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« Protection de la propriété culturelle et circulation des biens culturels - Étude de droit comparé Europe/Asie » Sous la responsabilité scientifique de : Marie Cornu, directrice de recherche au CNRS Synthèse comparative et Rapports nationaux : CHINE FRANCE GRANDE-BRETAGNE SUISSE Recherche financée par : la mission de recherche « Droit et Justice », convention de recherche n° 26.05.12.20 du 12 mai 2006 le GDRI CNRS n° 131 « Droit du patrimoine culturel et droit de l’art » Programme de recherche réalisé par le : Centre d’études sur la coopération juridique internationale (CECOJI) - UMR 6224 - Université de Poitiers/CNRS Septembre 2008

« Protection de la propriété culturelle et circulation des ... · Rapport national – Chine Première partie. Le cadre institutionnel en Chine 78 ... « Patrimoine culturel »

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  • Protection de la proprit culturelle et

    circulation des biens culturels -

    tude de droit compar Europe/Asie

    Sous la responsabilit scientifique de :

    Marie Cornu, directrice de recherche au CNRS

    Synthse comparative etRapports nationaux :

    CHINE

    FRANCE

    GRANDE-BRETAGNE

    SUISSE

    Recherche finance par :

    la mission de recherche Droit et Justice , convention de recherchen 26.05.12.20 du 12 mai 2006

    le GDRI CNRS n 131 Droit du patrimoine culturel et droit de lart

    Programme de recherche ralis par le :

    Centre dtudes sur la coopration juridique internationale(CECOJI) - UMR 6224 - Universit de Poitiers/CNRS

    Septembre 2008

  • 3

    Sommaire gnral*

    Synthse comparative

    Objet de la recherche 11

    Thmes tudis dans la synthse comparative 11

    I Cadre conceptuel, les notions cls 15

    II Sources du droit international et du droit communautaire 32

    1. Le droit international relatif la protection et la circulation internationale des biens culturels : synthse des sources 32

    2. Les rgles de circulation du droit communautaire 38

    III Dontologie et usages professionnels 42

    1. Introduction 42

    2. Les milieux intresss et les sources de production 42

    3. Le corpus des rgles dontologiques 43

    4. Le rle des rgles de conduite et la circulation des biens 48

    5. Conclusion 49

    IV Contrle lexportation des biens culturels 50

    1. Expos de la problmatique 50

    2. Diversit des notions 50

    3. Disparit des systmes de contrle 52

    4. Modalits du contrle et effets 55

    5. Efficacit du systme 57

    6. Propositions conclusives 57

    V Traitement civil et pnal de la circulation illicite des biens culturels 59

    1. Traitement pnal 59

    2. Procdure pnale 62

    3. Le traitement civil 63

    4. Propositions conclusives 64

    VI Autorits de contrle 66

    VII Retour et restitution des biens culturels 68

    1. Remarques pralables 68

    2. Principaux points de discussion 69

    3. Propositions conclusives 71

    VIII Rcapitulatif des remarques conclusives et propositions 72

    1. Au plan international et communautaire 72

    II. Au plan interne 73

    Rapport national Chine

    Premire partie. Le cadre institutionnel en Chine 78

    I. laboration de la rglementation 78

    A. Partage de comptences lgislatives 78

    B. Articulation des comptences lgislatives 78

    II. Autorits comptentes en matire de biens culturels 79

    * Chaque rapport national comporte un sommaire et une table des matires dtaille.

  • 4

    A. Partage de comptences administratives 79

    B. Autorits comptentes de diffrents chelons 80

    III. Principales lgislations nationales et locales en matire de biens culturels 84

    A. Plan national 84

    B. Plan rgional 88

    C. Plan Prfecture 89

    Deuxime partie. Circulation et trafic illicite des biens culturels 91

    I. Partie introductive : les notions cls 91

    Le droit du patrimoine culturel et des biens culturels 91

    Patrimoine culturel et patrimoine culturel appartenant ltat 92

    II. Le contrle des mouvements du patrimoine culturel 93

    A. Rgles de droit international 93

    B. Rgles du droit interne 97

    III. Transactions de biens culturels 105

    A. La prvention du trafic 105

    B. Les sanctions du trafic illicite des biens 110

    C. La pratique des autorits comptentes 113

    IV. Retour et restitution des biens culturels 115

    Annexe 1. Loi sur la protection du patrimoine culturelde la Rpublique populaire de Chine 118

    Annexe 2. Critres de catgorisation des objets du patrimoine culturel 136

    Rapport national France

    Liste des abrviations et des sigles 149

    Premire partie. Cadre de ltude 150

    Titre 1. Le cadre institutionnel 150

    Section 1. Le systme normatif 150

    Section 2. Administration et gestion du patrimoine culturel 151

    Titre 2. Cadre conceptuel : les notions cls 157

    Section 1. Notions de droit commun 157

    Section 2. Notions de droit spcial des biens culturels et uvres dart 165

    Section 3. Les notions du droit pnal 172

    Deuxime partie. Le contrle des mouvements de biens culturels 172

    Titre 1. Sources de droit international 172

    Section 1. Conventions universelles et rgionales 172

    Section 2. Normes uniformes 173

    Titre 2. Rgles de droit communautaire 173

    Titre 3. Rgles de droit interne 174

    Section 1. Protection et mobilit des biens culturels 174

    Section 2. La rglementation de la circulation des biens culturels 190

    Troisime partie. Le traitement du trafic illicite 200

    Titre 1. Les moyens de lutte contre le trafic illicite 200

    Section 1. La prvention du trafic 200

    Section 2. Le traitement du trafic illicite 211

    Titre 2. Les consquences de la lutte contre le trafic illicite : retour et restitutions desbiens culturels 220

  • 5

    Section 1. Le retour des biens sur leur territoire dorigine 220

    Section 2. La restitution des biens culturels vols 223

    Bibliographie slective 234

    Liste des services rencontrs loccasion de cette tude 237

    Annexe 1. Dcret n 93-124 du 29 janvier 1993 relatif aux biens culturels soumis certaines restrictions de circulation 238

    Annexe 2. Lexportation vers les pays tiers et la circulation intracommunautaire desbiens culturels et des trsors nationaux 245

    Rapport national Grande-Bretagne

    Titre 1. Cadre de ltude 259

    Chapitre 1. Le cadre institutionnel relatif llaboration de la rglementation sur lacirculation des biens culturels 259

    Chapitre 2. Cadre conceptuel : les notions cls 265

    Chapitre 3. Dfinition des biens culturels et du patrimoine culturel 275

    Titre 2. Le contrle des mouvements de biens culturels 275

    Chapitre 1. Rgles de droit international 275

    Chapitre 2. Rgles de droit communautaire 281

    Chapitre 3. Rgles de droit interne : protection et mobilit 281

    Titre 3. Le traitement du trafic illicite 288

    Chapitre 1. Les moyens de lutte contre le trafic illicite 289

    Chapitre 2. Les consquences de la lutte contre le trafic illicite : retour et restitution des biensculturels 296

    Conclusion 308

    Annexes 310

    1 - Certificat dexportation 310

    2 - Liste et montant en livres dun certificat dexportation europen 311

    3 - Liste et montant en livres dune licence gnrale dexportation (open general export licence)312

    4 - Tableau rcapitulatif des dcisions du comit dexportation des biens culturels (RCEWA)1997 2007 313

    5 - Spending on acquisitions by major international museums 2004-05 314

    6 - Objets vols dans les muses enregistrs dans lALR (septembre 2006) 315

    Bibliographie 316

    Rapport national - Suisse

    Avant-propos 327

    Principales abrviations 328

    Premire partie Cadre de ltude 330

    Titre 1. Le cadre institutionnel (expos du systme) 330

    Chapitre 1. Le contexte institutionnel relatif llaboration de la rglementation sur lacirculation des biens culturels 330

    Chapitre 2. Les autorits comptentes au niveau fdral et cantonal (rglementation, contrle,intervention) 334

    Titre deuxime. Cadre conceptuel : les notions cls 341

    Chapitre premier. Notions de droit commun 341

    Chapitre 2. Notions du droit spcial des biens culturels 346

    Deuxime partie. Le contrle des mouvements de biens culturels 347

  • 6

    Titre premier. Sources de droit international 347

    Section 1. Gnralits 347

    Section 2. La Convention Unesco 1970 347

    Section 3. La loi fdrale dapplication de la Convention Unesco 1970 (LTBC) 347

    Section 4. La Convention Unidroit 1995 sur les biens culturels vols ouillicitement exports (ci-aprs la Convention Unidroit 1995) 348

    Section 5. La Convention Unesco 1970 et/ou la Convention Unidroit 1995,perspective critique 348

    Section 6. Difficults relatives lintgration de la Convention de lUnesco 1970 et ldiction dune loi dexcution (LTBC) 349

    Section 7. Progrs en gnral ? 350

    Section 8. Accords bilatraux internationaux au sens de lart. 7 LTBC 351

    Section 9. Autres conventions internationales ratifies par la Suisseayant trait aux biens culturels (mobiliers) 351

    Section 10. Autres ratifications de conventions internationales prvuesen matire culturelle 351

    Titre deuxime. Rgles de droit interne 352

    Chapitre 1. Protection et mobilit des biens culturels 352

    Chapitre 2. La rglementation de la circulation des biens culturels 370

    Chapitre 3. Tableau rcapitulatif II 374

    Troisime partie. Le traitement du trafic illicite 376

    Titre premier. Les moyens de lutte contre le trafic illicite 376

    Chapitre 1. La prvention du trafic 376

    Chapitre 2. Le traitement pnal et civil du trafic illicite 390

    Chapitre 3. La pratique des autorits comptentes 402

    Titre 2. Les consquences de la lutte contre le trafic international 403

    Chapitre 1. La jurisprudence rcente du TF en matire de trafic de biens culturels(extrapolations) 403

    Chapitre 2. Le retour des biens sur leur territoire d'origine (exportation illicite) 407

    Chapitre 3. La restitution des biens culturels vols 409

    Chapitre 4. La garantie de restitution 411

    Chapitre 5. Lentraide pnale internationale 412

    Bibliographie 417

  • Protection de la proprit culturelle et

    circulation des biens culturels -

    tude de droit compar Europe/Asie

    Synthse comparative*

    * Les synthses ont t ralises par :

    Marie Cornu : Cadre conceptuel, les notions cls ; Sources du droit communautaire ;Retour et restitution

    Marc-Andr Renold : Sources du droit international : Retour et restitutionManlio Frigo : Dontologie et usages professionnelsRaphal Contel : Contrle lexportation des biens culturelslisabeth Fortis : Traitement civil et pnal de la circulation illicite des biens culturelsJrme Fromageau : Autorits de contrle

  • Synthse comparative

    9

    Sommaire

    Objet de la recherche 11

    Thmes tudis dans la synthse comparative 11

    Cadre conceptuel, les notions cls 11

    Sources du droit international et communautaire et transposition dans lordre interne 12

    Dontologie et usages professionnels 12

    Contrle de la circulation des biens culturels 12

    Ressorts du droit pnal 12

    Identification des uvres 13

    Restitution des biens culturels 13

    quipes et chercheurs partenaires 13

    I Cadre conceptuel, les notions cls 15

    1. Modes et mthodes de catgorisation 15

    2. Droit des biens et protection du patrimoine culturel 25

    3. Remarques conclusives 29

    II Sources du droit international et du droit communautaire 32

    1. Le droit international relatif la protection et la circulation internationale desbiens culturels : synthse des sources 32

    1.1. Les deux principaux traits multilatraux : les Conventions de lUnesco de 1970 etdUnidroit de 1995 32

    1.2. Les traits bilatraux : deux exemples (Chine/Italie et Suisse/Italie) 34

    1.3. Propositions conclusives 38

    2. Les rgles de circulation du droit communautaire 38

    2.1. Libert de circulation et rgime drogatoire des trsors nationaux 38

    2.2. Instruments lgislatifs communautaires encadrant la circulation des biens culturels 39

    2.3. Difficults dapplication et de mise en uvre des textes communautaires 39

    III Dontologie et usages professionnels 42

    1. Introduction 42

    2. Les milieux intresss et les sources de production 42

    3. Le corpus des rgles dontologiques 43

    3.1. Lacquisition et la cession des biens et des collections 43

    3.2. La provenance des biens et des collections 44

    3.3. La conduite professionnelle des associs 46

    3.4 Les sanctions prvues en cas de violation des rgles 47

    4. Le rle des rgles de conduite et la circulation des biens 48

    5. Conclusion 49

    IV Contrle lexportation des biens culturels 50

    1. Expos de la problmatique 50

    2. Diversit des notions 50

    3. Disparit des systmes de contrle 52

    3.1. Les biens et/ou objets culturels interdits de sortie 52

    3.2. Les sorties temporaires des biens et/ou objets interdits de sortie dfinitive 54

    3.3. Les biens et/ou objets culturels soumis autorisation (privs et publiques) 54

    3.4. Absence de contrle limportation 55

    4. Modalits du contrle et effets 55

  • Synthse comparative

    10

    5. Efficacit du systme 57

    6. Propositions conclusives 57

    V Traitement civil et pnal de la circulation illicite des biens culturels 59

    1. Traitement pnal 59

    1.1. Les infractions 59

    1.2. La place de la peine de confiscation 62

    2. Procdure pnale 62

    2.1. Services denqute et de contrle spcialiss ou non 62

    2.2. Restitution pendant la procdure pnale 63

    3. Le traitement civil 63

    4. Propositions conclusives 64

    VI Autorits de contrle 66

    VII Retour et restitution des biens culturels 68

    1. Remarques pralables 68

    2. Principaux points de discussion 69

    2.1. Dtermination du droit applicable 69

    2.2. Contours de la notion de bonne foi 69

    2.3. Question spcifique laction en retour de ltat dorigine, la prise en compte du droitpublic tranger 70

    3. Propositions conclusives 71

    VIII Rcapitulatif des remarques conclusives et propositions 72

    1. Au plan international et communautaire 72

    II. Au plan interne 73

  • 11

    Objet de la recherche

    Face lampleur que prend aujourdhui le trafic illicite de lart, il tait utile dexplorerlventail des moyens mis en uvre par les tats pour combattre ce phnomne, den apprcierlefficacit et dgager les perspectives dvolution des lgislations en la matire. Un certain nom-bre de difficults rsultent des distorsions et diffrences de perception des notions cls et outilspertinents dans la lutte contre le trafic illicite. Lmergence dordres juridiques supranationaux(en particulier lUnion europenne), et ladoption dinstruments internationaux tels que laconvention de 1970 conclue sous les auspices de lUnesco ou plus rcemment la convention Uni-droit sur la restitution des biens culturels vols ou illicitement exports ont favoris certainesconvergences. Mais les droits nationaux conservent de fortes spcificits. Comment imaginer desrapprochements dans la rgulation du march international de lart ? La dmarche sorganise enplusieurs temps, de ltude des concepts, principes, rgles et mthodes leur mise en comparai-son. Quatre pays ont t associs cette recherche : la Chine, le Royaume-Uni, la Suisse et laFrance. Nous envisageons dans un second temps dlargir le cercle de ltude dautre pays, enparticulier les quipes partenaires de notre groupement de recherche international.

    Dans une partie introductive, ont t abords dune part le cadre institutionnel, dautre part lecadre conceptuel, afin dclairer les analyses qui suivent. Du point de vue institutionnel, ont trappels un certain nombre de gnralits permettant de situer, dans un contexte plus large, lecadre dans lequel sinscrivent les dispositifs pertinents en matire de lutte contre le trafic illiciteainsi que les administrations concernes. Laspect conceptuel est ddi la prsentation des no-tions cls et mthodes de dtermination des objets et politiques de protection. la suite de ce d-veloppement gnraliste, les diffrents leviers mobiliss dans la lutte contre le trafic illicite desbiens culturels sont dtaills dans chaque rapport national, selon une mthodologie commune.

    Diffrents leviers sont en concours pour combattre les hypothses de trafic illicite qui relventtantt du contrle des mouvements duvres dart, tantt de la rgulation du march, ou encorede la protection tire du droit des biens culturels, sans oublier les outils du droit pnal et la n-cessaire intervention en mode coopratif de multiples administrations (culture, police, douanes).

    Sur ces diffrents aspects, la dimension internationale est trs importante en raison de lacration dordres juridiques rgionaux ou internationaux qui se sont dots de rgles en matire decirculation des biens culturels (le droit communautaire avec deux instruments pertinents : un r-glement communautaire et une directive sur la restitution des biens culturels, le droit internatio-nal avec les instruments de lUnesco et dUnidroit).

    Cette recherche en droit compar a pour objet de dresser ltat des lieux des diffrents aspectsvoqus. Il sagissait non seulement dexposer ltat du droit en la matire, mais galementdanalyser, dapprcier lutilit, lefficacit des rgles, den prouver les difficults, den identifierles malfaons ou imprcisions. Enfin, le cas chant ont t esquisses les perspectives dvolutionet propositions de sources diverses : la pratique, la doctrine, les institutions, les gouvernements,etc. Aprs cet tat des lieux suit une comparaison des systmes et un ensemble de prconisations.

    Thmes tudis dans la synthse comparative

    Nous avons choisi de concentrer la comparaison non sur lensemble des points voqus dans lesrapports nationaux, mais sur les dispositifs qui nous paraissent intressants mettre en paralllesous une perspective dharmonisation ou de rapprochement des lgislations. Ltude de ces diff-rentes questions est prcde dune prsentation comparative des principaux concepts utiles dansllaboration de rgles destines lutter contre le trafic illicite.

    Cadre conceptuel, les notions clsCette partie a davantage une fonction introductive et explicative relativement aux dveloppe-

    ments qui suivent, orients vers la recherche de solutions communes ou harmonises. Un certainnombre des notions cls tudies tant du ct du droit commun que du droit spcial sont en effetpropres chaque systme, marques de fortes spcificits. Cest par exemple le cas des catgoriesde bien culturel ou autres notions du patrimoine culturel, dune grande varit dans chaque droitinterne, ou encore de la notion de proprit et des classifications des biens. Il nest pas toujours

  • Synthse comparative

    12

    possible ou pertinent de tendre leur rapprochement. Leur tude est cependant utile dans lacomprhension des systmes et des opportunits et perspectives de convergences.

    Sources du droit international et communautaire ettransposition dans lordre interneUn certain nombre de textes internationaux traitent de la restitution des biens culturels et de

    la lutte contre le trafic illicite de biens culturels dans lespace international. Les deux principauxsont la convention de 1970 ratifie par de nombreux tats (elle lest dans lensemble des tatstudis) et la convention Unidroit, outil plus rcent dont la ratification se heurte certaines rsis-tances. Un des premiers points de comparaison porte sur le mode sur lequel les conventions sontintgres par chaque tat, sur la faon dont elles sont incorpores son ordre interne. Plusieursmthodes sont luvre influenant trs directement le droit matriel. En ce qui concerne laconvention Unidroit, seule la Chine a ratifi cet instrument. Mais on observe que mme dans lestats o elle ne lest pas (cest particulirement vrai pour la Suisse), elle exerce tout de mme uneinfluence dans ldification de certaines rgles internes. Limpact de la convention Unidroit peuttre intressant voquer, en particulier sur les standards tels que la notion de diligence ou debonne foi en matire de transaction duvres dart. Le droit communautaire sera galement vo-qu. Quoique seuls deux tats soient directement concerns, on observe que les rgles qui en sontissues exercent une influence sur ldification des normes en matire de circulation des biensculturels.

    Dontologie et usages professionnelsLa dontologie et les usages, source frquemment nglige du droit, peuvent avoir une fonction

    importante dans la mise en uvre des rgles de droit interne et international, en particulier dansla diffusion dusages en matire de transactions duvres dart. On pense naturellement la d-termination du standard de bonne foi ou de diligence et aux rgles de comportement que les orga-nisations professionnelles peuvent imposer leurs membres, par exemple en cas de doute surlorigine de luvre. Ce volet occupe une place trs diffrente selon les systmes. Un certain nom-bre de rgles dontologiques manent dorganisations internationales, rgles qui ont un rel im-pact sur certaines pratiques professionnelles.

    Contrle de la circulation des biens culturelsLes rgles de contrle de la circulation des biens culturels participent videmment aux moyens

    de lutte contre le trafic illicite. Le droit communautaire a uniformis certaines des rgles en ma-tire dexportation destination des pays tiers lunion europenne, mais les tats conservent lapossibilit dadopter des systmes plus stricts. Les tats ont de ce fait des rgles de contrle de lacirculation des biens culturels trs diverses, dispersion qui nest pas sans incidence sur le traficillicite et sur la capacit des tats dorganiser des outils communs indispensables dans uncontexte international.

    Ressorts du droit pnalLe volet pnal est videmment central dans sa double fonction prventive et rpressive (avec

    en particulier les questions du vol et du recel), quil faut complter par ltude des rgles de droitcivil qui influencent la situation du propritaire dpossd et les discussions autour de la notionde bonne foi. Sous la perspective comparatiste, se pose en particulier la question des qualifica-tions et du lien entre les diffrentes atteintes aux biens (entre vol et recel notamment). De nou-velles rgles relatives au blanchiment, moins bien matrises par les acteurs, peuvent galementavoir un impact sensible sur le fonctionnement du march de lart. Un des problmes rcurrentsest celui de la distorsion des notions en matire pnale. En outre, certains droits ont intgr desinfractions spciales en matire de biens culturels (vols duvres dart par exemple), mais la m-thode est loin dtre gnralise.

    Le volet prventif, dingale porte dans les diffrents systmes, peut avoir une grande utilit,notamment les rgles dterminant les obligations professionnelles des diffrents acteurs du mar-ch (vendeurs, intermdiaires). Elles concernent par exemple la question de la vrification delorigine de luvre (obligation de vigilance, dinformation, tenue de registres de police, etc.). De cepoint de vue, il faut tre particulirement attentif au dveloppement des ventes sur Internet quipeuvent faciliter lmergence dun trafic, contexte aujourdhui mal matris dans les droits inter-

  • Synthse comparative

    13

    nes. Quelques tats ont engag une rflexion sur le cadre juridique des ventes en ligne, dolintrt dchanger sur ces questions.

    Identification des uvresCes questions sont troitement lies aux modes didentification des uvres et biens culturels,

    quils soient privs ou publics ainsi que sur les moyens de recensement des biens vols ou illicite-ment exports, au plan interne, dans les tats tudis et au plan international1. Ces aspects quirelvent davantage des outils techniques que du droit sont en ralit fondamentaux danslapplication des textes et doivent tre tudis sous cette perspective. Lexistence de bases de don-nes fiables et largement renseignes permet de consolider les transactions duvres et donc descuriser le march. Compte tenu des travaux dj raliss en ce domaine, la rflexion porte ex-clusivement sur le rle de ces outils dans leffectivit des textes et leur porte juridique, aspectjusqualors peu approfondi. Par exemple, la question du degr de diligence que doit observerlacheteur au moment o il entre en possession dun bien culturel peut tre influenc par la fiabi-lit de bases de donnes, plus gnralement par laccs linformation. Ces instruments sont enoutre un complment indispensable la mise en uvre des conventions internationales.

    Restitution des biens culturelsLes transactions internationales dans le march de lart posent de dlicats problmes sur le

    terrain du droit international priv. Les solutions varient dune place lautre. La question estdautant plus complexe que la balance des intrts entre vritable propritaire et acqureur debonne foi ne se ralise pas dans les mmes termes ici et l. Scurit des transactions donc prime lacqureur ici, faveur la proprit originaire l. Ces distorsions favorisent le march illicite.Do la ncessit de mettre en place des outils de lutte contre le trafic illicite dans lespace inter-national dans les hypothses dimportation, exportation, transferts de proprit de biens cultu-rels. Les deux principaux textes abordant la question de la restitution et ou du retour de ces bienssur leur territoire dorigine2 sont la Convention de 1970 ratifie par de trs nombreux tats (ellelest dans lensemble des pays tudis) et la Convention Unidroit sur la restitution des biensculturels vols et le retour des biens culturels illicitement exports, outil plus rcent qui se heurte certaines rsistances, en particulier du ct du march de lart. Les ncessits duniformisationet dharmonisation sont la fois dans le cadre juridique des transactions en matire duvresdart en droit interne et international mais galement dans le jeu du droit international priv.

    quipes et chercheurs partenaires

    Centre du droit de lart, Universit de GenveMarc Andr Renold, professeurRaphal Contel, doctorant, assitant du Centre du droit de lart

    CECOJI - Universit Poitiers, Universit Paris Sud XIMarie Cornu, directeur de recherche au CNRSJrme Fromageau, doyen de la Facult Jean Monnet, Universit Paris Sud XIVirginie Hagelauer, charge dtudeCaroline Rainette, charge dtudeCatherine Wallaert, ingnieur de recherche au CNRSHai Ying, doctoranteWang Li, doctorante

    1 LUnesco assure notamment la promotion de normes communes de ce point de vue, par exemple objet ID,fiche didentification des uvres labore par le Getty.2 Les terme de restitution est parfois entendu dans un sens large, comprenant galement les hypothses deretour sur le territoire dorigine. Cest le cas de la directive communautaire de 1993, qui, traitant de retourexclusivement sintitule directive sur la restitution des biens culturels ayant quitt illicitement le territoiredun Etat membre. Dans un sens plus technique, la restitution est entendue comme la seule remise du bienentre les mains du vritable propritaire tandis que le retour dsigne laction de faire revenir le bien dansson Etat dorigine, sans ncessairement quinterfre la question de la proprit. Cest cette distinctionquemprunte la convention Unidroit. Sur ces variations terminologiques, voir Wojciech Kowalski, Les di-vers types de demandes de rcupration des biens culturels perdus , Musum international, n 228, Unesco,2005. Sur lanalyse des biens entre restitution et retour, Lyndel V. Prott et Patrick J. OKeefe, Law and theCultural Heritage, vol. 3, Movement, Londres & Edimbourg, Butterworths, 1989, p. 831 et s.

  • Synthse comparative

    14

    Centre de droit pnal compar, Universit Paris X Nanterrelisabeth Fortis, professeur

    Universit du KentSophie Vigneron, matre de confrence

    Centre de protection du patrimoine culturel de PkinHe Shuzhog, prsident du Centre de protection du patrimoine culturel de Pkin,Chef-adjoint, Section Politiques et Lgislations, Bureau National du patrimoine

    Autres chercheurs associsMarie Gor, professeur, Universit Paris 2Manlio Frigo, professeur, Universit dtat de Milan

    GDRI Droit du patrimoine culturel et droit de lart

  • Synthse comparative

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    I Cadre conceptuel, les notions cls

    1. Modes et mthodes de catgorisationOn identifie classiquement plusieurs modes de catgorisation des biens culturels : recours

    des notions synthtiques, renvoi des catgories de biens culturels selon une mthode numra-tive, le cas chant mobilisation de systmes de seuils financiers ou de datation. Ces critres, fr-quemment se combinent lintrieur dun mme droit, dans les ordres interne et international.En loccurrence, les lgislateurs nationaux se sont plus ou moins inspirs des textes internatio-naux et communautaires. Quelle que soit la mthode emprunte, la notion de bien culturel nagure dunit, parfois mme de ralit juridique, du moins dans certains systmes. On observeainsi une dispersion des notions cls en matire de protection des biens culturels. La difficultsexprime tant du ct de lensemble form par le patrimoine culturel que du point de lunit : lanotion de bien culturel. Ce phnomne trouve, en partie, une justification dans lapproche fonc-tionnelle privilgie par les lgislateurs, chaque notion tant spcifiquement dfinie en contem-plation du but poursuivi.

    1.1. Difficult de dgager une notion fdratrice de patrimoine culturelDans le droit chinois, les notions de patrimoine culturel et de bien culturel sont en voie de for-

    mation ou dvolution. La premire a une plus grande ralit dans les textes chinois et renvoieaux patrimoines immobiliers et mobiliers. La notion de bien culturel na en revanche, dans ltatactuel du droit chinois, pas de contenu juridique. Dans la doctrine, le bien culturel dsignerait la fois le patrimoine matriel mais galement le patrimoine immatriel ainsi que la crationcontemporaine. Cette notion serait en ce sens plus large que celle de patrimoine culturel.

    Lors de ladoption du code du patrimoine, le droit franais a introduit la notion de patrimoinejusqualors absente des textes. En vertu de larticle L 1 le patrimoine sentend de lensemble desbiens meubles et immeubles, proprit prive ou publique prsentant un intrt dhistoire, dart,darchologie, de science ou de technique. Cette notion na cependant gure de contenu juridique,pose en ouverture de ce code pour en dlimiter formellement le champ. Il fallait dmarquer cettenotion utile au droit du patrimoine culturel de la notion civiliste. Lapprhension du patrimoineau sens de larticle L 1 est trs tendu si lon se penche sur les diffrent dispositifs contenus dansle Code. Certains des biens culturels ont dj reu protection mais non pas tous. Cest notammentle cas des biens culturels simplement soumis lexigence dun certificat dexportation, catgoriesde biens. Sous une perspective plus resserre, la notion de patrimoine national peut tre vuecomme rassemblant les biens culturels dintrt majeur3.

    Le droit suisse, quant lui, ne distingue pas les deux notions de patrimoine culturel et de bienculturel pareillement dfinis. Au sens de larticle 2. al. 2 de la LTBC : Par patrimoine culturel,on entend les biens culturels qui font partie de lune des catgories prvues larticle 4. De laconvention de lUnesco de 1970 . Celui-ci dfinit le patrimoine culturel comme comportant lesbiens suivants : a) biens culturels ns du gnie individuel ou collectif de ressortissants de ltatconsidr et biens culturels importants pour ltat considr, crs sur le territoire de cet tatpar des ressortissants trangers ou par des apatrides rsidant sur ce territoire ; b) biens culturelstrouvs sur le territoire national ; c) biens culturels acquis par des missions archologiques, eth-nologiques ou de sciences naturelles, avec le consentement des autorits comptentes du paysdorigine de ces biens ; d) biens culturels ayant fait lobjet dchanges librement consentis ; e)biens culturels reus titre gratuit ou achets lgalement avec le consentement des autoritscomptentes du pays dorigine de ces biens.

    3 Sur ce point, voir ci-dessous, la question de lappartenance des biens culturels au patrimoine des tats.

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    1.2. Approches et mthodes multiples Certains des pays tudis, dots de lgislations rcentes, ont en bonne logique, difi leur lgi-

    slation en partant des principales rgles internationales en matire de trafic illicite des biensculturels, en particulier de la Convention de 1970 et de la Convention Unidroit. Cest le cas dessystmes suisse et chinois, dont les notions cl sinspirent plus ou moins directement de ces tex-tes. Linfluence du droit international ne se ralise cependant pas dans les mmes termes, sansdoute plus nette et formellement plus marque dans le droit suisse.

    La LTBC btit en effet son systme autour de la notion de bien culturel directement importede la Convention de 1970, qui combine dfinition synthtique et numration de biens protgs.Pour autant, lapprhension de la notion peut varier en fonction du critre dimportance, critrequi nest pas dune grande vidence4 ou encore du seuil financier. Le droit chinois, tout en incor-porant les catgories de biens culturels tels que dfinis par la Convention de 1970 dans son ordrejuridique, en tant que biens soumis protection, dveloppe galement son propre mode de catgo-risation. Le droit chinois a rcemment modifi en profondeur la loi de 1982 par une loi de 2002,sorte de code des biens culturels qui prcise le rgime des patrimoines culturels immobiliers etmobiliers. La loi numre un certain nombre de biens culturels mobiliers et immobiliers dont lesrgimes peuvent varier en fonction du propritaire, du caractre prcieux des biens, de leur datede production, du type de patrimoine, etc. Les classes de biens du patrimoine culturel protgsdans la loi chinoise sont en conformit avec les conventions internationales, sinon dans la lettre,du moins dans lesprit. En ce sens, le droit international semble davantage tre une sourcedinspiration, un gisement de principes auxquels se conforme la loi interne, que, vritablement,un ensemble de notions et de normes oprationnelles. Cela tant, le rapport chinois fait tat desdifficults de rpertorier les biens culturels chinois partir de lnumration contenue dans laConvention de 1970. Difficults qui font que les acteurs ne ralisent pas toujours quels biens sontvritablement concerns.

    Le droit franais reste plus hermtique au droit international de la culture, en dpit du faitque la France a ratifi un certain nombre doutils internationaux dont la convention de 1970 en1997. Dans la reconnaissance dun intrt culturel et lapprciation des diffrents degrs et for-mes quil prend, le systme franais reste fortement dtermin par la loi sur les monuments his-toriques, premier grand texte donc texte fondateur en la matire. De ce socle, se sont dployesles diffrentes ramifications du droit du patrimoine culturel, avec au cur du systme la notionsynthtique dintrt dart et dhistoire, notion cadre. Lensemble est aujourdhui rassembl ausein du Code du patrimoine. Pour autant, la matire na gure dunit. Le Code compile en effetplusieurs outils de protection, chacun dveloppant ses notions et critres propres sans souci decohsion, dharmonisation ou darticulation.

    Si le droit international na gure pntr les rgles du droit franais, le droit communautairea au contraire trs srieusement influenc la mise en forme des rgles de circulation des biensculturels et tout spcialement sur le mode de catgorisation. Sagissant dun domaine de comp-tences dans lequel les tats ont une trs large autonomie dans la dlimitation de ces rgles, la re-cherche de convergences et ladoption de notions et de rgles trs similaires aux deux textes com-munautaires ne simposaient daucune faon. Le droit franais, rformant son droit peu aprslinstauration du march unique a fait ce choix de se caler en grande partie sur le droit commu-nautaire. En loccurrence, la France est un des rares pays avoir intgr la notion de trsor na-tional dans lordre interne, notion directement issue de larticle 30 UE du trait5. La plupart desautres tats de lunion ont prfr conserver leurs propres catgories de biens culturels. Cest vraipour lItalie, lEspagne, la Grce ou encore lAllemagne.

    La notion juridique de bien culturel nexiste pas dans le droit anglais sinon par le canal dudroit international. Le corpus de rgles de protection est assez peu dvelopp, enrichi cependantrcemment la suite de la ratification de la Convention de 1970 dun texte destin lutter contreles exportations et fouilles illicites6. En outre, certains critres ont t dgags qui permettent desopposer la sortie de biens culturels jugs importants (critres Waverley)7. La mise en uvre deces critres ne concerne cependant que le fait gnrateur de la sortie du territoire.

    4 Voir ci-dessous sur ces variations.5 Article autorisant les mesures de restrictions la circulation des trsors nationaux prsentant un intrtartistique, historique, archologique.6 Sur ce dispositif, voir ci-dessous.7 Sur le dtail de ces critres, voir ci-dessous.

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    1.3. En dnominateur commun,variations autour de limportance des biens culturelsLensemble des systmes considrs introduisent des gradations dans lapprhension de

    lintrt culturel. Les biens peuvent revtir une importance plus ou moins grande pour les tats,circonstance qui module la porte et la nature de la protection.

    La loi chinoise sappuie en grande partie sur le critre li limportance du bien, son carac-tre prcieux. Par exemple, les collections institutionnelles sont divises en deux grandes catgo-ries : le patrimoine culturel prcieux et le patrimoine culturel. Les biens du patrimoine culturelprcieux se subdivisent en trois catgories selon le degr dimportance quils revtent : les objetsemblmatiques reprsentant un intrt historique, artistique ou scientifique particulirementimportant (cat. I), les objets reprsentant un intrt historique, artistique ou scientifique impor-tant (cat. II) et les objets reprsentant un certain intrt historique, artistique ou scientifique(cat. III). Une instruction administrative prcise quels types de biens peuvent tre considrscomme tels et joint une grille dvaluation8. La diffusion de rgles issues de textes internationauxfait que la perception des diffrentes formes dintrt est assez proche du systme continentaldans la rfrence cette notion dintrt culturel et dans ses gradations.

    On retrouve dune certaine faon cette grille de lecture dans le droit franais et dans le droitsuisse. On peut isoler trois degrs dans limportance des biens culturels dans le systme franais :les biens de valeur tout fait exceptionnelle (par exemple qui mettront en mouvement des prro-gatives de puissance publique, seront lobjet dune premption ou dune dation en paiement), lesbiens de grande importance (les biens classs au titre des monuments historiques) ou encore lesbiens dun intrt suffisant dart et dhistoire (les biens inscrits au titre des monuments histori-ques).

    Le droit suisse distingue quant lui les biens qui revtent une importance, notion interprteassez largement, des biens de haute importance qui sont par exemple les biens culturels inscritssur linventaire fdral.

    Dans le droit anglais, le critre dimportance est utilis lorsquest en discussion la sortie dunobjet du territoire.

    Ces variations autour de limportance du bien sont dterminantes dans le rgime applicable enmatire de circulation des biens culturels et de lutte contre le trafic illicite. Le critre est par na-ture gomtrie et contenu variables. La plupart des rapports nationaux soulignent la ncessitden prciser davantage les contours.

    1.4. Approche fonctionnelle de la notion de bien culturel :principales notions cls Dans lexercice de qualification des biens culturels, les critres didentification varient selon les

    risques combattus. On peut isoler deux grandes classes de biens culturels. Quil sagisse de luttercontre le vol des biens culturels ou encore contre la dispersion des lments du patrimoine destats, les notions ne seront pas les mmes non plus que les mthodes de dfinition, premier cueildans la comparaison et, plus fondamentalement, en qute de solutions partages. La mise enplace de rgles visant plus spcialement les infractions pnales telles que le vol ou le recel commi-ses sur des biens culturels est dorigine plus rcente dans les droits nationaux et dans le droit in-ternational. En ce qui concerne le trafic illicite, les textes se sont lorigine surtout concentrs surles hypothses de circulation illicite. Cest tout fait net dans la convention de 19709.

    1.4.1. Notion de bien culturel volLe premier point de divergence concerne la mobilisation dans le droit pnal ou dans le droit ci-

    vil dune notion spcifique de bien culturel vol. Si lensemble des tats admet une telle qualifica-tion, elle est reue ici et l dans des termes trs variables. On distingue plusieurs mthodes. Dansune premire approche, les atteintes au patrimoine culturel sont sanctionnes plus lourdement enprsence de biens culturels prcieux ou distingus par les tats comme ayant une grande impor-tance. Dans une autre approche, la notion de bien culturel est plus largement entendue. Ces deuxfaon dapprhender le vol de biens culturels peuvent coexister en loccurrence dans un mme sys-tme (cest le cas du droit franais ou du droit chinois).

    8 Cette instruction ainsi que la grille dvaluation sont traduites dans le rapport chinois.9 Quand bien mme lhypothse du vol est voque, rgle contenue cependant dans des limites rduisant trssrieusement sa porte.

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    1.4.1.1. Le vol de biens culturels importantsLe droit chinois isole les infractions concernant la spculation sur des biens prcieux ou encore

    protge les collections publiques et objets issus de fouilles lesquels appartiennent ltat. Cestextes assurent la protection de la proprit publique de biens culturels, figure trs courante dansle domaine du patrimoine culturel. De trs nombreux biens sont en effet dclars proprit deltat en vertu de la loi sur le patrimoine culturel de 1982, modifie en 200210. Les responsabilitspnales sont prvues dans la loi de protection sur le patrimoine, donc dans le droit spcial desbiens culturels.

    Ce sont nouveau les biens les plus importants que vise le Code pnal franais trs rcem-ment enrichi dune nouvelle infraction spcialement ddie au vol de biens culturels11. Le Codepnal contenait dj des dispositions en matire de dgradations ou destructions de ces biensmais ignorait jusqualors leur spcificit. Les biens culturels viss sont dune part les objets clas-ss au titre des monuments historiques et archives historiques ainsi que les collections publiqueset collections sous label muse de France, catgories que le code du patrimoine rattache aux tr-sors nationaux (art. L 111-1 du Code du patrimoine) qui peuvent tre entre des mains prives oupubliques. Il sagit l du patrimoine dintrt majeur tel que lidentifie le Code du patrimoine. Letexte vise dautre part tout bien expos, conserv, dpos, mme de faon temporaire par uneinstitution culturelle12. Enfin, est galement passible de ces peines aggraves le vol de patrimoi-nes culturels plus srieusement exposs ces risques : le patrimoine cultuel et les dcouvertes ar-chologiques faites au cours de fouilles ou fortuitement. Latteinte au bien sanctionne ici neprend pas seulement en compte les droits du propritaire de lobjet, mais, plus largement aussi lesdroits de la collectivit, sagissant dlments du patrimoine national. La proprit culturelle nestpas exclusivement une proprit privative. Le droit pnal consacre ici, de faon indite, sa dimen-sion collective.

    1.4.1.2. Le bien culturel vol, notion plus extensiveDans une approche moins slective, certains droits prvoient des rgles spcifiques en cas de

    vol de biens culturels. Cest lapproche privilgie dans la convention Unidroit, qui distingue lesdeux hypothses de vol et dexportation illicite.

    Cest le cas du droit suisse, la nouvelle loi sur le transfert des biens culturels (LTBC) prvoitdes infractions spcifiques aux biens culturels. La notion reste cependant incertaine juridique-ment. Cest vrai, la loi suisse reprend la dfinition de la Convention de 1970 larticle 2. Parbiens culturels, on entend les biens qui, titre religieux ou profane revtent de limportance pourlarchologie, la prhistoire, lhistoire, la littrature, lart ou la science et qui font partie de lunedes catgories prvues larticle 1 de la convention de lUnesco de 1970 . La mention delimportance du bien pourrait engager linterprte vers une lecture restrictive de la notion de bienculturel. Si lon revient la Convention de 1970, en ralit, on saperoit quaucune consigne par-ticulire ou exigence ne dcoule du texte sur ce point, chaque tat dterminant librement le cri-tre donc le degr dimportance. Les messages du Conseil fdral laissent entendre que la notiondoit tre entendue au sens large et de faon souple tenant compte de la communaut laquelleappartient le bien culturel ainsi que du contexte 13. On peut lire encore dans le rapport explicatif

    10 Aux termes de larticle 5 de la loi : La totalit du patrimoine culturel enfoui dans le sol, situ dans leseaux territoriales ou dans le rseau hydrographique national, appartient exclusivement ltat.Les vestiges culturels, tombeaux antiques, Grotte-sanctuaires appartiennent ltat. Les patrimoines cultu-rels immobiliers dsigns par ltat sous sa protection, tels que les monuments commmoratifs, difices an-tiques, inscriptions lapidaires, fresques, btiments modernes ou contemporains de valeur reconnue, appar-tiennent ltat, sauf si dautres rglementations prvoient diffremment.(...)Les patrimoines culturels mobiliers suivant appartiennent ltat :les objets exhums du territoire de la Rpublique Populaire de Chine, sauf les exceptions prvues par ltat ;les patrimoines culturels collects ou conservs par les units de collection publique du patrimoine culturelappartenant ltat, les autres tablissements publics, les armes, ainsi que les entreprises et les collectivi-ts territoriales ;les objets acquis par ltat ;les objets provenant de dons des particuliers, des personnes morales et des autres organismes de ltat ;les autres objets du patrimoine culturel appartenant ltat dsigns par les lois. (...) .11 Loi relative aux archives, 15 juillet 2008, article 34 introduisant notamment dans le Code pnal un nouvelarticle 311-4-2.12 Un muse de France, une bibliothque, un service darchives, une mdiathque, tout lieu dpendant dunepersonne prive ou publique assurant une mission dintrt gnral, un difice affect au culte.13 Le Conseil fdral invite une lecture extensive de la notion dans un message, voir aussi surlinterprtation de la notion de bien culturel, M.A. Renold, P. Gabus, Commentaire LTBC, Schulthess, 2006.

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    de la loi LTBC quen cas de doute, on admettra le caractre culturel dun objet , forme originalede prsomption dintrt14.

    Le droit anglais ne connat pas de dfinition autonome de bien culturel, hors des notions im-portes par le droit international ou le droit communautaire. Dautres catgories sont vises dansles textes, notamment dans la loi anglaise de 2003 qui sanctionne pnalement le trafic des uvresillicitement exportes ou fouilles au sens de la Convention de 1970 (Dealing in Cultural objectsAct 2003). Mme si aucune dcision, pour le moment nest venue prciser la notion, le texte sem-ble galement couvrir un champ trs large. Sont en effet viss tous les objets dintrt historique,architectural ou archologique, indpendamment de tout critre de valeur ou dge.

    Si lon peut concevoir que la notion de bien culturel puisse tre plus largement entendue dansle droit pnal, reste sentendre sur les critres de dlimitation dun bien culturel permettant deles distinguer dautres biens. Une double difficult se prsente dans ltat actuel du droit positif.

    Dune part les notions nationales ne sont pas dune grande clart. Dautre part, chaque droitconserve de fortes spcificits dans les mthodes de dlimitation.

    1.4.1.3. Incertitudes quant la notion de bien culturel et lapproche privilgieLe dploiement de rgles hors du lit du droit spcial du patrimoine culturel pose invitable-

    ment la question de la dfinition. Par exemple, lorsque le droit europen rglemente le mandatdarrt europen et admet des rgles spcifiques aux biens culturels (entre autres biens, concer-nant la drogation la rgle de double incrimination), il suppose dfinie par ailleurs la notion debien culturel. Or, tel nest pas toujours le cas, notamment du fait que la notion de rfrence nestpas dans la plupart des cas celle de bien culturel.

    Il faut alors se dterminer sur lapproche pertinente. Assurment, lensemble des biens cultu-rels dsigns comme tels par les tats sont concerns. Mais quen est-il des biens qui revtent unevaleur culturelle non encore identifie ?

    Dans le droit franais, les trsors nationaux ainsi que les lments du domaine public culturelseront concerns. Mais le code du patrimoine dfinit le patrimoine dans un sens beaucoup plusextensif et les lgislations du droit du patrimoine visent non seulement les biens culturels dont lavaleur est consacre mais galement les biens susceptibles de receler un intrt majeur sans pourautant que cet intrt se soit rvl ou ait t reconnu. On peut par consquent admettre que cesbiens culturels entrent aussi, aux cts des trsors nationaux dans la notion de bien culturel pourlapplication du mandat europen.

    La mthode laisse pourtant de ct lensemble des biens culturels qui natteignent pas lesseuils prescrits sauf ce quils aient t intgrs parmi les trsors nationaux. Sagissant de sanc-tionner des infractions pnales, on peut se demander si lexclusion de ces biens est de bonne poli-tique, notamment en ce quelle se fonde pour partie non sur la valeur culturelle mais sur la valeurconomique du bien.

    La question de la mobilisation du critre financier sest galement pose propos delapplication de la loi franaise du 10 juillet 2000 sur les ventes en ligne, qui soumet les courtagesde biens culturels aux mmes obligations que les ventes en ligne. dfaut dune dfinition lgalede la notion de bien culturel, la question sest pose de savoir dans quelles limites lassimilationdevait jouer. Certains ont suggr dintroduire des seuils de valeur. Mais si lon peut admettrecette technique lorsquil sagit de reprer des biens susceptibles dintgrer le patrimoine natio-nal,15 elle est plus discutable eu gard la finalit de la vente en ligne : protger lacqureurcontre des transactions risques. De la mme faon, on imaginerait mal quune infraction spcifi-que aux biens culturels ne soit consomme qu partir de certains seuils financiers. Lavant-projetde convention sur la restitution dobjets culturels tabli par Roland Loewe lors des discussions au-tour de la convention Unidroit faisait tat du critre de valeur propos des biens culturels volsmais la solution na pas t retenue. 16

    Dans certains cas, la mthode relve davantage du compromis entre les intrts en prsence.Par exemple, la loi suisse (art. 15 et 16 de la LTBC) prescrit que le devoir de diligence la

    charge des marchands dart ne sapplique pas aux biens culturels dont la valeur est infrieure 5 000 Frs.

    14 Rapport explicatif du 30 juin 2004.15 Voir ci-dessous.16 Le texte prvoyait diffrents seuils de valeur selon les circonstances de la dpossession, la nature et la si-tuation du bien, allant de 10 000 Frs. suisses 200 000 FRS suisses.

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    Ces difficults didentification soulvent la question de la juste dlimitation. Une des solutionspourrait consister reprendre en tout ou partie les catgories fixes par les textes communautai-res sans gard aux seuils.

    1.4.2. Biens culturels relevant du patrimoine des tatsLa perspective est diffrente et concerne la qualification du lien entre les biens culturels et

    ltat qui les revendiquent comme faisant partie de son patrimoine national. Le niveau dexigencequant la valeur culturelle est lev en rgle gnrale. La tendance est assez nette dans les tex-tes internationaux. La convention Unidroit comprend deux volets, lun consacr au vol de biensculturels, lautre lexportation illicite. Sil existe une dfinition en dnominateur commun, pources deux hypothses de trafic illicite, dautres critres complmentaires modulent le primtre desbiens concerns. L o la notion de bien culturel vol est voulue trs large, lenveloppe des biensculturels illicitement exports tombant sous le coup de la convention est plus slective, limiteaux biens culturels des tats qui revtent une importance significative17. Lapproche est encoreplus restrictive dans la Convention de 1970, dans laquelle les objets doivent avoir t dsignspar chaque tat, par exemple classs, ports sur un inventaire ou autre systme didentificationet de reconnaissance des biens culturels.

    Dans le droit suisse, la LTBC, dans le sillage de la convention de 1970 reprend le critredimportance significative propos des biens culturels inscrits sur linventaire fdral de laConfdration. Les formulations sont par ailleurs variables dans les lgislations cantonales.

    1.4.2.1. Critres identifiants

    Modulations selon les seuils de valeur et danciennetPour contenir cette enveloppe des biens culturels et assurer une veille sur les biens suscepti-

    bles de revtir une importance pour le patrimoine national, certains tats ont recours des tech-niques de seuils de valeur ou danciennet. Les rgles protectrices du droit du patrimoine culturelseront cartes lorsque les biens considrs natteignent pas ces seuils.

    La technique est frquente en matire de contrle de la circulation des biens culturels, intro-duite par les textes communautaires partir de 1992. Le rglement (CEE) n 3911/92 du Conseildu 9 dcembre 1992 concernant lexportation des biens culturels destination des pays tiers et ladirective 93/7/CEE du Conseil du 15 mars 1993 relative la restitution de biens culturels ayantquitt illicitement le territoire dun tat membre contiennent tous deux des annexes renvoyant des catgories de biens soumis des critres danciennet et de datation. Tous les tableaux nesont pas concerns mais uniquement ceux dont la valeur est gale ou suprieure 150 000 euros,de plus de cinquante ans et la condition de ne plus tre entre les mains de leur crateur. Pourles sculptures ou encore les collections, le seuil financier est de 50 000 euros. Les seuils varient enfonction de la nature du bien et des niveaux de prix pratiqus sur le march, allant de 15 000 eu-ros 150 000 euros. Le critre conomique est videmment discutable, parfois sans relation avecla valeur culturelle. Dans certains cas, plus fondamentalement, il est non pertinent, par exempleen matire de produits de fouilles archologiques ou encore pour les documents darchives. Cestla raison pour laquelle les textes communautaires, dans ces deux hypothses, cartent tout seuilfinancier18.

    Le rglement fixe des rgles communes lensemble des tats membres en matire de contrle lexportation des biens culturels. Les biens numrs lannexe doivent, pour sortir, tre munisdune licence dexportation. Mais rien ne soppose ce que les tats prvoient sur leur territoiredes rgles plus restrictives lors de la sortie des biens culturels vers les pays tiers. Cest le cas dudroit franais. Sous cette prcision, la mthode reste trs similaire. Le dcret du 29 janvier 1993dfinit les catgories de biens culturels, diversement affectes de seuils de valeur et danciennetselon une mthode similaire celle du droit communautaire.

    Les biens culturels dorigine trangreLe droit franais se rclame dune conception universelle du patrimoine. La considration

    quune uvre est dorigine trangre ne peut tre invoque pour exclure une mesure de protec-

    17 Art. 5, parag. 3.18 Sur le traitement des patrimoines risque, voir plus loin.

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    tion. La jurisprudence a eu loccasion de le rappeler propos dun vase de lpoque Ming19 ou duntableau de Van Gogh20. Si dune faon positive, le lien avec la nation ou le territoire peut influen-cer une dcision de protection, le critre nest pas exclusif. Lutilisation frquente du terme natio-nal dans le vocabulaire du patrimoine (muse national, trsor national, antiquits nationales, pa-trimoine national) a une autre signification. Il renvoie lide dune comptence nationale oudune souverainet nationale. Il ne caractrise pas le degr de rattachement la nation.

    Le droit anglais comporte peu de rgles en matire de protection des biens culturels, systmerput plus libral que des tats comme la France ou encore la Suisse. Le Royaume-Uni nen d-veloppe pas moins une conception ouverte du patrimoine national qui accueille des objets de pro-venance trangre. Cest aussi ce qui ressort des critres utiliss pour retenir un bien sur le terri-toire (critres Waverley). Le premier prend en considration lassociation troite du bien lhistoire et la vie culturelle de la Grande-Bretagne. Le lien avec le pays est signal mais riennexclut quil se soit nou dans un contexte international. Quant aux deux autres critres, ils sonttrs ouverts renvoyant pour lun limportance esthtique exceptionnelle du bien, pour lautre la signification exceptionnelle de lobjet ou de luvre pour lart, le savoir ou lhistoire.

    Sans explicitement faire rfrence une telle conception, la LTBC, dans le recours au critredimportance significative semble bien adopter galement une conception ouverte du patrimoine.

    La solution est consolide dans les textes internationaux pour autant que lacquisition ou laprsence sur le territoire soit licite. Lors de llaboration de la Convention Unidroit, certains ex-perts avaient manifest leur rticence considrer les objets dorigine trangre comme faisantpartie du patrimoine dun tat21. Mais telle nest pas la voie retenue dans la Convention. Enloccurrence, comme le rappelle Lyndel V. Prott, il ressort clairement de larticle 4 de la Conven-tion de lUnesco de 1970 que plusieurs tats peuvent considrer un mme objet comme faisantpartie de leur patrimoine 22.

    La Cour europenne des droits de lhomme a t rcemment saisie par un propritaire contes-tant lexercice par ltat italien du droit de premption dun tableau lors de son exportation. Ladiscussion se noue en particulier autour de lorigine de luvre. Les juges admettent le caractrelgitime de laction dun tat qui accueille de faon licite sur son territoire des uvres apparte-nant au patrimoine culturel de toutes les nations 23.

    1.4.3. Relations entre les diffrentes hypothses de dpossession

    1.4.3.1. Relations entre exportation illicite et vol : dconnexion des infractionsLe dpart dun tat en labsence de certificat ou en violation de linterdiction dexportation

    pour les trsors nationaux est considr comme une exportation illicite. Cela signifie que ltat nepeut se fonder sur cette sortie illicite pour revendiquer un bien sorti dans ces circonstances, saufsil est propritaire et quil y a eu vol. dfaut, tout au plus peut-il invoquer le retour si les condi-tions dapplication soit de la convention de 1970, soit de la directive sur la restitution des biensculturels sont satisfaites.

    Un tableau en main prive, class au titre des monuments historiques sorti illicitement du ter-ritoire ne peut tre revendiqu par ltat, sans titre pour en invoquer la restitution, sauf fairejouer la directive restitution la condition dune part que le bien se trouve sur le territoire dunautre tat membre, dautre part quil soit sorti aprs lentre en vigueur de la directive24. Danscertains systmes, lexportation illicite du fait du propritaire emporte dvolution ltat du bien.La rgle peut avoir une grande utilit, si ltat devenu propritaire peut revendiquer le bien.Alors que lexportation illicite se heurte la territorialit du droit public, linvocation dun vol de-

    19 La circonstance que lobjet dart mis en vente soit dorigine trangre ninterdisait nullement au ministrede la culture de le regarder comme prsentant un intrt national dhistoire ou dart , CE 7 octobre 1987, D.1988, p. 269. Note Jean Laveissire, AJDA 1987, 20 dcembre 1987.20 propos de jardin Auvers, uvre considre comme un tmoignage important de lart et la peinture la fin du XIXe sicle, que la circonstance que peint en France par un artiste tranger, il ait quitt la Francepour ne revenir quen 1955 ninterdisait nullement au ministre de la Culture de la regarder comme prsen-tant un intrt public dart et dhistoire . CE 31 juillet 1992, D. 1994.17, note D. Thomas.21 En particulier J-H. Merryman, dans une srie darticles cits par Lyndel V. Prott, Biens culturels vols ouillicitement exports, commentaire de la Convention Unidroit, ed. Unesco, 2000, p.46.22 Lyndel V. Prott, ibid.23 CEDH, 5 janvier 2000, arrt Beyeler c/Italie, AJDA, 20 juin 2000, p. 543, note J.F. Flauss.24 Se pose ici la question de la preuve dans certains cas impossible rapporter.

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    vrait permettre de plaider au civil devant un juge tranger. Mais, dune faon gnrale, la juris-prudence naccueille pas favorablement une telle action, au motif que lexpropriation se raliseraiten dehors de ltat dorigine, que le mcanisme relevant de lapplication dun droit public trangernest alors pas accueilli25.

    1.4.3.2. Lien entre sortie du domaine public et volLes circonstances dans lesquelles un bien du domaine public se trouve entre les mains dun

    tiers peuvent varier : vol, abus de confiance, perte, vente indue linitiative du propritaire pu-blic, dplacement, exportation illicite. Le traitement juridique et les sanctions dpendront de lanature de lopration et ou de linfraction. Les rgimes en sont varis. Compte tenu delimportance de ces biens, on pourrait se demander si la dpossession ne pourrait, linstar de lasolution retenue en matire de fouilles illicites, tre assimile un vol. Lintrt de cette qualifi-cation pourrait tre double. Dune part, elle vite les discussions autour de la qualification de vol.Dautre part, dans les situations internationales, comme dans lhypothse prcdente, certainsagissements pourraient tres rgls sur le terrain civil sans se heurter la rgle de territorialitdu droit public.

    1.5. Les patrimoines risqueUn certain nombre de biens culturels peuvent tre considrs comme patrimoines risque, en

    ce quils sont plus exposs aux risques de dispersion ou dmantlement, de soustraction ou depillage ou de destruction. Cest le cas des produits de fouilles archologiques, des archives, desdmembrements de monuments ou du patrimoine religieux, ou encore des collections. Certainsdentre eux sont soumis un traitement juridique distinct.

    1.5.1. Le cas des fouilles archologiquesLensemble des droits considrs contiennent des dispositions spciales concernant les fouilles

    archologiques, mais ces prescriptions sont quelque peu parses et sattachent prvenir dansdes termes variables les risques propres lactivit de fouilles et aux objets qui en sont issus.

    En ce qui concerne les fouilles archologiques, une des difficults majeures dans la poursuitedes personnes procdant des fouilles illicites est de qualifier linfraction. Nonobstant les probl-mes de preuve dans lidentification de produits issus de fouilles, la qualification de vol rsultantde lextraction illicite peut videmment faciliter la restitution du bien. Dans la convention Uni-droit un bien illicitement issu de fouilles est rput () avoir t vol (art. 3). Laction peutgalement se fonder sur lexportation faite en violation de la loi nationale (art. 5). Il semble queles tats ne connaissent pas une telle rgle dans leur droit interne. Cette qualification ne jouedonc que dans les situations internationales.

    Il nen reste pas moins que plusieurs tats prvoient des dispositions spciales en cas de volsdobjets de fouilles, en particulier au plan pnal.

    La premire lgislation, dans le droit anglais, adopte la suite de la ratification de la conven-tion de 1970 est la loi sur les fouilles et lexportation illicite (en 2003), texte qui dveloppe, on ladit, une conception large des objets viss.

    La loi sur les archives rcemment vote en France prvoit des peines aggraves en cas de volde biens culturels. Parmi les catgories vises, figurent notamment les dcouvertes archologi-ques faites au cours de fouilles ou fortuitement. Le texte sanctionne galement lourdement leurdestruction, dgradation ou dtrioration.

    On peut encore signaler que le seuil financier prvu dans le droit suisse en matiredobligation de diligence ne joue pas en ce qui concerne les produits de fouilles archologiques oupalontologiques, les objets dintrt ethnologique et les lments provenant du dmembrementde monuments artistiques ou historiques.

    Le contrle de la circulation des biens culturels est un autre moyen destin viter la sortie depices importantes, risque dautant plus grand que se dveloppe le march de larchologie. Lesobjets archologiques obissent l encore un rgime propre dans le droit communautaire et lesdroits des tats membres de lUnion europenne. Avec les archives, ce sont les deux sries debiens qui ne sont pas soumis des seuils de valeur.

    25 Voir cependant pour une ouverture intressante laffaire anglaise Barakat c/ Iran. Sur lvolution possibledu systme, voir le point VII Retour, restitution.

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    Enfin, certains droits ont dvelopp un arsenal de rgles assez sophistiques en matire decontrle de lactivit de fouilles. Cest le cas du droit franais plusieurs fois rform ces derniresannes.

    1.5.2. Les dmembrements de monumentsUn certain nombre de rgles lies la circulation des biens culturels font rfrence aux d-

    membrements de monuments. Cest le cas des textes communautaires (rglement et directivecommunautaires) ou encore dans le droit franais ou le droit suisse ainsi que le droit chinois. Endroit franais, la loi sur les monuments historiques a rcemment introduit une disposition utile,en tendant au bnfice des fragments dimmeubles classs au titre des monuments historiques laqualit de trsor national jusque-l rserve aux biens numrs larticle L 111-1 du Code dupatrimoine.

    Dune faon assez surprenante, la nouvelle loi franaise nvoque pas le cas particulier des d-membrements dans les rgles prvoyant des peines aggraves en matire de biens culturels.

    1.5.3. Le patrimoine cultuelvoqu dans plusieurs textes internationaux, le patrimoine cultuel nest gure trait diff-

    remment dans les diffrents systmes, quelques exceptions prs. La loi franaise punit pluslourdement le vol, la destruction, la dgradation, la dtrioration de biens culturels dont ceux quisont exposs, conservs ou dposs dans un difice cultuel26.

    Dune faon gnrale, peu de dispositions concernent spcifiquement ce type de patrimoine.

    1.5.4. Les collectionsLa notion de collection na gure dunit dans les diffrents droits. Notion polysmique, elle d-

    signe tantt lactivit de collecte systmatique (accumulation dobjets similaires), lorganisationmthodique et raisonne de diffrents lments (susceptible alors de dgager une valeur histori-que, artistique, scientifique, etc., indpendamment de celle des objets qui la composent) ou encorelensemble des uvres dtenues par une institution de type muse. Ces diffrentes qualificationsemportent des effets propres, en particulier sur la gestion du risque de dispersion matrielle et oujuridique de ces ensembles diversement constitus.

    Les tats tudis reconnaissent de faon sporadique lentit constitue, luniversalit de droitregarde comme ensemble indivisible. La protection des collections, pour lessentiel, se concentresur le contrle de la circulation des biens culturels et encore sur le statut des collections institu-tionnelles.

    1.5.4.1. Les collections et les rgles de circulation des biens culturelsLe droit communautaire contient quelques lments utiles dans linterprtation de la notion de

    collection aux fins de contrle de la circulation des biens culturels. Cette catgorie est mentionne plusieurs reprises dans lannexe jointe au rglement du Conseil des Communauts europennesdu 9 dcembre 1992 concernant lexportation de biens culturels27, ou encore la directive euro-penne du 15 mars 1993 relative la restitution de biens culturels ayant quitt illicitement leterritoire dun tat membre28. Sont notamment voques, parmi les catgories de biens culturelssoumis contrle les a) Collections et spcimens provenant de collections de zoologie, de botani-que, de minralogie ou danatomie ; b) collections prsentant un intrt historique, palontologique,ethnographique ou numismatique .

    La Cour de justice des Communauts europennes prcise linterprtation quil convient dedonner cette notion de collection, en sappuyant notamment sur le critre de raret. Une noteaccompagne lannexe des rglement et directive indiquant : Telles que dfinies par la Cour dejustice dans son arrt 252/84, comme suit : les objets pour collections au sens de la position 99.05du tarif douanier commun sont ceux qui prsentent les qualits requises pour tre admises au seindune collection, cest--dire les objets qui sont relativement rares, ne sont pas normalement utiliss

    26 Cette rgle sapplique plusieurs autres catgories de patrimoine culturel dont le patrimoine cultuel.27 Rglement CEE n 3911/92 du Conseil, 9 dcembre 1992, JO n L 395 du 31 dcembre 1992, p. 1-5.28 Directive 93/7/CEE, 15 mars 1993, JO n L 74/74 du 27/03/1993.

  • Synthse comparative

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    conformment leur destination initiale, font lobjet de transactions spciales en dehors du com-merce habituel des objets similaires utilisables et ont une valeur leve 29.

    On observe que, si ces textes communautaires rservent un traitement particulier des en-sembles constitus (les seuils de valeur sappliquant la collection non aux objets pris isolment),la notion de collection se dfinit exclusivement par la caractrisation des objets supposs la com-poser sans gard la valeur ajoute de la collection. Sous cette perspective, il parat difficile derattacher les collections duvres dart cette catgorie. Le contrle dune telle collection se feraainsi pice pice, avec des seuils de valeur beaucoup plus levs, donc un contrle plus lche.

    Cest cette difficult qua voulu surmonter le droit franais, qui, tout en reprenant le mmeprocd de catgorisation30, mnage cependant des spcificits, notamment en adoptant une no-tion gnrique de la collection. Au sens de larticle 1er du dcret du 29 janvier 1993, constitue unecollection, pour lapplication de lannexe au prsent dcret, un ensemble dobjets, duvres et de do-cuments dont les diffrents lments ne peuvent tre dissocis sans porter atteinte sa cohrence etdont la valeur est suprieure la somme des valeurs individuelles des lments qui le composent.La valeur et la cohrence de la collection sapprcient en fonction de son intrt pour lhistoire oupour lhistoire de lart, des civilisations, des sciences et des techniques. [...] .

    On peut rapprocher cette dfinition de celle propose par le comit consultatif sur les biensculturels qui dfinit la collection comme un : ensemble cohrent de pices substantiellement in-tactes qui, en fonction de leur raret ou de leur prsentation, prsente un aspect culturel spcialou exceptionnel, et dune valeur plus leve que celle de leurs lments pris individuellementauxquels elles serait rduite si lensemble tait bris ou dmembr, mme partiellement .

    1.5.4.2. Absence de protection spciale des collections dans le droit du patrimoineculturelEn dehors de ces rgles concernant lexportation des biens culturels, il nexiste pas en revanche

    dans les systmes tudis de protection particulire des biens culturels runis en collections,contrairement dautres lgislations telles que le droit italien ou le droit espagnol qui consacrentcertaines collections en vertu de leur valeur exceptionnelle. 31 La protection utile, dans ce cas,vient du cadre institutionnel qui abrite la collection, et non directement de la protection delensemble pour lui-mme. Les raisons sont rechercher dans lquilibre voulu entre les droits dupropritaire priv et lintrt de la protection. Voici bien longtemps quen France, on rflchit unclassement densemble dobjets mobiliers et ensembles mixtes en raison de leurs qualit (histori-que, artistique, scientifique ou technique) et de leur cohrence exceptionnelle, le maintien de leurintgrit tant dintrt public. Le projet na cependant jamais abouti, en raison des atteintes audroit de proprit considres comme trop lourdes.

    1.5.4.3. La collection institutionnelleLa protection des collections contre les risques de dispersion, indpendamment dun mca-

    nisme spcifiquement ddi aux collections dintrt historique ou artistique est aussi assuredans la plupart des tats par le canal institutionnel sur un mode indirect. En droit franais,lattribution du label Muse de France assure une relative prennit des collections publiques etprives. Dans ces deux exemples, la loi ne comporte aucune exigence (du moins lisible) quant lintrt artistique ou historique.

    Lensemble des pays considrs connat la notion de collection publique et lui attache des effetspropres. La notion est galement prsente dans plusieurs textes communautaires (directive sur larestitution des biens culturels illicitement sortis du territoire dun tat membre) et internatio-naux (convention Unidroit). On le conoit, car ces biens sont protgs dune faon plus radicaledans ces textes. Dans les droits internes, les critres ne sont pas toujours les mmes danslidentification du caractre public de la collection. Pour les droits franais, italien, espagnol, lacollection publique a ncessairement pour propritaire une personne publique, quelle quelle soit,

    29 On retrouve la mme dfinition dans le dcret n 97-435 du 25 avril 1997 portant publication de laConvention concernant les mesures prendre pour interdire et empcher limportation, lexportation et letransfert de proprit illicites des biens culturels, faite Paris le 14 novembre 1970, JO n 103 du 3 mai1997, p. 6680.30 Dcret n 93-124 du 29 janvier 1993 relatif aux biens culturels soumis certaines restrictions de circula-tion, JO du 30 janvier 1993, p. 1600.31 Faisant natre la charge du propritaire une servitude dindivisibilit. Le propritaire ne peut dmante-ler sans autorisation.

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    tat, entits territoriales, etc. Dans dautres tats, le caractre public renvoie davantage laffectation donne la collection, la mise disposition du public des biens en cause. Cest lecas du droit allemand. Ces diffrences expliquent les conceptions dveloppes dans le droit inter-national et le droit communautaire aptes saisir ces ralits multiples (les deux sont prochesmme si la qualification emporte des consquences distinctes, l possibilit de restitution, ici r-gles de prescription). Le caractre public de la collection dsigne non pas seulement la qualit pu-blique de lentit propritaire de la collection mais le cas chant lintrt public. Dans la direc-tive, ces collections doivent tre classes publiques conformment la lgislation de cet tatmembre et linstitution en question doit tre soit la proprit de cet tat membre ou d'une au-torit locale ou rgionale , soit finance de faon significative par ltat ou une autorit localeou rgionale. Dans la Convention Unidroit, la collection publique sentend dune collection debiens culturels inventoris, accessible au public, proprit dun tat contractant, dune entit pu-blique locale ou rgionale, dune institution finance de faon significative par une autorit publi-que, dune institution sans but lucratif reconnue comme ayant un intrt public ou dune institu-tion religieuse.

    La rgle de linalinabilit des biens publics (relie la notion de domaine public dans lesdroits franais, italien, espagnol, entendue de faon plus ou moins radicale selon les tats), ou en-core la rgle daffectation irrvocable laccomplissement dune mission de mise disposition dupublic (collections prives sous label Muse de France) permet de prserver lintgrit des collec-tions. On peut aussi voquer les obligations de non-dispersion de source dontologique donc noncontraignantes, par exemple les rgles du Code de dontologie de lICOM. Mme si lICOM distin-gue les diffrentes solutions adoptes par les tats en matire de droit de cession, le texte prco-nise la mise en place de politiques et procdures de cession lorsquelle est juridiquement possibleentoures de certaines garanties.

    2. Droit des biens et protection du patrimoine culturel

    2.1. Distinction entre patrimoine mobilier et immobilier

    2.1.1. Distinction majeure dans ldification du droit du patrimoinePatrimoine mobilier et immobilier sont dune faon gnrale traits distinctement. Lensemble

    des lgislations observes attachent des effets propres la protection de chacune de ces catgo-ries.

    Le droit franais du patrimoine culturel est trs srieusement influenc par cette distinction.Cest net dans le bti de certaines lois comme la loi du 31 dcembre sur les monuments histori-ques intgre aujourdhui au Code du patrimoine. Deux branches spciales se sont dveloppesnon sans lien mais avec une relative autonomie.

    En droit anglais, la protection des objets mobiliers est trs largement associe la protectiondu patrimoine immobilier, classiquement protgs en ce quils sont associs un difice ou en cequils font partie dune collection musale ou dun fonds darchives.

    Le droit chinois du patrimoine pratique galement cette division entre patrimoine immobilieret patrimoine mobilier. La notion de patrimoine mobilier est trs proche des pays occidentauxcomprenant les objets mobiliers et fragments dtachs dimmeubles ou encore objets provenantdes tombeaux antiques.

    La diffrence de nature de ces biens commande la distinction. Ils ne sont pas exposs aux m-mes risques de dispersion, de conservation, etc. Mais cette csure nest pas sans inconvnientdune part en ce que la frontire entre meuble et immeuble nest pas toujours bien matrise enparticulier lorsque sintercale la catgorie intermdiaire des immeubles par destination, dautrepart en ce quelle nglige le plus souvent la prise en compte de protection densembles mixtes.

    2.1.2. Les faiblesses du systme : la protection insuffisante des ensembles mixtes lexception de la protection des fragments dtachs dimmeubles, par exemple dans le droit

    suisse, dans le droit franais ou encore dans les rgles communautaires et internationales concer-nant la circulation illicite des biens culturels, il semble que la protection des ensembles mixtescomme units dignes de protection ne soit gure assure.

    Le droit franais reste fortement dtermin par la logique civiliste du droit des biens qui, da-vantage que des universalits, considre les biens isolment.

  • Synthse comparative

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    2.2. La proprit publique, mode de protectionEn matire mobilire, la proprit publique reste le mode de protection privilgi, emportant

    des consquences majeures sur le statut du bien. Les biens publics sont en grande partie indispo-nibles. Cette prgnance de la proprit se vrifie galement au travers de la mise en place de m-canismes de dvolution lgale au profit de ltat dun certain nombre de biens, en particulier pourles dcouvertes et objets de fouilles archologiques. La notion de proprit publique nest cepen-dant pas reue dans les mmes termes dans les diffrents tats tudis, mme si lide dune pro-prit publique minente, gardienne naturelle du patrimoine semble tre largement partage.

    2.2.1. Variations autour de la notion de proprit publiqueLes droits suisses et franais connaissent un rgime de proprit publique particulirement

    protecteur reli la notion de domaine public.Dans le droit franais, le nouveau Code gnral de proprit des personnes publiques introduit

    une notion indite de domaine public resserre autour des lments du patrimoine culturel telque dfini larticle L 1 du Code du patrimoine. Cette nouvelle notion, entendue trs largement,nest pas sans soulever de dlicates questions dinterprtation, notamment quant la porte dutexte. Plus spcialement, lune dentre elles concerne laffectation culturelle et les termes danslesquels elle se ralise, eu gard, purement et simplement la valeur ou lintrt que revt lebien32. Au contraire, laffectation doit-elle sexprimer au travers dune mesure de protection, ouplus gnralement didentification de cet intrt par la collectivit. Faudrait-il, comme dans lesystme antrieur exiger une incorporation (factuelle ou formelle) dans le domaine public ? Unepartie de la doctrine se prononce en faveur de la premire proposition. Au-del de ces interroga-tions, qui ne sont pas sans incidence sur la porte du texte, il faut signaler la reconnaissance in-dite dune forme particulire de proprit culturelle publique, figure quil faut combiner avecdautres formes spciales de domanialit publique amnage (en particulier les collections desmuses de France, les archives ou encore les monuments historiques). Cest en effet la premirefois que le droit commun des biens publics intgre une perspective de droit spcial des biensculturels au cur du dispositif.

    La notion de domaine public est galement prsente dans le droit suisse. En ralit, le systmeintroduit une division plus complexe avec dun ct le patrimoine financier qui peut tre rappro-ch du domaine priv, de lautre le patrimoine administratif et le domaine public au sens strict,ensemble formant le domaine public au sens large. La notion de domaine public au sens strictexiste exclusivement au niveau cantonal et non au niveau fdral et se concentre sur les lmentsdu domaine public naturel et du domaine public artificiel (places, rues, routes).

    Les biens culturels publics, par exemple les collections des muses, en ce quils sont utiliss une tche dutilit publique, peuvent tre considrs comme faisant partie du patrimoine admi-nistratif. En loccurrence, certaines lgislations les dsignent expressment comme relevant dudomaine public (au sens gnral). Cest notamment le cas des archives publiques dans la loi gene-voise.

    Le caractre polysmique de la notion de domaine public nest cependant pas sans soulever dedifficults dinterprtation. Messieurs Contel et Renold prconisent de rserver le terme de do-maine public aux seuls domaine public naturel et domaine public artificiel. Contrairement audroit franais, le patrimoine administratif, en tant que rgime de proprit est rgi par le droitpriv, sous rserve de dispositions spciales issues du droit public. Le droit suisse dveloppe en cesens une conception unitaire de la proprit. La notion daffectation est videmment centrale dansla dlimitation entre biens du patrimoine financier (domaine priv) et biens du patrimoine admi-nistratif, que cette affectation soit avre du fait de lacquisition ou en vertu dune dcision. Cetteapproche nest en loccurrence pas si loigne du domaine public mobilier tel que le conoit le Codegnral de proprit des personnes publiques franais, puisque certains biens sont du fait de leuracquisition dans le domaine public, comme si lacquisition considre avait ncessairement pourfinalit de combler un intrt public.

    Dans le droit chinois, nonobstant labsence dune notion de domaine public, la constructionthorique et les principes de domanialit publique nen exercent pas moins une certaine influencedans la conception de la proprit publique. En loccurrence, la plupart des patrimoines mobiliers

    32 Cest sur cette voie que nous engage larticle L 2112-1 du CGPPP dans sa rfrence une notion gnriquede bien culturel prsentant un intrt historique, artistique, archologique, scientifique ou technique, commetel, faisant partie du domaine public.

  • Synthse comparative

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    sont proprit dtat, les lments les plus prcieux tant conservs dans les muses. Un grandnombre de dispositions de la loi de 2002 visent des patrimoines mobiliers et immobiliers apparte-nant ltat, qui, comme tels, sont inalinables.

    Le droit anglais distingue galement plusieurs types de biens publics, dune part les biens dela Couronne dtenus par le souverain rgnant au nom de la Nation, dautre part les biens des au-tres personnes publiques. Cette distinction manant de la coutume il ny a pas de texte lgislatif a dabord t applique au patrimoine immobilier, puis au patrimoine mobilier.

    2.2.2. Degr dindisponibilitLintrt de mobiliser le rgime de domanialit publique en matire de biens culturels est que

    les biens bnficieront dun haut degr de protection. Ils sont en grande partie indisponibles.Les biens du domaine public en droit franais sont inalinables, imprescriptibles, insaisissa-

    bles, du moins tant que dure lincorporation au domaine public. La sortie du domaine public peuttre envisage lorsque cesse laffectation et que, formellement le bien est dclass. Laffectationest donc en principe rversible. En principe, car, cette possibilit de dclassement est trs rare-ment utilise. Par ailleurs, par exception, certains biens entrs dans le patrimoine public ne peu-vent plus en sortir. Cest le cas des biens des collections de muses de France entrs soit par lavoie dun don ou dun legs, soit entrs laide dun financement public pour les biens des collec-tions publiques autres que celles de ltat. Il y a des indclassables dans le systme franais33.Cest prcisment ce qui fait chec la restitution de la tte Maori, tentative manque de la mai-rie de Rouen. On pourra discuter de lopportunit dune telle rgle, en particulier lorsquesexprime en vis--vis, un intrt concurrent lgitime. Il faut voquer ici les projetsdassouplissements de la domanialit publique en matire culturelle et musale qui ne manquentpas dinquiter les conservateurs entre autres. Dans une proposition de loi inspire par le rapportJouyet-Levy sur lconomie de limmatriel, il est suggr de distinguer deux classes de biens : lestrsors nationaux dun ct, inalinables, les uvres de libre utilisation de lautre, cette fois-ci li-brement cessibles. Le dpart entre ces deux catgories de biens serait dcid par une commissiondsigne par dcret. Si la facture de ce texte et son inscription dans le systme actuel laissent s-rieusement dsirer, il nen traduit pas moins une intrusion assez nette de la logique marchandedans lunivers du muse et marque un recul de principes tels que linalinabilit des collectionspubliques.

    Dans le droit anglais, le statut des biens de la Couronne, considrs comme indisponibles, esttrs proche de la domanialit publique. Cet ensemble ne concerne cependant quun nombre res-treint de biens. En dehors de ce cercle, il ny a pas de rgle gnrale dinalinabilit. Les statutsde certains muses prvoient cependant que leurs collections sont inalinables. Mais la source decette indisponibilit est statutaire et non lgale. Lensemble des muses nest pas soumis auxmmes rgles. En particulier les muses nationaux sont soumis au principe dindisponibilit, quise traduit par une interdiction de dclassement (de-accession) Cest le cas notamment du Bri-tish Museum, de la Tate Galery ou de la National Gallery. Les muses locaux peuvent galementprvoir dans leurs statuts linalinabilit des collections, mais, contrairement aux muses natio-naux, la rgle dindisponibilit nest pas garantie.

    Les biens du patrimoine administratif en droit suisse ne sont pas expressment dclars ina-linables. Cependant, il semble que lon puisse admettre un principe dinalinabilit applicable engnral aux biens culturels du patrimoine administratif et plus spcialement pour les biens cultu-rels inscrits sur linventaire fdral de la Confdration. Le patrimoine administratif repose, linstar du systme franais sur lide daffectation. En consquence, les biens qui cessent dtreaffects une tche dutilit publique peuvent tre dsaffects selon la mme procdure que pourlaffectation. En ce sens, linalinabilit des biens du patrimoine administratif est une notion rela-tive. Plus spcifiquement, bien que la rgle dinalinabilit ne soit pas non plus inscrite dans laLTBC, on peut aisment dduire de la loi (en particulier larticle 2) que ces biens sont des resextra commercium. La possibilit de contester limportance significative du bien et, ainsi son ina-linabilit pourrait tre envisage.

    En ce qui concerne le statut des biens culturels inscrits dans les inventaires cantonaux au sensde larticle 4 de la LTBC, les rgles sont variables, sachant que les cantons peuvent dclarer cer-tains biens imprescriptibles et inalinables. Dautres systmes que linalinabilit sont aussi en

    33 Nouveaut introduite par la loi du 4 janvier 2002.

  • Synthse comparative

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    vigueur, par exemple lalination soumise autorisation (Fribourg propos des biens meublesprotgs appartenant une personne morale de droit public ou de droit canonique).

    Une bonne partie des biens culturels importants relve des patrimoines publics. Frquemmentviss dans les textes internationaux (par exemple pour les collections publiques), ils ne sont pour-tant pas toujours facilement identifiables. Dans la plus grande partie des pays tudis, leur dli-mitation nest pas des plus claires. Cest particulirement sensible dans le droit franais. Cettedifficult se pose de faon plus aigu encore lorsque les biens culturels sont sortis du territoire.

    2.2.3. Rgles de dvolutionLimportance accorde la proprit publique comme mode de protection se manifeste notam-

    ment dans les mcanismes de dvolution ltat, technique souvent mobilise en matire debiens culturels.

    En droit suisse par exemple, plusieurs dispositions organise