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Scree Poetry magazine / Revue de poésie ~ Amelia Rosselli ~ 1930~1996 février 2016 Les éditions Solstices

Amelia Rosselli 2016 ~ revue Scree

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À l'occasion des 20 ans de la disparition de la poétesse italienne Amelia Rosselli (1930-1996), les éditions Solstices publient un numéro spécial de la revue multilingue de poésie "Scree", dirigée par Rodolphe Gauthier.

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Scree

Poetry magazine / Revue de poésie

~ Amelia Rosselli ~

1930~1996

février 2016

Les éditions Solstices

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Table des matières

Présentation.........................................................4Petite anthologie poétique...................................8

I ~ Premiers écrits (1952-1963)......................10My clothes to the wind................................12Cantilena.....................................................18Sanatorio 1954............................................24

II ~ Variations de guerre................................36Annexe : Espaces métriques.......................64

IV ~ Série hospitalière....................................75V ~ Document (1966-1973)............................80VI ~ Impromptu............................................118VII ~ Notes dispersées et perdues................127

Poesie........................................................128Appunti......................................................142

IX ~ Journal obtus........................................150Prime prose italiane..................................152Journal obtus (1968).................................160

X ~ Instinct de mort & instinct de plaisir chez Sylvia Plath...................................................169

Tadahiko Wada.................................................181Gabriella Sica....................................................186Série rossellienne..............................................193La Langue paternelle........................................205

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Présentation

Peu à peu la poésie d'Amelia Rosselligagne en visibilité en France.

Nous espérons contribuer à cet élan enoffrant ici un pannel, non pas exhaustif, maisreprésentatif de sa poésie.

Qu'on soit indulgent pour ce travail detraduction et d'édition mené seul, où sans doutequelques erreurs et coquilles auront échappé ànotre vigilence.

Pour l'italien, nous nous sommes référé àl'édition de Mondadori, L'opera poetica, qui est àpeu près l'équivalent de La Pléiade en France.

On s'étonnera souvent, surtout sansconnaissance préalable de la poésie de Rossellides étrangetés (altéritions/altérités) du texte. Cesont celles qu'affectionnait la poétesse et nousnous sommes évertué à les restituer en français.

Certains traducteurs optent (ou – dans lamesure où de nombreuses traductions sontinédites – auraient opté) pour un compromismoins périlleux, dans l'air d'un temps où lapoésie doit être claire et limpide,

mais nous sentirons que c'est justementpar la déviance, le détournement, l'écart, le jeu,le déplacement, la ruse, pafois même le

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sabordage et le sabotage (ce que Pasolini avait,un peu vite, résumé par le “lapsus” et quis'apparenterait davantage à une “altération”bataillienne) qu'Amelia Rosselli pratiquait lapoésie. Cette pratique profondément politique dela poétique, il n'était pas question de l'affaiblir.

Nous avons également renoncé à l'usagede notes pour justifier nos choix de traductionou commenter certains passages du texte : ellesauraient alourdi inutilement une publicationqui, de toute façon, n'a aucune vocationscientifique.

Toutes les photographies, splendides, sontde Dino Ignani.

Il a eu la gentillesse de nous permettre deles reproduire, qu'il en soit chaleureusement,amicalement remercié : rares sont les personnesaussi généreuses dans un milieu bien tropfermé.

Je remercie aussi Gabriella Sica pour sacontribution

et Takahido Wada pour le petit récit qu'ila, à notre demande, envoyé.

Nous nous sommes permis de joindre une

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petite série de poèmes inspirés par la lecture deRosselli. Nous aurions voulu que d'autres sejoignent à nous, mais notre appel est resté sansréponse.

Pour toute remarque, question oucommentaire, vous pouvez me joindre àl'adresse suivante :

[email protected]

Les textes publiés ici sont égalementdisponibles sur Internet :

www.rodolphe-gauthier.com/amelia-rosselli.php

Bonne lecture,

r-

La revue Scree est une revue multilingue de poésie éditée par Les éditions Solstices :

www.editions.solstices-project.com

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Amelia Rosselli & Antonio Pourcel

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Petite anthologie poétique

À l'occasion de la commémoration duvingtième anniversaire de la disparitiond'Amelia Rosselli (février 2016), nous proposonsici une petite anthologie de sa poésie.

Pour des questions de droits et pour desquestions évidentes de temps et de travail,quoique nous proposions des extraits desrecueils les plus importants, nous nous sommeslimités dans le nombre de textes.

Pour différentes raisons, nous neproposerons pas d'extraits de La Libellule(publié à l'origine dans Série hospitalière) ni duDiario in tre lingue (compris dans Premiersécrits).

Seul le recueil anglais Sleep (1953-1966)n'a pas trouvé sa place dans cette modestepublication.

Mais en plus des poèmes et des prosesextraits de :

~ Premiers écrits ;

~ Variations de guerre ;

~ Série hospitalière ;

~ Document ;

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~ Impromptu ;

~ Notes éparses et perdues ;

~ Journal obtus ;

nous avons joint l'article qu'AmeliaRosselli a consacré à Sylvia Plath, paru lapremière fois dans « Nuovi Argomenti », n.s. 67-68, juillet-décembre 1980 : « Instinct de mort etinstinct de plaisir chez Sylvia Plath », et qui estintéressant à plus d'un titre.

La plupart du temps, le texte en langueoriginale (le plus souvent italien, parfoisanglais) précède la traduction, mais cela nenous a pas paru nécessaire pour Espacesmétriques, deux textes du Journal obtus(« Journal obtus (1968 » et « Expériencesnarratives ») ni pour l'article sur Sylvia Plath.

En l'absence donc de ce vis-à-vis, le texte aété écrit directement en français.

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I ~ Premiers écrits (1952-1963)

Primi scritti (1952-1963) (Premiers écrits)a été publié chez Guanda en mars 1980.

Dix sections chronologiques (parfois anti-datées), où se rencontrent l'anglais, le françaiset l'italien :

~ My clothes to the wind (1952)

~ Cantilena. Poesie per Rocco Scotellaro(1953)

~ Sanatorio 1954

~ Adolescence. Exercices poétiques (1954-1961)

~ Prime prose italiane (1954)

~ Le Chinois à Rome (1955)

~ October Elizabethans (octobre 1956)

~ Dario in tre lingue (1955-56)

~ A birth (1962)

~ Palermo '63

Un recueil multilingue comme on n'entrouve que trop rarement (il faudrait évoquerplus longuement un autre poète italien, MicheleSovente).

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Influences, formes expressives de langage,détournements, néologismes, « barbarismes »,thématiques, ce ne sont pas des textes de« jeunesse » que nous lisons ici, mais desexpériences qui valent déjà celles des grandsrecueils.

Les poèmes en français, notamment, nesont pas juste des témoignages d'une jeunesseerrante ou des curiosités, ils ne sont pas les« écrits français » d'une poétesse italienne, maispeuvent être appréhendés et appréciés tels quelspar le lecteur francophone.

Cette anthologie, contre tout bon sens,s'ouvre sur un texte de jeunesse (Amelia Rossellia 22 ans) difficile et problématique, « My clothesto the wind ». Qu'on ne s'y fie pas pour se faireune idée du reste.

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My clothes to the wind

(1952 ~ fin du texte)

Careless of whats to be done now nothingholds my sides, she has swept out his promise,rolled it into a little parper bag, and gonemarketing. She has fed me senseless smallchange, brought me to the bank, had me countedand found the sum surplus. I put my hand softto touch his high grass. She cropped me out andsnapped m cradle shut. Now I live grey flesheduntil the psalms grow sound and waters wilderbrown with blacker fears and blacker lears atroot than it is clear for even I who cry and pryinto my bitten heart.

You heroine, you frozen potatoe, here weat the poignant moment and flat it drops, dryerthan a lady's senses four days after the bloodstarts flowing ! To double pad that worddelirium mention instead how the skies roaredin and pulled at your turning on the sheet, howthe criss-crossed streets clawed at tyour throatdigging out prejudice, the air so rarified youcould hear our holy father preach, – how someneedle or other got in the head and finallystopped the show after eight white nights.

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Mes vêtements au vent

(1952 ~ fin du texte)

Sans faire attention à ce qui doit être faitmaintenant rien ne se tient à mes côtés, elle abalayé de la main sa promesse, l'a enroulée dansun petit sac en papier, puis est allée faire descourses. Elle m'a nourrie moi petit changementinconscient, m'a amenée à la banque, m'a faitcompter et trouver le surplus de la somme. J'aiposé ma main doucement pour toucher seshautes herbes. Elle m'a recadrée et a refermésèchement le berceau. Maintenant je vis, la chairgrise, jusqu'à ce que le volume des psaumesaugmentent et que les eaux se fassent plussauvages marrons avec des peurs et des leurresplus noires à la racine pour que ce soit clairmême pour moi qui pleure et me niche dans moncœur amer.

Toi héroïne, toi pomme de terre gelée, nousvoilà au moment poignant et plat qui goutte, plussec que les sens d'une femme quatre jours aprèsque son sang a commencé à couler ! Pour doublerle rembourrage que le delirium de ce mondementionne plus que comment les ciels rugissentet soulèvent à ton passage les feuilles, commentles rues enchevêtrées te serrent à la gorgecreusant les préjugés, l'air si raréfié que tu peux

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I know of others who instead continued towatch the mirror menacing with pinkoutgrowths, a rabbit-like, till they themselvestoo were mad long-eared animals with no wishand power to leave off puddling down thatsecret fantastical hole ; as for me one look downits bottom set me gibbering for motherly andbrotherly and fartherly confort, loop your amrsabout me shivering! Must abandon thispatronless show, must must or I shall die andfall down surely, please somebody else I beg yourun this dance! – as I in all necessity, not shame,not falsely, quivered up the granite stairwhirl tothe upper rooms, so cold at half past three at theending of night, for help. Who was there to becalled who would not immediately come at thelook I begged with and at the choking of myasking? They had waited small hearted andbitter of experience while I shunned them andknew better than I of my discomfort and saidnothing till I prayed them though thankless. Inthe heat of the room and in all points melting forjoy a woman with orange painted fair racketywith the keeping of men and the curing of amother nearly dead opened the emprisoningwalls. Her steadiest, her love came at the doorwhile I raved then slept. From the books and thepills he thought to deduce as he wished. I in theunreason of sleep came to the choosing and themingling, and to the recognition.

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entendre notre saint père prêcher, – commentune simple aiguille ou autre chose se planta dansta tête et finalement mit fin au spectacle aprèshuit nuits blanches.

Je connais les autres, qui au contrairecontinuent à regarder le miroir menaçant avecses excroissances roses, comme un lapin, jusqu'àce qu'eux-mêmes devinssent aussi des animauxfous aux longues oreilles avec plus aucun désir nipouvoir pour sortir en flaques de ce trou secret etfantastique ; comme pour moi un regard sur sonderrière me fait rêvasser à un confort maternel etfraternel et paternel, enroule tes bras autour demoi qui frissonne ! Dois abandonner ce spectaclesans maître, dois vraiment ou je mourrai ettomberai assurément, s'il vous plaît quelqu'und'autre je vous pris de danser cette danse ! –comme moi en toute nécessité, sans honte, sansfausseté, je suis montée en tremblant par lecolimaçon de granit dans les chambres d'en haut,si froides à trois heures et demi en fin de nuit,pour de l'aide. Qui était là que je pouvais appelerqui ne pouvait pas immédiatement venir voir queje priais avec et par une demande suffocante ? Ilsavaient attendu avec un petit cœur et l'amertumede l'expérience tandis que je les rejetai et ilssavaient mieux que moi ma gêne et ils ne direntrien jusqu'à ce que je les priai malgré leuringratitude. Dans la chaleur de la pièce et en tout

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point fondant de joie une femme aux cheveuxpeints en orange vif avec la garde masculine et lesoin d'une mère presque morte ouvrit les mursde la prison. Sa grande stabilité, son amourvenait à la porte tandis que je délirais puism'endormais. Grâce aux livres et aux pilules ilpensa réduire comme il voulait. Moi dans ladéraison du sommeil j'en vins au choix et aumélange, et à la reconnaissance.

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Amelia Rosselli & Rocco Scotellaro1950, piazza del Popolo

(photographe inconnu)

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Cantilena

(poesie per Rocco Scotellaro)(1953)

Dopo che la luna fu immediatamente calatati presi fra le braccia, morto

*

Un Cristo piccolinoa cui m'inchinonon crocefisso ma dolcemente abbandonatodisincantato

*

Bologna perché t'ho in mentecosa c'entri città scadentecattedrale che dubitiNon c'è chiesa a Materamonte roccione con la porticina

*

(…)

*

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Cantilène

(poèmes pour Rocco Scotellaro)(1953)

Après que la lune fut immédiatement tombéeje te pris dans mes bras, mort

*

Un Christ tout petit sur qui je me penchenon pas crucifié mais doucement abandonné désenchanté

*

Bologne pourquoi t'ai-je en tête quel rapport ville médiocre cathédrale qui doutesIl n'y a pas d'église à Matera gros mont rocheux avec la petite porte

*

(…)

*

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S'è chiarital'angoscia è svanitaTu con la testa spaccata morto morto morto perterra tu con la testa spaccataUn lungo tempo meditidi sollevarti

*

(…)

*

Rocco mortoterra straniera, l'avete avvolto malei vostri lenzuoli sono senza ricami Lo dovevate fare, il merletto della gentilezza !

*

(…)

*

È toccato a te a soffiar le nuvole portarle fino al vicinatocome un caldo lenzuoloper noi tutti ammalati

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Elle s'est éclairciel'angoisse s'est évanouieToi avec la tête fracassée mort mort mort parterre toi avec la tête fracasséeLongtempstu songesà te relever

*

(…)

*

Rocco mortterre étrangère, vous l'avez mal enveloppévos draps sont sans broderie Vous devez la faire, la dentelle de la gentillesse !

*

(…)

*

C'était à ton tour de souffler les nuages de les apporter jusqu'à chez les voisinscomme un drap chaud pour nous tous malades

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*

È dovuto ad una varietà di ragioniche tu ed io non ci si possa incontrarefra altro le muraglie i cieli gli spiriti

*

Lasciatemi ho il battito al cuore donna a cavallo di galli e di maiali

*

Rocco vestito di perla come il grigiore dei colli vicino al tuo paese mostrami la via che conducenon so dove

*

nuovo annoarriviteneramente ossequioso

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*

C'est à cause de nombreuses raisons que toi et moi nous ne pouvons nous rencontrer entre autres les murailles les ciels les esprits

*

Laissez-moi mon cœur bat trop fort femme à dos de coqs et de porcs

*

Rocco vêtu de perle comme la grisaille des collines près de ton village montre-moi la route qui conduit je ne sais où

*

nouvel an tu arrives tendrement obséquieux

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Sanatorio 1954

Fine poussière, orgueil des ancêtres,ramenez-moi aux tombes des vieux avec leurscalmes lyres et flûtes ! Je vis dans le désespoir,depuis que mon ami est mort, sur les plus bellescôtes de l'Italie triomphante. Pour guérir il mefaut un mari, assez tendre.

Il est heureux, celui que j'aime, et ne sesoucie pas de moi. Il ne m'aime pas, il ne m'aimepas ! Nous partirons, à faire meilleureconnaissance avec les pauvres. Il y aura unevieille musique, pour nous fêter. Cependant dors,et ne pense à rien. Il faut mourir pour vivretranquilles.

L'angoisse est disparue, et ces parolessoulagent.

Il te faut un enfant naïf à embrasser.

*

La mort est une dame vêtue nue ; rusée,fine. Son chagrin ne pèse sur personne.

Quelle journée que celle-ci ! On dirait qu'ilte fallait un fils, ou bien, tu aurais dû chercher laclef du mystère. Mais il n'y en a pas. Le momentviendra où tu devras te plier au joug desambassadeurs.

J'admire les beaux arbres et leurs fleurs

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sèches, pâles dans l'aube sournoise.Mais les branches sursautent éperdues.

Tue-toi, tue-toi, alors qu'il en est temps encore.Ta rancune n'est pas de longue durée !

Quelle sale histoire ! Mes développementssont tardifs, et mes dents claquent de folie. Je neprendrai pas le parti de me faire tuer ; – non, jen'en veux pas, – non, je te dis.

Il rit ! C'est bien ainsi qu'on peut se couperla gorge, soutenu par deux braves garçons, agentssans doute de la police.

Mais toujours est-il mieux de se moquer unpeu, que de rire, – ou de pleurer... La prochainefois je me jetterai tout simplement au fond dulac ; – lui, avec ses grosses dentelles meprotégera. Ne crois-tu pas ? Ne crois-tu pas à masimplicité ? Toute nue j'irai voir ce que fait là-basmon frère en Amérique, sans un sou, traqué,battu, humilié devant les foules, heureuses depouvoir enfin se dédier au fin meurtre, au finmeurtre social.

Ne regarde ni à gauche ni à droite ; – jettesimplement tes bretelles sur la rue couverte deboue, et sonne le claxon si tu veux. Il sera là, tonami, il sera là, n'en doute pas.

Pourquoi, pourquoi te tiens-tu si loin demoi, de ma femme, de ma maison, dirai-je de laraison, si je ne savais pas qu'elle me planterait un

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poignard au cou au premier mot. Va donc te tuer,va. Mais ne retourne pas en arrière. Cache tonvisage dans un châle, cache les vieillesphotographies en arrière de cent ans, et parsdonc, pars pour le pays des initiés au bal ducomte Halifax. Va donc, qu'est-ce que tu attends,un millionnaire qui te porte dans ses bras ?

Les délices suprêmes tu ne les connaîtrasqu'en ayant bu du fort vin un jour d'été,silhouetté dans toutes les usines modernes, lesusines avec leur style confort-rouge, glacées.

*

Il y a deux espèces de bêtes au monde :l'une rit, l'autre pleure. Moi je m'ennuie de cesvariations continuelles, et aimerais mieux la finepluie, qui tombe douce.

N'y a-t-il pas d'autres habitants ? Les soirsportent des bas gris. Le lit est défait d'angoisse,comme s'il pleuvait. Pourquoi tant d'angoisse ? Ôangoisse !

Il nous faut un mari il nous faut un mari ilnous faut un mari. C'est bien dit. Continue surcette voie et les chats te souriront certainement.Ils ont les yeux bleus et gardent des uniformes.Pourquoi ne pas les tuer ? Mais, hélas, mes mainssont propres, comme celles d'une vieille dameplissée par l'âge. Mange donc ton pain à satiété.

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Les oiseaux noirs ne tarderont pas.Il te faut un amant, ça c'est sûr, comme la

mer qui tombe sur la plage dorée. Mes mainssont sales. J'aime l'odeur des bois, qui passeterriblement sur les passants triomphants. Ilfaudra survivre d'une façon ou d'une autre. Tonpire ennemi est le chat blanc, ses yeux percéejoyeux, avec son hostilité. Porte donc tes soucis àl'abri.

Cette nuit ne voudra jamais finir ! Il y en ad'autres qui attendent, et les souris galoppentavec la certitude d'être prises et mangées.Cependant elles jouent méditatives au soleil. Lalune flotte. Moi je me promène. La pluie arriveraavec son nouveau bagage, lente, sournoise,presque.

La pluie ne m'effraye pas, je le jure ! Tonchapeau est baigné. J'aperçois une nouvelleforme à la vue des paradis nuptiaux.

L'obscurité aide là où on ne croit pas. Ilfaudra prier. C'est difficile, et pour moi ce quicompte vraiment c'est l'ennui, quotidien.

Il te faut une moralité nouvelle ; chaqueémotion se reflète dans l'eau du lac, et lesdouleurs se battent pour survivre. Rends-toi, jet'en prie ; personne ne nous touche. Tu ne doispas t'échapper comme ton père.

Ma mère est morte. Lui, est tombé mort.C'est assez comique !

Ton intonation est fausse. Ma foi quelle

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attitude étrangère. Tu es un chat noir. Jedésespère de te sauver. Reste placide dans ton îletranquille. Avec plus d'ardeur, dans une prisonmême perpétuelle se feraient des mots croiséspleins de signification.

Des aventures, du bon vin... tout n'est pasfini...

(Pourtant le ciel lève une accusationimplacable). Regarde au moins les gens en face !

*

(…)

*

Peut-être dans le monde n'y a-t-il pas assezd'espace dans le monde pour les personnes, dansle monde. Imaginez donc ! Ils veulent tous secacher entre une opération et l'autre !

Ne dites pas cela, cela ne vous fera pas debien, répond-il.

Et bien, voilà l'erreur, voilà les programmeserronés ; voilà la justice des pauvres, voilà ladifférence entre nous deux, parcimonieux,mélancoliques.

On reconnaissait le retour du matin par lebruit des oiseaux, par le sifflotement des oiseaux,à l'aube.

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Qu'y a-t-il d'étrange dans tout ceci !s'exclama-t-il. La défense se fait obscure, par ladéfense des enfants. Elle se fait difficile,rapporta-t-il, et l'angoisse n'est point du tout uneexplication.

Très bien, alors, j'irai retrouver ma grand-mère morte, ainsi que le reste de ma famille.

Mais tes dons, ne sont pas ce qu'il faut ! dit-il, tout en proclamant son inaptitude aux études.

Sans s'en douter, il y avait de quoi se lereprocher tous les jours.

Quels sont les effets de l'électrochoc ?demanda-t-elle en souriant, perplexe etdégoûtée, et peu disposée à continuer le long decette voie défendue, et totalement déroutée, parles milles choses qu'il y avait à voir, au cours destoursen ville.

*

Il s'accroche au souvenir de l'enfance, et neperd pas son temps à se douter des motsargentins, et fins, dans la pénombre ambiguë.Nous nous réalisons presque toujours, enattendant, dit-il un jour qu'il faisait frais. Prendsta robe avec toi, dit-il en riant. Sautons pardessus les ponts, et une jolie fermière ouvriraelle-même la porte.

Bonne nuit, dit-il, et il se promène nu par

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les rues d'hiver, en dansant. C'est tout, on a fini.On va se baigner la tête, c'est tout, il m'a dit enbaissant la tête. Quelle fête ça sera, quellecollecton de vieux y aura-t-il dans les champs !

*

Le vieux il nous veut, sombres contre lemur. Car c'est la loi ici de se ruiner, mêmesecrètement, au nom du laissez-moi tranquille, jevous épie. Et toit, qu'est-ce que tu fais ? Tu dors,hanté par les anciens problèmes.

Je n'y tiens plus, je vais m'échapper, avecmes os sur le dos pour faire un seul bond aucimetière. Ah terre brésilienne, je te secoue decoups ! La prison est mille fois mieux que cetteodeur de racines baignées au soleil, silhouettépar tes grandes lois. Je n'existe que pour metromper. Il ne fallait pas prêter l'oreille.

Qui dort ne souffre pas autant que nous lecroyons. Dormir, se venger peut-être, voilà monbut. Le soir c'est le soleil qui se couche, pas moi,figée sur un fauteuil. Le vieux donc est parti, etmes habits me tirent par la manche. Il te faut unemoralité toute nouvelle, les chiens répètent,rieurs ; – chaque instant a son privilège, et lesmorts se détachent heureux, eux, de défendreleur patrie avec tant de résolution.

Le sang se verse frais sur mon genou blessé.

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Chaque deuil est immense ; les chevaux galopentimmenses, la nuque baissée. Moi je meursd'anxiété brûlante, pour les vieux pour lesenfants, désolée de n'avoir ni père, ni mère,attentive à leur besoins quotidiens. Je ne peuxdormir, et ma conscience est trop éveillée pourun débat avec les Grecs, ou les Chinois, ou lesJavanais. La mort, la mort comme une vieilledame sucrée ! Les chandelles se gonflentd'hystérie, et le passé se fait menaçant.

Je m'aperçois que tu ne prêtes grandeattention à mes mots. C'est dommage, on auraitpû faire un couple bien tragique, nous deux, dansles fossés.

Qu'il est rude ton ami, qu'il me manqued'attention pour les femmes surtout ! Moi jedeviens furieuse au son de son nom, et je ne peuxm'empêcher de pleurer.

Tu as la vision claire, au moins ; tu netomberas que quand il sera trop tard.

Je veux dormir, je veux sentir la terre sedérober aux efforts pour lui porter son painquotidien. Les étoiles mangent la terre, et leschats se promènent tranquilles sur les champs.Forte île, aux jardins troublés ! La lune sanglote,de plus en plus âgée.

Qui connaît mes efforts pour la publicité ?Je n'entends rien, tout est calme, les femmesportent leurs cigarettes à leurs bouches, et leshommes continuent secrets dans leur vaste

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mensonge. Le chat se tue. C'est donc fini ; la lunebordera sa bouche de ses propres impropriétés.Quoi dire ? Quoi dire de plus ?

Il te faut une morale nouvelle, c'est claircomme le vent qui porte ses enfants aux bainsquotidiens de marbre dans leur splendeurd'albâtre. Oh le soleil sonne étrange à mesoreilles !

N'importe, le jour viendra où tu meregarderas souriant : – soulagé d'être au monde,curieux d'y mettre la main, bien loin des prièresenfantines du dernier hiver. Te rappelles-tu ?C'était un désastre : – un mirage, un feu artificielque nul objet n'éteignait. Plus la maison brûlait,plus tu t'y jetais, insouciant de l'avenir, brûlantde désirs inexprimés... Reste donc, ne te confiepas aux enfants sur la plage !

Il s'est tué, il s'est tué ! Pourtant l'île étaitfaite pour nous tenir doux, forts, misérables maisvivants... Peut-être que je le suivrai dans son paysnatal ; j'y cours, comme une mendiante, sansdignité. Je ne parlerai plus : – je chanterai un airpaysan ; en prison, en prison irai-je, compter mesperles, sonner les cloches du hasard, comme unetendre mère que l'on a dévalisé les possessions,ses deux fils adorés, leur cendre une finepoussière.

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Adolescence(exercices poétiques 1954-1961)

Que c'est drôle je parle et je parle avec le moi-mêmeen me disant que c'est beau le ventre le bras nud'une femme même d'un homme et les énormes arbres du quartier gras.Gentiment gentiment pousse-t-il la bicyclettemuette. Sa femme cherche une pharmacie elle est de très

[mauvaisehumeur il pousse la bicyclette-bonheur ;bonheur bonheur retrouve-moi sous les pieds des géantesmarines aux pieds des géantes femmes aux bras tendus flaccides du quartier gros, promène-moi à la table avec la bouteille

[de bièreen face, brune.

(1954)

*

maintenant tu t'en vas de la table de l'hôteça ne finira jamais cette promenade poétique et les grandes palmes qui te regardent de derrière un mur bas. La palme est haute la maison-bureau plus haute encore elle sert de fond puis les frondaisons lui piquent le toit et ensuite le ciel qui ne dit jamais rien de superflu car il parle par allusions. Les oiseaux pointus montent la garde en couples sont appelés en mission de quartier en quartier. Moi je tombe de sommeil ne résiste plus m'en vais. Comment faire

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sinon vivre jusqu'à en mourir jeune ?

(1954)

*

Les couleurs les couleurs les voyelles les voyellesje commence à pénétrer dans l'amas des choses, car il y a aujourd'hui cette lumière électrique du soleil laquelle met à nu chaque pensée de ma cervelle, et de mon cœur dévoile même les nerfs devenus

[transparents ou l'horrible plaie se montre aisément.D'où vient ce soleil qui resplendit dans mes oreilles d'où vient cette folie qui se présente d'elle-même souriante lointaine des antiques embarcations loisive et pensive toujours sujette à la mort qui la tient par les ailes. Car toujours retourneras-tu au dépôt de tes sanglots ta maison noire, les murs de ta prison.

(1956)

*

quand on est prêt à recevoir l'importance de la nuitéclate le sang. Toutes les soirées étaient une série d'oublis ! Tous les hommes jouaient par terre et la forêt était une série d'ennuis. Par terre la pierre se défendait. Elle défendait l'entrée aux miroirs éclatants ! Si je joue parmi les hommes par terre il faut qu'une soirée d'une série d'ennuis et d'oublis me reconduise à la pierre qui oublie !Toutes les pierres par terre étaient une

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série d'ennuis, et la violence masquée d'un homme masqué était elle-même aussi la même série d'ennuis. Oh violence ne joue qu'avec mes outils, la pierre et la branche, la violence charnelle et le chat qui n'oublie. Le parc, beau, cru et violent rouge et noir se levait à l'aube qui ne portait pourtant point de desseins aux hommes gâtés, la bière coule

la nuit, et le général dort. Ma tête entre mes mains ma poche vide, l'avion se jette.

(1961)

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II ~ Variations de guerre

Publié en 1964 chez Garzanti, Variazionibelliche paraît avec une préface de Pier PaoloPasolini qui a marqué longtemps la réceptiond'une poésie difficile.

Le recueil est paru en France, chez Ypsilonen 2012, dans la traduction de Marie Fabre.

Celles qui suivent sont reprises dunuméro 9 de la revue La Barque avec notretraduction.

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nulloè il deserto in cui tu mi muovi, e le false facce diquella cattedrale tu chiami l'ardoredi Dios'incoronano di spine mortali. E se il sicuroormeggiare della tua candela di notte sispezza, incolpa il fato, la notte oscura, e lepovere tuespostate ragioni.

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rienest le désert dans lequel tu me meus, et les fausses faces decette cathédrale que tu appelles l’ardeurde Dieuse couronnent d’épines mortelles. Et si le sûramarrage de ta bougie de nuit secasse, accuse le destin, la nuit obscure, et tespauvresraisons déplacées.

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la mia fresca urina spargotuoi piedi e il sole danza ! danza ! danza ! – fuorila finestra mai vorràchiudersi per chi non ha il ventre piatto. Sorridente l'analisisi congiungerà – ma io danzo ! danzo ! – incolume perché'l sole danza, perché vita è muliebre sulle piantogioniincolte se lo sai. Un ebete ebano si muoveva moltocupido nella suafermezza : giro ! giro ! come tre grazie attorno al suo

[puntod'oblio !

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mon urine fraîche je répandstes pieds et le soleil danse ! danse ! danse ! – dehorsla fenêtre jamais ne voudrase fermer pour qui n’a pas le ventre plat. L’analyse souriantese reliera – mais moi je danse ! je danse ! – indemne parce quele soleil danse, parce que la vie est féminine sur les plantationsincultes si tu le sais. Un ébène hébété bougeait trèscupide dans safermeté : je tourne ! je tourne ! comme trois grâces autour

[de son pointd’oubli !

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Quello stormire violento di uccelli, quel loro vezzosorialzarsi in sciami dagli alberi più duri(ruggisce il tenero leone in una volata di pensierie la mia fede s'accende) quel loro posarsi sulle punte più sottiliquel loro abbandonarsi con lo sguardo distratto, questoè il tuo desio, che sorvola sui miei monti d'angosciaquesto è il tuo caldo filo d'angosciache non sa.

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Ce bruissement violent des oiseaux, leur ravissantsoulèvement en essaim des arbres les plus durs(le tendre lion rugit dans une envolée de penséeset ma foi s’embrase) leur pose sur les pointes les plus subtilesleur abandon avec un regard distrait, c’est celaton désir, qui survole mes monts d’angoissesc’est cela ton fil chaud d’angoissequi ne sait pas.

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Se l'anima perde il suo dono allora perde terreno, se l'infernoè una cosa certa, allora l'Abissinia della mia anima rinasce.Se l'alba decide di morire, allora il fiume delle nostrelacrime si allarga, e la voce di Dio rimane contemplata.Se l'anima è la ritrosia dei sensi, allora l'amore è unascienza che cade al primo venuto. Se l'anima vende il suobagaglio allora l'inchiostro è un paradiso. Se l'animascende dal suo gradino, la terra muore.

Io contemplo gli uccelli che cantano ma la mia anima ètriste come il soldato in guerra.

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Si l’âme perd son don alors elle perd du terrain, si l’enferest une chose certaine, alors l’Abyssinie de mon âme renaît.Si l’aube décide de mourir, alors le fleuve de noslarmes s’élargit, et la voix de Dieu demeure contemplée.Si l’âme est la répugnance des sens, alors l’amour est unescience qui arrive au premier venu. Si l’âme vend sonbagage alors l’encre est un paradis. Si l’âmedescend de sa marche, la terre meurt.

Je contemple les oiseaux qui chantent mais mon âme esttriste comme le soldat en guerre.

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Contro del magazziniere si levava il grido dell'incoscienzacontro del pourboire coniavo un'altra frase, quella

[dell'incertezza.Contro dell'odio ringraziavo e perdonavo, contro dellatristezza imbracciavo un altro pugnale. Contro delle lacrimefurtive innalzavo la veracità ; contro della lacrima delsoldato una ragazza potente che non sapeva nemmeno dov'eral'usgnolo, l'usignolo potente e solitario. In nome di Cristoe della Vergine Maria che la tua santità sia fatta, cosìcom'è il gioco di ogni giorno. Contro della debolezza chesi rinsaldi la fede, contro dell'elefante traboccante diodio che sia fatta la volontà del cane che seppe qualepesce pigliare. Trappola tesa ed arco rialzati e perdonacon un grido di allarme. Se sovente nella birra scorgevopiccoli grappoli d'oro era invece la grazia che balbettavaparole sconnesse : fuori del linguaggio dei sensei abbandonati.

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Contre le magasinier se levait le cri de l’inconscientcontre le pourboire je forgeais une autre phrase, celle de

[l’incertitude.Contre l’oubli je remerciais et pardonnais, contre latristesse j’embrassais un autre poignard. Contre les larmesfurtives j’élevais la véracité ; contre les larmes dusoldat une jeune fille puissante qui ne savait même pas où étaitle rossignol, le rossignol puissant et solitaire. Au nom du Christet de la Vierge Marie que ta sainteté soit faite, telqu’est le jeu de chaque jour. Contre la faiblesse quese raffermit la foi, contre l’éléphant débordant dehaine que soit faite la volonté du chien qui sut quelpoisson attraper. Piège tendu en arc relève-toi et pardonneavec un cri d’alarme. Si souvent dans la bière j’apercevaisde petites grappes d’or c’était au contraire la grâce qui balbutiaitdes paroles décousues : en dehors du langage des sens abandonnés.

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Contro d'ogni impero imperava un bisogno d'ordine. Controd'ogni pianeta era imperante il bisogno della libertà. Conla fanciullaggine imperava ancora la notte che bisbigliavaparole forse amare. Con il tirocinio del parente avaro si smuoveva la rivoltella dei rivoltosi. Con la luce accesasmuoveva il catarro il vecchio filo di lana arrotolato nellasostanza degli erdi. Sentivo le voci degli orologiai arrovellarsima la fibra del mondo era la più costante misura della miamalattia ! Era la più forte sostanza della mia credenza.

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Contre toute domination dominait un besoin d'ordre. Contretoute planète était dominant le besoin de la liberté. Avecles enfantillages dominait encore la nuit qui murmuraitdes paroles peut-être amères. Avec l'apprentissage du parent

[avare sedéplaçait le revolver des révoltés. Avec la lumière alluméele catarrhe déplaçait le vieux fil de laine enroulé dans lasubstance des héritiers. J'entendais les voix des horlogers

[s'agacermais la fibre du monde était la plus constante mesure de mamaladie ! Elle était la plus forte substance de ma croyance.

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Per la tua pelle olivastra per la tua mascella cadenteper le tue virginee denta per il tuo pelo bruno per iltuo amore impossibile per il tuo sangue olivastro e lamascella inferiore cadente per l'amministrazione dei beniche non consiglia altre armonie, per l'amore e per il misteroper la tua voracità e per la mia per il tuo sondare impossibileabissi – per la mia mania di grandezza per il tuo irrobustireper la mia debolezza per il tuo cadere e risollevartisempre si chiamerà chimera il breve viaggio fatto allestelle.

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Pour ta peau olivâtre pour ta mâchoire tombantepour tes dents vierges pour tes cheveux bruns pour tonamour impossible pour ton sang olivâtre et lamâchoire inférieure tombante pour l'administration des biensqui ne conseille pas d'autres harmonies, pour l'amour et pour

[le mystèrepour ta voracité et pour la mienne pour ton sondage

[impossibledes abîmes – pour ma folie des grandeurs pour ton

[endurcissementpour ma faiblesse pour ta chute et ton relèvementtoujours on appellera chimère le bref voyage fait auxétoiles.

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Se per il caso che mi guidava io facevo capriole : se perla perdita che continuava la sua girandola io sapevo : seper l'agonia che mi prendeva io perdevo : se per l'incantoche non seguivo io non cadevo : se nelle stelle dell'universoio cascavo a terra con un tonfo comme nell'acqua : se perl'improvvisa pena io salvavo i miei ma rimanevo a terraad aspettare il battello se per la pena tu sentivi perme (forse) ed io per te non cadevamo sempre incerti

[nell'avvenirese tutto questo non era che fandonia allora dove rimanevala terra ? Allor chi chiamava – e chi rinnegava ?

Sempre docile et scontenta la ragazza appellava al buio.Sempre infelice ma sorridente mostrava i denti. Se nonv'era aiuto nel mondo era impossibile morire. Ma la morteè la più dolce delle compagnie. La più dolce sorella erala sorellestra. Il dolce fratello il campione delle follie.

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Si à cause du hasard qui me dirigeait je faisais des cabrioles : si à [cause de

la perte qui continuait sa girandole je savais : sià cause de l'agonie qui me prenait je perdais : si à cause du charmeque je ne suivais pas je ne tombais pas : si dans les étoiles de l'universje tombais à terre avec un bruit sourd comme dans l'eau: si à cause dela peine imprévue je sauvais mes parents mais demeurais à terreà attendre le bateau si à cause de la peine que tu ressentais pourmoi (peut-être) et moi pour toi nous ne tombions pas toujours

[incertains dans l'avenirsi tout cela n'était qu'un mensonge alors où demeuraitla terre ? Alors qui appelait – et qui reniait ?

Toujours docile et mécontente la fille appelait dans le noir.Toujours malheureuse mais souriante elle montrait les dents. S'il n'y avait pas d'aide au monde il était impossible de mourir. Mais la

[mortest la plus douce des compagnies. La plus douce des sœurs étaitla demi-sœur. Le doux frère le champion des folies.

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Non so se di tra le pietre spuntate de la indifferenzagiaccia un tuo gemito : non so se fra le vergini chiomecada una trombetta : onore, bagliore, precisionedella virtù ! Non so se di tra le pietra spuntatedella differenza, esista la commozione. Non rido nonpiango non rido non chiamo tutto si disfa nell'ombra.Non so se di tra le pennella rustiche del tuo mentire, esista una differenza : tra me e te e ilbelvedere. Non so se di tra te e me nel belvedereesista una differenza. Io so che di tra me e te esiste la gloria e la differenza. Si nasce e siresite, – al servizio della libertà. Si muore e si rinasce,forse al servizio della libertà : si muore e si rinascein orario.

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Je ne sais pas si entre les pierres épointées de la indifférencegît un gémissement de toi : je ne sais pas si parmi les vierges

[chevelurestombe une trompette : honneur, lueur, précisionde la vertu ! Je ne sais pas si entre les pierres épointéesde la différence, existe l'émotion. Je ne ris pas je nepleure pas je ne ris pas je n'appelle pas tout se défait dans

[l'ombre.Je ne sais pas si entre les pinceaux rustiques de tesmensonges, il existe une différence : entre moi et toi et lebelvédère. Je ne sais pas si entre toi et moi dans le belvédèreil existe une différence. Moi je sais qu'entre moi ettoi il existe la gloire et la différence. On naît et onrésiste, – au service de la liberté. On meurt et on renaît,peut-être au service de la liberté ; on meurt et on renaîtà l'heure.

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Perché iddio (io) mi perdonasse era necessarioch'io mangiassi. Nel mondo piscologico delle mieidee, cadeva l'ultima stella. Nel mondo psicologicodelle mie idee era innata l'idea di dio. Nel mondopsicologico della mia infanzia cadeva l'ultimodio. Nel mondo inglese della mia infanzia cadevala monade. La monade sorvegliava riccamenteil mondo.

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Pour que dieu (moi) me pardonne il était nécessaireque je mange. Dans le monde psychologique de mesidées, l'ultime étoile tombait. Dans le monde psychologique de mes idées l'idée de dieu était innée. Dans le mondepsychologique de mon enfance tombait le dernierdieu. Dans le monde anglais de mon enfance tombaitla monade. La monade surveillait abondamment le monde.

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Se non è noia è amore. L'intero mondo carpiva da me i suoisensi cari. Se per la notte che mi porta il tuo oblioio dimentico di frenarmi, se per le tua evanescenti bracciaio cerco un'altra foresta, un parco, o una avventura : –se per le strade che conducono al paradiso io perdo latua bellezza : se per i canili ed i vescovadi del pratodella grande città io cerco la tua ombra : – se per tuttoquesto io cerco ancora e ancora : – non è per la tua fierezza,non è per la mia povertà : – è per il tuo sorriso obliquoè per la tua maniera di amare. Entro della grande città cadevano oblique ancora e ancora le maniere di amarele delusioni amare.

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Si ce n'est pas l'ennui c'est l'amour. Le monde tout entier [m'extorquait ses

sens coûteux. Si pendant la nuit qui m'apporte ton oublij'oublie de me retenir, si dans tes bras évanescentsje cherche une autre forêt, un parc, ou une aventure : – si sur les routes qui conduisent au paradis je perds tabeauté : si dans les chenils et les évêchés du préde la grande ville je cherche ton ombre : – si pour toutcela je cherche encore et encore – c'est pour ton sourire sournoisc'est pour ta manière d'aimer. Dans la grande villetombaient sournoisement encore et encore les manières d'aimerles désillusions amères.

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Contro degli dei brandivo una piuma. Brandivo a vuotouna piuma che non scendeva dall'aria. Nell'aria vibravaun megafono : – era iddio che parlava senza farsi vedere.Nell'aria vibrava un megafono : – era iddio che bramava troppipiaceri era iddio che studiava la legge della prosperità.Contro d'ogni deo sorrideva la fortuna.

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Contre les dieux je brandissais une plume. Je brandissais à videune plume qui ne descendait pas des airs. Dans l'air vibraitun mégaphone : – c'était dieu qui parlait sans se faire voir.Dans l'air vibrait un mégaphone : – c'était dieu qui désirait tropde plaisirs c'était dieu qui étudiait la loi de la prospérité.Contre tout dieu la fortune souriait.

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Mare del bisogno, Cassandradagli istintivi occhi blu la mia prigionia tranquillaè un rovescio del destino assai dolce assai implacabile.Con tristezza indovino negli occhi del profeta unamedaglia che si rovescia al tocco dell'uomo. O Cassandrale tue occhiaie sono le mie preferite celle di rassegnazionee le tue labbra non suggeriscono altri tormenti chetu non possa conoscere altrove che per questo miofragilissimo pensare.

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Mer du besoin, Cassandreaux yeux bleus et instinctifs ma tranquille prisonest un revers du destin extrêmement doux extrêmement

[implacable.Avec tristesse je devine dans les yeux de la prophétesse unemédaille qui se renverse au toucher de l'homme. Ô Cassandretes cernes sont mes cellules préférées de résignationet tes lèvres ne suggèrent rien d'autre que des tourments quetu ne peux connaître ailleurs que pour ma penséesi fragile.

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Annexe : Espaces métriques

Une problématique de la forme poétique aété pour moi toujours liée à celle plusprécisément musicale, et je n’ai en réalité jamaisséparé les deux disciplines, considérant la syllabenon seulement comme lien orthographique maisaussi comme son, et la période non seulementcomme une construction grammaticale maisaussi comme un système.

Définir la syllabe comme son est cependantinexact : il n’y a pas de « sons » dans les langues :la voyelle et la consonne dans les classificationsde l’acoustique musicale se définissent comme« bruits », et ceci est naturel, vu la complexité denotre appareil phonético-physiologique, et lavariation d’une personne à l’autre de la grandeurmême des cordes vocales et des cavités orales, àtel point que jamais jusqu’à maintenant n'a étéobtenue une classification phonétique autre questatistique.

Quoi qu’il en soit en parlant de voyellesgénéralement nous entendons sons, ou aussicouleurs, vu que souvent nous leurs prêtons lesqualités du « timbre » ; et en parlant deconsonnes ou de regroupement de consonnes,nous entendons non seulement leur aspectgraphique mais aussi des mouvementsmusculaires et des « formes » mentales.

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Mais si, des éléments repérables dans lamusique et dans la peinture ressortent, et dans lavocalisation, seulement les rythmes (durées etpulsations) et les couleurs (timbres et formes),dans l’écriture et la lecture les choses sont un peudifférentes : nous simultanément nous pensons.Dans ce cas le mot n’a pas juste un son (bruit) ;même, quelquefois, il n’en a pas du tout, etrésonne seulement comme idée dans la pensée.La voyelle et la consonne, ensuite, ne sont pasdes valeurs nécessairement phonétiques maisaussi simplement graphiques, ou composants del’idée écrite, ou mot. Le timbre aussi ne s’ouït pasquand nous le pensons, ou le lisonsmentalement, et les durées (syllabes) sontélastiques et imprécises, selon la scansion dulecteur, et selon des dynamiques individuelles,rythmicité et vélocité de pensée. Mieux, dans lalecture silencieuse, quelquefois tous les élémentssonores disparaissent, et la phrase mêmepoétique est seulement sens logique et associatif,perçu avec l’aide d’une subtile sensibilitégraphique et spatiale (espaces et formes sontsilences et points référentiels de l’esprit).

C’est ainsi que me trouvant devant unematière sonore ou logique ou associative dansl’écriture, jusqu’à présent classifiée ouabstraitement ou fantastiquement, mais jamaissystématiquement, on me parle de « pieds » et dephrases, sans me dire ce qu'est une voyelle. Bien

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plus : la langue dans laquelle j’écris encore etencore est unique, alors que mon expériencesonore logique et associative est certainementcelle de tous les peuples, et réflexive dans toutesles langues.

Et ce sont avec ces préoccupations que jeme mis à un certain moment de mon adolescenceà chercher les formes universelles. Pour lestrouver je cherchai d’abord mon (occidental etrationnel) élément organisateur minimal dansl’écriture. Et celui-ci se révélait clairement être la« lettre », sonore ou non, timbrique ou non,graphique ou formelle, symbolique etfonctionnelle à la fois. Cette lettre, sonore maiségalement « bruit », créait des nœudsphonétiques (chl, str, sta, biv) pasnécessairement syllabiques, qui étaient en faitseulement des formes fonctionnelles ougraphiques, et des bruits. Pour une classificationnon graphique et formelle il était nécessaire,dans la recherche des fonds de la forme poétique,de parler au contraire de la syllabe, compriseassez peu scolastiquement, mais plutôt commeparticule rythmique. Progressant dans cettematière encore insignifiante, j'en arrivais au motentier, compris comme définition et sens, idée,puits de la communication. Généralement le motest considéré comme la définition d’une réalitédonnée, mais on le voit plutôt comme un« objet » à classifier ou à sous-classifier, et non

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comme idée. Moi au contraire (et ici peut-être jeferais bien d’avertir que mon moded’expérimentation et de déduction étant trèspersonnels, toute conclusion que j’ai pu en tirerest à prendre cum grano salis), j’avais de toutesautres idées à ce sujet, et j’allais jusqu’àconsidérer « le » et « la » et « comme » commedes « idées », et non simplement comme desconjonctions et des précisions d’un discoursexprimant une idée. Je déclarais d’abord que lediscours entier indiquait la pensée même, et doncque la phrase (avec tous ses coloris fonctionnels)était une idée devenue un peu plus complexe etmaniable, et que la période était l’expositionlogique d’une idée non statique comme cellematérialisée dans le mot, mais plutôt dynamiqueet « en devenir » et souvent même inconsciente.Voulant élargir ma classification trop peuscientifique, j’insérais l’idéogramme chinois dansla phrase, et le mot, et je traduisais le rouleauchinois en un délirant cours de la penséeoccidentale.

Plus tard je me pris à observer la mutationde ce délire ou rouleau dans ma pensée selon lasituation que mon cerveau affrontait à chaqueinstant de la vie, à chaque déplacement spatial outemporel de mon expérience pratiquequotidienne. Je remarquais d’étrangesconcentrations dans la rythmique de ma pensée,d’étranges arrêts, d’étranges coagulations et

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changements de temps, d’étranges intervalles derepos ou d'absence d’action ; nouvelles fusionssonores et idéelles selon le changement de tempspratique, des espaces graphiques et des espacesm’entourant continûment et matériellement.Dans le discours et dans l’écoute d’autresprésences mentales ou psychologiques se tenantavec moi dans un même espace, la penséedevenait plus tendue, ou plus fatiguée, presquecomplémentaire à celle de l’interlocuteur même,se renouvelant ou se fondant avec lui dans cetterencontre.

Je tentai d’observer chaque matérialitéexterne avec la plus complète minutie possibledans un immédiat laps de temps et d’espaceexpérimental. À chaque déplacement de moncorps j'essayais d’ajouter un « cadre » complet del'existence qui m'entourait. L'esprit devaitassimiler l'entière signification du cadre dans letemps où il y demeurait, et y fondre sa propredynamique intérieure.

Dans l'écriture, jusqu'à ce moment-là, macomplexité ou complétude face à la réalité étaitsubjectivement limitée : la réalité était la mienne,non celle aussi des autres : j'écrivais des verslibres.

En effet dans l'interruption du vers mêmelong, à n'importe quelle terminaison de phraseou à n'importe quel mot déconnecté, j'isolais laphrase, en la rendant significative et forte, et

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j'isolais le mot, en lui rendant son idéalité, maisje scindais le cours de ma pensée en stratesinégales et en sens déconnectés. L'idée n'étaitplus dans le poème entier, selon un instant deréalité dans mon esprit, ou dans la participationde mon esprit à une réalité, mais elle se déchiraiten degrés lents, et n'était retraçable seulementqu'à la fin, ou nulle part. L'aspect graphique dupoème influençait l'impression logique plus quene le faisaient le moyen ou le véhicule de mapensée, c'est-à-dire le mot ou la phrase ou lapériode.

Quant à la métrique, étant libre elle variaitcomplaisamment selon l'association ou le plaisir.Ne souffrant pas de dessein préétabli,irréductible à eux, elle s'adaptait à un tempsstrictement psychologique musical et instinctif.

Par hasard je voulus relire ensuite lessonnets des premières écoles italiennes ; fascinéepar la régularité je voulus retenter l'impossible.

Je repris en main mes cinq classifications :lettre, syllabe, mot, phrase et période. Je lesencadrai dans un espace-temps absolu. Mes verspoétiques ne purent plus échapper àl'universalité de l'espace unique : les longueurs etles temps des vers étaient préétablis, mon unitéorganisatrice était définissable, mes rythmess'adaptaient non seulement à mon bon vouloirmais aussi à l'espace déjà décidé, et cet espaceétait complètement recouvert d'expériences, de

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réalités, d'objets, et de sensations. Entransposant la complexité rythmique de la langueparlée et pensée mais non scandée, à travers denombreuses variations de particules timbriquesou rythmiques entre un espace typique, unique etlimité, ma métrique à défaut de régularité étaitau moins totale : tous les rythmes possiblesimaginables remplissaient minutieusement moncadre à profondeur timbrique, ma rythmiqueétait musicale jusqu'aux ultimesexpérimentations du post-webernisme, marégularité, quand il y en avait, était contrastéepar un fourmillement de rythmes traduisiblesnon en pieds et en mesures longues ou courtes,mais en durées microscopiques juste à peinenotables, si l'on voulait, avec un crayon sur dupapier millimétrique. L'unité basique du versn'était pas la lettre, désagrégeante etinsignifiante, ni la syllabe, rythmique etmordante quoique toujours sans idéalité, maisplutôt le mot entier, de n'importe quel genreindifféremment, les mots étant considérés tousde valeur et de poids égaux, tous à manipulercomme des idées concrètes et abstraites.

Dans la tension de la première ligne dupoème je fixais définitivement la largesse ducadre à la fois spatial et temporel ; les verssuivants devaient s’adapter à une égale mesure, àune formulation identique. En écrivant je passaisde vers à vers sans m’occuper d’une quelconque

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priorité de sens dans les mots posés, par hasard,en fin de ligne.

En réalité pour m’aider à mesurer outerminer ma ligne il y avait toujours ce pointcaché de la limite droite de mon cadre, et surlaquelle elle pouvait tomber, et par conséquentfermant la ligne, ou le mot entier, ou unquelconque lien orthographique lui aussisignifiant puisque réellement existant commetemps d’« attente » soit dans la parole soit dansla pensée. L’espace vide entre mot et mot étaitconsidéré en revanche comme non fonctionnel,et il n’avait pas d’unité, et si par hasard celui-citombait sur le point limite du cadre, il étaitimmédiatement suivi d’un autre mot, de façon àremplir complètement l’espace et fermer le vers.Le cadre en fait était à recouvrir complètement etla phrase était à prononcer d’un souffle et sanssilence ni interruption ; ce qui reflétait la réalitéparlée et pensée, là où à l’oral nous lions nosparoles et dans la pensée nous n’avons pasd’interruptions, exceptées celles explicatives etlogiques de la ponctuation. Je pensais en fait quela dynamique de la pensée et de l’oralité s’épuisegénéralement en fin de phrase ou de période oude pensée, et que l’émotion vocale et l’écritureauraient suivi donc sans interruption cettemanière de naître et de renaître.

Dans la lecture à voix haute chacun des versétait ensuite à phonétiser à l’intérieur de limites

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identiques de temps, correspondant elles-mêmesaux égales limites de longueur et de largeurgraphiques préalablement formulées par latexture du premier vers. Même dans le cas où unvers aurait contenu plus de mots, syllabes lettreset ponctuations qu’aucun autre, le temps total dela lecture de chaque vers devait rester autant quepossible identique. Les longueurs des vers étaientdonc approximativement égales, et avec ellesleurs temps de lecture ; elles avaient commeunité métrique et spatiale le mot et le lienorthographique, et comme forme contenantl’espace ou le temps graphique, ce dernier n'étantpas rédigé de manière mécanique ou simplementvisuelle, mais présupposé dans la scansion, etagissant dans l’écriture et dans la pensée.

J’interrompais le poème quand étaitépuisée la force psychique et la significativité quime poussait à écrire ; c’est-à-dire l’idée oul’expérience ou le souvenir ou la fantaisie quiremuaient le sens et l’espace. Je distribuais auxespaces vides entre les sections du poème letemps écoulé ou l’espace parcouru mentalementpar les conclusions logiques et associatives à tirerpuis à ajouter à n’importe quelle partie dupoème. Et en fait l’idée était logique ; maisl’espace n’était pas infini, bien que préétabli,comme s'il compromettait l’idée ou l’expérienceou le souvenir, en transformant mes syllabes etmes timbres (éparpillés à travers le poème, à la

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façon de rimes non rythmiques) en associationsdenses et subtiles ; le sentiment revécumomentanément s’affermissait à traversquelques rythmes fixes. Parfois, rarement, lerythme fixe prédominait et obsédait, et à la fin jevoulus retrouver aussi la parfaite régularitérythmique de ce sentiment, et ne le pouvant pas,je fermai le livre à son unique tentatived’ordonnement abstrait, c’est-à-dire à l’ultimepoésie.

En écrivant à la main plutôt qu’à lamachine je ne pouvais pas, comme je m’enaperçus immédiatement, fixer d’espaces parfaitset des longueurs de vers en formulesparfaitement égales, ayant l’idée ou le mot ou lelien orthographique comme unité fonctionnelleet graphique, sauf à vouloir écrire sur du papier àcarreaux d’écolier. En écrivant à la mainnormalement, je pouvais seulement tenter decomprendre instinctivement l’espace-tempspréétabli dans la formulation du premier vers, etpeut-être plus tard et artificiellement, réduire latentative à une de ses formes approximatives,retranscrite par une impression mécanique. Etpuis en écrivant à la main, on pense pluslentement ; la pensée doit attendre la main ets'interrompt ; le vers libre a plus de sens puisqu'ilreflète ces interruptions, et cet isolement du motet de la phrase. Mais en écrivant à la machine jepeux quelques instants suivre une pensée peut-

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être plus rapide que la lumière. En écrivant à lamain peut-être je devrais écrire de la prose, pourne pas revenir à des formes libres : la prose estpeut-être en fait la plus réelle de toutes lesformes, et ne prétend pas définir les formes.

Mais retenter l’équilibre du sonnet duQuatorzième siècle est également un idéal réel.La réalité est si lourde que la main se fatigue, etaucune forme ne peut la contenir. La mémoirecourt alors aux plus fantastiques entreprises(espaces vers rimes temps).

1962(1964)

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IV ~ Série hospitalière

Le recueil a paru d'abord aux éditions IlSaggiatore à Milan en 1969.

Le livre est divisé en deux sections : lapremière était consacrée à La Libellula(Panegirico alla Libertà) daté de 1958, laseconde, intitulée Seria ospedaliera, comprenait83 poèmes.

La Libellule est parue en France auxéditions Ypsilon dans la traduction de MarieFabre, tandis que la « série » est encore inédite(peut-être aurons-nous la chance d'en signer latraduction).

Les 5 poesie per una poetica ont paru, unepar une, à chaque numéro de la très belle petiterevue, imprimée au plomb, L'Usage de VictoriaXardel.

Nous ne présentons ici qu'un choix trèslimité de poèmes tirés de la seconde section.

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Il sesso violento come un oggetto (cava di marmo imbiancata)(anfora di creta ricurva) e nascotissimo in formad'uovo assaltava il solitario, come se fosse la grandinea tempestare, nel salotto. Non gaudente, non sapienteserpentinamente influenzato da esempi illustri o illustrazionidi candore, per la pace e per l'anima purulava. Non sapientenon gaudente, ma sapiente e mercantile speronato come il vascello contro rocce pipistrelle, cadeva di colpodall'alto del rigore e della danza, dal sol fa mi do diun'altra giornata ; non sapiente e non gaudente travestitoda soldato annaspando e arrischiando tra capanne di

[maialerovistando, come forma e come oggetto, il sesso si servivadi lui.

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Le sexe violent comme un objet (carrière de marbre blanchie)(amphore de craie recourbée) et très bien caché en formed’œuf assaillait le solitaire, comme si c'était la grêleà se déchaîner, dans le salon. Sans jouir, sans savoirserpentinement influencé par des exemples illustres ou des illustrationsde candeur, par la paix et par l'âme il purulait. Sans savoirsans jouir, mais savant et mercantile éperonné commele vaisseau contre des roches chauves-souris, il tombait d'un coupdu haut de la rigueur et de la danse, du sol fa mi do d'une autre journée ; sans savoir et sans jouir déguiséen soldat haletant et se risquant entre les cabanes des

[porcsà fouiller, comme forme et comme objet, le sexe se servaitde lui.

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Facce appese, bronzi al muro, facce di bronzo, santi appesial muro in una camera solitaria in affitto, per quattrogiorni aspetto. Una camera povera, sovraccarica di fioridi plastica, e leoni alla porta. Un mare trombante, e unpaese grossolano, verdi porte all'aperto dietro la stradanuova, i monti inosservabili, la luce è un diadema. Lecolline poi sono verdi cavalli, il galoppo un imbroglio,uno stratagemma per perdersi. Fa caldo ancora, e il cieloè macchiato di tombe oscure.

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Faces accrochées, bronzes au mur, faces de bronze, saints[accrochés

au mur dans une chambre solitaire à louer, pendant quatrejours j'attends. Une chambre pauvre, surchargée de fleursen plastique, et de lions à la porte. Une mer déchaînée, et unvillage grossier, portes vertes grandes ouvertes derrière la

[nouvellerue, les monts inobservables, la lumière est un diadème. Lescollines aussi sont des chevaux verts, le galop un imbroglio,un stratagème pour se perdre. Il fait chaud encore, et le cielest tâché de tombes obscures.

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V ~ Document (1966-1973)

Documento (1966-1973) est le troisièmerecueil publié par Amelia Rosselli. Il est paruchez Garzanti, à Milan, en 1976.

C'est à nos yeux le recueil le plus abouti dela Rosselli. Elle y abandonne sa recherchemystique d'un universalisme de la forme pourprivilégier les pratiques d'altération auquotidien. D'où le titre, bataillien, de« document ».

Nous avons eu le plaisir de signer latraduction parue aux éditions La Barque.

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Proprio prima di dover partire scrissiperciò voltando il dorso alla promessacose molto belle che solo tu con latua faccia infantile da ragazzo costrettoad esser fiero puoi indicarmi.

Sì, scrissi finalmente cose belle, tutteper te – non v'era pubblico più disattento.

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Juste avant de devoir partir j'écrivisalors en tournant le dos à ma promessede très belles choses que seul toi avec tonvisage infantile de garçon obligéd'être fier tu peux m'indiquer.

Oui, j'écrivis finalement de belles choses, toutespour toi – il n'y avait pas de public plus inattentif.

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Insonnia

I miei occhi che non s'aprono, dalsonno o dalla tortura, ed invece eccotiqua, a scegliere un'altra via : la medicinaper non addormentarti.

I miei occhi sembrano pieni di sabbiatanto ha fatto l'alba svegliandosie costretta a riparare guasti, ha lanciatomotivi d'appello ; per non svegliarsima invece sono le cinque ogni giorno

prima che la notte ti conosca in piedio assorto nel sonno.

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Insomnie

Mes yeux qui ne s'ouvrent pas, par lesommeil ou par la torture, et pourtant te voilàici, à choisir une autre voie : le médicamentpour ne pas t'endormir.

Mes yeux semblent pleins de sabletant a fait l'aube en se réveillantet obligée de réparer les dégâts, a lancéles raisons de l'appel ; pour ne pas se réveillermais pourtant il est cinq heures tous les jours

avant que la nuit ne te sache deboutou absorbé dans le sommeil.

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Pietre tese nel bosco : hanno piccoliamici, le formiche ed altri animaliche non so riconoscere. Il vento nonspazza via il sasso, quelle fosse, queiresti d'ombra, quel vivere di sognipesanti.

Resti nell'ombra : ho un cuore che scottae poi si sfalda per ingenuamente ricordarsidi non morire.

Ho un cuore come quella foresta : tuttasarcastica a volte, i suoi rami lordidiscendono sulla testa a pesarti.

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Pierres dressées dans le bois : elles ont de petitsamis, les fourmis et d'autres animauxque je ne sais pas reconnaître. Le vent nebalaie pas la pierre, ces fossés, cesrestes d'ombre, cette vie de rêvespesants.

Tu restes dans l'ombre : j'ai un cœur qui brûleet puis qui s'effrite pour naïvement se rappelerde ne pas mourir.

J'ai un cœur comme cette forêt : toutede sarcasmes parfois, ses branches souilléesdescendent sur la tête et pèsent.

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Con la malattia in boccaspaventoper gli spaventapasserirose stinte e vi sono macchie sul muropiccolissime nel granaio dei tuoi pensieri :e con quale colore smetti didipingere ?

Avevo trovato il mio proprio opposto.Come lo divorai ! Poi lo mangiai. E nefui divorata, in belle lettere.E correre poial riparo mentre corrono anche certevecchie, all'orinatoio.

Poi smettono di correre.

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Avec la maladie en bouchej'épouvantepour les épouvantailsdes roses fanées et il y a des tâches sur le murtoutes petites dans le grenier de tes pensées :et avec quelle couleur tu arrêtes depeindre ?

J'avais trouvé mon exact opposé.Comme je l'ai dévoré ! Puis je l'ai mangé. Et j'enfus dévorée, en belles lettres.Et courir ensuiteà l'abri pendant que courent aussi certainesvieilles, à l'urinoir.

Après elles arrêtent de courir.

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Concatenazione di cause : hai visto l'ombraaggirarsi per foreste chiuse, e soloall'alba del tramonto ti si offrì unvolto in petto riconosciuto per tuo fratello che allungava la tua corta,pericolante esistenza.

Ebbi timore di offendere la mano tesaoffesa : ebbi timore della mia pace troppo solitaria.

Chiudendo il verso ho intravisto unalibertà che non perdura : hai fiato troppogrosso tu con le tue lacrime gettateai piedi del primo venuto.

Bombe lacrimogene : hanno scelto un campoa te del tutto indifferente per fraternizzarecon lo sciopero della rinuncia ate stesso : che eri tu, per cui il mio

batticuore non vuole pace ma solo oblio

nel ramo più elevato del cielo.

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Concaténation de causes : tu as vu l'ombreerrer par les forêts fermées, et seulementà l'aube du coucher du soleil on t'offrit unvisage in petto reconnu comme tonfrère qui rallongeait ta courte,branlante existence.

J'eus peur d'offenser la main tendueoffensée : j'eus peur de ma paix tropsolitaire.

En clôturant mon vers j'ai entrevu uneliberté qui ne dure pas : tu as le souffle tropgros toi avec tes larmes jetéesaux pieds du premier venu.

Bombes lacrymogènes : ils ont choisi un terrainqui t'est complètement indifférent pour fraterniseravec la grève du renoncement à toi-même : ce que tu étais, pour lequel mon

battement de cœur ne veut pas la paix mais juste l'oubli

de la branche la plus élevée du ciel.

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L'amore che ci divide e ci unisce subisceincartamenti, spezie e riunioni di partitocombattuto da istorie di partito affattotrascurabili mentre m'addormentavo sultovagliolo.

Infatti i dati dettero ragione allapromiscua cella nella ragione che ciforzò a separarci ad ammazzarci mentrecovavano agli astri i loro sogni di unadistante patria nell'ignoto.

Quale qualunquismo in questi tuoi versidecapitati da forze ignote rivoltateal cielo con le sue visioni che trovandosidi fronte a lotte superiori non rinunciòa vivere mentre incassava.

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L'amour qui nous divise et nous unit subitencartements, épices et réunions de particombattu par des histoires de parti tout à faitnégligeables alors que je m'endormais sur lanappe.

En effet les données donnèrent raison à lacellule mixte de la raison qui nousforça à nous séparer à nous assassiner alors qu'ils couvaient aux astres leurs rêves d'unelointaine patrie dans l'inconnu.

Quelle indifférence dans tes versdécapités par des forces inconnues tournéesvers le ciel avec ses visions qui se trouvanten face de luttes supérieures ne renonça pasà vivre alors qu'il encaissait.

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con la terra che sembra tremare di coincidenzenon ho fiato per gridare la mia indifferenza

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avec la terre qui semble trembler de coïncidencesje n'ai pas de souffle pour crier mon indifférence

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Vento d'Oriente e libeccio di malavitacostipazione d'origine flemmatica ; orizzontedi perle e vita senza forza.

Condividono la mia pena d'essere disarmatain una strada tutta gas.

Vento d'inverno rabbrividisce d'estatel'onda della vita ha le sue impreseventi orrendi tastano la tua frontee hai imparato a disamare, finalmentequando con grandi forbici tastavi un incontro.

Armata ribelle e voce dall'internola libertà soffocata in un sofàguanti forzati a dimostrarsi maneggevolima avrei voluto prenderlo a pugniquando lo slacciasti seduto sul sofàfredda accoglienza a chi ti vuoleverde orario che sempre imbandisce.

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Vent d'Orient et libeccio de délinquanceconstipation d'origine flegmatique ; horizonde perles et vie sans force.

Ils partagent ma peine d'être désarméedans une rue pleine de gaz.

Le vent d'hiver frissonne d'étél'onde de la vie a ses entreprisesdes vents horribles tâtent ton frontet tu as appris à désaimer, finalementquand avec de grands ciseaux tu tâtais unerencontre.

Rebelle armée et voix de l'intérieurla liberté étouffée dans un sofagants forcés de se montrer maniablesmais j'aurais voulu lui mettre des coups de poingquand tu le déboutonnas assis sur le sofaaccueil froid pour qui te veuthoraire vert qui toujours dresse.

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Notte, labirinto sorteggiatochilometri a volte ti dividonodal rotondo occhio del vicinofiori fiacchi nella mia mentela distanza che separa il vuoto coronarsi di successigli oliveti.

Con quel suo bel colore arancioneindeciso era tra tentazioniè meglio farla finita con la fame,bastonando i poveri canigatti impregnati di un sottile odoreche era la tua figura satanica o saggia.Ha verde seme il bilancio della stagionee io ho verde rimpiantoCristo con le sue lumacheha disperazione a tinte rosae blu profondo« Inno alla vita sul punto di morte »la sezione è un bidone.

Coronata di successo la miaopera si fece ; per anni in camerinilo studioso grezzo impazziva di malinconia.

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Nuit, labyrinthe tiré au sortkilomètres parfois te séparentde l'œil rond de ton voisinfleurs fanées dans mon espritla distance qui séparele vide se couronner de succèsles oliveraies.

Avec sa belle couleur orangeil était indécis entre les tentationsmieux vaut en finir avec la faim,en battant les pauvres chiensdes chats imprégnés d'une subtile odeurqui était ta figure satanique ou sage.Il a de vertes graines le bilan de la saisonet moi j'ai un vert remordChrist avec ses escargotsa des désespoirs aux teintes roseet bleu profond« Hymne à la vie au bord de la mort »la section est une arnaque.

Couronnée de succès mon œuvre se fit ; pendant des années dans les logesle savant frustre devenait foude mélancolie.

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Ho venti giorniper fare una revoluzione : hoaltri venti giorni dopo la rivoluzioneper conoscermimio piccolo diario sentenzioso

Tana perle fresche mentile parole,un pugnochiuso che le garantiscela mia più imbattibile ragione d'essere.

Il nemico le strappa le vestila felicità è un micro-organismo nell'internodell'infelicità

nel cimiteronon sa smettere di essere felice.

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J'ai vingt jourspour faire une révolution : j'aiencore vingt jours après la révolutionpour me connaîtremon petit journal sentencieux

Tanière pourles esprits fraisles mots,un poingfermé qui lui garantitma plus imbattable raison d'être.

L'ennemi lui déchire les habitsle bonheur est un micro-organisme à l'intérieurdu malheur

dans le cimetièreil ne sait pas s'arrêter d'être heureux.

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Credete di poter amarmi ? Avete visto in medei difetti ? Me li toglierei volentieri, invostro onore...

Ma non ho visto invece querelarsi invano lebeghe d'ufficio, i sismotici arrivisti, lanostra giornata grigia e agitata.

Perché hanno steso questi fogli ? Perché hannofatto mistero delle vendite ? Perché questomio affanno impreparato ?

Ho ordito contro le folle una stampa liberadelle sue proprie azioni e mi travolge uninconscio bisogno di gloria.

Eppure fu la bellezza a prima ispirare i raggidi sole improvvisamente spenti dalla tendatirata !

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Vous croyez pouvoir m'aimer ? Vous avez vu en moides défauts ? Je me les enlèverais volontiers, envotre honneur...

Mais je n'ai pas vu en fait se quereller en vain lesdisputes de bureau, les arrivistes sismotiques, notre journée grise et agitée.

Pourquoi ont-ils étendu ces feuilles ? Pourquoi ont-ilsfait mystère des ventes ? Pourquoi en moi cetteanxiété imprévue ?

J'ai ourdi contre les foules une presse librede ses propres actions et me submerge unbesoin inconscient de gloire.

Et pourtant ce fut la beauté à inspirer d'abord les rayonsdu soleil inopinément éteints par le rideautiré !

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Fermi a un destino sempre semovente o irriconoscibile tra gli alti pinistentati, tra le tante altre cosedi cui non scriviamo purché riusciamoa viverle, fra le tende del campingv'erano infatti i soliti traditori :me stessa travisata da imperatore poveroche mi guadagnavo a fatica un postodove vivere. Ho disfatto tutti i tunneldalla contr'ora : felicità di potersi scambiaredure parole o felicità di potersi annullarenel dolore di pochi che uniscei molti, virtù nascosta e dolcea chi scrive di cose indescrivibili.

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Arrêtés à un destin toujours automoteurou méconnaissable entre les hauts pinsfatigués, entre tant d'autres chosesque nous n'écrivons pas pour que nous arrivionsà les vivre, parmi les tentes du campingil y avait en fait les traîtres habituels :moi-même travestie en empereur pauvrepour gagner péniblement un endroitoù vivre. J'ai défait tous les tunnelsde la contre-heure : bonheur de pouvoir s'échangerdes mots durs ou bonheur de pouvoir s'annuler dans la douleur des rares qui unitles nombreux, vertu cachée et doucepour qui écrit des choses indescriptibles.

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Sciopero generale 1969

lampade accesissime e nell'urlod'una quieta folla rocambolescatrovarsi lì a far sul serio : cioèrischiare ! che nell'infantilismoapparente schianti anche il mio potere d'infischiarmene.

Un Dio molto interno poteva bastarenon bastò a me il mio egoismo

non bastò a queste genti il sapored'una ricchezza nella rivincita

del resto strozzata. Dovevamoesprimere il meglio : regarlarsi

ad una retorica che era urlodi protesta ad una distruzione

impavida nelle nostre impaurite case. (Persi da me quell'amoreal verticale, a solitario diorivoluzionandomi nella gente asportandomi dal cielo.)

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Grève générale 1969

lampadaires allumés très fort et dans le hurlementd'une foule calme rocambolesquese trouver là à agir sérieusement : c'est-à-direrisquer ! que dans l'infantilisme apparent se brise aussi monpouvoir de m'en moquer.

Un Dieu très intérieur pouvait suffiremon égoïsme ne fut pas suffisant pour moi

à ces gens ça ne suffit pas la saveurd'une richesse dans la revanche

du reste étranglée. Nous devionsexprimer le meilleur : nous offrir

à une rhétorique qui était hurlementde protestation à une destruction

intrépide dans nos maisonsapeurées. (Je perdis seule cet amourdu vertical, du dieu solitaireen me révolutionnant dans les gensen m'extirpant du ciel.)

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Moristi anche tu ; o volesti morire, ione seppi notizia prima di morirne, semmaifosti tu a darmela.

Ho la noia per traguardo, e la colpaper retroguardia.

Tangente diviso, sono grottesca staserae gli orologi con i loro molti oggettinon si stancano di guardare...

Tu mourus toi aussi ; ou tu voulus mourir, moij'en eus des nouvelles avant d'en mourir, si jamaisce fut toi à m'en donner.

J'ai l'ennui pour ligne d'arrivée, et la fautepour arrière-garde.

Tangente divisée, je suis grotesque ce soiret les montres avec leurs nombreux objetsne se lassent pas de regarder...

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Tu mourus toi aussi ; ou tu voulus mourir, moij'en eus des nouvelles avant d'en mourir, si jamaisce fut toi à m'en donner.

J'ai l'ennui pour ligne d'arrivée, et la fautepour arrière-garde.

Tangente divisée, je suis grotesque ce soiret les montres avec leurs nombreux objetsne se lassent pas de regarder...

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Il tuo biondo ceneremi riduce in ceneri

compari, scompari, poinon sai nemmeno se

hai qualche interessea incoraggiarmi, nemmenofai cenno.

E io che ti ricordoin ogni dettaglio, viventissimocon significati grandio piccoli assieme, di

cui tu non sai niente !

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Ton blond cendréme réduit en cendres

tu apparais, tu disparais, puistu ne sais même pas si

tu as un quelconque intérêtà m'encourager, tu ne fais même passigne.

Et moi qui me rappelle de toidans les moindres détails, si vivantavec des significations grandesou petites ensemble, dont

toi tu ne sais rien !

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Il Cristo (Pasqua 1971)

Perché morendo ci fai venir a festa ? Semmaiera l'altro lato che andava premiatoe tu non rifiutasti quel cibo acerbovinaigre di festa e botte sulle spalle

pacchie e grandiose costruzioni per lamente intorbidita : i cinque sensi hanno

dunque cosi poco conto o peso che tu

vaneggi su croce elegante e di legno ?

Se di legno marcisci non lamentare queltuo dolore alle spalle : esse fanno siche tu operoso insoddisfatto pero rimicome se fosse prima : e inoltre lezioni

dai del tuo operato costosissimo, nelvaneggiare di cose insapori e digerite

cosi come la finalità di tutte le cosecosi come il conto festoso e a rima quando

ti precipiti al balcone, dal balconeper vederti camminare.

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Le Christ (Pâques 1971)

Pourquoi en mourant tu nous fais venir à une fête ? Au besoinc'était l'autre côté qui devait être récompenséet tu ne refusas pas cette nourriture âprevinaigre de fête et tapes sur les épaules

veinardes et grandioses constructions dans l'esprit engourdi : les cinq sens ont

donc si peu d'intérêt et de poids que toi

tu délires sur une croix élégante et de bois ?

Si tu pourris sur le bois ne te plains pas de cettedouleur aux épaules : c'est grâce à elles que toi actif insatisfait cependant tu rimescomme si c'était avant : et en plus des leçons

tu donnes de tes œuvres si coûteuses, dans ledélire de choses insipides et digérées

telle que la finalité de toutes les chosestel que l'addition festive et en rimes quand

tu te précipites au balcon, du balconpour te voir marcher.

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Neve 1973

Neve, a bricconi sulla pianta della testarivoluzione pesante delle maniere, manierismoanche quello se tu non puoi più andare

avanti col soliloquio (arancione naturalmente)così come avevi condotto a sperare. Non

puoi più mentire a te stessa ! – s'è scippatala burrasca, e t'hanno chiuso dentro perfarti meglio ragionare.

Io non sono quello che apparo – e nel bestiamed'una bestiale giornata a freddo chiamovoi a recitare.

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Neige 1973

Neige, en coquins sur la plante de la têterévolution lourde des manières, maniérismecela aussi si tu ne peux plus aller

de l'avant avec le soliloque (orange naturellement)tel que tu avais amené à l'espérer. Tu ne

peux plus te mentir à toi-même ! – La bourrasques'est arrachée, et on t'a enfermée dedans pourmieux te faire réfléchir.

Moi je ne suis pas ce que je parais – et dans le bétaild'une journée bestiale à froid je vous appellevous à jouer la comédie.

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Corruzione nel giornale di iericentoventimila tiratori scelti.

Senza lezionescemava nella tenerezza costrittival'inconscia palla del nemico divertito.

Sovente nell'arte illustrataconsiglio donoscempio tutt'intero –

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Corruption dans le journal d'hiercent vingt mille tireurs choisis.

Sans leçondiminuait dans la tendresse constrictivela balle inconsciente de l'ennemi amusé.

Souvent dans l'art illustréconseil donmassacre tout entier –

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VI ~ Impromptu

Magnifique petit recueil, qui est parurécemment en trois langues aux États-Unis,italien, français et anglais, par Gian MariaAnnovi, Diana Thow et Jean-Charles Vegliante(qui avait le premier, à notre connaissance, etaccueilli et traduit Rosselli).

Les textes des trois auteurs quiaccompagnent la traduction font de ce petitlivre, dirigé par Gian Maria Annovi, un objetprécieux pour la connaissance de la poétesse.

Le recueil au titre français a été rédigé en1979 et publié en 1981, à Gênes chez San Marcodei Giustiniani.

L'introduction y était signée par GiovanniGiudici.

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Il borghese non sono io che tralappio d'un giorno all' altro coprendomi d'un sudore tutto concimato, deciso, coinciso da me, non altri – o se soltanto

d'altri sono il clown faunescoallora ingiungo l'alt, quella terribile sera che non vi fu epidemia ma soltanto un resto delle mie ossa che si rifiutavano di seccarsi al sole.

Non v'è sole sche non sia lumière, (e il francese è un par terre) quando cangiando viste, cangiasi forme, anche nel tuo nostalgico procedereverso un'impenetrabile morte.

Nel verso impenetravi la tua notte, di soli e luciper nulla naturali, quando

l'elettrico ballo non più compaesano distingueva tra chi era fermo, e chi non

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Le bourgeois ce n'est pas moi qui tralioppe d'un jour à l'autre en me couvrant de sueur toute conchiée, décidée, coïncidée par moi, pas les autres – ou si seulement

des autres je suis le clown faunesque alors j'ordonne l'alt, cette terrible soirée où il n'yeut pas d'épidémie mais rien qu'un reste de mes os qui se refusaient à sécher au soleil.

Il n'y a pas de soleil qui ne soitlumière, (et le français est un par terre) quand en changeant de vues, tu changeas de forme, mêmedans ta procession nostalgique vers une mort impénétrable.

Dans le vers tu impénétrais tanuit, de soleils et lumières en rien naturels, quand

le bal électrique plus du toutcampagnard distinguais entre qui était immobile, et qui ne

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lo era. Difendo i lavoratori difendo il loro pane a denti stretti caccio il cane da

questa mia mansarda piena d'impenetrabili libri buoni per una vendemmia che saràtutta l'ultima opera vostra

se non mi salvate da queste strette, stretta la misura combatte il soldo e non v'è

sole ch'appartenga al popolo !

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l'était pas. Je défends les travailleurs je défends leur pain les dents serrées je chasse le chien de

ma mansarde pleine de livres impénétrables bonspour une vendange qui sera toute votre dernière œuvre

si vous ne me sauvez pas de cesétreintes, étroite la mesure combattez l'argent et il n'y a pas

de soleil qui n'appartienne au peuple !

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Quando su un tank m'avvicino a quel che era un tango, se

la misericordia era con me quando vincevo, o inverso

se la tarda notte non fosse ora ora di mattino, io non

scriverei più codeste belle note! – Davvero mi torturi?e davvero m'insegni a non torturare la mente in agonia

d'altri senz'agonia ma mancanti al sole di tutti i splendidisoldi che hai riconosciuto nella Capitale del vizio

che era Roma ? E tu frassineoh lungo fratello d'una volta chiamato Pierpaolo, un ricordo

soltanto ho delle tue vanaglorie come se in fondo fosse l'ambizione

a gettar l'ultimo sguardo dall'ultimo ponte.

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Quand sur un tank je m'approche de ce qui était un tango, si

la miséricorde était avec moi quand je gagnais, et en effet

si la nuit profonde n'était pas là là ce matin, moi je n'

écrirais plus ces bellesnotes-là ! – Vraiment tu me tortures ?et vraiment tu m'apprends à ne pas torturer l'esprit à l'agonie

d'autres sans agonie, mais qui manquent au soleil de tout le splendide argent que tu as reconnu dans la Capitale du vice

qu'était Rome ? Et toi frêne oh long frère d'autrefois appelé Pierpaolo, un souvenir

seulement me reste de tes glorioles comme si au fond c'était l'ambition

qui jetait le dernier regard du dernier pont.

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VII ~ Notes dispersées et perdues

Le titre complet est Appunti sparsi e persi(1966-1977). Il a été publié en 1983 chez AeliaLaelia, à Reggio Emilia, avec une préface del'auteure.

Le recueil est divisé en deux parties : unetrès longue, avec beaucoup de poèmes trèscourts, Poesie, et une très courte, toute enitalique, et composée comme son titre l'indique,Appunti, de notes. Nous n'en donnons ici qu'untrès petit nombre qui ne pourra pas en rendretout la richesse.

Ici comme ailleurs, il y aurait beaucoup àcommenter sur la langue et ses particularités.Nous voudrions seulement attirer l'attention surce très beau terme de la seconde poésieprésentée, errabonda, qui est un latinisme queBaudelaire avait utilisé (« Moesta eterrabunda ») et Verlaine, à sa suite et à contre-pied (« Laeti et errabundi »). Ce qui nouspermet, au passage, de souligner l'influence deVerlaine (comme Lautréamont à qui elle feraune discrète allusion dans le Journal Obtus) surAmelia Rosselli.

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Poesie

una verde angoscia giovanileper i tuoi versi così lontanie per la mia

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Poésies

une verte angoisse juvénile pour tes vers si lointainset pour la mienne

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Improbabile sonetto una vita errabondacondotta sul filo del rasoio.

Macchiandosi le punta delle dita l'infarto premeditato una carovana del tutto obliqua.

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Improbable sonnet une vie errabonde conduite sur le fil du rasoir.

En me tâchant le bout des doigtsl'infarctus prémédité une caravane complètement oblique.

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io responsabile del tuo amore pudori rubati alla plebe nel caldo divampare della sonnolenza un automatismo ci consigliò

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moi responsable de ton amour pudeurs volées à la plèbe dans l'éclatement de chaleur de la somnolenceun automatisme nous conseilla

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La messa in scena dell'infanzia;il folklore punitivo.

L'ora è ingiustificalbimente romantica:questo chiudere in ritornelli lamentosi il moralismo dei miei trent'anni esattamente quel che sono.

Benché vi fosse fortunosa coincidenza passando sulla testa dell'alfabeta forse, forsennata

la povertà portava immediato sollievo.

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La mise en scène de l'enfance ;le folklore punitif.

L'heure est injustifiablement romantique :cette fermeture en refrains plaintifsdu moralisme de mes trente ansexactement ce que je suis.

Bien qu'ily eut coïncidence heureuse passant sur la tête de l'alphabet peut-être, forcenée

la pauvreté portait un soulagement immédiat.

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Lettere al Fratello

Nelle tombe le orgie si fanno da sole se sole sono le bianche immagini,io conla mia parentesi che non doveva durare i quaderni della mia mente avvolta nel tuo pastrano lo sfruttamento al suo colmo: a te invio queste brevi denuncie, nessuna

spiegazione può farti tenere il tempo se il ballabile è questo cratere spento.

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Lettre au frère

Dans les tombes les orgies se font toutes seules si les images blanches sont seules,moi avec ma parenthèse qui ne devait pas durer les cahiers de mon esprit enveloppé dans ton pardessusl'exploitationà son maximum : à toi j'envoie ces brèves dénonciations, aucune

explication peut te faire tenir la cadence si la mélodie est ce cratère éteint.

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(a Pier Paolo Pasolini)

E posso trasfigurarti,passarti ad un altro sino a quell'altare della Patria che tu chiamasti puro...

E v'è danza e gioia e vino stasera: – per chi non pranzanelle stanze abbuiatedel Vaticano.

Faticavo: ancora impegnata ad imparare a vivere, senonché tu tutto tremolante, t'avvicinavi ad indicarmi altra via.

Le tende sono tirate, il viola dell'occhio è tondo, non è triste, ma siccome pregaviio chiusi la porta.

Non è entrata la cameriera;è svenuta: rivenendoti morto s'assopì pallida.

S'assopì pazza, e sconvolta nelle membra, raduna a ségli estremi.

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(à Pier Paolo Passolini)

Et je peux te transfigurer,te passer à un autre jusqu'à cet autel de la Patrie que tu disais pur...

Et il y a la danse la joie le vin ce soir: – pour qui ne dîne pas dans les chambres assombriesdu Vatican.

Je fatiguais : encore occupée à apprendre à vivre, toutefois toi tout tremblant, tu t'approchais pour m'indiquer une autre voie.

Les rideaux sont tirés, le violet de l’œil est rond, ce n'estpas triste, ma comme tu priaisj'ai fermé la porte.

La femme de chambre n'est pas rentrée ;elle s'est évanouie : te retrouvant mort elle s'endormit pâle.

Elle s'endormit pâle, et bouleversée dans ses membres, elle ramena à elle les extrêmes.

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Preferiì dirlo ad altra infanziache non questo dondolarsi su arsenali di parole!

Ma il resto tace: non odo suonoalcuno che non sia pace mentre sul foglio trema la matita.

E arrossisco anch'io, di tanta esposizione d'un nudo cadavere tramortito.

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J'ai préféré le dire à une autre enfance que ce balancement sur l'arsenal des mots !

Mais le reste se tait : je n'entends aucun son qui ne soit paisible alors que sur la page tremble le crayon.

Et je rougis moi aussi, d'une telle exposition d'un cadavre nu trépassé.

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Appunti

Con una luna smorta che preoccupava riposava l'uomo dagli occhi bendati

il muro screpolato d'ambizioni altrui

arrostito il cristiano col cristianesimo

nella tragedia che tu vorresti imprimere il colore delle guance rientra

se non fosse che scrivendo te ne disfi

tastare l'aria fatta di persone che ti ostineresti a volte di dimenticare

ma non è per questo che spio le vostre movenzeè perché le vostre movenze spiano me...

(…)

l'ultima lezione da dare questo lugubre parlare del domani

non mi sono disfatto della luna: l'hosemplicemente gettata dalla finestra, ed ho mangiato allora

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Notes

Avec la lune blême qui inquiétaitl'homme aux yeux bandés se reposait

le mur craquelé d'autres ambitions

rôti le chrétien avec le christianisme

dans la tragédie que tu voudrais imprimer la couleur des joues rentre

si ce n'était qu'en écrivant tu t'en défis

tâter l'air fait de personnes que tu t'obstinerais parfois à oublier

mais ce n'est pour cela que j'espionne vos mouvements c'est parce que vos mouvements m'espionnent moi...

(…)la dernière leçon à donner cette lugubre manière de parler du lendemain

je ne me suis pas défait de la lune : je l'ai simplement jetée par la fenêtre, et j'ai mangé alors

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pane, e forse sangue

corpo imbevuto di te sino alle lacrime

i tuoi atti martellarono la mia morte

(…)

se tu vuoi avrò la tua età di pietra insolubile

la linea gotica del tuo sentimento

le sterilizzazioni della realtà puntando il ditto alla tua faccia

parole poverissime nel loro abito dimesso

cerco, evidentemente, il teschio del rinnovamento

fusione degli opposti intellettualicontinente ch'io ridicolmente colleziono

(…)

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du pain, et peut-être du sang

corps imbu de toi jusqu'aux larmes

tes actes martelèrent ma mort

(…)

si tu veux j'aurai ton âge de pierre insoluble

la ligne gothique de ton sentiment

les stérilisations de la réalité en pointant le doigt vers ton visage

motstrès pauvres dans leurs habits défaits

je cherche, de toute évidence,le crâne du renouvellement

fusion des opposés intellectuelscontinentque moi ridiculementje collectionne

(…)

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L'eleganza consiglia l'impensabile

tra le viuzze attorniate di sentimentali voci.

Punta le dita sporcate di terriccio

Tu hai un infanticidionelle tue preferenze per il potere

d'un tratto essere scaraventati nell'incompiuto

hai rotto un vaso: il tuo pensiero dolorante

tutti gli amori possibili in questa vita e nell'altra

enormi difetti pestando il pastrano amor proprio situato nel mezzogià lo conosceva

come le smorfie degli eroi subnormali nel bussare stancamente a porte ben spalancate

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L'élégance conseille l'impensable

entre les ruelles entouréesde voix sentimentales.

Montre les doigts tâchés de terreau

Tu as un infanticide dans tes préférences pour le pouvoir

d'un seul coup être projetés dans l'inachevé

tu as cassé un vase : ta pensée endolorie

tous les amours possibles dans cette vie et dans l'autre

énormes défautsen jetant le pardessusamour propre situé au milieu déjà il le connaissait

comme les grimaces des héros anormaux qui frappent avec fatigue à des portes grand ouvertes

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ha finti istintisotto il vuoto di lusso

hanno coerentamente servito questo popolo i crisantemi

parole senza colpa e senza versanti

politica del bisognola sanità degli altri in questo mondocinematografico

ombrando il segreto incorpo feci di me il suo oggetto,le ombre che sono nel cavo della mano

nei loro occhi così poco ingombri aspirando al miele d'un invisibile sicuro Dio quasi una serena imbrattata marcia

positivamente pulirsi le scarpe

le steppe hanno origine cantata, di ballo o di balletto, di stoffa verde

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il a des instincts feintssous le vide de luxe

ils ont servi de manière cohérente ce peuple les chrysanthèmes

mots sans faute et sans versants

politique du besoin la santé des autres dans ce monde cinématographique

en ombrant le secret dans le corps je fis de moi son objet,les ombres qui sontdans le creux de la main

dans leurs yeux si peu encombrés

aspirant au miel d'un Dieu invisible et sûr presque une marche sereine et maladroite

positivement nettoyer ses chaussures

les steppes ont une origine chantée, de bal ou de ballet, d'étoffe verte

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IX ~ Journal obtus

C'est sans doute un des recueils les plustouchants d'Amelia Rosselli. Ses différentesparties ont paru séparément jusqu'à lapublication en volume, en 1990, Il est constituéde :

~ Prime Prose Italiane (1954) ;

~ Nota (1967-1968) ;

~ Diario Ottuso (1968) ;

~ Esperimenti Narrativi.

Ce dernier texte vient éclairer nonseulement la lecture de ce recueil, mais marqueune étape importante dans le parcours poétiquede Rosselli.

Pour « Dario Ottuso (1968) » et pour« Esperimenti Narrativi », nous n'avons pasjoint le texte original en italien. Cela auraitconsidérablement alourdi une publication déjà,nous en avons conscience, difficile à manier àcause du support choisi.

Nous espérons néanmoins qu'on trouvera

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le temps, la patiente et l'énergie de lire ces textesqui sont, encore une fois, parmi les plus lyriquesde la poétesse.

La publication d'une plaquette bilingueserait la bienvenue.

Le volume étant très court, j'ai dû merestreindre pour ne pas dépasser ce qui esttoléré en termes de reproduction sans droits.Avec celles et ceux qui voudraient en savoir plus,je serais ravi de partager les traductionsentières.

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Prime prose italiane

*

Non so quale nuovo rigore m'abbia portatoa voi, case del terreno nero. La stesura dei campivi spinge sul limite dei viali appena inalberati.Tra i cespugli torti le case s'innalzano violente.Rompe il numero un fuoco d'erbe accese.

Ha le dita prese dal fastidio la luna, piena lanotte, incomoda giù per i balconi nuovi. Ètremante il quartiere d'ingiuria. La collina sciupail nodo del sole.

*

Il ponte è perfettamente bianco e si stendeperfetto sul fiume appena mosso. Le costruzionipallide si rincorrono fino alla sponda. In là varcaun ponte grigio.

Oltre lo squarcio della strada non andare,se questo è l'ultimo paesaggio.

*

Che strana trattoria possibile che anche quisanno tutto ? Mi accoglie l'oste grasso pericolosocon occhio sapiente. Era molto tempo sapeva.Mia esistenza dove m'hai buttata !

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Premières proses italiennes

Je ne sais quelle nouvelle rigueur m'a portéà vous, maisons au terrain noir. La texture deschamps vous pousse à la limite des voies à peinedésarborées. Entre les arbustes tordus lesmaisons se dressent violemment. Le numéro estrompu par un feu d'herbes incendiées.

Elle a les doigt prise par l'ennui la lune,pleine la nuit, incommodée en bas par lesnouveaux balcons. Il est effrayant ce quartierd'injure. La colline défait le nœud du soleil.

*

Le pont est parfaitement blanc et s'étendparfait sur le fleuve bougeant à peine. Lesconstructions pâles se poursuivent jusqu'à laberge. De là traverse un pont gris.

Ne pas aller au-delà de la déchirure de laroute, si c'est l'ultime passage.

*

Quelle étrange cuisine possible si ici aussiils savent tout ? Je suis accueillie par l'hôte grasdangereux avec l’œil qui sait. Il avait longtemps ilsavait. Mon existence où tu m'as battue !

*

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*

Bellissimo cameriere tu sei il re d'Italia tuche pazientisci e corri per le camomille.

*

Roma città eterna che silenziosamente dinotte ti bevi il tuo splendore hai tu nulla dapredire. Ti sei fatta principessa e languisci. Nullati vieta. Arrotonda pure i tuoi seni bianchi elustri. Le massaie si sono stancate di portarti leacque piovane. Tu hai succhiato latte di volpe hairubato hai saccheggiato e ora siedi riposiassestata.

*

L'acqua è una grande rana.Il fiume si scioglie di carità. La carità

scioglie i vizi l'acqua fiumara scioglie la cittàdondolante di incuria.

L'albero piange sottile armonioso di doglie.

Il fiume se ne va lentigginoso per via dellabrezza che non lo lascia più. È una panteraquesto fiume brigante. Non chiede nessunacompagnia.

L'ombra dei tronchi duri piedistalli.

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*

Très beau serveur tu es le roi d'Italie toi quipatientes et cours pour les camomilles.

*

Rome ville éternelle qui silencieusement denuit te bois ta splendeur tu n'as rien à prédire. Tut'es faite princesse et tu languis. Rien net'interdit. Arrondis si tu veux tes seins blancs etlustrés. Les ménagères se sont lassées de teporter les eaux pluviales. Tu as sucé le lait delouve tu as volé tu as saccagé et maintenant tut'assois reposes stabilisée.

*

L'eau est une grande grenouille.Le fleuve se dissout de charité. La charité

dissout les vices l'eau fluvière dissout la villebalançant d'incurie.

L'arbre pleure fin harmonieux de douleur.

Le fleuve s'en va avec ses tâches derousseur par voie de la brise qui ne le laisse plus.C'est une panthère ce fleuve briguant. Il nedemande aucune compagnie.

L'ombre des troncs durs piédestaux.

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Ombre che vi rammaricate ombre fatescherno. Indicate che ho perduto le stagioni.

Lisciati acqua per l'arrivo del mare pettinatie sorvegliati grossolana.

Morti voi camminate lungo le rive a sfiorarele donne.

Mare, ti hanno proclamato. Sei una grandebestia lumaca. Hai la sordità nel fondo tufo. Maremare hai la gioia e la misericordia con te. Sei unfiore trasparente una forte tomba.

*

Tu pioggia amica leggera tu camminidolente tu cammini dolente e lenta e scendi i tettiper soccorrere.

Le acque scorrono con appena un suono.

*

Barocco bello tutt'impigliato biancaginestra con la solita Maria blu sul liquido ceronudo scandalosamente il Cristo attraente allebambine. Cristo Jesù legno che non marcisi conlo cuore spinoso.

*

Erba nera che cresci segno nero tu vivi.

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Ombres qui vous ramifiez ombres faites raillerie.Montrez que j'ai perdu les saisons.

Aplatis ton eau pour l'arrivée de la mercoiffe-toi et surveille ta grossièreté.

Morts vous marchez le long des rives àeffleurer les femmes.

Mer, on t'a proclamée. Tu es une grandebête d'escargot. Tu as la surdité dans le fondbond. Mer mer tu la joie et la miséricorde avectoi. Tu es une fleur transparente une forte tombe.

*

Toi pluie amie légère tu marches endolorietoi tu marches endolorie et lente et tu descendsles toits pour secourir.

Les eaux s'écoulent avec à peine un bruit.

*

Baroque beau tout compliqué blanc genêtavec l'habituelle Marie bleue sur le cierge liquidenu scandaleusement le Christ attirant pour lespetites filles. Jésus Christ de bois qui n'y pourrispas avec le cœur épineux.

*

Herbe noir tu crois signe noir tu vis.

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*

Il fiume delicatamente si torce. Bello chesei fiumicino cadaverino. Ti pescano. Siedi comeun cane.

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*

Le fleuve délicatement se tord. C'est bienque tu sois petit fleuve petit cadavre. On te pêche.Tu es assis comme un chien.

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Journal obtus (1968)

I

Pourquoi ne pas comprendre la vie touteseule ? Pourquoi ne pas forcer la vie à secomprendre ? Pourquoi ne réussit-elle pas àcomprendre la vie ? Et en fait elle ne comprit pasla vie, sinon elle n'aurait pas eu peur de la vie, aulieu de la défier, comme si elle avait été un puits àremplir. La vie est un puits vide et on doitrespecter son vide.

Et puis elle fit bien de partir, et elle fit biende s'épargner, et elle fit bien aussi de laissertomber la vie ; et elle fait bien encore de ne pas selaisser tenter par la vie.

(…)

Il n'y a pas de monde prêt pour moi et ainsi jepars pour un monde moins prêt pour moi quivoudra me faire souffrir sévèrement pour lespeines que je me souviens pas d'avoir souffert, etpour mon arrogance : moi j'ai toujours cettevieille faute de ne pas avoir su être personne...

Et avec un esprit fin elle se tailla les deuxmains.

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Désormais je ne veux plus être personne,pensa-t-elle – et elle adopta un nouveaucomportement qui put lui permettre d'être cequ'elle désirait être, c'est-à-dire personne. Mais àchaque baiser à la main furtive suivait un regardsur la main baisée, qui l'étouffait de remords et lachassait de chez elle, comme si en fait il ne luirestait rien d'autre que de partir de chez elle. Jen'ai plus quarante ans, elle riait en pleurant, etelle donna sa démission. Désormais je n'ai pluspersonne se surprenait-elle à dire, et elle n'avaitmême pas fini de dire ce qu'elle disait quandsonna la cloche.

C'était la cloche de midi qui torturait lesjésuites, qui comme elles se croyaient obéissantsenvers Dieu. C'était une cloche qui sonnait pourceux, peu nombreux, qui contemplaient encoreDieu. Mais à elle il ne restait rien d'autre que derester, d'abord, pour pouvoir contempler Dieu, etpartir, ensuite, pour renier Dieu.

II

Elle partit sans dire à personne pourquoielle partait : elle partait, et c'est encore del'obéissance aux autres que de partir, eux quipréféraient qu'elle parte. Elle partit, et ce futcomme retirer sa veste, toute affairée à son

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départ, et cette pensée : pourquoi suis-je partie ?pourquoi m'ont-ils fait partir ?

Je ne sais pas pourquoi je suis partie, sedit-elle, et je ne veux même pas savoir pourquoiils ont voulu que je parte, se dit-elle, etmaintenant je n'ai même pas envie de partir,pensa-t-elle en partant.

Et en s'asseyant sur le siège mort, il fit unhonnête, fatigant voyage, toujours en pensantpour soi : pourquoi partir, pourquoi ont-ils désiréque je parte ?

Arriva : pourquoi se frustrer toute seule ?Pourquoi était-elle seule, et indésirable ?Pourquoi était-elle salie par son choix ? oupourquoi était-ce un engrenage nouveau ? Ce futcomme si une foire d'interrogations la frappèrentà l'endroit juste : la tête : le nombril : tout savoir :ne rien savoir : se préférer morte.

(…)

VIII

(…)

Plutôt le mal, la vérité brusque et tragiqueet la décision qui en résulte, que cette dansecontinue entre joie extatique et très brève, et

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difficulté à dominer la douleur souterraine etinexplicable. Pire, le mal des autres parfoisresplendissait très net, et les causes étaientclaires : mais tous deux au fond de son espritétaient pardonnables puisqu'ils n'étaient pasintentionnels, puisqu'ils étaient confus,désespérés. Le soupçon que le mal pouvait êtreen eux clair et décidé affleurait de temps entemps et réclamait une explication. Àl'explication donnée par son esprit fertile ou sonimagination chaque trempe d'homme luisemblait limpide et jugeable. Seulement à derares occasions s'apaisait la sourde rancœur. Laclarté était comme un faux lac : le destin lui-même se moquait d'elle... ou mettait à l'épreuvele caractère anguleux. Lequel des deux montsfranchir : que corriger ; comment se laisser allerà un flux moins négatif de la vie ? Aucun pont nefaisait obstacle à sa route mais son retour étaitdéchiqueté par les mines déterrées, et denombreux petits ponts grisâtres s'effondraientdans les roches bidextres, maladroites, asséchées,lugubres.

Comment se mettre d'accord sur le gâchis ?Comment résoudre sa propre ambiguïté ? Lafuite devenait burlesque et ce rêve pathétiqued'un avenir calme et droit n'était qu'un jouetentre ses mains.

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Désormais la fugue se transformait en undéchirant désordre végétal et animal. Les fossesse remplissaient de lentes larmes rouillées, et,elle, elle descendait dans ces petites vallées salespour tenter de sortir de la collecte des déchetsaccumulés là-bas, ou dispersés de manièreimmonde dans les plaies salles de la fosse. Elleerrait, embarrassée, avec les pieds enfoncés dansla boue besogneuse de ses chaussures trempées.

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Expériences narratives

Comparer différentes proses courtes, dedifférentes époques – alors qu'au contrairel'attention était portée surtout sur l'écriture depoèmes – a été l'intention de ce livre.

« Premières proses italiennes » est un textecourt de 1954, et a un titre un tantinet ironique.Mais il s'agissait vraiment de la première fois quej'écrivais en italien, en prose non scientifique ousimplement non fictionnelle et rationnelle. Et il yavait aussi l'intention d'éviter la prose poétique,et l'influence, entre autres, de Dino Campanaétait forte. Le texte est bref, en quelque sorteinspiré : et il a été inspiré, justement, par leTibre, près duquel je vivais. En partie il a été écrithors de chez moi, en marchant, et donc écrit à lamain ; ou alors c'étaient des notes que je prenaismentalement et ensuite je retranscrivais cetteécriture mentale, une fois chez moi. Je croispourtant d'être parvenue, il y a très longtemps en1954, à éviter (comme la peste), la typiqueécriture dite « prose poétique », si commune àl'époque. Ce texte voudrait avoir la tendreté de lapoésie de Scipione, et ainsi éviter le dramatiqueCampana.

Naturellement il s'agit d'une réimpression,le texte est extrait du livre Premiers écrits (1952-1963) publié chez Guanda en 1980.

Pour « Note », publié à la fin des années

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soixante-dix dans le revue « Autobus » n.0/1,dirigée par Giorgio Manacorda, les dates et lesintentions sont moins simples. Ce sont des textesécrits à moitié à la main, et l'autre à la machine,et avec une intention peu claire : on le voit auxdates (1/1/67 ; 25/3/67 ; 12/1/68 ; 30/12/68). Enobtenant cependant – à travers cette pratique dela prose, en écrivant dans le train, ou assise dansun café esseulé, ou au contraire devant lamachine à écrire – une unité involontaire. En faitquelques passages, d'environ une page et demipresque tous les cinq (et cela par hasard), étaientautre chose qu'une pratique de l'écriture, notesretranscrites dans des lieux différents et à desépoques parfois lointaines. C'est une prosedifficile, intérieure autant que la poésie, mais quivoudrait refléter comme un miroir incurvé, lerationnel. Je l'ai lue en public une fois, au lieu delire des poèmes et l'attention était peut-être plusimportante. Les cinq passages furent ensuitechoisis par Spagnoletti, comme prose errantedans le livre qu'il a édité, Antologia Poetica(Garzanti 1987).

Dans un sombre automne-hiver de lapensée, j'écrivis Journal obtus, qui est de 1968, etque j'aurais voulu être le début d'uneautobiographie possiblement très peubiographique. Je tentai un style brut et simple,plus tard appelé « sauvage ». Le premier chapitredevient ensuite une espèce de mini-roman, parce

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que la conclusion était plutôt sur un tonphilosophique, et qu'elle me paraissaitdouloureusement suffisante. Ayant évitél'autobiographie, autant qu'il était possible alorsen poésie, ce texte « pauvre » en revanchel'admettait, avec quelques coupures, pour ne paslaisser reconnaissable d'idéals « maîtres »,d'idéal « frère », et d'« ambiance culturelle »romaine. Pour le reste le titre et le texte parlentd'une adolescence difficile et tardive ; d'où lestyle un peu ridicule, et les conclusions négatives.

Journal obtus je le gardais jusqu'à sapublication sur la jolie et petite revue romaine« Braci » n.7 (1980), comme mon seul texteintime et que je n'ai pas encore tout à faitcompris.

Des trois textes est évident que ce quim'attirait était l'expérimentation en prose : il estégalement vrai et probable qu'on dit davantageen prose qu'en poésie, souvent maniériste etdécorative.

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Amelia Rosselli & Giacinto Spagnoletti

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X ~ Instinct de mort & instinct de plaisirchez Sylvia Plath

Nous proposons ici la traduction de lapréface à quelques poèmes de Sylvia Plath,traduits de l'anglais vers l'italien par AmeliaRosselli et parus chez Mondadori en 1980, puis1991.

Article aux résonances particulières,quand on connaît les similitudes entre la vie desdeux poétesses. Qu'on nous permette ici de lesrappeler, puisque Amelia Rosselli reste encoreune inconnue auprès du public français. SylviaPlath perd son père à 9 ans, Amelia Rosselli à 7ans. …

Ainsi, nous ne pouvons nous empêcher delire cet article comme un portrait projeté, uneauto-analyse par l'autre, tout en faisant la partentre ce qui appartient en propre à l'une et àl'autre.

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Tout simplement féroce, le rapport queRossana Rossanda imaginait entre la poétesseSylvia Plath et sa mère dans son compte-rendudu volume Lettres à la mère publié en 1979 chezGuanda. Il me semble qu'alors Rossenda tendaità politiser le sujet à tel point qu'elle en donnaitune interprétation violemment altérée etdéformée en partie par une superpositionpseudo-féministe et pseudo-psychologique. Sonarticle sortit dans « L'espresso » du 4 novembre1979, accompagné de belles et précieusesphotographies, mais il se fourvoyait quant ausujet sur lequel il portait une ironique voire unecruelle analyse : c'est-à-dire le rapport mère-filledans l'Amérique d'après-guerre. Moinstrompeuse cependant était son énergique analyseprise dans un sens socio-politique ; si ce n'estqu'il traitait d'une jeune fille, poétesse de génie,une des meilleures sans conteste de cette moitiéde siècle dans un Occident travaillé par les crises« au féminin », et d'une mère accusée avant touten tant qu'Américaine, et parce qu'il y avait unehistoire de suicide (la Plath, qui était née en 1932à Boston, mit fin à ses jours en 1963 à Londres),et enfin parce que mère et fille étaientd'extraction visiblement « bourgeoise » ettypiquement et de manière conformiste « in »,aspirant au succès (pauvres petites, dans lesétudes !) entre un collège et un autre (Smith dansle Massachusetts et Cambridge en Angleterre).

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Qui était Sylvia Plath ? Et qui était samère ? De cette dernière, Aurelia Schober, on saitseulement que, d'une origine petite bourgeoisie,après être devenue veuve, elle se consacra à sapassion pour les lettres, même si elle la sacrifiaen partie pour lier sa famille à un Allemandpolonais spécialiste de biologie et de psychologiesociale et méticuleux observateur de la vie desabeilles. Si sa fille écrivit près de 700 lettres entreses dix-huit et ses trente ans ce fut, commel'affirme Aurelia Schober, parce que « nous nepouvions pas nous permettre des appels longuedistance » et parce que aussi Sylvia aimait écrire.Si la Rossanda analysait l'esprit typiquementoptimiste et pseudo-candide des lettres de Sylviaà sa mère, écrites dans ce style particulier quebeaucoup de jeunes filles américaines pensentdevoir prendre pour remonter le moral de leursmères restées seules, et spécialement dans ceslettres écrites entre vingt et vingt-quatre ans,c'est parce qu'en un certain sens il lui« convenait » d'analyser le rapport mère-fille enun seul sens : en oubliant que quand la Plath semaria, le style de ses lettres acquit à la fois un toncalme et réflexif et non plus jubilatoire.

Plath est étudiée non pour cette soi-disanttypicité de jeune fille américaine toute succès,dépressions et vagues tentatives de suicide (à lamode aussi ici en Europe), mais au contrairepour sa grandeur auto-délimitée et pour

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l'inactualité de sa poésie, traduite en partie parGiovanni Giudici (Lady Lazarus e altre poesie,Mondadori 1978).

Rossanda, bien que mettant le doigt dans laplaie en ce qui concerne la malheureuse-heureuse jeunesse américaine de Sylvia Plath(qui s'efforçait de cacher sa diversité de créatriceet d'artiste dans des milieux qui favorisaient peul'excentricité de son talent), ne relève pas que leroman à moitié biographique de Plath (Lacampana di vetro de 1961-63, trad. ItalienneMondadori 1968), écrit pour des raisons hélascommerciales, fut nettement répudié par lapoétesse elle-même, qui en avertit sa mère. EtAurelia Schober fit bien – enseignante au lycée,puis secrétaire et sténographe – à chercher, aprèsla mort de Sylvia, à retirer de la circulation, nonparce que, comme le soutient la Rossanda, il yeût (en un seul point) ressentiment de la filleenvers elle, mais surtout parce qu'il évident quele style et l'analyse de cette biographiquecommercialisée est d'une telle discordance parrapport à la haute valeur et à l'enviable acuité dela poésie de la Plath, qu'on reste éberlué quel'auteure se soit aussi ingénument vendue pourles quelques sous qu'un roman, et en fait mêmepas un grand best-seller, pouvait lui rapporter.

Dans tout le roman il n'y a seulementqu'une seule et longue séquence d'un certainniveau psychologique et littéraire, et c'est la

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description précise et honnête d'une crisesuicidaire méditée en partie inconsciemment parun jeune homme de dix-neuf ans pendant unchaud été dans un petit et ennuyeux village del'arrière-pays bostonien. Le reste, surtoutstylistiquement, est médiocre, etmalheureusement, plutôt que d'étudier à fondmême philologiquement la surprenante limpiditédes quatre recueils de la poétesse, il est à la modedans beaucoup de pays d'en étudier la biographie(du reste artificielle et comme « reflétée » dansles lettres un peu forcées et convenues à sa mère,et par le roman écrit à la va-vite pour de l'argentet pour des raisons commerciales). Et il est à lamode aussi de l'étudier selon des clefslourdement féministes, adjectif en fait nonpertinent – sauf indirectement – à la thématiquede la Plath (son féminisme qui pointe plutôt dansles choix thématiques, et dans la « pratique »objectale et un peu glacée des métaphores).

À l'analyse de chacun des quatre recueils devers de la Plath écrits entre 1960 et 1962, onremarquera que la classification n'est même pasadaptée que, par commodité, on utilise souventpour son travail, c'est-à-dire celle de« confessionnelle ». Et malheureusement, que cesoit dans les éditions mondadorines, même si cen'est pas le cas dans le second volume (Le museinquietanti, sous la direction de GabriellaMorisco, traduction de G. Morisco et A. Rosselli,

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Mondadori 1985), ou dans d'autres recueilspartiaux, ou dans des revues féministes peu ouprou, l'attention est toute tendue vers ces deuxou trois poèmes parmi la cinquantaine de chaquerecueil, qui s'inspirent véritablement de faitsautobiographiques. Les plus belles poésies dePlath sont en revanche justement celles danslesquelles elle se transcende elle-même, où sonpetit moi torturé et casanier (études,récompenses, carrière, mari, enfants, amies)disparaît délibérément, et par choix conscientd'auteur, en face de thèmes bien plus urgents, etsans l'éternelle « plainte » qui nous a silongtemps oppressés aussi bien dans la poésie dela soi-disant jeune rebelle mais en fait repliée surle « privé », que dans certaines protestationsmalheureusement pleines de ressentiment etpresque d'un racisme féministe. Ce fut justementla mère Aurelia à s'opposer publiquement àl'exploitation de la poésie de Sylvia de la part desmouvements féministes après sa mort aux États-Unis. Robert Lowell, le poète fondateur du style« confessionnel » auprès de qui Plath brièvementétudia, surpasse lui aussi dans ses années dematurité l'autobiographisme désormais usé pourune réflexion plus attentive et universelle (dansce cas aussi, après un changement de résidencedans le Kent, en Angleterre).

Une thématique qui est constammentdélaissée quand on enquête sur les causes de la

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fin tragique de Plath est celle de sa peut-être tropoptimiste tentative de concilier une viepleinement matrimoniale avec l'activité créatriceau sens large. La Plath était trop persuadée quefamille et création artistique pouvaient coexister :en revanche elle se choisit pour compagnon unmentor plus qu'un mari, le poète aujourd'huicélèbre Ted Hughes. De ma connaissance dumilieu littéraire et universitaire londonien j'aiappris que la faillite du mariage de Plath futcausé surtout, dans sa phase finale, par unintolérable climat de compétition qui peu à peus'était instauré entre eux deux. Que ce soit l'amiAlvarez (auteur d'un essai critique Le Dieusauvage – le suicide comme art, Rizzoli 1971), ouTed Hugues, ils ont fini par abandonner la Plath,l'un d'une manière, l'autre d'une autre, quandelle mit en scène une seconde tentative desuicide.

Qu'ensuite la recherche artistique à ce hautniveau auquel l'a porté Plath, et à une telleintensité, soit un risque mortel en soi,malheureusement tout artiste le sait bien dès ledébut de sa vocation à faire des expérimentationsavec la vie ; aussi bien que toute femme sait quela vie matrimoniale, les métiers de la maison, lesenfants, le soutien au mari (peut-être pas de lamême profession !) et l'indépendanceéconomique ne coïncident pas toujours avec lapleine réalisation d'une vocation créative. On

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pourrait étudier autant que l'on voudral'adolescence, les lettres et la biographie de Plathsans jamais trouver autre chose que des« miroirs » grossissants et déformants. Bien plusclairs ses vers, et plus honnêtes. Qui s'arrêted'insister sur des poésies intitulées Papa, LadyLazarus, Lesbo, Ourlet, Mort & C., Trois femmes(drame pour la radio), qui sont dorénavantchoisies par tout le monde dans une espèce defrénésie tardive pour le psychologique, l'horrible,le privé, la cause cachée, se rappellera enrevanche que toutes les meilleures poésies de laPlath ont pour titre des phrases ou des vocablespoétiquement neutres ou ambigus, comme Lejardin du manoir, Les Hauts d'Hurlevent,Automne de la grenouille, Les cloches deParliament Hill, La corneille du temps pluvieux,Inquiétude, Mystique, Amnésique, Talidomide,Ariel, La lune et l'enclume, Petite fugue. Déjà deces titres et de leurs thèmes sous-entendus, ondevinerait que la Plath est mystique et en mêmetemps concrète dans la métaphore, comme dansson langage sec et musical, digne héritière deShelley et de Keats, ou de Blake et de Dickinson,et que ses petites origines bourgeoises ne sontpas démenties par une poignée de lettres à moitiéhumoristiques, émus au contraire par l'estime etla gentillesse du rapport qui se révèle envers unemère assez cultivée pour en comprendre lagénérosité.

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Si vraiment nous devons commenter dansun sens psycho-biographique les lettres et la viede Sylvia Plath, nous pouvons seulement ajouterque ce n'est sûrement pas la mère Aurelia quidoit être retenue pour responsable, comme il estarrivé à plusieurs reprises, de ce suicideinévitablement réussi en 1963. Cette« inévitabilité » se remarque aussi dans ledurcissement progressif, comme des pierresfendues, des dernières poésies : comme si Plathelle-même était consciente de refermer sonproblème d'excès de vie, transvasée et distilléejusqu'à son essence finale. Son expérience dejeunesse de la psychiatrie et des électrochocs en1953 l'avait épouvantée même sans l’abîmer(nous voulons l'espérer) physiologiquement. ÀLondres, en 1963, auraient suffi unenvironnement encourageant et authentique,plus d'argent, « la volonté », pour substituer àl'ancien et archaïque hôpital psychiatrique unpsychologue. N'oublions pas du reste quefondamentalement (probablement) il reste chezPlath le problème non éclairci du père, perduquand elle avait neuf ans, et jamais retrouvé sousforme « substitutive ». Et donc, ce problème defond a été mal ou jamais résolupsychologiquement, vu que le traumatismeinfantile et puis adolescent (les hôpitauxpsychiatriques, les électrochocs) est un doubletraumatisme non résoluble à travers le

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« confessionnalisme » de ces peu nombreux maisâpres poèmes rédempteurs, qui en fait sont d'unebasse qualité et les « traces » du traumatisme àaffronter. Problème qui est ensuite encore moinsrésoluble à travers un roman à finalitéscommerciales. Ainsi, à partir des lettres et de labiographie d'une poétesse d'un talent aussiinhabituel, il n'y a peut-être qu'une seuleinterprétation à garder : si en accusantsymboliquement « la mère » on accuse à traverselle une société thérapeutiquement ignorante etmécanique, et, ce qui est pire, inconsciente dansson matriarcat d'empreinte capitaliste1, alorsd'accord : mais on doit le faire aussi pour l'Italieet l'Angleterre, où certainement on espérerait quedans les années quatre-vingt dix l'influence del'environnement puisse sauver à temps, puissesauver aussi du suicide et de l'attention decritiques publicitaires (s'il faut toucherfinalement le lien spécifique).

Mais pour changer de thème et illustrerquelques-unes des plus belles poésies de la Plath,que j'ai mentionnées plus haut, je voudrais enprésenter ici cinq déjà publiées dans le volumeLes muses inquiétantes de Mondadori,auxquelles je joins cinq autres traductionsinédites de poésies extraites du volume encorepeu connu des Collected poems édité par TedHugues pour Faber & Faber (1981). Ce livre très

1 « matriarcato di stampo capitalistico ».

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intéressant comprend tous les poèmes de laPlath, y compris ceux écrits entre 1956 et 1963.Le volume, de 340 pages, inclut dans la sectionJuvenilia, cinquante poèmes parmi ceux que laPlath écrivit durant les trois ou quatre annéesavant 1956. Beaucoup d'entre eux ont étécomposés en tant que devoirs imposés par sonprofesseur d'anglais au Smith College, AlfredYoung Fisher : dans presque tous les cas, Sylviasemble avoir accepté les suggestions textuelles duprofesseur. Dans le livre, enfin, il y a uneréférence aux Uncollected Juvenilia, environquatre-vingt dix poèmes de jeunesse inéditsconservés aux Archives Sylvia Plath et dans laLilly Library de l'Université de l'Indiana ;d'autres encore, mais dont l'éditeur Hughesfournit seulement les titres, se trouvent au SylviaPlath Estate, et sont tous antérieurs à 1956, doncavant ses vingt-quatre ans.

La grande nouveauté de Collected Poems,introduit par Ted Hugues, est que tous lespoèmes sont enfin présentés dans l'ordrechronologique, autant que possible (puisque tousles poèmes ne portent pas de date).

Le premier livre de la Plath est pourtant de1960, et a été publié par l'éditeur londonien W.Heinemann le 11 février 1963. À l'époque de Noël1962, la poétesse recueillit la majeure partie deses poèmes, aujourd'hui connus comme le recueilAriel en une séquence soigneusement étudiée. Il

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rassemble environ deux ans et demi de travail,achevé juste avant sa mort, survenue le 11 février1963.

Ariel, qui fut ensuite publié à titreposthume en 1965 par Faber & Faber, était unvolume plutôt différent de celui que la Plath avaitcontinué d'écrire en 1963, bien qu'elle-même leconsidérait comme une partie d'un éventueltroisième livre, et d'inspiration différente de ceuxécrits entre Le colosse de 1960 et ceux de 1960-62. Hughes considère l'anthologie édité par sessoins comme un compromis entre la publicationd'un grand volume de la production poétiqueentière de Sylvia et les œuvres seules, sortiesentre 1965 (Ariel), 1967 (The Colossus,réimprimé intégralement par Faber & Faber) et1971 (Crossing the Water et Winter Trees).

Les cinq poèmes inédits que j'ai traduits etprésentés ici sont tirés de Collected Poems de1981, qui sera publié dans quelques années parMondadori.

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Tadahiko Wada

Tadahiko Wada a traduit Variazionibelliche en japonais en 1993, paru chez SoshiYamada, Tokyo.

C'est lors d'un séjour au Japon, alors quenous flânions chez un petit bouquiniste tokyoïtequ'une amie japonaise – Fumiko Sugie – me fitremarquer cette traduction (à laquelle moi-même je travaillais en français) dont la datem'intrigua : c'était à ma connaissance la seuletraduction du recueil (21 ans avant la premièreversion française !) du vivant de la poétesse.

Du Japon à l'Italie, que le lien fût AmeliaRosselli me parut extraordinaire...

Qui était ce Tadahiko Wada ?Avait-il connu Amelia Rosselli ?Comment en était-il venu à traduire les

Variations ?C'est grâce aux réseaux sociaux que je suis

entré en contact avec Tadahiko Wada. Trèssympathiquement (qu'il soit remercié ici pour sabienveillance et sa disponibilité), à mademande, il a accepté de me raconter lescirconstances de cette rencontre avec AmeliaRosselli.

C'est une traduction en français d'un textequ'il m'a envoyé en italien que je publie ici.

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J'ai connu Amelia Rosselli en été 1990,place Navone, où la poétesse m'avait donnérendez-vous en précisant même l'endroit oùm'asseoir dans son bar préféré. Le numéro detéléphone, c'est Roberto Roversi qui me l'a donnéquand je lui dis que j'étais en train de traduire lerecueil Variazioni belliche. C'est comme cela quenous nous sommes rencontrés à Rome devant laFontana dei Quattro Fiumi. Nous avons parlélongtemps, puis elle m'a emmené dans un pubirlandais et dans son appartement qui donnaitsur la Chiesa Nuova. C'est en regardant lecoucher de soleil troublé par les merles que jequittai la mansarde.

Cette première rencontre avec AmeliaRosselli je l'avais décrite dans divers articles.Mais il y a encore un épisode inédit à raconter. Cefut justement le jour même où je venais à Romepour rencontrer Rosselli que je croisai StefanoBenni sur les marches du train que j'allaisconnaître quelques jours plus tard à Bolognetoujours grâce à Roversi.

On comprend que mes rencontres despoètes venaient presque toujours du poètebolonais, au moins jusqu'à la moitié des années90. Mais au début il y avait Giovanni Giudici. Cefut Giudici qui m'envoya chez Roversi après notrepremière rencontre dans le bureau milanais de laDirezioni di Pubblicità et des relations publiquesd'Olivetti. J'avais à peine commencé à étudier à

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l'Unibo [l'Université de Bologne]. C'était à la finde l'automne 1977. Je me rappelle encore quej'étais allé à Milan de Bologne quelques joursaprès une chute de neige insolite de 40cm en unenuit. Mon oncle m'ayant conseillé d'aller frapperà la rédaction de Comunità dirigé par Zorzi, jecommençais à mettre le pied dans le mondelittéraire italien. Zorzi, Giudici, et puis Roversim'avaient encouragé à établir des rapportspersonnels avec Montale, Sereni, Zanzotto... ettant d'autres (on pourrait ajouter encore d'autresécrivains et intellectuels italiens, notammentEco, Calvino et Tabucchi).

Ce fut donc Giudici qui me fit connaîtreAmelia Rosselli comme poétesse avec l'Antologiapoetica (Garzanti, 1987) qu'il avait dirigée endédicaçant même une très belle préface « àAmelia Rosselli ». Ainsi commencèrent meslectures rosselliennes, en recueillant tout lematériel possible, et avec le temps me vint l'enviede traduire ses poèmes, en particulier lesVariazioni belliche. Par chance, j'avais un éditeurspécialisé dans la poésie qui voulait créer unenouvelle collection. Nous avons décidé tout desuite d'incorporer Variazioni belliche dans lacollection « Lucioles ».

Voilà pour la préhistoire des Variazionibelliche en japonais.

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Tadahiko Wada est né à Nagano en 1952, il vitactuellement à Tokyo où il enseigne à la TokyoUniversity of Foreign Studies.

Il a écrit, publié, dirigé et co-dirigé de nombreuxouvrages, parmi lesquels :

Fascimo e …, 2008 SUISEISHA-TokyoVoce, in quanto non-senso, 2004 HEIBONSHA-Tokyo

Venezia, sogni di acqua, 2000 CHIKUMA SHOBO-TokyoIntorno Caravaggio, 2001 Jinbun Shoin-Kyoto

Rinascimento pasoliniano, 2001 Tottemo Benri-KyotoL’imaginazione del fascismo, 1997 Jinbun Shoin-Kyoto

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Studi sul modernisimo, 1994, Shichosha-TokyoLettratura mondiale d’oggi, 1994 Air Univ. Press-Tokyo

Politica e Arte, 1989 Iwanami Shoten-Tokyo

Il a traduit Umberto Eco, Italo Calvino, AntonioTabucchi, Tommaso Landolfi, Roberto Longhi, PinoArlacchi, Mario Giacomelli.

En 2004, il a été fait Commendatore dellaRepubbilica italiana “Solidarietà della stella italiana”,

et a reçu en 2011-12 le prestigieux PremioNazionale per la Traduzione della Repubbilica italiana.

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Gabriella Sica

Amelia d’Iliade

per Amelia Rosselli

Bruciavi, a un’ardente ansia da precaria !E non avevo il coraggio di stare accanto al tuo male da spavento Amelia amata da lontano al tuo gentile

[delirare, quel viaggio con te in treno verso i Giardini di Venezia non potevo farlo, no, quel luglio dell’ottantuno, andavo solitaria dopo la lettura di notte per le calli vestita tutta di bianco nell’età della candida presunzioneintrepida, sì, ma tu chiedevi, chiedevi tanto,torturata dalla Cia nel mondo-cella.Dovevo stare dai fiori di mandorlo già secchi lontanac’era lo sforzo di rifare la vita al bel cielo di Romatante cose da ricominciare tante nuove da scrivere e fare.Tu hai capito piena di dignità com’eri raccolta in una severa malia familiaree la parola soave.Anche tu t’eri in aria librata libellula esile e bellache t’arrovellavi e inquieta amavi nella tua Iliade blu dall’ira sospinta in guerra per amore,Amelia bellica e sanguinante di gocce rossecon l’elmo casto d’Atena e lievi spade decisa a librarti su libera più su ancoraa raccogliere il dolce miele degli dèi in un’urnae intanto lacrimavi per i tuoi cari e la città morta.Noi due sole, tu al di là del Tevere io al di qua in camminofluiva tra me e te il mortale rischio della poesia-destino se maestra ragazza e ragazza allieva

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Amelia d'Iliade

pour Amelia Rosselli

Tu brûlais, d'une anxiété ardente de précaire !Et je n'avais pas le courage de rester à côté de ton malpar peur Amelia aimée loin de ton gentil délire,ce voyage avec toi en train vers les Jardins de Veniseje ne pouvais pas le faire, non, ce juillet quatre-vingt-un,j'allais solitaire après avoir lu la nuit dans les ruellestoute vêtue de blancà l'âge de la présomption naïveintrépide, oui, mais toi tu demandais, tu demandais tellement,torturée par la CIA dans le monde-cellule.Je devais rester loin des fleurs d'amandiers déjà séchéesil y avait l'effort de refaire sa vie sous le beau ciel de Rometant de choses à recommencer tant de nouvelles à écrire et à faire.Toi tu as compris pleine de dignité comment tu étaisrecueillie dans un terrible maléfice familialet la douce parole.Toi aussi tu allais en l'air flottantelibellule frêle et bellequi s'enroulait et agitée tu aimais dans ton Iliade bleuepar la colère entraînée en guerre pour l'amour,Amelia bellique et sanglante de gouttes rougesavec le casque chaste d'Athéna et de légères épéesdéterminée à monter haut à te libérer plus haut encorepour recueillir le doux miel des dieux dans une urne et en attendant tu versais des larmes pour ceux qui t'étaient chers et la ville morte.Nous deux seules, toi de l'autre côté du Tibre moi de ce côté en

[chemins'écoulait entre moi et toi le risque mortel de la poésie-destinsi maître fille et fille élève

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se in mansarde piene di buoni libri se quel che la vita terribile levacosì si era ferite e armateAmelia piccola Melina, rondinella amara che non volevi

[un nidoe pure tra i rami in croce di un albero il tuo rifugio

[cercavi.

Alla fine fragile e ancora con le ali ti eri tra i tetti [fortificata

ma piano piano si sgretolava la fortezza spiata e assediatacome la tua follia saggia. Ah quanto eri ragionevolecon quegli occhi azzurri penetranti e io irragionevole!

25 marzo 2006da Le Lacrime delle cose (2009)

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si dans les mansardes pleines de bons livressi ce que la vie terrible enlèveainsi on allait blessées et arméesAmelia petite Melina, hirondelle amère que ne voulais pas de nidet pourtant entre les branches en croix d'un arbre ton

[refuge tu cherchais.

Finalement fragile et encore avec des ailes tu t'étais entre [les toits fortifiée

mais lentement lentement s'effritait la forteresse [espionnée et assiégée

comme ta sage folie. Ah ce que tu étais raisonnableavec ces yeux bleus perçants et moi déraisonnable !

25 mars 2006de Les Larmes des choses (2009)

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© Dino Ignani

Gabriella Sica è una delle presenze piùassidue nella poesia italiana contemporanea findall’inizio degli anni Ottanta quando ha direttola rivista “Prato pagano” su cui hanno esorditomolti dei poeti italiani di oggi. Suo ultimo libroin versi è Le lacrime delle cose (2009). Hapubblicato poi libri in versi e in prosa: Emily ele Altre. Con 56 poesie di Emily Dickinson(2010) e Cara Europa che ci guardi. 1915-2015(2015).

Ha realizzato alcuni video per la Rai sui

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grandi poeti italiani del Novecento (Ungaretti,Montale, Saba, Penna, Caproni e Pasolini)presentati en avril 1999 au théâtre Molière de laMaison de Paris. Ha partecipato à larétrospective Poètes dans la ville pour le 40èmeanniversaire du jumelage Paris-Rome (Paris,décembre 1996 et Rome, février 1997).

Sue poesie sono state tradotte in francese,spagnolo inglese, rumeno, croato, turco ecatalano. L’ultimo riconoscimento, conseguitonel settembre del 2014, è stato il PremioInternazionale all’Opera poetica e alla Carrieradel “LericiPea”.

Nel sito ufficiale, www.gabriellasica.com,si possono leggere sue poesie, traduzioni,notizie, interviste e un’autobiografia.

Gabriella est une des présences les plusassidues dans la poésie italienne contemporainedepuis la fin des années 80 alors qu'elle dirigeaitla revue Prato pagano où sont parus beaucoupdes poètes italiens d'aujourd'hui. Son dernierrecueil de vers est Les larmes des choses (Lelacrime delle cose), paru en 2009. Elle a publiéensuite des livres mêlant vers et prose : Emily etles autres, avec 56 poèmes d'Emily Dickinson(2010) et Chère Europe qui nous regarde, 1915-2015 (Cara Europe che ci guarda, 1915-2015) en2015.

Elle a réalisé plusieurs vidéos pour la Rai

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sur les grands poètes italiens du XXe siècle(Ungaretti, Montale, Saba, Penna, Caproni etPasolini) présentées en avril 1999 au théâtreMolière de la Maison de la poésie à Paris.

Elle a participé à la rétrospective Poètesdans la ville pour le 40ème anniversaire dujumelage Paris-Rome (Paris, décembre 1996 etRome, février 1997).

Ses poésies ont été traduites dans plusieurslangues (français, espagnol, anglais, roumain,croate, turc et catalan). Elle a notamment reçu,en septembre 2014, le Premio Internazionaleall'Opera poetica e alla Carriera del« LericiPea ».

Sur son site officiel, www.gabriellasica.com,sont disponibles des poèmes, des traductions,des notices, des entretiens et une autobiographie.

Gabriella Sica est également présente surles réseaux sociaux.

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Série rossellienne

Hors série

il y avait avait de cette croisée haut tendue en X le si ré mi do ré dièse sol (bis)de ta solitude

la langue pâteuse par terre à la curée des rouge cardinaux et aux quatre vents de ta folie

au bout d'icelle les cristaux de verre pour les veines

c'est la neige c'estl'empan la chute de l'andu sang

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Série 1

Roberto, chiama la mamma, trastullantesi nel canapèbianco. Io non soquale vuole Iddio da me, seriiintenti strappanti eternità, o il franco risodel pupazzo appeso allaringhiera, ringhiera sì ringhiera no, ohprosponi la tua convinta orazione perun babelare commosso ; car le foglie secche e gialle rapisconoil vento che le batte. Nera visione albero che tendia quel supremo potere (podere) ch'infatti ioritengo sbianchi invece la terra sotto ai piedi, tu seila mia amante se il cielo s'oscura, e il brividoè tuo, nell'eterna foresta. Città vuota, città piena, cittàche blandisci i dolori perlo più fantastici dei sensi, ti siediaccaldata dopo il tuo pasto di me, trastullo al vento spianatodalle coste non oso piùaffrontare, temo la rossa ondadel vero vivere, e le piante che ti dicono addio. Rompi-collo accavalco i tuoi ponti, e che essi sianola mia natura.Non so piùchi va e chi viene, lasciail deliro trasformarti in incoscientetavolo da gioco, e le ginestre (finestre) affaciarsispalmando il tuo sole per le riverberate vetra.

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Christophe, murmurait sa mère, transfigurée au sofaécarlate. Moi ce je ne sais pasj'ignore ce qu'elle peut bien vouloir de moi cetteconne, ce con de dieu, sur les strapontins de l'éternité, ou le rire francdes barbares.la poupée penduede-ci deçà les prolégomènes de l'oraison pour un babel en branle becausela collection des cous en décolla-tion oh Mimmo Rotella de Nouvelle Vague encinéma nippon mon amante maamante collante etsexy pin-up punaisé au mur cérébral de ma celluleque branle l'adolescente flamande, et toutte dit adieu

déjà adieu

je ne sais plusqui viendra, laissetout cela sur la table de jeu, s'agacer s'affaisser dans la réverbération des vitres féminines.

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Série 2

Entro della cella di tutte le bontà rimava splendidatementeun acceso vocabolario : la mia noia. Entro della noiarimava splendidamente la bontà caduca e vergine. Entro della cella vergine di tutte le bontà cadenvano gli pretie le donzelle coi fiori arricciuti in testa : candelabrodei patiti di vanità. Splendida vergine ! Buttava un enormenumero di soldi nel fiume. Splendida treccia dell'ingannata !S'arrovellava per i partiti presi. Numero incognitodi delusioni : v'arrovellate per il nulla – per l'incantodi una notte d'estate che traccia le sue radici nel cuoredel villano. Incontrollabile notte d'Agosto ! Le tue villaniesono il frutto della pesca. Pesca introvabile arricciail naso. Introvabile verbo che misconosci chi ti guida l'armonia è tua.

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Dans la cellule de mes bontés entières resplendissaitles rimes du dictionnaire : mon ennui. Sous la cloche deverre demon ennui resplendissait la bonté candide caduque etviergele vagin vierge du cul de la bonté (ta beauté). Devantle cul vierge et splendide, le vagin candide de la bonté enrobetombaient à genoux tous les prêtres, les curés, l'Abbé C.,l'alphabet et les donzelles aux cheveux crollés de fleurs. Le candélabredes vanités vérités (en clair obscur). Tresses splendides des putes !Splendeursdes chevelures de nos putains ! Nos épouses des putes. labelle putains'emportait contre les partis pris les participants lesprimo-arrivants. Le nombre inconnu de nos désillusions : vous vous emportez contrerien – vousvous emportez pour rien : le nombre d'or de nos amours– sortilège d'une nuit d'été qui trace ses racines au cœur du vilain (divin).L'incontrôlable nuit d'août ! Elle a perdu tout contrôle de drogue cette nuitd'août !Tes pêches juteuses sont le fuit de ta pêche ton prêche. Lapêche d'orsous ton petit nez que tufronces. Le verbe foncé froncé enfoncé enculé que tuboudesintrouvable sous la chape de plombméconnais celle qui te guide vers la disharmonie !

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Série 3

Per l'amore che ti portavo tu vedevi chiaro. Se nel pomeriggiovi era un sonaglio, era per te – Nel pomeriggio io vivedevo chiaro ! Se nel passaggio della luna vi era una cancrenaera per te. Contro d'ogni male vedere e sapere. Per non morire era necessaria una scappatella ogni tanto. Il quartieresbiancava sbiancava ed era tutto un dormire il suo aspettare.Il quartiere inavvicinabile era sempre sveglio. Era necessariala pillola del dottore per ricordarsi. Io vivevo fra isanti pur rimanendo santa. La realità in me risvegliavala brama. Il mondo intero era una grande brama ! Ecco ilmondo risvegliarsi in me come una larga barca incosciente.Ecco il mondo dirmi è tempo di dormire. Ecco il mondo bussarealle mie porte ed io non rispondere. Ecco la facchinatache non serve a nessuno. Ecco che è tempo di risplendere.

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Pour l'amour que je te portais, tu voyais clair. pour la mortdedans moi tute taisais. Grâce à la grâce de l'amour que je portais à ton êtreentier – toutton être, tu étais lucide, tu étais en extase, tu étais extralucide,tu étaisperspicace, des fontaines claires jaillissaient de tes yeux purs,des clairesfontaines d'eaux bleues et pures jaillissaient de tes prunelles.Et moile quartier aux abords prohibés me tenait toujours en éveil, à l'affût la banlieue bourgeoise aux barrières de camps – nulhavre, l'oasis sans soif et la fontaine altérée, alternée de jetsmonochromes et moije n'y voyais plus rien le passage de la lune en plein midile cancer du soleil au zénithmon cœur en zodiaquedans les canaux sous les ponts les pontes de Venisel'eau d'argent en trompes les turbines des détroitsl'eau céruléenne de tes reins l'astreinte de tes reinsta rage tarage de chien. voir savoir savourer tes rienstoute notre rage blanchissait d'un ahan extrême. Maisla réalité rapidement réveillait à nouveau ma soif. Le mondeentier étaitune grande soif ! Et voici que le monde entier des choses seréveille à l'intérieur de moi par une tectonique de l'hybris !Et quand ma force épuisée et une fois mon corpsheureusementharassé de tout son long étendu dans le nid, alorsle monde en moi me dira de dormir, toujoursle monde transitera sur mes terres, et jamaisles corvées serviront à quelque chose, puisqu'il est temps de resplendir

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Série 4

Sempre agonizzante egli traspariva fra di suoi fratellicon un velo in mano. Sempre lusingato e lusinghiero conducevaper mano fanciulle. Con il coltello al cuore rimava. Dentrodella colonna degli abissi scombinava le preghiere. Controd'ogni tuo barbaglio, – m'incitava la pioggia. Retta combinavopreghiere assurde e tutto il mondo crollava. Senza dellarete dei pesci non è possibile danneggiarsi. Contro ognimalignità non è possibile sollevarsi. Contro della spianotturna non è chiaro perché cada la bomba.

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Agonisant toujours sur les cimes il apparaissait parmises frères la tête voilée. Auguste. Savant (dans l'art d'aimer) il menait toujours quelque fillejeunette par la main vers son lit (alcool alcôve). À l'intérieurdes colonnes des abîmes, il brouillait les prières. Contre tous tes éblouissements, elle se laissait couler la pluie sur elle. Droite elle formulait des sortilèges absurdes et le mondeentier s'écroulait ! s'écroulait ! S'écroulait ! le monde entier.Les filets des pêcheurs aux barbillons des poissons, il n'est pas possible de s'abîmer aux babines des chats. Contre toutes tes médisances elle n'arrive plus à se soulever. Contre l'espionne du jour il est clair que la bombe atomique tomberaencore.

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Série 5

si dedans l'ici du temps, il y avait encore des illusions tri-fons et triomphantes, alors les grandes pluies de nos

larmesséchèrent au soleil de midi. ce sont des cris, des menacestoute une fable (fabula terreuse) qui t'insupporte dans sa

récitation résignéeet monotone et convaincante d'un hiver vrai et triste le

long de lapyramidale fatigue dont les faces blanches scintillent parce qu'au fond il n'y a pas vraiment d'histoire parmi les

étoiles et les étals de notre laisser-aller en jour mécanique un jour de

céramique posé sur la commode de ta mémoire devant le miroir

tu as consommé et commencé comme tu n'as pas fini le silence cisaillant notre rétine

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Série 6

ceinte par la fièvre en fa de l'opus warburgien tu déclines la têted'un côté

qui n'est plus le tien re-connaître à travers les ombres mais surtout les lumières

le courage de ceux que les glorioles ne touchent pas.

Ceux-là aiment la fadeur des vers qui montent grâce à la grâceéclair de la levure

des vers saignés à blanc perché (perché sono monello)seul à l'île de Celan sanstrésor

le vain chant des mains tendues d'oxygène et d' agonie vers Ingeborg Bachman, vers

le souffle terreux de Plathet vers toi qui fus etqui n'es plus qu'avecd'ici et de là-basquelques tristes autres cadavres.

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La Langue paternelle

"Si parlava francese anche in casa, tranne checon mio padre, fidele all'italiano."

La conscience est aussi un ensemble devoix : pensées, souvenirs, éducation,interdictions, des films et des musiques, lafamille, les ancêtres, les amours perdues, lesdiscours politiques, la littérature, les critiques oules conseils, les annonces publicitaires ou cellesdes gares et des métros... Parfois ces voix nousassaillent ; Amelia Rosselli était assaillie de voix.Voix belliqueuses – ou voix « belliques » : « Jecontemple les oiseaux qui chantent mais monâme est / triste comme le soldat en guerre. »(Variations belliques). Ces voix pouvaient êtrecelles de la CIA, celles de la persécution, celles dela contrainte et de l'angoisse, celles des morts quiutilisaient avant nous nos mots. Mais ces voixsont plus que cela encore : ce sont celles del'énergie et des flux qui traversent les corpsintimes, les corps extérieurs, les corps sociaux.C'est l'appétence, c'est l'être – esse (''être'' enlatin), c'est le souffle : une polyphonie. Unepolyphonie du moi ; un moi ouvert à toutes lesvariations, à toutes les contradictions ; moi nonunifié, non défini, jamais fini.

C'est ce que reprochait, bien après sa

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parution qui lui ouvrit les portes de lareconnaissance, Rosselli au texte de Pasolini quiavait identifié ses écarts de langue – décrochages,court-circuits, – à des lapsus. Le lapsus dévoile cequi se joue dans le théâtre de l'inconscience. Lethéâtre d'un moi unifié. Or, chez la Rosselli, il n'ya pas un moi, une voix, mais des voix, il n'y a pasde théâtre de l'inconscience, mais des machines.Ces lapsus, disait-elle, n'en sont pas. Peut-êtreparce qu'avant d'être poétesse, Amelia Rosselliest musicienne. Avant que d'être sens, le poèmeest sons. C'est par la musique d'abord que seconstruit l'univers rossellien (de la tentationd'une forme de transcendance et du « semi-mysticisme platonicien » des années 60 au« document » de 1976) : « J'aspire à lapanmusique, à la musique de tous, de la terre etde l'univers, dans laquelle il n'y a plus de mainindividuelle qui la règle. (…) Nous finirons par neplus peindre, par ne plus écrire, par ne plus fairede bruit et contempler les numéros avecfélicité. ». Quelques années auparavant elle avaitrencontré et collaboré avec John Cage et LuigiNono, avait suivi plusieurs années de suite àDarmstadt pendant l'Internationale FerienkurseFür Neue Musik les cours de Stockhausen, PierreBoulez et David Tudor avec qui elle entretînt uneliaison de deux années (1959-61). En 1962, annéecharnière dans sa vie, elle se produisit à deuxreprises dans une galerie d'art de la place

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d'Espagne à Rome avec, entre autres, SylvanoBussotti, connu pour être un précurseur de lamusique électroacoustique. Comme chez Cage,Stockahausen, Luciano Berio, et comme on leretrouvera plus tard chez Deleuze, c'est lamachine productive qui fonctionne, surtoutdétraquée et sabotée. Aérodynamisme,mécanique, mathématiques4. Piano préparé. LaRosselli conçut elle-même un orgue que Farfisacommercialisa. Évidemment : construire soninstrument, construire sa langue. C'est en tantque musicienne qu'elle devient poétesse. « Uneproblématique de la forme poétique a toujoursété pour moi reliée à celle plus strictementmusicale ». Une musique libérée de la mainindividuelle, une musique qui révolutionne le jeuet l'écoute. C'est ce qu'il faut avoir en tête enabordant la poésie d'Amelia Rosselli : sa langueest volontairement déroutante. Elle cahote, ellen'est pas lisse, elle est même parfoiscacophonique. Des éclats d'une beautésaisissante jaillissent soudain des scories. Lesexpressions sont viciées, les vers sont décapités,les répétitions sont lourdes, les ajouts de voyellessont irritants. Joie du lecteur, torture dutraducteur.

Amelia Rosselli n'a pas fait dans la facilité :d'abord musicienne, à peine commence-t-elle àentrevoir la possibilité d'en vivre, qu'elle préfère

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devenir poétesse. Quand tout la pousse à écrireen anglais, elle opte pour (adopte) l'italien.Croisée : quelque chose du déchirement, et – tantpis pour le jeu de mot lugubre, – ce par quoi ellese jettera. Le 11 février 1996, le lendemain d'unpassage à la télévision, Amelia Rosselli, alorschez elle dans un petit appartement derrière laplace Navone, acculée par des voix qu'elle nesupporte plus6, elle se défenestre. Elle a 66 ans.Née en 1930 à Paris, d'une mère anglaise, MarionCave, et d'un père italien qui n'est autre queCarlo Rosselli, elle passa son enfance, aprèsl'invasion de la France par les Allemands, enAngleterre puis aux États-Unis. Trois languesbercent la petite Melli (encore appelée ainsi parles proches de la famille pour la différencier de sagrand-mère, auteur aussi, Amelia Rosselli) : lefrançais, l'anglais et l'italien. Ce trilinguisme, quela Rosselli utilise pour écrire et qui supplante unelangue maternelle fautive, la poétesse va mêmejusqu'à les mêler dans un Diario in Tre Lingue(1959), un journal en trois langues composé deremarques et de réflexions fragmentées. Inutiled'insister sur le traumatisme de la mort d'un pèrequ'elle cherchera à retrouver, par un transfertévident qu'elle reconnaissait elle-même, dans sesrelations avec des hommes de vingt ou trente ansson aîné. Le fondateur de Giustizia e Libertà, lehéros anti-fasciste (salué à sa mort par VictorSerge), le bourgeois n'ayant pas reculé devant le

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combat pendant la guerre d'Espagne (sur le frontAragon), compagnon d'Umberto Marzocchi8 etde Camillo Berneri, blessé au Monte Pelato etassassiné pendant sa convalescence en France en1937 avec le frère Nello dans une embuscade (àBagnoles-sur-l'orne en Normandie) par descagoulards français (dont Jean Filliol et AristideCorre9 sur l'ordre de Mussolini), est pour sa filleun souvenir, un nom, mais surtout une langue.Une sonorité, impalpable par nature. Alors,quand la Rosselli élit l'italien plutôt que l'anglaisou le français, c'est d'abord comme langue de lapatrie du père, celle du père défunt : languepaternelle. Puis pour – ou plutôt par – lesqualités (entendons aussi « défauts »)intrinsèques à l'italien : une difficultéd'invention, de détournement des expressions,une facilité en revanche à exhumer des termes etdes tournures anciennes ou vieillies, une certainesouplesse syntaxique qui multiplie les possibilitésde focalisation et les nuances expressives. Langueà la fois de Carlo Rosselli mais aussi celle quis'oppose à la langue maternelle en tant que voixinnée, donnée. L'italien est la langue de l'exil.Celle de l'exilée. De l'étrangère dans son proprepays (quand elle rentre en 1946 et qu'elle décidede s'installer à Rome en 1950 dans ce pays qu'ellen'a jamais vu, c'est avec un fort accent dont ellese départira jamais). C'est dans ce soupirail, cettebéance, ce non-lieu, – comme on voudra –, que

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se pose Amelia Rosselli. Son rapport au mondeest donc fondé sur l'absence, la perte, l'« infini-1 ». Mais cette perte, malgré la douleur, n'estbientôt plus un état fautif : elle devient un autremode d'appréhension du monde. Quand AmeliaRosselli abandonne la musique, elle abandonneen même temps l'Idéal (platonicien ou néo-platonicien) et le mythe de la totalité (celle,notamment d'une œuvre close). Avec l'écritureelle accepte (et peut-être est-ce inhérent à cettepratique) la fragmentation. Ce sont les recueilsd'après Série Hospitalière : Appunti persi esparsi (1969), Diario ottuso (1990) et, avant cela,les séries ouvertes de Documento. Elle ne prendpas position dans le tout d'une langue qu'ellepourrait interroger, transgresser, voiremaltraiter, mais bien sur un territoire errant –une île (une presqu'île) –, une langue, sinonmorcelée, au moins en construction. On pense (ily en a d'autres) à Gherasim Luca.

On a déjà beaucoup glosé sur cette langue :plurilinguisme, multilinguisme, triglossie,ydioma tripharium, etc. La langue paternellen'est pas seulement celle du père ou de l'exil, c'estcelle qu'on pétrie. Évidemment Amelia Rosseliest gorgée de la culture anglo-saxonne danslaquelle elle a été formée. Joyce, Pound, Plathsont les figures de la modernité qui l'influencent.Tout comme James Joyce ou Ezra Pound (à qui

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par ailleurs elle consacre des articles), elle estmusicienne et revendique les moyens musicauxpour sa poésie. Traductrice de Sylvia Plath, ellepartage avec elle non seulement – de manièrefortuite et symbolique – la date de son suicide (le11 février) mais aussi cette relation complexe aupère. En plus de l'anglais, du français et del'italien, il y a le latin et les dialectes. Enfin, lestermes techniques et les néologismes. De cettediversité (qui est pour nous la preuve d'uneabsence d'unité linguistique) se retrouve demanière assez frappante, mieux qu'en français eten anglais, dans l'italien en général. La langue dela Rosselli est fondamentalement politique. Il n'ya pas, au moins pour Amelia Rosselli, un italien,mais bien des italiens. Le pays, unifiérelativement récemment (le 17 mars 1861), estdivisé en régions, et les régions en communes quigardent chacune la fierté de son dialecte. Lalangue, comme la nation, n'est pas unifiée, ellen'épouse pas les contours de l’État qui s'adjugeune « langue officielle ». Peut-être une raison,même instinctive, du choix de l'italien par lapoétesse. Son errance personnelle semble seretrouver dans ce flottement territorial. PourRosselli, et avant elle chez Pound, il s'agit d'unevéritable géographie en tant qu'écriture dumonde. Le son et la graphie sur le même plan.Géographie sémantique, géographie linguistique.En tant que « langue paternelle », l'italien n'est

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pas au fondement, il se construit pleinement avecles influences extérieures, le temps de l'écriture(et de la lecture) devenant immanence de laconstruction symbolique au monde (ce qui faisaitdire à Proust que la vraie vie est la littérature).Stilnovo, latin, modernités, néologismes,dialectes, termes techniques, l'écriture tend doncà explorer les mécanismes induits de la langue,en tant que producteurs d'une position, ou plutôtd'une posture qui est, au sens large et fort duterme, politique.

Documento (1966-1973) paraît chezGarzanti, à Milan, en 1976. Après les Variationsde guerre (1964) et la Série hospitalière (1969),qui sont marqués encore par le désir de clôtured'une œuvre autour d'une certaine unité,Document reste ouvert et accumule sans autreordre que l'ordre offert de la chronologie (mêmesi un choix drastique a eu lieu, qui donneranaissance à Appunti Sparsi e Persi) des cyclesqui, bien que poreux, sont faciles à distinguer.Poèmes longs, courts, nerveux, politiques,intimistes, abscons voire sibyllins,expérimentaux, limpides et saisissants, prochesparfois même de l'épigramme (ce dont sesouviendra Patrizia Cavalli), privés (poèmeépistolaire A Adriana), presque de la chroniquequotidienne (Sciopero 1969, Il Cristo – Pasqua1971). Tout en conservant une unité forte, le versne répond plus systématiquement aux procédés

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théorisés dans Spazi metrici : un flux plus libremultiplie les formes et varient les longueurs. Duplurilinguisme fondamental de Rosselli, lapériode veut que l'anglais prenne le dessus(l'écriture du recueil se confond avec celle despoésies anglaises de Sleep). Par sa longueur, savariété, sa position médiane, Document est sansdoute le recueil majeur de la Rosselli.

L'abondance créative est à son comble (lerecueil, une somme, compte 175 poèmes), etmême si les audaces des débuts tendent à seraréfier, ou plutôt à se concentrer (dans desdétails surprenants), le subterfuge d'unerecherche d'absolu par le langage n'a plus lieud'être. Le silence grandit avec le bruit des voixintérieures qui polluent quotidiennementl'espace mental de la poétesse. Les traces laisséesde ce parcours (de véritables documents), decette vie mentale, ne nous permettent pas dereconstituer avec exactitude la vie ou la penséed'Amelia Rosselli : elles nous permettent dedéconstruire notre propre système langagier. Cesont les voix qui traversent le corps. « Écrire,c'est peut-être amener au jour cet agencement del'inconscient, sélectionner les voix chuchotantes,convoquer les tribus et les idiomes secrets, d'oùj'extrais quelque chose que j'appelle MOI ».Travail de l'écrivain de faire remonter ces voix.Voix intérieures (Hugo), voix des civilisations

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(Homère), et voix d'Artaud, de Michaux, deBruchner, voix balbutiantes de Ghérasim Luca,voix des discours tout faits de l'homme de la rue,pilier de comptoir, ménagère dépressive,professeur, policier, fonctionnaire, désœuvré,pauvre des taudis comme riche des ghettos,banquier ou altermondialiste, lecteur ou éditeur.Par le document, elle ne cherche pas l'indice, lecode, la classification, l'ordre, mais elle pose desbalises, des amers, elle présente la réalité d'unobjet. Le document rossellien n'est pas loin decelui de Bataille. Il présente plus qu'il nereprésente. Il montre (monstre) plus qu'il gloseou interprète.

Pour le traducteur qui y passe des mois, desannées, qui farfouille dans les vieux dictionnairesétymologiques, qui va écouter les dialectesd'Italie, qui replonge dans son latin de Bas-Empire, qui repère à la faveur d'un hasard la clefd'une orthographe hermétique, ou qui se pâmed'aise et de frustration devant des néologismesintraduisibles, il y a souvent, à la relecture dupoème, le fou rire de celui qui se dit : « On va sefoutre de moi, jamais personne ne me prendra ausérieux... et pourtant c'est bien ce qui est écrit ! ».Les traductions en sortent édulcorées : on préfèresauver les apparences. C'est que les poèmes de laRosselli ont aussi des beautés de « sens » (dessignifications fortes) qu'il est plus facile de

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vendre. Fulgurances et épiphanies. Joyce. Letexte pourrait être truffé de notes, et – commec'est déjà le cas – faire l'objet de longues étudesuniversitaires, fastidieuses et absconses. Unautre point (nous ne pourrons pas être exhaustifici) est l'enrichissement de cette langue. Cettemanière d'écrire engage à l'enrichissement dulexique, des formes syntaxiques, et à uneouverture généreuse à l'autre en général.Historiquement, au-delà des références directes(Rimbaud, Dino Campana, les imagistes,Scotallero, etc) elle réactualise les expériencesrenaissantes autour de Dante et de Pétrarque ou,un peu plus tard, de la Pléiade. L'utilisation determes dialectaux, scientifiques, l'invention denéologismes fantaisistes ou savants, rappellentles préceptes de Du Bellay et de Ronsard.Aujourd'hui les métissages se font par lesanciennes colonies : l'anglais en Inde, le Francedans les îles. Amelia Rosselli, quelque part, peutreprésenter un italien d'Angleterre oud'Amérique. Un italien d'ailleurs de tout. Et,évidemment, la traduction en est amenée àchanger de principes.

À intellectualiser l'écriture de la Rosselli, onen oublierait presque la teneur généreusement etgratuitement absurde. La folie (quoiqu'on veuillebien mettre dans ce mot) est dans l'œuvre commedans la vie de la poétesse. Il faut être aussi frais

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devant Rosselli qu'on l'est devant Artaud. Laschizophrénie est là, qui rumine et éclate. Qu'onlise Storia di una malattia. En traduisant, enpubliant (en lisant en écrivant) Amelia Rosselli,on ne divulgue pas seulement une des poésies lesplus émouvantes et innovantes de la secondemoitié du XXe siècle, on renoue avec une poésieexigeante et, à plus d'un titre, révolutionnaire,c'est-à-dire une poésie quotidienne dudétraquement de la langue et de la pensée.

2014

(ce texte avait servi de postfaceà l'édition de Document

publié aux éditions La Barque)

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Scree ~ Amelia Rosselli ~ février 2016

ISSN : 2428-0909