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Ouenousdisent nosétatsd'âme ? Nous avons tousdes états d'âme, entre tristesse et sérénité, rancæur et_loie de vivre. Différents des émotions. ces états de notre conscience et de notre affect reflètent les traces d'un passé lointain. Apprendre à les connaître et à les comprendre est une des voies vers la paix intérieure et l'acceptation de soi. Christophe André (( f e m'aoercois_que. sans le vouloir. ie me '' I suis misà réfléchir sur ma vie. Je ne m'en I suis pasaperçu, mais c'est ainsi. I'ai cru I que je ne faisais quevoir et entendre, que Y je n'étais rien d'autre, duranttout cepar- cours oisii qu'un réflecteur d'images reçues, un écran blanc oir la réalité projetait couleurs et lumières au lieu d'ombres. Mais j'étaisbien plus, sans le savoir. J'étais aussi l'âme qui sedérobe et se refuse, et cetteaction même d'observer... > Dans ce bref passage de sonmagnifique Livredel'intran- quillité, Fernando Pessoa nous introduit au monde des états d'âme. Mais le conceptd'états d'âmea-t-il une utilité en dehors de la littérature ? La question vaut d'être étudiée. Freud lui-même ne disait-il pas: < Partout oir je suis allé, un poète était alléavant moi. > Lesétats d'âmesont tout ce dont nous prenons conscience lorsque nous nous extrayonsde nos automatismes du quotidien, lorsque nous sortons deI'n agir) et nous laissons aller à observer cequi se passe en nous. Lesétats d'âmesont l'écho en nous @ Cerveau & Psycho - N" 32

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Oue nous disentnos états d'âme ?

Nous avons tous des états d'âme, entre tristesseet sérénité, rancæur et_loie de vivre. Différents

des émotions. ces états de notre conscienceet de notre affect reflètent les traces d'un passé

lointain. Apprendre à les connaîtreet à les comprendre est une des voies vers

la paix intérieure et l'acceptation de soi.

Christophe André

(( f e m'aoercois_que. sans le vouloir. ie me

'' I suis mis à réfléchir sur ma vie. Je ne m'en

I suis pas aperçu, mais c'est ainsi. I 'ai cru

I que je ne faisais que voir et entendre, queY je n'étais rien d'autre, durant tout ce par-cours oisii qu'un réflecteur d'images reçues, unécran blanc oir la réalité projetait couleurs etlumières au lieu d'ombres. Mais j'étais bien plus,sans le savoir. J'étais aussi l'âme qui se dérobe et serefuse, et cette action même d'observer... > Dansce bref passage de son magnifique Livre de l'intran-quil l i té, Fernando Pessoa nous introduit aumonde des états d'âme. Mais le concept d'étatsd'âme a-t-il une utilité en dehors de la littérature ?La question vaut d'être étudiée. Freud lui-même nedisait-il pas : < Partout oir je suis allé, un poète étaitallé avant moi. >

Les états d'âme sont tout ce dont nous prenonsconscience lorsque nous nous extrayons de nosautomatismes du quotidien, lorsque nous sortonsde I'n agir ) et nous laissons aller à observer ce qui sepasse en nous. Les états d'âme sont l'écho en nous

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de ce que nous sommes en train de vivre. C'est aussitout ce qui continue de tourner dans notre têteaprès que nous nous sommes dit : < C'est bon, stop,arrête, n'y pense plus. > Le concept d'état d'âmen'appartient pas au monde de la psychologie scien-tifique, il s'enracine plutôt dans la poésie et le senscommun. Dans la littérature scientifique, le terme leplus approchant est celui qu'utilise le neurologueAntonio Damasio, qui parle de < sentiments d'arriè-re-plan >, appellation qui a le mérite de rappelerleur discrétion. Mais le terme d'états d'âme est plusparlant pour le commun des mortels...

Climat changeantsur la psyché

On pourrait définir les états d'âme en disantqu'i ls sont des contenus mentaux, conscients ouinconscients, mêlant états du corps, émotionssubtiles et pensées automatiques, et qui vontinfluencer la plupart de nos attitudes. Exemplesd'états d'âme : le spleen, cet abattement flottant,peu intense, mais tenace ; la sérénité, qui est plusqu'un simple calme, car elle contient aussi unedimension de confiance en l 'avenir...

Nos états d'âme sont Ie résultat d'un mélanged'émotions et de pensées, de corps et d'esprit, dedehors et de dedans, de présent et de passé. Cemélange est évidemment aussi riche que compli-qué. Les états d'âme ne sont pas seulement unempilement d'idées, d'émotions ou de sensations,mais aussi une construction originale, fusion etsynlhèse que nous eflectuons automatiquement,entre I ' intérieur (état du corps et vision dumonde) et I'extérieur (réactivité à ce qui nousarrive : nous sommes touchés par les événe-ments). Les états d'àme constituent en outre unphénomène psychique agrégateur : i ls relientpassé, présent et futur dans un sentiment de cohé-rence et de destinée.

Et de fait, ils s'invitent dans chacune de nosactivités. En remplissant un formulaire adminis-tratif, vous pensez que vous ne faites que le rem-plir. Mais non, il y a aussi des états d'âme plus oumoins flottants qui sont sans doute en train denaître en vous : agacement de perdre du temps

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( Comrne une météo psychique,nos états d'âme sontun cf imat mental. l

I .

IEn Bref. Les étots d'ôme

r représentent entre1 7 5 a t 0 5 n n r r r r a n l

de notre < orr ière-plonI offectif ,.. l ls sont en port iedéterminés por notreposse er nosexpériences offectives

I onlérieures.

i . Pour en prendre

i conscience, puisles décrypter, un bonmoyen : ienirun journo l in t ime.

Christophe Andréest psychioke à l 'Hôpitol

Sointe-Anne. à Poris.

avec ces paperasseries, inquiétude à I'idée de fairedes erreurs, envie d'être ailleurs, peut-être mêmequelques souvenirs d'enfance de pénibles devoirssur table... Comme une météo psychique, nosétats d'âme sont un climat mental, beau oumorose, parfois stable sur plusieurs jours, parfoischangeant plusieurs fois dans la journée.

Enfin, ils sont caractérisés par la mixité, carcontrairement aux émotions franches, ils peuventcontenir à ia fois des éléments affectifs agréableset d'autres désagréables (par exemple, douceur etdouleur dans la nostalgie). Ils présentent aussiune rémanence, c'est-à-dire qu'ils persistent plusou moins longtemps après la disparition de leurcause) : par essence, les états d'âme durent au-delà des situations qui les ont justifiés ou déclen-chés, ils sont tout ce qui reste en nous après quele train de la vie est passé (voir Ia figure 2)...

Entre émotion et penséeLes émotions sont toujours au centre des états

d'âme, mais le plus souvent, elles ne poussent pas àI'action, comme le font les vécus émotionnels plusviolents : par exemple, lorsqu'on est en colère(émotion forte), on crie et I'on se rapproche del'autre (sans forcément s'en rendre compte, et c'estcette attitude involontaire oue recouvre le terme

u tendance à l'action >). Mais lorsqu'on est simple-ment irrité ou agacé (état d'âme), on a plutôt enviede s'écarter de qui nous irrite (parce qu'on sent quecela vaut mieux pour ne pas envenimer le conflit).La colère nous met o hors de nous ), alors que nouspouvons contrôler et masquer notre agacement.

Les états d'âme sont ainsi habités par des émo-tions < restées en dedans o, sans la visibilité corpo-relle et comportementale des émotions fortes : uneprofonde tristesse nous plonge dans la prostration

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bour afler mieuxLa méditation de t pleine conscience u,

antidote des états d'âme parasites.

Lo méditot ion n'est plus réservée ou domoine de lo spir i tuol i té ou de lo phi losophie. Son introduction dons le chomp de lo psychologie scienti f ique est unepetite révolution, notomment por le biois des techniques dites u de pleineconscience > : il s'ogit d'opprendre oux polients à risques dépressifs ou onxieuxélevés d'éviter les ruminotions en mointenont leur esprit dons l ' instont présent(sensotions corporel les, respirot ion, sons environnonts). Peu à peu, cet opprentis-soge permet d'observer ses propres pensées négotives ovec dovontoge de recu.,de moins se foire < piéger , por elles et de pouvoir les < contester n, comme donslo psychothéropie cognit ive, à loquelle lo méditot ion de pleine conscience estsouvenf ossociée.

et I'immobilité, tandis que le spleen ne nous empêchepas forcément de continuer d'agir.

Nos états d'âme sont ainsi des sortes de cousinsévolués et civilisés de nos émotions, restées, elles,plus antiques et plus rustiques : ils sont pour ainsidire des émotions subtiles, par opposition auxgrandes émotions élémentaires, dites < primaires >.

Or toutes les études montrent que notre vieémotionnelle se déroule à un niveau émotionnelplus souvent discret qu'intense : sous forme d'étatsd'âme plus que d'émotions fortes. Les travaux surle recueil de nos états intérieurs suggèrent aussi- bonne nouvelle - que les états d'âme positifssont plus fréquents que les négatifs (alors que lagamme des émotions négatives est plus large) :environ 75 pour cent des états d'âme sont plutôtpositifs et 25 pour cent plutôt négatifs (sur untotal de 17 000 ( prélèvements > d'états d'âme ins-tantanés), si I'on se fie aux études du psychologueaméricain David Watson. Ce dernier a demandé àdes volontaires de vaquer à leurs activités quoti-diennes en se contentant de noter leurs états d'âmede l'instant quand une petite alarme retentissaitdans leur poche. Il a constaté, en collectant cesmilliers de rapports d'états d'âme, que la trame de

( Nous passons peu de temps sousl'emprise de fortes cofères, maisbeaucoup sous cefle de I'agacement. D

nos journées consiste en un climat émotionnelassez tempéré, plutôt complexe et mélangé. Nouspassons peu de temps, finalement, sous I'emprisede fortes colères, et beaucoup plus sous celle denos agacements. Plus de temps avec du vague-à-l'âme que du vrai désespoir. Plus de temps avec despetits tracas que de grosses crises d'angoisse...

Il existe une activité automatique de notre cer-veau, lorsque nous ne nous en ( servons ) pasvolontairement, lorsque nous sommes o dans lalune >. Cette activité cérébrale < par défaut >, pro-bablement associée à nos états d'âme. semble mobi-

liser préférentiellement certaines régions céré-brales, telles que le cortex cingulaire postérieur(une des régions corticales les plus anciennes et laplus connectée au < cerveau émotionnel > lim-bique) et le cortex préfrontal médian (une zoneassociée, entre autres, à la conscience de soi). Lesétats d'âme sont une forme d'expression de laconscience de soi. Et c'est sans doute pour celaqu'ils entretiennent un lien étroit avec notre senti-ment d'identité : à travers eux, nous ne réagissonspas seulement à l'événement qui les a déclenchés,mais à ce que cet événement signifie au regard denotre vie. Il y a ainsi une mise en perspective, uneinscription dans notre identité, dans notre biogra-phie : mes états d'âme me rappellent, parfois vigou-reusement, ce que tel événement signifie pour moi,en fonction des événements qui m'ont construit.

D'où I'importance de la mémoire dans les étatsd'âme. Il y a dans notre passé des empreintesprêtes à resurgir : les souvenirs personnels (c'est lamémoire dite autobiographique) sont des < objetsmentaux > complexes, stockés dans les réseauxcérébraux sous forme d'états d'âme. Les fulgu-rances du souvenir immortalisées par Proust ensont typiques : quelque chose de confus émerge, etpeu à peu se révèle être un mélange de contenuscomplexes (sensoriels, émotionnels, psycholo-giques...). Les états d'âme font que I 'on se sou-vient de moments discrets, anonymes dans nosbiographies, à I'ombre des grands souvenirs, desgrands moments mémorables. Ces instants sonttout aussi révélateurs et essentiels pour tisser latrame de ce qu'a été notre existence.

À la rencontre de ses états d'âme< Je sais ce que vous allez me dire. Il faut rentrer

en vous-même... Je suis rentré en moi-même plu-sieurs fois. Seulement, voilà, il n'y avait personne.Alors, au bout d'un moment, j'ai eu peur et je suisressorti faire du bruit dehors pour me rassurer... )(Jean Anouilh , La Valse des toréadors). Pas facile deprendre conscience de ce qui se passe en soi ! Pire :Ia plupart d'entre nous fuient leurs états d'âmedésagréables (dans I'action, la distraction ou laconsommation de diverses substances). Ainsi, quefaisons-nous lorsque nous venons de nous dispu-ter avec quelqu'un ? Nous nous précipitons sur letéléphone pour nous épancher auprès d'uneoreille compatissante qui, n'ayant pas assisté à Iascène, abondera dans notre sens. Puis nous nousremettons à notre tâche en ruminant. Que faisons-nous si nous bloquons à un moment dans notretravail ? Nous nous agaçons, puis nous nous levons

l. Les romantiques oimoienl sonder leurs étotsd'ôme, cultivonl méloncolie, nostolgie, rêveries et

outres longueurs. Ce tobleou de Cospor Dovid Friedrich,Le voyogeur contemplont une mer de nuoges ( 1 8 1 8)

hoduil l'éternel voyoge intérieur des poètes,peinkes et musiciens de cette époque.

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Bibliographie

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A. Damasio, Le sentimentmême de soi, OdileJocob, 1999.

pour nous changer les idées, nous regardons nosmessages électroniques ou nous sortons prendreun café ou pire, fumer une cigarette.

En agissant ainsi, nous ne faisons que fuir nos étatsd'âme au lieu de les accueillir et de les examiner.Pourquoi, dans de tels instants, ne prenons-nous pasle temps de respirer profondément, de nous étirer etde nous dire : < Que se passe-t-il en moi ? Qu est-cequi ne va pas ? Pourquoi cet inconfort ? Que dois-jeaccepter et que puis-je changer ? > Puis nous passe-rions à autre chose et nous verrions si les états d'âmedésagréables reviennent, car peut-être le travail d'in-trospection et de pacification reste-t-il à approfondir.Prendre le temps d'y réfléchir waiment, maintenantou plus tard, avec I'esprit clair.

[a rumination:les états d âmes circulaires

Les thérapeutes recommandent d'ailleurs deprendre I'habitude de se poser ces questions plu-sieurs fois dans la journée, de prendre la températu-re de ses propres états d'âme aussi régulièrement quepossible. Sans cette < gymnastique douce de I'es-prit >, nous risquons de naviguer en permanenceentre deux écueils : nous noyer dans nos états d'âme(la rumination) ou refuser de nous y pencher (lafuite, qui est ici une fuite de soi). Alors que, commetoujours, la voie à suivre est celle du milieu: uneintrospection tranquille, mais consciente de seslimites. C'est pourquoi de nombreux thérapeutesencouragent leurs patients à noter leurs états d'âme :il en résulte de multiples bénéfices thérapeutiques,démontrés par diverses études, qui vont de I'amélio-

ration de la santé physique à la diminution des étatsd'âme négatifs. Autre avantage de l'écriture de soi:elle limite les ruminations, la principale < maladie ,des états d'âme...

Ruminer, c'est < se focaliser, de façon répétée, cir-culaire, stérile, sur Ies causes, les significations et lesconséquences de ses problèmes, de sa situation, deson état >, c'est s'enliser dans des < pourquoi > flouset sans fin... Les Anglais utilisent aussi le terme broo-ding, du verbe brood, qui signifie ( couver ).Effectivement, dans la rumination, on reste inactif,assis sur ses problèmes que I'on garde bien auchaud, sous soi, en les laissant se développer.

Les états d'âme de la rumination ne contiennentque des longues chaînes de demi-pensées, penséesinachevées, bribes de pensées, qui ne s'accomplis-sent pas, ne vont pas jusqu'à leur terme, car elless'arrêtent à la porte de toute décision éventuelle :un véritable cogitatus interruptus ! Qui n'a jamaisconnu ces ruminations, quand on se répète qu'onn'aurait pas dtr agir comme ceci ou comme cela, auIieu de prendre des décisions pour changer le coursde son destin ? Ou encore, quand on doute de soiau moment de passer à I'action, et que I'on se rap-pelle toutes les fois où I'on a échoué pour des rai-sons mal identifiées, mais qui empêchent de pous-ser I'action et la réflexion présentes à leur terme ?

La rumination est sans objectif précis: elle n'adonc pas de fin. Les états d'âme y sont perpétuelle-ment reryclés, n'évoluent pas et reviennent sansarrêt au même point de départ. Un des éléments quiexpliquent la difficulté à mettre fin aux ruminations,c'est qu'en I'absence de but précis et conscient(< trouver une solution, mais ne pas trop m'épuiserni me faire de mal avec ce problème >), elles ont ten-dance à prendre I'état émotionnel comme un indicefiable de I'existence d'un problème: < Si j'ai peuac'est qu il y a un danger ; si je suis triste, c'est qu il ya un malheur; si je suis inquiet, c'est qu'il y a desennuis qui arrivent... > Or, dans la rumination, lesétats d'âme négatifs deviennent chroniques, et leurdimension émotionnelle persiste longtemps après ladisparition des éventuels problèmes (si tant est qu'ilsaient jamais existé). Si nous n'y prenons garde, nousserons piégés et prisonniers de nos ruminations jus-qu à ce que l'épuisement, un événement intrusif oul'usure du temps nous en arrache...

Ouand l'état d'âmeempê€he l?ction

Il a été établi que, dans les cas de rumination, lapersonne se focalise sur un problème et ses consé-quences, mais pas sur les solutions possibles à ima-giner ou à mettre en æuvre : erreur de ciblage,erreur d'aiguillage. On perd un temps infini à rumi-ner sur les causes éventuelles de la maladie au lieude chercher des remèdes. D'où I'aggravation deséventuels ennuis, qui pourra justifier que I'on sedise ensuite: < )e sentais bien que j'avais raison deme faire du souci ! > Ainsi. lors d'une étude condui-

État d'âme ou émotion ?

/^\ uelles sont les principales différences entre états d'âme et émotions prllr.-l maires ? Les états d'âme sont plus durables et moins intenses, maisinfluents : ils ont la force de ce qui est faible et discret, mais aussi la ténacité(telle une petite culpabilité qui peut nous gâcher une journée...1. Et surtout,ils ont un impact plus global, car ils n'existent pas seulement en réponse àune situation donnée lcelle qui déclenche une émotion forte), mais ils sonten rapport avec tout notre lien au monde. Les émotions sont en général une( réponse r à quelque chose qui nous ( arrive D ; les états d?me pas tou-jours, comme l'a montré le psychologue Nico Frijda, de l'UniversitédAmsterdam ; ils peuvent être autoproduits. Les émotions radicalisent et sim-plifient notre perception des événements, les états d'âme la compliquent,mais, en contrepartie, la rendent plus subtile. Les émotions sont des ( agitateurssociaux r, qui modifient notre relation aux autres et au monde. Au contraire,les états d'âme sont plutôt des ( agitateurs internes r, qui modifient notre raÈport à nous-même et notre vision du monde (ce qui peut, aussi, nous pous-ser à changef mais plus lentementl. Les émotions nous poussent plutôt versl'action extérieure et les états d'âme d'abord vers la réflexion intérieure.

Les états d'âme peuvent persévérer dans le sillage des émotions fortes,comme une traîne (l'état dans lequel nous sommes après une grande joie ouune grande déception). Et ils peuvent aussi représenter le terrain qui les faci-lite : la morosité facilitant les coups de cafard et de tristesse, le ressentimentpréparant les flambées de colère, la panique explosant sur fond d'anxiété.Nuées avant I'orage, puis ciels de traîne...

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te auprès de femmes ayant un cancer du sein, les< ruminatrices > étaient venues consulter en moyen-ne deux mois après les < non-ruminatrices >. Ellespensaient tout le temps à la boule qu'elles avaientsenti dans le sein, mais n'allaient pas pour autantconsulter, et continuaient juste à se faire du souci.

Le rôle psychotoxique des ruminations com-mence à être largement mis en évidence dans denombreuses pathologies psychiques, telles ladépression, I'anxiété, la boulimie, les addictions.

C'est pourquoi les réflexions sur les états d'âmeintéressent les psychothérapeutes, dans la mesureoù les capacités de régulation de ces fluctuationspsychologiques discrètes pourraient bien êtreimpliquées dans la prévention des rechutes dépres-sives et anxieuses. Certains travaux tendent à mon-trer que I'amorçage répété d'états d'âme négatifs(et leur rumination) à partir d'événements de vieanodins pourrait être annonciateur de rechutesdans le cadre de la dépression. Et d'autres suggèrentqu'une meilleure perception et une régulation plusefficace de ces états d'âme par des techniques depsychothérapie, par exemple la thérapie cognitiveassociée à la méditation de pleine conscience, dimi-nueraient le risque de ces récurrences. Cette tech-nique permet notamment d'apprendre au patient àéviter les ruminations (voir I'encadré page 20).

Le but de ces approches psychothérapeutiquesn'est pas de supprimer les états d'âme, mais d'enlimiter les dérapages. Ne pas avoir d'états d'âmereviendrait à mettre son humanité entre paren-thèses. Méfions-nous de ceux qui déclarent ( ne pasavoir d'états d'âme > ! D'ailleurs, c'est impossible.

Tout juste peut-on les réprimer, les dissimuler,les refuser. Mais on dénie alors sa propre humani-

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té, en se privant de ce qu'elle nous apporte peut-être de meilleur : l'intériorité. Là encore, les poètes,écrivains et philosophes nous ont montré la voie.Tout au long de ses célèbres Lettres à un jeune poète,Rainer-Maria Rilke aborde magnifiquement le rôleprécieux, vital même à ses yeux, que nos étatsd'âme peuvent jouer dans nos existences. Dans laHuitième Lettre, il parle à son jeune correspondantde la tristesse: < Si notre regard portait au-delà deslimites de la connaissance, et même plus loin que lehalo de nos pressentiments, peut-être recueille-rions-nous avec plus de confiance encore nos tris-tesses que nos joies. [. . .] De grâce, demandez-voussi ces grandes tristesses n'ont pas traversé le pro-fond de vous-même, si elles n'ont pas changé beau-coup de choses en vous, si quelque point de votreêtre ne s'y est pas profondément transformé. >

[a moisson des instants heureuxNos efforts vers davantage d'équilibre intérieur

nécessitent donc acceptation et discernementenvers nos états d'âme négatifs. Mais aussi attentionet efforts envers les positifs : les études sur Ie senti-ment d'avoir une vie heureuse montrent que ce sen-timent est lié à une fiéquence et à une répétition depetits états d'âme agréables, à des bouffées de< petits bonheurs >, plutôt qu'à de grands mouve-ments émotionnels, de forts moments de succès oud'accomplissement. C'est le tissu de nos instants debonne humeur qui compose la trame de notre bon-heur: moment passé avec un proche, balade dansun bel endroit, lecture stimulante, musique quinous touche... IJapprentissage de la sérénité passe

2. Les états d'âmes'orgonisenl outour de

cinq émotions vives : lopeur, le dégoût, lo colère,

lo histesse et lo joie.l ls puisent leur énergiede l'émotion cenlrole.

mois s'éiendentet se propogent comme

des ronds dons l 'eou.lls ont un ospect diffus. Au

confluenl des orondesémotions opporoissentdes sentimenls mixtes,

telles l'envie, l'oversionou lo nostolgie.

Iainsi par I'accueil de tous nos états d'âme !

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