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Une seule histo , Photo : Réfugiés/Fonds privé de la famille Moussa.

20120708 el watan num spe

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  • Une seule histoire,OY|WUH

    Photo : Rfugis/Fonds priv de la famille Moussa.

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    VOUS AVEZ DES DOCUMENTS NOUS FAIRE PARVENIR ?Une seule adresse : [email protected]

    Mmoires dAlgrie est un muse numrique en devenir, lanc le 19 mars2012 par El Watan et OWNI. Des tmoignages et archives personnelles indites sont rassembls, ainsi que des archives de larme franaise et des notes de renseignement des services franais. De nouveaux documents seront rgulirement ajouts jusquau 5 juillet, date de lIndpendance algrienne. Dans les archives publies, nous avons dcid danonymiser certains noms dans les documents, principalement dans les comptes-rendus dinterrogatoires. Lutilisation trs rpandue de la torture doit pousser la plus grande prudence quant aux faits rapports dans ce cadre. Les aveux ne constituent pas des faits, encore moins des preuves. De mme, les comptes-rendus dopration et les notes de renseignement doivent tre lus en gardant en tte quils sont produits par lune des parties dans un contexte de guerre. Pour continuer se dvelopper, pour permettre chacun dexplorer sa guerre dindpendance, Mmoires dAlgrie a besoin

    de votre soutien. Vous pouvez nous envoyer vos tmoignages et archives personnelles. Pour plus dinformations, contactez-nous. Mmoire dAlgrie vous permet de naviguer au coeur des documents via deux entres principales : carte et timeline. Elles ont en commun une frise chronologique divisant les huit annes de la guerre en six grandes priodes historiques et permettant de filtrer les documents par priode. Sur lentre carte, en cliquant sur un point li une ville, le nombre prcis de documents saffiche et vous avez la possibilit dy accder. Vous basculez alors sur le mode timeline. Sur le mode timeline, des informations plus prcises relatives chaque document saffichent : thmes, dates, noms ou villes cits. En un clic, vous pouvez consulter individuellement chacun de ces documents ainsi que les mdias qui y sont associs (images, sons). Utilisez la borne Facebook, sous chaque document, pour commenter et les partager sur les rseaux.

    Comment a marche

    StatistiquesJusquau 1er juillet 2012

  • Ma guerrrrrrreeeee

    moi

    Hamid TahriEl Watan

    Mon enfance a t marque deux blessures. En effet, deux vnements restent enfouis en moi comme des cicatrices mmorielles. Lun, lentame de la guerre ou presque ; lautre survenu alors que se dessinaient les prmices dune indpendance laborieusement arrache, au prix du sang et des larmes.Le premier vnement saillant se produisit lorsque mon pre, que Dieu ait son me, officiait en qualit de reprsentant des oulmas, prodiguant des cours darabe des jeunes, de condition modeste mais assoiffs de savoir, qui considraient que lacquisition des connaissances tait un formidable moyen pour se hisser dans lchelle sociale. La mission du paternel tait aussi dveiller les consciences. Mon pre rptait souvent, en faisant allusion au joug colonial, que la libert ne consiste pas avoir un bon matre, mais nen point avoir ! Lide prne par lenseignant quil tait consistait dire que lhomme a beaucoup savoir et peu vivre et il ne vit pas sil ne sait rien !Un jour, un de ceux quon appelait les bellounistes au service du tristement clbre colonel

    flon, avait tent dattenter la vie de mon pre. Arm, il lui tendit un pige en laccostant la sortie de la mdersa, pointant larme feu sur son visage Mon pre sen sortit miraculeusement en se jetant sur son assaillant. Sa forte corpulence laida matriser son adversaire, le rouler par terre et lui subtiliser larme. Mais dans la bagarre, une balle fusa et alla se nicher dans son pouce. La main ensanglante, dstabilis, mon pre rentra la maison en essayant de dissimuler sa blessure.Enfant, cette squence mavait boulevers. Le lendemain, mon pre nous signifia quon allait vite quitter les lieux. Ce quon fit dans un long et prouvant exil qui nous mit labri pendant quelque temps pour ensuite reprendre une autre destination. Mon pre survcut cette tentative dassassinat. Digne et pudique, il nvoquera jamais plus ce fait, jusqu sa mort, en 1996.Lautre fait qui sest invit dans mon enfance a eu lieu la fin des annes soixante. Javais pris part, sans en connatre les tenants et les aboutissants, des manifestations Kouba contre

    lordre colonial. Insouciant et/ou inconscient, je me retrouvais au milieu des protestataires dans une posture qui, pour moi, participait moins dune action politique revendicatrice que dun mouvement de masse presque festif Jai souvenance que la soldatesque coloniale avait barricad la route principale et lanait des grenades dans notre direction. En retrait, jobservais les oprations avec une certaine jouissance jusquau moment o, battant

    en retraite, la foule se disloqua, prise de panique et courant dans tous les sens. Javais pris la poudre descampette, mais dans la mle, je mtais foul la cheville. Jai eu du mal rejoindre le domicile familial, heureusement quelques dizaines de mtres seulement du lieu des hostilits. Cette blessure mattira les foudres de mes parents, auxquels javais promis de ne plus jamais refaire cela.

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    Quelle est la part de vrit dans LIliade et lOdysse ? Cest un rcit fabuleux. Eblouissant dimagination, dont la construction de toutes pices est attribue Homre. Et pourtant, le pome sest rvl une source intarissable dinformations et denseignements sur une priode fort recule (entre 1300 et 1100 av. J.-C.) de lhistoire de la Grce antique. Homre, sil nest pas une identit fabrique, comme certains spcialistes le supposent, aurait vcu la fin du VIIIe sicle (av. J.-C.). Et pourtant, si lon sen tient la seule partie qui concerne La Guerre de Troie, la narration qui en a t faite par lade ionien a permis larchologue Heinrich Schliemann de dcouvrir, en 1870, les ruines de la cit antique. La comparaison peut paratre incongrue ds lors quon met en quation des vnements qui se sont drouls il y a plusieurs sicles avec dautres qui nous sont proches et qui se sont passs lre de la tlvision et du cinma, cest--dire des instruments qui ont enlev son caractre absolu la mort elle-mme. La source demeure identique : le tmoin ; le vecteur en est la parole. La crdibilit, elle, peut donner sujet lincertitude

    ou, en tout cas, une forme de scepticisme.Toutefois, au regard de ce qui se passe, notamment dans le domaine de ldition et du journalisme, les Algriens, confronts au silence des pouvoirs publics en charge de la reconstruction mmorielle, sont en train de se rapproprier leur Histoire. Il est vrai que les historiens auront fort faire, lavenir, pour passer au crible tous les tmoignages qui sont en train de sexprimer de faons diverses ; mais tout ce qui scrit et se dit est bon prendre. Rien nest ddaigner. Tous les tmoignages doivent tre rcolts, consigns, films, enregistrs, non pour attribuer des satisfecit ou distribuer des mrites, mais pour constituer une vritable banque de donnes. Ds le lendemain de lindpendance nationale, les premiers ukases ont frapp lhistoire. Les autorits ont commenc par en extraire des personnages, puis des dates et des vnements. Il aura fallu attendre la fin des

    annes 1970 pour que la presse puisse parler du Congrs de la Soummam et que les officiels le clbrent. On a assist au jumelage des dates importantes comme le 5 Juillet qui a t coupl avec la Fte de la jeunesse et, plus tard, du FLN (le parti et non lartisan de la Libration). Le 19 juin tait commmor et fri, mais pas le 19 mars, par exemple. Lhistoire de lAlgrie tait prisonnire des fonctionnaires de la Vrit ainsi que Ben Khedda dsignait les cerbres de lHistoire. Ce dernier rapporte quen 1976, le prsident Houari Boumedine avait demand aux historiens et aux chercheurs du Centre national des tudes historiques (CNEH) dcrire lhistoire de lAlgrie et de sa Rvolution en insistant sur la ncessit de ne pas citer de noms dans la phase contemporaine. Le deuxime prsident du GPRA poursuit : A un historien qui stonne quon puisse crire cette histoire sans citer les noms de Abdelkader, Ben Badis, Messali, Ferhat Abbas le Prsident estima que ce qui a t fait par la Rvolution algrienne dpassait de loin leurs actions... No comment.

    1962-2012 Mmoires dAlgrie. 1962-2012 Mmoires dAlgrie. Supplment dit par la SPA El Watan Presse au capital social de 61 008 000 DA. http ://memoires-algerie.org. Directeur de Directeur de la publication : la publication : Omar Belhouchet. Pilotage ditorial. Pilotage ditorial. D'Alger : Adlne Meddi, Mlanie Matarese avec Yasmine Sad et Tristan Lesage de La Haye (El Watan Week-end). De Paris : Guillaume Dasquier, Pierre Alonso, Julien Goetz, Rodolphe Baron, Marie Coussin, Lila Hadi (OWNIOWNI). Conception et ralisation Conception et ralisation graphiques : graphiques : Ammar Bouras. Iconographie : Iconographie : Fonds privs, Ahmed Moussa, AFP Coordination et correction des documents : Coordination et correction des documents : Fatiha Meziani

    Direction - Rdaction - Administration : Direction - Rdaction - Administration : Maison de la Presse Tahar Djaout - 1, rue Bachir Attar 16 016 Alger, Place du 1er Mai : Tl. : : Tl. : 021 65 33 17 - 021 68 21 83 - : Fax : : Fax : 021 65 33 17-021 68 21 87 : Sites web : : Sites web : http://www.elwatan.com et www.memoires-algerie.org. E-mail :E-mail : [email protected] PAO/Photogravure :PAO/Photogravure : El Watan : Impression : : Impression : ALDP - Imprimerie Centre ; Simprec - Imprimerie Est ; Enimpor - Imprimerie Ouest. Diffusion : Diffusion : Centre ALDP. Tl./Fax :Tl./Fax : 021 30 89 09 - Est - Est Socit de distribution El Khabar. Tl. :Tl. : 031 66 43 67 - Fax :Fax : 031 66 49 35 - Ouest Ouest SPA El Watan Diffusion, 38, Bd Benzerdjeb (Oran) Tl. :Tl. : 041 41 23 62 Fax :Fax : 041 40 91 66

    Nos sincres remerciements aux ditorialistes et tous les contributeurs qui nous ont fait confiance en mettant notre disposition leurs documents.

    Boukhalfa AmazitJournaliste, spcialiste des questions d'histoire

    UUnnnnnnnneeeee hhhiiiiiisssstttttttoire d'hommes

    EDITOEDITO

    LLLLLLLLees Algriens se

    rrrrapproprient

    llllleeeeeuuuuuur histoire

    Cest une histoire dhommes. Dune rencontre. Des deux cts de la Mditerrane.Une rencontre entre deux porteurs de projets, en Algrie et en France. Cest une histoire dans la grande Histoire qui nous inscrit pleinement dans lhumanit, ses dfis et ses douleurs, ses dsirs aussi daccder son histoire librement, sans les entraves des versions officielles et des coffres-forts du secret dEtat.Cest ainsi qu loccasion du 50e anniversaire de lIndpendance de lAlgrie, El Watan et le site dinformation franais OWNI se sont associs pour lancer, le 19 mars 2012, Mmoires dAlgrie*, le premier muse numrique sur la Guerre de Libration nationale.Aprs un an de c o l l e c t e d e t m o i g n a g e s , photos, pices administrat ives auprs de vous, lecteurs dEl Watan, nous avons pu runir plusieurs centaines de documents indits grce votre confiance. Car, face aux manipulations et aux occultations officielles, nos centaines de contributeurs des quatre coins dAlgrie, mais aussi de France, ont rpondu notre appel : La guerre de Libration, cest vous !Une manire de dtourner le slogan officiel Un seul hros, le peuple ! et de le prendre au pied de la lettre. Linitiative dEl Watan Week-end a crois un autre projet, celui de lquipe dOWNI, qui a, de son ct, compil et numris des milliers de documents classifis des archives

    franaises concernant la Guerre de Libration et qui seront mis en ligne partir du 50e anniversaire des Accords dEvian, dans un souci de casser les tabous et de briser le silence, ct franais, autour de cette priode charnire de lhistoire.Le projet prendra la forme dun site internet qui sera enrichi en tmoignages, photos, documents jusquau 5 juillet, jour de lIndpendance de lAlgrie, pour devenir, partir de cette date, un vritable muse numrique ddi la mmoire, mis la disposition du public avec une libert totale daccder aux documents, pour naviguer dans le temps, lespace et les thmatiques, mais aussi la possibilit de participer en

    commentant ou en soumettant dautres archives.Notre dmarche, grce la formidable plateforme imagine par les ingnieurs data dOWNI, permet une accumulation et une organisation indite des donnes sur la Guerre de Libration. La direction ditoriale est assure par les deux mdias, en partenariat avec des historiens spcialistes

    de cette priode. Lapplication vous permettra donc de vous emparer, de vous saisir de ce vcu commun, de lhistoire crite par ceux qui lont vcue et non par les Etats, mais par des hommes des deux cts de la Mditerrane. Lhistoire crite par vous.

    El Watan et OWNI* www.memoires-algerie.org

    Un espace de mmoire, pour que les peuples mesurent en

    toute indpendance la part de cynisme et

    dincomprhension qui les a prcipits dans la

    mme tragdie.

    Il est vrai que les historiens auront fort faire, lavenir, pour passer au crible tous les tmoignages qui sont en train de sexprimer de faons diverses.

    Mon pre survcut cette tentative dassassinat. Digne et pudique, il nvoquera

    jamais plus ce fait, jusqu sa mort.

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    DessineDessine-moi l-moi lindpendanceindpendance

    cccccccoooommmbbbbaaaaattttttttttaaaannnnnttt

    saaaaaaacccccccrrrrr

    combattant sacr,Valeureux hro de notre pays,Tu as laiss tes enfants et ta familleEt tu es all pourchasser lennemiDe la terre dAlgrieOccupe par le colonialisme depuis130 ans.Mais aprs sept longues annesde guerreLIndpendance apparat toute fireEt avec une joie dallgresse,Tout le peuple prpare sa grande fte. combattant sacr,Tu nas eu peur ni du soldat franais,Ni de la faim, ni du froid qui souffle,Qui souffle entre tes doigts.Ds que tu voyais les soldats la casquetteTu te htais de prendre la mitraillette. combattant sacr,Tu resteras au fond de moiLexemple le plus beauLe plus cher de ma vie.Lafri Khaled 12 ansLafri Khaled 12 ans

    Il ny a pas de systme ducatif du tout. Plein denseignants ont pass toute leur carrire, tous les niveaux, sans jamais lire une revue pdagogique ni assister un colloque sur lducation. Aprs lindpendance, jtais lInstitut pdagogique national (aujourdhui Institut national de recherche en ducation, INRE). Nous accueillions des consultants internationaux, en particulier de la francophonie, et nous-mmes, les Algriens,

    tions une rfrence en matire de pdagogie. Je me suis rendu lINRE en 2011 pour prsenter le Livre de notre Vie. Jai t reu par le directeur adjoint. Il ma expliqu quil ne pouvait prendre aucune dcision, que son rle tait de chapeauter et de convoquer une commission charge de valider les nouveaux contenus ducatifs. Or, la commission navait pas t runie depuis deux ans, faute de budget. Ce manque dinvestissement dans la

    pdagogie a encourag la prolifration du par cur, une vraie plaie pour la jeunesse algrienne. On dcourage la crativit de lenfant alors que celui-ci a des capacits danalyse, de critique et dimagination souvent suprieures ladulte. Si jtais ministre, jobligerais tous les tablissements exposer les travaux des lves. Il faut encourager les travaux manuels, le thtre, etc.Contact : [email protected]

    D'ENFANTS

    Lenfant en scurit nhsite pas communiquer ses ides, ses sentiments sans retenue, sans timidit. Cest ainsi que Mohamed Bencharif, auteur du Livre de notre Vie, explique la sincrit, lmotion, mais aussi la maturit qui se dgage des textes et des dessins produits pendant la

    guerre par ses lves de lcole Freinet de Hussein Dey. Publi une premire fois en 1967, le recueil est peu peu oubli. Aujourdhui, Mohamed Bencharif souhaite le faire rditer, avec le soutien de lAlgrie, de lUnesco et des ditions Dalimen.

    Lindpendance

    combattant sacr,Valeureux hros de notre pays,Tu as laiss tes enfants et ta familleEt tu es all pourchasser lennemiDe la terre dAlgrieOccupe par le colonialisme depuis 130 ans.Mais aprs sept longues annes de guerreLindpendance apparat toute fireEt avec joie et allgresse,Tout le peuple prpare sa grande fte.

    combattant sacr,Tu nas eu peur ni du soldat franais,Ni de la faim ni du froid qui souffle,Qui souffle entre tes doigts.Ds que tu voyais les soldats la casquetteTu te htais de prendre la mitraillette.

    combattant sacr,Tu resteras au fond de moiLexemple le plus beauLe plus cher de ma vie.Gaci Ali - 12 ansGaci Ali - 12 ans

    1 QUESTION MOHAMED BENCHARIFQue pensez-vous du systme ducatif algrien aujourdhui ?

  • 1953. MDERSA ETTARBIA WA ETTALIM, ZENKET ARBAINE CHRIF, 19H, COURS DDUCATION ISLAMIQUE.Bon, maintenant nous allons rviser certaines sourates du Coran. Un volontaire... Voyons, Badjadja passe au tableau.Oui, sidi. Mais je ne suis pas du tout volontaire ! Je suis effray, notre matre a une sacre rputation de terreur la mdersa. Un vritable volcan en ruption permanente ; il est le seul en mesure de calmer toute lcole si daventure nous prenait un vent de fronde. Il lui suffisait de frapper violemment du pied, et de hurler la ferme tout le monde, pour que aussitt un silence de mort fige sur place toute la mdersa, aussi bien les lves que les enseignants ! Et voil que je suis convoqu au tableau... Dieu me protge !Allez, rcite-nous le Coran partir de la sourate du prophte Nouh. Je narrive pas ouvrir la bouche.Alors, quest-ce que tu attends, Lelet el Kadr ? Badjadja, jattends les sourate, on ne va pas y passer la soire...Les cours commencent 18h et sachvent 20h ; dans la journe, nous sommes tenus par les lois coloniales de ne frquenter que les coles franaises.Ah, je comprends, tu nas pas rvis le Coran !Si, jai bien rvis les sourates, mais je narrive pas ouvrir la boucheJe parie que tu ne peux mme pas rciter la Fatiha, la premire sourate du Coran que lon vous a enseigne en premire anne ! Comment ? Je lai apprise voil trois ans, mais aucun son ne sort de ma bouche, je suis totalement paralys face cette boule de nerfs.Jattends au moins la sourate El Fatiha...... Rien ne se passe. Vlan ! Un violent coup de poing me propulse sous les tables du premier rang, o je heurte les jambes des filles qui les occupent... Je nai gard aucune rancune pour ce matre. Cheikh Salah Boudra a rejoint les rangs de la Rvolution ds le dbut ; il est tomb au champ dhonneur en 1961, aux cts de Messaoud Boudjeriou.8 NOVEMBRE 1954. DJEBEL EL OUAHCH, HAUTEURS DE CONSTANTINE. Messaoud Boudjeriou conduit au maquis le premier groupe de huit maquisards de Constantine et les confie aux reprsentants de Zighout Youcef. Mon oncle Kamel Bentalha, 22 ans, a dcid de prendre le maquis avec sept autres militants, pour rejoindre une Rvolution qui stait dclenche sans eux une semaine auparavant. Pourtant, ils avaient suivi, dans cette perspective, une prparation militaire dans lOrganisation spciale (OS). Ils ne comprennent pas pourquoi leurs chefs ne les avaient pas informs ; plus tard, ils sauront quune divergence de leadership tait

    lorigine de labsence de Constantine, le premier jour de la Rvolution Plusieurs mois crapahuter dans les djebels en subissant les rigueurs de lhiver, sans moyens et sans ressources. Mon oncle, cardiaque, est invit retourner Constantine pour travailler en ville Etant dj fich comme suspect, mon oncle est arrt, puis assign rsidence. Il fait partie du premier groupe de dports de Constantine, en avril 1955 ; ils sont dabord dirigs sur le centre dhbergement de Djorf, prs de Msila, un camp de toile qui sera rapidement dispers par un vent de sable ; puis ils sont dports louest, Bossuet, au sud de Sidi Bel Abbs.

    CONSTANTINE, SAMEDI 20 AOT 1955, MIDI. Je me trouve Zenkat Sidi Affane, lentre du passage vot qui dbouche sur la place Kouchet Ezziat, du nom de la boulangerie qui sy trouve. Tout coup, la sirne se met hurler. Les gens sinterrogent : Que se passe-t-il ? Nous sommes samedi, ce nest pas le jour habituel de la sirne ? La sirne nest dclenche que le dimanche 12 heures prcises !Peut-tre sagit-il dune maison qui sest effondre ?Oui, mais dans ces cas-l la sirne siffle trois fois, or l, elle ne sarrte pas...Tout coup, dferle du haut de la rue une foule agite qui cherche fuir un danger invisible : Cest grave, cest grave, rentrez chez vous... Des bombes et des coups de feu un peu partout...Ils ont cri El Djihad fi Sabil Allah, du ct de Rahbat El Djamel...Il y a des morts et des blesss, cest trs grave...Je suis coinc lentre du passage vot, ma maison se trouve plus haut, mais je ne peux remonter la rue, je ne peux mme pas arriver jusqu la mosque Sidi Affane, qui ne se trouve pourtant qu quelques mtres ! Jai peur dtre cras par la foule qui continue de descendre la rue en courant. Je nai pas dautre choix que dattendre le passage des gens qui fuient avant de rentrer chez moi. Je nai que dix ans et je viens de faire connaissance avec la rvolution arme !ET 1956. Je suis accoud au Comptoir, o mes oncles fabriquent et vendent des glaces depuis les annes 1946-1947. Tout coup, une explosion. Un pneu clat ? A cette poque, tout le monde ne pensait qu une seule chose : une grenade ! Je ressens une vive brlure lavant-bras, du sang, pas beaucoup, mais du sang quand mme. Je menfuis immdiatement, ayant dj compris 11 ans que du sang sur quelquun la suite dun attentat fait de lui automatiquement le premier suspect. Pas question de soins au dispensaire ! Je rentre la maison situe Zenket Sidi Affane. Inutile dalerter ma mre, la blessure est superficielle.1956. ZENKET SIDI AFFANE. Nous jouons devant notre maison, Dar El Kellal, lorsque

    nous voyons sengouffrer dans notre rue un groupe de roumis ! Spectacle inhabituel. Un agent, roumi ou juif, pour relever les compteurs dlectricit, oui de temps en temps, mais pas tout un groupe, arm en plus. Un gant dboule devant moi, un pistolet la main. Des policiers en uniforme accompagnent les civils. Un peu plus tard, nous les revoyons remonter la rue, les armes ne sont plus visibles. Ils tournent gauche vers Bab El Djabia. Nous reprenons possession de notre quartier et, notre tour, nous dvalons la rue en direction du local des Scouts musulmans algriens. Instinctivement, nous avions compris que les roumis en voulaient au local des SMA, situ sous le pont de Sidi Rached ; nous lavons trouv ferm, dfinitivement. Comme notre mdersa. Plus dactivits scoutes, plus de rencontres avec de mystrieux visiteurs, des invits qui nous parlaient de lAlgrie, de son histoire, de la politique, avant de terminer leur visite en participant nos jeux et nos chants.1956. A lentre de notre rue, prs de la fontaine publique, des gens entourent un homme qui vient de tomber sous les balles tires bout portant par un inconnu. Je me faufile au premier rang. Lhomme est mourant ; quelquun tente de lui faire prononcer la Chahada en lui tenant lindex droit point vers le ciel. Cest la premire fois de ma vie que je vois quelquun mourir sous mes yeux, habituellement les enfants sont interdits daccs dans la chambre dun mourant. Difficile oublier !MAI 1957. SOUIKA, COLE ARAGO, CLASSE DE CM2. Notre instituteur, M. Nat, nous prpare chaque matin lexamen dadmission en

    sixime des collges : deux exercices de math, suivis dune dicte. La classe, 31 lves, travaille dur lorsquune forte explosion secoue toute lcole. Notre matre se prcipite aux nouvelles. Il sagit dune grenade lance en plein milieu de la cour ! Heureusement, ce ntait pas la rcration de 10h ; par miracle, aucun enfant ne stait rendu aux toilettes cet instant fatidique. A la sortie de lcole, tous les parents taient l nous attendre. Plus question dcole pendant une semaine, puis reprise avec quelque inquitude.AVRIL 1958, CLINIQUE DE PHTISIOLOGIE MIMOUNI, FAUBOURG LAMY, CONSTANTINE. La moiti de la famille est hospitalise dans cette clinique pour problmes de poumons, commencer par ma mre. Mon frre cadet Abdelkader, ma petite sur Mriem et moi-mme avons t somms de quitter lcole pour risque de mningite. Cest alors que nous parvient une mauvaise nouvelle : mon pre a t arrt par les parachutistes sur son lieu de travail, rue Nationale (Tarik Djadida pour les Constantinois). Tous ses collgues aussi, sauf le patron rfugi Tunis. Ma petite sur Acha, 5 ans, et notre bambino Abdelaziz, 3 ans, ont assist la scne sans rien comprendre. Mon pre a juste eu le temps de les embrasser avant dtre saisi par le col et jet dans un camion. Les enfants sont abandonns sur le trottoir. Tous les employs, cinq ou six, sont conduits vers la sinistre cit Amziane, un centre de tri, ou plutt de torture. Mon pre sera menac dtre dvor par un chien-loup, une mitraillette pointe sur sa tempe AVRIL 1958. CENTRE DE TORTURE DE LA CIT AMZIANE. Mon pre subit la question inflige par les paras, en attendant une ventuelle corve de bois. Mon pre est prt tout avouer, mais il na rien dire en ralit. Il nest ni membre du FLN, ni fida, ni moussebel, rien de rien. Il est tout juste le fond de pouvoir de son patron, qui est aussi son ami denfance, Mohamed Damak, ngociant en alimentation en gros, rfugi Tunis depuis le dclenchement de la Rvolution. Alors, comme a tu vires chaque mois de largent Tunis qui va tout droit dans les caisses du FLN ?

    D'ENFANTS

    Constantine 1954-1962

    Un enfant raconte la guerre

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    Un violent coup de poing me propulse sous

    les tables.

    Une balle a travers la porte en contreplaqu de la baraque o je me

    trouvais un moment auparavant et perfor

    la tte du pauvre Hocine.

    Le 3e rgiment de parachutistes coloniaux sur sa base de Sidi Ferruch (F. Decker)

  • Je ne fais quexcuter les ordres du patron, je ne suis que son fond de pouvoir. Jarrte les comptes chaque mois et je lui vire largent dont il a besoin. Je ne suis pas responsable de ce quil en fait, rpond mon pre.On va voir a ! Tu as dlgation de pouvoir pour signer les chques aussi ?Oui, bien sr pour rgler les fournisseurs...Bon coute, tu vois le chien-loup l, il ne demande qu te dvorer, et la mitraillette pointe sur ta tte sera dcharge aprs son repas !Mais pourquoi vous me faites a ? Je vous ai dit que jignore ce quil fait de son argent... se dfend mon pre.Toccupe pas de ton patron maintenant, il est laise Tunis. Pense toi dabord. Tu as des enfants non ?Oui, jen ai six, et la moiti sont la clinique avec leur mre... Alors, si tu veux viter le chien-loup, la mitraillette et retrouver ta famille, tu vas signer un chque l...Mais pour qui je dois signer un chque ? Je nai pas le droit, ce nest pas mon argent ! dit mon pre.Ne recommence pas ! Signe ce chque au porteur, le reste ne te regarde pas !Mon pre finit par cder et signe le chque au porteur. Il sera libr quelques jours aprs, en mme temps que les autres employs du magasin, sauf Salah Damak, le neveu du patron, qui disparatra dfinitivement, coupable leurs yeux de tlphoner chaque semaine son oncle pour linformer des vnements Constantine : On a arrt flen, on a tu felten... Les communications internationales sont sous coute ! Le chque sera encaiss par x pour un montant de quatre millions de francs de lpoque. Une enqute fut dclenche par la gendarmerie franaise suite cette escroquerie, qui ne donne rien de toute faon, les loups ne se mangeant pas entre eux. Mais aucune

    enqute pour retrouver le neveu du patron ; il fera partie du million et demi de chouhada de la guerre 1954-1962.1960, CONSTANTINE, RUE DE FRANCE. Je dambule en compagnie de mon copain Moussa, tout coup, une explosion. Les gens sinterrogent : Cest une grenade coup sr !Bien entendu, tu ne voudrais pas que ce soit un pneu de camion, non ?Mais, cest o ?Probablement Souk El Acer, en tout cas a me semble venir de l...Tiens, voil des gens qui viennent de cette direction, alors les gars cest o ?Souk El Acer, il y a des morts et des blesss, tous des Arabes...Sans nous concerter, Moussa et moi prenons la direction de Souk El Acer. Au lieu de rentrer la maison comme tout le monde dans ce genre de situation, nous nous lanons au devant des problmes. Arrivs sur les lieux, nous nous mlons la foule affaire soccuper des corps tals sur le sol. Des soldats arrivent, les brets noirs de la Centaine stationns place des Chameaux, au centre-ville. Les gens se plaignent : La grenade a srement t lance de lune des fentres l, et il ny a que les juifs qui habitent ce quartier... (depuis 1775, lpoque de Salah Bey qui avait fait amnager le quartier Chara pour rassembler les juifs) Comme par hasard, il ny avait que des Arabes au march, aucun juif, aucun Europen !Vous inquitez pas, on va sen occuper, restez tranquilles...En fait, les soldats taient en train de soccuper de nous. Mine de rien, ils quadrillaient la place et une fois le dispositif mis en place : Allez, tout le monde se

    rassemble ici, mettez-vous en rang lun derrire lautre, les mains sur la tte, fissa, fissa (vite, vite).Et nous nous retrouvons en plein milieu des problmes que nous pouvions parfaitement viter ! Dans la logique des soldats franais, les musulmans sont toujours coupables, mme si cest eux les victimes ! La colonne est conduite sous bonne escorte vers la Centaine certainement. Nous traversons la rue de France, o nous nous trouvions libres quelques instants auparavant. Les gens nous

    regardent, certains avec compassion, dautres indiffrents, les rafles tant quotidiennes. Quelques-uns, franchement goguenards : Quest-ce qui vous arrive les gars ?A lavant du cortge, un jeune homme proteste : Mais enfin, quest ce quon a fait ? Cest nous les victimes, non ?On verra tout lheure, avance !O allons-nous, ce nest pas juste, les Arabes sont les victimes, les Arabes sont aussi les coupables ? insiste-t-il.Avance, on te dit, commence snerver lun des soldats...Arrive la Centaine, place des Chameaux, les brets noirs nous disent : Allez, tout le monde les mains contre le mur, regardez devant vous, fissa fissa... H toi le petit malin, viens l, on va tapprendre protester, tiens mon salaud, tiens !Les soldats tombent bras raccourcis sur le pauvre malheureux, qui hurle de douleur.Ce nest quun dbut mon salaud, on te rglera ton compte tout lheure ! Avance... Allez vous autres, entrez l-dedans, lun derrire lautre, descendez dans la cave.Le jeune homme tabass mort prend une autre direction ; quant nous, nous devons

    subir des coups de matraque sur la tte en guise de bienvenue avant daccder la cave. Les gens commencent sinterroger, dautres paniquer : Quest-ce quils vont nous faire ?Nous sommes trop nombreux dans cette cave, nous allons manquer dair !Peut-tre ont-ils lintention de nous gazer ?A coup sr, ils vont au moins nous torturer !Mais enfin, quest ce quon a fait, le jeune homme avait raison tout lheure, cest nous les victimes, et cest galement nous les coupables !Tu rves ou quoi, cest a Qamir (la France coloniale) tu es toujours perdant. Le pauvre malheureux, il ne sen sortira pas...Et nous, allons-nous nous en sortir ?Allez, silence en bas ! Un premier groupe va monter, toi, toi, toi et les deux jeunots l, fissa, montez.Encore une file, cette fois-ci devant un soldat aux lunettes qui tient un fichier.Allez toi, ta carte didentit, attends voir... Au suivant...Vient notre tour, Moussa et moi avons dcid de rester ensemble quoiquil arrive.Quel ge as-tu toi ? Quinze ans... (maigre comme un clou, jen paraissais moins)Et toi ?Quinze ans aussi... (Moussa triche un peu, en ralit il a 16 ans)Ah bon, on arrte mme les enfants maintenant ! Eh, ces deux-l vous allez me les faire sortir tout de suite, hein !Nous nous retrouvons dehors, place Rahbat El Djemal. Une seule envie : rentrer immdiatement la maison... pour cette fois-ci. Dautres imprudences seront commises plus tard, mais cest la guerre, nous voulons y participer notre faon...DIMANCHE 11 DCEMBRE 1960, 11H 45. Je viens de quitter la maison Rahbat Souf et jemprunte le passage vot en direction de la placette de Rcif, sans but prcis. Jai en poche deux billets de cinma, achets la veille avec le pcule hebdomadaire que me verse un commerant en guise de salaire pour des calculs comptables. Tout coup, jentends linvitable refrain tatata... tata...

    D'ENFANTS(6)

    Ils ont cri El Djihad fi Sabil Allah

    du ct de Rahbat El Djamel...

    Dans la logique des soldats franais, les

    musulmans sont toujours coupables.

    Tu vois le chien-loup, l, il ne demande

    qu te dvorer.

    La bande de garons (I. Bouhamas)

  • tatata... tata... venant cette fois de Tarik El Djadida. Quoi ? Mais non, ce nest pas Al...g...rie fran...aise que jentends, cest deux fois trois coups, tatata... tatata ! Quest-ce que cest que ce nouveau refrain ? Je tends loreille tout en changeant de direction, prenant un raccourci pour Tarik El Djadida. Ce nest pas possible, je nose y croire ! Je dbouche sur cette longue artre commerante qui coupe la vieille ville en deux parties. Les slogans proviennent du bas de la rue, prs du pont Bab El Kantara. Cest bien Alg...rie mu...sul...mane que jentends distinctement maintenant. Cest la premire fois que jentends un slogan hurl non pas par les Europens, mais bien par des Arabes ! Un groupe de jeunes, leur tte Kamel Idir ; il avait t dtenu en 1958 la sinistre cit Amziane en dpit de son jeune

    ge, en mme temps que mon pre qui tait le plus vieux. Une jeune fille hurle tue-tte au milieu des garons. Sans hsiter un instant, je me mle aux manifestants. Pour le cinma, on verra aprs...Toute la ville est en bullition, ce groupe de manifestants a travers une partie de la cit : Rsif, Rahbat Essouf, rue de France, Souk El Acer, rue du 26e de Ligne. Aprs avoir dbord les CRS La Casbah, nous continuons vers le pont de Sidi Mcid, lhpital, lavenue Forcioli, Bab El Kantara, ensuite par camions aux immatriculations camoufles jusqu la cit des Mriers, do il est impossible daller plus loin, des soldats en joue barrant le pont de Sidi Mabrouk. A 15h, je dcide de quitter la manifestation pour traverser la voie ferre et rejoindre le cinma Versailles o la sance a commenc depuis une heure. Un copain avait gard ma place, surpris de me voir dbarquer en retard ; je rsume en quelques mots ce qui se passe dehors, quelques spectateurs coutent avec attention, se dtournant momentanment du film. A la sortie, mon copain donne son avis sur la manifestation : Je veux bien avoir lindpendance, mais assis dans un fauteuil ! Il sera plus tard chef de dpartement la prsidence de la Rpublique durant le rgne de Chadli Bendjedid !CONSTANTINE, 1961. Je suis au milieu dun cortge qui se dirige vers le cimetire central. Manifestation pacifique sil en est, en cette priode. Mais nous sommes obligs de passer par le quartier de la Pyramide, surnomm ainsi en souvenir dune pyramide rige la mmoire du marchal Comte de Damrmont, commandant de larme coloniale tomb sur place lors du deuxime sige de Constantine, le 12 octobre 1837.Tout coup, des balles sont tires en direction de la tte du cortge. Certainement des tueurs de lOAS ! La foule reflue vers Bab El Oued, du ct de la poste centrale, o elle est accueillie par des soldats franais qui brandissent des matraques ! Il faut choisir entre les balles de lOAS et les coups de matraques servis tour de bras... Au milieu, une station de taxis dont les chauffeurs sont tous musulmans. Plusieurs manifestants essaient de sengouffrer dans les taxis. Certains chauffeurs font le plein et dmarrent aussitt. Nous sommes deux ou trois tenter douvrir les portires dun taxi, mais rien

    faire, le chauffeur a verrouill son vhicule avant de quitter la station en trombe. La solidarit, ce sera pour une autre fois. Tiens, une possibilit de fuite du ct du jardin El Mourkantia (les riches, cest--dire les Europens). Nous dvalons lescalier qui surplombe la caserne des pompiers pour nous rfugier dans notre chre Souika, la vieille ville.CONSTANTINE 1961. Tous les lycens musulmans de la ville se sont donn rendez-vous devant le lyce technique, Bab El Kantara. Les internes en classe... les internes en classe... les internes en classeQue se passe-t-il mes enfants, pourquoi cette manifestation ?Cinq camarades, internes au lyce technique, ont t renvoys de ltablissement, nous demandons leur rintgration...Quest-ce quils ont fait pour tre renvoys ?Ladministration prtend quils avaient des canifs dans leur cartable, cest faux, il sagit seulement dun prtexte.En classe... les internes... en classe... les internes... en classe... les internesAllez les gars, nous sommes suffisamment nombreux maintenant, direction le sige de lAcadmie au Coudiat...On va passer par Tarik Djadida, cest le chemin le plus court !En classe les internes... en classe les internes... en classe les internesOn ne peut pas passer par Tarik Djadida, la police nous barre la route, nous allons du ct du pont de Sidi Rached.En classe les internes... en classe les internes... en classe les internesAttendez les gars, cette fois-ci cest larme qui occupe le pont, faites attention, ils nous tiennent en joue...Nous nous engageons sur le pont, puis nous nous arrtons. Un premier rang de soldats, genou terre, nous vise ostensiblement ; un deuxime rang se tient debout dans une mme position menaante. Nous voulons revenir en arrire, mais nous nous retrouvons face des chars de larme franaise, sortis

    don ne sait o. Ils ont pris position derrire nous et pointent dj leurs canons ! Dautres soldats apparaissent sur le flanc des tanks. Nous sommes coincs entre deux feux ! Les plus gs dentre nous, des lves de terminale, quittent les rangs et tentent de ngocier le passage en faisant valoir quil sagit dune manifestation pacifique qui na rien voir avec la politique. On leur rpond : Rien faire, vous troublez lordre public, il faut disperser la manifestation dans le calme. Bon les gars, il vaut mieux nous disperser maintenant par petits groupes. Les uns vont se diriger calmement sans manifester du ct de Tarik Djadida, dautres passeront par la passerelle de lascenseur, les derniers pourront passer par le pont de Sidi Rached, mais un par un... Rendez-vous tous Coudiat, cest l que nous poursuivrons notre manifestation !Nous nous dispersons dans le calme, puis nous nous dirigeons vers Coudiat o la manifestation reprend de plus belle devant lAcadmie.Les motards du commissariat central entrent en action. Ils nous poursuivent avec leurs motos jusque sur les trottoirs ! Gare aux coups de pied lancs toute vitesse. Rachid se fait avoir, un beau coup de pied sur les fesses. Tout le monde en rit, sauf les motards...De retour la maison, je suis brutalement pris partie par mon oncle Kamel : Qui vous a dit de manifester ? Quest-ce que cest que

    cette histoire ?Ctait pour demander la rintgration de nos camarades renvoys du lyce technique...Je nen ai rien f... El Djema (les responsables du FLN) ne sont pas du tout contents de cette manifestation que personne navait ordonne. Des centaines denfants au milieu du pont de Sidi Rached, des fusils devant vous et des chars derrire vous ! Tu te rends compte ? Ils auraient fait de vous une boucherie !Effectivement, ce jour-l, Constantine a chapp de peu un massacre de lycens...CONSTANTINE, 5 JUILLET 1962, FTE DE LINDPENDANCE. Des chants et des danses partout, de nombreux drapeaux accrochs sur tous les difices et toutes les maisons... Quil est beau notre drapeau national : vert et blanc frapp dun croissant et dune toile de couleur rouge ! Et en avant la musique, il y en a pour tous les gots, zendali malouf comme il se doit Constantine, mais aussi chabi algrois et mme... rock avec Bill Halley et

    Elvis Presley, twist avec Johnny Hallyday et Richard Antony ! Je fais partie des danseurs de twist...Eh toi le danseur de twist, viens avec moi !Quest-ce quil me veut celui-l, qui joue au nidham (service dordre) ? Je le suis, les copains sont derrire, prts parer toute ventualit, cest la fte de lIndpendance, on a bien le droit de danser non ? Mademoiselle, vous l, qui dansez le twist, venez par ici !Les gens se demandent ce qui se passe. Bon, arrtez-moi toutes ces musiques. Faites un grand cercle. La sono, mettez-nous un twist endiabl... Allez jeune homme et vous mademoiselle, vous allez danser ensemble ! Vous tes les meilleurs sur la

    place, montrez-nous ce que vous savez faire...Ah, concours de twist, je veux bien, avec une demoiselle pour la premire fois, rquisitionne par le FLN en plus ! Et en avant twist again yy... Toute la foule est emballe et se dhanche sur place. La danse termine, je commente lvnement avec les copains lorsquun autre nidham nous interpelle : Vous tes des tudiants ?Non, des lycens, nous venons tout juste de dcrocher le BEPC.Kif-kif ! Voil vous allez vous rassembler Djenane Zaoualia (le jardin des pauvres, cest--dire les musulmans). Faites passer le mot dordre tous ceux que vous connaissez, nous avons besoin de tous les tudiants et les lycens. Je vous retrouve tout lheure.Nous sommes plusieurs dizaines de lycens

    et tudiants attendre au niveau du square. Le nidham arrive : Voil jeunes hommes, jeunes filles, vous allez vous mettre en rang pour une nouvelle manifestation. Vous prendrez la direction des quartiers europens en commenant par Saint Jean et la rue Pinget. Quoi ? Pourquoi passer par les quartiers europens en manifestant ? Nous sommes indpendants maintenant, le temps des manifestations anticoloniales est bien termin, alors quoi a rime ?Vous allez scander les mots dordres suivants, et rien dautre, compris ! Allez-y...Le cortge sbranle en silence dabord. Nous traversons la premire partie du boulevard Saint Jean, sous le regard interrogatif dune foule de musulmans qui se demande o va ce cortge silencieux... Arrivs la hauteur de la rue Pinget, nous quittons le boulevard pour nous engouffrer dans la rue o nhabitent que des familles europennes qui nont pas encore quitt lAlgrie.

    Etudiants avec nous... Etudiants avec nous... Etudiants avec nous... Le message est reu cinq sur cinq par les familles europennes. Tout le monde se prcipite aux balcons. Nous invitons les lycens et les tudiants franais se joindre nous pour partager la fte. Le FLN visait en quelque sorte rassurer ces familles, qui nous applaudissent au passage. Aucun tudiant franais ne se joint nous, mais le message a t transmis et bien accueilli... Ce qui encouragera certains finir par sortir, ne serait-ce que par curiosit, aucune menace ne planant sur eux.LE LENDEMAIN, 6 JUILLET 1962. Cette fois-ci, je fais partie du nidham (service dordre) plac lentre du cinma Cirta, en mme temps que Rachid, celui-l mme qui stait fait botter les fesses par un motard ! Aujourdhui Rachid est son avantage, il arbore une belle tenue scoute : short noir, chemise bleue, foulard et cusson, chapeau de brousse. Tiens ! Qui approche en compagnie de son pouse ? Notre professeur de sciences naturelles, M. Muscat. Tout fait laise, il nous aborde, visiblement heureux de retrouver ses lves. M. et Mme Muscat sont impressionns par la belle tenue de Rachid, il ny en a que pour lui. Je suis quelque peu jaloux... Nous les invitons entrer dans la salle pour assister lun des nombreux spectacles qui sont organiss pour clbrer lIndpendance. Nous nous assurons quils sont bien installs ; ils ne risquent rien, sinon de devoir se mettre debout au moment o retentira lhymne national, Kassaman, qui marque le dbut et la fin de chaque spectacle. LE SURLENDEMAIN, 7 JUILLET 1962. Je rentre chez moi, Rahbat Souf. Encore le couple Muscat ! Dcidment, ils ne veulent rien rater. Cette fois-ci, ils sont en plein quartier musulman, devant la vitrine dun bijoutier...

    Abdelkrim Badjadja

    D'ENFANTS(7)

    Finalement, les bruits de bottes ne sarrtent pas chez nous, je les entends

    dj branler les portes de ltage au dessus.

    Vous allez scander les mots dordre suivants, et rien

    dautre, compris !

    Quil est beau notre drapeau

    national : vert et blanc frapp dun croissant et

    dune toile rouge !

    Je veux bien avoir lindpendance, mais

    assis dans un fauteuil !

    Les enfants en rang avant la classe Ighil Bouhamas (A. Branchard)

  • DE FEMMES(8)

    Elle devait tuer Amirouche !

    Travaillant pour le colonel Ducourneau,

    cette femme explique que son activit consistait

    prendre des renseignements quelle

    remettait aux autorits, tromper les gens par

    une fausse propagande et distribuer des

    tracts. Puis elle sest vue confier la mission

    de tuer Amirouche. Condamne la peine

    capitale par le tribunal zonal, elle fut

    excute. (OWNI/memoires-algerie.org)

  • La Rvolution algrienne de Novembre 1954 souleva tout un peuple valeureux et digne. Et ce, dans toutes ses composantes. Hormis les rengats qui avaient reni leur patrie par trahison, par intrt ou par dpit, les autres, tous les autres staient pleinement engags dans la lutte pour la libert, chacun selon lge, la force et les moyens. Dans cet affrontement sans merci, la femme occupa une place importante et mena sa Rvolution avec un esprit de sacrifice sans gal. Et au mme titre que les hommes, elles furent de farouches partisanes. Guemat Baya, Lagha Zohra et Tahir Fatma, parmi bien dautres, taient de celles-l Nous sommes en 1959. Cest un aprs-midi ensoleill du mois daot. Lopration Jumelle (opration de ratissage grande chelle dont le but tait la liquidation de la Rvolution dans les wilayas I, II et IV) est lance depuis quelques semaines dj. Et ce jour-l, depuis plusieurs heures, un grand accrochage entre larme franaise et lALN fait rage dans la montagne dAt Assa. Dans le feu de laction, un combattant, Salah nTkitount, est touch. Il a reu une balle dans la cuisse gauche. Le sang commence couler abondamment et une vive douleur fait grimacer le bless. Au prix dun effort intolrable, il russit se traner en clopinant jusquau refuge des At Adali, tandis que les bombardements et les

    crpitements de mitraillettes emplissent lespace alentour. A bout de forces, le moudjahid est sur le point de tomber et de perdre connaissance. Soudain, sorties de nulle part, trois femmes accourent vers le bless. Htivement, deux dentre elles le soutiennent par les aisselles. La troisime saisit le fusil, un mass 36, et dfait la cartouchire. Entre deux souffles courts, la plus ge rassure lhomme : Courage, courage ! Nous allons te conduire en lieu sr pour te faire soigner.

    PIMENT ROUGELes gestes rapides des trois femmes sont volontaires et parfaitement coordonns, comme si elles rptaient cette action pour la nime fois. Dans leurs ttes, elles revoient litinraire dtourn, plusieurs fois emprunt, menant vers Achrit massif montagneux assurant une complte scurit. Pendant que deux des femmes remplissent la fonction de bquilles en aidant le bless marcher sur une seule jambe, lautre part en claireur en devanant le petit groupe de quelques dizaines de mtres. Ils marchent dans les fourrs de broussailles depuis plusieurs minutes quand, aux environs du lieudit Tagoussimte, la femme de reconnaissance revient prcipitamment sur ses pas pour alerter ses camarades. Une patrouille de

    soldats est dans les parages immdiats ! Avec une extraordinaire rapidit, insouponnable chez des tres du sexe faible, les trois femmes saffairent comme un seul homme. Un tas de bois coup et rang l par un bcheron, dans lattente dtre transport dans un autre lieu, offre une cachette idale pour le bless. Quant larme et la cartouchire, elles sont enterres en quelques secondes quatre ou cinq mtres plus loin. En petites foules, une des femmes fait le tour du primtre en saupoudrant le sol avec du tabac priser et du piment rouge en poudre, celui saveur trs forte qui brle la bouche. Ce condiment a t pralablement mlang de la cendre grise pour ternir sa couleur carlate qui pourrait veiller lattention des soldats. Ces substances pulvrises que les partisanes avaient toujours sur elles sont destines annihiler le flair des chiens de piste. Le dtachement passe une faible distance de la cachette sans souponner outre mesure la

    prsence des rsistants qui retiennent leur souffle. Dix minutes plus tard, larme et les munitions rcupres, Salah nTkitount et les trois femmes reprennent le chemin caillouteux qui les conduit une sorte de casemate o les premiers soins sont prodigus au bless. A lheure du crpuscule, des combattants transportent le bless dos de mulet vers les profondeurs du maquis, dans ce lieu inaccessible appel Achrit. Fin de mission pour les trois valeureuses femmes.Par leur bravoure et leur dtermination, combien ces partisanes ont-elles sauv de vies ? Ces vies prcieuses qui continueront, comme celle de Salah nTkitount, intensifier la lutte pour lindpendance. Sans ces cratures humaines, ces mres, pouses, surs, filles, ces femmes simples et admirables, ptries par le limon de la patrie, la Rvolution pourrait-elle triompher ? Assurment non. Mais la Rvolution a triomph ! Un peu, beaucoup grce elles.

    Khaled Lemnouer

    DE FEMMES(9)

    Ma grand-mre maternelle sappelait Hamidi Mbarka bent Cheikh. Elle a eu une seule fille, ma mre, dont elle tait peu fire dailleurs cause de leur caractre oppos. Autant ma mre tait douce et calme autant ma grand-mre tait dure et entreprenante. Dans la famille, on la qualifiait dhomme. Elle a t marie durant une bonne priode mon grand-pre paternel. Elle a d tre pour beaucoup dans la dcision de marier mon pre avec sa fille (ma mre) qui tait veuve et mre de quatre enfants, alors que mon pre tait jeune homme et encore jamais mari. Elle nous (ses dix petits enfants) a tous levs et chris. Son prfr tait mon frre Cheikh chez qui elle a pass les dernires annes de sa vie. Ctait une femme de petite taille, claire de peau, avec plein de tatouages sur le visage, les bras et les jambes. Elle tait trs forte dans le tissage de la laine. Elle excellait en particulier dans la conception et la direction des dessins compliqus des tapis de la rgion dEl Bayadh (dessins de couleur rouge et noire spars par des points repres blancs : erragm). Ses qualits principales taient le courage, la bravoure et un franc-parler (elle possdait le tac au tac) qui en faisait un personnage redoutable. Elle tait trs coute dans la famille et ses conseils recherchs et suivis. Elle a ralis de trs beaux tapis en couleur sans utiliser de teinture.

    COUPS DE POINGLes couleurs taient choisies dans la laine elle-mme (noire, marron, grise). Elle excellait dans la confection ( mme le sol et non sur mtier tisser) des bandes en laine et poil de chvre quon utilisait pour fabriquer les tentes. De mme, les burnous et djellaba navaient aucun secret pour elle. Durant les annes de disette (les annes 1940), elle confectionnait aussi du tissu en laine pour confectionner des pantalons et des vestes. Avant dhabiter la ville, elle fabriquait des ustensiles de cuisine avec de la terre glaise. Pendant la Rvolution, elle amenait aux

    Baya, Zohra, Fatma

    et les autres...

    Ma grand-mre a eu raison

    des militaires franais

    prisonniers, Kenadza des vivres, des vtements, du courrier Devant lintransigeance des gardiens (les militaires franais) pour lempcher dentrer, elle les bravait en criant (en arabe bien sr, elle ne connaissait pas un mot de franais) et en leur donnant des coups de poing. Ils ont fini par la prendre pour une folle et la laissaient entrer quand elle voulait

    Mohamed Tb

    Un groupe de femmes au passage du dfil militaire , le 1- novembre 1962 (AFP)

    Section fminine de lALN (AFP)

  • DE LA FEDERATION DE FRANCE(10)

    Je suis n en 1936 Boghni. Un matin, Bouira o je travaillais comme forgeron, on a vu des soldats noirs, des Sngalais, dbarquer dans le village. On a compris que quelque chose se passait. Ctait le dbut de la guerre. Peu de temps aprs, le 19 mars 1955, je suis parti en France pour travailler. Javais 19 ans. Je me suis install Boulogne Billancourt. On vivait dans des cafs dont les propritaires taient Algriens. Les forces de lordre franaises avaient lhabitude de contraindre les Algriens se dplacer pour viter que des cercles de connaissances ne se crent. Mais malgr tout, on se connaissait tous. En 1957, je deviens chef de groupe, puis chef de cellule, pour le FLN. Je suis charg de recruter ceux qui vont relever les cotisations auprs des Algriens. En parallle, je travaillais chez Air Liquide. Cest ce moment-l que le FLN lanc la grve des huit jours. Nous ne savions pas qui avait lanc la grve ni pourquoi, mais nous navons pas pos de question. Nous tions oblig de suivre le mot dordre, au risque de

    nous faire tabasser. En 1959, Paris, les membres du FLN sont en guerre avec les messalistes. Ctait une priode difficile, nous avions peur des problmes tout le temps, de jour comme de nuit. Mal logs, entasss dans les cafs, nous ntions jamais trs joyeux. Et il y avait toujours des problmes, nous ntions jamais tranquilles. A lpoque, les informations sur ce qui se passait au pays nous parvenaient au compte-gouttes grce la radio ou aux amis qui arrivaient Paris. Car en ce temps-l, lAlgrie ctait la France, on pouvait circuler entre les deux pays comme on voulait. Jai reu quelques lettres de ma mre et de mes deux surs, restes en Algrie Boghni. Les journaux, eux, taient globalement anti-algriens : quand il y avait 10 morts, ils en annonaient 20. Ctait pour nous dmoraliser.

    COUPS DE CROSSEMais les Franais taient solidaires avec nous. Beaucoup de gens ont soutenu le FLN. Nous naurions jamais tenu aussi longtemps dans la clandestinit sans cela. Certains nous prvenait des patrouilles, des descentes de police. Certains policiers fermaient les yeux, parce quils savaient ce qui nous attendait. Durant toute la guerre, jai t arrt deux fois. La premire fois, jai pass 18 jours en prison. La deuxime, ctait le fameux 17 octobre 1961. Jtais mont dans le bus pour aller jusque dans le centre de Paris, avenue de Wagram. Et cest l que la police franaise ma arrt. Jai reu des coups de crosse. Jai encore des trous dans la tte aujourdhui. Les policiers nous ont tabasss puis nous ont transfr au Palais des sports. On est rests l pendant 5 jours. Impossible de savoir sil faisait jour ou nuit. Il y avait beaucoup de monde. Lorsque je vois la place

    Les forces de lordre franaises

    avaient lhabitude de contraindre les

    Algriens se dplacer pour viter que des

    cercles de connaissances ne se crent. Mais malgr

    tout, on se connaissait tous.

    La place Tahrir me rappelle

    le Palais des sports

    Tahrir la tlvision, aujourdhui, a me rappelle le Palais des sports. Un jour, il y eut des disparitions. Un policier nous avait prvenu qu partir de minuit, il ne fallait pas rpondre si on entendait notre nom. Nous avons dchir nos papiers didentit et nos photos pour quils ne puissent pas nous reconnatre. Alors, ils ont fait autrement : ils nous ont annonc quils allaient nous librer. Ils nous ont demand de nous prsenter des bureaux en fonction de notre nom de famille. Quand

    jai donn mon nom, ils mont mis dans un car pour memmener jusqu Vincennes. Jy suis rest pendant sept jours. Au dbut, nous dormions debout tellement nous tions serrs. Certains sont alls directement en prison. Moi jai t transfr en Algrie, le 17 novembre 1961. L, jai t emprisonn nouveau. A Alger dabord, puis dans dautres villes. Finalement, jai t libr le 16 mars 1962.

    Arezki Mechtras

    Note de renseignement alertant sur la

    manifestation du 17 octobre 1961 (A. Mechtras)

  • DE LA FEDERATION DE FRANCE(11)

    Le bureau rgional de Tizi Ouzou de lAssociation des moudjahidine de la Fdration FLN en France (1954-62) a organis, la maison de la culture Mouloud Mammeri, une crmonie de remise de mdailles de mrite et dattestations de reconnaissance des dizaines de moudjahidine et militants de la Fdration de France du FLN, loccasion de la commmoration du 49e anniversaire des manifestations, le 17 octobre 1961, de milliers dAlgriens lappel de cette organisation. Des centaines de manifestants furent alors massacrs et dautres arrts par la police de Maurice Papon. Aprs avoir cout lhymne national, la crmonie a t ouverte par le prsident du bureau rgional de lAssociation des moudjahidine de France, qui a remerci lassistance, dans une salle archicomble danciens maquisards venus des quatre coins de la wilaya. La parole a t donne Ouali At Ahmed, ancien officier de lALN et membre du bureau de Tizi Ouzou de lOrganisation nationale des moudjahidine (ONM). M. Ouali a dit, pour ne jamais oublier, que la prise de conscience quant la ncessit de se dbarrasser du joug colonial franais est venue surtout de lmigration en France, ces mon zami

    comme la police de Papon appelait alors les Algriens militants en raison de leurs dfauts de prononciation du franais des termes mon ami et mes amis (confusion involontaire). Il ne faut pas oublier que de cette migration, qui a appris comment se dfendre dans les rangs mmes des syndicats de lennemi en France, est venue la prise de conscience dans le militantisme, avant de donner naissance en 1926, sur le sol franais,

    la fameuse Etoile nord-africaine (ENA), ajoute M. At Ahmed Ouali, en remontant encore un peu plus dans lhistoire pour apprendre la nombreuse assistance, compose de beaucoup de jeunes et surtout de vieux maquisards, quil y a eu, depuis 1830, quelque 105 insurrections un peu partout dans le pays, avant que la meilleure ne se dclenche dans lunion, le 1er Novembre 1954.

    SECOND FRONTParlant toujours des militants de lmigration, M. Ouali a rappel quil ne faut jamais oublier que les messalistes avaient fait beaucoup de mal en aidant, par dlation, la police de Papon sur les activits des militants du FLN. La plupart des massacres et assauts lancs par Papon dans des cafs frquents par des Algriens taient prcds par le passage de groupes de reprage de messalistes, ajoute-t-il, rappelant que derrire les massacres de Papon, il y a toujours le principal instigateur, le gnral de Gaulle. Pour sa part, un autre responsable, ancien militant de la Fdration FLN, a rappel que lors des quadrillages militaires, en 1957, sur la population en Algrie, un second front a t ouvert en France par lmigration, qui dcida de suivre

    simultanment, elle aussi, la grve des huit jours de janvier 1957. Lorsque de Gaulle consacrait un milliard de nouveaux francs pour financer quotidiennement les frais de la guerre en Algrie et des 80 000 soldats quil y envoya, les militants de la fdration du FLN ramassaient et transfraient 1,2 milliard de nouveaux francs. Cest dire le rle primordial des militants de lmigration, autrement dit de la 7e Wilaya, dans la russite de la lutte arme de Libration nationale. Au terme de ces courtes interventions, il a t procd la remise de dizaines de mdailles de mrite et dattestations de reconnaissance ces anciennes et anciens militants, maquisards de lmigration. Mme Zohra Hamoudi, lune des militantes de la Fdration FLN, a t la premire recevoir des mains du prsident de lAPW son cadeau de reconnaissance, suivie de lensemble des autres anciens. Lassistance a t convie ensuite goter une modeste mais conviviale collation organise en lhonneur de tous les librateurs de la patrie et la gloire de ses martyrs.

    Salah Yermche

    Il y a eu, depuis 1830, quelque

    105 insurrections un peu partout dans le pays,

    avant que la meilleure ne se dclenche

    dans lunion, le 1er Novembre 1954.

    Apprendre se dfendre dans

    les rangs de lennemi

    Bulletin dinformation du prfet de police (A. Mechtras)

  • Famille de rfugis, avec radio

    Dfil de femmes militaires accompagnes denfants. Au premier plan, une femme probablement enceinte

    Famille de rfugis avec un militaire Un combattant (chinois ou v

    (12)

    Des photos indites de la base denous ont t confies par la famiautres, responsable du service copour perptuer la mmoire de lereconnaissent sur les clichs - ou leur tmoignage en crivant : taUn album unique et prcieux fe

    Retrouvez lintgralit des photos sur :www.owni.frRetrouvez la vido des photos sur :www.elwatan.com

    DE LA BASE DE L'EST

  • Famille de rfugis

    vietnamien) intgr la cause nationale Avec la casquette, Si Hachemi Hadjeres

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    e lEst, o se trouvait ltat-major de lALN, lle dAhmed Moussa. Ce dernier y fut, entre ommunication et propagande. Ses enfants, ur pre, souhaitent que les personnes qui se qui en reconnaissent dautres - apportent

    [email protected] toute la semaine.

    DE LA BASE DE L'EST

  • Enfants de rfugis

    Groupe de combattants

    A gauche, Si Assa Boudaoui, dans la

    commune des Bibans

    (14)DE LA BASE DE L'EST

    Retrouvez lintgralit des photos sur : www.owni.frRetrouvez la vido des photos sur : www.elwatan.com

    Combattants avec artillerie lourdeA gauche : Si Nouar Benmahfoud, chef du 5e bataillon

  • Femmes rfugies

    (15)DE LA BASE DE L'EST

  • DE MOUDJAHID(16)

    Une priode dite transitoire, prvue par les Accords dEvian, stalait du 19 mars 1962, date de la proclamation officielle du cessez-le-feu, au 3 juillet 1962, date de la proclamation officielle des rsultats du rfrendum, au cours duquel 99% des Algriens staient prononcs pour lindpendance. De mon point de vue, ce rfrendum tait voulu par le gouvernement franais pour prouver son peuple ainsi qu ses allis qui lavaient aid militairement, que lAlgrie avait recouvr son indpendance grce la consultation du peuple. Car une superpuissance comme la France, aide de surcrot par les forces allies de lOTAN, ne pouvait pas se dclarer vaincue par la force des armes dun peuple asservi durant 132 ans. Pour grer cette priode, il fut dsign

    Le cessez-le-feu,

    Manifestation de joie, la premire semaine du cessez-le-feu, dans un village de Kabylie (S. Ouzrourou)

    Au fur et mesure de leur arrestation, les

    harkis taient rassembls au Camp du Marchal

    (Tadmat actuellement), pour tre transfrs

    ensuite vers la prison dEl Harrach dans lattente de

    leur jugement.

    un excutif provisoire, compos de trois personnalits neutres du ct algrien, trois autres personnalits neutres du ct franais, cinq membres du FLN ; cet excutif tait prsid par Abderahmane Fars et install Rocher Noir (aujourdhui Boumerds) au mois davril 1962, avec pour mission essentielle dassurer la continuit de ladministration, le maintien de lordre et la prparation matrielle du rfrendum. Cette institution ayant, entre autres missions, le maintien de lordre, elle disposait dune entit militaire appele force locale compose de goumiers et dlments du contingent dAlgriens appels sous les drapeaux franais. Elle devait exercer ses missions en relation avec ce qui restait de la police locale et lappui de larme franaise. En ralit, lordre ntait pas maintenu, notamment dans les villes. LOAS continuait de frapper. Cette organisation terroriste constitue de pieds-noirs et de dserteurs de larme franaise appliquait la politique de la terre brle. Elle assassinait des personnalits et dtruisait immeubles, magasins, caf et difices publics au moyen de bombes au plastic retardement. Mme les places publiques ntaient pas pargnes. Toutes ces actions destructrices se passaient sous lil bienveillant de larme franaise. La communaut europenne saffolait et prenait ses valises pour se rapatrier outre-mer, en abandonnant tous ses biens. Ces biens constituaient le socle de lconomie du pays : les meilleures terres agricoles, des units industrielles, des commerces et autres difices immobiliers, qui ont t dclars par

    la suite biens vacants par les autorits algriennes.

    PARALYSIE TOTALEPar ailleurs, les fonctionnaires de ladministration et des tablissements publics, qui reprsentaient la majorit de leur effectif, fuyaient eux aussi leur postes pour se rendre en France. A lentreprise de destruction des biens par lOAS sajoutait le vide laiss dans ladministration. Dans le pays, il ne restait que ruine et dsolation. Ctait la paralysie totale. Devant tous ces faits abominables, lexcutif provisoire avait affich son impuissance. Des opportunistes avaient profit de cette situation danarchie pour saccaparer de biens abandonns par les Europens. Certains dentre eux avaient passs des contrats notaris pour consacrer leur acquisition, de ces biens au mpris des directives donnes par lALN/FLN interdisant toute transaction. Le prix pay lEuropen tait drisoire par rapport la valeur relle du bien. Etant rsolus partir, ils taient bradaient leurs biens nimporte quel prix.Dans le mme temps, des divergences au sommet entre le FLN/ALN et le GPRA taient visibles. Les Accords dEvian ont rencontr beaucoup de difficults dans leur application tant du ct ami que du ct ennemi. En ce qui concerne les aspects purement militaires, il tait stipul que ces derniers, de quelque camp quils soient, devaient se fixer l ou ils se trouvaient la date du cessez-le-feu soit au 19 mars 1962 minuit. Il nous a t signal, et l, quelques bavures de moindre importance, tant du ct de larme franaise

    que de notre ct. On a enregistr galement quelques drapages dans des villages qui staient solds par le lynchage de harkis reconnus coupables dassassinat de citoyens pendant la guerre. Devant cette situation dramatique et dans le souci du maintien de lordre combien fragile, nous avons d intervenir pour arrter leffusion de sang qui coulait depuis plusieurs annes dj. Le commandement de la Wilaya III tant inform, ordre nous a t donn darrter tous les harkis, pour prserver leur vie dune part, et de les faire juger par lEtat algrien dautre part. Cette dlicate opration ne stait pas droule sans difficults. Au moment de leur arrestation, certains harkis, pris de panique, tiraient avec une arme feu sur les djounoud venus pourtant les sauver de la vengeance de leurs concitoyens. Un incident de ce type stait produit malheureusement au village dAt Lahcen (Ath Yenni) qui a cot la vie au jeune Mokrane, notre secrtaire de rgion.

    LYNCHAGE DE HARKISAu fur et mesure de leur arrestation, les harkis taient rassembls au Camp du Marchal (Tadmat actuellement), pour tre transfrs ensuite vers la prison dEl Harrach dans lattente de leur jugement. La transition au Camp du Marchal ne stait pas passe comme nous le souhaitions. A linsu des responsables du camp jtais lun deux certaines de leurs victimes ont pu accder lintrieur pour se venger. Ces forfaits taient rendus possibles par la complicit de certains gardiens. Quand nous nous sommes rendu

  • DE MOUDJAHID

    compte de ces actes, nous avons prcipits leur transfert vers la prison dEl Harrach. Au lendemain du cesser le feu, les populations civiles rfugies en sol tunisien sont rentres au pays. Profitant de cette occasion, un certain nombre de djounoud de la Wilaya III, dguiss en civils, se sont infiltrs pour rejoindre la Kabylie. Tous les prisonniers furent librs en vagues successives, sur plusieurs semaines. Parmi eux, des djounoud faits prisonniers au combat ont rejoint nos units, qui venaient dailleurs dtre restructures. Au fur et mesure que les soldats franais quittaient les villages, les populations dfonaient dabord les barbels qui les encerclaient puis, se sentant libres, sortaient en foule travers les champs qui taient, la veille encore, des zones interdites. Ctait le dchanement. Depuis plusieurs jours, la Kabylie tait en fte. Les populations enthousiasmes accueillaient

    les moudjahidine en hros. Plusieurs jeunes taient venus nous demander avec insistance leur recrutement au sein de nos units. Nous avons choisis parmi eu, des lments proches des moudjahidine qui ont t intgrs dans nos units. Ils ont rempli honorablement leur tche. Pendant ce temps, des opportunistes de tous bords cherchaient approcher des responsables dans le but de prendre des postes au sein de ladministration ou bnficier dun intrt conomique quelconque. Dautres se ruaient sur les biens mobiliers et immobiliers abandonns par les Europens.

    ZONES INTERDITESIls sen sont accapar, durablement dailleurs. Certains allaient jusqu se faire dlivrer des actes pour justifier la soi-disant transaction. Tandis que la majorit des Algriens, qui navaient dambition que lindpendance du pays, criaient haut et fort Vive lAlgrie.A la mme poque, on racontait une anecdote : des voleurs se mlaient aux foules enthousiastes pour les allger de leurs portefeuilles, puis criaient le mot Qassamen pour se partager le butin. Ce refrain de lhymne national tait rpt longueur de journe par toute la population. Toutes les troupes des postes avancs de larme franaise durent rejoindre leurs

    garnisons implantes dans les villes. Les units reconstitues de lALN prenaient leur place. Les quelques djounoud venus des frontires taient, quant eux, intgrs dans nos units pour tre ensuite affects dans des centres dinstruction. Tel fut le cas du jeune Bay Sad, promu au grade daspirant et affect au centre dinstruction de Tadmat en qualit dinstructeur. Sa dernire affectation que je connais tait chef de la 1re Rgion militaire avec le grade de gnral.

    RFRENDUM Les officiers, membres du comit de notre rgion, avons t dsigns chacun dans un secteur, avec pour principales missions de veiller au respect du cessez-le-feu, au maintien de lordre, la discipline et, de manire gnrale, pour encadrer les populations qui dferlaient de partout pour manifester leur joie afin dviter tout

    dpassement. Notre PC fut install au village de Taourirt Mokrane (Ath Yenni). Une autre mission et pas des moindres nous avait t confie : assister les missaires de Rocher Noir venus faire campagne pour le rfrendum dautodtermination. Dans ce cadre, nous avions reus matre Djender, avocat, avec qui nous avons fais la tourne des villes et villages. Lors des rassemblements des populations, je prenais la parole moi-mme, dabord, pour prsenter lmissaire de lexcutif provisoire. Une fois la campagne termine et le rfrendum pass, M. Djender avait eu droit une prime de campagne, selon nos informations, dun million de francs ! Tandis que mes compagnons darmes et moi-mme, percevions toujours la solde de 5 francs par mois... En ralit, la campagne lectorale avait t faite par les moudjahidine, les seuls en lesquels les populations avaient confiance ; cela a t constat loccasion des rassemblements populaires. De lautre ct des frontires, des divergences idologiques entre les responsables politiques du FLN, le GPRA et ltat-major de lEst (larme des frontires) clataient au grand jour, non sans se rpercuter sur lintrieur. Aprs lchec du Congrs de Tripoli, ils entamrent une course effrne pour la prise du pouvoir. On entendait parler du groupe de Tlemcen dont le chef de file

    tait Ahmed Ben Bella, du groupe de Tizi Ouzou, sa tte Krim Belkacem, chacun cherchant lappui des responsables des wilayas et la sympathie des populations. Le tout-puissant tat-major de lEst, command par le colonel Houari Boumdine, stait rang du ct dAhmed Ben Bella. Tan disque les wilayas III et IV, elles, soutenaient le GPRA. Les hauts responsables du FLN de lextrieur, qui staient forms en clans, se sont introduits chacun dans sa rgion natale pour demander lappui de lALN de lintrieur et des populations. En ce qui nous concerne, nous avons eu lhonneur daccueillir si Krim Belkacem, membre du GPRA et chef de la dlgation du FLN aux ngociations dEvian. Au mois de mars 1962, quelques jours seulement du cessez-le-feu, Si Krim, accompagn de certains responsables du FLN, sest rendu dans la Wilaya III pour la

    tenue dune premire runion avec les officiers de lALN de cette rgion. Le colonel Akli Mohand Oulhadj, surnomm Amghar, chef de wilaya, avait convoqu ces derniers pour y participer. A cette occasion, Krim Belkacem a port notre connaissance les tenants et les aboutissants des divergences qui opposaient les diffrents responsables au sommet du FLN. Cette runion sest tenue Boghni. Nous tions les htes du maire de la ville, seul susceptible daccueillir un nombre de personnalits aussi important dans des conditions acceptables.

    ETOILE SUR CHAQUE EPAULECertains moudjahidine et une partie de la population, nont pas vu dun bon il le fait que se soit le maire qui invite les hros de la Rvolution, dans son bastion. Pendant ce temps, les populations de la ville et de tous les villages environnants se rassemblaient sur la place de Boghni, attendant lapparition de Si Krim. Aprs le repas de midi, nous nous sommes dirigs vers la place ou tait rige une esplanade lintention des invits de cette localit, pour une prise de parole. Le premier discours fut prononc par Si Krim durant plus dune heure, suivi par Si Mohand Oulhadj qui a cltur ce rassemblement. Dans notre rgion se trouvaient deux grandes garnisons de larme franaise,

    lune Dra El Mizan, lautre Boghni. Nous avions reu instruction de les occuper avant leur vacuation par les Franais, et ce, aprs un accord pralable pass avec les commandants des garnisons concernes. Nous tions, moi et laspirant Sahnoun Abdallah, choisis pour prendre la relve des lments de larme franaise. Jai t dsign pour la garnison de Dra El Mizan et Si Abdellah pour la caserne de Boghni. Avec un groupe de djounoud, je me suis rendu dans cette garnison pour la prendre dfinitivement en charge. Vtu dun treillis neuf, une toile sur chaque paule, accompagn dun groupe de djounoud, nous marchions vers la caserne. Arrivs au portail dentre, nous fumes accueillis par une section, commande par un colonel, qui nous a rendu les honneurs. Ctait un geste qui mavait marqu pendant longtemps.

    Sans tarder, nous passmes la passation de services. Aprs avoir pass en revue les matriels existants, un inventaire fut arrt, le procs-verbal dress et sign par les deux parties. Nous avons procd ensuite linspection dune compagnie de la force locale que nous devions prendre en charge, en application des Accords dEvian. La liste de cette compagnie faisait ressortir un effectif de prs de 150 hommes. Linventaire des matriels, quand lui, tait constitu darmement lger et de fusils de chasse, de mortiers de 60 et de 80 m/m, de canons de 57 m/m, de vhicules de transport de troupes (camions, jeeps). Divers produits dhygine corporelle tals sur des tagres du foyer ont galement t pris en charge. Une fois les oprations dinventaire termines, un procs-verbal de passation de services fut conjointement sign. Ceci tant, aprs un change dadieux, le colonel franais et un groupe de soldats montrent dans une jeep et un camion destination de Tizi Ouzou. Cest ainsi que les derniers soldats franais quittrent dfinitivement notre rgion. Immdiatement aprs avoir pris possession de cette garnison, nous avons descendu le drapeau franais et lev le ntre sa place.

    Salah Ouzrourou. Officier de lALN

    (17)

    jour de victoire

    En ralit, la campagne lectorale avait t faite par les

    moudjahidine, les seuls en lesquels les

    populations avaient confiance.

    Alger, juillet 1962 (AFP)

  • DE MOUDJAHID(18)

    Le guide

    du combattant

    de lALN

  • DE MOUDJAHID(19)

    Brochure adresse aux soldats de lALN dtaiilant leur attitude au

    combat, la discipline, les techniques de gurilla, les relations avec la

    population, etc. (OWNI/memoires-algerie.org)

  • DE MOUDJAHID

    Nous tions un groupe de jeunes ouled lebled. Notre activit se limitait au dpart distribuer les tracts, assister aux meetings dans les cafs ; moi je me suis spcialis dans les graffitis. Puis, quelque temps avant le dclenchement de la Rvolution, Mohamed

    Boudoukhana est venu me chercher pour assister une runion au lieudit Bin Lekouara (entre les curies), dans le faubourg. Il y avait Boudoukhana, Si El Haouas Boukadoum, Didouche Mourad et un autre militant algrois dont jai oubli le nom. L, on me fit la proposition de rejoindre le CRUA. On ma nomm responsable dun groupe de dix

    Mohamed Lafa, 84 ans, des centaines de souvenirs, quelques trous de mmoire et une bonhomie faire plir les plus altruistes. Tonton, comme on aime bien lappeler Skikda, ville qui la vu natre et combattre, en dpit de son ge et du diabte quil trane depuis quelques annes, garde encore assez daptitude physique et de lucidit pour narrer, toujours avec le sourire, ses souvenirs. Mais dabord, pourquoi Tonton ? Il sourit et explique : Ce surnom ma t donn par mes amis alors que jtais encore jeune, certainement parce que je narrtais pas de leur prodiguer des conseils. Ce quil y a de particulier dans la rencontre avec Tonton, cest qu aucun moment on se lasse de lcouter. Quand il parle de son parcours de combattant et de ses faits darmes, il le fait sans emphase et sans jamais se prendre au srieux, comme sil parlait dune journe ordinaire. Il est capable de raconter plusieurs vnements de la Rvolution dans un enchanement intelligible et logique. La seule entrave de mmoire, vu son ge peut-tre, est en relation avec les noms ; il prouve quelquefois des difficults se souvenir de certaines personnes. Maniant assez bien la langue franaise, dune simplicit admirable, il voue une grande admiration aux lettrs.

    Je suis n et jai grandi rue des Aurs. Dj ! serait-on tent de dire, car cest aussi dans les cimes des Aurs quil suivra Mustapha Ben Boulad pour le combat librateur. Fils de pauvre, il a d simpliquer ds sa jeunesse pour la survie de sa famille : Jai arrt mes tudes trs jeune et jai travaill comme menuisier Zkak Arab. Ctait un minuscule atelier o lon fabriquait des tabourets et qui nous a servi par la suite de lieu de runion.

    SKIKDA, LE BASTIONDU PPAIl nen fallait pas plus Tonton pour simpliquer dans la lutte car Zkak Arab, un quartier populaire, tait parsem de cafs maures et grouillait, lpoque, de militants du MTLD. Vritable fief de la lutte politique, Skikda, comme en tmoignent plusieurs historiens, tait lune des plaques tournantes du MTLD puis du PPA. Dailleurs, le plus grand nombre de militants PPA du pays, lpoque, se trouvait bel et bien dans cette ville. Mais revenons Tonton et coutons-le voquer son passage la vie politique. Javais 26 ans quand Guedrouche Messaoud est venu me proposer de rejoindre, en tant que militant, le MTLD.

    personnes et Boudoukhana, qui est toujours vivant, sest occup de notre formation. Il nous emmenait sur les hauteurs, louest de la ville, pour faire des exercices de tir. Il disposait dun mousqueton et nous entranait tirer sur des bouteilles...

    PREMIRES VASIONSQuand il parle du jeune quil fut, Tonton ne rougit aucunement. Il voque avec nostalgie cette priode o il a connu le meilleur et le pire. Cest peut-tre difficile croire, mais quand il parle de cette priode derrance, il nuse daucune autocensure. Ecoutons-le raconter ses premires vasions de la prison de Skikda : Oui je ntais pas sage il faut le dire, mais ctait la jeunesse. Je prcise pour lhistoire que mes deux sjours en prison nont rien voir avec la politique. Jy tais pour des dlits de droit commun (il rit pendant longtemps). Je me suis vad une premire fois, avec deux autres dtenus. On a creus un trou dans le plafond puis, en se faufilant sous la toiture, on est parvenus sur le toit. Pour la deuxime vasion, jtais seul. Jai creus un trou dans la dalle pour parvenir la cour de la prison. Je navais alors qu grimper la muraille pour retrouver la libert. Pour moi, mvader de la prison de Skikda ctait comme un jeu denfant. Ce don , comme Tonton aime dire, allait lui servir plus tard dans lvasion de la prison de Coudiat. Mais avant darriver cette grande vasion, il faut demander Tonton les raisons qui lont men Coudiat. Il raconte. La Rvolution sest dclenche le 1er Novembre, mais Skikda il ne stait rien pass. On tait l, fins prts, mais il nous fallait attendre lordre des chefs. Puis Didouche nous ordonna de liquider un

    policier. Au dbut du mois de dcembre 1954, Boulekroua Salah, qui faisait partie de mon groupe, sest port volontaire pour abattre le policier prs de la rue du Ravin. Le 18 dcembre, des personnes nous ont vendus et on a t interpells, Boulekroua, Hammadi Krouma et moi. On nous a aussitt jugs et on a cop de dix ans de prison ferme pour reconstitution de parti dissous. On a alors t transfrs la prison Barberousse, Alger. Au mois daot 1955, on a de nouveau comparu pour lassassinat du policier et on nous a condamns mort. On a alors t transfrs la prison de Coudiat, Constantine.

    GRVE DE LA FAIMLvasion de Coudiat a fait couler beaucoup dencre. Comment fut prpare lvasion, comment sest-elle droule, quel fut le rle de chacun des 30 dtenus condamns mort ? Tonton tmoigne : A notre arrive Coudiat, je fus mus de retrouver Si Mustapha Ben Boulad (il marque une longue pause). Ctait un homme comme on nen voit plus. Il y avait aussi beaucoup de valeureux combattants, des hommes, des vrais, comme Tahar Zbiri, Mechri, Chougui Sad On tait une trentaine de condamns. On sest entendu par la suite de tout entreprendre pour faire vader Si Mustapha, quitte nous faire tous tuer. Au dpart, nous

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    Tonton, le roi

    Ctait un minuscule atelier o lon fabriquait

    des tabourets et qui nous a servi par la suite de lieu

    de runion.

    On a alors t transfrs la prison

    Barberousse, Alger. Au mois daot 1955, on a de nouveau comparu pour

    lassassinat du policier et on nous a condamns

    mort.

    Arrestation dans une rue dAlger (AFP)

  • DE MOUDJAHID

    tions spars dans des cellules et constamment enchans. On a alors dcid de faire la grve de la faim et les deux avocats de Si Mustapha, un Franais dnomm matre Stibbe et un Algrien de Batna, matre Lamrani, le frre du chahid Abdelhamid que je connaissais, car il avait fait ses tudes Skikda, ont plaid notre cause. On nous enleva les chanes pour nous transfrer tous dans une mme salle. L, nous pouvions constamment communiquer et prparer notre vasion, du moins celle de Si Mustapha. Quand Tonton parle de son ami, il laisse transparatre une grande amertume et chaque fois quil voque son nom, ses yeux brillent. Au sujet dune premire tentative dvasion qui aurait chou, il rtorque : Non, ce nest pas vrai. Il est cependant vrai que Si Mustapha avait demand un prisonnier de droit commun, coiffeur de son tat, qui allait sortir de prison, de nous faire parvenir un petit matriel quil devait introduire dans un balai et nous le balancer dans la cour. Malheureusement, le balai est tomb dans la cour des prisonniers mineurs. Les gardes sen sont rendu compte et on nous rassembla de suite dans une salle pour une fouille. On envisagea par la suite de tuer les gardiens mains nues, pour permettre Si Mustapha de fuir, mais ctait assez difficile car ils faisaient leur ronde en binme et lun deux arm restait toujours en retrait.

    BABIOLESQuand on lui demande qui tait le vritable instigateur de lvasion de Coudiat, Tonton rpond : Ecoutez, nous avons tous pris part cet acte. Tous. Mais cest moi qui tais charg de prparer le plan daction. Dieu mest tmoin et Si Tahar Zbiri, qui est encore vivant, peut en tmoigner. Puis il continue : Mes longues discussions avec Si Mustapha, qui jai racont mes deux vasions de Skikda, ont fini par le dissuader. Un jour, il ma appel et ma dit : Dabbar rassek. Prends tes responsabilits, prpare un plan et mets-le excution. Aussitt je me mis luvre. Le coiffeur tait revenu en prison. Il me donna tous les dtails au sujet de la prison, de ses btiments, ses murs, ses salles. Je me suis rendu compte que la salle mitoyenne la ntre servait de dbarras o on entreposait la literie et autres babioles ainsi que des balles dalfa. De plus, le coiffeur nous avait assur que le dbarras disposait dune fentre qui donnait sur le chemin de ronde.

    Jen conclus que laffaire tait vraiment ralisable. Jai rendu compte Si Mustapha de la faisabilit de lopration et il ma donn son consentement. Il nous fallait dabord parvenir au dbarras, donc on a commenc creuser. On a dtach une paumelle dune fentre de la cellule qui nous a servi creuser. On a dabord trac un triangle juste devant le mur sparant notre cellule du dbarras et tour de rle, on sest mis au travail. Ctait au mois doctobre 1955. On a pass 15 jours ainsi, creuser partir des angles du triangle trac et dbarrasser les dbris. Pour nous faciliter la tche, on avait du vinaigre quon versait sur les flures de la dalle. Les gros cailloux, on les semait dans la

    cour lors de la promenade et le sable tait jet dans les toilettes. La dalle fut dtache au bout de 5 jours seulement ; il nous restait creuser encore pour parvenir au dbarras. La nuit du 7 novembre, ctait la joie enfin. On est finalement parvenus au dbarras. Si Mustapha et moi tions les premiers pntrer sur les lieux. On a de suite remarqu que la fentre dont nous parlait le coiffeur tait btonne. Si Mustapha me regarda comme pour me dire : que devons-nous faire maintenant ? Dans son obstination, il grimpa sur les balles dalfa pour atteindre le plafond dnud. Il a dplac lgrement une tuile puis est redescendu pour me dire que la distance sparant le toit du dbarras du mur de la prison est importante. Il nous runit par la suite pour informer tout le monde de limpossibilit de lopration. Je suis revenu la charge pour dire Si Mustapha que le dbarras disposait dune porte que je pouvais ouvrir sans la forcer. Aussitt, je me mis loeuvre. Je suis parvenu ouvrir la porte du dbarras et la refermer. Le problme ntait pas l, il nous fallait surtout penser aux moyens utiliser pour escalader la muraille. Jai remarqu que dans le dbarras il y avait des traverses de lit. On en prit quatre quon a attaches solidement pour quelles nous servent dchelle. On a alors repris espoir et on sest vite mis tresser des cordes avec des bandes dtaches des matelas. On a tout prpar, et lchelle et les cordes. Le 9 novembre 1955, il ne restait qu dcider du jour J. Si Mustapha nous runit pour dcider que lvasion aura lieu le lendemain. Nous tions onze dtenus concerns. Il a rgl minutieusement tous les dtails. Pour viter tout cafouillage, il a procd un tirage au sort pour dcider du passage de chacun et des chemins quon devait emprunter. Le 10 novembre, vers 17h, on a enclench lopration...

    LES ENFANTS DE SI MUSTAPHATonton commence par ouvrir la porte du dbarras. Il est le premier descendre

    laide dune corde jusquau chemin de ronde, suivi de Si Mustapha. Il faut glisser jusquau chemin de ronde, attendre lchelle puis aller vers la muraille pour lescalader. A tour de rle, on a excut tout ce scnario et en moins de 20 minutes, nous tions dj de lautre ct de la muraille denceinte de Coudiat. Si Mustapha et moi, on a pris le chemin ensemble. Il connaissait parfaitement les lieux, vu quil avait lhabitude de travailler sur la route reliant Batna Constantine. Je navais qu le suivre. Pieds nus, on marchait la nuit pour nous reposer la jour dans les buissons et les oueds. Avant darriver Batna, on a d traverser la sebkha. L, Si Mustapha ma dit : Alors Skikdi, tu ne sais pas

    nager ! Je lui rponds que je nage trs bien et, pour le narguer, je lui pose la mme question. Il me regarde avec un sourire et me dit : non, mais moi je sais marcher. Je lui rplique : alors on marche. On a travers les lacs sals de bout en bout en dpit de la fatigue, de la faim et surtout du froid. Aprs quatre jours de marche, nous sommes enfin arrivs dans les Aurs, prs de la ferme de Si Mustapha. On sest cach dans lcurie. Le beau-frre de Si Mustapha est alors venu nous proposer de nous prparer un mchoui. Si Mustapha a refus carrment et lui a demand daller le plus vite possible en ville, contacter le relais des frres. Par la porte

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    de lvasion

    On envisagea par la suite de tuer les gardiens

    mains nues, pour permettre Si Mustapha de fuir, mais ctait assez

    difficile car ils faisaient leur ronde en binme

    A tour de rle, on a excut tout ce scnario

    et en moins de 20 minutes, nous tions dj de lautre ct de la

    muraille denceinte de Coudiat.

    entrouverte de lcurie, jai aperu les enfants de Si Mustapha qui jouaient. Il les regardait en silence, sans se montrer. Ctait un grand moment de silence et de solitude. Je lui ai dit daller voir ses enfants, il ma rpondu que ce serait dangereux pour eux. Etant encore gamins, ils pouvaient sans faire attention raconter devant des tranger que leur pre tait pass par l. Jai compris alors la force de cet homme. Il poursuit Une fois le contact tabli, on a pu rejoindre le PC des frres. L, on a trouv Si Omar, le frre de Si Mustapha, et dautres moudjahidine. A partir de cet instant, je nai jamais quitt Si Mustapha, sauf lorsquil ma ordonn de me rendre Tunis pour une mission spciale alors que lui devait se rendre au Caire. Mais je devais dabord, avec deux autres moudjahidine, faire un rapport sur les agissements dEl Ouardi, quon accusait tort. Il nous informa quune fois en Tunisie, une personne devait nous contacter sans nous donner son identit. Finalement, ctait Mehsas, qui tait en relation avec Ben Bella. Il ma inform que jallais tre dsign commissaire politique Tunis. Deux jours aprs, la villa quon occupait a t plastique. Un frre a t tu et un autre, nomm Mouats Salih, originaire de Skikda, a t bless. Daprs certaines informations, ctait luvre de certains que je ne voudrai pas citer... Quand on lui parle de la mort de son compagnon, Tonton vite courtoisement de trop en parler et se contente de dire : Jai rencontr Lalmani plus tard et il ma jur que ctait bien lui qui avait mis les explosifs dans le poste radio mais quil lui manquait les batteries. Il ne savait pas que cette bombe allait tuer le frre Si Mustapha ! Mais cest l un autre volet que seuls des historiens confirms peuvent aborder, mme si Tonton en sait quelque chose, il garde encore ce code dhonneur que Ben Boulad lui a inculqu.

    Khider OuahabNB : Mohamed Laifa est dcd en novembre 2011.

    Des milliers dAlgriens musulmans descendent Alger le 11 dcembre 1960 (AFP)

  • DE MOUDJAHID

    Imprimeur de formation, vo