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Presses Universitaires du Mirail L'Europe communautaire et l'Amérique Latine sont-elles sur la même longueur d'onde ? Author(s): Marcos ALVAREZ GARCIA Source: Caravelle (1988-), No. 50, 25 ANS D’AMERIQUE LATINE (1988), pp. 89-98 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40853025 . Accessed: 16/06/2014 14:54 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.21 on Mon, 16 Jun 2014 14:54:50 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

25 ANS D’AMERIQUE LATINE || L'Europe communautaire et l'Amérique Latine sont-elles sur la même longueur d'onde ?

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L'Europe communautaire et l'Amérique Latine sont-elles sur la même longueur d'onde ?Author(s): Marcos ALVAREZ GARCIASource: Caravelle (1988-), No. 50, 25 ANS D’AMERIQUE LATINE (1988), pp. 89-98Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40853025 .

Accessed: 16/06/2014 14:54

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C.M.H.L.B. CARAVELLE n° 50, pp. 89-98, Toulouse, 1988.

L'Europe communautaire et l'Amérique Latine

sont-elles sur la même longueur d'onde ? PAR

Marcos ALVAREZ GARCIA Centre d'Etude de l'Amérique latine, Institut de Sociologie,

Université Libre de Bruxelles.

Après mon long séjour en Europe et mes études sur l'Amérique latine, dont je me sens le citoyen, je suis arrivé à la conclusion que les relations entre les deux continents, l'Europe et l'Amérique latine, autrefois colonisateurs et colonisés, sont loin d'être idylliques après plus d'un quart de siècle. En fait, elles sont asymétriques. Une remarque préliminaire s'impose. On ne peut pas confondre

la Communauté européenne et l'Europe en tant que continent. En revanche, l'Europe communautaire s'identifie de plus en plus avec l'Europe occidentale, surtout depuis l'entrée, il y a deux ans, en janvier 1986 de l'Espagne et du Portugal. Ces deux dernières nations sont précisément celles qui, en vertu de la bulle papale « Inter Caetera », juste après la découverte de ce nouveau continent par Christophe Colomb, devaient se partager le Nouveau Monde. On voit tout de suite le long chemin qui a été parcouru.

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Soit dit en passant, à propos du cinquième centenaire de l'expé- dition de Christophe Colomb, qui aura lieu en 1992, c'est-à-dire dans quatre ans, il faut signaler qu'il y a une grande controverse autour de la soi-disant « découverte ». En effet, les historiens latino- américains commencent à parler, au lieu de « découverte », de la « rencontre » de deux civilisations. C'est un sujet à part, mais pour fixer les idées, j'aimerais quand même préciser que la « civilisation européenne » s'est imposée à tout le continent en détruisant toutes les civilisations indigènes appelées « précolombiennes ».

Pour entrer en matière, disons que le « dialogue » de l'Europe communautaire et de l'Amérique latine a commencé officiellement il y a 30 ans.

Le 19 mars 1958, un an après la signature du traité de Rome, la Commission de la CEE a envoyé un mémorandum aux Etats latino- américains expliquant les objectifs de l'intégration européenne.

Il fallait expliquer les répercussions que la formation du Marché Commun pourrait avoir sur les autres parties du monde.

Ce document de la Commission européenne avançait l'idée d'une coopération au moyen de traités et de consultations réciproques.

La prise de conscience dans le monde, après la Seconde Guerre mondiale, allait en effet dans le sens de la création de grands espaces économiques. Dans cette optique, la Commission Economique pour l'Amérique latine, (CEPAL) un organisme des Nations-Unies, rendit public un rapport dans lequel elle soulignait l'étroitesse des marchés nationaux et les pertes accumulées par leur manque d'échanges et leur isolement. Les pays latino-américains qui s'intéressaient au tout nouveau processus d'intégration de l'Europe et conscients de ce que le système international se réorganisait, ressentaient de plus en plus le besoin du dialogue.

L'ambassadeur péruvien Carlos Alzamora, ancien secrétaire per- manent du Système Economique Latino-Américain (SELA) l'exprima ainsi : « L'Amérique latine n'a pas seulement accueilli avec enthou- siasme la naissance de la Communauté européenne, elle a également voulu rééditer le fait. Cet enthousiasme avait des raisons politiques et économiques. Nous voyions dans cette naissante entité un élément déterminant pour l'ordre mondial multipolaire qui favorisait notre vocation d'autonomie, qui encourageait la diversification des relations économiques indispensables à notre développement et qui nous per- mettait de nous débarrasser de dépendances historiques. En fin de compte, nous étions heureux de voir naître un nouveau et important centre de décision à caractère économique prédominant et qui ne laissait pas entrevoir d'intervention, ou encore de pressions politiques, économiques ou militaires ».

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C'est dans ce contexte qu'on créa en 1960 l'Association Latino- Américaine de Libre-Echange (ALALC) après le Marché Commun Centraméricain, le CARICOM, c'est-à-dire le marché commun des anciennes caraïbes du Commonwealth, et enfin en 1969 le Pacte Andin, regroupant les pays andins, à savoir le Chili, la Bolivie, le Pérou, l'Equateur, la Colombie et le Venezuela. Le Chili quitta le Pacte andin sous l'égide de la dictature de Pinochet en 1976.

On peut donc dire que la création de la Communauté européenne a influencé la création d'une Communauté latino-américaine, qui n'existe pas encore, mais qui a au moins le mérite d'être en cons- truction en dépit des difficultés énormes telles que les dictatures militaires et l'endettement extérieur de la fin des années 70 et du début des années 80. Ce n'est qu'à partir du moment où on a deux interlocuteurs valables au niveau de toute la région qu'on peut parler d'une véritable amorce de dialogue.

Or tel est précisément le problème. L'Europe communautaire dispose d'un organisme vraiment représentatif, la Commission. Celle- ci conclut des accords et fait respecter les règlements communau- taires. De l'autre côté, l'Amérique latine ne dispose pas d'une institution pleinement représentative.

Le Pacte andin, qui est l'organisme d'intégration latino-américain le plus développé, ne peut pas représenter par exemple l'Argentine, le Brésil et le Mexique, qui sont les pays les plus importants du continent. La CEE n'a donc jamais l'impression d'avoir devant elle comme interlocuteur le continent latino-américain dans son ensemble.

C'est donc en vain que nous avons continué à nous lamenter qu'en difinitive le dialogue ne s'est pas établi. Il ne s'agissait que de décla- rations lyriques toutes empreintes de rhétorique.

Du côté européen, on critique, outre le manque de représentativité des organismes d'intégration de l'Amérique latine, le manque d'effi- cacité quand il s'agit de faire respecter les accords et les règlements communs par les pays membres. En effet, pour prendre l'exemple du Pacte andin, il n'y a pas encore d'institutions supranationales. Enfin, les bouleversements intérieurs dans chaque pays peuvent à tout moment déséquilibrer les efforts de plusieurs années, comme ce fut le cas lorsque le Chili de Pinochet quitta le Pacte andin en 1976.

Du côté latino-américain, on critique également très fort la politique de la C.E.E.

Premièrement, elle tend a conclure des accords bilatéraux mais ne démontre pas sa volonté de discuter avec ses partenaires latino- américains d'égal à égal. Elle utilise le prétexte de manque de représentativité et d'efficacité des organismes d'intégration latino- américains pour ne pas devoir engager des discussions au niveau

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intercontinental. Il faut dire que, de la mentalité des fonctionnaires européens, le syndrome du colonisateur n'a pas tout à fait disparu. Pour être tout à fait clair, il faut constater que les fonctionnaires européens conservent parfois et souvent leurs préjugés nationaux. Envers l'Amérique latine, les Britanniques ou les Espagnols ou les Français se sentent toujours dépositaires de leur histoire nationale et il n'est pas rare de constater qu'ils considèrent l'Amérique latine comme un continent de bidonville avec çà et là quelques gratte- ciel. La vision folklorique de peuples fêtant le carnaval et dansant le cha-cha-cha a laissé des traces. On nous considère comme des gens parfois sympathiques, mais de toute façon inefficaces. D'autre part, il est décevant pour les Latino-Américains de constater

que les Européens se trouvent toujours dans le camp adverse lors de négociations économiques internationales, en votant avec le Japon et les Etats-Unis pour le traitement séparé des problèmes, pour la non réforme intégrale du système financier international, pour le maintien du statu quo et pour le refus de toute négociation réelle en matière de dettes.

Deuxièmement, les Latino-Américains voient dans les pays de la C.E.E. également des membres de l'OTAN, c'est-à-dire des alliés des Etats-Unis. Officiellement, les pays latino-américains sont également, des alliés des Etats-Unis. Sur le plan formel, tant l'Europe commu- nautaire que l'Amérique latine font donc partie du monde occidental. Mais, il faut reconnaître que les marges politiques dont bénéficie l'Europe dans ses relations avec l'Amérique latine sont forts réduites quand les intérêts de l'Alliance Atlantique sont en jeu. L'attitude diamétralement opposée de l'Europe et de l'Amérique latine dans le cas des Malouines en est une preuve aveuglante. Tout le monde sera d'accord pour dire que le dénominateur commun entre les deux régions, c'est leur vulnérabilité face aux Etats-Unis. Ceci est à la fois vrai pour l'Amérique latine au sein du Système Interaméricain et pour l'Europe occidentale, au sein du Système Atlantique. A ce propos, Wolf Grabendorff, directeur de l'Institut des Relations entre l'Europe et l'Amérique latine (IRELA) a dit à Montevideo, en 1985, que les deux régions, soit l'Amérique latine et l'Europe occidentale, pour des raisons historiques différentes jouaient finalement le rôle d'associés « juniors » des Etats-Unis. Ceci est tout à fait vrai et nous partageons totalement son jugement, aussi dur soit-il.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont ainsi formé une alliance avec les pays latino-américains qui s'est concrétisée par le Traité Interaméricain d'Assistance Mutuelle TIAR dit Traité de Rio en 1947, et par la création de l'Organisation des Etats Amé- ricains, OEA, en 1948, ce qu'on a appelé le « Système interaméricain ».

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En fait, la doctrine de Monroe de 1823 contenait déjà ce projet. L'ancien président du Guatemala jusqu'en 1950, Juan José Arévalo, professeur de philosophie, a schématité ce système interaméricain en 1961 en disant que c'était l'alliance d'un requin avec vingt-et-une sardines ! En 1949, enfin, les Etats-Unis s'allièrent à l'Europe occiden- tale au sein de l'Alliance atlantique. Bref, sur le plan formel, les Etats- Unis sont alliés au sein du système atlantique à l'Europe occidentale et au sein du système interaméricain à l'Amérique latine.

En 1982, la guerre des Malouines a démontré que ces deux systèmes sont parfois contradictoires. C'est-à-dire plus concrètement que les Etats-Unis, étant alliés tant de la Grande Bretagne que de l'Argen- tine, auraient dû logiquement s'abstenir de prendre position pour n'indisposer aucun de ses alliés. En fait, en Amérique latine, le système interaméricain est ressenti souvent comme une camisole de force et comme instrument de l'anticommunisme. L'Europe occi- dentale, elle, essaie de s'imposer envers les Etats-Unis comme parte- naire égal, mais elle n'y arrive pas. Quand l'Europe cammunautaire et l'Amérique latine traitent ensemble, outre les divergences que nous avons déjà énumérées, il y a dès lors l'ombre des Etats-Unis. En effet, sur le plan économique, les intérêts de l'Europe commu- nautaire et de l'Amérique latine ne s'accordent pas toujours avec les intérêts des Etats-Unis. Mais les deux systèmes d'alliance empêchent tant les Européens que les Latino-Américains d'aller trop à rencontre de Washington. C'est donc une barrière psychologique supplémen- taire pour avoir des relations franches et directes.

Helio Jaguaribe, le célèbre politilogue brésilien, a en outre signalé qu'il existait une indétermination dans les relations entre l'Europe communautaire et l'Amérique latine. Celle-ci reflète le fossé qui sépare les espérances et les résultats obtenus. Elle trouve ses racines des deux côtés de l'océan. La différence est surtout très nette aux yeux de l'Amérique latine qui considère que les pays européens sont des interlocuteurs particulièrement indécis pour les matières poli- tiques, qui sont myopes économiquement parlant et qui, en plus, accumulent les contradictions entre leurs principes et leurs pratiques. Toutefois les Européens sont également conscients de cette différence, bien que celle-ci soit moins importante. Il reste qu'il n'existe pas de commune mesure entre la promesse latino-américaine et sa réalité.

Alors que l'Amérique latine se trouve à un tournant de son histoire, signale Jaguaribe, qu'en tant que région, et ses grands pays, en tant que nations spécifiques, elle est maintenant capable et doit jouer un rôle indépendant dans les affaires mondiales, elle doit se tourner vers l'Europe - c'est-à-dire l'Europe occidentale principalement - et espérer élargir ses relations avec celle-ci. Mais loin de répondre à

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ce caractère d'élargissement des relations et, malgré la diversité et l'importance des échanges culturels et économiques, les relations Europe communautaire - Amérique latine se caractérisent surtout par un état de Profonde Indétermination.

Le professeur Jaguaribe nous semble toutefois faire preuve d'em- phase lorsqu'il introduit dans son analyse une vision futuriste selon laquelle l'état d'intérmination actuel ne peut se prolonger longtemps. Il signale qu'avant la fin de la décennie, et ce qui est plus probable, d'ici quelques années déjà, de grands changements se produiront. Ceux-ci viendront modifier la tournure prise par les relations Europe- Amérique latine, que ce soit dans le sens d'une interaction active plus étroite, ou encore dans le sens d'une séparation. L'Europe, en dépit des graves risques de guerre qui la menace, deviendrait de plus en plus dépendante vis-à-vis des Etats-Unis et, à divers points de vue, du Japon. L'Amérique latine, elle, renforcerait ses liens avec le Tiers-Monde ou deviendrait une nation satellite des Etats-Unis. Les deux tendances seront probablement omniprésentes en Amérique latine, ce qui ne fera qu'accentuer les différences internes et empê- chera la région de maintenir une unité opérationnelle internationale.

Il n'en reste pas moins que nous partageons l'opinion du polito- logue brésilien lorsqu'il déclare : « Dans le système inter-impérial existant de nos jours, dans lequel la viabilité et l'autonomie des nations dépendent des modalités des relations intra-impériales, les petits pays européens, même avec l'appui qu'ils reçoivent de la Communauté Européenne, ne pourront réunir, à eux seuls, les condi- tions nécessaires pour pouvoir faire face aux défis économiques, technologiques et politiques des prochaines décennies. Seule la créa- tion d'une relation structurellement bien équilibrée et durable avec le Tiers-Monde en tant que tout et avec une de ses parties les plus dynamiques et en développement c'est-à-dire l'Amérique latine, four- nira aux pays européens les ressources et les occasions additionnelles nécessaires pour maintenir sa vitalité économique et politique » (souligner par l'auteur).

L'Europe occidentale se trouve dès lors devant un choix. D'une part, sa sécurité est en jeu, sans oublier qu'elle a contracté des engagements vis-à-vis de l'OTAN. Elle craint de devenir le principal théâtre d'opération d'une éventuelle guerre nucléaire et court un risque imminent, celui d'être rayé de la carte, vu sa petite taille et sa forte concentration de population. D'autre part, elle peut, sans toutefois se dégager totalement de cet engagement de survie, ren- forcer nettement et clairement ses relations politiques et commer- ciales avec le Tiers-Monde, surtout avec cette partie de l'hémisphère

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occidental qui en fin de compte est plus développé et auquel elle est unie par des liens historico-culturels indéniables.

A propos du rôle médiocre de l'Amérique latine dans les relations extérieures des Etats de la Communauté européenne, le professeur allemand Manfred Mols dit que les traditionnels Etats communau- taires ont, eux, tout au moins une idée correcte de l'Amérique latine. Les recherches effectuées en ce sens au cours de ces dernières années confirment ce manque de définition d'une politique vis-à-vis de l'Amérique latine. De toute façon, il est également difficile pour les Européens de savoir concrètement quelle place ils occupent dans les relations extérieures de l'Amérique latine. En ce qui concerne la place qu'occupe l'Europe et chaque pays européen considéré individuellement dans l'organisation de la politique extérieure des gouvernements latino-américains, tout est vague, imprécit et chan- geant. L'incessant défilé des personnages-clés de l'Amérique latine ne vient que renforcer de telles incertitudes.

Le discrédit coûte cher. En effet, la confiance est un élément indispensable pour une

relation internationale stable. La « prévisibilité » réciproque est essentielle.

Partant alors de l'hypothèse que le dialogue entre l'Europe com- munautaire et l'Amérique latine doit se baser sur leurs intérêts réciproques, il faut constater que les échanges ont fortement diminué. Les exportations vers la C.E.E. ont baissé de 26 % de l'ensemble du commerce extérieur latino-américain en 1970 à 17,5 % aujourd'hui, c'est-à-dire une baisse de plus de 8 % en un peu plus de 15 ans, alors que dans le même temps ces mêmes pourcentages sont restés stables pour les pays A.C.P., c'est-à-dire pour les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et pour les pays de l'ASEAN, c'est-à-dire le marché commun sud-est asiatique. Des mesures protectionnistes de la part de la C.E.E. expliquent en grande partie cette diminution. Cela veut dire en même temps que l'Amérique latine est considérée en Europe occidentale comme une concurrente.

L'Amérique latine ne s'est cependant jamais montrée jalouse du traitement préférentiel que l'Europe occidentale a accordé aux pays africains et asiatiques, car ces relations se sont forgées du fait de la colonisation et de très importants capitaux européens demeurant encore là-bas, il s'est mis en place une relation structurelle difficile à modifier.

Nous aimerions à ce propos nous étendre sur des matières un peu moins commerciales, mais qui ne sont pas sans importance. Nous pensons qu'il est absolument indispensable d'élargir et d'approfondir le diologue et la connaissance réciproque entre les deux régions. L'Europe ne connaît pas l'Amérique latine, pas plus que l'Amérique

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latine ne connaît l'Europe. Il existe une aberrante et importante distorsion de valeurs et une configuration des images qui, tout simplement, ne correspond pas à la réalité. Lorsqu'on a vécu de longues années sur le Vieux Continent, on constate que non seulement l'immensité de l'océan nous sépare, mais aussi le manque de con- naissance réciproque.

Nous sommes convaincus de ce que les peuples se modèlent sur leur histoire, sur le caractère de leurs habitants et sur le climat, ce qui inévitablement multiplie les comportements. Cette diversité existe en Amérique latine comme elle existe en Europe.

Malgré cette quantité impressionnante d'images-mythes, en dépit de ses défauts, l'Amérique latine est la partie du monde en déve- loppement la plus développée. Son potentiel est considérable et elle fait partie intégrante du monde occidental. Le chilien Gabriel Valdes, ancien ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Frei a dit en 1986 à Strasbourg : « Nous ne voulons pas seulement le soutien économique de l'Europe, nous sommes également à la recherche d'une pensée collective ». Et il a ajouté : « Les Européens disent que nous nous plaignons beaucoup, pourquoi dès lors ne se replient-ils pas sur eux-mêmes ? Nous avons toujours été très ouverts, peut-être devrions-nous nous replier un peu sur nous-mêmes ? »

L'Europe ne doit pas se limiter à son problème de sécurité, sans nul doute de première importance. Elle se trouve ainsi trop liée à ses engagements nord-atlantiques. La guerre totale est inconce- vable, seul Washington et les classes dominantes en Amérique latine qui s'indentifient aux intérêts américains parlent du risque sovié- tique. L'Europe, tout comme l'Amérique latine, ont tout intérêt à sortir du monde bipolaire qui nous opprime pour ainsi pouvoir jouer le rôle de dirigeants dans le système mondial, car les deux régions sont extrêmement vulnérables face aux superpuissances.

L'Europe doit une bonne fois définir une politique globale vis-à-vis de l'Amérique latine. Elle ne doit pas se contenter de pratiquer le bilatéralisme - facteur de désintégration - afin d'éviter que chaque pays ne dialogue séparément, ou encore, et ceci dans le meilleur des cas, que le dialogue s'établisse seulement au niveau sub-régional.

Toutefois, l'Europe ayant établi des relais avec des groupes de pays, comme le groupe Contadora, les pays centraméricains et le Pacte andin, nous pouvons imaginer qu'une nouvelle forme de coopé- ration plus adéquate dépende en grande partie de la capacité des latino-américains à jouer un rôle en tant que région.

En résumant, nous pouvons dire sur les conditions du dialogue entre l'Europe communautaire et l'Amérique latine les choses sui- vantes :

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Io En Europe, on regrette l'absence d'un interlocuteur unique et valable pour toute l'Amérique latine ; cet argument a parfois servi comme prétexte pour privilégier les rapports bilatéraux ; dernière- ment, deux changements positifs sont toutefois intervenus, le premier à l'égard du Marché Commun Centraméricain en 1984, et le second à l'égard du Pacte andin, un an plus tôt ;

2° En Amérique latine, on perçoit parfois chez les interlocuteurs européens un refus de les considérer comme des partenaires égaux, peu importe si cette attitude est enracinée dans le passé colonial ou dans le présent peu encourageant malgré la démocratisation récente ;

3° Les deux continents, l'Europe occidentale et l'Amérique méri- dionales, font partie du monde occidental et sont attachés aux mêmes valeurs ; à ce titre, ils sont tous deux alliés dans deux systèmes différents aux Etats-Unis, mais ces alliances ne les empêchent pas d'avoir des intérêts divergents de ceux de Washington sur le plan politique et économique ; tous deux, l'Europe communautaire et l'Amérique latine, se sentent pris au piège et se savent vulnérables vis-à-vis de la politique impérial nord-américaine ;

4° Même si parfois les deux sous-continents ont des intérêts en commun, il nous faut constater que leurs échanges ont fortement diminué et que l'Amérique latine est plutôt considérée en Europe comme une concurrente que comme un partenaire.

Ces quatre points délimitent le cadre étroit au sein duquel le dialogue entre l'Europe communautaire et l'Amérique latine peut se dérouler.

Je sais que pour modifier les relations internationales dans le monde bipolaire que nous connaissons, et confrontés comme nous à la concurrence Est-Ouest, il faudra plusieurs années d'efforts. L'avenir est incertain. J'ose cependant affirmer que ce sous-continent appelé Amérique latine, encore compris sous le vocable de « Tiers-Monde », progressera car ses ressources naturelles et humaines sont consi- dérables.

S'il existe un futur pour les peuples en développement au XXIe siècle, l'Amérique latine y aura une place de choix.

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Résumé. - Les relations entre l'Europe et l'Amérique Latine sont asymétriques. L'enthousiasme avec lequel l'Amérique Latine a accueilli la fondation de l'Europe communautaire s'est traduit par un premier recours latino-américain à ces modèles d'intégration continentale : Marché Commun Centraméricain, Pacte Andin, etc., mais où l'absence d'un organisme vraiment représentatif comme la Commission européenne se fait cruellement sentir aux yeux des européens. Par ailleurs, l'Amérique Latine critique vivement la politique de la C.E.E. et on a pu parler de relations caractérisées par un état de profonde indétermi- nation. En oute, le volume des échanges du commerce extérieur entre les deux parties est en baisse et l'absence d'une politique latino-américaine globale dans les perspectives internationales de l'Europe est flagrante.

Resumen. - Las relaciones entre Europa y América Latina son de hecho asimétricas. El entusiasmo con que America Latina recibió la fundación de la integración continental y el Mercado Común Centroamericano, el Pacto Andino testimonian de ello. Pero la ausencia de un organismo realmente representativo como lo es la Comisión europea es reprochada por los Europeos. Por otra parte, América Latina critica la política de la C.E.E. y se ha podido hablar de relaciones caracterizadas por un estado de profunda indeterminación. Además, el volumen de intercambios del comercio exterior entre las dos entidades está en baja y se siente mucho la ausencia de una política latino- americana global en las perspectivas internacionales de Europa.

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