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A la recherche des sectes

et sociétés secrètes d'aujourd'hui

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DOMINIQUE SANDRI

A la recherche des sectes

et sociétés secrètes d'aujourd'hui

198, boulevard Saint-Germain 75007 PARIS

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Collection A la recherche de...

Déjà parus :

A la recherche des grands mystères du passé, par Alan et Sally Landsburg. A la recherche des trous noirs de l'espace, par John G. Taylor. A la recherche du secret des pyramides, par Max Toth et Greg Nielsen. A la recherche des civilisations disparues, par Alan Landsburg.

© 1978, Presses de la Renaissance.

ISBN 2-85616-118-9 ISSN 0181-821 X

78-10/60-3150-4-42

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L'auteur tient à remercier Claire Paillet et Jean-Pierre Lecomte pour l'aide apportée dans la recherche de certains documents.

D. S.

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Introduction

1. « JÉSUS EST UN EXTRA-TERRESTRE. »

« Que vous le croyiez ou non, les Animaux viennent d'une planète spéciale où ils ont exactement les mêmes dons que nous. Avec nos enfants, ils partagent les jeux, ont le don des langues, jouent différents instruments de musique, flûte, orgue, etc., dessinent, sculptent, etc. Ils savent se servir de leur troisième œil ou Intuition ou Flair, qui est exploité dans le chien policier, le saint- bernard, etc. Des chats, des perroquets, etc., ont bien des fois sauvé des êtres humains. Nous ne devons pas les manger. Il y a assez sur cette planète des fruits déli- cieux, légumes, etc., pour nourrir même les habitants d'autres planètes... »

Ces lignes à la fois cocasses et naïves sont tirées d'un

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tract édité par l'Ordre de Melchisédec, Centre Inter- planétaire d'Extra-terrestres, d'OVNIS, d'Elohims et d'Anges, à la tête duquel se trouve (provisoirement) Cyna Lokiec, Prêtresse de l'Ordre par procuration, détentrice du secret de l'immortalité du corps physique.

L'Ordre de Melchisédec est une secte, bien que ses membres s'en défendent. Il regroupe quelques fidèles, une dizaine au plus, convaincus que « Jésus est un extra-terrestre venu maintenant en soucoupe volante », comme le proclamait une inscription reproduite sur les murs de la plupart des stations de métro parisiennes il y a deux ou trois ans. Pour ces marginaux de la foi qui mêlent en un même « système » Dieu et les OVNIS, le végétarisme et l'immortalité, « le Prince de Melchi- sédec, c'est le Seigneur lui-même en chair et en os. C'est le plus grand des Extra-terrestres. Il commande à Jéhovah Lui-même Qui a créé la terre, et à tous les autres dieux de l'Univers. Il connaît les secrets des voyages interplanétaires et de l'immortalité... »

Cyna Lokiec assure « la Suprême et Directe Souve- raineté Royale sur toute l'Europe, l'Asie, l'Afrique et tous terrains continentaux sur la Terre, excepté l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ». Elle et ses amis sont tellement sûrs de détenir la Vérité qu'ils n'hésitent pas, parfois, à entreprendre quelques actions d'éclat, comme ce fut le cas, le 24 décembre 1973, lorsqu'ils pénétrèrent dans Notre-Dame, à Paris, où se déroulait un concert d'orgue, afin de dénoncer l'internement du Prince. La Prêtresse s'en tira avec trois mois d'asile psychiatrique.

Vous souriez ? Bien sûr, tout cela ne paraît pas très sérieux. Pourtant, ils sont des centaines, ces mouve- ments religieux plus ou moins clandestins, plus ou moins étranges qui, en France comme partout dans le monde, tentent d'apporter les réponses les plus inattendues aux

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questions que se pose l'homme sur ses origines, sa vie et son destin.

Il y a quelques mois, à Paris, il nous a été donné de rencontrer chez les parents d'une amie le chef spiri- tuel d'une petite communauté religieuse sise dans le XVIIIe arrondissement. Auparavant, l'homme avait été garçon de café, mais une voix, un soir, l'avait appelé à de plus hautes fonctions. Abandonnant son ancien métier, il avait réuni quelques-uns de ses amis avec qui il avait eu de nombreuses et fructueuses conversations sur l'Au- delà, Dieu, l'occultisme et la magie et leur avait fait part de la mission dont le Très-Haut l'avait investi. Depuis, il « règne » sur une quarantaine de fidèles à qui il promet une réincarnation sereine pour peu qu'ils croient en lui, en sa mission et en ses pouvoirs. Car notre homme est convaincu de détenir des pouvoirs parmi lesquels celui de la guérison, bien sûr, mais aussi celui de deviner quelles ont été les vies antérieures des personnes qui s'adressent à lui. Pour preuve de sa bonne foi, il nous a même assuré avoir assisté à notre exécution en place de Grève, en l'an 1617 ! Une bien vilaine affaire, à l'en croire...

Fou ou escroc ? Peu importe, après tout. Pour avoir préféré servir sur un autel, fût-il de bois, plutôt que sur un comptoir, notre ex-garçon de café se fait aujourd'hui appeler Monseigneur et se déclare le plus heureux des hommes...

Mais l'insolite se pare aussi, parfois, d'exotisme. Savez-vous, par exemple, qu'il existe dans notre pays, aujourd'hui, en 1978, des Adorateurs du Dieu Tvira- cocha ? Ce sont les fidèles de la Religion du Soleil Inca, une association cultuelle déclarée selon la loi au Journal officiel n° 72 de 1959 et n° 284 de 1962, et sise passage des Princes, dans le II arrondissement à Paris.

« Cher Etre Humain, nous disent les disciples de Tviracocha, l'ancien Pérou, synonyme et berceau de

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Trésors, nous en a légué un, éternel et sacré : LA RELIGION DU SOLEIL. Vous savez que spirituellement et moralement, notre petite planète est bien malade. Vous savez aussi que les faux dogmes ont enfanté plus de cent religions, monnaies et bombes H. Vous devez savoir qu 'aucune " théorie ", messe, conférence, ou guerre ne pourront guérir cela. Adhérez donc à notre religion, la seule qui présente un remède " solaire" contre le mal. Nous avons un seul Dieu : Tviracocha. Il est la source de Vie, le Maître Invisible.

« Nous vénérons une de ses plus grandes manifes- tations visibles : l'astre Soleil.

« Nous croyons donc à la métempsycose et à ses lois de réincarnation et de transmigration.

« Adhérez à la religion naturelle, sœur de la science, et qui prêche la " non-violence " . »

Ces gens-là vous paraissent sans doute exubérants mais pas très méchants. En effet, beaucoup de ces mouvements religieux n'ont d'autre prétention que d'offrir à leurs fidèles une Vérité que leurs fondateurs pensent être les seuls à détenir. Ces adorateurs de l'Oignon, du Fa dièse (si, si, ils existent), de l'Arbre, de la Lune, du Soleil, des OVNIS, des Etoiles, du Feu, de la Pluie, du Nombril et de la Reine d'Angleterre, ces Homériens, ces Oomotistes et autres Divins Angé- liques constituent, en fait, une population pittoresque et hétéroclite mais, somme toute, in offensive. Ils existent. Ils sont là, avec leurs croyances, leurs espoirs, leurs peines et, souvent, leur intolérance. Ils se réunis- sent parfois à cinq, parfois à dix, voire même à cinquante ou à cent, rarement davantage, mais ils demeurent assez discrets et ne menacent en rien l'ordre du monde.

Mais parfois, l'excentricité alliée à l'intolérance débouche sur le fanatisme et entraîne d'honnêtes gens à commettre des actes effroyables. Les journaux sont pleins de faits divers braquant ainsi soudain les projec-

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teurs d'une sanglante actualité sur des mouvements dont les adeptes n'ont pas su jusqu'où ils pouvaient aller trop loin...

En 1962, par exemple, à Saint-Rémy (Haute-Saône), eut lieu une série de drames provoqués par le fana- tisme religieux d'une femme, Mme B..., institutrice en retraite convertie à la Spiritualité Vivante. Les membres de cette secte ne doivent jamais manger de viande et sont tenus de refuser tous soins médicaux parce que les microbes sont aussi des créatures de Dieu. Le mari de Mme B... devait se faire opérer de l'appendicite. Sa femme l'en empêcha. Il en mourut. Quelque temps plus tard, Line (six ans), la fille de Mme B..., fut hospitalisée d'urgence pendant que sa mère se reposait dans une maison de convalescence près de Colmar. L'enfant devait être opérée d'une mastoïdite. Aussitôt avertie, Mme B... quitta Colmar, enleva Line de l'hôpital et rentra chez elle. Il fallut l'intervention des gendarmes pour sauver l'enfant que sa mère voulait soigner par l'imposition des mains.

Plus près de nous, en février 1974, un enfant de deux ans et demi faillit être la victime de sa mère et de sa grand-mère qui vivaient recluses depuis plus d'un an dans une petite maison de Denain dont elles avaient barricadé portes et fenêtres. Pour expliquer leur atti- tude, les deux femmes avaient affiché le texte suivant sur leur porte : « Nous appartenons à la secte des Mutants où le pouvoir est détenu par les femmes. Vous nous persécutez, mais notre reine Mû, qui sort parfois des entrailles de la terre dans la Cordillère des Andes, et dont je suis la déléguée en ce bas monde, va nous venger. Les OVNIS nous espionnent depuis le 22 dé- cembre 1972, premier jour de l'année extra-terrestre. Ces signes du Ciel annoncent la fin des temps. » Ce message, adressé au « Peuple Français », était signé « Mirja », autre nom de la reine de la secte. En fait, il

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avait été rédigé par sa représentante sur Terre, Chantal G..., vingt-six ans, qui, en compagnie de sa mère, Rolande B..., soixante ans, et de son fils, le petit Eric, deux ans et demi, vivait cachée derrière les murs de sa maison, dans l'attente de l'Apocalypse. Mais un jour, Chantal G... et sa mère consentirent à quitter leur retraite. Elles distribuèrent quelques tracts aux ouvriers et aux mineurs travaillant dans leur voisinage et or- nèrent leur façade d'un drapeau noir brodé de seize étoiles d'argent entourant une svastika. Les ouvriers, pensant reconnaître la croix gammée, crurent à une « provocation fasciste » et la police dut intervenir. Le commissaire chargé de l'affaire demanda à voir l'enfant. Chantal refusa et s'enferma avec son fils au grenier. Les policiers firent sauter la porte... au moment où la jeune femme s'apprêtait à sacrifier Eric.

Un cas extrême, direz-vous. Sans doute, mais des cas comme celui-ci, on en recense des dizaines chaque année, à travers le monde. En Italie, c'est un enfant que l'on jette vivant dans de l'or en fusion... pour le préser- ver du péché (!). En France, dans le Nord, c'est une jeune fille qui disparaît pour rejoindre, sans avoir très bien compris ce qui lui arrivait, la très curieuse secte des « Trois Saints Coeurs », une religion où les crucifix saignent et les statues pleurent... Ailleurs, c'est une autre jeune fille que l'on découvre grièvement blessée sur une plage de la Méditerranée et qui avoue s'être elle- même mutilée pour porter les mêmes stigmates que le Christ après la crucifixion. En Espagne, c'est un enfant que l'on découvre transpercé d'épingles afin de chasser le démon qu'il porte en lui. Etc., etc.

Tous ces faits, et des centaines d'autres que nous ne pouvons rapporter ici faute de place, sont pour beaucoup dans la méfiance que le public voue aux sectes et à leurs fidèles. La secte, voilà l'ennemi ! Le sectaire, c'est l'autre, ce fanatique austère avec qui aucun dialogue

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n'est possible, c'est ce fou, ce personnage inquiétant, ce maniaque qui attend nos enfants au détour d'une rue pour en faire... on ne sait quoi ! Des victimes expia- toires, des automates, des esclaves, des zombis au regard vide, à la voix monocorde au service de quelque cause inavouable ! Et de mettre dans le même sac les Adorateurs de l'Oignon et les Témoins de Jéhovah, les Amis de l'Ange Cyclamen et les mormons, et de condamner sans appel des mouvements d'inspirations aussi diverses que l'Association internationale pour la Conscience de Krishna et l'A.U.C.M. de M. Moon, les Enfants de Dieu et l'Eglise de Scientologie !

2. « UN ABÎME LES SÉPARE »

Une telle attitude révèle, en fait, une profonde mécon- naissance du phénomène sectaire, de son histoire, de sa signification et de sa réalité. On ne saurait pourtant en vouloir au public de réagir comme il le fait. Fatigué, surmené, saturé d'informations contradictoires sur les sujets les plus divers, le citoyen du xxe siècle a bien de la peine à se faire une opinion personnelle sur les diffé- rents aspects du monde où il vit. Les sectes, bien sûr, il en a entendu parler, comme tout le monde. Il pense savoir de quoi il s'agit. Il a lu quelque chose dans les journaux ou bien il a vu une émission à la télévision. Mais justement, c'est là que le bât blesse. La presse, c'est évident, ne s'empare généralement d'un tel phéno- mène qu'à l'occasion d'un fait divers. Le public ne connaît donc des sectes que leur aspect le plus sombre. L'inconscience criminelle, le fanatisme aveugle, l'intolé- rance agressive, quand ce n'est pas la folie, purement et simplement, c'est tout ce qu'il retient de ces gens aux croyances « bizarres » sur qui il sait, au fond, très peu de chose.

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Essayons d'y voir plus clair, alors, en apportant dès maintenant quelques précisions indispensables. Deux éléments nous paraissent caractériser le phénomène sectaire : sa diversité et son universalité.

Les spécialistes s'accordent pour penser qu'il existe aujourd'hui entre quatre et cinq mille sectes dans le monde, dont une bonne centaine pour la France, regrou- pant quelque 200 000 fidèles. Ces seuls chiffres peuvent déjà donner une idée de la diversité du phénomène, mais celle-ci n'est pas seulement quantitative, elle est aussi et surtout qualitative.

« Il y a (...) entre chaque groupe des différences fondamentales », écrit le père Jean Vernette dans le n° 31 de Croissance de l'Eglise. « Si les Adventistes interprètent de manière particulière l'affirmation du retour du Seigneur, ils conservent cependant l'essentiel de la foi reçue des apôtres. Alors que les Témoins de Jéhovah la répudient quasi totalement et la remplacent par d'étranges élaborations personnelles, cultivent l'agressivité contre tous les autres chrétiens et tombent dans le sectarisme le plus outrancier. Un abîme les sépare. »

Un abîme les sépare, en effet, comme un autre abîme, peut-être plus profond encore, sépare les mormons des disciples de Moon ou l'Eglise de Scientologie des Adorateurs du Soleil Inca.

Certaines sectes ne comptent qu'une dizaine de fidèles ; chez d'autres, on en trouve des milliers. Cela ne veut pas dire, cependant, que le critère du nombre soit toujours une garantie de sérieux et d'équité. Les Témoins de Jéhovah, par exemple, bien que très nom- breux, n'en demeurent pas moins un mouvement dont l'histoire est émaillée d'« incidents » regrettables, comme celui survenu en octobre 1975 à Mme Krzysztof, l'une de leurs membres atteinte de leucémie. Mme Krzysztof devait subir une transfusion. Elle refusa

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« dans un souci de fidélité à la parole biblique »... et en mourut. Ce genre d'incident, pourtant, ne se produit que dans quelques sectes et il en est de nombreuses, et non des moindres, comme les mormons par exemple, qui ne font jamais parler d'elles, si ce n'est à l'occasion d'un congrès ou d'un concert.

Est-ce à dire que les sectes, toutes les sectes, ne présentent aucun danger, qu'il s'agit, bien au contraire, de mouvements sympathiques et accueillants, animés de nobles desseins, d'où tout fanatisme est exclu ? Bien sûr que non. Ce serait pécher par excès de naïveté et, encore une fois, ignorer l'extrême diversité du phénomène.

Car il faut bien le reconnaître, chaque secte jouit de sa spécificité propre et s'il est permis, non sans peine, de les grouper en un certain nombre de catégories au sein desquelles se retrouvent, parfois, quelques traits communs, il nous est interdit, en revanche, de porter sur l'ensemble du phénomène un jugement définitif. Certains sont même allés plus loin, le sociologue anglais Bryan Wilson se demandant (dans son livre Les sectes religieuses, Hachette) « dans quelle mesure (on a) le droit de parler de la secte sans spécifier une période historique, un contexte culturel et des traditions reli- gieuses déterminées ».

Cette question renvoie au second aspect du phéno- mène sectaire : son universalité. Il n'est, en effet, pas un pays au monde, pas une époque de l'histoire qui ne l'ait rencontré mais, suivant les contextes, il s'avère qu'il a été perçu de manières extrêmement diverses. Le mot « secte » lui-même n'a pas toujours été victime des connotations péjoratives qui lui sont attachées au- jourd'hui en Occident. A l'origine, il s'agissait d'un substantif désignant de la façon la plus neutre qui soit un fait social et religieux très répandu dans les temps anciens. Son étymologie en témoigne puisque ce mot provient du verbe sector, intensif de sequor, « suivre »,

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« accompagner ». Les sectes, loin de procéder de la protestation, comme c'est aujourd'hui le cas, partici- paient pleinement à la vie religieuse de l'Antiquité dont elles constituaient, en fait, la seule réalité. L'unité reli- gieuse des temps anciens s'accommodait effectivement très bien d'une grande diversité de tendances.

C'est l'Eglise catholique qui, ensuite, a donné au mot le sens que nous lui connaissons aujourd'hui, en le rap- prochant du concept d'hérésie défini par les théologiens comme « une erreur volontaire et opiniâtre opposée à un dogme révélé et enseigné comme tel dans l'Eglise catholique ».

Le phénomène sectaire est cependant loin d'être lié au seul christianisme. On peut même dire qu'il existe à l'intérieur (hindouisme, Islam, bouddhisme, etc.) ou sur la marge (christianisme) de toutes les religions. Pour- quoi, dans ces conditions, suscite-t-il tant d'inquiétude ?

3. VIOL DES CONSCIENCES OU FOI NOUVELLE ?

Une constatation s'impose : le phénomène sectaire participe d'un ensemble de phénomènes beaucoup plus vaste comprenant le regain d'intérêt pour l'occulte et l'ésotérique, le renouveau charismatique, l'attrait pour les pratiques de méditation, etc. Tout cela prouve l'existence de ce que le père Vernette a appelé un « réveil religieux » et qui correspond, en fait, à un retour en force du sacré dans une société qui l'avait trop vite évacué.

L'existence des sectes, aujourd'hui, en Europe, aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, porte la marque d'un double refus. D'abord, il y a le refus d'une Eglise accusée d'avoir réduit la religion à un simple fait social, de l'avoir, en quelque sorte, désacralisée, la ramenant à

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un ensemble de pratiques accomplies mécaniquement par les fidèles

Ce sont surtout des jeunes qui rejoignent les sectes et, pour eux, le catholicisme, le protestantisme, voire même le judaïsme, représentent avant tout la religion des parents. Ceux-ci, aux yeux de leurs enfants, ont perdu le sens du sacré. Leur pratique relève d'une habitude d'où sont exclus la ferveur, l'enthousiasme et la foi. Refuser les religions « établies », c'est donc, pour ces jeunes, re- fuser la désacralisation du religieux, c'est aussi, dans la plupart des cas, rompre avec le milieu familial, couper le « cordon spirituel » qui reliait aux parents. Tous les témoignages que nous avons recueillis concordent sur ce point. « Je suis originaire d'une famille catholique, déclare telle adepte de Moon, mais quand j'allais à l'église avec mes parents, c'était par habitude, sans conviction. » « Mes parents sont catholiques, nous dit cet Enfant de Dieu, mais ils ne se sont jamais posé de questions. Pour eux, c'est comme ça et pas autrement. Il faut aller à la messe parce que ça ne serait pas bien si on n'y allait pas. Mais, au fond, Jésus, ils s'en foutent... »

Un tel refus pourrait très bien déboucher sur l'athé- isme, le matérialisme, le nihilisme ou, plus simplement, le cynisme. C'est souvent le cas lorsque ne s'y ajoute pas un autre refus tout aussi important, sinon plus, que le premier. Ce « second refus », c'est celui d'une société jugée incapable de répondre aux questions que se posent ses membres. C'est là que se joue le procès du scienti- fique et du politique. Les espoirs que l'on avait placés en eux ayant déçu la plupart des gens qui les avaient formulés, on se tourne vers le religieux.

1. Voir René Guénon, La réforme de la mentalité moderne, dans Regnabit, juin 1926 : « Pour beaucoup de catholiques, l'affirmation du surnaturel n 'a qu'une valeur toute théorique, et ils seraient fort gênés d'avoir à constater un fait miraculeux. C 'est là ce qu 'on pourrait appeler un matérialisme pratique, un matérialisme du fait : n 'est-il pas plus dangereux encore que le matérialisme avéré, précisément parce que ceux qu 'il atteint n 'en ont même pas conscience ? »

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Les sectes entendent réintroduire le sacré dans le quotidien et, parallèlement, débarrasser la pratique reli- gieuse de tout formalisme encombrant. La relation au Divin, quel que soit le nom qu'on lui donne, doit être de tous les instants. Voilà qui répond parfaitement aux besoins spirituels d'une jeunesse inquiète, désorientée, saturée de conseils contradictoires, sans modèles auxquels se conformer.

Et puis, les Eglises dites « sauvages » répondent aussi, dans leur structure même, à des besoins qui se font cruellement sentir aujourd'hui et qui sont les besoins de sécurité — matérielle et spirituelle —, de chaleur, d'amitié et, aussi, de preuves quasi expéri- mentales de l'existence d'un ordre surnaturel. Tout se passe, en fin de compte, comme si l'homme ne voulait plus être livré à lui-même.

Et sans doute est-ce là ce qui effraye le plus les observateurs. Ce refus des responsabilités, cette démis- sion devant le monde et l'histoire. Cette attitude n'est pas le fait de toutes les sectes mais on la rencontre, hélas, dans celles dont on parle dans les journaux. De plus, on s'inquiète des buts poursuivis par les chefs spirituels de ces petites Eglises. Si la sincérité des adeptes ne fait aucun doute, il en va tout autrement de celle de nouveaux messies. L'anticommunisme viscéral d'un Moon, par exemple, occupe une place trop impor- tante dans sa doctrine pour que celle-ci ne paraisse pas suspecte aux « profanes ». Ceci explique que parents et éducateurs aient entrepris de réagir contre ce qu'ils ont appelé le «viol des consciences ».

A Paris, le Centre de Documentation sur les Eglises et les Sectes, 222, rue du Faubourg-Saint-Honoré, tient à la disposition des catholiques une abondante documentation sur les doctrines et les méthodes des principales sectes établies en France. Comme son nom l'indique, ce centre ne s'est fixé d'autre but que d'infor-

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mer ceux qui s'adressent à lui. Le responsable, jusqu'à une date récente, en était le père Chéry, un dominicain souriant, aimable et chaleureux, auteur de nombreux ouvrages sur la question. Le père Chéry est, hélas, aujourd'hui disparu. Il connaissait parfaitement les sectes et leurs adeptes mais jamais il n'a entrepris d'autre action à leur encontre que celle consistant à informer les parents et les enfants venus le trouver.

Bien différents sont les buts poursuivis par l'A.D.F.I. (Association pour la Défense de la Famille et de l'Indi- vidu), fondée à Rennes en 1975 par le Dr Champollion à la suite du départ de son fils pour la secte Moon. L'A.D.F.I. a donc été créée à l'origine pour combattre l'A.U.C.M. de M. Moon. Dans une interview accordée en janvier 1976 à Gwendoline Jarczyk pour le compte du journal France catholique, le Dr Champollion décla- rait : « Nous refusons absolument de combattre le Mouvement sur le plan de ses principes " religieux " . C'est uniquement pour arriver à supprimer, du moins en France, la manière de procéder des Moonistes que nous luttons. (...) Ce sont surtout les familles qui jouent le rôle de membres actifs. Mais nous comptons égale- ment un grand nombre de personnes célibataires, laïcs et prêtres, éducateurs, religieuses, professeurs qui, adhérant en tant que membres bienfaiteurs, nous renseignent et nous aident de toutes sortes de façons. »

Aujourd'hui, le champ d'intervention de l'A.D.F.I. s'est considérablement élargi et cette association s'en prend maintenant aussi bien à l'Eglise de Scientologie qu'aux Enfants de Dieu. Son action opère, bien sûr, sur le plan de l'information, mais aussi sur le plan juridique. Le procès qui s'est déroulé à Paris en novembre 1977 contre l'Eglise de Scientologie en a été un spectaculaire témoi- gnage, l'A.D.F.I. s'y étant constituée partie civile.

D'autres associations du même genre ont vu le jour en France récemment. L'une d'elles, qui a son siège 4, rue

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Fléchier, 75009 Paris, s'appelle l'O.A.S.I.S. Elle propose un accueil et une aide aux jeunes, aux parents, aux éducateurs et aux journalistes, à tous ceux qui cherchent ou donnent l'information. L'O.A.S.I.S. se bat auprès des pouvoirs publics et propose des réunions d'information, des bibliographies, des rencontres avec des psycho- logues, des adresses utiles, etc.

L'A.N.A.S.A., Association nationale de Sauvegarde des Adolescents, 57, boulevard de la Reine, 78 Ver- sailles, est d'inspiration différente. Elle a pour but de « préserver les adolescents des agissements abusifs de toute personne qui, par une influence nocive, les détourne de leur milieu familial et aliène leur liberté ». L'A.N.A.S.A. ne s'en prend pas seulement aux sectes : elle entend exercer un certain contrôle sur l'Eglise catholique elle-même afin de mettre fin à certaines vocations « abusives ». Et cela, précisent les respon- sables de l'Association, « dans l'intérêt même des voca- tions authentiques et pour la gloire de Dieu ».

L'A.S.O.F.I.S., Association pour la Sauvegarde et l'Orientation de la Famille, l'Individu et la Société, 1, rue Leneveux, 75014 Paris, enfin, s'attache à « déter- miner la portée des activités (méthodes, fins et réalisa- tions) de l'Eglise de Scientologie ».

Mais la « guerre aux sectes » ne comporte pas que de nobles aspects. Aux Etats-Unis, un homme qui a voué son existence à combattre les religions « sauvages » fait beaucoup parler de lui. Cet homme, c'est Ted Patrick, un Noir d'une quarantaine d'années qui a mis au point une méthode connue sous le nom de « deprogramming » ou « déprogrammation ».

« Ted Patrick », faisait remarquer l'hebdomadaire belge Special dans son numéro 635 du 1 juin 1977, « a toujours été attiré par l'art de convaincre. Jeune volontaire des marines, il a étudié en Corée les méthodes chinoises de " brainwashing " (lavage de cerveau).

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Promu plus tard "psychologue " de l'armée américaine, il a interviewé à la fin de la guerre du Vietnam des cen- taines de soldats américains libérés des camps vietcong. Des semaines durant, ceux-ci lui ont décrit la " réédu- cation " qu'ils ont dû subir, et Ted Patrick s'en est ins- piré lorsqu'il s'est agi d'assurer lors des dernières élections primaires, avec plus ou moins de succès et parfois à la limite du " bourrage de crâne " , les relations publiques du sénateur Ronald Reagan. »

A peu près à la même époque, Ted Patrick a mis ses compétences au service d'une tout autre cause. Devant la prolifération des sectes, il s'est dit qu'il y avait sans doute quelque chose d'intéressant (financièrement, s'entend) à faire de ce côté-là et ce « quelque chose », c'est devenu la déprogrammation.

En quoi consiste la déprogrammation ? C'est simple. Ted Patrick et ses disciples — car il va de soi qu'il n'est pas seul pour mener à bien sa grande tâche — se sont mis tout entiers au service de la « vraie » foi. Si votre enfant vous a quitté pour entrer dans une secte, il vous suffit de l'en avertir et, selon une formule célèbre, il se charge du reste. Le « reste », cela consiste à mettre sur pied une opération de commando pour enlever votre enfant à ses nouveaux amis, puis à l'enfermer dans une pièce sombre afin de le convaincre de son erreur. Si le sujet est « coriace », l'expérience peut durer des jours, voire des semaines. S'il est compréhensif, elle ne dépas- sera pas 48 heures.

C'est ça, la déprogrammation, l'action d'effacer « comme sur une bande magnétique les idées reçues. Traitement de choc : au bout de deux semaines, même le "mooniste" le plus fanatique redevient un mouton docile, dépersonnalisé. Récupéré par ses parents, mais perdu pour tout le monde 1 »

1. Spécial, article cité.

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Les « déprogrammeurs » disposent d'un manuel leur recommandant, entre autres choses, de priver le sujet de nourriture pour bien briser sa volonté. « Une tech- nique plus raffinée consiste à provoquer le "stress verbal" à l'aide d'amplificateurs qui hurlent des raison- nements destinés à ridiculiser la secte du sujet ; on em- pêche celui-ci de répondre ou de se justifier. Et lorsqu'on permet au possédé de s'expliquer, il ne peut que le faire tout nu devant ses juges habillés.

« Une large part est naturellement faite aux rapports sexuels entre le "déprogrammeur" et son sujet. Le manuel n'encourage pas les échanges homosexuels et réprouve le viol même lorsqu'il est accompli dans le but d'humilier et de briser la résistance... Par contre, les rapports librement consentis prouvent que le sujet éprouve de l'admiration pour le déprogrammeur et celui-ci doit, dans ces conditions, montrer que sa sévé- rité n 'exclut pas la bienveillance ! »

La déprogrammation atteint maintenant nos rivages. Ted Patrick a fait des disciples en Belgique et nous savons qu'une séance de « deprogramming » s'est déroulée en février 1976 dans un hôtel proche de la gare Saint-Lazare à Paris...

Les sectes représentent-elles un si grand danger qu'il faille avoir recours à de telles techniques pour les combattre ? Nous ne le pensons pas. Ls pages qui suivent ne sont pas toujours tendres avec les nouveaux messies et leurs adeptes mais jamais, au cours de notre enquête, nous n'avons rencontré d'individus justifiant par leur comportement le traitement préconisé par Ted Patrick. Ce que nous avons rencontré, ce sont des êtres humains, des hommes et des femmes ayant leurs pro- blèmes, leurs joies, leurs souffrances et leurs espoirs. Peut-être convient-il d'abord de les traiter comme tels. Rien de moins, rien de plus...

1. Spécial. idem.

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1

Les mormons

« Il n'y a pas, dans l'histoire contempo- raine. de phénomène religieux qui puisse, même de loin, être comparé à la naissance et au développement du mormonisme. La seule image qui s 'impose, quand on parle de son fondateur, Joseph Smith, est celle de Mahomet. »

Maurice Colinson, Faux prophètes et sectes d 'aujourd'hui

Plon, coll. " Présences ", 1953.

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Les mormons forment-ils une secte ? Oui, si l'on donne à ce mot le sens d'un groupe de personnes profes- sant une même doctrine philosophique et religieuse en marge d'une religion établie. Dans ce cas, la « religion établie », c'est le christianisme tel que le pratiquent les Eglises catholique et protestante. En France, les mormons apparaissent d'autant plus « sectaires 1 » qu'ils sont peu nombreux — 5000 à 6000 tout au plus — et que le critère du nombre, en matière de religion, reste déterminant.

Aux Etats-Unis, la situation est déjà sensiblement différente puisque au début de l'année 1976 les mor- mons y étaient près de 3 millions. A la même époque, ils étaient exactement 3 630 000 dans le monde. Alors, secte ou Eglise ? Il ne nous appartient pas de trancher. Après tout, ce n'est là qu'une question de dénomination ne changeant rien à la réalité du mormonisme.

Celui-ci, comme la plupart des mouvements dont il sera question dans ce livre, est né aux Etats-Unis. Dans ce pays, le concept même de « secte », en l'ab- sence d'une Eglise fédérale établie, doit être utilisé avec la plus extrême prudence. Pour les mormons, cependant, le problème ne se pose pas, comme en témoigne l'appellation officielle de leur mouvement : Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Mormons n'est qu'un sobriquet tiré du nom d'un pro- phète ayant rassemblé les annales d'une fraction du peuple juif émigré de Palestine sur le continent améri- cain quelque 600 ans avant Jésus-Christ. Ce sont ces annales qui, sous une forme abrégée, constituent le célèbre Livre de Mormon.

1. Qu'il soit bien entendu, une fois pour toutes, que, dans ce livre, le substantif « secte » et l'adjectif « sectaire » ne sont jamais employés dans un sens péjoratif. Ils désignent simplement un fait social et religieux universellement répandu et sur lequel nous ne porterons aucun jugement d'ensemble.

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Ils sont des millions à travers le

monde et des centaines de milliers en France. Vous en croisez

chaque jour dans la rue, le train, le bus ou le métro. Ce sont les adeptes des sectes et sociétés initiatiques de notre temps. Qui

sont-ils? Comment vivent-ils? Quels sont leurs rites et leurs croyances ? Le livre explosif de Dominique Sandri vous dit tout sur les fidèles de ces religions insolites et vous invite à péné- trer dans l'univers hallucinant des marginaux de la foi. Dans la même collection : ●A la recherche des grands mystères du passé

A la recherche des trous noirs de l'es- pace ● A la recherche du secret des

pyramides ● A la recherche des civilisations dispa-

rues.

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