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Alain Soral Misères du Désir fiction 2004, Editions Blanche A Robert Wyatt, dont la musique m’accompagne depuis tant d’années Préambule Misères du désir, c’est un beau titre. Quand on pense à tous les emmerdes que vous attire l’entreprise de conquête sexuelle : humiliation du non, frais de table, maladies vénériennes, mariage, divorce et pension, prison pour pédophilie, voire pire... on se dit, comme Bertrand Cantat, que s’abstenir eût été préférable. Qu’on se contente seulement d’écrire sur le plaisir, comme certain puceau lettré chauve aux yeux verts, c’est alors l’art lui-même qui vous rappelle à sa hiérarchie : si Dante avait baisé Béatrice, point de Divine Comédie. Misères du désir donc, on me demande d’en faire un livre... ça me va. Comment dire non à un éditeur qui vous veut, c’est si rare, surtout avec un gentil chèque à la clef... Mais d’abord pourquoi moi ? Sans doute parce que j’avais par le passé, dans un autre livre, avant mon mariage à l’église, revendiqué sept cents conquêtes. Sur ces fameuses sept cent conquêtes dûment pénétrées et homologuées, je dois au lecteur qui m’aime, comme aux féministes qui me haïssent, une petite explication. Moi je voulais pas écrire "conquêtes", je trouvais le terme précieux et prétentieux, je voulais écrire "sondées". Sondées c’est le terme exact du point de vue sociologique, mais mon éditeur trouvait "sondées" trop gynécologique, fort de l’autorité du payeur il opta pour "conquêtes" qui lui semblait plus romantique. Du coup, ce qui était dans mon esprit pure volonté de rigueur scientifique, humilité, forfanterie, passa pour de la forfanterie, et le panel représentatif de celui qui s’adonne à la pratique avant d’écrire, par souci de réalité, pour de la prétention et de l’abattage, voire du mépris. Quelle gloire peut-on tirer des filles quand on sait qu’elles sont physiquement, psychologiquement et socialement déterminées pour ça ? Assez sur ce sujet, on l’aura compris, faire écrire un éloge de la retenue par un ex-baiseur est un paradoxe plus attractif que de commander le titre à Christopher Reeves ou au père de la Morandais. En plus, après deux livres sur les dangers du communautarisme, l’abstinence c’était pour moi l’occasion de changer de sujet. Parler sans ambages des féministes, des gays, des Arabes et des Juifs, outre m’attirer certaines sympathies dont je ne veux pas, m’a coûté d’être abusivement rangé dans la catégorie "nouveaux réactionnaires". Quelques mots sur ces fameux nouveaux réactionnaires : dès qu’il y a "nouveau" dans le titre (beaujolais, philosophe...) et que les médias en parlent un peu trop, on peut être sûr que c’est du marketing et de la merde. Dénoncer la trahison de la "deuxième gauche" n’implique pas qu’on soit devenu de droite, au contraire ; comme Lindenberg, je ne vois aucune raison de réhabiliter la réaction, le colonialisme, l’anti-universalisme, comme le font de plus en plus ouvertement Finkielkraut, Adler et Klarksfeld junior dans le seul but de défendre un État racial et confessionnel. Désolé, mais entre le progressisme et Israël, je choisis encore et toujours le progressisme ; mais c’est peut-être parce que je ne suis pas juif...

(2004) Misères du désir

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  • Alain Soral

    Misres du Dsirfiction

    2004, Editions Blanche

    A Robert Wyatt, dont la musique maccompagne depuis tant dannes

    Prambule

    Misres du dsir, cest un beau titre.Quand on pense tous les emmerdes que vous attire lentreprise de conqute sexuelle : humiliation du

    non, frais de table, maladies vnriennes, mariage, divorce et pension, prison pour pdophilie, voire pire... on se dit, comme Bertrand Cantat, que sabstenir et t prfrable.

    Quon se contente seulement dcrire sur le plaisir, comme certain puceau lettr chauve aux yeux verts, cest alors lart lui-mme qui vous rappelle sa hirarchie : si Dante avait bais Batrice, point de Divine Comdie.

    Misres du dsir donc, on me demande den faire un livre... a me va.Comment dire non un diteur qui vous veut, cest si rare, surtout avec un gentil chque la clef...

    Mais dabord pourquoi moi ?Sans doute parce que javais par le pass, dans un autre livre, avant mon mariage lglise, revendiqu

    sept cents conqutes. Sur ces fameuses sept cent conqutes dment pntres et homologues, je dois au lecteur qui maime, comme aux fministes qui me hassent, une petite explication. Moi je voulais pas crire "conqutes", je trouvais le terme prcieux et prtentieux, je voulais crire "sondes". Sondes cest le terme exact du point de vue sociologique, mais mon diteur trouvait "sondes" trop gyncologique, fort de lautorit du payeur il opta pour "conqutes" qui lui semblait plus romantique. Du coup, ce qui tait dans mon esprit pure volont de rigueur scientifique, humilit, forfanterie, passa pour de la forfanterie, et le panel reprsentatif de celui qui sadonne la pratique avant dcrire, par souci de ralit, pour de la prtention et de labattage, voire du mpris. Quelle gloire peut-on tirer des filles quand on sait quelles sont physiquement, psychologiquement et socialement dtermines pour a ? Assez sur ce sujet, on laura compris, faire crire un loge de la retenue par un ex-baiseur est un paradoxe plus attractif que de commander le titre Christopher Reeves ou au pre de la Morandais.

    En plus, aprs deux livres sur les dangers du communautarisme, labstinence ctait pour moi loccasion de changer de sujet. Parler sans ambages des fministes, des gays, des Arabes et des Juifs, outre mattirer certaines sympathies dont je ne veux pas, ma cot dtre abusivement rang dans la catgorie "nouveaux ractionnaires". Quelques mots sur ces fameux nouveaux ractionnaires : ds quil y a "nouveau" dans le titre (beaujolais, philosophe...) et que les mdias en parlent un peu trop, on peut tre sr que cest du marketing et de la merde. Dnoncer la trahison de la "deuxime gauche" nimplique pas quon soit devenu de droite, au contraire ; comme Lindenberg, je ne vois aucune raison de rhabiliter la raction, le colonialisme, lanti-universalisme, comme le font de plus en plus ouvertement Finkielkraut, Adler et Klarksfeld junior dans le seul but de dfendre un tat racial et confessionnel. Dsol, mais entre le progressisme et Isral, je choisis encore et toujours le progressisme ; mais cest peut-tre parce que je ne suis pas juif...

  • Bref, il tait temps pour moi de changer de sujet si je ne voulais pas changer de mtier. Outre jouer les minorits opprimes, quand vous attaquez les minorits agissantes, elles agissent. Le lobby gay, un peu chatouill, dbutant, maladroit, ma dj fait comprendre, par lentremise de la milice communautaire Act Up, sa dsapprobation par trois fois (chez mon diteur, chez un animateur qui minvite et au journal qui memployait). Quand au lobby sioniste, messieurs Mermet et Boniface vous conformeront quel point il nexiste pas.

    Une chance pour moi, je crois au hasard ; comme jai beaucoup dennemis dans la communaut du livre mais quelques lecteurs fidles (soit la situation inverse de la plupart des dits), on me propose ce petit ouvrage. Va pour Misres du dsir ; seulement, de labstinence suppose du moine celle du taulard, mme en comptant les citations et autres renvois bibliographiques, le sujet tient en quelques dizaines de feuillets, un gros article. Une critique du dsir crite par un repenti, on va tout droit vers lessai paradoxal pour cadres format 192 pages la Pascal Bruckner, genre La tentation de linnocence ou Misre de la prosprit, lquivalent de la littrature de confort pour madame. A moins de digresser, faire mieux et pire que le sujet. Mais il faut encore viter les procs. Quand je vois la libert dont jouissent les Mrot, les Y.B., les Houellebecq sur les mmes sujets, je me dis que bourgeois nest pas si mauvais bougre, juste faux-cul. Il veut bien quon dise ses bassesses condition que ce soit au pass, de ntre plus physiquement impliqu. Il veut bien quon lui fasse admettre par de petites histoires ce quil refuse dentendre sur le plan du concept, pour a il faut juste quil y ait marqu "fiction" sur la couverture ; un roman cest de lart, et lartiste na-t-il pas tous les droits ?

    Cest pourquoi, contrairement aux apparences, ce livre nest pas un essai mais un roman, moderne, davant-garde, un pur dlire sorti de ma tte ne juger que par son style. Ce style qui fait lcrivain juste subversif comme on les aime, bien dsespr et sans aucune, aucune solution politique.

    Ecrivain, voil ce que je suis dsormais, cest entendu nest-ce pas ?

    1

    Lessai paradoxal pour cadres la Pascal Brucknerou

    du dsir transgressif lidologie du dsir Chapitre o jexpliquerai pourquoi, dsormais, cest la chastet qui est subversive... ou presque.

    La femme en string est lavenir de lhomme.

    Bon, lessai paradoxal pour cadres la Pascal Bruckner l quivalent de la littrature de confort pour madame , je vais vous le faire ; a sera vite torch.

    Misres du dsir.Je vais tenter de reproduire ici la dmonstration faite il y a dix ans Virginie Despentes. Elle ne men

    voudra pas, depuis elle a fait son chemin, rempli son petit bas de laine. Maintenant le truc est vent, elle ne ramassera plus rien ; je peux balancer.

    Un jour, dbut 90, je reois par la poste une lettre damour dune certaine Virginie. Une lettre poste du quatorzime arrondissement crite au Bic bleu sur du papier dcolire, avec des ronds sur les "i" comme en font les jeunes filles lge o elles rves de se les faire remplir.

    Il faut prciser quun mois auparavant, jtais pass dans le poste lmission Bas les masques de Mireille Dumas pour La vie dun vaurien, un roman autobiographique que jtais parvenu faire publier sur les dragueurs de rue. On sait limpact qua le petit cran sur les jeunes filles, surtout les varits, mais pour un crivain qui ne compte pas jouer les animateurs, une fille qui vous crit aprs un passage tl quelle a "senti" quelque chose en vous et quelle veut vous connatre (traduit en langage mle : quelle aimerait sentir votre truc en elle et que pour a il faut vous rencontrer), cest toujours inquitant. La groupie, moi je prfre laisser a aux chanteurs ; je nai pas rpondu.

    Javais mme oubli quand, une anne aprs, je reois par la poste un roman ddicac dune certaine Virginie, la mme, moins les ronds sur les "i", mais cette fois avec un nom propre : Despentes. Un roman au titre explicite : Baise-moi ! o lex-lycenne qui, visiblement, nhabitait plus chez sa mre, stait

  • invent un pass sulfureux : violence, drogue, parfum de prostitution... avec en prime juste pour bibi, son numro de tlphone crit en gros lintrieur.

    Une pro du pipe show ? Ni une ni deux, cette fois je prends mon tlphone et je lui file rencard, vers quinze heures, au caf juste en face de chez moi, des fois que... (A lpoque le pote chez qui je vivais bossait laprs-midi et moi jtais chmeur, je pouvais donc inviter qui je voulais.)

    Arriv en retard, exprs, histoire de respecter la hirarchie (cest quand mme elle qui demandait), je tombe sur une grosse vache assise en terrasse avec deux gros yeux globuleux et une dent jaune casse sur le devant. Toujours poli avec les dames, en me penchant plus prs pour lui faire la bise, je dcouvre chose rare de nos jours chez les jeunes filles quelle a en plus deux, trois poils au menton. Vous voulez le fond de ma pense ? Jai connu une Virginie qui travaillait dans un peep-show en haut de la rue Saint Denis, avant quil ne la mettent pitonne et ne la changent de sens pour tuer le mtier. Une bombe, droguer mais belle comme un cur, et gentille. Cest grce elle que je sais aujourdhui que les demi-putes margent la Scurit sociale sous lintitul artiste chorgraphe . Je laimais beaucoup mais jai quand mme d men dfaire, un pauvre qui veut devenir crivain ne peut pas se permettre de multiplier les handicaps. Lautre Virginie, l ? Montreuse dans un sex-shop ? Jamais ! Mme au fin fond du 93. Les grants de ce genre de commerce ne travaillent pas pour les bonnes oeuvres.

    Comme vous lavez compris, le sexe savrant impossible, je me retrouve donc parler du livre ; du sien bien sr qui vient de sortit, et comme il mest tomb des mains mais que je ne peux pas lui dire (toujours galant avec les dames) pour ne pas dcourager une dbutante qui na aucun avenir dans le peep-show, ni a fortiori comme chanteuse, actrice ou animatrice tl, jentreprends de lui expliquer, en une vaste priphrase, pourquoi en 1990 le sexe ne peut plus tre subversif.

    Elle a parfaitement compris. Elle nest pas si bte la Despentes, mais comme lpoque elle prparait Baise-moi !, le film, quelle sapprtait passer srieusement la caisse en jouant les rebelles fministo-trash sympathie Jack Lang avec manifs et ptitions Saint-Germain, elle sest vite dpch doublier et la Virginie sur la mauvaise pente, je nen ai plus entendu parler.

    Seulement le lecteur qui ne compte pas spcialement sur le cul pour chapper aux misres du travail salari a le droit de sinstruire. Pour lui je vais donc tout recommencer.

    Dabord, pourquoi prtend-on que le sexe est subversif ?Je crois que a nous vient tout droit de Georges Bataille, sociologue autodidacte et bibliothcaire qui a,

    entre autres, crit Lrotisme aprs guerre. Sartre laimait beaucoup, ce qui est mauvais signe. Disons que son "psychologisme sociologique" qui le poussait voir la production comme un fait de nature, et, consquemment, les fruits du travail exploit comme un excdent vgtal, appel "part maudite", que la classe dirigeante et parasitaire se dvouait pour consommer tait une vision quand mme bien plus marrante que le faux marxisme individualiste de lternel tudiant chassieux de Flore. Mais pour tre impartial, coutons ce quen dit le Petit Robert :

    Georges Bataille axa sur lide de transgression son interprtation de la socit et de lhistoire. Considrant la sexualit comme un facteur de dsordre, la socit la frappe dinterdit, appelant ainsi la transgression dans les religions : ftes, rituels, sacrifices... ou la rvolte chez les individus.

    Do toute la quincaillerie no-romantique hard : du retour en grce du marquis de Sade pour son vice salvateur aux films de Los Carax qui voit, comme Bataille, le sommet de la rvolte dans lacte de coucher avec sa mre (joue par Catherine Deneuve, mais quand mme).

    Corollaire politique immdiat : face une bourgeoisie puritaine et dissimulatrice qui cache son or et ses organes , il ne sagit plus de changer le monde par le combat des classes mais en dchanant la transgression du sexe.

    La rvolution en baisant !Imaginez limpact sur ces ternels branleurs que sont les tudiants en sciences molles : lettres, psycho,

    socio... ; le formidable alibi. Le droit, mieux, le devoir moral de renoncer lengagement politique au ct des travailleurs exploits, pour retourner faire ce que les ados nantis ont toujours fait pendant que leurs parents schinent faire bosser les pauvres : baiser. Baiser plus seulement pour passer le temps et se faire plaisir, non ! Pour subvertir lordre bourgeois. Coup double ! La rvolution la queue la main allong sur le plumard papa, Cohn-Bendit, sacr bandard, sacr veinard, vit la-dessus depuis quarante ans ! Quelle rigolade, quelle somptueuse arnaque !

    Bon, daccord, mais comment arrive-t-on Lle de la tentation sur TF1 ? Mougeotte rvolutionnaire ?

  • Disons-le tout net, si cette petite thorie pouvait encore faire illusion face lhypocrisie de la bourgeoisie catholique davant-guerre, le genre "Travail, Famille, Patrie" de lpoque Bataille, depuis quelque chose a chang. Et comme souvent, pour comprendre lvolution des mentalits, il nous faut faire un petit dtour par le srieux peu littraire de lconomie politique. Comprendre notamment la "socit de consommation" comme passage planifi, patronal et gouvernemental, du "dsir transgressif" lidologie du dsir. Du dsir comme interdit et comme paresse du travailleur producteur, au dsir comme pulsion encadre et obligation du salari consommateur. Une idologie du dsir dont le mcanisme simple, implacable, fonctionne comme un moteur deux temps :

    Un. La libert rduite au dsir. (Passant ainsi de la libert conue comme matrise de ses dterminations inconscientes et domination de ses pulsions, la libert comme laisser-aller la toute-puissance de son inconscient et de ses pulsions, soit son exact contraire.)

    Deux. Le dsir rduit lacte dachat.Vous pigez ?Achat de quoi ? Mais des objets que produit en masse la socit de consommation. Non plus ces objets

    utilitaires trop durables, trop indmodables et fatalement en nombre limit que produisait la socit de grand-papa : gazinires, TSF, pataugas... au charme si pris aujourdhui aujourdhui par les matres du design qui sacharnent les copier, mais des objets chargs de rves, de fantasmes, drotisme par la propagande publicitaire ; cette vaste animation-stimulation de la consommation appele "spectacle" depuis Guy Debord, le philosophe le plus lu Canal+. Une culture de masse faite daccessoires de mode, de gadgets technologiques standing et autres objets transitionnels "panliss" promus par la femme-objet et censs vous conduire au plaisir par lacte dachat. Du broute-minou au lche-vitrines.

    Si le dsir put tre une aventure toujours individuelle, indite, dans une socit de linterdit et du srieux de la production utilitaire, lidologie du dsir de la socit de consommation des objets du dsir a transform irrmdiablement cette aventure en injonction ; le frisson en plan marketing.

    Do ce sentiment confus et dprimant pour les moins avilis, les plus sensibles, que le March salit tout : la contre-culture en Nova Magazine, la gauche engage en Lib, la grce de la jeunesse marginale en marge bnficiaire des boutiquiers la vente, et des rentiers aux capitaux.

    Pour ne pas collaborer cette infamie, ne pas vivre cette dchance qui mne implacablement de la libration sexuelle la pornographie tl de lpope rock aux Inrockuptibles les pionniers, les meilleurs, surent disparatre temps. Cest Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin morts doverdose ; cest Syd Barrett retir dans son monde intrieur ; cest Robert Wyatt irrmdiablement mutil la suite dune controverse dfenestration o les dpressifs virent un suicide, les dops la consquence dune prise dacide et son fameux effet envol de loiseau , les initis la tentative de passer par la fentre des chiottes pour ne pas se faire prendre par sa femme avec sa matresse. Robert Wyatt aujourdhui converti lIslam et au no-stalinisme (quelle merveilleuse cohrence) qui prononait, ds 1974, lloge funbre de cette brve pope dans Rock bottom (le cul du rock), saluant de son fauteuil roulant, avec son fessier dhmiplgique, lentre du show-biz dans la pop, le virage libral du patron de Virgin pass de la musique au soda, du planant au charter, tandis que chez nous, aux Halles, les marchands du Sentier allaient bientt succder aux punks, avant que les enfants de la tl de la pte hollandaise Endemolle ne succdent aux enfants du rock.

    Quen conclure ?Que si la socit de consommation dans sa phase actuelle radicalise et, souhaitons-le, ultime

    dindustrie du dsir pornographique nous ordonne de baiser, de cocufier, dexhiber (puisque comme pour toute drogue, toute alination, il faut augmenter les doses pour que leffet perdure), cest donc rsister au sexe qui est dsormais subversif. Cest la fois simple et logique.

    Jexagre ? Lisez : Le boom du string au Salon du sous-vtement Lyon Mode City

    Lyon (AFP), le 08-09-2003Devenu en quelques annes le dessous incontournable, selon les fabricants de lingerie, le string

    (ficelle en anglais) a t la vedette du Salon international de la lingerie balnaire Lyon Mode City, qui se tenait Bron (Est de Lyon) jusqu lundi.

    [...]"On la longtemps cach, on le considrait comme vulgaire. Aujourdhui, les femmes lassument

    totalement. Il est devenu un basique port tout ge", affirme la directrice du Salon Lyon Mode City, Claire Jonathan.

    [...]

  • "Les hommes aussi commencent sintresser au string dclin au masculin (10% des ventes de dessous chez Dim)", affirme Claire Jonathan, "mme si les principaux clients demeurent les homosexuels".

    Apparu dans les annes 70, pour "rsoudre le problme de la marque de la culotte visible sous les jeans ultra-serrs", le string tait lorigine port par les femmes "les plus hardies", notamment les strip-teaseuses, crit une spcialiste de lhistoire de la mode, Caroline Cox, dans son ouvrage Lingerie : langages de style (Editions du collectionneur).

    Il a ensuite connu une notorit "folklorique" la fin des annes 90, aprs que Monica Levinski sen fut servi pour attirer les faveurs du prsident Clinton, comme la not le procureur Kenneth Starr dans son rapport, cit par Mme Cox.

    Mais "ce sont les clips vido de la chanteuse amricaine Britney Spears, les photos de lactrice Jennifer Lopez en string, ou encore les missions de tl-ralit qui lont vritablement popularis", estime Laure Schlichter, une responsable dEurovet, socit organisatrice de Lyon Mode City.

    Si le pouvoir des marchands nous prsente le laisser-aller ses pulsions dsirantes, jouisseuses, individualistes, irresponsables comme un acte de libert transgressive, cest donc bien que la libert et la subversion sont chercher de lautre ct de cette entreprise de dmolition de la conscience de soi et du respect de lautre (ou de la conscience de lautre et du respect de soi, cest selon).

    Vous pigez ? Cest pourtant clair : vive le foulard et mort au string !

    Voil ce que je lui ai dit la grosse Despentes cet aprs-midi l au caf de la rue Lagrange, avec quelques annes de retard sur le PCF de feu Georges Marchais, mais quelques annes davance sur les slalomeurs Jacques Julliard et consorts... Ca ne tenait rien, sans ses yeux globuleux, sa dent jaune et ses poils au menton, je la menais dans ma chambrette et je me retrouvais, qui sait ? avec un petit rle bien trash dans Baise-moi !, le film. Acteur davant-garde lavant-premire, ptitionnaire contre la censure aux infos FR3 le-de-France et, apothose, aux cts de Catherine Breillat la manif avec le t-shirt !

    Misres du dsir, donc.Voil pour lessai la Pascal Bruckner, en plus marxiste (Bruckner, en bon ex-soixante-huitard, sait

    combien un essai trop marxiste vous aline durablement la clientle des dcideuses et des cadres, nos plus gros acheteurs). Et la solution, la rsistance tout ce caca sec, ces trahisons, ce commerce menteur serait... la chastet ? Abruti dimages de fesses et en plus... ceinture ? Aprs La tentation de linnocence et Misres de la prosprit, bon pour La tyrannie du plaisir de lautre chrtien de gauche Jean-Claude Guillebaud ?

    Comme la merveilleuse pope du rocknroll laquelle, dois-je lavouer, je ne crois qu moiti, tout a est un peu simple. Pris dans le clinquant des ides, cest confondre un peu vite idologie du sexe et sexe rel. Car derrire les images glaces de femmes aguichantes et de garons bodybuilds en slip, se tient, violente et grandissante, la frustration. Lle de la tentation , vous ny tes pas vraiment. O tes-vous en ralit ? Vous, madame ? A essayer de perdre votre culotte de cheval au Gymnase Club en vous disant que si ce naze den face de vous sur son rameur vous propose la botte, vous pouvez srement, sur le modle de la bourse, faire encore monter les enchres (et vous savez comment a finit chaque fois avec les petits porteurs). Vous, monsieur ? Seul devant la tl avec une bire la main, dans lautre la demi-molle, regarder ces ptasses intouchables qui finissent par vous lever le cur, vous dgoter, au point que lenvie de meurtre insidieusement prend le pas sur lenvie daimer...

    Rflchissez, si le pouvoir vous pousse l o en bonne logique il devrait interdire, cest que vous nen faites plus assez. Et ce vaste programme drotisation par le slogan, limage, force dinsister, rvle ce quil cache : vous navez jamais aussi peu bais.

    Du ct des femmes cest bureau, rgime, solitude et jogging. Du ct des hommes : fumette, vidos porno, chmage et Playstation. Une apathie du dsir qui, par effet retour, commence toucher ce quelle visait en ralit, la sacro-sainte consommation dont dpend la survie du systme.

    Jamais aussi peu bais ? Quest-ce dire ? Quon baisait plus en France du temps des Gaulois ou sous Louis XIV ? Sauf pour les sociologues de la trempe dlisabeth Badinter (hritire Bleustein-Blanchet) capable de dduire des us et coutumes la cour de Versailles (quelques milliers de nobles) le comportement des franais au XVIII sicle (plusieurs millions de paysans), tout a na pas grand sens. Pour comparer ce qui est comparable, disons quon baisait plus en France dans les annes 70. Pour tre

  • plus prcis, entre 1966, anne de diffusion de la pilule, et 1973, anne du premier choc ptrolier. Durant ce que la regrettable Franoise Giroud (merci Christine Ockrent de lavoir dfinitivement enterre) appela "la parenthse enchante". La parenthse enchante, soit la phase montante de lidologie du dsir. poque de hausse du pouvoir dachat et dallongement du temps de loisir. poque dun certain gauchisme bourgeois o, les parents cool voulant ressembler leurs jeunes, la petite amie et le petit ami pouvaient venir dormir la maison pour que papa se rince lil, que maman rve comme dans Le Laurat. poque o les magazines fminins dcouvraient la rvolution sexuelle, tandis que Louis Pawels promouvait le yoga tantrique dans sa revue Plante, des annes-lumire du "sida mental". poque bnie faut-il le dire, pour les paums comme moi, quand la fille de famille couchait avec le loubard, lArabe, juste pour faire chic. poque sans capotes et sans digicodes, avec petits htels pas chers en centre-ville hants par Calaferte, o un malin dot de quelques rudiments de dialectique marxiste niveau Godard pouvait convaincre une belle bourgeoise de se donner gratis au nom du progressisme, du meurtre du pre et de lantiracisme ; sans pognon, sans violence, juste la parlotte, dans la plus pure tradition franaise. Une parenthse enchante qui se prolongea sur un mode plus nocturne jusquau milieu des annes 80, grce la monte des branchs et du night-clubbing, avant de sombrer dans la fracture sociale et autres violences provoques dans les banlieues...

    Dure loi de la dialectique, si tant est quil existe le bon vieux temps ne dure pas. Aprs la phase ascendante, les contradictions sexacerbant pour donner raison Hegel, vint la phase descendante de lidologie : linflation, la crise conomique, le sida... Soit le passage du keynsianisme de la croissance par la consommation au no-libralisme de la rente montaro-financire pour sauver les profits ; la jouissance des gros par la liquidation des petits. Chmage, hausse des ingalits, exclusion sociale et urbaine : dune poque cool o lrotisme signifiait, pour la femme mancipe, communion et don, au feeling, sans trop de proccupations de classe, de niveau de revenus, on passa progressivement la femme patronne de son corps, conu comme petite entreprise et source de dividendes en priodes de crise.

    poque maudite o, via linfluence grandissante du puritanisme amricain et son avatar le fminisme, le jeu de loffre et de la demande se substitua au jeu de la sduction. Extension du domaine de la pute et de la logique librale la sphre de la sentimentalit, via la pseudo-mancipation des femmes, qui cassa la drague au mrite, au charme, pour tout ramener au pouvoir dachat.

    Fin du happening, de la communion hippie et de la drague la manif. Fin de llitisme des signes, du gratuit et retour la slection par largent ; soit la prime aux play-boys affairistes, aux ringards du show-biz et autres vieux cochons de la jet-set. Et pour cacher cette rgression objective des possibilits demploi, de promotion, de rencontres, le matraquage du sexuel mdiatique : sexe la tl, sexe la radio, sexe dans les magazines remplaant le sexe rel par le harclement pornographique et les jeux, pour masquer la crise, la monte de la solitude, la frustration, et pousser encore et encore si possible les bande-mou la consommation.

    Allez ! hardies bourriques, cochons de payants, vos cartes bleues !

    Dans ce contexte, reconnaissez que jouer la transgression par le sexe, la subversion par la surenchre dans le hard, cest tre trs malhonnte ou trs con. Le minimum de dcence quand on la joue rebelle ? Ne plus parler de cul, ne plus crire une ligne sur cet cul sujet. Ce qui ne veut pas dire chastet, au contraire. (Jai pu vrifier que les femmes qui crivent avec leurs fesses, les Franoise Rey je me retiens , les Alina Reyes... ne sont pas des baiseuses, des panouies, mais des profs de province problmes qui semmerdent avec leur mari et se servent de cette dviation graphomaniaque pour sduire leurs lves, sans passer lacte. Du cul plein la bouche en somme, mais rien dans la culotte.)

    Juste arrter de se payer de mots.loge de la chastet dans le langage, les images, et pratique du sexe convivial dans la sphre prive,

    lancienne. Renouer avec lemballage populaire des grisettes aux guinguettes, faon Liliom ; le charme discret de la bourgeoisie de province avec sminaires en relais chteaux, style La peau douce. Pudeur, dissimulation, aventure ; ne plus en parler, le faire, le plus possible hors des circuits slectifs et baliss.

    Comment aller dornavant dans une bote partouzes, quand on ny croise plus que des voyeuses qui prennent le cul pour du concept et dex-publicitaires payeurs, devenus prsentateurs tl ?

  • 2

    La ncessit et le manque de lautreou

    cette leon dhumilit quest notre nature Chapitre o jexplique comment le couple est la fois ncessit et chemin rus vers la chastet.

    Lnergie et le talent exigs pour devenir un dlinquant de relle envergure pourraient tre utiliss de manire bien plus positive. Si un maquereau parvient contrler neuf femmes, il peut tout aussi bien faire autre chose.

    Iceberg Slim

    Ni cul ni chastet donc.Sans tomber dans la thorie du verre deau en vogue au dbut de la rvolution russe, et qui voulait que

    la pratique du sexe soit aussi banale, aussi peu digne de glose que la ncessit pour chacun de boire rgulirement un verre deau, il est temps de remettre le sexe sa place, disons juste au-dessus de la nourriture du Michelin (et encore peut-tre plus pour les vieux).

    Dans un roman bourgeois classique, de qualit, sur deux cents pages dun drame fait de rapports de force, de survie, dalas... deux pages de bouffe, quatre pages de fesses. Plus et on tombe immanquablement dans le psy-cul pour lectrice de Elle, le dernier Houellebecq. Du sexe, daccord, mais condition de ne pas en faire tout un plat.

    Remettre aussi sa place cet orgueil nietzschen dans la faon daborder le sujet. A ceux qui verraient dans lapologie de labstinence un choix existentiel, un sujet de conversation, je rappellerai la Nature, le corps imprieux. Comme disait Kant, les filles tombent amoureuses parce quil faut quelles aient des enfants , et sans vouloir rivaliser avec le philosophe, la vie ma appris que Madonna ou caissire si vingt ans les filles font les malignes, trente ans elles finissent toujours par pondre des gosses. Cest mme nous de payer pour a.

    Du ct des hommes, ajoutons que la honte, frquente, de ne pouvoir se soustraire au dsir de sa bite, ny change rien. Mme si ce dsir du corps se double du dsir de connatre lautre, de voir ce quil y a derrire le voile, le miroir, la culotte, on se soumet son pouvoir, on se rpand, il y va de la perptuation de lespce.

    Les Grecs du "sicle de Pricls", pds sublimes, avaient compris cette ruse de la Nature qui nous met les femmes au cur pour mieux nous pousser y fourrer la bite. Et cest pour ne plus la subir, par esprit de libert, par culture, quils sen dtournrent pour voir au-del des femmes, le dsirable dans cet homme encore jeune fille quest ladolescent. Un refus hautain de se soumettre linjonction lourdingue de la Nature qui signa leur arrt de mort ; aprs le sommet, le dclin.

    Mon corps mappartient ? Eh non jeune fille, quon se situe dans lordre dmographique ou celui du dsir, ton corps ne tappartient pas, il schappe, il senvole, et cest ce que tu cherches, ce que tu dsires au plus profond de toi, garce menteuse, parce que cest dans labandon, la perte, quest le vrai et lultime plaisir.

    A ceux dont lesprit rtrci par la vision individualiste nierait cette vidence du dsir comme dsir dabandon, de disparition, de fusion, je rappellerai que bien avant nos monades autistes importes dAngleterre avec le puritanisme et le kilt, au commencement tait le couple. Le couple comme unit de reproduction. Quils sappellent Adam et Eve ou quils portent des prnoms moins catholiques, il faut dabord quun homme et une femme saccouplent pour que les gnrations soient. Lun spar de lautre, lhumanit disparat.

    Comprendre aussi le couple comme unit de production : couple dleveurs cueilleurs avec partage des tches, division sexuelle puis familiale du travail ; couple dagriculteurs o la femme sactivait dedans parce que lhomme sactivait dehors ; couples dartisans, de commerants avec lhomme au savoir et la femme la caisse ; couples dartistes mme avec la femme la relecture des contrats... Chaque fois le couple comme origine de la famille, puis la famille largie la tribu, au clan, avant la ncessaire exogamie dbouchant sur la division sociale du travail et notre socit de classes... Vous suivez ? La rgulation sexuelle soit une relative chastet oriente comme structure et dynamique sociale.

  • Pour ceux qui ont du mal avec le matrialisme historique, nous pouvons aussi recourir lontologie des symboles. Deux cercles qui reprsentent deux entits, lhomme et la femme. Lun surmont dune flche oriente vers le haut et droite, lautre support par une croix. La flche, cest la violence de lhomme, le phallus, mais une violence tourne vers le ciel, soit les questions mtaphysiques, et la droite qui, dans la symbolique de notre criture, signifie lavenir. Lhomme, selon le symbole, est un tre violent tourn vers le ciel et lavenir ; lui la guerre, la politique, mais aussi le progrs et la spiritualit. Le symbole de la femme est un cercle support par une barre plante dans quelque chose, pour elle a se passe en dessous. Alors que lhomme tourn vers le ciel et lavenir nest pos sur rien, instable, la croix reprsente cet axe qui ancre la femme dans le sol par les menstrues, lenfantement. A elle la terre, la reproduction, le concret. Par le couple, si lon en croit les symboles, lhomme donne son antenne sur le ciel la femme, le projet, lavenir, tandis que la femme ancre le rve de lhomme dans la vie matrielle, canalisant sa violence en projet civilisateur. Par ce simple recours aux symboles, le cercle surmont dune flche tourne vers la droite pour lhomme, le cercle support par une croix pour la femme, on comprend non seulement la ncessit du couple comme complmentarit et totalit, mais aussi pourquoi notre socit de consommation nourrit dsormais une telle haine pour le masculin. Emasculer lhomme, cest dtruire llan spirituel, le got du combat politique, le dsir de savoir ; aussi vrai que sparer les couples, multiplier les femmes volages et sans enfants, cest dtruire lamour responsable au profit du dsir de jouissance goste ; soit travailler, dans les deux cas, lavnement dune apathie consommante gnralise.

    Sans savancer si loin, la perte de vue du couple comme unit fonctionnelle, dans le but de traverser deux les difficults de la vie, nous vient sans doute aussi hormis le refus haineux et idaliste du matrialisme historique de la popularisation du romantisme. De cette confusion entre le couple comme alliance dans la dure, pour les enfants, la survie, et le couple passion, laventure passionnelle. Confusion entre le srieux de la conjugalit, cette union fait la force , pour le meilleur et pour le pire, et ce moment ncessairement bref o deux inconnus, pleins de pathos et de fantasmes se jettent lun sur lautre pour de mauvaises raisons, le temps de raliser que a revient au mme.

    Confusion couple / passion do nous viennent la plupart des divorces contemporains et la dcouverte, souvent tardive, des avantages perdus mais combien concrets de la vie deux : partage des cots fixes, loyer, lectricit, gaz ; diminution de moiti des investissements lectromnagers, frigo, tl, hi-fi, DVD ; moindre imposition fiscale par le systme des parts, accession plus facile aux prts bancaires et la proprit ; dgringolade moins vertigineuse en cas de chmage de lun des deux ( moins que lautre comme souvent ne le quitte, preuve que rien nest plus dsrotisant que la pauvret). Sans oublier pour monsieur, manger chaud et lheure, servi par une partenaire sexuelle forme sa main, disponible et fiable sur le plan prophylactique. Autant davantages plus apprciables encore en priode dinstabilit politique.

    Jentends dici la remarque : oui, mais le couple, la longue, gnrerait lapathie sexuelle. Et alors ? Nen avez-vous pas assez de courir aprs les dsillusions du dsir ? On vous dit dans Elle, madame, quil faut prendre un amant ? Raison de plus pour ne pas le faire. Apprenez vous mfier de ces conseils conso pour salarie mnagre qui vous remettent chaque fois dans le circuit, pour vous pousser engager des frais. Frais de coiffeur dabord, puis mode, cosmtiques, restaurant, rgime, htel... En attendant le recours inluctable la chirurgie esthtique. Votre mari, lui, stait habitu vos vieilles fesses...

    Paix intrieure, temps gagn... En tant la voie royale vers la routine puis lapathie sexuelle, le couple classique, par une merveilleuse ruse de la raison hglienne, vous conduit en douceur la chastet ; soit une libido sublime qui, les enfants pondus et la survie de lespce assure, peut enfin sinvestir dans le projet de russite sociale et de luvre.Une bonne grosse femme ses cts et on devient Bismarck, plusieurs on finit comme le gnral Boulanger.

    Le jeune homme fier et romantique na que faire de ce genre de sermon. Les arguments de la raison a lui viendra plus tard avec langoisse des points retraite. Pour lheure, aux traumatismes infantiles invitables chez cet animal prmatur si complexe, viennent sajouter les pousses de testostrone pour donner cette combinaison de nvrose et dapptence, cette immense insatisfaction que ni largent ni le confort ne peuvent encore apaiser. Ce sentiment violent de ne pas assez vivre compenser par le mouvement, avec au cul la dpression qui guette et interdit de se payer de mots.

  • En remontant plus loin que la Despentes, je me revois dans ma chambre de bonne de 12m dans le

    quartier Pigalle, au dbut des annes 80. Jeune homme imaginatif et pauvre mont de province comme tant dautres sur lair d nous deux Paris , avec pour tout contact sur lextrieur une bote aux lettres o narrivait, tous les deux mois, quune maigre facture dlectricit.

    Comme jaurais aim avoir la force, et le ddain, de rester enferm lire et crire de grinants aphorismes dans la posture dun Lautramont after punk. Mais le manque de lautre, ce besoin irrpressible de toucher sa peau pour me sentir exister, tre un peu plus vivant, me poussait dehors, comme tous, dans la rue, les commerces, les squares conqute... La conqute ? Disons plutt une mendicit dguise. Ma maigre culture livresque palliant linexprience, javais un peu compris grce au Kierkegaard de la premire priode (sa priode baise, avant la mystique), quil ne fallait pas montrer trop tt ses plaies pour plaire. Comme tous les branleurs, je jouais lhomme, je simulais. Il faut tre un vieux singe pour savoir faire lenfant.

    Quand les fministes voudront-elles bien comprendre quau dpart de tout dsir de femme, il ny a pas domination, exploitation, mais fragilit et manque ? Faut-il que leur haine de lenfantement et de leur nature de pondeuse les aveuglent ce point, pour ne pas comprendre cette nostalgie de la mre ? Quy a-t-il de plus fragile, face aux jeunes filles qui devinent si vite les enjeux de la sduction dans les yeux de loncle cochon, quun jeune puceau dans un corps dhomme ? Seuls la pudeur des mles, un certain dgot viril pour le verbiage, les poussent taire ce quils ont souffert au dbut. Toute dcouverte de la femme que cachait la mre est un traumatisme pour lhomme, le second aprs celui de la naissance ; tout aussi constitutif mais sans cri, en silence. Et comme tout ce qui nest pas verbalis, racont, il ne gnre pas le progrs mais langoisse, le ressentiment, et parfois pour les plus dmunis, les plus sensibles, un dsir de violence...

    La chance de ntre pas trop laid et davoir une bonne bite (je ne le savais pas lpoque, ce sont les pds et quelques filles gentilles qui me lont appris) me valurent des succs de hasard, puis dautres plus mthodiques, dj raconts dans Sociologie du dragueur (ditions Blanche, 15 euros, 5 dition). Mais quelle que soit lefficacit du tireur, celles dont on se souvient avec le plus denvie sont toujours celles quon a rates. Si bien quen matire de conqute nos souvenirs les plus tenaces sont nos mauvais souvenirs et, la longue, on na plus que ceux-l. Au fond le sducteur, si performant soit-il, reste un naf men par lillusion, jamais totalement efface de son crne, que cest dans celle quon a loupe quouvrait la porte du miracle. Celle que lautre a su prendre justement parce quil ny croyait plus.

    Quant aux mauvais tireurs, aux transis, ils ont au moins cet avantage sur les bons dignorer combien de victoires de faade dbouchent sur la dception de la communion rate. Cette solitude deux du petit plaisir drob qui laisse un got amer dans la bouche, comme de la mauvaise dope ; si bien que les plus aguerris, lasss, finissent par lui prfrer la bonne vieille drogue tout court : lhrone, la blanche...

    Addicte, dune drogue lautre on y revient toujours, avec en tte lindcrottable panoplie des fantasmes : la Ngresse, liane sauvage, promesse de sues tropicales, lasiate soumise et apprentie geisha, la belle arabe aux yeux de feu qui ne se donne quune fois et cache un poignard sous son voile... Toute la quincaillerie puise limaginaire colonial perptu jusqu nos jours, de Baudelaire Gainsbourg, par lrotisme potique du lettr branleur, avec au sommet de cette pyramide ethnocentrique, la Blanche bcbge perverse et catholique.

    A force de traner partout, javais dcouvert que les galeries dart dans le quartier autour de La Palette, rue de Seine, rue Gungaud... taient les seuls lieux semi-privs o un jeudi par mois, le jour des vernissages, un jeune homme ple, lair inspir, pouvait entrer, boire et causer sans quon lui demande de justifier sa prsence coups de boule et de poing dans la gueule.

    Dans la foule devant une toile, un verre la main, rien de plus naturel, donc de plus facile que dadresser la parole une fille ; les trentenaires surtout qui, les annes passant de plus en plus vite, nont plus de temps perdre feindre de bouder les garons. Oh ! Comme je me souviens de vous, petites et moyennes bourgeoises souvent seules, et forcment naves puisque croyant que llvation de lesprit passe par lintrt pour lart contemporain. Vous godiches du tertiaires, futures Catherine Millet, qui je tapais le tlphone aprs deux, trois gobelets offerts, histoire de me crer des dbouchs en prvision de soirs un peu moins vernis.

  • Peur panique des nuits de solitude, comme ce soir o pouss dehors vers la cabine tlphonique par ce sentiment dabandon (en ces temps, point de portable et un an dattente pour avoir sa ligne), jtais parvenu aprs une pre ngociation me faire inviter passer chez lune delle une certaine Chantal, assistante de production dans laudiovisuel.

    Le moment du mtro quand on se sait attendu dans un endroit chaud o il y aura boire, par une inconnue qui forcment vous dsire un peu pour navoir pas dit non, est un vrai moment de quitude ; cest dailleurs le seul ; autant le faire durer. Temps bni o lon peut enfin penser autre chose, se dtendre, rver, parfois mme jusqu renoncer ce combat quil va falloir reprendre, o il va encore falloir mentir, emballer...

    En posant un regard circulaire sur le dcor, je dchantais dj. La fille ntais pas mal, mais lappart... deux pices de 35m dans un immeuble des annes 60 dune de ces rues tristes du XV quon dirait la province. Des meubles fonctionnels en bois blanc avec des peluches, peu de livres et beaucoup de photos de famille, de vacance, pingles au mur sur des plaques en lige ; lenfer.

    Pour un jeune homme qui cherche lapaisement, la douceur, on ne dit pas assez combien la beaut du dcor est primordiale. La mme dans un environnement harmonieux, jaurais pu tomber amoureux ; mais l... La petite assiette de crackers pose sur le tabouret utilis comme table basse, les deux verres moutarde promus verres whisky me dprimrent si fort, en comparaison des images des films dErich von Stroheim que javais encore lesprit en quittant lascenseur, que je me jetai sur lalcool avec lenvie den finir au plus vite pour pouvoir me sauver.

    A jeun, donc rapidement bourr, jacclrai la procdure ; bien men prit. Mes manires cavalires correspondant sans doute ses fantasmes, elle mentrana dans lautre pice aprs le rituel passage en bouche, pour me faire visiter plus fond son petit intrieur. L, gn par son regard o je voyais se reflter mes mots menteurs, je la retournai dune main leste, continuant de lautre mimer la douceur. Hanches larges mais taille fine, peau laiteuse et blanche sans aucun mlanome ni bouton ; petit miracle. Dans la chambre carre et froide sur le futon carr mme le sol, son cul sous le lampadaire de la rue sclaira comme une pleine lune. Ragaillardi par lirruption de lastre des potes dans mon ciel vide une poque o labsence de sida, donc de prservatif, faisait gagner en temps ce quil vous vitait de sordide , je mactivai sans gne, motiv et gracieux, jusqu ce que la sensation baveuse de ferrailler dans du mou de veau ne me ramne au vilain dcor. Absence de rideaux, carrelage clair, store en mthacrylate gris beige. Un tel laisser-aller chez une fille de cet ge, incapable de contrler son tonus musculaire aux abords du plaisir, provoqua en moi dgot et agacement glac. Jallais me retirer quand une trange sensation, humide et brlante au bas des couilles, me fit perdre nouveau toute notion de distance de la Terre la Lune. Abandonn inconscient au plaisir, je mobligeai bientt porter une main ferme sa source pour me saisir, au milieu des peluches, dune petite touffe de poils vivante. Ouaf, ouaf !

    La honte rtrospective pourrait me faire taire mais je dois mon lecteur. Ctait son petit chien qui me lchait larrire du scrotum de sa langue rpeuse et enfivre.

    Que dire ? Que faire ?La fille dont les fesses allaient et venaient devant moi comme du pudding anglais, tait dj partie trop

    loin pour sintresser autre chose qu son fuyant plaisir. Je remis donc linnocente petite bte au sol qui reprit aussitt sa besogne.

    Ptale de rose, concours canin. Oserai-je lavouer ? Nous joumes en mme temps, elle seule, moi avec le chien. Un petit yorkshire mle poils long de trois ans, vierge, prnomm Poupeto. Poupeto mi corazon, la langue rche et aux yeux de velours ! Je ne sus jamais si tu avais t dress cet exercice par une paume perverse, ou si cet lan damour ttait venu dinstinct. Quoi quil en ft, ce pur moment de tendresse rest jusqu ce jour secret est le plus beau moment de communion charnelle dont je me souvienne.

    Ouaf, ouaf !

    Imaginez, pour un garon bien lev et sensible, ptri de culture romantique et daspiration au sublime comme on lest cet ge, le sentiment de gne rtrospective qui mhabitait, revenu moi, dans le mtro du retour. Si daventure je croisais un regard de fille cette heure tardive, aussitt javais limpression quelle savait et je baissais la tte jusqu changer de place, terrifi quelle ne lise dans mon regard et quaprs lesquisse dun sourire plus moqueur quengageant, elle ne se mette aboyer pour dsigner ma dviance passive la vindicte de tout le wagon.

  • A lvidence, la continence vous vite ce genre de dceptions et autres dchances. Mais comme dit

    Montherlant dans Les jeunes filles, le dsir a au moins ce mrite quil vous pousse frquenter des gens. Frquenter des gens et aller dans le monde, pour voir comment a marche en socit...

    3

    Le culturo-mondainou

    le sourd combat pour la possession du sexe des femmes Chapitre o jexplique que le milieu culturel est dabord mensonge et dguisement quant ce but inavou, donc trahison dune culture rduite la sduction.

    Si largent poussait dans des arbres, les femmes du monde pouseraient des singes.Jean-Edern Hallier

    Il nest pas dlirant de penser que la puissance politique des Allemands, contre laquelle le reste du

    monde dut se coaliser deux fois pour les ramener au raisonnable, leur vient tout droit dun manque de savoir-faire avec les dames. De ce mpris pour la mondanit la franaise o rgnent en matres la bibine et la fesse, et que nous avons tendance, de ce ct-ci du Rhin, confondre avec lintelligence.

    Chez nous le romantisme voque La nouvelle Hlose et Chopin, chez eux le Tristan de Wagner annonant les grosses fcheries dAdolf...

    Mais revenons Paris pour nous poser la question cruciale : pourquoi va-t-on en discothque ?Dabord parce quaprs minuit, quand on ne parvient pas dormir et quon ne veut pas finir seul, il ny

    a gure dautre choix. Les cafs ferment deux heures et, pass minuit, nattirent plus que des pochetrons, la rue est noire et froide, les squares sont ferms.

    Mais les garons et les filles y vont-ils pour les mmes raisons ?Derrire le vocable unisexe et menteur de "jeunes", deux motivations bien distinctes : les garons sy

    rendent pour rencontrer lamour et, dfaut, des filles bien faites dans un but de consommation immdiate. Les filles pour danser et sy faire des relations ; ce qui chez la petite bourgeoise infrieure se rsume souvent un type qui pourrait lui fournir un boulot de vendeuse, ou jouer les protecteurs.

    Continuons lanalyse.En dehors des filles et des garons, que trouve-t-on dans les botes qui invite les femelles se

    dhancher pour pousser des mles bourrs vouloir les saillir ? De la musique et de la boisson (un peu de drogue aussi, aux chiottes, mais a nentre pas dans la comptabilit). La musique est gratuite, la boisson payante, cest la source de revenus du club, qui nest dailleurs pas un club au sens strict mais un dbit de boissons en infraction systmatique avec la loi, puisque on se permet de vous en refuser lentre (et plus ce risque est grand, plus est grand votre dsir den tre, telle est la misre du dsir laquelle aucun testing ne peut rien).

    Mais poursuivons la visite. Qui paie boire ?Les vieux. Est appel "vieux" en discothque tout adulte de plus de trente-cinq ans engag dans la vie

    active ayant les moyens de payer boire des jeunes sans puiser dans son budget "frais fixes", donc avec le sourire. Et qui ces vieux offrent-ils boire ? Aux jeunes filles, pour quelles viennent sasseoir leur table afin de les couper de la piste de danse, o les jeunes mles sans le sou usent de latout de leur ge, le physique.

    Rflchissez. A moins quil ne soit pd, quel intrt aurait un vieux payer boire une jeune homme mieux fait et plus en forme que lui ? Et, quil paye ou pas, table ou sur la piste, quel intrt a-t-il mme subir en ce lieu quil fait vivre, cette concurrence dloyale ?

    Jai mis un petit moment comprendre cette ingalit structurale entre filles et garons, face ce quon a coutume dappeler le "monde de la nuit" et ses lieux de dsirs. Lieux de dsirs qui sont pour la jeune fille autant dacclrateurs sociaux (quand Bambou, sans profession, y rencontre par exemple feu

  • monsieur Gainsbourg, auteur-compositeur succs), tandis quils signifient, pour les garons htrosexuels de mme extraction, frustration et luxe inaccessible.

    Un soir, au tout dbut de mon arrive Paris, un peu avant Poupeto, bien avant Despentes, javais rendez-vous avec ma sur lElyse-Matignon, le club hype de la capitale en cette toute fin des annes 70 ; rang quil partageait alors avec Le Priv du sympathique Claude Challe.

    Pour bien saisir de climax, je dois vous prciser que ma sur et moi, arrivs sparment dans la grande ville quelques mois dintervalle, vivions chacun dans une chambre de bonne, elle de 9m dans le XV, moi de 12m dans le IX comme dit prcdemment. Pour nous retrouver dans des conditions agrables, il lui semblait tout naturel de me proposer ce lieu de rencontres vaste et convivial, situ de plus gale distance de nos deux placards.

    Prudent, je lavais quand mme rencarde devant, me doutant bien que pour passer la porte incertaine, avec ses fesses et ses joues fraches, elles serait mon ssame. Inquiet de son possible retard (elle aurait pu, en ce lieu elle savait quelle avait lavantage), je mtais prpar lattendre, cach quelques pas, pour ne pas me griller dentre avec le physio. Mais non, elle est l, lheure. Bise et petite vanne, comme il est dusage dans les familles pudiques o lon cache lamour par toutes sortes de vacheries quotidiennes, au point de ne plus faire la longue quinsulter. Nous nous approchons de la porte laque au judas de cuivre quand jentends, dans la pnombre, une voix qui mappelle.

    Hep lami !Je ne sais pas si vous tes comme moi, mais je ne rsiste pas au mot "ami" prononc par une voix

    inconnue sur un ton populaire. Mloignant de ma parentle, je mapproche, pour dcouvrir dans lombre des arbres un clodo sur un banc.

    Tas pas une cibiche ? (Cibiche ctait le mot lpoque pour cigarette.)Il faut vous dire quen ce temps-l, avant la grande vague des SDF et autres dus de la croissance

    jets de plus en plus jeunes, et de force, dans laventure no-beatnik par le no-libralisme rgano-fabusien, les clodos taient des adultes. Souvent de vrais volontaires, avec derrire eux un long parcours professionnel qui leur donnait de lpaisseur, une prsence. Sils ne ressemblaient pas tous, comme aujourdhui, des musiciens de hard rock, certains taient de vrais ex-musiciens, dautres danciens ingnieurs qui avaient choisi, pour des raisons complexes, la misre et la rue. Pouss par cette fascination morale pour ceux qui ont renonc la vie matrielle comme Notre Seigneur Jsus, je me retrouve donc face ce clochard assis sur son banc qui me demande une cigarette, si bien que je nentends pas ma sur prononcer :

    On se retrouve lintrieur et sloigner.Comme tous les vifs qui pensent vite jai lengouement bref, et comme je ne fume pas, que le mec dj

    diminu par lalcool pue dcidment trop des pieds pour me faire penser plus longtemps au Christ, je dcide rapidement de rejoindre ma sur, pensant que lessentiel est que je ne me sois pas dtourn de lhomme, au moment o il mappelait. Mal laise, je lui dit Salut pour ne pas serrer sa main sale, et je me retrouve nouveau face la porte, seul.

    Cest vrai que pour les filles la jeunesse passe plus vite, mais quand mme, elle aurait pu mattendre. Avec en tte lide quasi panique de rejoindre dedans la seule personne que je connais dehors, je sonne, tandis que menvahit cette sensation flasque dtre soudain minuscule, qui confine au handicap social. La porte souvre, un type assis sur un haut tabouret, chauss de lunettes cercles acier qui lui donnent un petit air dintello, me contemple en professionnel. Il laisse passer le temps rglementaire avant de lcher un :

    Ouuuuuiii ? interrogatif et tranant. Je rejoins ma sur qui est dj lintrieur, bafouillais-je dune petite voix de rat quon mascule ;

    ton saccad, dbit rapide. Qui a ? Agns S.Souriant et cool, le physio change un regard avec une demi-vieille en retrait, mi dame-pipi, mi Rgine

    Choukroun qui me dvisage de ses yeux de vieille pute passe maquerelle, avant de balancer au commis, volontairement sans sadresser moi :

    Soire prive.Jai bien entendu, mais pour tre sr que je comprenne que ce nest pas la peine dinsister, que je minsurge, le portier au look darchitecte retranscrit, placide :

    Pour le moment cest une soire prive, essayer de repasser plus tard.

  • Plus tard, a veut dire : dans quelques annes, quand tauras du flouze, plus cette tte de pote apeur et les moyens de toffrir les demi-putes rserves lintrieur aux vrais clients qui payent. Tas pig ?!

    Que fis-je alors ? Exactement comme toi, minable, en pareille occasion. Jai baiss les yeux et tandis que la porte se refermait mollement sur moi dehors, ma sur dedans, je dglutis ma honte, redouble par lhumiliation de sentir le clochard qui me contemplait, goguenard, tapi dans un coin dombre et de renoncement digne. Pour ne pas le voir jai fix mes souliers culs, puis mes vtements des puces new wave pour moi, doccasion pour eux dans la vitrine de la galerie dart de merde cher pour Libanais d ct, et jai march de la rue Matignon la rue Fromentin, vers mon petit chez-moi.

    Ma chambre regagne, aprs dshabillage et toilette succincte (dents, visage, bite, anus), jai ouvert un livre, un 10/18 du marquis de Sade, le pire, Les Cent Vingt Journes de Sodome o, sur des centaines de pages, des vieux sages fascistes font bouffer pour les punir dtre innocents et frles, leur merde des connards de jeunes.

    Rien de personnel.Dans ce genre de lieu, vu du camp du commerce, quest-ce quun jeune homme pauvre ? Un prdateur,

    un rival sexuel. Quest-ce quune jeune fille ?... Cest la dernire fois que jai vu ma petite sur avec les yeux dun grand frre. Aprs, je lai vue comme un ouvrier regarde une poule de luxe.

    Quelque temps plus tard, en feuilletant une revue de charme, dj ancienne, dans la salle dattente dun quelconque dispensaire o je mefforais de faire soigner mes dents pour moins cher, je dcouvris une grande photo delle en couleurs, poil, avec en main un sche-cheveux en guise de vibromasseur. Sous le clich, un commentaire succinct mais logieux apprenait au lecteur que cette jeune artiste jaime cet abus du mot artiste avait dcroch cette anne le titre envi de "Miss Elyse-Matignon". Vridique ; ce nest pas prcisment le titre de gloire quelle aime quon lui rappelle, mais moi qui fus son frre je men souviens trs bien.

    En suivant ce chemin, fatalement elle nest pas devenue agrge de mathmatiques, mais actrice, copine de Bruel et Lindon qui taient l aussi ce soir, comme tous les soirs depuis consolider leur richesse intrieure. Moi je suis devenu polmiste, crachant dans la soupe quon na pas voulu me servir.

    Rien de personnel.Dans le monde merveilleux de la jet-set et du night-clubbing, un jeune type qui na pas dargent sil ne

    donne pas son cul, ne fait pas le rabatteur ou le dealer, est sur un sige jectable, cest la logique conomique. Sil est beau mec, cest pire. Il y a des quotas pour les moches, ils servent de faire-valoir. On les admet pour que les filles se disent que les vieux ont au moins lexcuse de lge et du pognon, quils vont vous apprendre des trucs. Un vieux laid a peut quand mme avoir de la gueule, alors quun jeune laid cest lenfer. Arnaud Viviant vous le dira, un petit pou qui ne baise pas pose moins de problmes lentre. Le grand beau mec sans un qui emballe, lui, se fait toujours virer, de partout, mme sil ne fait pas de politique.

    Tiens, avoir bais la matresse du patron des Bains-Douches, lignoble petit Fabrice, ex-broc recycl dans le show-business (toujours lalibi artistique pour continuer baiser plus jeune que son ge) me valut quelques mois plus tard, alors que je commenais connatre la musique, une exclusion temporaire de six mois. Pourtant je lavais emballe la rgulire, sa mannequin noire gante aux grandes lvres !

    Rien de personnel.Juste une loi sociologique. Entre garon et fille du mme ge, "dmunition" gale cest un peu

    la tte et les jambes, le livre et la tortue. Vingt ans pour elle et tout gratis, condition de payer un peu de sa personne, de faire marcher son petit orifice. Quarante ans pour lui, condition davoir boss et fait marcher sa tte. Do elle vient ma culture qui me fait gagner mes sous aujourdhui ? Quand on nentre pas lElyse-Matignon et quon est grill aux Bains-Douches, on se prpare de longues soires de lecture, cest tout.

    Mais vingt ans de plus jouer les outsiders, ctoyer les mecs sur les bancs, ou assis sur les bagnoles ct de lentre, les ternels mecs qui ne rentrent pas, outre mavoir convaincu que je ntais pas n pour vivre au-dessus des autres pas du peuple lu en quelque sorte , mont rendu le privilge dsagrable. Maintenant, socialement a va mieux, bien mme, surtout grce vous, lecteurs payants ; mais dans lhtel cher, Saint-Trop ou ailleurs, le regard du liftier, les yeux de la femme de chambre me gchent chaque fois le confort du matelas. Jai beau essayer, je narrive pas me sentir laise avec ceux qui jouissent dcraser les faibles et de sucer les forts.

  • Pardon petite sur, ce nest pas leur faute aux filles qui nont pas fait dtudes, si les mondains ont plus besoin de chair frache que les potes. Pas de ta faute si le champagne, la fte, le luxe, a plait beaucoup aux femmes ; comme faire les magasins, loin des angoisses mtaphysiques sur lexistence de Dieu, le bien, le beau, les ides de rvolution. Tous ces trucs de garons lancienne, davant Steevy, superficiel et con comme une fille.

    Alors adieu petite sur.

    Il nest pourtant pas juste de sparer radicalement plaisirs du mondain et culture. Ce nest pas pour rien que la bote chic est bourre dhommes de lart : chansonniers pour minettes, professionnels non-techniciens du cinma (les techniciens ne rentrent pas). Beaucoup de Benamou, Benichou au coude coude avec des bourgeois cathos dcadents qui feignent de sentendre avec eux comme larrons en foire, parce quils mangent la mme gamelle, pour linstant... Une collusion du dsir et de lart ncessaire, car le combat pour le sexe des femmes est un combat qui ne peut pas se dire. Cest un combat honteux, cach, magnifi, mythifi...

    Honteux juste titre. Car si lamour sentimental peut avoir quelque chose de beau, comme tout ce qui touche la perdition, laveuglement, lerreur accepte, le sexe organique est trs laid. Pour les participants qui ont un peu perdu la tte, a peut encore passer, mais vu de lextrieur... La bite turgescente avec la grosse veine bleue, le prpuce imprgn durine, les couilles aux poils clairsems allant et venant dans cette plaie dissymtrique avec ses plis, ses crtes, ses relents de fromage au poisson... Les artistes de lpoque classique sabstenaient de figurer le sexe, et quand Corot le moderne sy mit pour faire le malin, il peignit le sexe le plus invisible qui soit, un petit sexe dAsiatique quasi abstrait, pas la charogne de Baudelaire. Rellement subversif, il aurait os le tablier de sapeur, le dindon, pour nous montrer quelle nest pas bien belle lorigine du monde. Inter faeces et urinam nescimur (nous naissons entre la pisse et la merde) disaient les Latins.

    Plus raliste, et mme raliste en diable, la vido pornographique est l pour nous rappeler cette laideur du sexe, de lacte sexuel que cherche toujours travestir le menteur cinma dart. Le pilonnage mcanique et guerrier, les ahanements bestiaux pathtiques, les oui, oui, mets-moi tout , les tiens, taimes a salope ?! . Et quand la camra sapproche, les boutons sur les fesses, les poils incarns, la sueur, avec en apothose limage cardinale de la fellation, ljac faciale pour bien humilier la femme, nous rappeler o le rapport se situe, o a voulait en venir : ma queue dans ta tte. Lorgane de la parole, ta bouche, rduite en urinoir pour te punir davoir dabord dit non a fait partie du protocole , puis oui , parce que jai su finalement mimposer par la force, linsistance, la tchatche, le pognon... Cest la fonction morale du porno de nous rappeler, loin des mensonges de la posie rotique et autres dlires de puceaux en transe, combien le sexe est vil.

    Honteux et cach, parce quon ne peut pas dire, cest lvidence, ce quon aimerait lui faire ; avouer quon veut en venir ce sommet de domination vengeresse et de laideur. Imaginez lefficacit de lhonnte homme osant dclamer la belle inconnue : Oh ! comme jaimerais te voir quatre pattes, dsirable ptasse, ton apptissant popotin offert, couinant comme une truie quon gorge dans la cour de ferme un jour de fte chrtienne, tandis que jirais et viendrais dans ton anus dilat juste un peu pris en tratre... Il faut bien enrober la chose, recouvrir daluminium dor le mauvais chocolat pour que le vieux chauve aveugle ait, le temps ncessaire, son petit air de Prince Charmant.

    Une laideur honteuse et cache magnifier, mythifier par la simulation si possible dune forme de spiritualit.

    Tel est le rle de Don Juan, ternelle figure du socialement dominant qui soccupe en baisant des gourdes, parce que sans envergure strile sur le plan cratif et politiquement impuissant et qui sinvente pour se cacher la viande, loisivet, la misre, le dfi mystique, transcendant, la statue du commandeur.Dans la ralit du grand seigneur mchant homme espagnol comme de ses descendants industriels, nos sducteurs en bote contemporains, pas plus du statut du commandeur que de beurre en branche. Juste la bonne vieille arnaque transgressive remise au got du jour par Bataille, pour que des jouisseurs un peu cons, un peu lches, ne se voient pas en face comme des tireurs de gamines de gamines pauvres en plus

  • mais comme de courageux spiritualistes la limite du suicidaire, genre Maurice Ronet dans Le feu follet.

    Simuler la spiritualit pour cacher lavidit du vice et le vide, cest le truc de tous les tartuffes.Tiens, transpos au domaine politique, a donne un peu lactuel lu socialiste, dniais aux jeunesses

    communistes puis devenu franc-mac pour renforcer ses rseaux. Vous voyez ? Le chapon en costard-cravate qui sert des cuillres la chane dans des hospices daprs-canicule, avant de retourner faire les marchs, et qui veut vous faire croire quil planche en loge en plus, par got de la philo !Mme mcanique de simulation de la spiritualit pour les sectes, systmatiquement perscutes par les francs-macs qui naiment pas trop la concurrence. Les Raliens par exemple, je me rappelle leurs dbuts quand ils racolaient avec leur petite revue bichrome sur les plages dIbiza. Rien de bien mchant, des quarantenaires sirupeux aux cheveux longs qui draguaient les tudiantes allemandes tentes par loccultisme, afin de les initier la grande communion par la fesse en attendant les martiens. Sacr Ral ! Il a fait son chemin depuis, lancien critique automobile, avec ses histoires de soucoupes volantes, ses arnaques au clonage complaisamment relayes par la tl. Sous ses faux airs de Michel Fugain, je ne peux pas mempcher de trouver le mec sympathique, toujours souriant, habill Courrges, grant en grand patron gauchiste son big bazar extraterrestre.

    On se fait une fausse ide sur les sectes. Ces ternels refuges pour paums en qute de transcendance ne sont-elles pas la revanche des imaginatifs sur les politicards et les businessmen ? Pas pires sur le plan du mpris et de la manipulation que la jet-set internationale et Wall-Street, ces PME du bricolage mystique ont au moins le mrite de soulager la charge de la Scurit Sociale et des hpitaux psychiatriques.

    Comment je peux savoir ? L aussi jai donn.

    Tricard lElyse-Mat puis aux Bains-Douches comme je vous lai dit, donc souvent en vue, je fus initi par une certaine Wendy qui me recruta dabord en me donnant sa chatte dans une entre dimmeuble du quartier Arts et Mtiers.

    Appt par la beaut du programme, je la suivis dans sa secte de yoga tantrique (le nirvana par la baise, un truc base de transmutation dnergies), Iso-Zen a sappelait (pour Orient-Occident), monte par un ancien psychiatre comme souvent les trucs pour manipulateurs pervers.

    Peuple de filles et de garons pile dans mon profil cherchant plus la transe que linvite Deauville (bien quau fond il sagisse toujours du mme dsir dtre transport gratis) , du jour au lendemain je me retrouvai membre actif dune gentille colonie partouzarde qui avait transform en camp de gitans un trs bel htel Arts dco le long du bois de Vincennes. Les vieux baisaient les jeunes ; les jeunes qui vendaient des bijoux fantaisie, dans le style oriental, aux terrasses du quartier Saint-Michel pour remplir les caisses, rabattaient des paums pour les vieux et les baisaient au passage ; des vieilles pognon trouvaient se faire baiser en donnant un bout de leur hritage, puis ramenaient leurs filles. Tout le monde y trouvait son compte, hormis la joaillerie dart et les monuments historiques.

    Je me souviens de la discussion trs honnte que jeus avec le numro deux de la secte, un ancien cadre de chez Jacques Vabre dont je trouvais la tenue demploy de bureau, limite VRP ringard, en dcalage avec la panoplie roi mage plus fouille de lex-psychiatre : cape en velours, bottines argentes, chasuble en soie mauve... A la question : pourquoi un mec comme lui, diplm, intgr, se retrouvait en tailleur faire le gugus, un sceptre recouvert de papier alu dans une main et un bouchon de carafe en cristal autour du cou, les soirs de grand-messe ?, il me fit valoir, pos, devant un caf-crme loin des oreilles indiscrtes, ce quil avait gagn embrasser la cause. Au niveau du boulot, il faisait toujours la mme chose, de la gestion, des colonnes de chiffres, actif, passif... Mais au niveau du quotidien, il avait troqu une femme moche et chiante, pouse lpoque de ses tudes quand il tait pauvre (il navait pas le choix, comment lui jeter la pierre ?), un chiard ingrat comme ses gniteurs, que sa mre avait pouss la haine du pre pour se venger de ntre plus baise, et un lourd crdit sur un pavillon en grande couronne, contre un aropage de vestales quil pouvait, en tant que numro deux, tirer certes aprs, mais presque aussi souvent que le chef. Cest le cul qui lavait pouss. Il adorait le cul, jeune. Sa femme tait un dragon imbaisable et son dsir de domination lui rendait les putes insatisfaisantes. Lui qui tait toute la journe dans le ralisme, les chiffres, nacceptait pas de se retrouver encore dans une logique dachat-vente pour assouvir son vice. Ca se tenait ; ctait mme plutt humain.

    Jy serais dailleurs rest plus longtemps dans cette secte, si je navais faut sans permission avec la favorite en titre, par arrogance, par dsir dlection. Une superbe Portugaise, Amalia de la Torra Ferentes (a ne sinvente pas !) qui flashait sur les blonds. (Notre gourou, Iso, tait un gros velu brun courtaud

  • dAfrique du Nord, comme souvent les abuseurs psy). Cristal maudit, statuettes, envotement, fourchettes... Nous nous enfumes ensemble, traqus par la secte, cachs gauche droite par des ex dus le plus souvent de navoir pas t promus sous-chef , des journalistes, avec derrire la tte lide de vendre un sujet, un avocat mondain abolitionniste mme, qui comptait bien moyen terme se rembourser sur la bte. Oh Amalia ! Que de souvenirs mus ! Pendant deux mois nous ne fmes, toi et moi, que fuir, dnoncer et baiser. Puis, laffaire se tassant, tu voulus sortir en bote pour achever de te remettre. Un demi-proxo du nom dArturo, rput pour baguer sa bite quil laissait ostensiblement pendre le long de sa cuisse fleur de pantalon sans slip, tant il lavait grosse, te mit la main dessus. Malgr mes efforts, au fond, jtais gentil garon avec les filles, ton dsir dtre soumise, domine, redevint le plus fort. Cest l que je tai perdue.

    Passe de premire vestale chez Iso-Zen demi-pute en discothque, quand jy repense finalement je men veux ; pas sr que tu y aies gagn.

    Que certaines femmes aient besoin de lillusion de la spiritualit pour se faire mettre et que des malins en abusent, cest de bonne guerre, mais en Occident sur ce sujet la religion majoritaire est sans ambigut : si pour les bonnes surs le vu de chastet signifie se garder pure pour Jsus, pour les prtres qui font vu de clibat, on reste pur en se gardant des femmes (do ce got pour les petits garons).

    Selon la conception catholique de la spiritualit, quiconque veut se vouer au ciel doit viter la femme qui est la terre, le trivial, lorgane. A moins quelle ne soit mre et vierge, enceintre par loreille et lange Gabriel, comme la Vierge Marie.

    Les religieux protestants se marient comme les Juifs ? Cest que pour ces nouveaux prdestins, crotre et se multiplier est une affirmation de puissance pour la plus grande gloire de Dieu ; car ils croient eux aussi que la puissance plait Dieu. Seulement leurs femmes sont moches, elles ont du poil aux pattes et leur approche du sexe est purement reproductive.

    Sil y a accord des protestants et des catholiques sur le malfice du sexe ce plaisir sans effort contraire la morale du travail, donc dangereux parce quouvrant la paresse des pauvres et au parasitisme des riches , les catholiques gardent au moins le got de lrotisme quils considrent comment la transgression mineure. Pour eux le pch majeur cest lusure, cette jouissance sans quivalent travail qui dcime toute thique sociale. Une rintroduction du prt intrt qui inaugure le renoncement la morale chrtienne et quil sagit de dissimuler, comme toujours, en focalisant sur les simagres. Do cette idologie amricaine du sexe triste et de la prosprit ingalitaire, loppos du catholicisme europen qui garde ce charme antisocial dun Dieu nu et crucifi dont se sont loigns les protestants pour se rapprocher des tribus de Juda, qui nont toujours eu que mpris pour cet apostat.

    Or, dans un monde sans Dieu o la stricte observance du dogme sest mue en questionnement dune ralit mouvante par les seuls moyens de la morale raisonnable, la spiritualit authentique ne peut plus tre ladhsion sectaire mais ce que jaccomplis l, sous vos yeux, le travail dcriture. Lcriture comme religion de la vrit.

    Et ce nest pas par hasard si cette pratique austre ne plait pas plus aux filles qui veulent jouir quaux patrons de bote, pour qui lartiste dsigne implicitement lacteur, le chanteur, le metteur en scne... Soit toute pratique sociale de divertissement au service de la consommation dsirante, forcment mieux rtribue sur le plan symbolique et pcuniaire.

    Lcrivain, niet ! Intriorit, solitude... Cet art du questionnement qui ne passe pas par le corps est bien trop prise de tte pour susciter lintrt des putes du commerce. Houellebecq le sait bien qui voulait faire chanteur.

    Tout le problme du petit clerc lac confront malgr lui au divin cest quil est le dernier baiser dans la hirarchie de lart et quil le sait. Mme le peintre, notorit gale, fait moins pire que lui.

    Face lquation "vrit gale chastet", sa tentation est de combler son handicap. Mentir pour tirer et se rendre utile, non seulement en contribuant maquiller sa baise en culture (valoriser Don Juan), mais en faisant aussi de la culture un lieu o lon baise (doubler Don Juan).

    Ainsi, le culturo-mondain sordonne selon une double lutte. La lutte intrieure de celui qui comprend quil doit choisir entre crire srieusement et plaire aux gourdes ce besoin de niquer qui transforme coup sr lhomme de lettres sans corps mais dou pour le verbe, en Grard Miller. Et la lutte extrieure, une fois ce renoncement accept, pour faire son trou et grimper dans la hirarchie. Une combinaison de soumission idologique et dintrigues mondaines qui donne cette culture rpugnante du coup de pied de

  • lne et de la barbichette, quon peut contempler loisir heureusement de plus en plus tard chez Guillaume Durand et Franz-Olivier Giesbert.

    Do ce mensonge ncessaire de llitisme collectif. Cette connivence des collabos du culturo-mondain qui, ayant renonc slever au-dessus deux-mmes par un travail sincre, se sont levs au-dessus des autres par le nombre et la ruse.

    Elevs au-dessus de qui ? Des ternels domins qui ne se sentent pas de taille et ont plutt choisi, pour traverser la vie, cette domination humble des poissons, du balsa ou des facteurs quest la pche la ligne, laromodlisme et la philatlie.

    Prtention mal laise, secrtement humilie, car la clique des dominants de la culture, qui dominent tout sauf la culture, connat suffisamment lhistoire pour savoir quen art les forts vont toujours seuls ; smaphores dissmins sur ltendue du conformisme et qui se font des signes, de loin en loin, nesprant quen la justice du temps, tandis que nos stratges de lphmre sont contraints de rester groups, tour tour liftiers du renvoi dascenseur.

    Do ce recours systmatique au mot "brillant" tellement rvlateur. Il faut que a brille pour sblouir et attirer les filles. Chez le culturo-mondain tout est clinquant et toc comme une chambre de bordel, et pas plus que sa prose ne gagne tre tudie, il ne gagne tre connu. Pour qui sait lire et connat ses classiques, lune laisse deviner lautre. Dans le faux style ampoul dun BHL fait de paratre et de nant , ne voit-on pas, comme si on y tait, le pied-noir nouveau riche commander son th anglais en anglais son laquais tamoul, aprs avoir ostensiblement laiss tomber sa veste de crateur au sol, pour jouir du plaisir de le voir la ramasser ? Ne devine-ton pas le matre, la tasse la main, le petit doigt lev, vrifier par la lourde persienne du boulevard Saint-Germain, lil inquiet, si la Jaguar est bien l lattendre en bas, sur le bateau abusivement annex, avec le chauffeur pay pour a qui se fait chier lintrieur ?

    Ah ! Dlices du standing qui vous permet doublier qu force dinauthenticit, lmotion sest dessche en sensation ! Jouir, toujours jouir, avec pour donner le change lallusion permanente la petite jeunesse rebelle, quon magnifiera dautant plus quelle fut courte et insignifiante. Oh ! hros frelats de Mai 68, cette erreur adolescente heureusement corrige par le ralisme de la vie adulte. Envole romantique quon aura commise une seule fois, scientifiquement, pour bien montrer quau dpart il y avait une petite beaut intrieure, mais quon a trs bien su y renoncer pour le luxe et la fesse...

    Comme il doit parfois se sentir seul, et inquiet, le dj vieux Sollers ; et comme il doit lui falloir jouir lui aussi, sagiter, pour fuir la ralit de la mort qui approche ; la mort totale de lhomme sans oeuvre qui voulait tre artiste.

    Rassurante finalement la dpression dun [Philippe] Labro, et tellement comprhensible quand on sait laisser derrire soi Ltudiant tranger et Jsus Christ est un hippie. Ecoutez et priez pour lui : [...]

    Ctait, je crois, je charme de Jean-Edern Hallier de ntre pas parvenu totalement cder cette tentation du vendu ; do cette agitation, ce dlire, comme si une partie de lui se rvoltait contre lautre.

    Je me souviens de cette soire o trs tard, trs bourr, dans sa grande cuisine de la Place des Vosges, il mavait saisi le bras en me fixant dune voix tremblante :

    Tu sais, Alain, au fond je suis un mec bien.Quun type riche et clbre ait eu besoin, mme saoul, de trouver un peu de respect dans le regard dun

    inconnu de vingt-huit ans me troubla si profondment que depuis lors, malgr ses frasques, ses approximations et ses reniements, je nai plus pu le considrer autrement que comme un tre humain.

    Brillant, je me rappelle avoir t tent de ltre cette priode, au milieu des annes 80, aprs quun premier livre qui stait bien vendu meut ouvert la porte des dners.

    "Le brillant jeune homme", cest comme a que me prsentait la marquise de Sussac aux installs quelle me conviait divertir. Quand je baise quasi en mme temps ses deux grandes filles, au fond a la faisait marrer. On sous-estime souvent la largeur desprit des gens de la haute, eux qui connaissent si bien le cot humain du privilge. Dailleurs, pour payer la retraite du vieux et le train du chteau, naccepta-t-elle pas quelques annes plus tard, aprs quelles se furent bien amuses, de les marier deux mtques ?Ma jeunesse, mon arrogance et ma navet contre une assiette. Cest l que jai compris quil fallait que je me barre si je ne voulais pas, moi aussi, rejoindre lempire. Contrairement beaucoup Adler en tte passs du PCF la jet-set, je suis pass dun dbut de jet-set au PCF ; par dsir de justice et de chtiment.

  • Je commenais devenir brillant, amusant ; lire Marx fut mon gros effort pour devenir profond, plus intelligent. Ca ma pris dix ans.

    Pourquoi jai tenu l o tant dautres ont failli ?Sans doute parce que je baisais dj assez sans a. Il suffit de voir une photo de Nourricier jeune,

    portant le cartable dAragon, pour comprendre que le mec navait pas dautre choix que de monter lanciennet. Attendre la barbiche et les cheveux blancs pour cacher le menton fuyant, le regard du secrtaire lunettes. Ne vous ai-je pas dit que le jeune affreux peut faire un beau vieillard ? A dfaut de gnie ! Quelle carrire cet apparatchik bourgeois aurait fait sous Staline ! Lui le Brejnev des lettres, arriv au pouvoir dj dcompos, et qui vous vend chaque rentre son dernier livre en vous promettant bien que ce sera le dernier, quil va crever aprs et quavec la ddicace demain a va flamber chez les bouquinistes ! Un grand homme rtrci par la maladie de Parkinson a peut tre bouleversant, mais un vieux nain parkinsonien qui nen finit pas de baver sa littrature, cest rpugnant.

    Pour les autres ? Disons que les premiers qui trahissent sont toujours ceux qui nont pas grand chose trahir. On sait trs vite quon na pas la carrure dun Nietzsche ou dun Rimbaud et, quitte navoir aucune postrit par manque vident de talent, autant bien vivre. Cest au fond laveu dhumilit de tous ces Faust courte bite.

    Je pourrais vous en raconter la pelle des histoires de trahisons pour les honneurs quon feindra bien sr de ne pas goter , le petit argent, la fe-fesse... Je le ferai peut-tre sil me manque des pages... Mais leur point commun tous, la longue, inluctablement, cest la haine de la grce. Cette fracheur, ce dsintressement auxquels ils ont renonc et qui leur est de plus en plus insupportable, parce quils leur rappellent, comme une gifle, quune autre voie tait possible.

    Haine de la grce comme la mort hait la vie. Haine assassine du tmoin de la trahison, comme cette haine dans le regard de lex passionaria rpublicaine promue en moins dun livre maquerelle ractionnaire au Figaro Magazine ! Haine de la fidlit, du courage, de lhonneur, mais besoin de chair frache ; on na pas vendu son me au diable pour rien. Ce besoin de puret dtruire qui devient un jeu ; le jeu prfr des mondains. Corrompre et salir tout ce qui cherche se tenir pour que tout finisse comme eux, avec eux, quil ne reste aucun survivant. Puis lennui de se retrouver entre vampires et le besoin de chair frache nouveau... Ronde du pourrissement lent et ce constat amer, au final, qu tout vouloir on a tout manqu ; que ce monde du mondain nattire que les tocards et les garces ; gracieuses certes et agrables monter. Mais mme avec les sous, quelle solitude la nuit quand dans le silence on entend le tic-tac du compteur...

    Il serait instructif de faire lhistorique du culturo-mondain, un bon travail pour universitaire. Partir du clerc sduisant que refusa dtre Rousseau, tandis que Grimm se glissait dans ses pantoufles en le maudissant de navoir pas sa petitesse dme, et remonter jusqu Sartre, labsolu disgracieux.

    Ecrire dans le dtail cette histoire du mensonge toujours renouvel o des faiseurs comme Hugo, Malraux prennent la pose sous le regard amus des Vigny, Genet.

    Insister sur le rle sociologique majeur que fut lentre des filles en sciences humaines aprs-guerre, quand la fac de philo se rapprocha du coup du night-club par cet apport massif de gourdes sduire.

    Lnergie dpense par la clique des moyens bourgeois existentialistes pour ne pas se laisser doubler, au Flore, par les communistes aurols de leur virilit prolo et de la Rsistance ; cette rsistance si subtile chez oncle Jean-Paul que les Allemands ne sen taient mme pas aperus ! (On peut cracher sur Cline, lui au moins que je sache na pas suppli la kommandantur quon lui laisse monter Lglise sous lOccupation.)

    Et la surmultiplie aprs Mai 68 ! Quand les nouvelles vedettes du discours ptrent les plombs en voyant les scores de Bob Dylan et autres Mick Jagger auprs des gonzesses, au point de ravaler le concept un attribut du dsir.

    Risible histoire de lhomme de lettres, pass du catho tourment au dandy transgressif, puis du cadet de gauche emphatique la gourde culturelle, jusqu la groupie...

    Misre culturelle bien plus laide que la misre tout court puisque nayant pas lexcuse de la misre , si bien reprsente par les Jeudis du Seuil et autres raouts o je retrouvai un jour Baudrillard lui que javais connu gentil prof dans une HLM du quartier Faidherbe , jouant les gourous flanqu dune demi

  • femme fatale sur le retour en rsilles et sangle de noir, sous lil humide du grand dadais Jean-Marc Roberts.

    Misre culturelle dune violence bien plus terrifiante, pour moi, que celle des banlieues que javais fuies pour un monde que jesprais meilleur, puisque peupl de si beaux esprits.

    4

    Le sexe du point de vue des hommes pauvresou

    la vrit sur les banlieues Chapitre o je dmontre que la banlieue est lendroit o lon baise le moins, surtout les garons.

    Blue dit : Folks, ta position est sense. Mais ma conviction moi cest que Dieu na jamais exist. Je crois que la Bible a t crite par la plus belle bande descrocs de bois blanc qui aient jamais chi entre deux scandales.

    Iceberg Slim, Trick Baby

    Linfo tant faite de plus en plus souvent par des filles de famille payes par leur pre actionnaire des Alix de, des Gwenalle, peu de Martine ou Janny , je men vais rtablir un semblant dquilibre sur la Marche des femmes . Pas la marche des femmes vue de Elle, la marche des femmes vue des banlieues.Quelle lgitimit ? Dabord la banlieue jen viens, et pas de Neuilly. Jy ai pass la totalit de mon enfance, toute mon enfance, de deux dix-sept ans, a cre des liens. Ca cre surtout une sensibilit durable.

    Ensuite la banlieue jy suis rcemment retourn, pas pour mon plaisir, personne ne va en banlieue par plaisir, on nen est pas encore lexotisme de la favela pour reporter-photographe en mal de sensations ; a viendra. Non, pour lheure, juste invit un dbat sur "lavenir de la mixit" par Radio Droit De Cit , la radio la plus coute, parat-il, par les jeunes des "quartiers" (cest comme a quon dit pour ceux qui vivent dans les cits-dortoirs immigrs), et qui met du Val-Fourr, le quartier rput le plus chaud de Mantes-La-Jolie la chaude.

    Pourquoi moi ? Sans doute parce que jtais le seul type qui passe un peu la tl surtout Cest mon choix daccord pour aller tenir tte la dferlante Ni putes ni soumises , cette association de beurettes tlgniques trs soutenue par lintelligentsia des centres-villes et le show-biz. Un engouement militant-paillettes qui nest pas sans rappeler SOS racisme , Touche pas mon pote et autres assos sorties de nulle part, mais opportunment promues par le PS qui sait dcidment y faire, depuis la scession du congrs de Tours, dans la manipulation de la dtresse des pauvres.

    Ni putes ni soumises , quest-ce ? A premire vue, cinq cent jeunes filles issues des fameux "quartiers" qui osent courageusement dnoncer sur les six chanes, et dans tous les magazines fminins, le "malaise des banlieues".

    Attention ! Pas la malaise dhier o les "jeunes", lpoque unisexes et supposs victimes des ratonnades des vilains beaufs, devaient tre protgs par les anima-culs gauchistes de la police fasciste et des nostalgiques de lOAS. Pas le mal des banlieues du petit Blanc non plus, providentiellement dcouvert juste avant les prsidentielles avec linscurit, et dont il faut cesser de parler par civisme sance tenante, sous peine de faire le jeu du FN. Non, le nouveau, le dernier mal des banlieues la mode : celui des filles. Cette ternelle souffrance des femmes cause par les hommes (vieille antienne fministe), et plus prcisment par ces hommes jeunes, nos anciens "potes", quil est dsormais permis de "toucher" dune main ferme (cest mme vivement conseill par le PS, au point que Le Pen en reste sans voix. Allez comprendre ?) Tous ces vilains machos exploiteurs du tiers-monde, qui se pavanent avec leur nonchalance toute mditerranenne en bas des immeubles ; et accessoirement sur nos chanes de montage, dans nos botes dintrim et autres entreprises de nettoyage.

    Pauvres petites Maghrbines et Africaines empches de sintgrer la merveilleuse Rpublique franaise citoyenne et la Star Academy par des islamo-bamboulas avides de mchouis dadolescentes et de caves tournantes, alors que la femme en string est lavenir de lhomme !

  • Dabord, pour qui connat bien le rapport la culture des petites gens, on peut dj arguer que Ni putes ni soumises , jamais des filles issues de socits traditionnelles a fortiori maghrbines ne se prsenteraient sous cet intitul vulgaire et dvalorisant. Largot, loral lcrit, cest un truc de bourgeois, dinitis. Moi-mme, pour oser cette criture relche qui est la mienne, jai attendu mon huitime livre. Mon modle au dbut ctait Claude Bernard, le Vidal, le Dalloz, lcriture juridico-scientifique. Pour mal crire, pensais-je, il fallait tre "crivain". Non, Ni putes ni soumises a sent le brainstorming dagence de pub affide PS, la roublardise de communicants professionnels. Ni putes ni soumises a sonne aussi faux que "pote" en dautres temps. "Pote" ! Il ny a quun vieux ringard comme Sgula pour croire que les mecs sappelaient "pote" en banlieue, qu Montfermeil on en tait encore au bon vieux temps de la guerre des boutons !

    Ensuite, cinq cent filles sur deux millions de jeunes Franaises dorigine immigre, cest loin dtre reprsentatif. Vous me direz, cest la mme proportion que les quatre cent encarts payants de SOS racisme qui parlent aussi, tort et travers, pour dire depuis vingt ans la chose et son contraire au nom des banlieues, et surtout leur place dans les mdias complaisants. Malek Boutih ! Vous vous souvenez de Malek Boutih ? Celui qui est entr au bureau du PS juste au moment o Pascal Boniface librait une place ! Sous le sige de Julien Dray, comme avant lui Harmel Dsir... Mais qui se souvient dHarlem Dsir ? Pour nos jeunes "potes", Harlem Dsir a remonte au temps des tramways.

    Mais cessons de chipoter sur les intituls, les statistiques. Pour lever un peu le dbat, remarquons juste comme lintelligentsia franaise nous joue une autre musique sur les petits gars des banlieues depuis le 11 septembre [2001] et la deuxime Intifada. Ce qui sappelle changer radicalement son fusil dpaule, avec le gros chargeur. Finis le gnial Joey Starr, le tag promu oeuvre dart par Jack Lang pour bien rappeler au beauf, assis dessus dans le mtro saccag qui le conduit son travail prcaire, quil na dcidment aucun got pour lavant-garde, ce gros con dex-coco qui ne comprenait dj rien Picasso !

    De plus en plus, mes yeux bleus et mon crne chauve la Carl Lang (qui nest pas du tout le frre de Jack) me valent les drapages contrls faon Oriana Fallaci de psychanalystes lacaniens frisotts, de pigistes Lib ou Technikart sur les Araaaabes... que leurs parents ont si bien connu au pays, du bon vieux temps du dcret Crmieux ; et qui il ne faut jamais tourner le dos mais tenir bien serre la bride... Il a juste fallu pour a quau lieu de crier Sales Franais ! , ces petits beuricts se mettent crier Sales Feujs ! par solidarit imaginaire comme dirait Alain Finkielkraut, le roi de lanti purification ethnique slective (avec Milosevic ctait non, avec Sharon cest oui, allez comprendre ?) , solidarit imaginaire mais combien expressive avec ces autres arabes en survtement de la bande de Gaza. Pourtant, a na rien voir. Nous, dans notre France raciste et collabo, on ne leur envoie pas de chars !

    Il a juste fal