectivement à cette technique et le contentieux de pleine juridiction notamment offre au juge administratif cette possibilité, de même le juge judiciaire gardien des libertés fondamentales ne peut s’empêcher d’indiquer les mesures réparatrices requises. Finalement quel juge, quelle autorité est habilitée à constater la violation et à infliger les mesures conséquentes ?

126 Julie Ringelheim,Cours de systèmes de protection des droits de l’homme,Master Complémentaire en Droits de l’homme,FUSL-UCL-FUNDP,2007-2008,inédit

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4. Les autorités compétentes en droit interne

Ce point n’est pas commandé simplement par une finalité pédagogique, il s’impose aussi au regard de la conception dominante en Afrique et pourtant erronée selon laquelle les droits de l’homme relève des engagements internationaux et sont donc étrangers aux questions, aux affaires internes des Etats. Cela sans égard au fait que les droits de l’homme traduisent l’engagement de l’Etat vis – vis de ses propres nationaux (contrat social) et que le contrôle international n’est que subsidiaire, il n’intervient que lorsque le contrôle interne a été exercé sans succès ; ce qui présuppose qu’il existe. Il est donc nécessaire que les organes internes, notamment juridictionnels sachent qu’ils sont les premiers répondants des engagements constitutionnels et conventionnels de l’Etat.

4.1. Le contrôle de constitutionnalité : le rôle du juge constitutionnel

Claudia Sciotti-Lam127« constate que dans les jeunes démocraties le droit interne ne distingue pas entre les différentes sources du droit international des droits de l’homme et que celles-ci s’imposent en droit interne, quelle que soit leur origine, interne ou internationale, ou leur nature, obligatoire ou déclaratoire. Ce constat est fondé notamment sur la place de la déclaration universelle des droits de l’homme dans les constitutions.» Aux dires de Maurice Kamto 128 « en raison de la constitutionnalisation des droits, leur garantie juridictionnelle […] se fait, d’une part, par le biais du contrôle de la constitutionnalité des lois et d’autre part, par le biais du contentieux des droits et libertés. » La tâche du justiciable est d’autant plus aisée que « dans un contentieux de légalité, point n’est besoin que l’individu puisse tirer des droits subjectifs de l’instrument international qu’il invoque, et qui, dans l’ordre juridique international, est entré en vigueur à l’endroit de l’Etat contre lequel il est

127 Claudia Sciotti-Lam, op.cit. p.253 128 Maurice Kamto, Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de l’homme,constitutions nationales :articulations respectives ;Jean-François Flauss et Elisabeth Lambert-Abdelgawad (dir.),L’application nationale de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples,Bruylant, Bruxelles ,2004 pp 37-38

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invoqué. Il suffit que le requérant se voie reconnaître un intérêt à provoquer un contrôle de la légalité de la réglementation qui l’affecte. »129 Il est vrai que le contrôle de la constitutionalité ne porte pas sur la conventionalité mais dès l’instant où une convention acquiert une valeur constitutionnelle, le juge constitutionnel devra vérifier si les actes et règles inférieures s’y conforment surtout qu’elle a valeur supra législative dans le cas de beaucoup de pays africains. Par « 130 ce contrôle ; la juridiction constitutionnelle est un véritable modèle de sanction des violations des droits de l’homme ».La jurisprudence de plusieurs hautes cours conforte cette position.

En Afrique du Sud131 la Cour Constitutionnelle a affirmé « l’Etat est tenu de créer les conditions qui permettent aux individus de toute condition d’avoir accès à un logement décent ».En outre, dans l’affaire Minister of Public Works and Others v Kyalami Ridge and Others132 elle a déclaré

que sans l’accès à l’éducation, à une nourriture suffisante, à la santé, à la sécurité sociale et à l’habitat, les pauvres ne peuvent pas participer à égalité à la vie sociale du pays.

En Egypte133la haute cour constitutionnelle a fait application de l’article 17 de la CADHP.

La décision n° 40/16(53) mettait en cause l’article 3de la loi n°99 de 1992 relative à la protection sociale des étudiants,et qui imposait un montant annuel de cotisation plus important pour les établissements privés. Un père de trois enfants scolarisés en écoles privées saisit le Tribunal de première instance de Tanta pour demander le remboursement de ses

129 Olivier De Schutter et Sébastien van Drooghenbroeck, Droit international des droits de l’homme devant le juge national Bruxelles, Larcier, 1999, pp.321-322 130 Guillaume Drago, L’effectivité des sanctions de la violation des droits fondamentaux dans le pays de la communauté francophone, in AUPELF-UREF, L’effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone,Actes du colloque international du 29 septembre au 1er octobre 1993, Port Louis,p.537 131 Giorgio Malinverni, op.cit ; p.99 132 Maurice Kamto, op. cit, p.39 133 Elisabeth Lambert-Abdelgawad, L’application de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples en afrique du nord, Jean-François Flaus et Lambert –Abdelqawad, op. cit. p116

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cotisations et invoque l’inconstitutionnalité de l’article ; le tribunal saisit ainsi la Haute Cour Constitutionnelle d’une exception d’inconstitutionnalité. La cour examine la compatibilité de son avec les articles 40,18 et 7 de la constitution et insiste plus spécialement sur le droit à l’éducation, qui impose des actions positives à l’Etat qui doit garantir le droit à la scolarisation dans les établissements non publics sans discrimination. La cour énonce ensuite que ces principes ont été reconnus dans la déclaration universelle des droits de l’homme (art 26), dans le pacte international des droits économiques sociaux et culturels (art13), et par l’article 17 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. La cour conclut en conséquence à l’inconstitutionnalité de l’article.

La Haute Cour Constitutionnelle malgache134 a décidé qu’ « un arrêt d’un tribunal entrait en violation de la charte internationale des droits de l’homme et de la CADHP qui font partie de l’ordre juridique interne à Madagascar tel qu’énoncé dans le préambule de la constitution. »

Au Bénin 135M .Moise Bossou a soumis à la censure du juge constitutionnel l’arrêté n°260/MISAT/DC/DAI/SAAP du 22 novembre1993 portant conditions et modalités d’enregistrement des associations […]. La cour a estimé que le ministre de l’intérieur a empiété sur le domaine réservé à la loi par les articles 25 et 98 de la constitution ainsi que l’article 10 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

En Italie136« la Cour Constitutionnelle affirme le caractère obligatoire des normes programmatiques et, par conséquent l’inconstitutionnalité des lois incompatibles avec celles-ci

(donc capables d’empêcher la réalisation des objectifs établis par le constituant). »

134 Claudia Sciotti-Lam, op.cit .p.277 135 Grégoire Alaye, Le juge administratif béninois et la liberté, Etienne Picard, op.cit ; p187 136 Alessandro Pizzorusso, Les générations de droits in Florence Benoit-Rohmer et Constance Grewe (dir.) Les droits sociaux ou la démolition de quelques poncifs, Presses Universitaires de Strasbourg, 2003, p.26

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En Belgique137 «au rang des normes dont la Cour d’arbitrage (aujourd’hui cour constitutionnelle) est amené à s’assurer du respect des normes de la convention au titre de droit à l’enseignement reconnu à l’article 24 de la constitution, lequel, à côté du principe d’égalité, forme un autre titre de compétence autonome de la Cour. Le paragraphe 3 de cet article énonce que « chacun a droit à l’enseignement dans le respect des libertés et des droits fondamentaux ».La Cour a déclaré que ces libertés et droits fondamentaux dont le respect s’impose au législateur dans la législation relative à l’enseignement résultent non seulement des autres dispositions du titre 2 de la constitution mais également des traités internationaux portant sur cet objet qui sont obligatoires pour la Belgique. La cour peut ainsi vérifier si la législation incriminée ne viole pas l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention relatif au droit à l’instruction». La Cour Suprême du Canada138 « statuait le 15 mars 1990, dans l’affaire Mahé c. Alberta que la province de l’Alberta avait l’obligation de mettre en place les structures d’enseignement public que la Charte constitutionnelle des droits garantit à la minorité francophone».

A la lecture de cette jurisprudence, l’intégration des traités dans le bloc de la constitutionalité est fonction non pas du caractère contraignant de ceux-ci dans l’ordre international mais de la volonté du constituant, législateur national. Dès lors le législateur peut accorder au texte une justiciabilité à laquelle ne pouvaient aspirer ses auteurs, ce qui s’accommode avec le principe de subsidiarité du contrôle international dans le respect des droits de l’homme.

4. 2.Le rôle du juge administratif

Grégoire Alay139note que «les justiciables, forts des décisions favorables du juge constitutionnel, peuvent saisir le juge administratif pour solliciter de sa part ,qu’il en tire les conséquences en condamnant l’Etat ou les

137Rusen Ergec, La cour d’arbitrage et le juge international et européen. La censure du législateur :le justiciable entre la Cour d’arbitrage ,la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg ; Francis Delpérée,Anne Rasson –Roland et Marc Verdussen (dir.) Regards croisés sur la cour d’arbitrage ,Bruylant,Bruxelles,1995,pp.208 et s 138 Ghislain Otis, Le pouvoir d’injonction du juge comme condition de l’efficacité des droits fondamentaux ; AUPELF-UREF, op.cit ; p.574 139Gregoire Alaye,op.cit .p.191

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pouvoirs publics aux réparations des préjudices causés aux citoyens , assorties au besoin de dommages et intérêts. » On rappellera que le plus souvent le juge constitutionnel est saisi par voie d’exception à l’occasion d’un litige particulier, l’arrêt ainsi rendu vient répondre à une question préjudicielle afin de permettre au juge administratif de se prononcer. A cette occasion le juge administratif donnera effet à un droit issu d’un traité et intégré dans le bloc de constitutionnalité. En dehors de cette hypothèse, le contrôle de la légalité, mission traditionnelle du juge administratif n’exclut pas le contentieux des droits sociaux. Christoph Gusy140 a vu que « les droits – créances sont concrétisés par des lois formelles dont la justiciabilité n’est pas discutée. Ainsi la compétence des tribunaux administratifs n’est pas généralement exclue si un droit – créance est en jeu ou si ce droit est méconnu dans un cas concret ».Dans ce cas «141 la réparation des manquements de l’Etat au respect des devoirs d’abstention […] ou aux devoirs de prestations […] est l’annulation sur recours des actes irréguliers de l’Etat. Normalement, en effet, l’annulation est suivi d’exécution sous la forme d’un nouvel acte, cette fois conforme au droit ou, le cas échéant, d’une abstention conforme au droit ».

Une question reste ouverte, le contrôle de la légalité peut-il être étendu au contrôle de la conventionalité ?

La réponse nous vient d’un juge tunisien 142 « le tribunal administratif tunisien s’est prévalu de la constitution pour définir la théorie des circonstances exceptionnelles qui a pour effet d’étendre les pouvoirs de l’Administration en supprimant le caractère illégal des actes administratifs ou en l’atténuant. […].Le tribunal administratif tunisien consacre ainsi la supériorité de la loi constitutionnelle sur la loi ordinaire et à fortiori, les règlements, sans qu’il procède, il est vrai, à un contrôle de

140 Cristoph Gusy, Les droits sociaux sont-ils nécessairement injustifiables ; Florence Benoît –Rohmer et Constance Grewe (dir.), op.cit ; p.39 141 Blaise Knapp, La sanction pécuniaire d’une atteinte aux droits fondamentaux ; AUPELF-UREF, op.cit ; p.647-648 142 Ridha Ben Youssef, L’apport du juge administratif dans la consolidation des droits fondamentaux : l’exemple tunisien ; Etienne Picard(dir.), le juge de l’administration et les droits fondamentaux dans l’espace francophone, Bruylant, Bruxelles, 1999, p.171

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constitutionnalité .Il admet, par voie d’interprétation, ou plutôt d’appréciation, une solution faisant prévaloir la loi constitutionnelle sur la légalité inférieure».

4. 3.Le rôle du juge judiciaire

Comme on le sait le contentieux constitutionnel de même que le gros du contentieux administratif sont des contentieux objectifs ; il peut arriver que le requérant se satisfasse de l’annulation d’une mesure ou de l’invalidation d’une norme. Mais plus souvent il aura encore besoin du juge judiciaire pour obtenir réparation, l’arrêt de la Cour servant alors d’appui.

Là 143 « les juridictions internes peuvent invoquer la Charte africaine à deux titres soit comme fondement légal applicable, ouvrant ainsi un recours soit servir de guide en matière d’interprétation. » En R.D.C. l’article 153 de la constitution confère aux juridictions de l’ordre judiciaire la compétence d’appliquer les traités internationaux dûment ratifiés qui plus est sont placés au sommet de la hiérarchie normative. Au Nigeria144 une cour d’appel a décidé, en s’appuyant explicitement sur la CADHP, que les droits contenus dans cette Charte été incorporés dans le droit Nigérian ; tout Nigérian pouvait s’appuyer sur l’article 24 de la charte consacrant le droit à l’environnement pour exiger le respect dudit droit à son profit plutôt que de se fonder sur l’article 20 de la constitution qui n’était pas pertinent en l’espèce.

Cette première optique peut parfois soulever des difficultés dans la mesure où certaines dispositions constitutionnelles ont besoin pour leur application des mesures législatives ou réglementaires qui seules sont sous le contrôle du juge judiciaire alors que le contrôle de la constitutionalité relève plutôt du juge constitutionnel. Dans ce cas la deuxième optique s’applique. Gardien des libertés fondamentales le juge judiciaire sans se livrer au contrôle de la Constitutionalité se doit d’appliquer, en tout cas de sanctionner les atteintes aux droits et libertés

143 Franz Viljoen, L’application de la charte africaine des droits de l’homme et de peuples par les autorités nationales en Afrique australe et orientale, Jean -François FLAUSS et Elisabeth Lambert-Abdelgawad (dir.) op. cit.p76 144Sciotti-Lam op.cit ; p.40

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garanties par la Constitution. Dans sa mission, il se laissera guidé par l’interprétation que suggère la Constitution ainsi que les traités (qui font partie du bloc de constitutionalité) Ainsi en Italie145 « le juge ordinaire peut déduire de l’arrêt de la cour dans le cadre habituel de l’interprétation, la règle à suivre dans le cas d’espèce, en application directe de la Constitution.

4. 4. La question des ressources, intervention du t iers et responsabilité de l’Etat

La question ici est de savoir quel rôle peut jouer le juge lorsque l’Etat invoque l’insuffisance ou le manque des ressources pour s’acquitter de ses obligations. Au nom de la séparation des pouvoirs le juge parait mal indiqué pour inscrire au budget de l’Etat ou d’une entité une ligne en faveur de l’instruction ; comme l’a dit un juge américain(cfr supra) garantir le mieux être n’est pas du ressort des tribunaux. Le juge peut néanmoins s’assurer que dans l’exercice de sa souveraineté budgétaire le parlement ne viole pas les obligations de l’Etat en matière des droits de l’homme. En R.D.C. deux requêtes ont été introduites devant le juge constitutionnel contre le budget 2008 pour violation des prérogatives des provinces146, il serait envisageable d’introduire une requête analogue pour violation des obligations de l’Etat en ce qui concerne n’importe quel droit. Si cette voie qui parait plus politique que juridique, nous restons dans l’hypothèse d’un requérant individuel qui sollicite une réparation à la suite de l’inexécution des obligations de l’Etat en matière d’instruction. Ici Olivier de Frouville147constate que « pour déterminer si un Etat s’acquitte de ses obligations fondamentales minimum, il faut tenir compte des contraintes qui pèsent sur le pays considéré en matières de ressources. L’Etat peut donc s’affranchir au cas où il prouve avoir utilisé le maximum des ressources disponibles. Certains engagements sont même conçus pour l’hypothèse de précarité, d’absence des ressources. Tel est le cas de l’art.14 relatif à l’enseignement primaire obligatoire et gratuit. Le

145 Alessandro Pizzorusso, op.cit ; p.27 146 http : www.radiookapi .org 147 Olivier de Frouville , op.cit., p.244

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comité en a déduit qu’un Etat partie ne peut s’affranchir de l’obligation explicite d’adopter un plan d’action au motif qu’il ne dispose pas des ressources. Si cet argument suffisait à, rien ne justifierait l’exigence singulière contenue dans l’article 14 qui s’applique, pratiquement par définition, dans les cas où les ressources financières sont insuffisantes. »L’Etat ne peut donc invoquer l’argument des ressources sans justifier avoir utiliser toutes celles disponibles, mais pour le droit sous examen aucune justification n’est possible. En outre, la question des ressources n’empêche pas à l’Etat de s’abstenir de violer les droits de l’homme et en tout cas si l’Etat n’est plus capable de protéger ses citoyens les uns contre les autres et qu’il ne peut obtenir à cette fin le concours des autres nations, il est condamné à disparaître et la communauté internationale devrait prendre la relève, y compris assumer les responsabilités.

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MODULE 3 : DÉFENSEURS DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE

Ce troisième module qui est consacré aux défenseurs des droits de l’homme est fait du rôle des ONG devant les institutions internationales de défense des droits de l’homme, du monitoring des violations des droits de l’homme en Afrique, des techniques de lobbying et des règles essentielles pour la sécurité d’un militant des droits de l’homme en Afrique.

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RÔLE DES ONG DEVANT LES INSTITUTIONS INTERNATIONALES DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME Par M. Félix AHOUANSOU Le rôle des ONG et partant des défenseurs des droits de l’homme africains devant les institutions internationales de défense des droits de l’homme peut se résumer à trois niveaux essentiels d’actions : devant la Commission africaine des droits de l’home et des peuples, devant la Cour africaine des droits de l’home et des peuples, et devant les mécanismes universels des droits de l’homme. I- Devant la Commission africaine des droits de l’h omme et des peuples Le travail des ONG et des défenseurs des droits de l’homme devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples peut se résumer en ces points-ci : - Elaboration de rapports alternatifs - Introduction de communications individuelles - Lobbying et plaidoyer sur base de recommandations - Assistance et accompagnement des victimes - Dialogue et coopération avec les rapporteurs spéciaux - Collaboration avec les missions d’enquête sur le terrain - Participation au forum des ONG II- Devant la cour Africaine des droits de l’homme et des peuples A l’étape actuelle, le rôle des ONG et des défenseurs des droits de l’homme africains doit se concentrer sur le lobbying pour la ratification du protocole de Ouagadougou par tous les Etats africains.

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Ensuite, ces acteurs (les ONG et les Défenseurs des droits de l’homme africains) doivent travailler à l’acceptation par les Etats - parties de la compétence de la Cour à connaître des communications individuelles. Enfin, les ONG et défenseurs des droits de l’homme peuvent introduire ou aider les victimes à introduire des communications individuelles devant la Cour. III- Rôle des ONG devant les mécanismes onusiens de s droits de l’homme Les ONG et défenseurs des droits de l’homme africains ont pour tâches essentielles devant les instances onusiennes de protection des droits de l’homme les actions ci –après : - Production de rapports alternatifs - Saisine des rapporteurs spéciaux - Introduction de communications individuelles - Transmission des rapports annuels - Participation à l’examen périodique universel (EPU)

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MONITORING DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE Présentation de M. Audace NIKOYAGIZE PLAN

1. Introduction 2. Réception d’une information 3. Descente sur le terrain 4. Collecte de l’information 5. Analyse et traitement de l’information 6. Rédaction d’un rapport d’enquête 7. Suivi des violations

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Introduction Monitoring – surveillance & documentation-observation des violations des DH Importance : une de nos principales activités Beaucoup de violations dans nos pays africains, malgré la ratification de plusieurs traités qui les obligent à protéger les DH (violations, auteurs , victimes) Principes de base (exactitude/précision, la confidentialité, l’impartialité, l’approche sexo-spécifique) Connaissance d’une information Les médias Un contact Une victime Une autre organisation Cfr « sources d’information » Collecte de l’information Rassembler les informations en vue d’expliquer preuves à l’appui une allégation, et trouver ce qui s’est exactement passé (Qui a fait Quoi à Qui, Quand, Où, et Comment) Etablissement des contacts Descente sur le terrain Les sources de l’information L’organisation de l’entretien Préparation d’une descente sur le terrain Préparation d’un guide d’entretien (sources) Formation d’une équipe d’enquêteurs Évaluer les risques en matière de sécurité Informations sur le contexte politique, socio-économique de l’endroit à visiter

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Dispositions des lois nationales et internat. Penser aux éventuelles preuves matérielles Sécurisation de l’information collectée Organisation d’un entretien Fiche ou formulaire d’entretien Éviter des attroupements Chercher un cadre qui permette de mettre à l’aise la personne interrogée et d’assurer sa sécurité et celle de l’observateur Éviter des signes distinctifs d’une autre organisation qui n’est pas celle que vous représentez Présentations (observateur, organisation) Présenter votre mandat en cas de nécessité L’entretien (suite) Dire pourquoi vous êtes là et préciser ce que vous allez faire des informations que vous rechercher, tout en évitant de faire des promesses que vous ne pourrez pas honorer ; Commencer par une conversation générale pour mettre à l’aise votre interlocuteur Commencer par une question simple et ouverte telle que « Qu’est ce qui s’est passé » L’entretien (suite) Éviter de l’interrompre, tout en demandant des précisions Récapituler pour voir si vous avez bien noté ce qu’il vous a dit à la fin de l’entretien, Demander s’il n’a rien à ajouter Demander ses sources (noter les nom et prénom et coordonnées) Éviter des questions tendancieuses Photos Analyse et traitement de l’information Exploiter les informations en les recoupant L’acte constitue-elle une violation?

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Tous les éléments sont-ils rassemblés pour confirmer une atteinte aux droits de l’homme? Les informations recueillies sont-elles exactes ou il y a des contradictions: rassembler les informations concordantes et celles qui sont contradictoires Traitement de l’information (suite) Comparer les infos recueillies de la manière la plus précise possible Éviter de porter des jugements, mais laisser parler les faits eux-mêmes Analyser les récurrences et principales tendances, qui permettront de rédiger un rapport crédible Rédaction d’un rapport d’enquête Plusieurs types de rapports Trois parties importantes : la violation, la ou les victimes, les présumés auteurs Être clair et précis Utiliser un langage courtois (éviter un langage trivial et des mots choquants) et non émotif Éviter des propos tendancieux Rédaction d’un rapport d’enquête (suite) Souligner les constantes identifiées Identité des victimes Identité des auteurs présumés Le lieu de l’évènement Les méthodes utilisées par les présumés auteurs Les circonstances de l’évènement Les interventions Une conclusion Des recommandations

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Faire le suivi des violations Porter à la connaissance des responsables intéressés les cas de violations rapportés, tout en leur demandant de faire diligence des cas qui leurs sont soumis Porter assistance aux victimes, etc. Publication et présentation publique des rapports, rapports alternatifs, lobbying, etc. Principes de base Exactitude et précision Important pour rendre le rapport crédible Diversification & fiabilité des sources Importance des preuves matérielles Situer avec précision l’acte dans le temps et l’espace Facteurs qui peuvent rendre les conclusions du rapport inexactes : enquête tardive, partis pris de l’observateur (code d’éthique des militants des droits de l’homme)ou de ses sources, impossibilité de vérifier l’information Principes de base (suite) La confidentialité Sorte de contrat entre l’observateur et ses contacts et sources Importance : protection des contacts, victimes, témoins et autres sources d’info., moyen de bâtir une relation de confiance avec les contacts, afin d’avoir régulièrement une information en provenance de divers milieux Moyen de garantir la confidentialité: autorisation de mentionner un nom (initiales) ou une information délicate, de prendre une photo, etc.

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Principes de base (suite) Impartialité Eviter toute discrimination et traiter toutes les victimes de la même manière, rechercher toujours la vérité quels que soient les affiliations politiques, la nationalité, la religion, le sexe, le groupe ethnique, de la victime ou de l’auteur présumé d’une violation Ne pas parler seulement des violations par des agents de l’Etat, mais aussi parler des actions positives lorsqu’il y en a Parler aussi des abus des droits de l’homme par des groupes armés s’il y en a Eviter de porter des accusations et des jugements, mais exposer seulement les faits sans état d’âme Principes de base (suite) Approche sexo-spécifique Les droits des femmes et les différentes exactions dont elles ont été victimes ont été longtemps négligés et certaines lois et pratiques discriminatoires à leur égard persistent : une attention particulière doit être accordée aux exactions dont les femmes et filles sont victimes Créer un réseau de contacts sensibles aux problèmes vécus par les femmes, notamment avec des organisations qui défendent les droits de la femme Inclure une femme dans chaque équipe d’enquêteurs, en particulier dans une enquête sur les violences sexuelles Essayer de recueillir des témoignages des femmes lors des enquêtes Eviter un langage de connotation sexiste

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TECHNIQUES DE LOBBYING Par M. Félix AHAOUANSOU NOTION DE LOBBYING : Définition, but, objectifs et personnes impliquées Définition Lobbying signifie pression et vient du mot lobby qui désigne groupe de pression. Le lobbying est l’expression identifiée des enjeux de décisions législatives ou réglementaires qui seront démocratiquement adoptées. Cela passe par une information des pouvoirs publics, mais aussi, plus largement, par l’information des médias, associations, experts, acteurs économiques, etc. qui participent au débat public. C’est un terme de sciences politique très usité aux USA. Il est né de la science politique américaine. En Angleterre lobby signifie un vestibule où le public rencontre des députés. « Lobby » n’est-il pas synonyme de « groupe de pression » ? « Groupe d’intérêt » serait un synonyme plus approprié, car le lobbying a pour vocation d’expliquer, d’argumenter, de convaincre en transmettant la bonne information au bon interlocuteur, au bon moment. La pression, l’affrontement interviennent justement quand la concertation, le débat et la négociation ont échoué ou ont été négligés. In fine, la décision appartient bien au politique, dépositaire de l’intérêt général, qui arbitre entre les différents intérêts en présence. But Le lobbying a essentiellement pour but d’influencer le processus de prise de décision. Il est question de faire donner à cette décision le sens que l’on souhaite en vue de parvenir à un résultat. Le lobbying

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dans notre contexte vise à promouvoir et à protéger les droits de l’homme. Objectif Le lobbying a pour objectif de défendre les droits et intérêts des entreprises, des associations, des individus ou des collectivités auprès d'organismes susceptibles de prendre des décisions les affectant. C’est un moyen essentiel du processus de décision démocratique, fondé sur le débat contradictoire puis l’arbitrage des décideurs publics. Il vise à faire comprendre à ces cibles (gouvernement, les organisations inter gouvernementales) essentielles que la protection et la promotion des droits humains constituent une composante primordiale des relations internationales. Il faut parvenir à faire de ces cibles les instruments d’affermissements planétaires des droits humains à travers les discussions et persuasion. Personnes impliquées Personnes ayant recours au lobbying ? Acteurs publics ou privés, grandes ou petites entreprises, associations professionnelles ou ONG, collectivités, institutions, tous les acteurs dont l’activité ou l’image peut être affectée par des décisions ou des débats publics ont recours au lobbying. La cible Les autorités gouvernementales de leurs pays et gouvernements seconds à travers les représentations diplomatiques accréditées dans leurs pays. Les ministres et les personnalités susceptibles d’être utiles, les parlementaires dont le concours est précieux

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Partenaires ONG qui partage un même point de vue Les médias FONCTIONNEMENT DU LOBBYING On peut distinguer schématiquement trois types d’ac tions : La première s’appelle monitoring ou mapping. Il s’agit de recenser les opinions et les idées des politiques, des media, des associations, des universitaires, afin de déterminer l’agenda politique à venir, et de définir les arguments qui permettront aux intérêts représentés d’être entendus. Le premier moyen du lobbying étant la diffusion ciblée d’une information rigoureuse, reflet de l’état des connaissances disponibles ainsi recueillies. Les outils mobilisés par le lobbying sont essentiellement ceux de la communication, adaptés aux besoins des personnes à informer : notes de synthèse pour les politiques, notes techniques pour les conseillers ou les fonctionnaires, dossiers et communiqués de presse, mais aussi rencontres, tables rondes, voyages d’information, sondages et études d’opinion… La deuxième phase est le travail argumentaire. Il s’agit de synthétiser, de formuler les préoccupations. Cette synthèse doit répondre aux exigences des élus, en termes de calendrier, de forme, et d’argumentation. C’est bien l’élu qui, in fine, décide et pour cela un dialogue avec les élus et leurs collaborateurs, est utile et appréciée. On peut donc procéder par des : - Envoi de lettres - Contacts téléphonique - Rencontres * Préparation des rencontres audiences * Conduite à tenir lors des rencontres audiences Action verticale : audience avec les autorités

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Action horizontale : contact avec les cadres de follow-up Le troisième élément du travail concerne la gestion de l’image. On peut avoir techniquement raison mais médiatiquement tort. Il faut travailler les dossiers et les arguments pour que la décision soit acceptable pour l’environnement. C’est une dimension nouvelle mais de première importance dans une « démocratie d’opinion » ceci implique des Activités subsidiaires complétant le lobbying - Contact avec les médias : - Conférence de presse - Interview - Bref communiqué LES GENRES OU FORMES DE LOBBYING Il peut s’agir de : a) faire pression sur le gouvernement pour la ratification des traités b) faire pression sur le gouvernement pour inciter à agir au niveau du parlement sur une préoccupation donnée : abolition de la peine de mort par exemple. c) faire Pression pour faire aboutir une préoccupation quand Le gouvernement est membre d’une organisation intergouvernemental. d) faire pression sur le gouvernement si le pays est membre du conseil de sécurité. e) Profiter des relations bilatérales de son pays avec un pays (A) pour mettre un terme aux violations des droits humains de ce pays. f) Profiter des relations que les pays B, C, D ont avec un pays A pour faire cesser les violations des droits humains dans ce pays. g) faire une évaluation C’est une phase importante : forces, faiblesses, leçons à retenir pour l’avenir.

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LES QUALITES D’UN BON LOBBYISTE Pour le lobbyiste la matière première est souvent juridique, mais il s’agit d’argumenter et de convaincre ; aussi la communication est-elle essentielle. Le lobbying fait toujours appel à des techniques et à des outils de communication, adaptés aux objectifs et aux personnes visés selon les cas. Le lobbying met en jeu l’image de l’organisation. Le responsable de ce domaine doit être identifié avec soin.

- D’abord il doit avoir une connaissance profonde du sujet, de la situation.

- Il faut qu’il soit en mesure consacrer beaucoup de temps à ce travail.

- Il doit être beaucoup pétri de la notion de confidentialité dans certains cas de la gestion de l’information.

- Qu’il connaisse les aspects essentiels de la politique extérieure du gouvernement de son pays.

- Qu’il soit capable de comprendre rapidement les arguments dans leur complexité et d’exposer publiquement avec clarté les positions de son organisation.

- Enfin comme le lobbying s’apparente souvent de la diplomatie à huis clos << a behind closed doors diplomacy >>, il doit être capable de connaitre les voies et moyens de retenir l’attention des autorités.

Le lobbying s’appuie sur différentes disciplines : droit, économie, communication. Il suppose aussi une bonne connaissance des institutions et plus généralement des mécanismes à l’œuvre dans la décision publique.

Dans une action de lobbying, plusieurs éléments méritent d’être mis en évidence :

- la légitimité de la demande d’abord : que représente le demandeur, quels sont les arguments qu’il avance ?

- son articulation avec l’intérêt général et sa cohérence avec les objectifs du législateur ;

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- la capacité à intervenir le plus en amont possible de la décision et auprès des bons interlocuteurs ;

- la capacité à faire entendre ses arguments selon un calendrier cohérent avec celui de la décision.

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REGLES ESSENTIELLES POUR LA SECURITE D’UN MILITANT DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE, Par M. Félix AHOUANSOU Le travail de défenseurs des droits de l’homme est un travail à la fois compliqué et simple. Il est compliqué en ce sens qu’il suppose de la connaissance mais des méthodes bien étudiées et appropriées. Il est simple lorsque les méthodes utilisées sont les plus subtiles et les plus pacifiques possibles. Il y a deux règles essentielles à respecter dans la défense des droits de l’homme en Afrique afin de faire ce travail et de s’épargner les persécutions de la part des gouvernements. Il s’agit de la synergie d’actions et du dialogue. I. Règle 1 : la synergie Le travail en synergie p ermet de veiller à la sécurité des défenseurs des droits de l’homme en diffusant rapidement des informations lorsqu’un défenseur est menacé, et en s’assurant que la communauté des défenseurs est suffisamment vaste et représentative. La synergie permet également d e centraliser les informations sur les défenseurs des droits de l’homme, de réagir sur la situation d’un défenseur menacé sans se mettre pour autant en situation de conflit avec son État. Le travail en synergie permet de protéger les défenseurs des Droits de l’Homme tout en se protégeant. La synergie d’actions est un outil efficace contre le risque de persécution des défenseurs des droits de l’homme. Mais la synergie suppose la professionnalisation . Elle suppose la qualité de l’activité des défenseurs des droits de l’homme, l’impartialité, la transparence et la crédibilité au travers d’informations

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exactes. Elle suppose aussi le respect des normes nationales en matière d’enregistrement des ONG de défense des Droits de l’Homme. II. Règle 2 : Le dialogue Le dialogue suppose u n langage de diplomatie, de courtoisie et de fermeté. Il s’agit en effet d’utiliser des termes courtois mais fermes dans nos déclarations, communiqués et autres interventions médiatiques. Le dialogue suppose un accompagnement du gouvernement dans la mise en œuvre de ses engagements nationaux et internationaux. Il s’agit de rappeler aux gouvernants qu’il est question des engagements qu’ils ont eux-mêmes pris vis-à-vis de leurs communautés. A cet égard, il faut compter sur la bonne foi des Etats au prime abord, et ensuite utiliser le langage qu’il approprié et notre appui professionnel pour accompagner nos Etats vers la mise en œuvre des instruments internationaux de protection des droits de l’homme. III. Le nouveau paradigme de la défense des Droits de l’Homme Seuls le dialogue avec les États et la synergie d’actions au plan régional est susceptible de favoriser le travail des défenseurs des droits de l’homme en Afrique. Car la défense des droits de l’homme ne doit pas être synonyme d’antagonisme avec les gouvernants. Les propos trop syndicalistes, les actes de violence ne sont pas de nature à arranger les choses entre Gouvernements et défenseurs des droits de l’homme. Au contraire, la violence et l’arrogance se trouvent parfaitement aux antipodes de la défense des droits de l’homme.

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DSB, Calavi, juillet 2009