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« Harmonie du soir » de Baudelaire dans Les Fleurs du mal Introduction : -présentation du poème : Dans ce poème le thème de la fleur-poème réapparaît mais acquiert une valeur positive contrairement au titre même du recueil de Baudelaire. Ici la fleur, produit exquis de la nature, métaphore de la femme semble le lieu privilégié des correspondances verticales : entre la terre et le ciel. Ce poème par sa forme poétique orientale faite de retours de mots et de sons devient propre à susciter d'abord un envoûtement puis un dépassement des sensations physiques au profit d'un souvenir. -Pbmatique : Comment le poète utilise-t-il la forme régulière et répétitive du pantoum pour suggérer la transformation des sensations en souvenir spiritualisé ? I. Une forme particulière A- forme fixe orientale : 1- Ses origines : le pantoum La forme fixe du pantoum, ou plus exactement pantoun, Cette forme est arrivée en France avec Hugo " Les orientales " et elle est définie par Théodore de Banville (proche ami de Baudelaire et de Gautier / parnassien) dans son Petit traité de Poésie Française. 2- Ses caractéristiques formelles : a)Le pantoun consiste en une suite de quatrains (d'octosyllabes ou de décasyllabes - le même mètre est conservé dans tout le poème.) où s'appliquent deux systèmes de reprises : le deuxième et le quatrième vers de chaque strophe sont repris respectivement comme premier et troisième vers de la strophe suivante, le tout dernier vers du poème reprend le premier. b)L'alternance des rimes masculines et féminines impose un nombre de quatrains pair . Le nombre de quatrains est illimité, mais doit être supérieur à six. Cette forme permet de donner au poème une musicalité particulière très typée. c)La particularité vraiment originale du pantoum réside dans le sens : il développe dans chaque strophe, tout au long du poème, deux idées différentes : La première idée, contenue dans les deux premiers vers de chaque strophe, est généralement extérieure et pittoresque. La deuxième idée, contenue dans les deux derniers vers de chaque strophe, est généralement intime et morale. 3- une forme adaptée utilisation de deux rimes seulement, en " oir " (rime masculine) et " ige " (rime féminine), ce qui crée, avec la complicité des rimes embrassées, un sentiment d’harmonie et de régularité. B- « Harmonie du soir », un faux pantoum : très irrégulier, il déroge aux règles sur bien des points fondamentaux : 1. - il ne développe qu'un seul thème ; 2. - il est en alexandrins ; 3. - les rimes des quatrains sont croisées et non embrassées; 4. - il ne possède que deux rimes, une rime féminine et une rime masculine ; 5. - il ne possède que quatre strophes ; 6. - son dernier vers diffère du premier. En fait seule la reprise des vers apparente ce poème aux pantoums. Baudelaire lui-même ne l'a jamais qualifié de pantoum. Mais cette reprise est très signifiante car les vers repris n’ont pas la même signification selon leur place dans le poème. II. Vertige des sens et des sensations A- le vertige

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« Harmonie du soir » de Baudelaire dans Les Fleurs du mal

Introduction :

-présentation du poème : Dans ce poème le thème de la fleur-poème réapparaît mais acquiert une valeur positive contrairement au titre même du recueil de Baudelaire. Ici la fleur, produit exquis de la nature, métaphore de la femme semble le lieu privilégié des correspondances verticales : entre la terre et le ciel. Ce poème par sa forme poétique orientale faite de retours de mots et de sons devient propre à susciter d'abord un envoûtement puis un dépassement des sensations physiques au profit d'un souvenir.

-Pbmatique : Comment le poète utilise-t-il la forme régulière et répétitive du pantoum pour suggérer la transformation des sensations en souvenir spiritualisé ?

I. Une forme particulière

A- forme fixe orientale :

1- Ses origines : le pantoum La forme fixe du pantoum, ou plus exactement pantoun, Cette forme est arrivée en France avec Hugo " Les orientales " et elle est définie par Théodore de Banville (proche ami de Baudelaire et de Gautier / parnassien) dans son Petit traité de Poésie Française.

2- Ses caractéristiques formelles :

a)Le pantoun consiste en une suite de quatrains (d'octosyllabes ou de décasyllabes - le même mètre est conservé dans tout le poème.) où s'appliquent deux systèmes de reprises :

• le deuxième et le quatrième vers de chaque strophe sont repris respectivement comme premier et troisième vers de la strophe suivante,

• le tout dernier vers du poème reprend le premier.

b)L'alternance des rimes masculines et féminines impose un nombre de quatrains pair. Le nombre de quatrains est illimité, mais doit être supérieur à six.

Cette forme permet de donner au poème une musicalité particulière très typée.

c)La particularité vraiment originale du pantoum réside dans le sens : il développe dans chaque strophe, tout au long du poème, deux idées différentes :

• La première idée, contenue dans les deux premiers vers de chaque strophe, est généralement extérieure et pittoresque.

• La deuxième idée, contenue dans les deux derniers vers de chaque strophe, est généralement intime et morale.

3- une forme adaptée

utilisation de deux rimes seulement, en " oir " (rime masculine) et " ige " (rime féminine), ce qui crée, avec la complicité des rimes embrassées, un sentiment d’harmonie et de régularité.

B- « Harmonie du soir », un faux pantoum : très irrégulier, il déroge aux règles sur bien des points fondamentaux :

1. - il ne développe qu'un seul thème ; 2. - il est en alexandrins ; 3. - les rimes des quatrains sont croisées et non embrassées; 4. - il ne possède que deux rimes, une rime féminine et une rime masculine ; 5. - il ne possède que quatre strophes ; 6. - son dernier vers diffère du premier.

En fait seule la reprise des vers apparente ce poème aux pantoums. Baudelaire lui-même ne l'a jamais qualifié de pantoum. Mais cette reprise est très signifiante car les vers repris n’ont pas la même signification selon leur place dans le poème.

II. Vertige des sens et des sensations

A- le vertige

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1-La reprise des mêmes rimes en -oir et en -ige crée un effet lancinant ; au-delà de l’harmonie, le poème devient une sorte de tourbillon d’images et de sensations, ce qui est exprimé par les vers 3 et 4.

2- De nombreuses assonances et allitérations.

B- les différents sens

1-la vue : « fleur » " beau " ; " luit comme un " / « ciel » / « soleil » / « lumineux »/ « reposoir »/ « noir »/ « dans son sang qui se fige », métaphore pour désigner un moment précis du coucher de soleil =On a l’impression que Baudelaire peint un tableau.

2-l’odorat : " s’évaporer " ; " encensoir " ; " parfums tournent dans l'air »

3-l’ouïe : " valse " ; " violon frémit "+ ttes les assonances et allitérations+ retours rimiques

Ces diverses sensations se répondent comme dans Correspondances : c’est l’illustration des synesthésies (= correspondances dites horizontales entre les sens). « Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir/ Valse mélancolique et langoureux vertige » = chiasme sonore doublé d’un chiasme syntaxique ( N -adj//adj – N). De plus les mots valse et vertige commencent par un -V et sont proches par le sens, de même « mélancolique » et « langoureux » sont à la fois associés par le sens et par les sonorités, très proches.

C- passage au malaise

1-Ce vertige, agréable au 1er quatrain, tourne à la tristesse au second puis au malaise //que le soir tombe et que le soleil disparaît vers 12 et 15. « du passé lumineux recueille les vestiges »

2-La dualité est toujours présente chez l’auteur : le plaisir des sensations mêlées et l'angoisse de la nuit / du néant, peut-être de la mort // le mouvement de la « valse » des sens ( l'ivresse, la joie) laissela place à l'immobilité « se fige » (de la nuit / de la mort)

III. Le spleen baudelairien

A- le poème raconte le passage beau mais douloureux de la lumière à la nuit grâce à l' antithèse ombre/lumière :

1-La tristesse et l’ombre apparaissent dans le 2nd quatrain : champ lexical de la tristesse : « mélancolique » / « frémit » (personnification du violon) / « afflige » : on a l'impression que le violon pleure / « triste » mais cette tristesse se mue en une angoisse au 3ème quatrain :

dans le vers 10 " néant vaste et noir " : quasi paronymie de néant et noir

2- Le coucher du soleil est associé à l'idée de mort violente « Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige » // personnification du soleil, métaphore du Christ sacrifié ? Allitération en -S

3-la lumière est associée au passé " passé lumineux " et au souvenir " ton souvenir [...] luit "

Pour le poète, inutile de vivre le présent, englouti dans les ténèbres.

B- une dimension religieuse

1- Le poète se fit prophète : " voici venir le temps où " est une injonction biblique, prophétique

2- La nature est le lieu du sacré :

-« chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir » : le parfum de la fleur est comparé à celui de l'encens, censé élever vers le ciel, le spirituel

- « Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir »

3- Dimension sacrée du sentiment amoureux : champ lexical " ostensoir " " reposoir " " encensoir " permettent de donner une dimension religieuse au texte. « Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir » : autre comparaison qui associe le souvenir de la femme aimée avec l'adoration due au Christ lui même à travers l'eucharistie. La femme est donc adorée au même titre que Dieu lui même.

Conclusion

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Dans « Harmonie du soir », on observe une triple évolution :

-temporelle, du crépuscule à la nuit- spatiale, du mouvement à l’immobilité- affective, avec le passage de la perception agréable à la souffrance, puis au souvenir de la femme aimée.

La liste des consonnes labiales :

• [p] de "pas" ou "appel" • [b] de "bas" ou "hibou" • [m] de "ma" ou "amas " • [f] de "fa" ou "affaire " • [v] de "vit" ou "avis"