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Matthias Horx est le chercheur le plus réputé dans l’espace germanophone pour ses études sur les tendances et l’avenir. Son « Zukunftsinstitut », dont le siège se trouve à Francfort-sur- le-Main, est un centre de réflexion sur l’avenir. « Les médias de demain, l’avenir des médias » Interview : Martin Orth / 09.11.2009

« Les médias de demain, l’avenir des médias »

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Page 1: « Les médias de demain, l’avenir des médias »

Matthias Horx est le chercheur le plus réputé dans l’espace germanophone pour ses études sur les tendances et l’avenir. Son « Zukunftsinstitut », dont le siège se trouve à Francfort-sur-le-Main, est un centre de réflexion sur l’avenir.

« Les médias de demain, l’avenir des médias »

Interview : Martin Orth / 09.11.2009

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1. La société de l’information est de plus en plus complexe. Un nombre croissant de moyens techniques offrent sans cesse de nouvelles sources d’information. Comment utilisez-vous les médias, Matthias Horx ?

Comme quelqu’un qui a grandi au siècle dernier, je suis un utilisateur de l’analogue. J’aime les livres, les magazines, le mot imprimé. Mais mes enfants aussi et ils ont grandi avec l’ordinateur. Pour le reste, je suis un « multitoxicologue » en matière de médias. Je surfe sur toutes les planches médiatiques, qu’elles soient rectangulaires sous forme d’écrans, ou lisses et préhensibles comme un bon livre. Et cela à longueur de journée. Je joue aussi aux jeux en ligne avec mes enfants et j’ai ainsi une vision un peu différente de la réalité numérique. Elle peut être très distrayante, mais pas pour les vieux paranoïaques qui croit voir la fin de l’Occident à chaque tournant.

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2. Les nouveaux médias ont simplifié et accéléré bien des choses mais ils s’accompagnent de phénomènes comme l’isolement social. Faut-il apprendre à se servir des médias ?

J’estime que l’idée d’un « isolement dû aux médias » est une sottise. Naguère les gens étaient isolés quand ils vivaient dans des vallées encaissées ou bien à la campagne quand le téléphone n’existait pas. Aujourd’hui, certains s’isolent parce qu’ils sont névrosés ou dépressifs. En fait, tout le monde est branché sur le grand flot des médias, qu’il s’agisse d’informations détaillées ou de contenus très profanes. Evidemment, les gens ont besoin d’un certain temps pour apprendre à utiliser un nouveau média mais ils sont assez adroits en la matière. Quand on pense au temps qu’il a fallu pour l’alphabétisation, on s’aperçoit que les gens apprennent vite à utiliser les médias électroniques. Mais tout le monde n’apprécie pas l’aspect savoir et contact de l’Internet. Il existe encore énormément de consommateurs passifs pour qui l’Internet est au mieux un catalogue que l’on consulte. C’est une question de culture. Quiconque est cultivé, curieux et progresse sur le plan social utilise intensément les médias.

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3. Les jeunes ne s’enthousiasment guère pour les journaux, les gens plus âgés ont de la difficulté avec les réseaux en ligne. Les médias divisent-ils notre société, contribuent-ils à une individualisation au sein de la société ?

Ce dernier point serait une bonne chose. Pour moi, individualisation est un terme positif. Nous voulons tous être des individus qui se distinguent des autres, qui développent leur propre personnalité, n’est-ce pas ? Et les médias en tous genres vont finalement dans ce sens. Même les télénovelas ont une composante émancipatrice et éducative, comme l’ont montré nombre d’études. Quiconque a vu sa vie entière la série télévisée « Lindenstrasse » y a appris la tolérance, l’amitié humaine et la différenciation sociale. Et, actuellement, les plus âgés rattrapent largement leur retard en matière d’Internet.

4. Des rituels sociétaux comme la lecture du journal le matin ou regarder le foot ensemble sont-ils touchés par la mutation du paysage médiatique ?

Oui et non. Regarder le foot ensemble est un phénomène de horde profondément ancré dans nos gènes. L’homme (les hommes) le fera probablement jusqu’à ce que le soleil meure, c’est un rituel. La lecture du journal le matin était aussi un rituel avec lequel les hommes surtout pouvaient justifier leur mutisme au petit déjeuner. La lecture du journal a donc une deuxième fonction à part l’information : le journal est le bouclier de ceux qui n’aiment pas se lever tôt, et un écran protecteur dans les lieux publics comme les cafés ou les aéroports. Je suis certain que les gens lui trouveront un ersatz si le journal imprimé devait un jour disparaître. Peut-être de grands écrans d’ordinateur souples que l’on pourra utiliser comme des paravents ou des voiles.

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5. Les nouveaux médias supplanteraient les médias traditionnels. A quoi ressemblera le mix médiatique dans vingt ans ?

Il est très rare que les nouveaux médias supplantent complètement les anciens, il y a en général un nouveau mix, les médias se complétant. Quand la télévision est apparue, on annonçait la mort du cinéma et l‘Internet devrait avoir tué ces deux là depuis longtemps – des bêtises. Dans vingt ans, l’Internet sera devenu un « Omninet » – il est partout et nulle part, c’est la plateforme sur laquelle passent tous les contenus. Mais les terminaux seront encore différenciés. Il y aura toujours des livres et des magazines, peut-être même plus beaux, plus élégants, sentant meilleur. Et des écrans pliables ressemblant au papier. La question déterminante est de savoir dans quelle mesure nos capacités cognitives suivront.

6. Vous avez prédit un « digital backlash », un retour de pendule concernant l’euphorie Internet. Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? A-t-il déjà eu lieu ? Et quel sera son impact ?

Il a lieu chaque jour par le fait que l‘Internet n’a pas l’utilisation que les visionnaires des années 1990 lui attribuaient. Il existe une tendance subtile au off-line – un grand nombre de gens ressentent ce flot d’images et de sons comme fatiguant ou dérangeant et se tournent vers des expériences en temps réel, plus sensuelles, plus palpables, plus personnelles. Souvent, l’Internet ne tient pas ses promesses. Et il y a encore de grandes parties de la population qui ne savent que faire de l’Internet comme média des réseaux parce qu’ils sont trop peu cultivés ou ne maîtrisent pas les techniques sociales correspondantes. Nous ne découvrons la véritable puissance du réseau comme média du savoir que si nous pensons, interrogeons, communiquons et travaillons en réseau.

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7. Cela signifie-t-il par contrecoup un retour aux médias classiques ?

Aujourd’hui déjà, l’Internet a fait évoluer les journaux, ils sont plus courts, plus prégnants, souvent meilleurs. Cela fonctionne comme un facteur de sélection : les médias ineptes et inutiles disparaissent, les autres évoluent.

8. Prenons l’exemple de la presse. Quels sont ses atouts et quel est son avenir ?

Je crois que ce terme perdra son sens à l’avenir. Il n’y aura plus de presse à proprement dire mais des marques médias qui se distingueront par leur contenu, leur qualité, leur approche du monde, leur idéologie, etc. Un magazine comme « Wired » aux Etats-Unis est dès aujourd’hui un produit média diffusé sur plusieurs canaux et c’est aussi de plus de plus le cas des journaux. A l’avenir, l’hebdomadaire « Spiegel » sera une certaine vision du monde diffusée sur papier, sur les portables et sur un écran à la maison. Un média qui ne mise que sur la presse est un média assez isolé.

9. Quels seront les types d’activités des fournisseurs de contenus de demain ?

Ils diffèreront beaucoup. Certains gagneront encore de l’argent dans le segment de qualité. D’autres rempliront surtout des fonctions sociétales et seront du type club ou « freemium », c’est-à-dire qu’ils proposeront certains services de base gratuits et ne factureront que les offres allant au-delà. D’autres fournisseurs renonceront au contenu et commercialiseront des services et des « accès ». Les journaux régionaux, par exemple, peuvent évoluer pour devenir des « fournisseurs de services complets » qui, outre des journaux, pourraient aussi proposer de l’eau, de l’électricité et des crédits.

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10. Contre toute attente, la radio se défend très bien dans le nouveau paysage médiatique. A quoi cela est-il dû ?

La radio, c’est simple, elle est exempte de toute complexité. C’est une véritable tendance rétro dans un fouillis médiatique où on se perd parfois. Quelqu’un vous parle ! C’est agréable.

11. Dans les comparaisons internationales, y a-t’il un mode d’utilisation des médias spécifiquement allemand ?

Non, les Allemands sont simplement plus nerveux et subodorent d’abord la fin du monde à l’apparition de toute nouveauté – avant d’en devenir des fans particulièrement fidèles.

12. Dans les films de science-fiction, les phénomènes actuels sont simplement projetés dans l’avenir. Qu’en est-il de la recherche sur l’avenir, comment obtenez-vous vos résultats ?

Par une recherche acharnée et une correction permanente des modèles que nous élaborons. Nous aussi, nous « projetons » sur l’avenir. Mais nous devons le faire de manière un peu plus intelligente et plus différenciée que nos prédécesseurs.

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13. Le paysage médiatique de demain va-t-il modifier des applications d’une manière que nous ne pouvons que deviner aujourd’hui ?

Par exemple, les interviews par e-mail comme celle-ci se feront à l’avenir sous forme de dialogue. Je pourrais alors vous demander ce que vous pensez vraiment – et comment vous en êtes venu à ces questions...