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« Intelligence économique et développement territorial », Philippe CLERC, Directeur de l’intelligence économique, de l innovation et des TIC à l’ Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie et Président de l’Association Française pour le développement de l intelligence économique Ce texte correspond à une intervention faite dans le cadre des Rencontres internationales de TETOUAN (25-26-27 novembre 2004) et sous le thème « Expérimentations et dynamiques locales: expérience comparées »

Introduction Nous introduirons notre réflexion par un propos préalable sur l’évolution des concepts de territoire et de stratégie pour tenter de penser le développement « autrement ». Fort de ces rappels et la grille de lecture qui devrait en surgir, nous relaterons de façon critique les expériences françaises et canadiennes concernant des stratégies de développement territorial basées sur l’intelligence économique ou la naissance de politiques d’intelligence territoriale. Nous regarderons également, dans ce cadre, comment des universités Indonésienne et Française, ont coopéré pour former des étudiants et des experts à la pratique des méthodologies de l’intelligence économique et organiser leur intervention dans le cadre de programmes de développement de territoires émergents. En toute humilité, cette présentation constitue ma perception personnelle d’expériences d’intelligence économique appliquées au développement territorial en France et à l’étranger. Elle doit être lue comme un retour d’expérience et comme le résultat d’échanges développés avec des chefs d’entreprises, mes collègues des Chambres de commerce et d’industrie, des animateurs régionaux et des experts français et étrangers. Je parle de perception personnelle, parce que nous ne disposons pas à ce jour d’évaluation globale des expériences conduites en matière d’intelligence territoriale depuis les années 901. D’où le formidable intérêt du colloque de Tétouan, qui convoque le regard des experts de l’université sur ces expériences novatrices récentes ou en cours. I - Le territoire et la stratégie L’intelligence économique est une démarche qui accompagne, structure, guide et irrigue la pensée et l’action stratégique. Il nous semble alors important de préciser notre approche. Avec d’autres, nous considérons que le territoire est un acteur collectif, porteur de projets et de stratégie de développement. L’intelligence économique apparaît bien comme une activité structurante et efficace de ce type de stratégie entre compétitivité et développement durable. La compétitivité se compose de la compétitivité coût et hors coût. La première composante intègre les ressources, le capital et la main d’œuvre. La seconde mobilise le capital immatériel, tel que les compétences, les savoir faire technologique, industriels et de services des entreprises, mais aussi organisationnels et plus largement les réseaux de ressources immatérielles – expertises, information, réseaux de diffusion technologique, centre de R&D, centres techniques, CCI, écoles, formation et universités. Concernant les territoires, il convient d’aller plus loin dans ce répertoire

1 Une première « évaluation » a été produite par Pierrette Bergeron, professeure à l’université de Montréal, en 2000 dans son ouvrage « Veille stratégique et PME. Comparaison des politiques gouvernementales de soutien », Presse de l’Université du Québec, Québec, 2000, 433 p.

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et inclure la culture du territoire et son histoire. Celle-ci devient un actif fédérant les diasporas des habitants de tel ou tel territoire, résidants à l’étranger. Cet environnement « d’excellence » et ce capital social deviennent des leviers dans la concurrence à l’attractivité que se livrent les territoires, mais aussi dans l’ajustement des coopérations. Ils constituent par la qualité de leurs composants des avantages comparatifs, essentiels à l’appréciation de la compétitivité de tel ou tel territoire. Dès lors, la compétitivité des acteurs publics et privée s’évalue dans les stratégies de type collectif, par le chiffre d’affaires, mais surtout dans la capacité d’influence et donc la puissance de marché. Comment, pour le territoire, obtenir et maintenir son avantage concurrentiel, sa puissance concurrentielle ? L’avantage est à rechercher dans « l’intimité » du tissu productif local. Un constat paradoxal et trois facteurs au moins nous apparaissent essentiels pour l’appréhender. 1 - Nouveau paradigme concurrentiel Selon le paradoxe, l’accès efficace aux marchés du monde, pour une entreprise, s’effectue grâce à un ancrage territorial fort dans des réseaux de ressources et d’excellence. En effet, le mouvement contemporain de mondialisation fait redécouvrir aux analystes le paradoxe de l’importance de la localisation et de la territorialisation des activités dans une économie globalisée2. Les trois facteurs. Le premier correspond à de nouvelles formes d’organisations spatiales de production : les grappes industrielles, les systèmes productifs locaux français, les clusters anglo-saxons ou japonais, les districts industriels italiens. Ces organisations se développent, imbriqués et dynamisés dans des réseaux d’excellences et d’appui (Business Links anglais, Réseaux de diffusion technologiques et réseau consulaire en France3) Le second facteur correspond à de nouvelles formes d’affrontement concurrentiel qui résultent des formes d’organisation précédentes et se développent entre entreprises, entre systèmes d’intelligence économique régionaux ou nationaux. Ils sont basés sur :

- les réseaux d’innovation publics privés, les réseaux d’entreprises fondés sur la gestion de la connaissance, l’alerte et l’anticipation4 (alliances à caractère stratégique);

- les réseaux d’influence, qui manoeuvrent pour influencer les marchés en faveur des entreprises, des territoires et des intérêts nationaux ou de blocs économiques (diplomatie économique, déstabilisation, désinformation).

Le troisième facteur consiste dans la valorisation du capital social, dans l’entreprise et dans son environnement (réseaux, détenteurs d’influence…), c’est à dire à l’échelle du territoire. Les experts de l’OCDE5 donne du capital social la définition suivante : « les réseaux, les normes,

2 Dans le rapport de l’OCDE de 1996 sur les réseaux d’entreprises et le développement local, Sergio Arzeni montre que l’accès compétitif aux marchés du monde passe par l’extrême localisation des activités et des dynamiques d’entreprises, en particulier dans les districts industriels que l’économiste Marshall avait identifiés dès le 19e siècle. 3 Philippe Clerc, « Les dispositifs territoriaux d’intelligence économique, Analyse comparée du Japon, du Royaume Uni, du Canada et de la France » Revue Regard sur l’IE, n°1, 2004. 4 Les Chambres de commerce et d’industrie, en Franche-Comté ou à Lyon (WTC) développent des plateformes collaboratives d’intelligence économique qui permettent aux entreprises de mutualiser leurs moyens de surveillance des marches et d ‘action. 5 OCDE, Le capital humain et social dans un processus de croissance et de développement durable » 2001.

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valeurs et convictions communes qui facilitent la coopération au sein de groupe entre eux. » Ils insistent sur les aspects relationnels : « le capital social, qui couvre les différents aspects de la vie sociale – réseaux, normes et relations -, est ce qui permet aux gens d’agir ensemble, de créer des synergies et de forger des partenariats (…) Le capital social est le ciment qui lie les communautés, les organisations, les entreprises et les différents groupes sociaux. » Ici, nous positionnons les réseaux d’information, de relations, les réseaux d’experts, les réseaux d’appui à la recherche, au développement, les savoir-faire individuels et collectifs, comme efficacité sociale au service de la performance globale du territoire. L’approche du développement territorial par le capital social permet de mieux lire les disparités de développement et la diversité des cultures. Il enrichit cette lecture, corrige par un autre regard, l’analyse exclusivement économique et atténue donc le risque d’«hémiplégie cognitive »6 2 - Vers le pilotage de la stratégie par l’intelligence économique Avec d’autres, nous partageons la conception du territoire représentée comme « territoire projet », doté d’une capacité stratégique, partagée par les acteurs locaux et portée par les décideurs. Les économistes de la dynamique des territoires écrivent qu’il « est aujourd’hui pertinent de considérer les territoires ou les pays comme le résultat de processus interactifs de création et non comme un point de départ7 ». Un territoire donc se forme et se déforme. L’important n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il devient. L’intérêt doit donc se porter sur le comportement et les stratégies des acteurs qui le produisent. Cette approche rejoint alors la préoccupation de toute organisation ou collectivité (villes, communautés de communes, régions, départements), engagés dans le développement local : comment donc créer de l’attractivité, de la localisation et du développement ? C’est en répondant par l’action à ces interrogations que les territoires entrent en concurrence ou en coopération, cherchant à valoriser leurs actifs spécifiques (ressources, savoir faire, compétences économiques, technologiques, culturels des entreprises et des organisations, écoles, universités, laboratoires, réseaux d’appui, Chambres de commerce et d’industrie régionales et locales. Pour atteindre de tels objectifs, la mise en place de systèmes d’intelligence économique territoriaux s’impose, pilotés dans le cadre de politiques d’intelligence territoriale. 3 - Qu’appelle-t-on “politique d’intelligence territoriale » ? Une politique d’intelligence territoriale est une politique dont l’objectif est le développement de la compétitivité du territoire à travers l’appui aux entreprises et à l’ensemble des acteurs qui le composent, y compris du champ culturel et social, par l’utilisation des outils et méthodes de l’intelligence économique. Cette politique se décline à travers les finalités suivantes : - produire la connaissance nécessaire à la stratégie des acteurs économiques et sociaux du territoire confrontés à la globalisation des échanges et de la concurrence ; - développer des enseignements d’intelligence économique, afin d’accroître la capacité collective d’interprétation des dynamiques de l’environnement, d’interprétation de la complexité ; - organiser la sécurité du patrimoine des entreprises et des systèmes d’information (sécurité économique) ; 6 Pierre Bourdieu dans son ouvrage « Les structures sociales de l’économie » Seuil, 2001, veut « contribuer à l’intégration ou à « l’hybridation » des disciplines de la sociologique et de l’économique, dramatiquement séparées ». 7 G. Colletis, « D’une perspective d’allocation à une perspective de création de ressources », 1994.

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- développer des stratégies d’influence basées sur l’avantage culturel et compétitif du territoire pour mieux négocier, coopérer ou se battre. II - Trois différentes expériences Nous illustrerons notre propos à travers un regard critique sur trois expériences dans ce domaine : celle de la France, que nous avons intitulé 10 années d’expériences et d’action ; celle du Québec, intitulée « l’erreur à éviter » ; celle de l’Indonésie, enfin ou « l’intelligence économique, levier du développement territorial grâce à la coopération universitaire » 1 - La France ou 10 années d’expériences et d’action En matière de politique publique d’intelligence et de veille stratégique, la France a suivi un long chemin avant de rencontrer l’efficacité interministérielle. Cela s’est traduit par une dynamique en creux après une tentative très intéressante entre 1994 et 1998 et une organisation nouvelle en 2004. En 1995, M. Balladur, Premier ministre, met en place une politique de compétitivité et de sécurité économique s’appuyant en particuliers sur un réseau interministériel. Il s’agissait d’un dispositif d'animation et de coordination de la politique nationale d'intelligence économique autour du Comité pour la compétitivité et la sécurité économique8, regroupant des chefs d’entreprises, des banquiers et un scientifique de renom. Ce Comité était chargé de conseiller le Premier ministre. Une cellule de coordination interministérielle, chargé de la mise en œuvre des orientations stratégiques, est placée au sein de l’administration du Premier ministre. Les premiers schémas régionaux d’intelligence économique se mettrent en place. a) 2003 : un constat et une prise de conscience Deux facteurs sont à l’origine de la décision du gouvernement de mettre en place une politique publique d’intelligence économique, déclinée à l’échelle du territoire : le facteur politique et la pression du marché. En 2003, le Premier ministre confie au député Bernard Carayon, une mission d’évaluation des capacités françaises d’intelligence économique. Le rapport « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale » est publié en 20039. Il atteste du retard que prend la France en matière d’intelligence économique. Dans le même temps, les élites commencent à prendre conscience du déficit de pilotage stratégique des politiques technologiques et faiblesse de l’économie, voire l’absence de système de veille stratégique (intelligence économique) au sein du dispositif de l’Etat. Il s’agit bien du constat d’un recul de la puissance économique et industrielle et le risque de dépendance stratégique dans certains domaines technologiques. Cela signifie clairement qu’il n’existe pas de réelle connaissance des forces et faiblesses par secteur, ni d’état des lieux des actifs technologiques clés (entreprises, savoir-faire, compétences stratégiques), ni même de stratégie partagée, donc pas de système d’alerte. Les enjeux et les menaces sont illisibles. Qu’en est-ils des opportunités ?

8 Remy Pautrat, « L’intelligence économique, un outil stratégique dans la guerre de l’information », in, Europe, quelle Europe ? Revue Version originale n°6. Ph.Clerc, « La compétitivité et la sécurité économique : un enjeu stratégique pour la France », Défense n° 70, IHEDN, décembre 1995. Ph. Clerc, « Economic intelligence: the French Model », Proceedings of the Annual International Conference on « Global Security & Global Competitiveness : Open sources Solution », Washington, 1996. Rapport au Président de la République relatif au décret portant création du comité pour la compétitivité et la sécurité économique, Journal Officiel, 4 avril 1995. 9 Publié à la documentation française, 2003.

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Un signal d’alerte: des fonds d’investissements américains rachètent des entreprises françaises de haute technologie (cartes à puce et cryptologie, Gemplus, piles pour les missiles, Saft…), sans que la menace pourtant bien réelle n’ait été anticipée. La riposte : le Premier ministre décide de lancer une politique nationale de veille stratégique et d’intelligence économique en s’appuyant dans un premier temps, sur le ministère de l’intérieur. En janvier 2004, il nomme un Haut responsable à l’intelligence économique en charge de la coordination interministérielle de la politique (Finances, économie, industrie, recherche, intérieur, affaires étrangère éducation…) Nous croyons savoir que le ministère de la culture en est absent, qui par ailleurs a créé une mission « industries culturelles ». L’organisation : Le Haut responsable anime des groupes de travail interministériels sur des thématiques liés aux enjeux stratégiques, mais aussi à la réglementation de la profession de l’intelligence économique ou au contenu des enseignements. Le réseau des ambassades est mobilisé et dans les régions, les Préfets mettent en place depuis peu des opérations pilotes d’intelligence économique, auxquels sont associées les Chambres de commerce et d’industrie. b) La politique d’intelligence territoriale La politique d’intelligence territoriale s’est construite par phases, pilotées à la fois au national, à la fois sur le terrain. Trois types de programmes et d’actions territorialisés (1995 - 2003) - Les programmes de socialisation de la démarche d’intelligence économique Il s’agit de programmes de sensibilisation et formation des dirigeants et salariés des PME, mais aussi des fonctionnaires et des développeurs. Ils sont essentiels pour diffuser l’apprentissage des méthodes de veille, mais insuffisant au regard de la diffusion de la culture stratégique et de la gouvernance des politiques de développement. - Les programmes à vocation expérimentale. Comment l’intelligence économique s’organise-t-elle dans la PME, avec quels moyens et quels outils ? Quels résultats sont obtenus? Pour être efficaces, ce type de programmes sont à intégrer dans des projets de développement territoriaux plus stratégiques. - Les programmes à vocation stratégique. Ils sont devenu le modèle pour les CCI. Comment développer des clusters industriels en organisant le partage de connaissance entre les entreprises sur leurs métiers, sur leurs marchés et sur l’environnement global ? Comment co-produire l’intelligence collective nécessaire à chaque entreprise, notamment en associant l’organisation professionnelle de telle ou telle filière ?

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Par exemple, la décision collective de l’agglomération du Grand-Lyon, des acteurs du développement économique, dont les CCI et de la profession du textile d’organiser une démarche partagée d’intelligence économique pour le développement des PME de la filière, autour de la création d’une plateforme collaborative d’intelligence économique via internet. L’intelligence économique permet de bâtir un système collectif de détection d’opportunités de marchés et d’alertes. La démarche permet aussi de partager un système de veille sur les tendances de consommation, les brevets et les appels d’offre, une méthode de cartographies d’acteurs, grâce à des outils simples et accessibles. Ainsi ces programmes ont-ils pour objectifs,

- de se doter des capacités suffisantes de surveillance de l’environnement concurrentiel de la filière par échange d’informations et de connaissances;

- d’effectuer de meilleurs choix commerciaux (appels d’offre) ; - d’organiser des actions collectives destinées à influencer le marché en faveur

des entreprises du cluster (normes, marchés, aides…) - de partager les risques liés à l’innovation,

pour s’engager ensemble dans des stratégies gagnantes, en connaissance de cause. La politique d’intelligence territoriale La volonté de la France « d’entrer en stratégie » et donc de se doter de capacités et d’organisations lui permettant, en connaissance de cause, de répondre aux concurrences et de préparer les coopérations nécessaires à son développement, s’exprime particulièrement dans la récente déclinaison territoriale de la politique d’intelligence économique nationale. Cette nouvelle politique est pilotée par le ministère de l’Intérieur s’appuyant sur les préfets de région. Elle est mise en place au moment où, à la fois l’Etat et les Régions, vivent la transformation de leur mode de gouvernance locale à travers la nouvelle décentralisation et font l’apprentissage de nouveaux pouvoirs. En effet, depuis 2004, l’Etat décline sa stratégie en région à travers des PASER (Plan stratégique de l’Etat en région). Par ailleurs, la loi d’août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales confirme que les Régions, qui devront élaborer un Schéma régional de développement économique (SRDE), coordonnent les actions de développement et développent l’attractivité de son territoire. Les politiques et les actions d’intelligence économique sont en train d’être inscrites au cœur de ces dynamiques. Précisons que l’approche française de l’intelligence territoriale s’entend à la fois comme une politique publique d’intelligence économique - déclinée à l’échelle des territoires- un cadre de cohérence en quelque sorte, et comme la démarche mise en œuvre par les décideurs territoriaux pour piloter les stratégies. Elle met en œuvre, au service des stratégies, des outils et des méthodes de recueil, d’interprétation, de distribution et de sécurité de l’information. Elle est structurée, selon les objectifs suivants :

- définir une stratégie concertée de développement économique et technologique du territoire, en s’appuyant sur des diagnostics permanents de forces et faiblesses et des actifs spécifiques.

- Créer une dynamique régionale de coopération, en favorisant le regroupement des services de l’État et des collectivités institutions territoriales autour de projets stratégiques communs.

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- Mettre en œuvre des moyens d’anticipation et de prospective pour les acteurs du développement territorial.

- Élaborer des stratégies d’influence au profit du rayonnement international de la région. Ce dernier objectif caractérise l’intelligence territoriale et la distingue ainsi clairement de ces autres grandes politiques publiques que sont l’aménagement du territoire et d’information économique.

Un dispositif de gouvernance est mis en place pour piloter le schéma stratégique d’intelligence territorial qui, dans chaque région comprend,

- un volet « compétitivité » : une étude du contexte économique et technologique, un diagnostic du dispositif territorial d’appui au développement économique et technologique des PME, un plan d’action.

- Un volet sécurité économique : identification et protection des PME stratégiques, appui

aux entreprise sen matière de protection de leurs savoir faire et de sécurité de leur systèmes d’information, engager des actions entre secteur public et privé sur ce sujet.

II – Les centres de veille concurrentiels du Québec ou “les erreurs à éviter”en matière d’intelligence territoriale En 1994, le gouvernement du Québec décide de lancer, pour cinq années, un programme destiné à « favoriser la diffusion et l’acceptation du concept de veille, ainsi que sa reconnaissance comme apport stratégique » dans les PME10. 14 centres de veille concurrentielle sont ainsi créés. Le cahier des charges comporte une obligation de « veille générique » et d’autofinancement à trois ans. Ces réseaux d’appui et d’excellence avaient pour vocation d’apporter aux PME, secteur par secteur (chimie, environnement, mécanique, etc.) les services suivants : expertise, transferts de technologies, informations, apprentissage de l’utilisation de l’information stratégique et mise en place de démarche de Business Intelligence (BI). a) Résultats en 1999 Les forces de ce programme ont été nombreuses : de l’approche pragmatique en passant par l’acculturation à la veille stratégique comme innovation, à l’introduction d’un outil logiciel de veille piloté aujourd’hui par le Centre de Recherche Industriel du Québec11 (CRIQ). Etrangement, il est noté un bon apprentissage, une bonne diffusion de la démarche dans la sphère publique (gouvernement et autorités locales), alors que l’impact dans les PME est limité. Les experts remarquent au final, que cette politique à permis de développer une meilleure pratique de l’intelligence économique au Québec par rapport à l’ensemble des Provinces du Canada.. Dès lors le ministère de l’Industrie accentue sa politique d’appui et par exemple, diffuse sur le site « ebiz.facile » toute une série de mémos relatifs à la veille concurrentielle, ses méthodes et ses outils ainsi que des grilles d’analyse opérationnelles d’intelligence concurrentielle12. 10 Fond de partenariat sectoriel – Volet IV. 11 http://www.criq.qc.ca/fr/0302_iit/p030207_cvc.html et http://www.vigipro.com 12 « ebiz.facile » sur www.strategis.ic.gc.ca

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b) Les erreurs Malgré tout, la faible performance du dispositif a été rapidement actée, les concepteurs n’ayant pas ancré l’organisation sur la réalité des réseaux locaux (manque de coordination entre les acteurs clés travaillant avec les PME et les experts en veille concurrentielle) et des besoins des tissus industriels localisés. Il n’a pas non plus tenu été compte du fait que l’intelligence économique (ou concurrentielle) est une démarche de management de l’innovation. Le programme a été conçu comme si l’intelligence concurrentielle était un fait acquis. L’approche sectorielle a été déclinée sans cohérence régionale. Enfin, l’absence de lien entre le niveau national de la politique gouvernementale et la déclinaison des politiques industrielles a nui à l’efficacité du système. Il s’agit bien d’un déficit de pilotage stratégique. III - Indonésie ou l’intelligence économique, levier du développement grâce à la coopération universitaire Les mots clés de cette expérience sont les suivants: une coopération universitaire entre la France et l’Indonésie permet de former une diaspora d’étudiants indonésiens formés en France à la veille stratégique et l’intelligence économique. Ils deviennent les relais d’une politique de coopération et de développement, s’appuyant sur des experts de l’université Nord Sulawesi. La problématique de développement est la suivante: comment valoriser par l’innovation, notamment technologique, des productions locales et créer de la valeur ajoutée sur offre, pour aboutir à la génération d’une boucle vertueuse de développement et d’investissement? Le mal indonésien est bien là, dans la faible capacité à créer de la valeur à partir des richesses naturelles produites. Nous présenterons ici des exemples d’intelligence territoriale, croisant dynamique de développement local, prise en compte des réalités culturelles, capacité d’innovation et levier de l’intelligence économique et veille. Il s’agit de deux expériences conduites à la fois dans un district industriel de Manado, capitale du Nord Sulawesi et dans une zone rurale de l’île de Sumatra Nord. a) District industriel de Manado (Nord Sulawesi) Sur le premier territoire, l’action « d’intelligence territoriale » consiste dans une stratégie d’intensification des compétences liées à la maîtrise de l’information et à l’intelligence économique. Deux institutions ont été mobilisées sur la base du savoir faire transféré par le CRRM et les experts français et indonésiens formés aux outils et méthodes français : l’Université UNIMA qui porte l’enseignement de type DEA « veille et intelligence compétitive » et la KAPET, organisme de management du développement territorial. L’objectif est de former un nombre important de cadres pour l’industrie locale, capables d’identifier les problèmes, de poser les bonnes questions, de mobiliser savoir et compétences pour développer des projets et les piloter. Le DEA répond à l’exigence de contenu et la KAPET place et accompagne les étudiants dans les entreprises du district. Bien sûr, il faudra évaluer l’impact à terme de ces transferts, mais déjà la chaîne de valeur formation, entreprise, innovation se profile.

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b)Intelligence territoriale en zone rurale (Sumatra) La seconde expérience s’avère tout à fait intéressante. Il s’agit de diffuser la pratique de l’intelligence économique et de la veille pour développer des activités situées en zones rurales (Toba Samosir, Tapanuli Utara (Sumatra Nord). Sur place, aucun interlocuteur institutionnel apparaît susceptible de porter la dynamique. Ils se lancent alors dans l’identification des productions agricoles et du potentiel artisanal. Ils identifient ainsi les fameuses « productions maisons » (cottage industries) et décident de développer des clusters, reprenant ainsi la politiques lancée dans les années 1980 et abandonnée depuis.

En effet, une analyse du département « Développement des PME » de la Banque Asiatique de Développement13 met en avant les raisons des échecs des clusters : faible lien « marché » rendant inopérante les améliorations techniques par absence de retour financier, articulation déficiente entre le modèle d’affaire et l’amélioration de la performance technique dans les secteurs industriels, faible potentiel d’organisation des entreprises. J’ajouterai – ce qui n’apparaît pas dans l’analyse - la quasi-absence de culture du management de l’information technologique et économique. Sur ce terrain, peu propice à la mise en place de politique sophistiquée de développement l’équipe du CRRM et leurs collègues indonésiens font le pari d’identifier les potentiels technologiques de niches à valoriser par l’innovation (potentiels de certains marchés, analyse de la valeur nutritive de fruits et légumes produits localement et valorisation des productions artisanales tel que l’emballage). L’objectif consiste dans l’apport de valeur ajoutée à l’offre de produits, tout en se basant sur les connaissances tacites des producteurs. Passant progressivement de logiques individuelles à des logiques plus collectives, l’équipe des développeurs souhaite introduire les notions partagées de gestion, d’innovation « produit » et de recherche de marchés grâce aux techniques de gestion de l’information. Conclusion De ces regards, nous retenons les axes suivants pour une stratégie revisitée d’intelligence territoriale. Renforcer « l’influence » et l’attractivité du territoire sur différents échiquiers (interrégional, européen, international) Il convient de définir une stratégie « d’influence » territoriale en réhabilitant la prospective (voir loin et avant) à travers,

- des comparatifs de performance de territoires référents (concurrents, partenaires…), - l’identification sur le territoire, des réseaux clés pour la stratégie, - la mise en place de démarches de diagnostic permanent, - la mise en place de plateformes collaboratives d’intelligence économique pour animer les

communautés de pratique (entreprises, filières, universités, centres techniques, experts…) 13 Asian Development Bank SME Development TA, Policy Discussion Papers 2001/2002, Best Practice in Developing Industry Clusters and Business Networks.

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Accompagner les PME dans leur développement et sécuriser leurs activités Il convient ici de,

- protéger les actifs clés, les savoir faire, les entreprises sensibles et favoriser la croissance, - démultiplier les capacités de surveillance des environnements, - partager la prise de risques dans les projets, - exploiter les retours d’expérience pour mieux guider les choix

La nouvelle stratégie des CCI françaises C’est en comparant ces approches et la nécessité d’entrer dans une connaissance plus intime des dynamiques productives et de concurrence, que le réseau des Chambres de commerce et d’industrie française ont décidé de créer des Observatoires régionaux d’intelligence stratégiques, véritables réseaux de surveillance des marchés, d’alerte, d’analyse et de synthèse, organisés autour de l’animations de communautés d’experts et le développement de systèmes d’information au service de filières. Elle sont ainsi décidé d’opérer une rupture culturelle importante : passer de la culture de l’information économique à une culture d’intelligence économique à travers le pilotage de systèmes territoriaux d’intelligence économique. Illustration pour conclure. La crise de la filière bois est vécue et analysée aujourd’hui dans au moins cinq régions, donc par cinq Chambres régionales (Aquitaine, Champagne-Ardenne, Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté). Des CRCI et des CCI investissent dans des études, des diagnostics, des veilles : dans une région comme la Lorraine, la Région a financé un portail d’intelligence économique – Décilor - qui produit de l’expertise sur le sujet. Après examen, nous avons constaté ni échange, ni mutualisation d’information, d’analyse entre les réseaux consulaires de ces régions. Les Observatoires régionaux d’intelligence stratégiques, avec une organisation nationale de traitement d’alerte, vont avoir la capacité à mettre en synergie et déclencher des expertises partagées, produisent l’intelligence des situations ...et font baisser d’autant les coûts. Cela vaut pour combien de filières en mutation sur combien de territoires ?