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La « Der des Ders » : Comment faire pour qu’un tel conflit ne puisse plus se reproduire ? Séquence sur le pacifisme durant l’entre-deux-guerres Dossier pour les enseignant-e-s Objectifs : - Déconstruire la vision rétrospective qu’impliquent les expressions d’« entre- deux-guerres », « marche à la guerre » ou de « guerre de trente ans » en étudiant l’horizon d’attente des acteurs qui ont cru à l’avènement d’un monde sans guerre ; - Connaître les différentes voies par lesquelles s’exprime le pacifisme entre 1919 et 1939, et quelles solutions en émergent ; - Mettre ces éléments en lien avec le présent : que reste-t-il des idées pacifistes de l’entre-deux-guerres ? - Se familiariser avec les termes /notions / concepts : pacifique / pacifiste, sécurité collective, arbitrage, antimilitarisme, expansionnisme, bellicisme, internationalisme. Déroulement : 1. Retour sur la lecture du livre Hommes sans visage (lecture à la maison). Commentaires des élèves en discussion libre en classe. En venir aux questions suivantes (posées préalablement à la lecture ou non) : o En quoi est-ce un « plaidoyer pour la paix » ? o A qui s’adresse-t-il ? Que peut changer l’opinion publique ? o Sentiment pacifique / pacifisme : quelle différence ? 2. Présentation du bilan de la Grande Guerre : humain (morts / blessés / mutilés), social (veuves / orphelins / faim), économique (destructions, endettement, conversion de l’appareil de production). Comment faire pour qu’une telle catastrophe ne puisse plus se reproduire ? 3. Les solutions et les moyens : les élèves sont amenés à y réfléchir quelques minutes et à les imaginer (ils tâcheront de proposer des solutions réalistes !). a. L’enseignant-e (ou chaque élève qui a pris la parole) note au tableau la solution imaginée, sans commentaire ; b. Distribution du dossier de documents (et éventuellement de pages pré- formatées avec les rubriques nécessaires à l’analyse) à tous les élèves ; seul ou à deux, ils prennent connaissance de l’un des textes selon la consigne ; c. Après lecture, ils en font le compte rendu à la classe de manière à ce que les camarades puissent prendre note. d. L’enseignant-e complète, nuance, corrige pour que les notes soient prises correctement. 4. Synthèse : a. Comment classer ces propositions pacifistes (typologie) ? b. Elles sont potentiellement complémentaires: l'exemple du parcours d'Henriette Rémi.

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La « Der des Ders » :

Comment faire pour qu’un tel conflit ne puisse plus se reproduire ?

Séquence sur le pacifisme durant l’entre-deux-guerres

Dossier pour les enseignant-e-s

Objectifs :

- Déconstruire la vision rétrospective qu’impliquent les expressions d’« entre-deux-guerres », « marche à la guerre » ou de « guerre de trente ans » en étudiant l’horizon d’attente des acteurs qui ont cru à l’avènement d’un monde sans guerre ;

- Connaître les différentes voies par lesquelles s’exprime le pacifisme entre 1919 et 1939, et quelles solutions en émergent ;

- Mettre ces éléments en lien avec le présent : que reste-t-il des idées pacifistes de l’entre-deux-guerres ?

- Se familiariser avec les termes /notions / concepts : pacifique / pacifiste, sécurité collective, arbitrage, antimilitarisme, expansionnisme, bellicisme, internationalisme.

Déroulement :

1. Retour sur la lecture du livre Hommes sans visage (lecture à la maison). Commentaires des élèves en discussion libre en classe. En venir aux questions suivantes (posées préalablement à la lecture ou non) :

o En quoi est-ce un « plaidoyer pour la paix » ? o A qui s’adresse-t-il ? Que peut changer l’opinion publique ? o Sentiment pacifique / pacifisme : quelle différence ?

2. Présentation du bilan de la Grande Guerre : humain (morts / blessés /

mutilés), social (veuves / orphelins / faim), économique (destructions, endettement, conversion de l’appareil de production). Comment faire pour qu’une telle catastrophe ne puisse plus se reproduire ?

3. Les solutions et les moyens : les élèves sont amenés à y réfléchir quelques minutes et à les imaginer (ils tâcheront de proposer des solutions réalistes !).

a. L’enseignant-e (ou chaque élève qui a pris la parole) note au tableau la solution imaginée, sans commentaire ;

b. Distribution du dossier de documents (et éventuellement de pages pré-formatées avec les rubriques nécessaires à l’analyse) à tous les élèves ; seul ou à deux, ils prennent connaissance de l’un des textes selon la consigne ;

c. Après lecture, ils en font le compte rendu à la classe de manière à ce que les camarades puissent prendre note.

d. L’enseignant-e complète, nuance, corrige pour que les notes soient prises correctement.

4. Synthèse:

a. Comment classer ces propositions pacifistes (typologie) ? b. Elles sont potentiellement complémentaires: l'exemple du parcours

d'Henriette Rémi.

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5. Pacifisme vs bellicisme: Comment les courants pacifistes ont-ils réagi face au bellicisme fasciste ?

a. Le bellicisme: texte de Mussolini / photo des Balilla en 1935 / texte de Hitler / documentaire sur l’éducation japonaise dans les années 1930.

b. Pacifisme intégral ou lutte antifasciste ? c. Munich 1938 : Daladier et Chamberlain acclamés… (extraits du

documentaire d'ARTE "Les dessous des accords de Munich", http://www.youtube.com/watch?v=nwu_6oHylog).

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Retour sur la lecture du livre Hommes sans visage

• En quoi est-ce un « plaidoyer pour la paix » ? - c’est une intention déclarée, par l’auteure comme par le préfacier : « Qu’ils

comprennent… enfin ! » - le but est de faire savoir, de faire prendre conscience de l’horreur de la guerre,

et donc d’en détourner les hommes, à travers l’un de ses effets : la déshumanisation qu’elle provoque. C’est un biais assez original que de choisir de le faire à travers les « gueules cassées ». Nombreuses sont en effet les possibilités de dénoncer la guerre à travers ses effets. Elle aurait pu montrer, en publiant des photos de destructions (corps morts ou amputés, villages ou monuments détruits, veuves et orphelins en pleurs…) : c’est ce qu’ont fait certains pacifistes comme Ernst Friedrich en 1924 (livre quadrilingue Krieg dem Kriege ! Guerre à la Guerre ! War against War! Oorlog aan den Oorlog!), qui publie même des photos de gueules cassées (reprises en partie sur ce site : http://www.lisa.gerda-henkel-stiftung.de/content.php?nav_id=1031 / attention, photos choquantes !). Elle aurait pu traiter le sujet des conséquences de la guerre par leur aspect massif. Mais plutôt que d’évoquer les dizaines de millions de morts et de blessés (les nombres aussi massifs ont eux-mêmes quelque chose de déshumanisant), HR a choisi au contraire d’évoquer des destins individuels, de laisser imaginer, et de faire ressentir la détresse humaine que provoque la guerre.

- les blessés de la face s’expriment, et condamnent la guerre qui a fait d’eux des morts-vivants. L’auteure elle-même insère ici et là ses commentaires personnels.

o Faire la guerre, c’est « violer la nature » (HR, p. 15) o « Mais c’est si terrible, la guerre, qu’au fond, on était presque content

d’être ramené à l’arrière » (le blessé dans le train, p. 19) o L’officier Edouard (p. 26) : « tuer m’est impossible », avec description

de l’effet d’une baïonnette plantée; l’adversaire « croit sa cause juste, comme les nôtres ». Si l’autre tue, « c’est que chez lui la brute vit un peu plus longtemps que chez moi » ; « Lorsque je suis parti, je ne savais pas ».

o « Pauvre vieux Martin, brave, brave homme. Il était artilleur votre fils. Vous oubliez que les éclats des obus qu’il lançait en ont arrangé bien d’autres comme ça » (HR, p. 44).

o Lazé dans le train : « Regarde-moi bien, mon petiot, regarde-moi bien. Et ne m’oublie pas. Ça c’est la guerre. Et tout ce qu’on te dira d’autre pour te faire marcher : mensonge, tromperie. Souviens-t’en toujours, toujours ! » (p. 77)

o Lazé et HR : « On les mène à la tuerie comme des moutons. Ils disent amen, et c’est tout. D’ailleurs, j’ai fait comme eux. Mais l’expérience ne m’a pas été inutile. J’ai parlé à des prisonniers, de braves types, je vous assure. J’ai vu qu’ils étaient aussi persuadés que nous que leur cause était juste. » ; « Je suis persuadé, absolument persuadé que, quel que soit le résultat d’une guerre , entendez bien, quel que soit le résultat, le jeu n’en vaut pas la chandelle ». « Tout à fait de votre avis, Lazé. Mais voilà, ceux qui préparent la guerre ne sont pas ceux qui la font. Et ceux-là ne craignent pas, pour faire réussir leur jeu, de brûler la chandelle des autres » ; « Il y a tout de même une chose qui me console, sœur Henriette ; c’est l’idée que mon petit Gérard ne fera pas la guerre, lui. Quand on y pense… c’est impossible, n’est-ce pas ? Elle va bientôt être terminée celle-ci, et maintenant qu’on sait ce que c’est, il est impossible qu’on recommence. » (p. 79)

• A qui s’adresse-t-il ?

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A l’opinion publique en général. Publier = donner au public. Cf. avant-propos de l’auteure : « donner ces pages au public ». Objectif : « puisqu’ils ont des yeux pour voir, qu’ils regardent, qu’ils regardent – et qu’ils comprennent… enfin ! ». Chacun doit se sentir concerné : « Et il me semblait qu’ils me criaient : ‘C’est ta faute aussi si nous sommes ainsi. Pas d’exception et pas d’excuse. C’est la faiblesse de chacun qui a permis cette boucherie. Tu as ta part, tu as ta part !’ » (ch. 4).

• Que peut changer l’opinion publique ? En temps normal, en démocratie, un travail de sensibilisation de l’opinion publique

peut porter ses fruits… Les pacifistes jouent essentiellement sur ce registre pour faire passer leurs idées : témoignages écrits, articles de presse, expressions artistiques (littérature, tableaux, théâtre, cinéma...), conférences, certains types de commémorations publiques, de nombreux moyens existent pour perpétuer la mémoire des souffrances et des sacrifices et tâcher d'en prévenir la répétition. L'être humain à la faculté, individuelle et collective, d'oublier rapidement. C'est parce que les hommes ne savaient plus ce qu'était la guerre, que beaucoup partent « la fleur au fusil » en 1914, comme le rappelle Stefan Zweig dans Le Monde d'hier. Dans Hommes sans visage, même un officier comme Edouard peut dire : « Lorsque je suis parti, je ne savais pas ».

Dénoncer les horreurs de la guerre pour que personne ne puisse les ignorer, et ainsi rendre la violence détestable. Poussé à l’extrême, le raisonnement est le suivant : si tout le monde est dégoûté par la guerre (même sans l’avoir vécue) et donc la refuse, il n’y aura pas de combattants, donc pas de guerre.

Publier un livre en Suisse, pays neutre, est-ce que cela a un sens ? Le pacifisme est un courant sans frontières, internationaliste par essence. La Suisse, justement parce qu’elle est neutre et accueille nombre d’organisations internationales, possède une longue tradition pacifiste : c’est une importante « caisse de résonance » (plusieurs textes choisis pour cette séquence sont en rapport avec la Suisse et des Suisses)1.

Mais dans le cas présent, on fera remarquer qu’il est trop tard ; c’est plus un témoignage de dépit que de combat : au printemps 1939, quand Henriette Rémi le rédige, la guerre est déjà devenue une perspective quasiment inéluctable. Violant les accords de Munich (septembre 1938), les menées de Hitler en Tchécoslovaquie (invasion en mars 1939) ne laissent plus de doute sur le fait qu'on ne l'arrêtera que par les armes. En septembre 1939, la guerre est déclarée. Cela n'empêche pas l'auteure de terminer son récit durant l’automne et de vouloir le publier. A sa parution, en 1942, les horreurs de la 1ère GM n'ont plus besoin d'être rappelées: la 2ème GM charrie à son tour son lot d'atrocités.

Et aujourd'hui, en période de paix, les élèves pensent-ils utile, pour eux, de lire un tel témoignage?

C'est certainement un avertissement sur les conséquences de la violence. Destins individuels qui nous parlent encore, car on imagine, on se met à la place des blessés et du personnel soignant. Peu d'éléments de contexte, ce qui favorise le fait qu'on se concentre sur l'essentiel, qui est de tous temps et de tous lieux: l'humanité blessée dans ce qu'elle a de plus humain, son identité. 2014 : intérêt du travail mémoriel 100 ans après le début de la « Grande Guerre », qui devait être « la der des der ».

• Sentiment pacifique / pacifisme : quelle différence ? Définition du dictionnaire: « Doctrine ou attitude qui fait de la paix entre les nations

un bien qui conditionne tous les autres et qui doit être fondé sur des bases autres que celles de la paix armée. » Le pacifisme implique bien souvent l’action militante (la publication en fait partie) contre tout recours aux armes. Le livre d’HR peut être ainsi qualifié de « manifeste pacifiste ». La question de savoir jusqu’où peut aller le

1 Voir l’article « pacifisme » dans le dhs, http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F27157.php

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pacifisme (le refus de la guerre est-il un absolu, ou existe-t-il des guerres justifiées ?) sera abordée dans le cadre de la séquence.

Pacifique : « Qui aime la paix, qui aspire à la paix ». Sentiment souvent largement partagé, mais qui ne mène pas forcément à l’action en faveur de la paix.

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Mise en contexte

Le pacifisme durant l'entre-deux-guerres Extraits de l'article de René Rémond, Le pacifisme en France au 20e siècle, 1984 (disponible in extenso sur www.persee.fr)

Est-il possible d'éviter la guerre, de la prévenir, d'en faire l'économie? Comment, à quelle condition, à quel prix aussi? Est-il possible à l'homme et à un chrétien en particulier de se résigner au fait de la guerre et que faire? Ce problème a pris une ampleur et une universalité qu'il n'avait pas connues dans les générations précédentes tout comme et parce que (il y a là une corrélation étroite), ce 20e siècle aura été, entre autres, le siècle des guerres et des conflits.

Le 19e siècle n'a pas connu de conflits généralisés, de guerre dite totale. Mais avant même que n'éclatât la guerre de 1914, il y avait une sorte d'appréhension, de sentiment implicite et confus de la guerre qui venait; la question dominait déjà la réflexion des hommes politiques et celle des hommes de pensée. Dans l'entre-deux guerres, il faut compter avec les séquelles, les souvenirs, la crainte de la guerre qui reviendrait. Celle-ci leur était à la fois familière et plus insupportable qu'aux générations précédentes. Sans doute, en partie, parce que la guerre a changé de nature et que son aggravation pose des problèmes d'une nouveauté radicale par rapport à l'expérience des guerres antérieures dont l'humanité avait une sorte d'habitude héréditaire.

Tout sentiment pacifique n'est pas pacifisme. L'attachement à la paix n'implique pas forcément l'adhésion au mouvement pacifiste ni l'acceptation de ses postulats philosophiques ou historiques, et le sentiment pacifique est beaucoup plus répandu que ne l'est le pacifisme proprement dit, conscient, explicite, à plus forte raison organisé et militant.

Mais il y a nécessairement des rapports entre les deux, des zones de recouvrement. Le pacifisme prend appui sur la généralité du sentiment pacifique et chez certains de ceux qui sont pacifiques, une certaine logique les conduit jusqu'à un engagement pacifiste. Par ailleurs, l'attachement à la paix est un sentiment quasiment unanime en France depuis la fin de la première guerre mondiale: je dis bien la première guerre mondiale, car il n'en était pas ainsi avant. C'est donc un phénomène relativement nouveau par son amplitude et par la résolution de nombre de pacifistes. LA PAIX N'EST PAS UN ABSOLU POUR TOUT LE MONDE

Avant 1914 et parce que la guerre était autre et qu'on n'avait pas idée de ce qu'elle pouvait devenir, assez nombreux sont ceux qui tiennent un discours sur les vertus de la guerre. La guerre présenterait, pour ce qui est des individus, comme une école d'énergie, l'occasion pour l'homme de se dépasser, une invitation à s'accomplir; on exalte alors les valeurs de discipline, d'abnégation, de sacrifice, que la guerre permettrait de développer, alors que la paix risquerait d'être, au contraire, une occasion de médiocrité. Il y a un fréquent appel aux armes; dans toute une littérature, il y a même une esthétique de la guerre. Ce discours n'est pas majoritaire, mais il existe et il trouve une certaine audience. La guerre est ainsi présentée comme quelque chose de positif pour l'individu.

On trouve, par ailleurs, l'idée, pour ce qui est des collectivités, que c'est dans la guerre que les nations prennent conscience de ce qui fait leur unité; que les guerres resserrent leur cohésion; qu'une guerre peut être pour une nation une expérience positive; dans le cas de la France, il en est, nombreux, qui sans chercher délibérément la guerre (car il n 'y a pas à proprement parler de bellicistes dans la France des années 1900), se disent que, si la guerre éclate sans qu'on l'ait voulue, elle sera bienvenue; que ce peut être l'occasion d'effacer l'humiliation de la

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défaite de 1870-1871, de recouvrer les provinces séparées et de faire rentrer dans la nation les Alsaciens et les Lorrains qui en ont été arrachés par la force.

Il n'y a donc pas unanimité dans l'idée que la paix est un absolu et que tout doit être fait pour la préserver. Elle apparaît comme un bien relatif; mais la guerre n'apparaît pas non plus comme un mal absolu. Prévaut, en la circonstance, un jugement d'opportunité.

Cet état d'esprit a été grandement modifié par les quatre années de guerre. Les Français ont fait la guerre avec résolution dans l'ensemble, car le défaitisme a finalement trouvé peu d'écho: pour la quasi-totalité d'entre eux, à partir du moment où ils ont été jetés dans la guerre avec la conviction que la France n'en était pas responsable, que c'étaient des nations de proie qui avaient provoqué le conflit, il fallait relever le défi. Ils ont supporté l'épreuve jusqu'à son terme, sans remettre en cause la légitimité de la guerre ni de ses fins. Cela dit, une des fins qui justifiait la guerre était qu'il fallait en finir avec les guerres. Il y avait donc une étroite association entre un sentiment pacifique profond et la détermination de faire et de gagner la guerre. La guerre étant gagnée, il s'agissait d'édifier et de préserver la paix. Et, après 1918, on ne trouve plus guère pour continuer à faire l'éloge, à tenir un discours sur la valeur de la guerre, car tous les Français ont fait l'expérience de ce qu'elle représente de souffrances, d'atrocités, d'horreurs. DISTINGUER ENTRE SENTIMENT PACIFIQUE ET PACIFISME

La mentalité «Ancien Combattant» est profondément attachée à la paix. Il s'agit de préserver les fruits de la guerre et de la victoire. Ajoutez que la France, victorieuse, ne désire plus rien; qu'il n'y a plus d'irrédentisme; il n'y a rien à attendre de la guerre sinon des destructions; elle ne peut plus représenter un apport positif. Il y a quasi-unanimité, et c'est ce qui explique qu'il ait pu y avoir osmose entre le sentiment pacifique et le pacifisme après la paix, comme cela explique les désaccords - qui sont profonds - entre les Français, sur la politique étrangère. Le désaccord sur l'Allemagne vaincue ne porte pas, en définitive, sur le fond; entre la droite et la gauche, entre ceux qui ne croient qu'à l'efficacité de la Défense nationale et des alliances, et ceux qui mettent tous leurs espoirs dans une construction juridique internationale, l'arbitrage et le désarmement, le désaccord n'est pas sur le fond; il porte sur les moyens et les modalités.

Il y en a qui croient que certains moyens ont fait la preuve de leur inutilité, et d'autres qui taxent d'utopie les projets des autres. Sur le fond, la communauté nationale est profondément attachée à la paix. L'attachement général à la paix, sincère, profond, n'implique pas forcément -et c'est là une distinction d'importance -le refus inconditionnel de la guerre; la preuve en est qu'en 1939, les Français, tout pacifiques qu'ils fussent dans l'ensemble, sont entrés dans la guerre avec des sentiments à mi-chemin entre la résignation et la résolution. L'attachement à la paix n'exclut pas, dans certains cas, l'acceptation de la guerre; c'est bien le cas en 1939, à cause de la conviction que la guerre était inévitable, qu'elle était même nécessaire pour en finir avec la menace suspendue de la guerre hégémonique.

Le pacifisme, c'est autre chose qui va beaucoup plus loin, et, pour certains, les choix du pacifisme sont les seuls logiques dès lors que l'on est attaché à la paix: il faut en prendre les moyens et aller jusqu'au bout. Le pacifisme (il se peut encore qu'il y ait des nuances à l'intérieur), c'est le refus inconditionnel de la guerre; la guerre est réputée un mal absolu, on ne compose pas avec le mal absolu; en conséquence, on doit le refuser en quelque situation que ce soit. Cet état d'esprit peut avoir pour conséquence le rejet de la préparation à la guerre. La campagne pour le désarmement, simultané ou unilatéral, c'est, par exemple, une occasion de conflit en Grande Bretagne; le parti travailliste incline vers le désarmement unilatéral. Dans le premier avant-guerre et pendant une bonne partie de l'entre-deux guerres, le parti socialiste français a systématiquement refusé de

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voter les crédits militaires, estimant que les voter c'était préparer la guerre et que son pacifisme impliquait qu'il refusât de donner au gouvernement les moyens d'assurer la défense nationale: on est alors au-delà du simple sentiment pacifique.

Il est clair que cela se traduit contre l'organisation de la défense nationale, contre le service national; à titre individuel, l'objection de conscience peut être une des formes d'expression de ce pacifisme. Collectivement, cela peut donner lieu à une action organisée militante. Cette distinction posée entre sentiment pacifique et choix pacifistes est importante, encore qu'elle ne se traduise pas toujours par une différence absolue.

LE PACIFISME, PLUS DE GAUCHE QUE DE DROITE

Le pacifisme lui-même n'est pas homogène; il y a plusieurs pacifismes qui diffèrent par leurs méthodes et que différencient leurs inspirations et notamment leurs références idéologiques; c'est ce qui rend difficile de porter un jugement global, car il y a des pacifismes de diverses provenances et le jugement doit aussi prendre en considération les justifications philosophiques, les légitimations métaphysiques que ces divers pacifismes invoquent à l'appui de leurs thèses. C'est pourquoi il importe aussi de remonter en arrière pour voir comment le pacifisme a pris corps. Il existe rarement à l'état isolé: il s'associe souvent à des idéologies globales, des philosophies qui apportent une réponse d'ensemble aux problèmes de la société.

Le problème de la guerre est un problème si pressant et si dramatique que, presque inévitablement, on est amené à s'interroger sur ses origines, ses causes. Il y a une part de mystère dans la guerre: il n'y a en tout cas pas d'explication rationnelle unique à la guerre. Quand on croit pouvoir l'expliquer uniquement par des raisons d'ordre économique ou par le jeu des intérêts, l'explication est trop courte. La guerre ne rapporte pas; il serait beaucoup plus avantageux, y compris pour les intérêts organisés, d'en faire l'économie; elle ne crée pas de richesses, elle en détruit. Il reste surtout l'énergie inexplicable: à supposer que la guerre soit recherchée, voulue par des minorités (que ce soient des politiques, des militaires, des marchands de canons ou les trusts), il reste à expliquer comment les peuples peuvent y donner leur adhésion et accepter d'y sacrifier leur existence même. Il faut donc bien qu'interviennent d'autres facteurs. Il reste une part de mystère.

Inévitablement, la guerre interroge, et on est amené à l'inscrire dans une explication globale, et ce sont souvent des explications globales qui suscitent le pacifisme. Le pacifisme, si on le considère à partir du moment où il existe comme une forme de pensée systématique et organisée, date du 20e siècle, et, dans l'ensemble, il émerge à gauche, voire à l'extrême gauche, et cette alliance avec les philosophies de gauche va peser sur son destin. C'est à gauche que le pacifisme a trouvé la plupart de ses leaders, et qu'il a même pu, à certains moments, devenir un mouvement de masse. Pourquoi ne trouve-t-il pas d'écho à droite? C'est qu'il n'est pas facile de concilier cet impératif, l'attachement inconditionnel à la paix, avec un certain nombre de sentiments ou de valeurs qui occupent une place importante dans la conscience de droite: l'attachement à la grandeur nationale, la sympathie pour l'institution militaire et ce qu'elle représente de valeurs morales, l'autorité, la discipline, le dévouement, le sacrifice; de là on ne va pas forcément jusqu'à faire l'éloge de la guerre, mais il y a un ensemble de sentiments auxquels le pacifisme est généralement amené à s'attaquer.

Il y a peut-être des raisons plus profondes encore et qui devraient nous intéresser plus directement comme chrétiens: en particulier, un des postulats d'une partie des philosophies de droite, c'est le scepticisme sur la possibilité de modifier les relations entre les hommes; c'est l'idée que la guerre fait partie de la nature des choses, qu'il y a une nature humaine, que cette nature n'évolue guère, qu'elle est un invariant et que le conflit fait partie des relations entre les hommes. Il n'est pas

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nécessaire de recourir à une théologie; on peut rester au niveau d'une philosophie naturelle avec l'idée que la guerre sera toujours la guerre; que l'homme étant ce qu'il est, la guerre fait partie de la destinée humaine, et que c'est une illusion, une utopie, de s'imaginer que l'on pourra l'éliminer. Ce qui n'exclut pas qu'on puisse l'humaniser; mais, quant à l'éradiquer, à toute une philosophie de droite, cela paraît une chimère. Pour certains esprits, l'idée se justifie par une certaine théologie: la guerre est le signe du péché dans le monde; ou bien c'est une façon, pour l'humanité, de pratiquer le rachat, en quelque sorte une façon de participer à la rédemption.

Le pacifisme a aujourd'hui plus d'écho dans les églises qu'il n'en eut dans l'entre-deux-guerres; notamment dans l'Église catholique qui a été longtemps plus réservée à son endroit, en partie du fait de traditions théologiques différentes (notamment de la théologie de la guerre juste) et qui a, plus que les Églises de la Réforme (surtout d'inspiration calviniste), présenté les devoirs envers la patrie comme des impératifs absolus, sans guère mentionner quels pouvaient être les droits de la conscience -les devoirs de l'individu envers la communauté nationale, le service national jusqu'au sacrifice de la vie, etc. étant présentés comme inconditionnels et comme une forme seconde du martyre et du témoignage. Il y a toujours eu quelques individus, un certain nombre de pacifistes à l'intérieur du catholicisme; ils étaient très peu nombreux, isolés, suspects (et aux autorités religieuses et à la communauté).

Il y a là tout un ensemble de postulats à l'arrière-plan des grandes controverses politiques de l'entre-deux guerres: un problème comme celui de la guerre et de la paix mobilise la réflexion la plus ample. Ce n'est pas seulement un débat politique, c'est un débat philosophique, idéologique, voire religieux. Voilà pourquoi le pacifisme, normalement, ne trouve pas à droite un terrain d'accueil. PACIFISME ET INTERNATIONALISME PROLÉTARIEN

C'est plus à gauche, dans une gauche socialiste, une gauche liée au mouvement ouvrier, que le pacifisme a contracté d'emblée une alliance étroite avec l'internationalisme prolétarien; il y a là une constellation de thèmes, une configuration importante, concours et convergence de plusieurs raisons. Il y a l'idée que la nation n'a pas de réalité fondamentale. La véritable réalité humaine, pour le socialiste, ce n'est pas la nation; la nation n'est pas un absolu; la réalité profonde, c'est celle que déterminent la production, le travail, la place dans les processus, c'est la classe: or, c'est une réalité qui transcende les frontières; elle est internationale. C'est cette réalité-là qu'il faut privilégier; la véritable communauté, c'est celle des travailleurs, c'est la solidarité prolétarienne contre les possédants; la nation n'est qu'une réalité seconde, et l'internationalisme est la vraie réalité; c'est aussi la réalité à construire. La guerre est un moyen qu'inventent les bourgeois capitalistes pour diviser le mouvement ouvrier, faire échec à l'internationalisme prolétarien. Le devoir d'un bon socialiste est donc de faire échec à la guerre puisque la guerre est l'instrument inventé par l'adversaire de classe. Là dessus se greffe tout un système d'explications: les guerres sont suscitées par le capitalisme; ou il n'est pas capable de les empêcher; ou elles sont engendrées par sa logique propre: il les suscite pour diviser la classe ouvrière, pour prévenir la victoire du prolétariat, ou pour s'enrichir.

Sur cette explication qui est relativement ancienne, presque aussi ancienne que le socialisme du 19e siècle utopique ou scientifique, se greffent progressivement des ajouts. Il y a l'apport de Lénine, forgeant le concept d'impérialisme: le capitalisme devient impérialiste à partir du moment où, le cadre de la nation devenant trop étroit, il ne peut atteindre ses objectifs qu'à la condition d'exporter la guerre et de devenir impérialiste. Par les guerres coloniales et la conquête, le capitalisme est donc générateur de guerre; le capitalisme est belliciste, et Jaurès dit que le capitalisme porte en soi la guerre comme la nuée l'orage. La liaison est si étroite entre les guerres et le capitalisme que les socialistes se doivent d'être pacifistes et que

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les pacifistes, pour être logiques avec eux-mêmes, s'ils veulent vraiment mettre fin à la guerre, doivent extirper le capitalisme.

Il y a donc une union conceptuelle, en quelque sorte, entre le socialisme, l'internationalisme prolétarien, et le pacifisme. Si on est anticapitaliste, on doit empêcher la guerre et le bon moyen d'en finir avec le capitalisme, précisément, c'est de faire obstacle à la guerre: les deux choses sont liées.

S'ajoutent encore des considérations subsidiaires; la défiance ou l'hostilité à l'égard de l'institution militaire qui apparaît comme reposant sur des principes contraires à la démocratie, ou comme un facteur réactionnaire, ou encore comme une menace pour la démocratie. Chaque fois qu'il y a des conflits, c'est à l'armée qu'on fait appel: il est donc inévitable que l'institution militaire apparaisse comme solidaire du capitalisme, et puisque sa fonction première est la défense, il en rejaillit quelque chose sur la défense nationale elle-même. Il y a un mélange de sentiments et de raisonnements qui contribue à ancrer très fortement le pacifisme -et pas seulement le sentiment pacifique - dans la gauche ou l'extrême gauche socialistes et réciproquement. Ce pacifisme est inconditionnel; il rejette toute guerre et s'interdit même d'y recourir. LE PACIFISME SÉLECTIF DES COMMUNISTES

Mais il y a un autre pacifisme; on va voir apparaître un autre courant de l'internationalisme prolétarien, qui fait aussi le procès de la guerre capitaliste, mais qui n'exclut pas de recourir à la guerre pour fonder une société nouvelle. Le marxisme-léninisme adopte une stratégie de guerre, de guerre intérieure s'entend; le Parti étant conçu comme une armée engagée dans un conflit, c'est l'apparition de ce que l'on appelle le défaitisme révolutionnaire qui est un pacifisme puisqu'il invite les travailleurs à faire obstacle à la guerre. Il les invite à répondre à la mobilisation générale par la grève générale, et il les invite à mettre la crosse en l'air.

Mais toute guerre n'est pas mauvaise: le marxisme-léninisme introduit une distinction capitale entre les bonnes et les mauvaises guerres. D'une certaine façon, il reprend le vieux débat classique des théologiens sur la guerre juste et la guerre injuste. Il y a de bonnes et de mauvaises guerres. Les mauvaises guerres, ce sont celles faites par les capitalistes; les bonnes guerres, celles que font les peuples, les guerres dites patriotiques ou de libération ou l'exploitation d'une guerre (d'abord engagée par les capitalistes) pour renverser le régime capitaliste (et c'est le comportement de 1917; à partir d'une guerre, on va pratiquer le défaitisme révolutionnaire; ou encore le comportement des partis communistes en 1939-1941, espérant accoucher la révolution à partir d'une guerre impérialiste ou capitaliste).

Nous avons donc affaire là à un pacifisme militant mais qui n'est pas inconditionnel; un pacifisme sélectif qui explique ce qui, de l'extérieur, peut apparaître comme autant de reniements ou de volte-face des Partis Communistes: dans certains cas, ils préconisent la lutte à outrance contre la guerre, et à d'autres moments, ils invitent au contraire à un engagement absolu dans une guerre; ou soutiennent d'autres guerres dans lesquelles l'Union soviétique est impliquée. La solidarité des peuples doit être totale et absolue avec l'armée soviétique ou avec les peuples coloniaux en lutte contre leurs dominateurs. Ainsi, il y a d'une part apparition d'un pacifisme inconditionnel lié au socialisme; et d'autre part d'un pacifisme sélectif conditionnel (notamment le défaitisme révolutionnaire). LE PACIFISME INCONDITIONNEL (OU PACIFISME INTÉGRAL)

Mais il y a, juste à côté, un pacifisme inconditionnel qui va prendre une couleur un peu différente; il s'enracine également à gauche, mais va être attaché à la paix de façon inconditionnelle pour des raisons philosophiques différentes qui, à mon sens, posent aujourd'hui (et singulièrement aux chrétiens) un problème de fond:

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c'est un pacifisme que j'appellerai vitaliste, qui considère que la vie est un absolu et qu'il n'y a rien au-dessus, qu'il n'y a pas de valeurs telles qu'elles puissent justifier qu'on y sacrifie l'existence d'un seul individu; rien ne vaut que l'existence lui soit sacrifiée. C'est donc un pacifisme moral, en quelque sorte, pour lequel la vie est quelque chose d'absolument précieux.

D'une certaine façon, ce pacifisme est une forme sécularisée, laïcisée, du prix que la révélation chrétienne attache à chaque âme; la dignité de la personne humaine résulte de ce que chaque homme est fils de Dieu, et son existence est donc sans prix; on ne peut donc pas consentir à la sacrifier à des entités, à des abstractions, à des valeurs idéologiques ou morales. Ceci est repris par la protestation individualiste qu'on voit dans l'entre-deux-guerres s'exprimer, en particulier, chez les enseignants; ce n'est pas un hasard, en définitive, si c'est chez eux, dont la fonction consiste à éduquer, donc à permettre à chacun de devenir soi-même, que ce pacifisme a trouvé son expression la plus radicale.

Les motions des congrès du Syndicat National des Instituteurs dans les années 30 rejettent la guerre, sans condition et absolument; nombre d'entre eux pensent, et quelques-uns le disent: plutôt Hitler que la guerre; mieux vaut être sujet allemand que mort. Pourquoi? Ce n'est pas forcément par lâcheté, ni peur; c'est l'idée que la vie doit être préservée à tout prix. C'est ce qui va alimenter, dans la grande querelle française de l'immédiat après-guerre de 38-39, une certaine forme d'esprit munichois: «Est-ce que ça vaut la peine de mourir pour Dantzig ?» BONNE GUERRE, MAUVAISE GUERRE

Mais, dans le même temps, on a vu surgir un pacifisme de droite fort différent, par ses présupposés, du défaitisme révolutionnaire ou du pacifisme antimilitariste de la gauche: à partir de 1936-1937, un peu par sympathie pour les régimes autoritaires, beaucoup par crainte d'être précipité dans une guerre par la gauche, pour des raisons idéologiques. Curieusement, cette droite va reprendre à son compte la distinction entre les bonnes et les mauvaises guerres; mais ce n'est plus du tout la même distinction; c'en est même l'envers.

Pour les communistes, les bonnes guerres sont idéologiques; ce sont celles qu'on livre pour la liberté des peuples, pour l'indépendance, pour l'affranchissement, contre les guerres d'intérêts conduites par les capitalistes. Pour cette droite, c'est la guerre idéologique que l'on dénonce comme mauvaise, la guerre que l'on ferait pour une cause. Il n'y a de bonnes que les guerres qu'on fait pour la défense du territoire, pour des réalisations charnelles et substantielles et non pas pour des abstractions, ni par solidarité avec les juifs persécutés ou la démocratie menacée par les régimes totalitaires.

On a donc, de part et d'autre, des distinctions entre les bonnes et les mauvaises guerres, et toute une crise de conscience en France cristallise à l'occasion du débat sur Munich, avant Munich, au moment de Munich et après Munich; c'est le débat sur la guerre et la paix où l'on voit des pacifismes, dont les uns sont idéologiques, les autres plus sentimentaux, certains de droite, certains de gauche, qui s'affrontent à des formes de pensée qui restent pacifiques -car les anti-munichois sont consternés de faire la guerre; ils ne la souhaitent pas, mais ils estiment qu'il y a des circonstances où un peuple doit savoir accepter de se battre, car il y a des valeurs plus hautes.

Il y a là un des grands débats philosophiques. Mais beaucoup de ces positions sont devenues caduques après la seconde guerre mondiale, car ce pacifisme, qui mettait la vie au-dessus de tout, ne savait pas de quoi il parlait; ceux qui pensaient ou qui disaient «Hitler plutôt que la guerre» ne savaient pas ce qu'était Hitler: la plupart se sont rendu compte que n'importe quelle vie n'était pas acceptable parce que cela impliquait la barbarie, le camp de concentration ou le génocide. Le pacifisme inconditionnel est sorti affaibli, curieusement; la répétition, la réitération

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de l'expérience de la guerre a sûrement renforcé l'horreur de la guerre; elle n'a pas pour autant renforcé le pacifisme inconditionnel. Thématiques et textes :

a. La régulation des relations internationales et la sécurité collective; le pacifisme juridique.

o N°1 - Les 14 points de Wilson (1918) o N°2 - Le pacte Briand-Kellogg (1928) o N°3 - Le fédéralisme européen selon Briand (1930) o N°4 – La Conférence mondiale sur le désarmement (1932)

b. La paix par la révolution communiste dans le monde : o N°5 - Le manifeste de Zimmerwald (1915) o N°6 - La guerre nécessaire à la paix éternelle (1938)

c. Changer les mentalités : o N°7 - L’éducation nouvelle: textes de Marguerite Gobat (1928)

+ N°8 - Maria Montessori (1936) o N°9 - L’espéranto, outil de compréhension entre les peuples :

rapport présenté à la SDN (1922) o N°10 - L'antimilitarisme : tract de Pierre Cérésole (1925) o N°11 - La promotion de la non-violence: texte de Gandhi

(1935) o N°12 - Le rôle des femmes: Clara Ragaz (1948)

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Commentaire texte n° 1 Auteur : Woodrow Wilson, président américain (1913-1921) Nature : discours politique Date : janvier 1918 Moyen(s) pour assurer la paix : les idées principales sont I. Des traités de paix qui ouvrent une nouvelle ère de transparence diplomatique (pt 1). II. La liberté de navigation sur les mers et de commerce (libre-échange) qui s’étendrait au monde entier (pts 2 et 3). III. La réduction des armements (pt 4). IV. Une mise à plat de la question coloniale (pt 5). V. Le rétablissement de la souveraineté des Etats sur leur territoire. (pts 6, 7, 8, 11, 13) VI. Le droit à l’autodétermination des peuples, des Etats fondés sur le principe de nationalité (pts 9, 10, 12) VII. La création de la future Société des Nations (pt 14). Devenir de l'idée : I. Des traités de paix sont négociés en 1919-20 (dont Versailles, le plus connu, entre les alliés et l’Allemagne) ; la transparence diplomatique, c’est antithétique… II. Ces idées ne s’imposent que depuis la toute fin du XXe siècle, avec la chute du bloc communiste. III. Un vœu pieux, de tous temps (question abordée avec le texte n°4) IV. Elle n’aura pas lieu avant le lendemain de la 2e GM. V. Elle s’est faite en grande partie. VI. Cela s’est fait en grande partie, avec d’importantes modifications de frontières et l’apparition de nouveaux Etats, mais non sans problèmes là où les populations sont très mélangées comme en Europe centrale. VII. A vu le jour à Genève en 1919 (1ère assemblée générale en novembre 1920). En 1945, c’est la même idée qui est reprise avec l’ONU. Commentaire sur le texte Ce « programme pour la paix dans le monde » est exposé par un président dont le pays est en guerre (déclaration de guerre à l’Allemagne, avril 1917). Les troupes américaines, début 1918, sont prêtes, en France, à entrer en action aux côtés des alliés. Wilson se pose en pacificateur (pour les USA, cette guerre est avant tout une guerre européenne) et en garant d’un nouvel ordre mondial, fondé sur la paix et la justice, sources de sécurité collective. Il réaffirme des principes qu’il n’a pas inventés, mais qu’il est prêt à défendre avec force. Il place les USA dans un rôle d’arbitre des futures négociations de paix. La puissance américaine naissante (face aux puissantes désormais déclinantes que sont la F et la GB) lui permet de se placer dans cette posture avec une certaines crédibilité. Les deux grands principes que sont le droit à l’autodétermination (« droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ») et la création de la SDN seront au cœur des négociations de 1919. W. les défendra bec et ongles. Le 1er sera particulièrement difficile à mettre en œuvre, tant les intérêts en jeu sont grands ; le 2e est accepté, mais la SDN est très vite confrontée au problème de sa légitimité puisque les USA n’y adhèrent pas (W. est désavoué par le Sénat américain, qui refuse de signer le traité de Versailles). On notera que ce texte, qui aborde aussi certaines questions politiques précises en lien avec les questions territoriales, est caractéristique d’un grand idéalisme. La « realpolitik » prendra le dessus lors des négociations… Commentaire général

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Lorsqu’il arrive en Europe pour les négociations de paix en 1919 (1er déplacement à l’étranger d’un président américain en exercice), il est accueilli triomphalement ; toutes les parties, vainqueurs et vaincus, peuples sans Etat, colonisés, fondent les plus grands espoirs sur leur lecture des 14 points. En 1919, on lui décerne le prix Nobel de la Paix. Sur la question de la SDN : le paradoxe veut que les USA condamne leur propre idée en adoptant une politique isolationniste (au grand dam de Wilson). L’arbitre de 1918-1919, la désormais 1ère puissance mondiale, n’y adhère pas. Cela va beaucoup nuire à la SDN comme instrument de sécurité collective. Par ailleurs, l’Allemagne vaincue n’y est pas admise avant 1926, ni la Russie bolchévique (l’URSS y entre en 1934). Il y a donc un problème de représentativité (on rappellera que nombre de pays aujourd’hui indépendants étaient encore sous le joug colonial : la SDN, contrairement à ce que souhaitait Wilson, a entériné et renforcé l’idée qu’il était juste que des pays civilisés « aident » les pays soumis à se développer…) La SDN ne disposait pas de force armée pour imposer ses résolutions ; elle pouvait prendre des sanctions économiques, mais elles étaient difficiles à appliquer. Face au militarisme agressif des Japonais, de Mussolini et de Hitler, la SDN est restée sans réaction concrète (sinon des condamnations verbales) : ces trois pays quittent la SDN en 1933 (Jap + All.) et 37 (It.). La plupart des membres utilisaient la SDN pour défendre leurs intérêts nationaux.

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Commentaire texte n° 2 Auteur : Collectif (les représentants des Etats signataires). Initiative : Aristide Briand (F) et Frank Kellogg (USA), ministres des Affaires étrangères Nature : Traité, accord diplomatique Date : 1928 Moyen(s) pour assurer la paix : Engagement solennel des Etats à ne plus recourir à la guerre comme instrument politique et à chercher absolument une solution diplomatique à tout différend. La guerre devient hors-la-loi au regard du droit international. Devenir de l'idée : L’engagement n’a pas duré longtemps : le Japon envahit la Mandchourie en 1931, l’Italie l’Ethiopie en 1935, Hitler remilitarise la Rhénanie, Allemagne et Italie interviennent dans la guerre civile esp., etc. Commentaire sur le texte - il est court : les Etats prennent un simple engagement moral. Il n’y a aucune disposition précise pour garantir cet engagement. - « toute Puissance signataire qui chercherait désormais à développer ses intérêts nationaux en recourant à la guerre devra être privée du bénéfice du présent traité » : phrase paradoxale… est-à-dire qu’on peut légitimement lui faire la guerre ? - ratifié au final par 63 pays, c’est-à-dire le monde entier (les colonies ne sont pas des Etats souverains !) moins 5 nations. Commentaire général - le « pacte Briand-Kellogg », comme on ne tarde pas à l’appeler : s’inscrit dans la volonté de la F d’approfondir la politique de détente en associant les USA, qui n’adhèrent pas à la SDN, et l’URSS, qui ratifie le traité. - Inefficacité du texte : les signataires n’étaient pas naïfs. Ses promoteurs voulaient avant tout favoriser une philosophie de la paix, répondant ainsi aux aspirations de la plupart des opinions publiques. Il fait toutefois progresser l’idée que la guerre est un crime - II vaut à Kellogg le prix Nobel de la Paix 1929 (Briand l’ayant eu en 1926 avec Stresemann pour les Accords de Locarno).

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Commentaire texte n° 3 Auteur : Aristide Briand, ministre français des Affaires étrangères (ancien président du conseil) Nature : Mémorandum (note diplomatique adressée par un gouvernement à d'autres, pour exposer l'état d'une question et justifier certaines mesures). Date : mai 1930 Moyen(s) pour assurer la paix : « réalisation d'une organisation fédérative de l'Europe », d’une « Association européenne » ; l’apparition de l’expression « union européenne » mérite d’être notée. Devenir de l'idée : Elle n’a rien donné dans les années 1930, période où les tensions entre pays européens n’ont fait que s’accroître (crise économique qui secoue les sociétés et permet la radicalisation de la politique dans de nombreux pays) ; elle est reprise après la 2e GM (1957, traité de Rome instituant la CEE) puis développée jusqu’à aujourd’hui (UE, 28 Etats membres, 500 millions d’habitants). Commentaire sur le texte - le principe d’une union fédérale européenne est officiellement présenté à la communauté internationale (ici, la SDN). - le texte fait le lien entre l’absence de coordination économique en Europe et les risques de conflits : la solidarité économique (le libre-échange) est à la base de l’entente des pays européens. Il préconise donc d’organiser cette solidarité (on notera que la crise économique mondiale frappe alors de plein fouet les économies européennes). - il considère que cette union doit se faire dans le cadre de la SDN, comme une simple « entente régionale » qui lui serait subordonnée (il est soucieux de ne pas affaiblir la jeune instance qu’est la SDN) : elle faciliterait ses travaux, plus qu’elle ne leur ferait concurrence. Il y a plusieurs paragraphes où il insiste sur ce point : c’est une union qui a des visées purement « amicales ». - « l'institution du lien fédéral recherché entre gouvernements européens ne saurait affecter en rien aucun des droits souverains des membres d'une telle association de fait » : le principe du respect de la souveraineté absolue des participants à cette union est rappelé. Commentaire général - Briand passe pour un grand promoteur de la paix dans les années 1920, l’un des meilleurs représentants de ce qu’on appelle le « pacifisme juridique », ou l’« internationalisme institutionnel » : il veut à tout prix que s’impose l’idée de sécurité collective et travaille donc concrètement à sa réalisation par la collaboration internationale. Il est à la base du rapprochement, après les fortes tensions du début des années 1920, avec l’Allemagne : il trouve en Gustav Stresemann un partenaire fiable qui va lui aussi contribuer à l’avènement d’une ère de détente (courte, de quelques années…). Les deux hommes reçoivent le prix Nobel de la Paix en 1926, à la suite de la signature des accords de Locarno (1925). Ce mémorandum est le résultat d’une entente et d’un accord avec Stresemann (c’est déjà le « couple franco-allemand » qui joue le rôle de moteur dans l’intégration européenne). A noter : Stresemann est mort en octobre 1929, entre-temps la politique allemande s’est raidie. - Un aménagement de type fédéral apparaît alors comme une bonne solution pour dépasser le nationalisme, source de guerre. - Les idées de ce Mémorandum sont louables, mais elles souffrent de deux facteurs d’affaiblissement : il est difficile de mettre en place une structure fédérative efficace

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avec deux concessions comme celles de la subordination à la SDN et le principe du respect absolu de la souveraineté des membres. - Le projet (complété par des dispositions annexes plus concrètes) apparaît donc timide ; mais il est considéré comme très audacieux à cette époque. Il suscite des oppositions (risque d’affaiblissement de la SDN selon les Britanniques, problème préalable de la révision des frontières pour les Hongrois ou les Allemands, subordination de l’économique au politique selon le Belges, etc.). La SDN constitue une commission pour examiner les modalités concrètes, mais ses travaux sont sabordés par les membres opposés à l’idée de Briand (président de la commission). Briand meurt début 1932, épuisé.

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Commentaire texte n° 4 Auteur : Edmond Rossier, journaliste vaudois, professeur d’histoire contemporaine et diplomatique à Lausanne et Genève. Nature : article de journal Date : 1932 Moyen(s) pour assurer la paix : l’auteur relate les travaux de la Conférence mondiale sur le désarmement : lui-même n’est pas un pacifiste qui propose un moyen de faire la paix, mais il se montre favorable à cette initiative (et inquiet pour ses chances d’aboutir…). Devenir de l'idée : Le désarmement : pas d’armes, pas de guerre. Une belle idée qui n’a jamais pu s’imposer, malgré de nombreux traités bilatéraux ou multilatéraux. Commentaire sur le texte - l’auteur, fin connaisseur de la diplomatie, multiplie les remarques ironiques pour mettre en avant l’hypocrisie des diplomates. Derrière les applaudissements, il y a toujours des intérêts à défendre autres que l’intérêt du monde (on pourra faire le parallèle avec les sommets, aujourd’hui, où il est question des mesures pour préserver notre environnement naturel). Il ne cache donc pas son scepticisme : à force de ménager les uns et les autres, la montagne accouche d’une souris (une « trêve des armements » de quatre mois…). « Je distingue mal le progrès ». - Les idées émises ne sont pas accompagnées de mesures concrètes ; les questions cruciales (« réduction des effectifs, à la limitation des budgets de guerre, à l'égalité des droits ») ne sont pas tranchées. « Egalité des droits » : cela fait référence à l’exigence de l’Allemagne d’être traitée désormais comme tout autre nation sur le plan de sa politique militaire (par le traité de Versailles, son armée était réduite à 100'000 hommes et son armement limité), c’est-à-dire de pouvoir augmenter les effectifs là où d’autres devraient les réduire (ce que la France, entre autres, ne peut accepter). - le « pacifisme » du représentant soviétique : on sent derrière ces lignes que Rossier se méfie du possible double jeu de l’URSS. La menace rouge n’est pas loin. Commentaire général Rossier ne s’est pas trompé : les négociations n’aboutirent pas. Pourtant, les opinions publiques y sont largement favorables : des associations féminines comme la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté font parvenir au congrès une pétition pour le désarmement signée par 12 millions de personnes dans le monde entier. Mais le climat diplomatique, détendu dans la 2e moitié des années 1920, se tend au début des années 1930, dans un contexte de grave crise économique : les événements en Chine, la victoire des nazis en Allemagne, la politique de Mussolini contribuent, entre autres, à miner le terrain. L’Allemagne, après avoir obtenu l’égalité des droits en 1932, quitte la table des négociations en octobre 1933 (comme le Japon l’avait fait en mars). Sous Hitler, l’Allemagne réarme de manière intensive, les autres (GB, F) sont obligés de suivre le mouvement. Avec l’échec de cette conférence meurt « l’esprit de Genève », cette volonté forte dans les années 1925-1932 de voir la sécurité collective devenir une réalité grâce aux institutions internationales, en particulier à la SDN.

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Commentaire texte n° 5 Auteur : les 38 personnalités socialistes présentes à la conférence (12 pays de provenance) ; le texte lui-même a été rédigé par Léon Trotsky. Nature : Manifeste (Déclaration écrite, publique et solennelle, dans laquelle un homme, un gouvernement, un parti politique expose une décision, une position ou un programme). Date : septembre 1915 (donc pendant la guerre, et pas durant l’entre-deux-guerres ; mais on voit déjà les ravages de la guerre, tant les premiers mois ont été meurtriers, et les idées de ces socialistes futurs communistes restent valables après). Moyen(s) pour assurer la paix : le refus, par les ouvriers de tous les pays unis dans la lutte contre la guerre, de jouer le jeu de leur gouvernement capitaliste, impérialiste et militariste. Devenir de l'idée : Le mouvement ouvrier reste scindé en deux grandes familles durant l’entre-deux-guerres : socialistes fidèles à la défunte IIe Internationale, devenue Internationale ouvrière socialiste, et communistes affiliés à la IIIe Internationale. Entre ces deux conceptions du socialisme, c’est la guerre (même si, face à la menace fasciste, les deux courants ont pu former des fronts communs). Commentaire sur le texte Les auteurs prétendent révéler au public les raisons cachées de la guerre : l’impérialisme, expression naturelle du capitalisme. Il ne doit pas être dupe du discours des gouvernements. On pourra faire le lien avec la propagande (le fameux « bourrage de crâne », comme la nommaient les combattants de la 1ère GM) ; la même idée apparaît dans Hommes sans visage dans la bouche de Lazé (p. 79) : « J’ai pu me procurer quelques journaux « ennemis ». Ce qu’on leur bourrait le crâne, c’est incroyable ! Mais peu à peu, j’ai vu qu’à nous aussi, on nous le bourrait ; moins, certainement, mais enfin assez pour qu’on sente qu’il y a des dessous qu’on tient à nous cacher. » Il n’y aura qu’un seul vainqueur à la guerre : les capitalistes. Vainqueurs ou vaincus, les ouvriers leur resteront soumis. La guerre est l’expression d’un ordre social qu’elle contribue à renforcer, sur le dos des prolétaires. Face à la censure qui s’est instaurée partout, les auteurs lancent donc un appel pour détromper leurs camarades et appeler les à se réveiller. Ils condamnent l’« union sacrée » dans laquelle se sont fourvoyés certains dirigeants socialistes : cette faute idéologique exige d’être reconnue et réparée. L’union des ouvriers de tous les pays contre la guerre y mettra fin : c’est un appel implicite à une fraternisation géante des ouvriers combattants (on sait que les fraternisations dans les tranchées ont été nombreuses à Noël 1914 et à Pâques 1915). Et pour que la paix soit durable, le manifeste réclame une paix blanche (sans vainqueur ni vaincu, c’est-à-dire sans annexion ni indemnité) ainsi que le droit des peuples à l’autodétermination. Commentaire général On retrouve ici l’expression de l’internationalisme prolétarien, qui recherche la solidarité internationale entre les prolétaires en s’opposant notamment au nationalisme nourrissant la propagande de chaque Etat belligérant. La scission avec les partis socialistes qui ont « collaboré » avec les dirigeants bourgeois n’est pas encore consommée : c’est un appel au ressaisissement général. On notera l’intérêt des propositions de paix blanche et de droit des peuples : la première a été soutenue par des courants pacifistes au moment des négociations de paix, même français. Selon eux, ce seraient les germes de futurs drames – et la suite

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de l’histoire ne leur a pas donné tort… Quant à la seconde proposition, elle sera soutenue par Wilson, avec le succès mitigé qu’on connaît.

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Commentaire texte n° 6 Auteur : Mao Zedong (Mao Tsé-toung, ou Mao Tsé-Tung), membre historique du parti communiste chinois, premier dirigeant de la République populaire de Chine (1949) Nature : Conférence (propos retranscrits et publiés par lui-même). Date : 1938 Moyen(s) pour assurer la paix : la guerre mondiale ! En provoquant la ruine du capitalisme et en favorisant les guerres révolutionnaires (communistes), elle débouchera sur une période de paix éternelle. Devenir de l'idée : il y a bien eu une terrible guerre mondiale, mais qui n’a pas débouché sur les résultats escomptés par Mao. Le communisme s’est établi en Chine, mais pas partout dans le monde ; la guerre a débouché sur une lutte, froide ou ouverte, entre pays capitalistes et communistes. Commentaire sur le texte Mao propose ici une lecture de l’histoire qui s’appuie sur des mécanismes qu’il prétend connaître : après une période (préhistorique) de paix, l’humanité a connu des milliers d’années de guerre, et elle tend maintenant vers une nouvelle période de paix appelée à durer éternellement. Ce qui le lui fait dire, c’est qu’un nouveau stade a été atteint selon lui : celui de la guerre « impérialiste de la société capitaliste ». La 1ère GM est interprétée comme un premier signe tangible, celle qui s’annonce (et on peut reconnaître à Mao une vraie clairvoyance sur ce point quand il prédit une 2e GM) sera pire encore. Pour lui, la fin de l’histoire est proche : la paix (communiste) finira par s’instaurer à la faveur de cette ultime grande crise. Il l’accepte donc comme une sorte de fatalité heureuse, un mal pour un bien. Commentaire général - Ce texte date pour nous de « l’entre-deux-guerres », mais pour les Chinois, la 2e Guerre mondiale commence en 1937, avec l’invasion japonaise de la partie orientale du pays, et se termine en 1945 (l’invasion de la Mandchourie, au nord, en 1931, marquait déjà les prémices de l’expansion japonaise au détriment de la Chine). - L’idée que pour assurer la paix, il faut d’abord faire triompher la révolution et, au besoin, en brisant la force armée de l’adversaire, se trouve ailleurs dans la pensée communiste, en particulier chez Trotsky. - La pensée communiste (léniniste en particulier) sur la guerre est paradoxale. Dès 1918, la Russie bolchévique incarne une idéologie universaliste et pacifiste. Mais elle est déchirée entre la fidélité à ces principes, et la tentation de répandre ceux-ci par la force. Le pacifisme communiste a donc fourni des arguments aussi bien aux partisans de la détente qu’à ceux qui dénonçaient le danger militaire qu’il faisait planer. - Aux yeux des communistes (ou futurs communistes…), les deux guerres mondiales ont constitué des moments d’opportunité : du chaos, détestable, devait naître le nouvel ordre révolutionnaire, souhaité.

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Commentaire texte n° 7 Auteur : Marguerite Gobat (fille d’Albert Gobat, prix Nobel de la Paix 1902), Jurassienne de Berne, pacifiste comme son père, cofondatrice (1915) de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté. Pédagogue engagée. Nature : article, compte rendu de livre. Date : 1928 Moyen(s) pour assurer la paix : l’éducation, la paix par l’école. Devenir de l'idée : elle a eu de l’écho dans les démocraties des années 1920-1930 ; mais dans les pays à régime totalitaire, en particulier fascistes (cf. la fin de la séquence), c’est au contraire une éducation à la guerre qui a prévalu. Après la 2e GM, l’éducation à la paix passe par l’intégration dans les programmes de la Déclaration universelle des droits de l’homme (on pourra en relire le court préambule en classe, qui fait de la paix sa raison d’être) ; l’UNESCO a été créée en 1945 pour favoriser la paix par la coopération intellectuelle dans le monde. Commentaire sur le texte Le compte rendu de Marguerite Gobat ne laisse aucun doute sur son pacifisme, et sur son adhésion aux méthodes qui permettent de favoriser la paix par l’éducation. Changer les mentalités en profondeur passe par la jeunesse : elle croit plus dans les résultats de cette démarche (de longue haleine) que dans les efforts des Etats tels qu’ils se développent à Genève. Les Etats restent des « Puissances » : c’est-à-dire des entités qui ont des intérêts à sauvegarder ou à développer. Ce compte rendu a l’intérêt de montrer les nombreuses directions empruntées par les promoteurs de la paix par l’école : recherches sur la psychologie de l’enfant qui produisent des principes pédagogiques concrets à respecter, recommandations/critiques sur les manuels d’histoire (question cruciale pour une bonne compréhension et entente entre les peuples…), développement d’une école où l’autonomie de l’élève est au cœur des méthodes d’apprentissage (« l’Ecole nouvelle »), correspondances entre élèves de différents pays, collaboration internationale des instituteurs (ce colloque de Prague la montre bien). Commentaire général - Le Bureau international d'éducation (BIE) a été fondé à Genève en 1925 ; il s’agit d’une initiative privée (Bovet, Claparède, Ferrière) mais dont l’internationalisme fait écho à celui des grandes institutions internationales établies à Genève (SDN, BIT). Ses buts (la centralisation de la documentation relative à l'enseignement, la recherche scientifique dans le domaine de l'éducation, et la coordination des institutions et associations intéressées par l'éducation) sont sous-tendus par une profonde volonté pacifiste. - A partir de 1929, faute de moyens, le BIE devient une organisation gouvernementale (aujourd’hui partie de l’UNESCO). - Dans les années 1920-1930, les milieux enseignants (surtout à l’école primaire) étaient souvent à la pointe dans la lutte pacifiste (c’était le cas en particulier en France et en Suisse romande). - La question de l’éducation des enfants et de la jeunesse était considérée comme cruciale par les éducateurs, d’autant plus que les régimes totalitaires (URSS, Italie) ou partis politiques à l’idéologie agressive mettaient sur pied des organisations de jeunesse à des fins d’endoctrinement.

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Commentaire texte n° 8 Auteur : Maria Montessori, pédagogue italienne, très connue aujourd’hui encore pour sa méthode pédagogique qui mise sur l’autonomie de l’enfant pour favoriser ses apprentissages et son développement personnel. Nature : Conférence Date : 1936 Moyen(s) pour assurer la paix : la paix par l’éducation à la paix. Devenir de l'idée : cf. texte précédent. Commentaire sur le texte : L’auteure présente ici une profession de foi universaliste (« cette grande nation qu'est l'humanité », « Royaume des cieux », « Empire universel », …). Elle part du constat que l’évolution de l’humanité sur le plan matériel (en particulier économique) provoque une solidarité de fait entre les êtres humains dans le monde entier. Mais elle déplore que l’évolution morale de ces mêmes êtres humains soit en retard, eux qui continuent à penser au niveau étriqué de la nation. Or le nationalisme, bien qu’obsolète à ses yeux, constitue le germe des conflits. Elle utilise la métaphore du corps, de l’organisme, pour illustrer l’impact de la guerre de 14-18 dans ce monde où règne une solidarité matérielle de fait : se couper une main. Elle prévoit qu’un futur conflit, vu le niveau technologique atteint par l’humanité, la conduirait à sa perte (la bombe atomique n’est pourtant pas encore d’actualité en 1936… MM. voit juste). La prise de conscience de cette nouvelle donne est donc une question de salut pour l’humanité. Elle doit être le fait de tous les êtres humains. L’éducation, en particulier l’éducation des jeunes, lui apparaît comme la seule solution pour permettre une prise de conscience générale que l’ère est à la citoyenneté du monde. L’effort des Etats pour éviter la guerre est louable : mais « éviter la guerre », ce n’est pas « construire la paix ». Le premier renvoie à une politique à court terme ; le second à un changement de mentalité par une réforme en profondeur de l’éducation, à beaucoup plus long terme. C’est en libérant la force créative de l’enfant que l’humanité s’inventera une nouvelle voie, celle de la paix. Commentaire général On notera l’expression « droits sociaux de l’enfant » : il faut attendre la Déclaration des droits de l’enfant (ONU 1959), puis la Convention internationale des droits de l’enfant (1989), pour que cette notion soit inscrite dans le droit international. Les idées de Montessori sur l’intérêt pour le monde de favoriser le développement autonome de l’enfant ne sont pas tout à fait nouvelles : on y retrouve l’influence de L’Emile de Jean-Jacques Rousseau. Tous les tenants de l’école nouvelle, un courant international très forts dans les années 1920-1930, souscrivaient à la vision des choses exposées ici. Cette conférence a été prononcée dans le cadre d’un congrès organisé par le Rassemblement universel pour la paix, né à cette occasion : l’objectif de cette association pacifiste à but universel (5000 membres présents lors de la conférence de MM, mais des millions de membres dans le monde à travers les associations qu’elle regroupe) était d’apporter un soutien à la SDN, désormais très fragilisée. On comprend mieux ainsi les lignes de MM relatives aux efforts des Etats (alors qu’elle n’y croyait guère…).

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Commentaire texte n° 9 Auteur : Société des nations Nature : rapport Date : 1922 Moyen(s) pour assurer la paix : promouvoir l’espéranto comme langue auxiliaire internationale pour favoriser les rapports de coopération directe entre les peuples. Devenir de l'idée : l’apprentissage de l’espéranto a connu un franc succès durant l’entre-deux-guerres ; mais il n’a jamais été généralisé au point d’offrir une véritable alternative à l’usage des deux grandes langues internationales (coloniales) de l’époque, français et anglais. Il ne s’est pas imposé non plus dans les organisations internationales. Mais il compte, aujourd’hui encore, des milliers de locuteurs dans le monde. Un monde uni par un même langage de transaction, neutre (c’est-à-dire qui n’est pas l’apanage d’une nation) : c’est resté une utopie. Commentaire sur le texte - Les milieux internationalistes sont particulièrement intéressés par l’espéranto : et si la demande des ouvriers est particulièrement grande, c’est que son apprentissage est aisé. Dans les milieux populaires, moins éduqués et donc maîtrisant peu les langues étrangères, cette dimension est importante. - Le texte montre que les associations espérantistes se mobilisent pour faire avancer le dossier ; mais ce n’est pas qu’un mouvement des « opinions publiques », nombre d’Etats, de tous les continents, recommandent son enseignement dans les écoles. - « faire l'unanimité des partisans d'une langue internationale sur l'enseignement de l'Espéranto » : l’espéranto n’est pas la seule langue auxiliaire internationale qui existe (cf. le volapük ou l’ido), mais il s’agit alors de la plus pratiquée et développée, d’où le fait que le choix se porte sur lui. - L’utilité pratique de cette langue n’est pas le seul argument en sa faveur : le texte note aussi la « grande influence morale » qu’elle exerce sur ceux qui l’apprennent. C’est, selon le rapport, un gage d’ouverture d’esprit, et donc de compréhension entre les peuples. La SDN étant l’instrument même de cette bonne entente, les espérantistes aiment tout naturellement la SDN ! Commentaire général - L’Association mondiale d’espéranto avait alors son siège à Genève. - Les gouvernements des deux grandes puissances de la SDN, France et Grande-Bretagne, dont les langues étaient au cœur des relations internationales, ne voyaient pas forcément d’un bon œil cette engouement pour l’espéranto, susceptible un jour de mettre à mal leur influence culturelle dans le monde (les Etats-Unis d’aujourd’hui exercent un important soft power grâce à l’anglais). La France s’est opposée à son adoption comme langue officielle de la SDN, et à son enseignement dans ses propres écoles jusqu’en 1924. - A propos de l’influence morale : tout espérantiste n’est pas forcément pacifiste, mais cela va souvent de pair. Tous les pacifistes n’ont cependant pas appris l’espéranto. - L’apprentissage de l’espéranto a été interdit dans l’URSS de Staline, l’Allemagne nazie et l’Espagne franquiste.

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Commentaire texte n° 10 Auteur : Pierre Cérésole, fils d’un ancien président de la Confédération, ingénieur vaudois, pacifiste, fondateur du service civil international. Le tract est cosigné par 4 associations pacifistes. Nature : tract (feuille facile à reproduire et à distribuer, cf. dernier paragraphe) Date : 1925 Moyen(s) pour assurer la paix : faire en sorte que tous les citoyens astreints au service militaire refusent de l’effectuer. Si tout le monde refuse de faire partie d’une armée, il n’y aura plus d’armées dans le monde, et donc la possibilité même d’une guerre aura été éradiquée… Devenir de l'idée : l’objection de conscience n’a été reconnue en Suisse (comme dans la plupart des pays démocratiques du monde où il reste une armée de conscription) qu’à la fin du XXe siècle (en 1992, l'arrêté fédéral sur l'introduction d'un service civil pour les objecteurs de conscience est accepté en votation populaire ; la loi d'application entre en vigueur en 1996). Auparavant, les objecteurs étaient condamnés à des peines de prison. Il existe aussi des associations comme le GSSA qui prônent la suppression pure et simple de l’armée : le peuple suisse est régulièrement appelé à se prononcer sur cette question, comme récemment sur l’abrogation du service militaire (rejetée par les ¾ des votants). Commentaire sur le texte : - Cérésole appelle à l’objection de conscience généralisée. Le soldat suisse est placé face à un raisonnement simple, censé lui parler directement (on invoque sa mère, sa femme et sa sœur). - Vouloir se défendre par les armes, c’est accepter la logique des armes ; ceux qui la refusent doivent être cohérents avec eux-mêmes et renoncer à participer au système militaire. Il y a une logique de non-violence derrière ce raisonnement qui débouche nécessairement sur de l’antimilitarisme. La « défense nationale » est assimilée au contraire de ce qu’elle est censée être : elle constitue, selon l’auteur, une menace. - On notera le jugement porté sur le service militaire lui-même : « simulacre de tueries ». Ce qui revient à dire qu’on éduque la recrue non pas à se défendre, mais à tuer. - L’auteur insiste sur le fait que sa démarche est apolitique. A une époque où l’anticommunisme (les « rouges », communistes, anarchistes, syndicalistes, sont notoirement antimilitaristes et fournissent alors les premiers contingents de condamnés pour objection de conscience) est très fort en Suisse, il ne faut pas prêter le flanc à cette critique. La position de Cérésole est surtout le fruit de son pacifisme chrétien. - Le refus de servir étant risqué (prison, mais aussi privation des doits civiques, mauvaise réputation qui nuit dans la vie sociale et professionnelle…), l’auteur affirme que le réfractaire trouvera un groupe qui le soutiendra dans sa démarche. Commentaire général - Cérésole était fils de conseiller fédéral (colonel à l’armée), et frère d’un colonel… Mais il ne s’agit pas d’un tract de circonstance : la pacifisme et la non-violence sont le combat de sa vie. Il commet ici un acte hautement subversif de la part d’un fils de bonne famille… - Lui-même a fait de la prison et payé des amendes pour ne pas s’être soumis aux obligations militaires ; il animait un groupe de soutien aux objecteurs (cf. postface d’Hommes sans visage), qui ne se comptaient encore qu’en dizaines en Suisse à cette époque. - Il est le fondateur du Service civil international (ONG toujours existante), dont le but est de promouvoir la paix, essentiellement par des chantiers de volontaires,

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regroupant des hommes et des femmes d'origines sociales, religieuses, ethniques et d'âges différents. - Il adhère à la Société des Amis (quakers) dans les années 1930 : les quakers sont connus pour leur engagement en faveur de la non-violence et pour leur soutien à l’objection de conscience. Il se rend plusieurs fois en Inde, où il se lie d’amitié avec Gandhi.

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Commentaire texte n° 11 Auteur : Mohandas Karamchand Gandhi, leader du mouvement indépendantiste indien. Nature : article dans un journal indien qu’il a lui-même fondé Date : 1935 Moyen(s) pour assurer la paix : convertir le monde à la non-violence. Devenir de l'idée : hormis le mouvement indépendantiste indien sous la direction « spirituelle » de Gandhi, la philosophie de la non-violence a eu un grand impact dans certaines luttes sur tous les continents (M.L. King, Dalaï-Lama, Mandela, Walesa…), mais le monde n’y a pas été converti… Commentaire sur le texte : - Gandhi affirme que la philosophie de la non-violence ne concerne pas que les individus (alors que les axiomes qu’il pose, au moins les 3 premiers, semblent surtout concerner les individus) : elle peut aussi être adoptée par des Etats ; elle est applicable aux rapports internationaux. - Il est amené à prendre position dans un contexte précis : celui de l’agression de l’Ethiopie, Etat indépendant membre de la SDN, par l’Italie mussolinienne. On le presse de le faire : on devine derrière ces questions la volonté de ceux qui les posent de confronter le « Mahatma » à une situation concrète (qu’ils croient ou non à sa philosophie). - La conversion d’un pays à la non-violence désarmerait les agresseurs. On comprend toutefois que cela aurait été un préalable ; comme la guerre sévit maintenant entre les deux armées, il n’est plus question de non-violence. - Il croit (même s’il présente cette possibilité comme un « miracle ») à la force de l’exemple : la conversion de la GB à la non-violence aurait un double impact mondial : la fin de l’impérialisme colonial ; le désarmement général, la fin de facto face à la pression morale exercée par cet exemple de toute possibilité d’agression. A le suive, si ce miracle se produisait maintenant (en 1935), l’Italie devrait renoncer à sa conquête plus sûrement que si la GB envoyait des troupes en Ethiopie pour la défendre. - Il est conscient de sa responsabilité dans la conversion de l’Inde, et du rôle de phare qu’elle pourrait alors jouer pour le monde. - « C'est une question de foi et d'expérience, non de démonstration » : son optimisme heurte, c’est vrai, le sens commun. On se rapproche d’une foi religieuse (principes hindouistes, mais aussi chrétiens, qui ont beaucoup influencés la pensée de Gandhi : principe de « tendre la joue »). - Lui-même prêche par l’exemple : on est donc loin d’un pacifisme verbal, prompt à dénoncer la violence des autres. Il exige de lui-même et de ses proches un renoncement total et une ascèse héroïque. On ne peut contester la dignité de sa position dans ce texte, même si l’on peut contester son efficacité. Commentaire général - Gandhi est alors une personnalité mondialement connue. Le magazine américain Time l'a même couronné « homme de l'année » en 1931. Il est connu depuis qu'il a lancé en Inde son mouvement de désobéissance civile, inauguré par la « marche du sel » en mars-avril 1930 - un défi sans précédent qui alarme les Britanniques. Il fait la une de l'actualité dans le monde entier. Durant sa tournée en Europe en 1931 pour rencontrer les intellectuels sensibles à son mouvement de non-violence, il est assiégé par des hordes de journalistes et de curieux, où qu’il aille (il passe en Suisse fin 1931 : Genève et Lausanne où il donne des conférences, Villeneuve où il séjourne chez R. Rolland).

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- Son ambition est de rallier l'opinion publique européenne à la cause du satyagraha, sa méthode de lutte collective contre l'impérialisme, sans recours aux armes. Plus encore, galvanisé par l'enthousiasme de ses partisans, Gandhi veut convertir l'Europe à son mouvement et refonder le monde sur l'exemple indien pour en finir, une fois pour toutes, avec les violences de la modernité occidentale. (cf. L’Histoire n°393, article de Mira Kamdar). - Sa position est en général accueillie avec ferveur par les mouvements pacifistes. Mais lorsque Gandhi séjourne à Villeneuve chez Romain Rolland, chantre du pacifisme moral, ce dernier finit par trouver inapplicable la philosophie de Gandhi qui exalte le sacrifice face à l'ennemi contre lequel on se présente sans arme. Selon lui, Gandhi expose les masses à la souffrance et à la mort sans leur consentement. « Mais y sacrifier les autres ? N'est-ce pas par la violence qu'on les sacrifie ? Et la non-violence n'implique-t-elle pas d'avance des milliers de sacrifices ? Bon pour les "voulants", pour les "conscients". Mais ceux qui n'ont pas été consultés, les inconscients, les "innocents" ? ». - Gandhi ne sauvera pas l'Europe de ses démons. Il ne parviendra pas non plus à sauver l'Inde des siens. Des bains de sang attendent l'une et l'autre, à la sortie desquels un monde plus matérialiste et militariste que jamais va renaître. Marginalisé, déçu par cette Inde indépendante qui fut tout sauf ce qu'il envisageait pour elle, Gandhi est assassiné en 1948 par un nationaliste hindou qui voyait en lui non pas le salut de son pays mais l'ultime obstacle à une Inde triomphante. - la non-violence adoptée par un Etat : cela rejoint d’une certaine manière la position des partis de gauche qui, comme en Suisse en 1925, en appellent au désarmement unilatéral du pays après les accords de Locarno (la CH n’avait plus, selon les socialistes et les communistes) d’ennemi potentiel aux frontières.

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Commentaire texte n° 12 Auteur : Clara Ragaz, Zurichoise, vice-présidente de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (1929-1946), et présidente de la section suisse de cette organisation. Elle compte parmi les figures les plus importantes du pacifisme et du féminisme suisse de la première moitié du XXe s. Nature : article dans un livre collectif, Der Ruf der Mütter Date : 1948 (il ne date pas de l’entre-deux-guerres, mais il résume les idées qui étaient au cœur de l’engagement de l’auteure pendant les 30 années précédentes). Moyen(s) pour assurer la paix : il faut que les femmes prennent conscience du rôle qu’elles peuvent jouer dans la promotion de paix et rejoignent des associations pacifistes féminines. Devenir de l'idée : nombreuses ont été les associations pacifistes exclusivement féminines au début du XXe siècle et durant l’entre-deux-guerres, telles l'Union mondiale de la femme pour la concorde internationale, la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, le Comité Mondial des Femmes contre la Guerre et le Fascisme, etc. Elles ont également prospéré après la 2e GM, comme le Rassemblement des Femmes pour la Paix (1949), lorsque la Guerre froide laissait craindre une 3e GM. Mais le droit de vote des femmes, qui se généralise peu à peu dans le monde de l’après-guerre Commentaire sur le texte : - La pacifiste en appelle aux femmes, mais la féministe qu’elle est aussi refuse de tomber dans le panneau de l’essentialisme (ou naturalisme) : la femme n’est pacifiste par nature, elle n’est pas plus pacifiste que l’homme. En appeler à l’instinct maternel des femmes ou à leurs talents d’éducatrices, ce serait les cantonner dans le rôle qui leur est traditionnellement dévolu (« tâches primaires », le « souci quotidien de leur entourage immédiat » qui les étouffe)… La promotion de la paix a besoin de plus que cela. - Les femmes sont invitées à mieux comprendre le monde dans lequel elles vivent, pour mieux peser sur son avenir. L’éducation des femmes est au cœur de sa réflexion : c’est de leur capacité à discuter de « problèmes politiques, économiques et sociaux » que pourra naître un monde plus pacifique. Elle propose une éducation des femmes par les femmes, en quelque sorte, puisqu’elle préconise qu’elles s’engagent dans des associations pacifistes spécifiquement féminines, comme la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté. - Ces lignes d’adressent à des femmes qui n’ont pas forcément le droite de vote : en Suisse, au niveau fédéral, il faut attendre 1971 (la fin des années 1950 pour les premières autorisations cantonales)! L’appel de CR à l’engagement dans des associations pacifistes exclusivement féminines peut apparaître aussi comme une manière de favoriser la réflexion des femmes sur des questions politiques larges et, en leur donnant ainsi confiance dans la légitimité de leur réflexion, de favoriser leur émancipation politique (ce à quoi elle croit moins, visiblement, dans des associations pacifistes mixtes, où les responsabilités sont plus facilement confiées aux hommes). Commentaire général : - le mouvement pacifiste international a compté de très nombreuses femmes dans ses rangs. CR mentionne ici les associations (féminines) ; il ne faut pas oublier leur implication dans les partis politiques de gauche, pacifistes, dans lesquels elles militaient même en l’absence du droit de vote. - les femmes ne sont pas plus pacifistes par nature que les hommes : cela a pu se vérifier lors de la 1ère GM, où nombreuses ont été les femmes à se rallier aux unions sacrées nationales. Les (rares) femmes politiques qui ont accédé aux plus hautes

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fonctions n’ont pas particulièrement brillé par leur pacifisme. Mais l’impression qu’elles le seraient, au-delà des préjugés sur leur « instinct maternel », vient aussi du fait que la guerre, dans l’histoire, a surtout été une affaire d’hommes : de ceux qui la décidaient, à ceux qui combattaient.

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Synthèse:

a. Comment classer ces propositions pacifistes (typologie) ? - Les quatre premières sources renvoient à ce qu’on appelle le « pacifisme juridique », « pacifisme institutionnel » ou « pacifisme internationaliste ». Ce pacifisme considère que la paix peut être obtenue et garantie par le droit ; il défend la pratique de l’arbitrage entre les pays pour régler les conflits. La SDN, puis l’ONU, sont l’expression concrète de ce type de pacifisme. - Les deux suivantes sont l’expression d’un pacifisme inspiré par l’internationalisme prolétarien. C’est un pacifisme révolutionnaire, sélectif (cf. R. Rémond). - Les six autres peuvent être regroupées dans l’expression « pacifisme moral ». Ce pacifisme-là mise sur des changements profonds de mentalité. Il n’y a donc pas un mais des pacifismes : le but est souvent le même, mais les moyens sont fort divers !

b. Elles sont potentiellement complémentaires: l'exemple du parcours d'Henriette Rémi.

HR est une femme de gauche, qui croit d’abord à un monde pacifié après une révolution prolétarienne mondiale (cf. son engagement dans l’IJB/ISK en Allemagne au début des années 1920) ; installée à Genève dans la 2e moitié des années 1920, elle connaît le vent d’optimisme internationaliste qui souffle à Genève (on parle alors de l’ « Esprit de Genève », cœur d’un monde pacifié) et apprécie certainement les initiatives d’hommes d’Etat authentiquement engagés pour la paix comme Briand ; elle apprend l’espéranto et l’enseigne ; elle est active dans les milieux de l’éducation nouvelle (Institut Rousseau, Bureau international d’éducation) ; dans les milieux associatifs en faveur de l’objection de conscience et de l’instauration d’un service civil en Suisse ; dans les associations féminines pour la paix ; elle est une dmiratrice de Gandhi… On renverra les élèves intéressés vers la postface. a

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Pacifisme vs bellicisme: Comment les courants pacifistes ont-ils réagi face au bellicisme fasciste ? Qu'est-ce que le bellicisme? Quatre documents en guise d'illustration: 1. Mussolini: l'intérêt de la guerre 2. La célébration du 10e anniversaire de la fin de la guerre à Rome 3. Hitler: la théorie de "l'espace vital" 4. L'éducation militariste japonaise: documentaire Le sac de Nankin (réal. Serge Viallet), http://www.youtube.com/watch?v=JBmiELxLwbE (3 min., de 25'03'' à 28'27'') 1. Guerre et paix selon Mussolini "La philosophie du fascisme (...) ne croit pas plus à la possibilité d'une paix perpétuelle entre les nations. C'est en ce sens que le fascisme rejette le pacifisme bêlant, lâche renoncement à la lutte et au sacrifice. Seule la guerre permet de libérer totalement les énergies humaines et de donner ses lettres de noblesse aux peuples qui ont le courage et les vertus nécessaires pour l'affronter (...). Le slogan orgueilleux des squadristes : Me ne frego ! (Je m'en fous!), inscrit sur le bandage d'une blessure (...) c'est aussi l'éducation au combat, l'acceptation des risques qu'il comporte : c'est un nouveau style de vie italien (...). Le fascisme affirme l'inégalité irrémédiable et féconde entre les hommes." Extraits de l'article « Fascisme » de L'Encyclopedia italiana (1932), rédigé par Mussolini 2. Défilé des "Balilla" le 27 mai 1935, lors des célébrations du 20e anniversaire de l'entrée en guerre de l'Italie (source : http://kids.britannica.com)

Les élèves remarqueront la jeunesse des "soldats" qui défilent (des Balilla bien entraînés !), l'allure martiale du chef qui passe les troupes en revue, les circonstances de ces célébrations (en général, on commémore la fin d'une guerre), le décor "impérial" qui rappelle le glorieux passé de Rome… L'Italie

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fasciste s'apprête à conquérir l'Éthiopie (octobre 1935, mais les préparatifs de guerre commencent dès 1932).

3. Hitler: la théorie de "l'espace vital"

"Nous autres nationaux-socialistes nous devons nous en tenir d'une façon inébranlable au but de notre politique extérieure : assurer au peuple allemand le territoire qui lui revient en ce monde. Et cette action est la seule qui devant Dieu et notre postérité allemande, justifie de faire couler le sang (...).

Le territoire sur lequel les vigoureux enfants des générations de paysans allemands pourront un jour se multiplier, justifiera le sacrifice de nos propres enfants et absoudra les hommes d'Etat responsables, même persécutés par leur génération, du sang versé et du sacrifice imposé à notre peuple. (...) Aucun peuple ne possède ici-bas un seul mètre carré de territoire en vertu d'une volonté ou d'un droit supérieurs. Les frontières de l'Allemagne sont des limites fortuites et momentanées au cours de l'éternelle lutte politique ; il en est de même des frontières délimitant l'habitat des autres peuples. (…)

Les limites des États sont le fait des hommes et sont changées par eux. Le fait qu'un peuple a réussi à acquérir un territoire excessif ne confère nullement l'obligation supérieure de l'admettre pour toujours. Il démontre tout au plus la force du conquérant et la faiblesse du patient. Et c'est dans cette seule force que réside le droit. Si aujourd'hui le peuple allemand, parqué sur un territoire impossible, marche vers un avenir déplorable, ceci n'est pas un arrêt du destin et le fait de s'insurger ne constitue pas davantage une violation de ce destin. (...)

Le droit au sol et à la terre peut devenir un devoir, lorsqu'un grand peuple paraît voué à la ruine, à défaut d'extension. Et tout particulièrement quand il ne s'agit pas d'un quelconque petit peuple nègre, mais de l'Allemagne, mère de toute vie, mère de toute la civilisation actuelle. L'Allemagne sera une puissance mondiale, ou bien elle ne sera pas. Mais, pour devenir une puissance mondiale, elle a besoin de cette grandeur territoriale qui lui donnera, dans le présent, l'importance nécessaire et qui donnera à ses citoyens les moyens d'exister."

A. Hitler, Adolf, Mein Kampf (1924-25), trad. fr. Paris, 1934, p. 650-652

Comment les courants pacifistes ont-ils réagi face au bellicisme fasciste ?

Il a été pour ces mouvements un facteur de division profonde, cf. R. Rémond. Pour l’illustrer, on pourra partir de ces deux sources. 1) Le télégramme envoyé par Romain Rolland et deux autres membres du nouveau Comité mondial de lutte contre la guerre et le fascisme) aux représentants français et anglais à la conférence de Munich : « Nous sommes convaincus nous faire interprètes tous défenseurs de la paix dangereusement menacée, en demandant aux gouvernements français et anglais obtenir immédiatement accord puissances démocratiques pour empêcher par union étroite et mesures énergiques attentat perpétré par Hitler contre indépendance et intégrité Tchécoslovaquie et par conséquent paix européenne. » 2) L’écrivain Jean Giono, partisan d’un pacifisme intégral, adresse à son tour un message à Chamberlain et Daladier : « Contrairement affirmations télégramme Romain Rolland sommes assurés immense majorité peuple français, consciente monstruosité guerre européenne, compte sur

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l’union étroite gouvernements français et anglais, non pour entrer dans cercle infernal mécanismes militaires, mais pour résister à tout entraînement et pour sauver la paix par tout arrangement équitable, puis par grande initiative en vue nouveau statut européen aboutissant à la neutralité Tchécoslovaquie ». (télégrammes cités dans L. Gayard, Les intellectuels face à l'événement, lisible sur google books). Après une mise en contexte, on pourra conclure sur des extraits du bon documentaire sur « Les dessous des accords de Munich », de Christine Rütten, ARTE, 2008 :

http://www.youtube.com/watch?v=nwu_6oHylog