15
 Diogène n° 214, avril-juin 2006.  À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  par JANUSZ K. KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI Il n’existe pas une relation directe et constante entre les aspects anthropologique et culturel de la modernité. Les populations an- thropologiquement modernes montrent une certaine hétérogénéité qui n’est pas sans relation avec les populations précédentes, et la culture produite par des Hommes modernes, également hétéro- gène, se différencie du point de vue diachronique et territorial. Bien que les recherches paléogénétiques semblent nous indiquer une source unique et africaine des populations modernes, ayant remplacé les populations pré-sapiens  en Eurasie, ce point de vue n’est pas totalement prouvé ou accepté. En revanche les recherches paléogénétiques ont contribué à l’abandon de l’hypothèse d’une « continuité totale  », mult irégi onal e, des popul ation s local es pré- modernes dans l’Ancien Monde. En effet, il semble que l’hypothèse d’un remplacement partiel, par une migration « Out of Africa  », devient de plus en plus plausible. Cette hypothèse implique des échanges, aussi bien génétiques que culturels, entre les popula- tions modernes et pré-modernes.  Aspects anthropologiques Les trouvailles de restes humains fossiles démontrent que les plus anciens spécimens d’Hommes modernes proviennent d’Afrique méridionale (110-90 000), centre-orientale (160-130 000 BP) et pro- bablement du Maghreb (160-130 000 ?). Les Hommes modernes du Proche-Orient sont un peu plus récents, mais leur « modernité  » taxonomique est discutée à différents niveaux (Tillier, ce volume). C’est au Proche-Orient que l’on observe le plus tôt la coexistence des populations modernes et néandertaliennes sur une durée com- prise entre 60 et 40 000 BP. Contrairement à ce que l’on constate en Afrique et au Proche- Orient, les populations modernes arrivent en Europe relativement tard, entre 45 et 35 000 BP. Elles y rencontrent les Néandertaliens avec lesquels elles coexisteront pendant un temps d’une durée dif- féremment évaluée – de quelques millénaires à plus de 10 000 ans  – en raison de la difficulté à établir une chronol ogie absolue pour cette période. Indépendamment de cette question, on peut envisa- ger une interaction biologique et culturelle entre les Néanderta-    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o   -   -   -    8    6  .    7    4  .    1    2    4  .    8    2   -    1    3    /    0    5    /    2    0    1    3    1    5    h    5    5  .    ©    P  .    U  .    F  . D m e é é g d s w c r n n o 8 7 1 8 1 0 2 1 ©

À La Recherche de l'Origine de La Modernité

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 1/14

 Diogène n° 214, avril-juin 2006.

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINEDE LA MODERNITÉ

 par

JANUSZ K. KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI

Il n’existe pas une relation directe et constante entre les aspectsanthropologique et culturel de la modernité. Les populations an-thropologiquement modernes montrent une certaine hétérogénéité

qui n’est pas sans relation avec les populations précédentes, et laculture produite par des Hommes modernes, également hétéro-gène, se différencie du point de vue diachronique et territorial.

Bien que les recherches paléogénétiques semblent nous indiquerune source unique et africaine des populations modernes, ayantremplacé les populations pré-sapiens en Eurasie, ce point de vuen’est pas totalement prouvé ou accepté. En revanche les recherchespaléogénétiques ont contribué à l’abandon de l’hypothèse d’une« continuité totale  », multirégionale, des populations locales pré-modernes dans l’Ancien Monde. En effet, il semble que l’hypothèsed’un remplacement partiel, par une migration «

 

Out of Africa 

 »,devient  de plus en plus plausible. Cette hypothèse implique deséchanges, aussi bien génétiques que culturels, entre les popula-tions modernes et pré-modernes.

 Aspects anthropologiques

Les trouvailles de restes humains fossiles démontrent que lesplus anciens spécimens d’Hommes modernes proviennent d’Afriqueméridionale (110-90 000), centre-orientale (160-130 000 BP) et pro-bablement du Maghreb (160-130

 

000 

?). Les Hommes modernes duProche-Orient sont un peu plus récents, mais leur « modernité  »taxonomique est discutée à différents niveaux (Tillier, ce volume).C’est au Proche-Orient que l’on observe le plus tôt la coexistencedes populations modernes et néandertaliennes sur une durée com-prise entre 60 et 40 000 BP.

Contrairement à ce que l’on constate en Afrique et au Proche-Orient, les populations modernes arrivent en Europe relativementtard, entre 45 et 35 000 BP. Elles y rencontrent les Néandertaliens

avec lesquels elles coexisteront pendant un temps d’une durée dif-féremment évaluée – de quelques millénaires à plus de 10 000 ans – en raison de la difficulté à établir une chronologie absolue pourcette période. Indépendamment de cette question, on peut envisa-ger une interaction biologique et culturelle entre les Néanderta-

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 2: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 2/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  161

liens et les Hommes modernes. Par ailleurs la disparition desNéandertaliens fut sans doute plus tardive dans certaines zones-refuge : le sud de la Péninsule ibérique, le nord des Balkans et la

Crimée (d’Errico et Sanchez Goñi 2003 

; Jöris et al. 2003).En tenant compte du fait que la présence néandertalienne n’est

attestée que dans la partie occidentale de l’Eurasie occidentale, lespopulations pré-modernes d’Asie méridionale et orientale dérive-raient donc plutôt de l’Homo erectus. Pour certains auteurs, cespopulations qualifiées de « modernes archaïques  » (c’est le cas deDali et de Mapa en Chine, datés entre 180 et 120 000), procédantdirectement de la lignée de l’Homo erectus, ont pu éventuellementsubir une évolution vers des formes naines (cf. Homo floresensis) jusque vers 18 000 BP.

Indépendamment des populations locales dérivant de l’Homoerectus, le sud-est et probablement l’est asiatique voient surgir, auxenvirons de 40 000 (60 000 ?) des formes modernes, vraisembla-blement d’origine africaine, à l’exemple de l’Australie (Mungo). Lesinteractions biologiques et culturelles entre ces différentes popula-tions (dont la position taxonomique est encore mal définie) demeu-rent toujours très peu connues, d’autant que, dans le domaineculturel, la « modernité  » se manifeste faiblement dans l’est et lesud-est asiatique.

Figure 1. Position chronologique des formes anatomiquement modernes

par rapport aux formes pré-modernes (y compris les Néandertaliens)dans les différentes parties de l’Ancien Monde. La persistance des for-mes dérivant de l’Homo erectus dans le sud-est asiatique n’est pas priseen compte (y compris l’Homo floresensis).

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 3: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 3/14

162 JANUSZ K.  KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI 

 Approche paléogénétique

Comme nous l’avons dit, les données dues aux recherches géné-

tiques, aussi bien sur l’ ADN mitochondrial que, partiellement, surle chromosome  Y , ont été utilisées comme un argument fondamen-tal contre l’origine multirégionale des Hommes modernes, renfor-çant l’hypothèse d’une nouvelle migration (troisième vague) de cespopulations à partir de l’Afrique (Serre et al. 2004). Cette hypo-thèse de remplacement total, fondée sur la différenciation des li-gnées des populations actuelles à travers le monde, s’est trouvéerenforcée par les analyses  ADN des restes fossiles néandertaliens,considérés comme différents de toutes les lignées des populations

actuelles. Cependant, plusieurs questions restent posées sur larelation entre les lignées néandertaliennes et modernes (Weaver,Roseman 2005), d’autant que les certitudes concernant l’ ADN mito-chondrial des populations modernes fossiles, contemporaines desderniers Néandertaliens, sont pratiquement inexistantes, et que leplus ancien  ADN  fossile, provenant de la sépulture gravettienne dePaglicci et datant d’environ 25 000 BP (Giacobini, ce volume), pour-rait relever d’une contamination (Caramelli et al. 2003). Les autrestrouvailles sont encore plus récentes. Le développement phylogéné-tique des lignées actuelles pourrait donc être suivi jusque vers

25 

000 BP (Serre et al. 2004). Si les contacts et métissages avec lesNéandertaliens ont été plus anciens, la contribution des ces der-niers n’en fut que plus importante (Cooper et al. 2004).

Il faut encore souligner deux points concernant la faiblesse desarguments paléogénétiques. Le premier concerne la question de lareconstruction de « l’arbre phylogénétique  » des haplogroupes eu-rasiatiques, qui n’est pas toujours basée sur l’ensemble des séquen-ces de l’ ADN mitochondrial, et de leurs relations avec les voies depeuplement de l’Asie et de l’Europe. Il est particulièrement difficilede définir les liaisons entre les haplogroupes de l’Asie du sud-ouest

et du sud avec les groupes typiquement européens tels que H, I, U(Forster 2004 ; Herrnstadt et al. 2002) dont l’âge n’est probable-ment pas antérieur au Gravettien (25 000 BP).

Un deuxième problème est posé par « l’horloge paléogénétique  »,la datation de l’apparition et de la diffusion des groupes phylogéné-tiques, se référant à des modèles démographiques simples dont lachronologie est fréquemment calibrée à partir de données archéo-logiques. On est là confronté à un effet de cercle vicieux. Il a étéprouvé en outre qu’un même haplogroupe pouvait évoluer et sedifférencier à des vitesses inégales (Torroni et al. 2001).

L’hypothèse d’une extinction complète de la lignée néanderta-lienne n’est pas unanimement acceptée par les paléoanthropolo-gues. Certains restes fossiles d’Hommes modernes, par exemple lesrestes aurignaciens de Mladec, en Moravie, datés autour de 34-

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 4: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 4/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  163

32 000 (Wild et al. 2005), un des individus de la sépulture de laculture de Streletskaya-Soungir, en Russie (Alekseyeva éd. 2000),daté d’environ 28 000 et même l’enfant de la sépulture gravet-

tienne de Lagar Velho, au Portugal, encore plus récente (environ22 000), montrent quelques caractères primitifs, probablementdérivés des Néandertaliens (Trinkaus et Zilhão 2002).

Fig. 2. Carte de répartition des haplogroupes établis à partir de l’ ADNmitochondrial (d’après Forster, 2004) en rapport avec la répartitiongéographique des différentes entités culturelles. En Europe, seul leGravettien pourrait correspondre à la formation des plus anciens ha-plogroupes (après 30 000 BP).

La question du statut taxonomique des populations modernes etpré-modernes, en particulier des Néandertaliens, reste donc ou-verte : s’agit-il de différences interspécifiques ou intraspécifiques ?La reconstruction de « l’arbre phylogénétique  » des populations

modernes est aussi très lacuneuse en ce qui concerne, notamment,la séparation des haplogroupes, les bases de leur séparation etl’âge de leur apparition et/ou de leur migration.

Enfin, il faut souligner les risques méthodologiques liés àl’extraction de l’ ADN  des ossements fossiles ; si les résultats sont

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 5: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 5/14

164 JANUSZ K.  KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI 

trop proches de l’ ADN  des populations actuelles, on a tendance àsuspecter une contamination. Il résulte de cette approche critique,par ailleurs justifiée, qu’aucune analyse d’ ADN d’un fossile de pré-

sapiens proche de celle d’un Homme actuel ne sera acceptée sansréserve par les spécialistes.

Les recherches paléogénétiques de ces dernières années ontégalement participé à la connaissance de gènes spécifiques, res-ponsables de certaines activités du cerveau humain. Il s’agit no-tamment du gène MCPH1 (Microcéphaline), régulateur du volumedu cerveau (Evans et al. 2005), dont l’étude pourrait contribuer à laconnaissance des variations régionales de «  brain related »  phéno-types. Un autre exemple est fourni par l’étude de la mutation dugène FOXP2, responsable de certains aspects du langage articulé etde la structure grammaticale (Enard et al. 2002).

 Approche paléoenvironnementale

L’influence du milieu naturel, principalement des processusadaptatifs, sur l’évolution biologique et culturelle de l’Homme estlargement acceptée. Dans cette perspective on admet généralementune relation entre l’apparition et la diffusion des Hommes moder-nes avec des événements climatiques de portée générale. Les plusanciens restes paléoanthropologiques d’Hommes modernes en Afri-

que sont datés entre 180 et 160 

000 BP, ce qui correspond, en ter-mes d’évolution climatique, au début du stade isotopique 6 (MIS 6).Cette période est également marquée, sur ce continent, pard’importantes innovations technologiques (Barham 2002) que nousévoquerons dans le paragraphe suivant. Du point de vue paléocli-matique, elle se caractérise par une sécheresse croissante en Afri-que septentrionale – coïncidant généralement avec les périodesglaciaires d’Eurasie – qui se manifeste également en Afrique dunord et centre-orientale, où le taux d’accumulation des grains dequartz d’origine éolienne sur le fond marin atteint son maximumavant 140 000 BP (Thiede et al. 1982). Après le stade MIS  6 lesconditions deviennent beaucoup plus humides, surtout autour de130, 103 et 80 000, ce qu’enregistrent les diagrammes palynologi-ques correspondant aux stades MIS 5e, 5c et 5a (Lezine 1991). Il estdonc justifié de supposer que les caractères modernes apparaissentdans une période sèche et plus froide, et qu’elles sont un signed’adaptation à des conditions écologiques plus rudes.

Le moment de la première diffusion des Hommes modernes endehors de l’Afrique, que nous pouvons situer entre 120 et 90 000

BP , correspond en revanche à des améliorations climatiques quitransformèrent le nord-est de l’Afrique en savane, parsemée denombreux lacs dans l’actuel désert de l’ouest, riche en mégafaune,mais aussi en oiseaux et poissons (Kowalski et al. 1989). Ces condi-

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 6: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 6/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  165

tions perdurèrent probablement jusque vers 80-70 000 (Schild et al.1992), suivies d’une longue période d’aridité croissante. À l’inversede la mutation vers la « modernité biologique  », l’extension des

premiers Hommes modernes en dehors de l’Afrique serait donc liéeà des conditions climatiques plus favorables, qui facilitèrentl’occupation de la Méditerranée orientale.

 Au Proche-Orient, les conditions tempérées et humides corres-pondent bien au stade MIS 5e, pendant lequel les plages d’Enfean II

(Liban) ont été formées, auxquelles se superposent des couchescontenant les industries du type Tabun C, contemporaines despremiers Hommes modernes (Copeland et Moloney 1998). Plustard, quand les Hommes modernes s’installèrent au Proche-Orient,on observe une péjoration climatique correspondant au stade MIS 4,qui provoque l’élargissement des bandes arides autour de la Médi-terranée orientale. Ce n’est qu’au début du stade 3, après 50 000BP , que reviennent des conditions plus humides, mais probable-ment toujours assez froides (Goldberg 1986).

La diffusion de l’Homme moderne vers l’Europe correspond audébut du stade MIS 3, donc à une période d’instabilité climatiqueparticulièrement bien marquée par les courbes isotopiques del’Atlantique nord et du Groenland. Pour la période située entre 45et 35 000 BP, nous pouvons distinguer au moins six stades froids

(GS 13-8) séparés par 5 stades interstadiaires (GI 12-8) (Stuiver etGrootes 2000), dénommés « phases de Dansgaard-Oeschger  ». Ondistingue en outre des changements brutaux correspondant aux«  Heinrich Events » 5,4,3, marqués par les détériorations paléocli-matiques enregistrées dans les carottages de l’Atlantique par lesrestes de foraminifères polaires et bien contrastées avec les pério-des d’amélioration climatique. Notons surtout l’opposition entre« Heinrich 4  » et l’amélioration subséquente dite GI8 ; à ces phéno-mènes climatiques se superposent les fortes éruptions volcaniquesde l’Italie centrale qui ont produit les dépôts de tephra1 (ignimbrite

de la Campanie) dans tout le sud-est et l’est de l’Europe autour de40 000 BP. Ces phénomènes influencèrent fortement les conditionsde vie en Europe et furent à l’origine des déplacements de popula-tions et des variations démographiques (Giaccio et al., sous presse).

Des cartes paléogéographiques et paléophytologiques précisentla position de ces oscillations climatiques. Pour les phases tempé-rées («  warm type  D/O events » : Huntley et Allen 2003) les donnéespalynologiques suggèrent une mosaïque d’environnements subdivi-sés selon des axes nord-sud et est-ouest ; les phases froides («  coldtype  D/O  events »)  se répartissent, elles, en bandes latitudinales :

steppe dans le sud, steppe-toundra en Europe moyenne et désertpolaire sur la Grande Plaine de l’Europe du nord.

 

1. Tephra : produit pyroclastique composé de lambeaux de lave (NdlR).

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 7: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 7/14

166 JANUSZ K.  KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI 

Les oscillations paléoclimatiques du stade MIS 3, marquées pardes changements assez brutaux, permettent de concevoir un scéna-rio complexe du remplacement des derniers Néandertaliens par les

Hommes modernes. Plusieurs pulsations s’exercèrent sur la mosaï-que des environnements des Hommes modernes pendant les amé-liorations climatiques et réduisirent les aires occupées par lesNéandertaliens à des refuges pendant les phases de refroidisse-ment. Les différentes stratégies d’exploitation des milieux naturelspar les Hommes modernes et les Néandertaliens ont permis à cesderniers, indépendamment de la réduction du volume des popula-tions, de persister dans ces zones-refuge (par exemple dans le sudde l’Espagne), peu intéressantes pour les populations modernes(d’Errico et Sanchez Goñi 2003).

L’impact des conditions environnementales sur la diffusion desHommes modernes en Asie est encore trop peu connu pour êtrediscuté ici, de même que les conditions de la persistance des popu-lations pré-modernes sur ce continent.

Indépendamment de l’importance des conditions environnemen-tales au cours des différentes étapes de la diffusion des populationsmodernes, il faut sans doute donner raison à P. Mellars (2004), quisouligne que l’impact de l’environnement ne peut expliquer à luiseul les profondes différences entre le comportement des popula-

tions néandertaliennes et celui des Hommes modernes en Europe. Approche culturelle

Le remplacement des populations pré-modernes par les Hom-mes anatomiquement modernes coïncide généralement avec latransition entre le Paléolithique moyen, identifié avec les popula-tions pré-modernes (les Néandertaliens en Eurasie occidentale), etle Paléolithique supérieur, assimilé aux Hommes modernes. Cettephase transitoire fut interprétée, du moins en Europe, comme « larévolution leptolithique  ».

Un nombre important de caractères culturels sont communé-ment attribués aux Hommes modernes et considérés comme spéci-fiques du Paléolithique supérieur. Ces caractères, largement évo-qués par Ofer Bar-Yosef (ce volume), concernent :

 –  la technologie ; –  les stratégies de subsistance et d’exploitation du territoire ; –  la culture symbolique et l’art.

Dans le domaine de la technologie, signalons : –  la production de supports laminaires et la standardisation

croissante des formes d’outils de l’industrie lithique 

; –  l’utilisation de la matière animale dans la production des ou-

tils et des armes de chasse ; –  l’utilisation d’armatures en pierre pour la réalisation des ou-

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 8: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 8/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  167

tils et armes composites.

Dans le domaine des stratégies de subsistance et d’exploitation

du territoire, notons 

: –  la croissance de l’alimentation aquatique et végétale ; –  l’apparition de l’équipement nécessaire à la préparation des

aliments végétaux (meules, molettes, etc.) et la torréfaction desgraines ;

 –  la diversification des stratégies de chasse ; –  les premières formes de stockage des denrées alimentaires ; –  l’organisation spatiale systématique des sites selon les diffé-

rentes formes d’activités ; –  la systématisation de l’approvisionnement en matières pre-

mières minérales autochtones et allochtones, donnant lieu parfoisà une exploitation minière et impliquant des réseaux d’échanges àmoyenne et longue distance, également révélés par la quête decertaines espèces de mollusques.

Dans le domaine de la culture symbolique  et de l’art on cons-tate :

 –  l’apparition, parallèlement à d’éventuelles peintures corpo-relles, des objets de parure, probablement des marqueurs identitai-res du porteur ou des signes d’appartenance à un groupe ethnique ;

 –  

l’apparition de l’art figuratif mobile et pariétal mettant enœuvre différents procédés (gravure, peinture et sculpture) ; –  la présence de sépultures contenant un mobilier funéraire té-

moignant de rites funéraires complexes ; –  l’apparition des premiers instruments de musique (flûtes).

Toutes ces innovations n’apparaissent pas de façon synchroni-que ; elles ne constituent pas non plus l’attribut exclusif de la« modernité  » paléoanthropologique (biologique). En Afrique, nousobservons que certaines de ces innovations coïncident avecl’émergence de l’Homme anatomiquement moderne, mais d’autressont antérieures aux populations modernes

 

; dans tous les cas ellesapparaissent graduellement sans donner l’image d’une« révolution  ». Parmi ces innovations qui accompagnent les pre-miers Hommes modernes d’Afrique, dans le cadre du « MiddleStone Age  » (partiellement l’équivalent du Paléolithique moyend’Eurasie occidentale), notons avec McBrearty et Brooks (2000) :

 –  la technologie laminaire, bien qu’en Afrique elle soit anté-rieure aux premiers Hommes modernes (dans la formation de Kap-thurin, au Kenya, les premières lames apparaissent bien avant

280 

000 

: Tryon et McBrearty 2002), et que certaines industriesdues aux premiers Hommes modernes – par exemple, à Omo Ki-bish, en Éthiopie – montrent un usage de la technologie Levalloisassociée à des outils bifaces hérités de l’Acheuléen ;

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 9: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 9/14

168 JANUSZ K.  KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI 

 –  l’utilisation de colorants minéraux, probablement pour lapeinture corporelle, attestée en Zambie et au Kenya (Barham2002) avant 280 000 BP , donc dans le contexte des Homo sapiens

archaïques, dont les meules nécessaires à leur mouture apparais-sent bien avant 200 000 BP ;

 –  l’élargissement des stratégies de subsistance à la pêche et lacollecte de mollusques, qui ont pu jouer un rôle important dansl’évolution biologique du cerveau, se confirme chez les premiersHommes modernes africains, tout particulièrement en Afrique dusud entre 140 et 90 000 BP, de même que la confection d’armes etd’outils en os constitue un phénomène typiquement africain (en Afrique orientale et méridionale ce type d’objet, notamment lesharpons, se constate entre 80 et 70 000), tandis que les premièressagaies n’apparaissent en Europe qu’autour de 40

 

000 et les pre-miers harpons vers 14 000 BP ; il est également établi que les mi-crolithes géométriques, utilisés comme armatures de projectiles etd’outils composites, apparaissent en Afrique autour de 70 000 BP,40 000 environ avant qu’on n’en trouve en Europe ;

 –  les motifs gravés abstraits (s’agit-il de systèmes de notation ?)attestés en Afrique méridionale entre 90 et 100 000 BP et les objetsde parure (coquilles perforées, perles en œuf d’autruche) présentsdans la même région entre 60 et 40 000 BP confirment, à cet égard,

l’antériorité de l’Afrique sur l’Europe, contrairement à l’art figura-tif peint sur plaquette, dont les plus anciens témoignages africainsne sont pas antérieurs à 28 000 BP  (grotte Apollo 11, en Namibie : Vogelsang 1998).

En Afrique, les innovations liées à la « modernité  » s’étalentdonc dans le temps, sur une période comprise entre 280 et 70  000BP, pendant laquelle les Homo sapiens archaïques évoluèrent versles premiers Hommes anatomiquement modernes. À l’exception del’art figuratif, ces innovations surviennent plus précocement qu’enEurope et s’inscrivent dans le cadre chronologique du « MiddleStone Age

 

 » (MSA) qui ne constitue pas un équivalent exact du Pa-léolithique moyen d’Eurasie occidentale. Le début du MSA pourraitcorrespondre à celui du Paléolithique moyen européen et, du pointde vue technologique, il représente un stade similaire (bifaces,technique Levallois), mais son stade final et le passage au « LateStone Age  » (LSA) sont nettement postérieurs à la transition Paléo-lithique moyen/supérieur observée en Europe. Le LSA correspon-drait davantage, chronologiquement et plus encore technologique-ment (mode de production lamellaire), à l’Épipaléolithique

d’Eurasie. Au Proche-Orient, nous pouvons également constater

l’antériorité de quelques indices de « modernité  » par rapport àl’Europe, bien qu’ils demeurent plus rares qu’en Afrique ; ce sont :

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 10: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 10/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  169

 –  la technique laminaire, très précoce au Proche-Orient, qui re-monte à 200-250 000 (par exemple : l’Hummalien de Syrie) et pré-cède l’apparition des premiers Hommes modernes, mais ne figure

pas dans le répertoire technologique des Hommes modernes deSkhul et de Qafzeh ;

 –  le travail de l’os, assez tardif comme en Europe, survientaprès 40 000 ;

 –  les emmanchements des pointes de projectile apparaissent en-tre 100 et 40 000, mais il est difficile de distinguer s’ils s’inscriventdans un contexte propre aux Hommes modernes et/ou aux Néan-dertaliens ;

 –  les structurations des sols d’habitats et les foyers sont connusau Proche-Orient avant 100 000, mais, là aussi, on ne peut les at-tribuer à coup sûr aux Hommes modernes ou aux Néandertaliens(à Kebara il pourrait s’agir de Néandertaliens) ;

 –  les motifs géométriques gravés apparaissent aux environs de90 000 dans un contexte mettant en cause des Hommes modernesà Qafzeh ; en revanche, à Quneitra, vers 60 000 BP (d’Errico et al.2003), les lignes gravées sont peut-être l’œuvre des Néanderta-liens ;

 –  les sépultures apparaissent aussi bien chez les Néanderta-liens que chez les Hommes modernes ;

 –  

les premiers objets de parure – coquilles perforées – présentesau Proche-Orient entre 50 et 40 000, dans un contexte leptolithi-que, sont sans doute dues à des Hommes modernes ;

 –  l’art figuratif, très rare, se manifeste probablement après30 000 BP (galet gravé de Hayonim D) ;

En Europe, certains éléments culturels de la « modernité  » ap-paraissent chez les Néandertaliens. Il s’agit de la technologie lami-naire, des techniques d’emmanchement des armes de jet, des ré-seaux à longue distance pour l’approvisionnement en matièresminérales, tout particulièrement en Europe centrale, mais qui neconnaissent pas l’intense développement des circuits parcourus auPaléolithique supérieur, de la structuration fonctionnelle des sites,de l’utilisation de colorants, de quelques rares cas d’incisions ou demotifs abstraits gravés sur l’os ou la pierre, et de rares objets deparures (Arcy-sur-Cure, d’Errico et al. 2003). Ces comportementssont l’effet de la dynamique évolutive propre aux Néandertaliens,n’entrant parfois que plus tardivement dans les habitudes desHommes modernes, durant la phase moyenne du Paléolithiquesupérieur (Kozlowski 1990). Les autres signes de « modernité  »

appartiennent toutefois aux Hommes modernes. Notamment 

: –  le développement des techniques lamellaires et l’utilisationdes outils composites ;

 –  la standardisation des outils sur support laminaire ;

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 11: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 11/14

170 JANUSZ K.  KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI 

 –  l’exploitation des ressources végétales au moyen d’un équipe-ment adapté (meules, bassins en argile cuite pour la torréfactiondes graines) ;

 –  

le développement des stratégies de chasse et la diversificationdes méthodes en fonction du gibier convoité ;

 –  le stockage des aliments ; –  l’usage généralisé des objets de parure corporelle (préférence

marquée pour les dents en Europe moyenne, pour les coquillesdans le sud) ;

 –  l’art figuratif (sculpture, gravure, peinture) assez différencié ; –  les sépultures complexes avec mobilier funéraire.La présence de tous ces caractères est bien attestée dans les

complexes leptolithiques dont la formation est aboutie. Notonsaussi qu’avec l’émergence de ces caractères apparaissent des unitéstaxonomiques distinctes, territorialement limitées, qui pourraientcorrespondre à des entités ethniques.

La situation en Asie méridionale et orientale diffère de la situa-tion européenne. Plusieurs innovations se manifestent plus tardi-vement ou demeurent absentes. À cet égard, l’émergence de latechnique laminaire et lamellaire apparaît de manière complexedans l’espace et le temps :

 –  en Asie Centrale, Sibérie méridionale, Mongolie et Chine sep-

tentrionale, on observe, entre 40 et 30 

000, une production lami-naire dérivant du fond technologique Levallois, probablement in-troduit du Proche-Orient ;

 –  la technique lamellaire propre à l’est asiatique – obtenue àpartir du nucléus gobien – n’apparaît pas avant 30 000 BP ; à Chai-si, dans la vallée de Fen Huang, elle est datée de 26 000 BP (Hou1998), à Xiachuan de 23-16 000 (Wang, Wang et Chen 1978). Bienque certains chercheurs chinois attribuent l’origine de cette techni-que à la très ancienne tradition des nucléus du type Donguto ap-partenant au Paléolithique inférieur (Hou 2005), cette hypothèsene semble pas justifiée, tant pour des raisons technologiques, quepour une invraisemblable filiation culturelle depuis le Pléistocènemoyen jusqu’au Pléistocène supérieur.

Il faut en outre souligner que la fabrication des outils et armesen os (y compris les harpons) ne se manifeste que tardivement, parexemple dans les sites des plateaux de Xiaogushan (Huang et al.1986), dont les datations s’inscrivent probablement entre 23 et16 000 (certains auteurs proposent des dates comprises entre 40 et30 000). Quant à la production des objets de parure (perles), des

datations SMA2

  la situent entre 27-34 

000 BP dans la grotte supé-rieure de Zoukoudian (Huang 2000).

 

2. Spectromètre de masse par accélérateur (NdlR).

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 12: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 12/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  171

Toutes ces innovations sont postérieures à l’apparition des ob- jets de parure accompagnant les industries laminaires dérivées dela technique Levallois d’Asie centrale. C’est le cas à Kara Bom où

des dents percées ainsi que des colorants minéraux appartiennentaux horizons 5-6 datés entre 43 et 38 000 BP (Derevianko et Rybin2005), et de la grotte Denisova où les perles et les pendentifs enmatière dure animale (os, ivoire, dents de cheval), ainsi que lesaiguilles à chas et les perçoirs en os du complexe 11, datent de37 000 BP  (Derevianko et Shunkov 2005). Rappelons que l’originede ces groupes culturels de l’Altaï est probablement due à une mi-gration en provenance du Proche-Orient.

L’art figuratif, phénomène beaucoup plus récent, apparaîtrait,en Asie méridionale, à la fin du Pléistocène ou au début del’Holocène. En Australie l’on peut envisager la présence d’un artfiguratif et abstrait antérieur de quelques millénaires à ce que l’onconstate en Europe (Lorblanchet 1996), dans un contexte technolo-gique lithique assez « primitif   », dépourvu de la technique lami-naire qui ne surviendra pas avant la fin des temps glaciaires.

Fig. 3. Schéma chronologique des principales innovations attribuéesaux Hommes modernes dans les différentes parties de l’Ancien Monde.

Cette analyse des indices de « modernité  » sur les différents

continents nous conduit à affirmer qu’il n’existe pas un seul modèlede formation de la culture des Hommes modernes. Il ne fait aucundoute que la plupart de ces indices apparaissent plus tôt en Afri-que, mais selon un processus évolutif, non brutal, parfois antérieur

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 13: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 13/14

172 JANUSZ K.  KOZLOWSKI et DOMINIQUE SACCHI 

à l’émergence des Hommes modernes. En dehors de l’Afrique,l’ordre des innovations, tant chronologique que géographique, esttrès diversifié ; certains signes de « modernité  » reviennent aux

Néandertaliens d’Eurasie occidentale, alors que les populationspré-modernes d’Asie méridionale et orientale ne manifestent aucuncaractère « moderne  », qu’il s’agisse de la culture matérielle ouspirituelle, à l’exception, peut-être, de la technique du polissageutilisée pour la production de certains objets lithiques.

Dans le domaine culturel, les caractères de « modernité  » appa-raissent tantôt épisodiquement au cours de différentes périodes,tantôt en un bloc indicateur du «   fully fledged » paléolithique supé-rieur. Notons aussi que ces caractères s’entrecroisent avec les limi-tes des entités taxonomiques, généralement définies par leurs in-dustries lithiques et par la présence de «

 

fossiles directeurs 

 ». Larelation de ces entités taxonomiques avec les types paléoanthropo-logiques demeure complexe et rarement constante, à l’exceptionpeut-être de l’Aurignacien. En revanche, le Moustéro-Levalloisiendu Proche-Orient fournit un exemple d’une entité taxonomiquecorrespondant à différents types paléoanthropologiques : les Hom-mes modernes et les Néandertaliens.

Les entités taxonomiques contemporaines de la période de rem-placement des formes pré-modernes par les Hommes modernes se

divisent en quatre types 

: –  Le premier type regroupe celles qui procèdent directementd’entités plus anciennes, constituées avant l’apparition des Hom-mes modernes (par exemple, l’Acheuléen et certaines industries duMSA africain, le Moustéro-Levalloisien du Proche-Orient, les indus-tries à galets aménagés d’Asie méridionale, centrale et orientale, leMoustérien et le Micoquien européen, etc.).

 –  Le deuxième type rassemble les entités qui reflètent la dyna-mique évolutive propre aux populations pré-modernes (par exem-ple, les Néandertaliens) en dehors de l’Afrique ; dans ce cas, il

s’agit d’entités où apparaissent quelques signes de comportementsculturels modernes (par exemple le Châtelperronien, l’Uluzzien, leSzélétien, le Streletskien, etc.), bien qu’elles soient, dans certainscas, l’œuvre exclusive des Néandertaliens. Leurs airesd’occupation, territorialement limitées, sont connues comme« industries de transition  », puisque certaines d’entre elles ont sur-vécu à la disparition des Néandertaliens, mais elles jouèrent unrôle dans la genèse des entités de la phase moyenne du Paléolithi-que supérieur (par exemple, le Streletskien évolua vers le Soungi-rien et le Szélétien contribua probablement à la formation du Gra-

vettien). –  Le troisième type regroupe les entités apparues dans la mou-

vance des Hommes modernes, comme sous l’effet d’une évolutioninterne de ces milieux culturels ; c’est le cas des industries lami-

   D

  o  c  u  m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P

U

F

Page 14: À La Recherche de l'Origine de La Modernité

7/23/2019 À La Recherche de l'Origine de La Modernité

http://slidepdf.com/reader/full/a-la-recherche-de-lorigine-de-la-modernite 14/14

 À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA MODERNITÉ  173

naires dérivées du fond technologique levalloisien du Proche-Orient, dans une période située entre 50 et 40 000. Ces entités,distribuées sur un vaste domaine géographique, pourraient être le

fruit de la diffusion, par migration, des premiers Hommes moder-nes ; ainsi les industries laminaires dérivant de l’Emirien, qui re-présentent le Paléolithique supérieur initial (Otte et Kozlowski2001 ; Kozlowski 2004 ; Derevianko et Shunkov 2005), pourraientavoir atteint les Balkans (Bachokirien) et l’Europe centrale (Bohu-nicien), à l’ouest, et l’Asie centrale à l’est (Kara Bom et autres in-dustries similaires).

 –  Le quatrième type est représenté par le bloc des caractères« modernes  » attribués au Paléolithique supérieur ancien, commele Baradostien et l’Aurignacien d’Eurasie occidentale, qui résultentaussi bien du développement local du «

 

Paléolithique supérieurinitial  » que d’une diffusion par migration des Hommes modernes(voir par exemple les liens entre l’Ahmarien du Proche-Orient et leFumanien ou Protoaurignacien méditerranéen). Ce problème(« nouvelle querelle aurignacienne  », 1999-2000) n’est pas résolu, lemanque de précision chronologique du stade isotopique 3 interdi-sant de tracer les axes des éventuelles migrations.

Ces scénarios de la formation du Paléolithique supérieur eura-siatique diffèrent considérablement de l’évolution interne pendant

le « 

Middle Stone Age 

 » africain. Néanmoins, on peut constater, ausein de cette évolution, plusieurs phylums et épisodes, les uns ca-ractérisés par des traditions techniques plus anciennes (acheu-léenne, levalloisienne) et d’autres (par exemple, le faciès de Howie-sons Poort), définis par les innovations liées à la «  modernité  »culturelle (par exemple les techniques lamellaires, les microlithes,le travail de l’os, les objets de parure, etc.). En Afrique, ces innova-tions ne forment un « bloc  » complet que dans le « Late Stone Age  »,donc relativement plus tard qu’en Eurasie occidentale.

Janusz K OZLOWSKI et Dominique S ACCHI.(Université Jagellonne de Cracovie et CNRS .)

m  e  n   t   t   é   l   é  c   h  a  r  g   é   d  e  p  u   i  s  w  w  w .  c  a   i  r  n .   i  n

   f  o  -  -

  -   8   6 .   7

   4 .   1

   2   4 .   8

   2  -   1   3   /   0   5   /   2   0   1   3   1   5   h   5   5 .

   ©

   P .   U .   F .

D

m

e

é

é

g

d

s

w

c

r

n

n

o

8

7

1

8

1

0

2

1

©

P