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Pourquoi avoir travailléavec Jérôme Fourquet,directeur du départe-ment Opinion de l’Ifop,

sur ces affirmations de respon-sables politiques,militants d’ex-trême droite et éditorialistes quiétablissent un parallèle entre lasituation actuelle des attentatset la guerre d’Algérie ?L’idée était que face à la placede plus en plus forte de cetteanalogie dans la bouche d’unZemmour, d’un De Villiers, deMarion Maréchal Le Pen, d’unRioufol, professionnels du buzzpolémique, la seule manière in-telligente de répondre était delesprendrepar la rationalité sansêtredansundébatmoral ouéthi-que.Onadoncdécidé de répon-drepar les faits en travaillant surles archives pour montrer queleurs arguments sont empirique-ment faux. C’est le test de la lu-mière pour le vampire. Leurssaillies ne supportent pas la lu-mière historique des faits.

Alors selon vous, pourquoicomme l’indique votre titre : lanouvelle guerre d’Algérien’aura pas lieu ?Tout est différent. Sur le fan-tasmede la guerre civile encom-parant aujourd’hui avec ladeuxième partie de la guerred’Algérie. On a sur l’Hexagone150 000 cotisants pour les ré-seaux du FLN sur 380 000 Algé-riens présents enmétropole. Lapénétrationdes réseauxduFLNest sans aucunemesure avec lapénétration de Daesh au-jourd’hui.

« Comparé lesattentats de Daeshet ceux du FLN,c’est comparerVercingétorixet Himmler »Du côté de l’OAS et comme lemontrent les archives des servi-ces du renseignement, l’arméeet la police elle-même ont uneforte pénétrationdes réseauxdel’OAS.Aujourd’huiDaeshn’apaspénétré à cedegré-là par l’arméeet la police française. L’extrêmedroite n’a ni les réseaux activis-tes organisés de l’époque, ni de

pénétration dans la populationou dans les secteurs de l’État.Sur toutes ces questions de l’ap-pareil d’État, des réseaux, del’opinion publique, on n’est pasdans la même situation au-jourd’hui. On n’a même pas lesmêmesstratégiesde frappes. Lesattentats du FLN visent l’appa-reil d’État, la police et les sitesdeproductionet les actesde tue-ries demasse ne sont imaginéesque par une frange de l’OAS quivont s’opposer par exemple auxcollecteurs de fond pour quicette stratégie est profondémentcontre-productive. Comparer lesattentats de Daesh et ceux duFLN, c’est comparer Vercingé-torix et Himmler.

Ce que vous dites aussi dansce livre, c’est que le personnelpolitique et les éditorialistesn’utilisent pas des analogiesentre ces deux périodes alorsqu’elles pourraient être plutôtpertinentes mais iraient àcontre-courant des véritésqu’ils assènent ?Tout à fait. Il y a deux exemplescriants. Toutd’abordconcernantl’OAS. Nous publions dans le li-vre une carte des attentats del’OAS àpartir dumoment où onaune territorialisation des actesterroristes en1961. Lebutde l’or-ganisation est bien un bascule-ment de l’opinionnationale, nonune simple fragilisation de l’ap-pareil d’État ou un impact surl’appareil technostructurel con-centré dans la capitale et ses en-virons. Lesnationalistes françaistraduisent dans les faits le slo-gan peint de mur en mur :« L’OAS frappe où elle veut,quand elle veut ». À cet égard, iln’est pas anodinque, dans les en-quêtes d’opinion d’aujourd’hui,le différentiel en termes de per-ception de l’état de guerre entreles seniors et les générations sui-vantes aient sensiblement dimi-nué après les attentats dejuillet 2016 commis en province(Nice, Saint-Etienne-du-Rouvray,Magnanville).Lamenace s’étendant sur tout leterritoire, on a un basculementde l’opinion des seniors car ilsretrouvent une violence qui leurréveille les souvenirsde la guerrecivile.

Un autre exemple caricatural,c’est l’exemple de l’internementdes fichés S. On a des bilansdans la périodede la guerred’Al-gérie, que ce soit chez les parti-sans de l’Algérie française ouchez les nationalistes algériens.On a des bilans, on a des prati-ques.Onpourrait dire si l’interne-ment est efficace oune l’est pas.Il faut dire que ça ne plaide paspour leurs causes.

« Pourquoil’exemple desinternementspendant la guerred’Algérie n’est pasévoqué ? »Ces internements autoritaires,simplistes et liberticides sontdesfiascos sécuritaires car ils per-mettent à ces réseauxde s’orga-niser. La prison devenant descentres de formation idéologi-queetpolitique. Jen’ai pas lapré-tention de dire comment faireaujourd’hui mais si on avait re-gardéunpeu l’histoire, on auraitpu éviter de perdre du temps.D’ailleurs, sur les quartiers déra-dicalisés, l’État amis un anpourse rendre compte de son erreuret de les défaire.

Selon des chiffres que vouspubliez, vous montrez quemalgré l’ampleur des attaques,l’esprit de vengeance desFrançais n’est pas aussi fortque cela ? On remarque aussique le ressentiment enversl’islam n’a pas bougéentre 2010 et 2016 *?L’islamophobie est un produitidéologique extrêmement fort etextrêmement répandu. Maismine de rien, cela se répandmoins après la vagued’attentatscomme on aurait pu l’imaginer.On a un gros pic de violencesanti-musulmans après le 7 jan-vier 2015. Certes toute violenceest de tropmais elles sont conte-nues et même descendantesaprès le 13 novembre et les at-tentats de Nice.

Si cette réponse n’est pas fortede la part des Français, cesderniers en appellent à uneréaction plus forte de l’État ?

Clairement. Toute réponse quiconsiste à frapper les terroristesest validée. Jérôme Fourquetmontre au travers des enquêtesd’opinionunedemandehégémo-nique sur l’internement des fi-chiers S ou même l’usage de latorture pour les personnes sus-pectéesde terrorismequi est plé-biscité. Cela prouve encore quel’on n’est pas dans la guerre ci-vile car en réponse au terro-risme, c’est l’État qui a lemono-polede la violence légitimesur leterritoire. Il n’y a pas comme en1957-1962 l’idée d’un contre-ter-rorisme.Onvoit bien que les dis-cours de Zemmour et de Riou-fol, qui ont unevraie pénétrationdans l’opinion, ne tiennent pasune seconde.

Recueillis par Julien Marion➤ * 13 terroristes entre 2012et 2016 en France sont d’origine al-gérienne.➤ ** À la question : diriez-vousqu’aujourd’hui les musulmans et lespersonnes d’origine musulmanesont bien intégrés dans la sociétéfrançaise ? 68% disent non en dé-cembre 2010. Ce chiffre est équiva-lent en avril 2016.

POLITIQUE. L’historien PerpignanaisNicolas Lebourg publie La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu où il analyseles discours d’une partie de la classe politique comparant la période actuelle et celle de l’Algérie des années 1954-1962.

« La France d’aujourd’hui n’a rien à voiravec celle durant la guerre d’Algérie »

Toutunparagraphedece livrede la Fondation Jean Jaurèsconcerne laproblématiquede

la soi-disant « submersion ». Unthème historiquement porté parl’extrême droite mais qui depuisplusieursmois est repris aussi parune partie des élus républicainsavec comme point d’orgue le faitque le compte Twitter officiel ducandidat (LR) à la présidentielleFrançoisFillonaaiméuntweetsurla « rémigration ». Alors quel lienentre la guerre d’Algérie et cettethéorie du grand remplacement ?Pour Nicolas Lebourg, « les pro-phéties de guerre raciale à l’inté-rieur des sociétés multiethniquesnedatent pasd’hiermais elles sontpassées des marges au cœur dudispositif politico-médiatique.Ainsi, « Nationalité » entre dans

le dictionnaire en 1835, « immi-gration» en 1876 , «Racisme » en1932mais on trouveunepremièreoccurrence en 1892 chez un pam-phlétaire qui craint la submersionraciale des Français du Nord, desouche gauloise, par ceux duSud,de souche Latine. En Algérie, lescolons et leurs descendants met-tent en place entre 1900 et 1945tout un champ lexical de péjora-tion des autochtones encore enusage dans le vocabulaire raciste.La seule péjoration raciste nova-trice depuis l’époque coloniale, c’est« Muzz » après les attentats du11 septembre 2001 et qui renvoieà la dimension religieuse de l’Is-lamquin’existe pas dans l’Algériecoloniale. Tous ces thèmes de lasubmersion renvoient égalementà la question de la guerre d’Algé-

rie avec la façon très particulièredont l’espace était territorialisé demanière ethnique. Je sais bien quecela peut heurter quelques pieds-noirs qui diront que les popula-tions étaient toutes mélangéesmais ce n’était pas vrai. Il y avaitune géographie particulière dansl’Algérie coloniale. Ces thèmes-làde l’angoisse sont ceux sur lesquelss’appuient Zemmour, De Villiers.Ce qu’il ne faut pas oublier, c’estque la première personne à parlerde ça, c’est René Binet, trotskisteentré dans la waffen SS qui meten avant après la seconde guerremondiale cette idée d’un grandremplacement essaimédans toutel’extrême droite européennemaissur une thématique antisémite etsur son fantasme d’une dictaturemondialiste.Après2001, cette théo-

rie s’écroule pour se substituer àcette thématiquedugrand rempla-cement démographique, culturel etreligieuxde l’Orient sur l’Occident.On l’a vudernièrement àCoblenceenAllemagne où le parti de droitesouverainiste de l’AFDs’est radica-lisé sur ces questions-là en deuxans à une vitesse extraordinairepour sepositionner clairement au-jourd’hui à l’extrême droite. Onvoit bien en Allemagne que l’ex-trêmedroite ne pouvait se dévelop-permais pour la première fois ona un début de cristallisation d’unparti d’extrême droite en Allema-gne parce qu’il est sur les thèmesdu néopopulisme, la défense del’Europe contre l’orientalisation.C’est une vague de fond culturelavec unmythe fondateur qu’est lethème du grand remplacement ».

L’Algérie coloniale et le mythe du grand remplacement

◗ Pour l’historien Perpignanais NicolasLebourg, les analogies proférées par ladroite et de l’extrême droite entre laFrance d’aujourd’hui et la situation enmétropole durant la guerre d’Algériene résistent pas à une analysehistorique et détaillée des faits. PhotoThierry Grillet

Martial Bild, ancien cadre du Front national etfondateur du Parti de la France déclare surTwitter après l’assassinat au nom de l’Étatislamique du prêtre Jacques Hamel : « Il vafalloir accepter de vivre la guerre d’Algérie surnotre sol français. Et ne pas rester désarmésphysiquement et moralement ».Éric Zemmour, journaliste et éditorialiste sur lachaîne d’information LCI le 12 septembre2016 : «Nous sommes dans la revanche de laguerre d’Algérie ».Guillaume Peltier, ancien du Front nationalaujourd’hui chez les Républicains publie uncommuniqué de presse le 23 mars 2016 enreprenant les stratégies de la contre-insurrection durant la bataille d’Alger :«Combien de Molenbeek dans nos caves, nosbanlieues, nos campagnes tranquilles ? Àquand la fin de décennies d’impunité ? Àquand le nettoyage méthodique et militairedes foyers de haines qui gangrènent notrepays ? ».Claude Goasguen, député-maire Républicainsdu XVIe arrondissement de Paris affirme à latélévision en septembre 2016 : « Nous avonsun problème avec les Maghrébins,incontestable. Cette affaire de la guerred’Algérie a été très mal perçue par lacommunauté musulmane maghrébine de latroisième génération, mais aussi par certainsFrançais. Elle ressort ».Robert Ménard, maire de Béziers soutenu parle Front national : « Colonisation depeuplement, disait-on de la présencefrançaise en Algérie. Il faut parler aujourd’hui,en France, d’immigration de peuplement,d’immigration de remplacement. Noussommes ici pour dire tout cela à ceux quiarmaient le bras des assassins, des bourreauxdes Français d’Algérie. Des assassins, desbourreaux qui nourrissent encore aujourd’huiune haine à l’égard de la France, de sesvaleurs, de son histoire, de ses combats, de sacivilisation ».

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