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Ferinterfrance / International Railways Studies Université Mohammed V (Rabat) / Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines Travail, emplois et identités des cheminots à l'épreuve des politiques de restructuration Colloque international Mercredi 17 et jeudi 18 Décembre 2014 Rabat (Maroc) Appel à communication De longue date, dans la plupart des pays, les personnels des exploitations ferroviaires, qu’elles soient privées ou publiques, bénéficient de règles sociales spécifiques. Elles s’expliquent par l’activité professionnelle, en particulier par les contraintes des « roulants » (conducteurs de trains et contrôleurs), mais aussi par celles des aiguilleurs, des agents des triages, et de bien d’autres salariés. Ces sujétions nécessitent une organisation du temps de travail complexe du fait d’une activité continue, 365 jours par an et 24heures sur 24. Pour les roulants, dans la plupart des pays, la taille des réseaux implique par exemple des « découchés » (des « repos hors résidence ») qui appellent une réglementation que la législation ordinaire du travail, qui était essentiellement généraliste, ne pouvait que difficilement prévoir. On notera aussi que la situation conventionnelle de certains métiers s’est parfois progressivement étendue à toutes les catégories des travailleurs du rail, c’est-à- dire aussi aux personnels commerciaux, de maintenance dans les ateliers ou sur les voies, à l’encadrement, etc. Cette particularité qu’est l’intégration cheminote remonte dans bien des cas au XIX e siècle, c’est en tout cas vrai pour la France. La spécificité cheminote est en rapport avec le service public(ou la « mission de service public ») assignée aux compagnies ferroviaires. Cette fonction exige coordination entre les métiers, continuité et sécurité des transports. Il était impensable d’atteindre ces deux objectifs sans pouvoir s’appuyer sur une main d’œuvre de confiance en lui donnant des contreparties significatives au dévouement qui était attendu d’elle en toutes circonstances (incidents et accidents, graves intempéries, retards significatifs, etc.). L’Etat, au-delà de la couleur politique des équipes gouvernementales qui en assuraient la gestion, faisait aussi pression dans ce sens. Les luttes cheminotes ont également contribué à profiler dans beaucoup d’espaces nationaux l’émergence d’une conception plus ou moins poussée du « service public ferroviaire » avec une situation correspondante pour les personnels. En France, les cheminots des grands réseaux ont bénéficié d’un statut commun à partir de 1920(en vigueur depuis 1912 dans le réseau de l’Etat) près de deux décennies avant la prise de contrôle de l’essentiel de l’exploitation ferroviaire par la puissance publique, alors que la plupart des travailleurs du rail de cette époque étaient salariés de compagnies privées. Toutefois, un régime plus ou moins partagé par l’ensemble des travailleurs du rail d’un État-Nation n’est pas une norme universelle, y compris dans le cadre d’un opérateur historique.

2014 07 12 Appel à Communications_Travail Emploi Identités Professionnelles Des Cheminots Colloque International Rabat 17 Et 18 Déc 2014

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  • Ferinterfrance / International Railways Studies

    Universit Mohammed V (Rabat) / Universit de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

    Travail, emplois et identits des cheminots l'preuve des politiques de restructuration

    Colloque international

    Mercredi 17 et jeudi 18 Dcembre 2014 Rabat (Maroc)

    Appel communication

    De longue date, dans la plupart des pays, les personnels des exploitations ferroviaires, quelles soient

    prives ou publiques, bnficient de rgles sociales spcifiques. Elles sexpliquent par lactivit

    professionnelle, en particulier par les contraintes des roulants (conducteurs de trains et

    contrleurs), mais aussi par celles des aiguilleurs, des agents des triages, et de bien dautres salaris.

    Ces sujtions ncessitent une organisation du temps de travail complexe du fait dune activit

    continue, 365 jours par an et 24heures sur 24. Pour les roulants, dans la plupart des pays, la taille des

    rseaux implique par exemple des dcouchs (des repos hors rsidence ) qui appellent une

    rglementation que la lgislation ordinaire du travail, qui tait essentiellement gnraliste, ne

    pouvait que difficilement prvoir. On notera aussi que la situation conventionnelle de certains

    mtiers sest parfois progressivement tendue toutes les catgories des travailleurs du rail, cest--

    dire aussi aux personnels commerciaux, de maintenance dans les ateliers ou sur les voies,

    lencadrement, etc. Cette particularit quest lintgration cheminote remonte dans bien des cas au

    XIXe sicle, cest en tout cas vrai pour la France. La spcificit cheminote est en rapport avec le

    service public(ou la mission de service public ) assigne aux compagnies ferroviaires. Cette

    fonction exige coordination entre les mtiers, continuit et scurit des transports. Il tait

    impensable datteindre ces deux objectifs sans pouvoir sappuyer sur une main duvre de confiance

    en lui donnant des contreparties significatives au dvouement qui tait attendu delle en toutes

    circonstances (incidents et accidents, graves intempries, retards significatifs, etc.). LEtat, au-del de

    la couleur politique des quipes gouvernementales qui en assuraient la gestion, faisait aussi pression

    dans ce sens. Les luttes cheminotes ont galement contribu profiler dans beaucoup despaces

    nationaux lmergence dune conception plus ou moins pousse du service public ferroviaire avec

    une situation correspondante pour les personnels.

    En France, les cheminots des grands rseaux ont bnfici dun statut commun partir de 1920(en

    vigueur depuis 1912 dans le rseau de lEtat) prs de deux dcennies avant la prise de contrle de

    lessentiel de lexploitation ferroviaire par la puissance publique, alors que la plupart des travailleurs

    du rail de cette poque taient salaris de compagnies prives.

    Toutefois, un rgime plus ou moins partag par lensemble des travailleurs du rail dun tat-Nation

    nest pas une norme universelle, y compris dans le cadre dun oprateur historique.

  • Ainsi en Argentine, lors de la cration des Ferrocarriles Argentinos en 1948-1949, quatre conventions

    collectives correspondaient autant mtiers ferroviaires essentiels (conducteurs de trains,

    personnels affects la signalisation, personnel administratif et de direction et personnel des

    ateliers). Cette situation se transformera en 1993-1995 avec la privatisation.

    Nos premires investigations montrent que sur le plan historique de grandes tendances se laissent

    percevoir et qui suggrent quatre hypothses :

    1. En gnral, aprs une prolifration dinitiatives caractristiques des premires dcennies du

    chemin de fer, celui-ci a gnralement volu vers une certaine homognisation lintrieur de

    chaque espace national.

    2. Nanmoins, il est rare quon ait assist une simplification totale de la situation des rseaux et

    donc de la situation du monde cheminot dun pays donn.

    3. Les phases de restructurations intenses dans lesquelles sont entrs nombre de rseaux dans le

    monde, auraient plutt tendance rintroduire de lhtrognisation (nationale et internationale).

    4. A chaque grande phase de composition, dcomposition et recomposition du secteur ferroviaire,

    des tendances contraires se laissent percevoir.

    Le colloque international auquel nous appelons a pour objet de permettre de confronter nos

    analyses sur les restructurations en cours dans le secteur (dun point de vue diachronique ou

    synchronique). Il le fera sous langle de la situation du travail, de lemploi, des carrires et de

    lidentit des travailleurs du rail dans une acception large, cest--dire quils soient ou non reconnus

    comme tels.

    Les contributions attendues pourront relever des diffrentes sciences de lhomme et de la socit :

    sociologie (du travail, de lemploi, des relations professionnelles, de lconomie, du droit, etc.),

    histoire (sociale, conomique, industrielle, etc.), conomie du travail, science politique, etc.

    Nous considrons que dans le cadre dune ou plusieurs de ces disciplines, une recherche par pays est

    parfaitement lgitime et mme ncessaire. Le colloque que nous organisons a cependant une

    ambition plus importante puisquil sagit de sefforcer de comparer les dynamiques luvre.

    Cette comparaison peut soprer sur diffrents plans quon distinguera pour des raisons analytiques

    mais qui sinterpntrent frquemment.

    On peut sintresser aux rgles formelles qui structurent les relations de travail

    - Dans leur diversit pass et prsente, quelles sont les caractristiques juridiques et formelles

    des rgles qui structuraient et structurent le travail (statut de fonctionnaire, statut du

    cheminot la franaise , convention collective de mtier, de branche ou dentreprise) ?

    On peut sintresser aux logiques processuelles

    Quelle est lhistoire de ces rgles, de leur mergence leur maturit ? Quand et dans quelles

    circonstances ont elles vu le jour, en rponse quels problmes, quels acteurs essentiels les ont

    construites et avec quels rsultats ? Qui sont aujourdhui leurs contempteurs et avec quels

    arguments et quelle audience ? Quel est la dynamique des argumentaires et de laudience quils

    rencontrent ? A quelles preuves de force ces controverses donnent-elles jour et sur quelles arnes ?

    Comment les Etats et les intrts conomiques se situent-ils sur la scne publique et dans quels

    cnacles par rapport ces questions ? Comment se droule le cycle conflit / ngociation autour des

  • conventions collectives en cours ou en gestation ? Comment se recompose le monde syndical, son

    audience, son rapport ses lecteurs et ses militants, comment soriente-t-il ou se roriente-t-il

    dans le paysage dun ferroviaire mondialis ? Les organisations syndicales manifestent-elles le souci

    de se coordonner au niveau rgional (Europe, Amrique latine, etc.) et quelles relations

    entretiennent-elles avec les acteurs patronaux et les instances supranationales ? Quen est-il du

    patronat ferroviaire public ou priv, des organisations professionnelles dont il se dote ? Quel

    lobbying exerce-t-il ?

    On peut sintresser aux rgles de contenu

    - Quel est le contenu de ces textes sur le plan des conditions de recrutement, de

    classifications, des rgles de rmunration, de formation, de promotion, de conditions de

    travail, de protection sociale, de prvention en matire de sant et de mdecine du travail,

    de retraites ?

    Que prvoient ces textes, en matire de reprsentation du personnel, de conflits collectifs, de

    ngociation collective, darbitrage ?

    - Quelles sont leurs dispositions sur le plan de la discipline au travail, de la protection contre

    larbitraire, des voies de recours ?

    - A-t-on constat comme en Argentine, au Mexique et dsormais en France, des plans

    dincitation au dpart anticip des cheminots ? Quelles en ont t les modalits ? Sagissait-il

    de rduire le nombre de salaris ou de remplacer les salaris protgs et anciens par de

    nouvelles recrues, aux salaires moins levs et aux avantages sociaux plus incertains ?

    Qu'en est-il de la transformation de la morphologie des cheminots.

    - On peut se poser des questions sur la transformation des profils sociologiques des personnels

    travaillant dans le ferroviaire. Quen est-il du recrutement de type hrditaire ou endogame,

    longtemps et souvent privilgi par les dirigeants, recrutements qui ont t les vecteurs et le

    support dune culture cheminote spcifique, favorisant un certain sentiment corporatif et

    relativement isole du monde du travail extrieur aux chemins de fer ?

    - Les voies daccs aux postes de direction et dencadrement de diffrents niveaux se

    transforment-elles ? Les marchs du travail ferms demeurent-ils prgnants ou ont-ils

    tendance se recomposer dans le sens de leur ouverture ?

    La fminisation des emplois cheminots sobserve-t-elle dans les diffrents pays ? En France par

    exemple, les femmes ont longtemps t peu nombreuses parmi les agents du rail, assignes des

    postes de bureau spcifiques ou garder les passages niveau... Dans quelle mesure, lvolution des

    mtiers, leur intellectualisation (ventes, marketing, gestion), leur caractre moins physiques car de

    plus en plus automatiss (postes daiguillage, pilotage des trains) facilite-t-il ou non laccs des

    femmes tous les services et tages hirarchiques, tels que le contrle des voyageurs, la police

    ferroviaire, ou les postes de direction ?

    - On pourra aussi sinterroger sur le maintien ou la transformation des discriminations qui

    touchent certaines autres catgories de salaris en fonction de la nationalit, de lge, etc.

  • En arrire-plan de ce colloque se pose la question de savoir si dans un espace gographique donn

    (pays, continent, etc.) peuvent sobserver des logiques convergentes que DiMaggio et Powell (1991)1

    nomment isomorphisme, ou bien assiste-t-on un htromorphisme croissant voire des logiques

    plus browniennes ?

    Modalits de proposition dune communication

    Les propositions de communication (2000 caractres maximum avec bibliographie) indiqueront le

    NOM et le prnom, la discipline dappartenance de lauteur et son institution de rattachement.

    Elles seront adresses jusquau 30 septembre2014 [email protected] et en CC aux

    coordonnateurs du colloque Marnix DRESSEN [email protected] et Youssef

    SADIK [email protected]. Le comit dorganisation en accusera rception et

    communiquera sa rponse le 20 octobre au plus tard. Une fois leur principe accept, les

    communications rdiges devront tre envoyes pour le 30 novembre 2014.

    Comit scientifique AMIRI Saida (psychologue du travail, Universit Mohammed V Rabat, Maroc), ABEL Audrey (gestion, IAE, Universit Paris II, France), BESSE Isabelle (sociologue, UMR CNRS Printemps , France), BETTACHE Mustapha (Relations industrielles, Universit Laval Qubec), BOUKHARI Sanae (gestion, Universit Mohammed V Rabat, Maroc), CHAMPIN Herv (sociologue, ENS Cachan / UMR CNRS IDHE , France), de BONY Jacqueline (sociologue, UMR CNRS LISE , France), DAHAN-SELTZER Genevive (sociologue, Sciences Po, Paris, UMR CNRS LISE , France), DRESSEN Marnix (sociologue, UVSQ / UMR CNRS Printemps , France), DUHALDE Santiago (sociologue, CONICET, Argentine), FINEZ Jean (sociologue, Universit Lille 1, UMR CNRS Clers , France), GOBIN Corinne (politiste, GRAID, FNRS lULB, Belgique), GRESSEL Reinhard (sociologue, IFSTTAR, France), KAMDEM Emmanuel (gestion, Douala, Cameroun), KAWAZOE Hiroko (anthropologue, Universit Shoin, Japon), KUBIAK Julien (sociologue, UMR CNRS Printemps , France), LABARI Brahim (sociologue, Universit Ibn Zohr, Agadir, Maroc), LARGIER Alexandre (sociologue, SNCF, France), MAHIEUX Christian (cheminot retrait, syndicaliste, France), MAURICE Julie (historienne, SNCF, Ecole des Chartes, Universit Paris IV, France), PETIT-DUTAILLIS Laurent (gestionnaire, ISC, Paris, France), PORTILLO Jos R. (historien et politiste, CEMCA-UMIFRE-CNRS et IPN-ESE-MEXIQUE). RASCOVAN Alejandro (sociologue, UBA, Argentine), RIBEILL Georges (historien, Revue Historail, France), SADIK Youssef (sociologue, Universit Mohammed V Rabat, Maroc), SAIF BELHAJ Rachid (psychologue du travail, Universit Mohammed V Rabat, Maroc), THIBAULT Martin (sociologue, Universit de Limoges/GRESCO, France).

    1DiMAGGIO Paul, POWELL Walter W. (ed.), (1991), The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, Chicago

    University Press.

  • Argument du colloque

    Nous dveloppons ci-dessous, les lments annoncs en introduction de lappel.

    Nos premires investigations montrent que sur le plan historique des tendances principales (souvent

    accompagnes de courants contraires) se laissent percevoir. On peut schmatiquement leur

    attribuer trois grandes caractristiques :

    a) Un processus historique d'homognisation des conditions nationales

    b) La subsistance d'une htrognit des conditions nationales

    c) Une accentuation de lhtrognit intranationale avec la libralisation.

    1. Homognisation des conditions nationales

    La plupart des Etats travers le monde ont mis en place un moment ou un autre, des oprateurs

    ferroviaires stables, devenus historiques par leur anciennet, qui se sont plus ou moins approchs

    dun monopole public. Les Etats-Unis font figure dexception significative. A la fin des annes 1940,

    on y dnombrait encore 700 compagnies (par absorptions successives des 6 000 quavaient compt

    le territoire) (Peyret, 1949, p. 159)2 et elles sont ce jour encore au nombre de sept (une seule

    Amtrak - tant ddie aux voyageurs). A peu prs partout ailleurs, lors de la constitution des

    oprateurs historiques par intgration de tout ou partie des compagnies prives3 et selon des

    logiques capitalistiques4 et des temporalits trs variables dun pays lautre5, les cheminots de

    diffrentes origines ont bnfici dun cadre rglementaire commun. a a aussi t le cas des

    cheminots dans les anciennes colonies ou dans les protectorats franais avant leur indpendance

    puis aprs celle-ci, parfois avec un temps de retard comme a a t le cas au Maroc. Au Mexique,

    lEtat a confi en 1938 au syndicat des cheminots la gestion de la plus grande partie du rseau, soit

    un an aprs lexpropriation de la majeure partie des compagnies prives (Peyret, 1949, p. 159).

    La constitution des oprateurs historiques sest donc gnralement traduite par une

    homognisation intranationale plus ou moins accentue de la condition des cheminots quelle que

    soit la diversit de leurs employeurs lorigine. Mais dun pays lautre, celles-ci taient variables et

    relevaient dun cadre juridique diffrent. Ainsi au Mexique, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en

    Autriche(mais pas aux Pays-Bas, contrairement aux postiers), les cheminots ont t intgrs la

    fonction publique et sont devenus pleinement fonctionnaires6.En Allemagne, avant 1914, tous les

    2PEYRET Henry (1949), Histoire des chemins de fer en France et dans le monde, Paris, SEFI, 350 p.

    3 LAustralie semblant avoir fait exception, les capitaux privs ntant au dpart pas intress par le type de risque financier

    que prsentait le ferroviaire dans un aussi vaste pays (Peyret, 1949, p. 173). 4 Ainsi les CFL (Chemins de Fer Luxembourgeois) qui voient le jour en 1946 taient et demeurent dtenus principalement

    par le Luxembourg mais aussi par la Belgique et par la France (Peyret, 1949, p. 53). 5Entre 1877 et 1908 pour lancien Royaume dAutriche-Hongrie, 1885 au Danemark (sans monopole dEtat), en 1897-1898

    en Suisse, en 1905en Italie, 1906 au Japon, partir de 1912 en Chine avec lavnement de la Rpublique, partir de 1879 1885 mais formellement en 1924en Allemagne, en 1926 en Belgique avec la cration de la Socit nationale des chemins de fer belges, en 1937 en Birmanie et au Mexique, en 1937-1938 en France, en 1939 en Sude, en 1947 en Rhodsie, au terme dun processus achev en Turquie en 1948-1949, en 1947-1949 en Argentine, etc. 6 En Inde la situation semble avoir t particulire. Avant lindpendance du Pakistan, 72 % des voies appartenaient lEtat

    mais il nen grait directement que 40 % (Peyret, 1949, p. 159). En Grande Bretagne, mais ce nest pas un cas unique, dans des circonstances historiques comme la Premire guerre mondiale, ladministration unifia et pris le contrle des compagnies mais elle leur rendit ensuite leur libert. En 1921 elles taient encore au nombre de 121 au moment o lEtat

  • rseaux de lEmpire allemand, privs ou publics (dont celui de Prusse, rseau dEtat le plus

    important) divisaient leur personnel en trois grandes catgories : 1) fonctionnaires (suprieurs,

    moyens, subalternes) et employs commissionns (figurant tous au budget des Etats, avec garantie

    de lemploi) ; 2. leur ct, travaillaient des employs non commissionns ou auxiliaires et3.

    des ouvriers, ces deux dernires catgories tant rgies par un contrat priv de travail. On retrouve

    ces catgories dans les quatre grandes fonctions : Administration / Exploitation / Voie/Matriel et

    traction.

    Dans nombre dautres pays, au temps des monopoles, les cheminots ont bnfici dune convention

    collective de travail pour lensemble de lentreprise monopolistique ou dune convention par mtier

    au sein de cette mme entreprise (cas de lArgentine). Au Mexique, jusqu la privatisation de FNM

    (Ferrocarriles Nacionales de Mxico) dans les annes 1990, les salaris de lentreprise relevaient

    dune convention collective, qui permettait lobtention dun contrat vie au bout de six mois

    dexercice (situation gnrale la fonction publique du pays). En France, de 1920 1938, puis partir

    de 1950, les cheminots ont relev dun statut , le statut du cheminot , cadre juridique qui en

    droit nest pas ngoci mais octroy par lEtat ( la diffrence dune convention collective de travail

    qui, elle, est ngocie et a aussi force de loi). Entre temps (de 1938 1950), les cheminots franais

    taient couverts par une convention collective nationale. En Espagne, les chemins de fer voies

    larges ont t nationaliss en 1941 par la cration dun monopole dEtat dnomm RENFE (Red

    Nacional de los Ferrocariles Espaols) et les cheminots se sont vus imposer une convention collective

    nationale partir de 1977.

    2. Htrognit des conditions nationales

    Lexploitation de toutes les parties de rseaux et donc de tous les salaris qui y travaillent, na pas

    systmatiquement t absorbe par loprateur historique. En dautres termes on a rarement eu

    faire un monopole absolu, des compagnies prives plus ou moins puissantes ou la gestion dun

    rseau particulier coexistant avec la compagnie nationale majeure (cas du Mexique, de lEspagne, de

    l'Allemagne et de la France). Cela nous intresse ici puisque, dans la plupart des cas, les personnels

    des socits marginales taient soumis des rgles diffrentes voire trs diffrentes de celles des

    compagnies sous tutelle tatique. Dans les pays comme la France, o un oprateur historique

    structurant a exist pendant des dcennies, la totalit des personnels travaillant dans le secteur

    ferroviaire na jamais bnfici des protections dominantes. Un volant de main duvre moins

    protg auxiliaires , devenus des contractuels , dits PS 25 puis RH 924 (dnomination

    administrative du rglement SNCF qui les rgit) coexiste encore actuellement avec le cur du salariat

    cheminot. On notera aussi que lors de la fondation de la SNCF en 1937-1938, tous les travailleurs du

    rail nont pas t couverts par la mme convention collective. En effet, la prise de contrle par lEtat

    na concern que les lignes dintrt gnral de cinq grandes compagnies prives et de deux

    rseaux dEtat7. Ainsi taient laisss de ct, les personnels de petites compagnies dintrt gnral

    (dont jusqu nos jours les Chemins de fer de Provence) et celui des voies ferres dintrt local

    (concessions ou rgies dpartementales). A partir de 1974, ces petits cheminots ont bnfici de

    entreprend de les concentrer en quatre groupes. En 1947-1948, lorsque lEtat entreprend de nationaliser lensemble du systme de transports de toutes modalits, 60 compagnies de chemin de fer opraient encore (Peyret, 1949, p. 38-39). 7Les deux rseaux dEtat taient essentiellement dune part lancien rseau de la Compagnie des Chemins de fer de lOuest

    (nationalis en 1908) et dautre part, celui du Rseau ferroviaire dAlsace - Lorraine ( partir de 1919). Cette dernire administration a aussi gr les chemins de fer du Luxembourg jusqu la cration de la Socit Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois (en 1946).

  • leur propre convention collective, moins avantageuse du point de vue des salaris concerns que le

    statut des cheminots intervenu entre temps.

    On notera aussi que ds sa cration, la SNCF a contrl des filiales (transport routier de voyageurs ou

    de marchandises), hrites des grandes compagnies ferroviaires prives, dont la gestion du

    personnel, par dfinition, dpendait dautres rgles. Il en est de mme pour les secteurs externaliss,

    certains depuis longtemps (restauration ferroviaire, nettoyage des rames ou des gares par exemple),

    dautres plus rcemment (des services en gare, linformatique, etc.).

    La situation des Pays-Bas, offre depuis le XIXe sicle un visage atypique. LEtat a fini en 1948 par

    prendre le contrle sous forme dun duopole de la presque totalit du capital des deux grandes

    compagnies qui se partageaient le trafic. Mais lEtat sest toujours refus administrer lui-mme ces

    socits gres selon les principes du droit priv.

    Dans tels autres espaces nationaux, des vnements historiques majeurs ont aussi eu pour effet de

    multiplier les segmentations internes au corps des cheminots. Ainsi le cas allemand montre des

    tendances successives contradictoires avec la partition de lAllemagne en 1945. Deux compagnies ont

    vu le jour aprs la chute du IIIe Reich : lEst, la Reichsbahn et lOuest, la Deutsche Bundesbahn

    avec pour leurs personnels respectifs des statuts de fonctionnaires distincts. Avec la runification des

    annes 1990, les cheminots de la Rpublique dmocratique allemande ont t intgrs la Deutsche

    Bundesbahn (DB) sous le statut demploy de service public. En 1994, la DB est devenue une socit

    de droit priv, la Deutsche Bahn; et si les anciens fonctionnaires ont gard leur statut public, ce

    dernier na pas concern les nouveaux recruts, rintroduisant un clivage. Au Luxembourg, les

    chemins de fer ont aussi connu une histoire rebondissements. La Compagnie Guillaume-

    Luxembourg, socit anonyme capitaux franais, a t exploite par la Compagnie des Chemins de

    fer de lEst, partir de 1857. Elle sera ensuite gre par lEmpire Allemand. Au lendemain de la

    Premire guerre mondiale, sa gestion sera confie lEtat franais comme le rseau de Moselle et

    dAlsace, les Chemins de fer de lEst refusant den reprendre la gestion. En 1946, elle gagnera une

    relative indpendance avec la cration de la CFL (Socit Nationale des Chemins de fer

    Luxembourgeois).En Roumanie, les CFR (Cile Ferate Romne) crs en 1880, sont restructurs en

    1998 et fragments en quatre entits : voyageurs, fret, trains touristiques, gestionnaire

    dinfrastructure.

    Mais les ruptures historiques peuvent aussi avoir eu leffet inverse. Ainsi au Maroc, lindpendance

    en 1956 sest traduite quelques annes plus tard par une intgration progressive des quatre

    principales compagnies qui se partageaient le trafic du temps du protectorat (et qui toutes taient

    contrles par des puissances conomiques franaises ou espagnoles)8.

    3. Accentuation de lhtrognisation intranationale avec la libralisation

    Prsente ds lorigine, la segmentation des situations des personnels ferroviaires sest gnralement

    accrue avec le dmantlement des oprateurs historiques (cas de lArgentine, du Japon, de la Suisse,

    et de la Roumanie) ou tout simplement par lintroduction de la sous-traitance qui caractrise la

    phase de globalisation dans laquelle entrent progressivement les conomies nationales dans le

    dernier tiers du XXe sicle. Les oprations de filialisation qui, en France par exemple, mergent dans

    les annes 1970, saccentuent au fil des dcennies. Sous ses diffrentes modalits, lexternalisation

    8 SADIK Youssef (2005), Logiques et politiques de modernisation des entreprises publiques au Maroc. Le cas de lOffice National des Chemins de Fer (ONCF), thse de doctorat, Universit Mohammed V, Rabat. 338 p.

  • na pas manqu de multiplier les rgles spcifiques, toujours ou presque en retrait par rapport

    celles qui prvalaient chez le donneur dordre (cest mme la raison principale du dveloppement de

    lexternalisation dans les diffrentes branches dactivits socio-conomiques). Lessentiel du

    nettoyage et du gardiennage, de la restauration dans les trains et de plus en plus laccueil, la vente

    des titres de transport et les services informatiques, sont assurs par des socits prives.

    Le plus souvent, la sparation du gestionnaire dinfrastructure et de lexploitant, comme cest le cas

    en Sude depuis 1988 et en France depuis 1997, a galement mis mal la relative homognit des

    conditions du travail, de lemploi et lidentit commune du monde des cheminots.

    Les vagues de privatisation par fragmentation ont elles aussi eu pour effet de diversifier les rgles

    rgissant le travail. Ainsi en Argentine, aprs 1993-1995, les conventions collectives par mtier ont

    cess dtre ngocies au niveau national par un seul oprateur pour l'tre dsormais par chacune

    des entreprises (il y en a dsormais huit) et par chacun des quatre syndicats professionnels pour leur

    propre compte. En Suisse existent dsormais quatre conventions collectives de travail. Deux

    concernent les Chemins de fer fdraux (une pour les activits voyageurs, lautre pour le transport

    de marchandises), une pour les personnels de BLS (deuxime oprateur aprs les Chemins de fer

    fdraux) et une autre encore pour le personnel de Rhtische Bahn. Dautres conventions collectives

    rgionales de moindre importance existent aussi. Aux Pays Bas, NS (Nederlandse Spoorwegen),

    lancien oprateur historique, est pass dun statut semi-priv un statut priv en 1995.

    Linfrastructure et lexploitation disposent de conventions collectives propres (CAO : Collectieve

    Arbeid Overeenkomst) dont la dure de validit est de deux ans (2013-2015).

    Aprs le dmantlement des oprateurs historiques, se peroivent parfois des efforts pour recrer

    des accords collectifs partags. En Roumanie, existe dsormais au niveau national un contrat collectif

    de travail bas sur une loi de 2011 dite du dialogue social . Long de 100 pages, sa validit stend

    sur deux ans (2012-2014). En France, les oprateurs privs de transport ferroviaire de fret se sont

    lancs dans la ngociation dune convention collective qui na abouti presque huit ans plus tard qu

    des accords de branche. En 2014, lEtat a relanc une nouvelle ngociation. Son contenu (niveau de

    protection donn aux ayants-droits) et son champ dapplication (concernera-t-il seulement les

    entreprises de transport ferroviaire au sens strict ou plus largement toutes les entreprises du secteur

    y compris donc les sous-traitantes du nettoyage, gardiennage, restauration, etc.) sont des enjeux de

    lutte entre organisations syndicales et patronales. Ce bras de fer se droule dans un contexte

    idologique exacerb. Depuis des dcennies, de nombreuses voix cherchent disqualifier le statut

    des cheminots de la SNCF en le dcrivant comme dsuet ou inadapt notre nouvelle modernit.

    Et de fait, de longue date, la proportion de cheminots qui chappe aux avantages et protections quil

    offre ne cesse de grandir. Cela peut rsulter des restructurations internes (sous-traitance, cration de

    filiales qui auto concurrencent loprateur historique dans le fret et apparition de filiales comme

    Eurostar, par exemple) ou de dcisions prises par lEtat (cration du gestionnaire dinfrastructure,

    RFF, en 1997, distinct de la SNCF).En Allemagne, la privatisation de loprateur historique, en 1994, a

    eu pour consquence que les cheminots fonctionnaires ont t transfrs une agence

    gouvernementale gestionnaire du patrimoine de l'ancienne Bundesbahn, agence qui met

    disposition de la nouvelle socit de droit prive Deutsche Bahn ces quelques 38 000 cheminots

    fonctionnaires. Les nouvelles embauches se font dsormais sous statut priv. Cette rtraction des

    dispositions les plus protectrices peut aussi tre le fruit des injonctions de la commission europenne

    et de son souci de faciliter le jeu de nouveaux entrants qui viennent concurrencer les oprateurs

    nationaux sur leur territoire historique. Parfois, ces nouveaux entrants sont des filiales doprateurs

  • historiques trangers. Ainsi, la DB concurrence la SNCF en France mais celle-ci fait de mme et

    certaines de son milliers de filiales multimodales interviennent en Allemagne (et dailleurs sur tous

    les continents).

    La libralisation du rail en Europe mais aussi en Amrique latine a complexifi les situations, soit

    parce que les oprateurs historiques ont t dpecs et vendus par appartements (cas japonais

    partir de 1987, cas britannique la suite du Railway Bill de 1993, cas argentin partir de 1993-1995),

    soit parce qu leurs cts des oprateurs privs, nouveaux entrants , ont t invits leur

    disputer des parts de march (cas italien, franais, allemand).

    Ainsi, dans plusieurs Etats-nation, le corps des travailleurs du chemin de fer a connu de nouvelles

    lignes de clivage. Clivages avec loprateur historique l o il existe encore, certes, mais aussi

    ventuellement entre compagnies prives qui ne se rfrent pas (pas exactement ?) aux mmes

    rgles, comme en Argentine. Ainsi en France, laccord de branche sur le temps de travail dans le

    ferroviaire priv (octobre 2008) prvoit la possibilit de ngocier des accords dentreprise qui ont

    pour effet dhtrogniser la condition des cheminots entre oprateurs privs.

    Les tendances la diversification ne sont toutefois pas univoques. Au Mexique, en 1987, le

    gouvernement fusionna les cinq entreprises ferroviaires rgionales de nature publique empresas

    hermanas , avec Ferrocarriles Nacionales de Mxico (FNM), entreprise publique.

    En guise de conclusion

    Ce rapide survol montre que si lon adopte un point de vue supranational, aucune des priodes

    historiques qui permettent de dcouper la situation sociale des travailleurs du rail, nest homogne.

    En gnral une tendance principale est bien dcelable, par exemple celle de la constitution des

    monopoles historiques jusqu la veille de la Seconde Guerre mondiale dans les pays occidentaux.

    Cette priode est cependant trs longue. Ainsi la vague de constitution des premiers monopoles

    nationaux commence semble-t-il partir de 1877 (en Autriche-Hongrie) et se termine aprs-guerre

    (en 1947 en Argentine et en 1948-1949 en Turquie), sans quil y ait ncessairement de cause effet

    entre la Deuxime guerre mondiale et ces vnements. Evoquons aussi la situation des anciennes

    colonies et anciens protectorats franais qui prennent le contrle de leur secteur ferroviaire dans les

    annes 1950-1960.

    Pareillement, la contre tendance, libralisation, dnationalisation franche ou rampante du

    transport ferroviaire qui est incontestablement en cours dans de nombreux pays est aussi trs tire,

    puisquen Europe par exemple, elle commence progressivement en France dans les annes 1970

    avec la sous-traitance, assez franchement au Royaume Uni dans les annes 1980et trs explicitement

    partir de 1993.La Sude fait aussi figure de pionnier dans les drglementations puisque ces

    dernires prcdent de trois ans la fameuse directive 91/440 du 29 juillet 1991de la Commission

    europenne et de sept ans son intgration lUnion Europenne. Au Japon, le dmantlement de

    loprateur historique JNR (Japanese National Railways) intervient en 1987, mais six socits restent

    proprits de lEtat avant que la privatisation des diffrents segments ainsi cres intervienne au

    dbut des annes 1990. La privatisation simpose en 1997 au Mexique. Des monopoles historiques

    certes gnralement profondment transforms et souvent mutils rsistent encore dans bien des

    espaces nationaux (Espagne, France, Turquie, Grce, etc.) et, mme si, dans ce dernier cas, les jours

    dOSE (Organismos Sidirodrmon Elldos) en tant quentreprise publique semblent compts,

    lentreprise tant en voie dadjudication.

  • On a aussi voqu la diversit des modalits choisies par lesquelles les Etats contrlent ou se

    dprennent plus ou moins franchement des transports ferroviaires. Dune part il arrive que le

    contrle soit depuis toujours non absolu (cas de la France o les lignes secondaires sont restes

    lcart de la fondation du semi-monopole historique) dautre part parce quune partie du salariat

    ferroviaire est relgu dans des situations plus ou moins loignes du cur des cheminots (soit

    quelle ne remplit pas les conditions pour tre titularise soit quelle travaille pour des sous-traitants

    ou des filiales).

    On est aussi frapp de constater que les modalits sous lesquelles les Etats ont exerc leurs tutelles

    sur les travailleurs du rail sont trs diverses et si les pays dans lesquels les cheminots taient

    fonctionnaires ne sont pas rares, il est bien dautres modalits, y compris une gestion selon une

    logique du priv dentreprises publiques (cas des Pays Bas).

    On le voit, que ce soit lintrieur dun espace national ou dun espace national lautre, que ce soit

    dans une approche synchronique ou diachronique, les situations ont de longue date t complexes. Il

    se peut quelles aient tendance le devenir davantage. La question est ouverte.