20
Les Catilinaires 1......2......3 On ne sait rien de soi. On croit s'habituer à être soi, c'est le contraire. Plus les années passent et moins on comprend qui est cette personne au nom de laquelle on dit et fait les choses. Ce n'est pas un problème. Où est l'inconvénient de vivre la vie d'un inconnu? Cela vaut peutêtre mieux: sachez qui vous êtes et vous vous prendrez en grippe. Cette étrangeté ordinaire ne m'aurait jamais gêné s'il n'y avait pas eu quoi? je ne vois pas comment dire , si je n'avais pas rencontré monsieur Bernardin. Je me demande quand a commencé cette histoire. Des dizaines de datations conviendraient, comme pour la guerre de Cent Ans. Il serait correct de dire que l'affaire a commencé il y a un an ; il serait juste aussi de dire qu'elle a pris sa tournure il y a six mois. Il serait cependant plus adéquat de situer son début aux alentours de mon mariage, il y a quarantetrois ans. Mais le plus vrai, au sens fort du terme, consisterait à faire commencer l'histoire à ma naissance, il y a soixantesix ans. Je m'en tiendrai à la première suggestion: tout a débuté il y a un an. Il y a des maisons qui donnent des ordres. Elles sont plus impérieuses que le destin: au premier regard, on est vaincu. On devra habiter là. A l'approche de mes soixantecinq ans, Juliette et moi cherchions quelque chose à la campagne. Nous avons vu cette maison et aussitôt nous avons su que ce serait la maison. Malgré mon dédain des majuscules, je me dois d'écrire la Maison, car ce serait celle que nous ne quitterions plus, celle qui nous attendait, celle que nous attendions depuis toujours. Depuis toujours, oui: depuis que Juliette et moi sommes mari et femme. Légalement, cela fait quarantetrois années. En réalité, nous avons soixante ans de mariage. Nous étions dans la même classe au cours préparatoire. Le jour de la rentrée, nous nous sommes vus et nous nous sommes aimés. Nous ne nous sommes jamais quittés. Juliette a toujours été ma femme; elle a aussi toujours été ma sœur et ma fille bien que nous ayons le même âge à un mois près. Pour cette raison, nous n'avons pas eu d'enfant. Je n'ai jamais eu besoin d'une autre personne: Juliette est tout pour moi. J'étais professeur de latin et de grec au lycée. J'aimais ce métier, j'avais de bons contacts avec mes rares élèves. Cependant, j'attendais la retraite comme le mystique attend la mort. Ma comparaison n'est pas gratuite. Juliette et moi avons toujours aspiré à être libérés de ce que les hommes ont fait de la vie. Etudes, travail, mondanités même réduites à leur plus simple expression, c'était encore trop pour nous. Notre propre mariage nous a laissé l'impression d'une formalité. Juliette et moi, nous voulions avoir soixantecinq ans, nous voulions quitter cette perte de temps qu'est le monde. Citadins depuis notre naissance, nous désirions vivre à la campagne, moins par amour de la nature que par besoin de solitude. Un besoin forcené qui s'apparente à la faim, à la soif et au dégoût. Quand nous avons vu la Maison, nous avons éprouvé un soulagement délicieux: il existait donc, cet endroit auquel nous aspirions depuis notre enfance. Si nous avions osé l'imaginer, nous l'aurions imaginé comme cette clairière près de la rivière, avec cette maison qui était la Maison, jolie, invisible, escaladée d'une glycine.

Amélie Nothomb - Les Catilinaires

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Amélie Nothomb - Les Catilinaires

Citation preview

  • LesCatilinaires

    1......2......3

    Onnesaitriendesoi.Oncroits'habituertresoi,c'estlecontraire.Pluslesannespassentetmoinsoncomprendquiestcettepersonneaunomdelaquelleonditetfaitleschoses.

    Cen'estpasunproblme.Oestl'inconvnientdevivrelavied'uninconnu?Celavautpeuttremieux:sachezquivoustesetvousvousprendrezengrippe.

    Cette tranget ordinaire nem'aurait jamais gn s'il n'y avait pas eu quoi? je ne vois pascommentdire,sijen'avaispasrencontrmonsieurBernardin.

    Je me demande quand a commenc cette histoire. Des dizaines de datations conviendraient,commepourlaguerredeCentAns.Ilseraitcorrectdedirequel'affaireacommencilyaunan il serait justeaussidedirequ'elleaprissa tournure ilyasixmois. Il serait cependantplusadquat de situer son dbut aux alentours demonmariage, il y a quarantetrois ans.Mais leplusvrai,ausensfortduterme,consisteraitfairecommencerl'histoiremanaissance,ilyasoixantesixans.

    Jem'entiendrailapremiresuggestion:toutadbutilyaunan.

    Ilyadesmaisonsquidonnentdesordres.Ellessontplusimprieusesqueledestin:aupremierregard,onestvaincu.Ondevrahabiterl.

    Al'approchedemessoixantecinqans,Julietteetmoicherchionsquelquechoselacampagne.Nous avons vu cette maison et aussitt nous avons su que ce serait la maison. Malgr monddaindesmajuscules,jemedoisd'crirelaMaison,carceseraitcellequenousnequitterionsplus,cellequinousattendait,cellequenousattendionsdepuistoujours.

    Depuis toujours,oui:depuisque Julietteetmoi sommesmari et femme.Lgalement, cela faitquarantetrois annes. En ralit, nous avons soixante ans de mariage. Nous tions dans lammeclasseaucoursprparatoire.Lejourdelarentre,nousnoussommesvusetnousnoussommesaims.Nousnenoussommesjamaisquitts.

    Julietteatoujourstmafemmeelleaaussitoujourstmasuretmafillebienquenousayons le mme ge un mois prs. Pour cette raison, nous n'avons pas eu d'enfant. Je n'aijamaiseubesoind'uneautrepersonne:Julietteesttoutpourmoi.

    J'taisprofesseurdelatinetdegrecaulyce.J'aimaiscemtier,j'avaisdebonscontactsavecmesrareslves.Cependant,j'attendaislaretraitecommelemystiqueattendlamort.

    Macomparaisonn'estpasgratuite.Julietteetmoiavonstoujoursaspirtrelibrsdecequeles hommes ont fait de la vie. Etudes, travail, mondanits mme rduites leur plus simpleexpression,c'taitencoretroppournous.Notrepropremariagenousalaissl'impressiond'uneformalit.

    Julietteetmoi,nousvoulionsavoirsoixantecinqans,nousvoulionsquittercettepertedetempsqu'estlemonde.Citadinsdepuisnotrenaissance,nousdsirionsvivrelacampagne,moinsparamourdelanaturequeparbesoindesolitude.Unbesoinforcenquis'apparentelafaim,lasoifetaudgot.

    QuandnousavonsvulaMaison,nousavonsprouvunsoulagementdlicieux:ilexistaitdonc,cet endroit auquel nous aspirions depuis notre enfance. Si nous avions os l'imaginer, nousl'aurionsimagincommecetteclairireprsdelarivire,aveccettemaisonquitaitlaMaison,jolie,invisible,escaladed'uneglycine.

  • Aquatrekilomtresde l, il yaMauves, levillage,onous trouvons tout cedontnousavonsbesoin.De l'autrectde lrivire,uneautremaison indiscernable.Lepropritairenousavaitditqu'elletaithabiteparunmdecin.Asupposerquenousayonsvoulutrerassurs,c'taitencoremieux:Julietteetmoiallionsnousretirerdumonde,maistrentemtresdenotreasile,ilyauraitundocteur!

    Nous n'avons pas hsit un instant. En une heure, la maison est devenue la Maison. Elle necotait pas cher, il n'y avait pas de travaux faire. Il nous paraissait hors de doute que lachanceavaittenulesrnesdanscetteaffaire.

    Il neige. Quand nous avons emmnag il y a un an, il neigeait aussi. Nous tions ravis: cescentimtres de blancheur nous donnrent, ds le premier soir, l'impression tenace d'tre cheznous.Lelendemainmatin,nousnoussentionsplusdansnosmursquependantlesquarantetroisannesprcdentes,danscetappartementcitadindontnousn'avionspourtantjamaisboug.

    JepouvaisenfinmeconsacrertoutentierJuliette.

    C'tait difficile expliquer: je n'ai jamais eu l'impression d'avoir eu assez de temps pourmafemme.Ensoixanteannes,queluiaijedonn?Elleesttoutpourmoi.Elleenditautantmonsujet,sansquecelaeffacemonsentimentd'insuffisanceprofonde.Cen'estpasquejemetrouvemauvaisoumdiocre,maisJulietten'ajamaiseuriennipersonned'autrequemoi.J'aitetjesuissavie.Cettepensemenouelagorge.

    Qu'avonsnousfait,cespremiersjours,laMaison?Rien,jecrois.Apartquelquespromenadesdans la fort si blanche et silencieuse que nous nous arrtions souvent demarcher pour nousregarderd'unairtonn.

    A part cela, rien. Nous tions arrivs l o nous avions voulu tre depuis notre enfance. Etd'emblenousavionssuquecetteexistencetaitcellelaquellenousavionstoujoursaspir.Sinotrepaixn'avaitpasttrouble,jesaisquenousaurionsvcuainsijusqu'lamort.

    Cettedernirephrasemedonne froiddans ledos. Jemerendscompteque je racontemal. Jefaisdeserreurs.Nonpasdes inexactitudesnides contrevrits,maisdeserreurs.C'est sansdouteparcequejenecomprendspascettehistoire:ellemedpasse.

    Un dtail de cette premire semaine dont jeme souviens la perfection: je prparais un feudans la chemine et, bien entendu, je m'y prenais mal. Il parat qu'il faut des annes pourrussircetexploit.J'avaisconfectionnquelquechosequibrlaitcependant,cenepouvaitpastreappel feu, car il tait clair que celanedurerait pas.Disonsque j'avaisdonn lieuunecombustionmomentane:j'entaisdjfier.

    Accroupiprsdel'tre,j'aitournlatteetj'aivuJuliette.Elletaitassisedansunfauteuilbas,toutprs,etelle contemplait le feuavecce regardquiest le sien:concentration respectueusesurlachose,enl'occurrencesurcepauvrefoyer.

    Saisissement: elle n'avait pas chang d'un pouce, non pas depuis notremariage,mais depuisnotrepremirerencontre.Elleavaitunpeugranditrspeu,sescheveuxavaientblanchi,toutlereste,c'estdiretout,taitpareilunpointhallucinant.

    Ce regard qu'elle avait pour le feu, c'tait celui qu'elle avait pour l'institutrice, en classe. Cesmainsposessursesgenoux,ceportdetteimmobile,ceslvrescalmes,cetairsaged'enfantintrigud'treprsent:jesavaisdepuistoujoursqu'ellen'avaitpaschang,pourtantjenel'avaisjamaissucepoint.

    Cettervlationm'abroyd'motion.Jeneveillaispluslaflambeprcaire,jen'avaisd'yeuxquepourlafillettedesixansaveclaquellejevivaisdepuisprsdesoixanteans.

    Jenesaispascombiendeminutescelaadur.Soudain,elleatournlatteversmoietelleavuquejelaregardais.Elleamurmur:

  • Lefeunebrleplus.

    J'aidit,commesic'taitunerponse:

    Letempsn'existepas..

    Jen'avaisjamaistaussiheureuxdemavie.

    UnesemaineaprsnotrearrivelaMaison,nousavionslaconvictionden'avoirjamaishabitailleurs.

    Unmatin,nousavonspris lavoiturepourallerauvillageacheterdesprovisions. L'piceriedeMauvesnous ravissait:ellenevendaitpasgrandchoseetcetteabsencedechoixnousmettaitdansunejoieinexplicable.

    Enrentrant,j'aiobserv:

    Tuvois,lachemineduvoisinnefumepas.Onpeutvivreicidepuislongtempsetnepastreencorecapabledefairedufeu.

    Juliette n'en revenait pas que nous ayons un garage: nous n'en avions jamais eu. Comme j'enfermaislaporte,elledit:

    Pourlavoitureaussi,cettemaisonestlaMaison.

    J'entendaislesmajuscules.Jesouriais.

    Nousavionsranglesprovisions.Laneigerecommenaittomber.Mafemmedclaraquenousavionsbienfaitd'allerauxcommissionslematin.Bientt,larouteseraitimpraticable.

    Cetteidemerenditjoyeuxtoutmerendaitjoyeux.Jedis:

    Mon proverbe favori a toujours t: Pour vivre heureux, vivons cachs. Nous y sommes,non?

    Oui,nousysommes.

    Je ne sais plus quel crivain a ajout, il n'y a pas longtemps: Pour vivre cachs, vivonsheureux.C'estencoreplusvrai.Etcelanousconvientencoremieux.

    Julietteregardaitlaneigetomber.Jenevoyaisquesondos,maisjesavaiscommenttaientsesyeux.

    L'aprsmidimme,vers4heures,quelqu'unfrappalaporte.

    J'allaiouvrir.C'taitungrosmonsieurquisemblaitplusgquemoi.

    JesuismonsieurBernardin.Votrevoisin.

    Qu'un voisin vienne faire la connaissance de nouveaux arrivants, a fortiori dans une clairirebtiededeuxmaisonsentoutetpourtout,quoideplusnormal?Enoutre, iln'yavaitpasplusquelconque que le visage de cet homme. Je me souviens pourtant d'tre rest figd'ahurissement,commeRobinsonlorsdesarencontreavecVendredi.

    Quelques secondes pesrent avant que je prenne conscience de mon impolitesse et que jeprononcelesparolesattendues:

    Biensr.Voustesledocteur.Entrez.

  • Quandilfutausalon,j'allaichercherJuliette.Elleeutl'airapeur.Jesouris.

    Cen'estrienqu'unepetitevisitedecourtoisie,chuchotaije.

    MonsieurBernardinserralamaindemafemmepuiss'assit.Ilacceptaunetassedecaf.Jeluidemandais'ilhabitaitlamaisonvoisinedepuislongtemps.

    Depuisquaranteans,rponditil.

    Jem'extasiai:

    Quaranteansici!Commevousavezdtreheureux!

    Ilneditrien.J'enconclusqu'iln'avaitpastheureuxetjen'insistaipas.

    Etesvousleseulmdecin,Mauves?

    Oui.

    Sacreresponsabilit!

    Non.Personnen'estmalade.

    Il n'y avait rien d'tonnant cela. La population du village ne devait pas dpasser cent mes.Peudechances,donc,detombersurunepersonneenmauvaisesant.

    Je luiarrachaiquelquesautresrenseignementslmentairesarracherest leverbeadquat: ilrpondaitlemoinspossible.Quandjeneparlaispas,ilneparlaitpasnonplus.J'apprisqu'iltaitmari,qu'iln'avaitpasd'enfantetqu'encasdemaladienouspouvionsleconsulter.Cequimefitdire:

    Quelleaubainedevousavoirpourvoisin!

    Il resta impassible. Je lui trouvais l'air d'un bouddha triste. En tout cas, on ne pouvait pas luireprocherd'trebavard.

    Pendantdeuxheures,immobiledanslefauteuil,ilrponditmesquestionsanodines.Ilmettaitdutempsparler,commes'illuifallaitrflchir,mmequandjel'interrogeaissurleclimat.

    Ilmeparuttouchant:jenedoutaipasuninstantquecettevisitel'ennuyait.Iltaitclairqu'ils'ytaitsentiobligparuneconceptionnavedesconvenances.Ilsemblaitattendredsesprmentlemomentdepartir.Jevoyaisqu'iltaittropgourdetemptrpouroserprononcerlesparoleslibratrices: Je ne vais pas vous dranger plus longtemps, ou: Je suis content d'avoir faitvotreconnaissance.

    Au bout de ces deux heures pathtiques, il finit par se lever. Je crus lire sur son visage cemessagedsempar:Jenesaispasquoidirepourpartirsanstregrossier.

    Attendri,jevolaisonsecours:

    Commec'estgentilvousdenousavoirtenucompagnie!Maisvotrefemmedoits'inquiterdevotreabsence.

    Ilnerponditrien,enfilasonmanteau,pritcongetsortit.

    Jeleregardais'loignerenrprimantmonenviederire.Quandilfutdistance,jedisJuliette:

    PauvremonsieurBernardin!Commesavisitedecourtoisieluiapes!

    Iln'apasbeaucoupdeconversation.

  • Quellechance!Voiciunvoisinquinenousdrangerapas.

    Jeserraimafemmedansmesbrasenmurmurant:

    Terendstucomptequelpointnoussommesseuls,ici?Terendstucomptequelpointnousallonstreseuls?

    Nousn'avionsjamaisrienvoulud'autre.

    C'taitunbonheursansnom.

    CommedisaitlepotecitparScutenaire:Onn'estjamaisassezriendutout.

    Lelendemain,vers4heures,monsieurBernardinvintfrapperlaporte.

    Commejelefaisaisentrer,jepensaiqu'ilallaitnousannoncerlavisitedecourtoisiedemadameBernardin.

    Ledocteurpritlemmefauteuilquelaveille,acceptaunetassedecafetsetut.

    Commentallezvousdepuishier?

    Bien.

    Votrefemmenousferatelle,elleaussi,l'honneurd'unevisite?

    Non.

    J'esprequ'ellevabien?

    Oui.

    Forcment.Lafemmed'unmdecinnepeutpastreenmauvaisesant,n'estcepas?

    Non.

    Jem'interrogeaiuninstantsurcenon,songeantauxrgleslogiquesdesrponsesauxquestionsngatives.J'euslasottised'enchaner:

    Si voustiezun Japonais ouunordinateur, je serais forcde conclurequevotre femmeestmalade.

    Silence.Unebouffedehontem'assaillit.

    Excusezmoi. J'ai t professeur de latin pendant prs de quarante annes et je m'imagineparfoisquelesgenspartagentmesobsessionslinguistiques.

    Silence.IlmesemblaquemonsieurBernardinregardaitparlafentre.

    Ilneneigeplus.Heureusement.Vousavezvucequiesttombcettenuit?

    Oui.

    Neigetilautant,chaquehiver,ici?

    Non.

    Larouteestelleparfoisbloqueparlaneige?

  • Parfois.

    Lerestetellelongtemps?

    Non.

    Ah.Lavoiries'enoccupevite?

    Oui.

    Tantmieux.

    Si,monge,jemesouviensavecunetelleprcisiond'uneconversationvieilled'unanetd'uneinsignifiance pareille, c'est cause de la lenteur des rponses du docteur. A chacune desquestionsprcites,ilmettaitunquartdeminuteavantderagir.

    Aprstout,delapartd'unhommequisemblaitavoirsoixantedixans,c'taitnormal.Jepensaique,danscinqannes,jel'auraispeuttrerejoint.

    Timide, Juliettevints'asseoirctdemonsieurBernardin.Elle lecontemplaitavecce regardquej'aidjdcrit,faitd'attentionrespectueuse.Sesyeuxluirestaientdanslevague.

    Encoreunetassedecaf,monsieur?demandatelle.

    Ilrefusa.Non.Jefusunrienchoquparl'absencedemercietdemadame.Iltaitclairque les mots oui et non constituaient l'essentiel de son vocabulaire. Quant moi, jecommenais medemander pourquoi il s'incrustait. Il ne disait rien et n'avait rien dire.Unsoupons'insinuaenmapense:

    Etesvousbienchauff,chezvous,monsieur?

    Oui.

    Ma tournure d'esprit exprimentale me poussa nanmoins prolonger l'examen, histoired'explorerleslimitesdesonlaconisme.

    Vousn'avezpasdefeuouvert,jecrois?

    Non.

    Vousvouschauffezaugaz?

    Oui.

    anevousposepasdeproblme?

    Non.

    Celanes'arrangeaitpas.J'essayaiunequestionlaquelleiln'taitpaspossiblederpondreparouiouparnon:

    Commentoccupezvousvosjournes?

    Silence. Son regard se courroua. Il plissa les lvres, comme si je l'avais offens. Cemcontentementmuetm'impressionnaaupointdemefairehonte.

    Pardonnezmoi,jesuisindiscret.

    L'instantd'aprs,cereplimeparutridicule.

    Ma question n'avait rien de choquant! C'tait lui qui tait impoli, en venant nous envahir sans

  • avoirriennousdire.

    Je rflchis que,mme s'il avait t bavard, son comportement et t incorrect. Et eussjeprfr qu'il m'arrost d'un flot de paroles? Difficile prciser. Mais comme son silence taitcrispant!

    J'imaginai soudainuneautrepossibilit: il avait un servicenousdemander et n'osait pas. Jelanaidiversessuggestions:

    Avezvousletlphone?

    Oui.

    Laradio,latlvision?

    Non.

    Nousnonplus.Onvittrsbiensans,non?

    Oui.

    Vousavezdesproblmesdevoiture?

    Non.

    Aimezvouslire?

    Non.

    Ilavaitaumoinslemritedelafranchise.

    Maiscommentpouvaitonvivredanscetrouperdusans legotde la lecture?J'en fuseffray.D'autantqu'ilavaitdit,laveille,nepasavoirdeclientsauvillage.

    Unbelendroitpourlespromenades,ici.Vousvouspromenezsouvent?

    Non.

    J'examinai sa graisse en pensant que j'aurais d m'en douter. Curieux, quand mme, qu'unmdecinsoitsigros!medisje.

    Vousavezunespcialisation?J'obtinsunerponsed'unelongueurrecord:

    Oui,encardiologie.Maisj'exercecommegnraliste.

    Stupfaction. Cet homme l'air abruti tait cardiologue. Cela supposait des tudes ardues,acharnes.Ilyavaitdoncuneintelligencedanscettette.

    Fascin,j'inversaialorstoutcequej'avaiscru:monvoisintaitunespritsuprieur.S'ilmettaitquinze secondes trouver des rponses mes questions simplistes, c'tait une manire desoulignerl'inanitdemesinterrogations.S'ilneparlaitpas,c'taitparcequ'iln'avaitpaspeurdusilence. S'il ne lisait pas, ce devait tre pour un motif mallarmen, conforme ce quej'entrevoyais de sa triste chair. Son laconisme et sa prdilection pour les oui et les non enfaisaient un disciple de saint Matthieu et de Bernanos. Ses yeux qui ne regardaient rientrahissaientsoninsatisfactionexistentielle.

    Dslors,touts'expliquait.S'ilvivaiticidepuisquaranteans,c'taitpardgotdumonde.Ets'ilvenait chezmoi pour se taire, c'tait pour tenter, l'approchede lamort, une communicationd'ungenrenouveau.

    Jersolusdemetaireaussi.

  • C'taitlapremirefoisdemaviequejemetaisaisenttetteavecquelqu'un.Pourtreplusexact, je l'avais dj fait avec Juliette: c'tait d'ailleurs le mode le plus frquent de notrechangequiavaiteu le temps,depuisnossixans,dedpasser le langage.Mais jenepouvaispasenesprerautantavecmonsieurBernardin.

    Pourtant,audbut,j'entraidanssonsilenceavecconfiance.Celaparaissaitfacile.Ilsuffisaitdeneplusremuerleslvres,denepluschercherlaphrasedire.Hlas,touslesmutismesneseressemblent pas: celui de Juliette tait un univers feutr, riche de promesses et peupld'animauxmythologiques,quandceluidudocteurcrispaitdslevestibuleetnelaissaitdel'trehumainqu'unematireindigente.

    J'essayai de tenir encore, commeun plongeur tente de prolonger une apne. C'tait un sjourterriblequelesilencedenotrevoisin.Mesmainsdevenaientmoitesetmalanguesche.

    Lepire,c'estquenotrehtesemblaitincommodparmatentative.Ilfinitparmeregarderd'unairoutr,commepoursignifier:Voustesbiengrossierdenepasmefairelaconversation!

    Jerendis lesarmes.Mes lvrespusillanimessemirentenmouvementpourproduiredubruit n'importequelbruit.Amagrandesurprise,cefut:

    MafemmesehommeJulietteetmoiEmile.

    Jen'enrevenaispas.Quellefamiliaritridicule!Jen'avaisjamaisvouluinformercemonsieurdenosprnoms.Pourquoidiablemonappareilphonatoireadoptatilcegenredemanires?

    Ledocteursemblapartagermarprobationcarilneditrien,pasmme:Ah.Iln'yeutpasnonplusdanssesyeuxcetchovaguedontlatraductionest:J'aientendu.

    J'eus l'impression que nous venions de nous livrer une partie de bras de fer et qu'ilm'avaitcras.Sonvisageaffichaitl'impassibilitdutriomphe.

    Etmoi,misrablevaincu,jem'enfonai:

    Quelestvotreprnom,monsieur?

    Aprslaquinzainedesecondesrituelle,savoixtoujoursatonemerpondit:

    Palamde..

    Palamde?Palamde!C'estmerveilleux!Ignorezvousquec'estPalamdequia invent lejeudeds,pendantlesigedeTroie?

    JenesauraijamaissimonsieurBernardintaitaucourantcarilneditrien.Quantmoi,j'taistoutlajoiedecedivertissementonomastique.

    Palamde!Celasiedvotrctmallarmen:Uncoupdedsjamaisn'effaceralehasard!

    Notrevoisineutl'airdeprendremaremarquedehaut.Ilsetaisait,commesij'avaisdpasslesbornesdugrotesque.

    Comprenezmoi:jerisparcequevotreprnomestinattendu.Maisc'esttrsjoli,Palamde.

    Silence.

    Votrepretaitil,commemoi,professeurdelanguesanciennes?

    Non.

    Non: c'est tout ce que j'avais le droit d'apprendre au sujet demonsieur Bernardin pre. Jecommenaistrouver lasituation irritante.J'ai toujourseuhorreurdeposerdesquestionsaux

  • gens.Aprs tout,si j'taisvenum'enterrerdansce trouperdu,c'taitpoura.Unobservateurextrieuretpudonnerraisonaudocteur:d'abordparcequej'taisindiscret,ensuiteparcequelasagessen'est jamaisductdeceluiquiparle.Maiscetobservateuret ignorunedonnequirendaitcettetteincomprhensible,savoirquec'taitcemonsieurquis'imposaitchezmm.

    Je fusdeuxdoigtsde luidemander:Pourquoitesvousvenumevoir?Laphrasenesortitpas.Ellemeparuttropbrusque,ellenepouvaitsignifierqu'uneincitationpartir.C'taitcequejesouhaitais,certes.Jen'avaiscependantpaslecouragedemeconduirecommeunrustre.

    Palamde Bernardin, lui, avait ce courage: il restait assis, ne regardant rien, l'air abruti etmcontentlafois.Etaitilconscientdelagrossiretdesonattitude?Commentlesavoir?

    Pendant ce temps, Juliette tait reste assise ct de lui. Elle l'observait, elle semblait letrouver trs intressant. Elle avait l'air d'un zoologiste qui tudie le comportement d'une btetrange.

    Le contraste entre sa silhouette frle, aux yeuxhabits, et lamasse inerte denotre voisin nemanquaitpasdesel.Jenemesentaispasledroitd'enrire,hlas.Pourlapremirefoisdemavie,jeregrettaismabonneducation.

    Quediableluidireencore?Jegrattaimonespritlarecherched'unsujetinnocent.

    Allezvousparfoislaville?

    Non.

    Voustrouveztoutcequ'ilvousfautauvillage?

    Oui.

    Iln'yapourtantpasgrandchosel'piceriedeMauves.

    Oui.

    Oui. Oui? Que voulait dire ce oui? Un non n'etil pas mieux convenu? Le dmon de lalinguistiquemereprenaitquandJulietteintervint:

    Iln'yavaitpasdelaitue,monsieur.Evidemment,cen'estpaslasaison.Maisc'estdifficiledevivresanslaitue.Entrouvetonauprintemps?

    Laquestionsemblaitdpasserlesmoyensintellectuelsdenotrehte.Aprsavoircruqu'iltaitunmage,j'enrevinslapremirehypothse:c'taitundemeur.Car,s'iln'avaitpastidiot,iletrpondusoitoui,soitnon,soitjenesaispas.

    Ilpritnouveausonairincommod.Pourtant,leproposdemafemmenepouvaitpastretaxd'indiscrtion.J'intervinsavecunrespectexagr:

    Voyons,Juliette,posetondesquestionsmnagresunhommetelquemonsieurBernardin?

    MonsieurBernardinnemangepasdesalade?

    C'estl'affairedemadameBernardin.

    Elle se retourna vers le docteur pour poser cette question dont je me demandai si elle taitcandideouimpertinente:

    EstcequemadameBernardinmangedelasalade?

    J'taissurlepointd'intervenirquandildit,aprssontempsderflexionhabituel:

  • Oui.

    Lesimplefaitqu'ilaitdaignrpondreprouvaitlebonchoixdelaquestion.C'taitdonccegenredechosesquel'onpouvaitluidemander.Aveclalistedeslgumes,nouspouvionsnousentirerquelquetemps.

    Vousmangezdestomates,aussi?

    Oui.

    Desnavets?

    Oui.

    La taxinomiedesprimeurstaitunesolutionmerveilleuse,maisuncertainsensde ladcencem'empchadecontinuer.Dommage,carcelacommenaitm'amuser.

    Jemesouviensd'avoirpataugencorelongtempsentrelessilencesetlesquestionsineptes.

    Vers6heuresdusoir,commelaveille,ilselevapourpartir.Jen'ycroyaisplus.Jenepeuxpasdire quel point ces deux heures m'avaient paru interminables. J'tais puis comme si jevenaisdemebattrecontre lecyclope,pire,contre lecontraireducyclope.Eneffet,cederniers'appelait Polyphme, soit celui qui parle beaucoup. Affronter un bavard est une preuve,certes.Maisquefairedeceluiquivousenvahitpourvousimposersonmutisme?

    Laveille,quandlevoisintaitparti,j'avaisri.Cejourl,jeneriaisplus.Juliettemedemanda,commesij'taisomnicient:

    Pourquoiestilvenuaujourd'hui?

    Pourlarassurer,j'inventaicetterponsedifficilecroire:

    Ilyadesgensquiconsidrentqu'unevisitedecourtoisienesuffitpas.Ilsenfontdeux.Nousensommesquittes,maintenant.

    Ah!Tantmieux.Ilprendbeaucoupdeplace,cemonsieur.

    Jesouris.Pourtant,jeredoutaislepire.

    Lelendemainmatin,jemerveillainerveux.Jen'osaispasm'enavouerlemotif.

    Pourchappercetteanxitvague,j'laboraiunplandecampagne.

    Aujourd'hui,nousallonsnousfaireunsapindeNol.

    Juliettetombaitdesnues.

    MaisNolestpass.Noussommesenjanvier.

    Aucuneimportance.

    Nousn'avonsjamaiseudesapindeNol!

    Cetteanne,nousenauronsun.

    Comme un gnral, j'organisai les oprations: nous irions au village acheter le sapin et lesdcorations.L'aprsmidi,nousinstallerionsl'arbredanslesalonetleparerions.

    Il va de soi que celam'tait gal, d'avoir ou non un sapin deNol. C'tait tout ce que j'avaistrouvpourmeublermoninquitude.

  • Auvillage, onnevendait plusaucun sapin.Nousachetmesquelquesguirlandesetdesboulesmulticolores,mais aussi une hache et une scie. Au retour, j'arrtai la voiture aumilieu de lafort et, avec la maladresse des nophytes, je coupai un petit sapin. Je l'entreposai dans lecoffrequejeduslaisserouvert.

    L'aprsmidi,nousemestoutes lespeinesdumondefairetenir l'arbredeboutdans lesalon.Jedcrtaique l'anprochain,nous leprendrionsavecses racineset lemettrionsdansunpot.Ensuite, il fallut rpartir sur les branches les dcorations qui taient d'un got douteux. Mafemmes'amusaitbeaucoup:elletrouvaquelesapintaitpimpantcommeunevillageoisesortantdechezlecoiffeur.Ellesuggrad'yajouterquelquesbigoudis.

    Juliette semblait avoir oubli la menace qui planait sur nos ttes. Mais j'tais angoiss et jeregardaismamontreladrobe.

    A4heurespile,onfrappalaporte.Mafemmemurmura:

    Ohnon!

    Acesdeuxmots,jecomprisquemesmanuvresn'avaientpasendormisacrainte.

    Rsign,j'ouvrislaporte.Notretortionnairetaitseul.Ilgrommelaunbonjour,metenditsonmanteauet,djhabitu,allas'asseoirdanssonfauteuilausalon.Ilacceptaunetassedecafetneditrien.

    J'euslahardiessedeluidemander,l'instardelaveille,sisonpouseallaitvenircequejenesouhaitaispas,maisquietaumoinsdonnunmotifcettevisite.

    L'airincommod,ilsortitl'undesgrandsmotsdesonrpertoire:

    Non.

    Cela commenait ressembler un cauchemar.Aumoinsnotreactivitdu jourmeprocuraitelleunbrillantsujetdeconversation:

    Vousavezvu?NousavonsinstallunsapindeNol.

    Oui.

    Je faillis demander:Il est beau, n'estcepas?mais je tentai une exprience scientifiqueparunequestionautrementaudacieuse:

    Commentletrouvezvous?

    L,personnenepouvaitmetaxerd'indiscrtion.Jeretenaismonsouffle.L'enjeutaitimportant:monsieurBernardinpossdaitillesnotionsdubeauetdulaid?

    Aprssontempsderflexionetunvagueregardsurnotreuvred'art,nousemesdroitunerponseambigu,profred'unevoixvide:

    Bien.

    Bien: qu'estce que cela signifiait dans son lexique intrieur? Ce mot comportaittil unjugement esthtique, ou taitil d'ordremoral il est de bon ton d'avoir un sapin de Nol?J'insistai:

    Qu'entendezvousparbien?

    Ledocteureut l'airmcontent.Jeremarquaiqu'ilprenaitcetteexpressionquandmesquestionsexcdaient le champ lexical de ses rponses habituelles. Pour unpeu, il et russi me fairehonte, comme les deux premiers jours, o j'en tais .arriv croire que mes propos taientdplacs.Cettefois,jedcidaidersister:

  • Celasignifietilquevousletrouvezbeau?

    Oui.

    Flte.J'avaisoubliqu'ilnefallaitpasluilaisserl'occasiondeplacersesdeuxmotsfavoris.

    Etvous,vousavezunsapindeNol?

    Non.

    Pourquoi?

    Visagecourroucdenotrehte.Jepensais:C'esta,prendstonairfch.Ilestvraiquejeteposeunequestiond'uneimpolitesserare:pourquoin'astupasdesapin?Quelrustrejefais!Etjenet'aideraipas,cettefoisci.Tun'asqu'trouverlarponsetoutseul.

    Les secondes passaient, monsieur Bernardin fronait les sourcils, soit qu'il rflcht, soit qu'ilrumintsacolred'avoiraffronterunenigmedignedecelledusphinx.Jecommenaismesentirtrsbien.

    Quellenefutpasmastupeurd'entendreJuliettesuggrerd'unevoixgentille:

    Peuttrequemonsieurnesaitpaspourquoiiln'apasdesapin.Souvent,onneconnatpaslesraisonsdeceschosesl.

    Jelaregardaiavecdsolation.Elleavaittoutfaitrater.

    Tird'affaire,notrevoisinavaitrecouvrsaplacidit.En l'examinant, jem'aperusquecemotneluiconvenaitpas.Iln'avaitriendeplacide:jeluiavaisaccolcetermeparcequ'ilestd'usaged'enqualifier lesgros.Or,nulle tracedecettedouceuretdece flegmesur levisagedenotretortionnaire. Au fond, sa figure n'exprimait rien d'autre que la tristesse.Mais ce ntait pas latristesse lgante que l'on prte aux Portugais, c'tait une tristesse pesante, imperturbable etsansissue,caronlasentaitfonduedanssagraisse.

    Alarflexion,avaisjedjvudesgrosjoyeux?Jesondaienvainmammoire.Ilmeparutquelarputationdegaietdesobsestait infonde: laplupartd'entreeuxavaientaucontraire lefacisaccabldemonsieurBernardin.

    Cedevait tre l'undesmotifspour lesquels saprsencetait si dsagrable.S'il avait eu l'airheureux, j'imagine que son mutisme ne m'et pas tant oppress. Il y avait quelque chosed'prouvantdanslastagnationdecedsespoirgras.

    Juliette,quitaitencoreplusfrlequemenue,avait levisagegaimmequandellenesouriaitpas.Danslecasdenotrehte,cedevaittrelecontraire,supposerqu'illuiarrivtdesourire.

    Suitel'checduquestionnementsurlessapinsdeNoletleurraisond'treoudenepastre,jenesaispluscequej'aidit.Jemesouviensseulementquecefutlong,longetpnible.

    Quand ilpartitenfin, jenepuscroirequ'il ft6heuresdusoir: jepensaisdurcommeferqu'iltait9heureset jevoyais lemomento il allait s'imposerdner. Iln'taitdonc restquedeuxheures,l'instardelaveilleetdel'avantveille.

    Avecl'injusticedesgensexasprs,jem'enprismafemme:

    PourquoiestuvenuesonsecourspourlesapindeNol?Ilfallaitlelaisserpatauger!

    Jesuisvenuesonsecours?

    Oui!Tuasrpondusaplace.

  • C'estparcequetaquestionmesemblaitunpeudplace.

    Ellel'tait!Raisondepluspourqu'onlaluipose.Neseraitcequepourtesterleniveaudesonintelligence.

    Ilestcardiologue,quandmme.

    Ilapeuttretintelligentdansunpasslointain.Maintenant,ilestclairqu'ilneluienresterien.

    Tu n'as pas plutt l'impression qu'il a un problme? Il a un air malheureux et fataliste, cemonsieur.

    Ecoute,Juliette,tuesadorable,maisnousnesommespasdessaintbernard.

    Tucroisqu'ilvarevenirdemain?

    Commentveuxtuquejelesache?

    Je me rendis compte que j'levais la voix. Je passais mes nerfs sur ma femme, comme ledernierdesmdiocres.

    Excusemoi.Cetypememethorsdemoi.

    S'ilrevientdemain,quefaiton,Emile?

    Jenesaispas.Qu'estcequetuenpenses?

    Jemesentaislche.

    Elleditavecunsourire:

    Peuttrequ'ilneviendrapasdemain.

    Peuttre.

    Hlas,jen'ycroyaisplus.

    Le lendemain, 4 heures de l'aprsmidi, quelqu'un frappa la porte. Nous savions de qui ils'agissait.

    Monsieur Bernardin se tut. Il avait l'air de trouver que notremanque de conversation tait lecombledel'impolitesse.

    Deuxheuresplustard,ils'enalla.

    Demain,Juliette,4heuresmoins10,nouspartironsnouspromener.

    Elleclataderire.

    Le lendemain, 3 h 50, nous nous en allions pied. Il neigeait.Nous tions ravis, nous noussentionslibres.Jamaispromenadedenousavaitdonntantdejoie.

    Mafemmeavaitdixans.Ellerejetaitlatteenarriredemanireavoirlevisagefaceauciel.Elleouvrait grand laboucheet s'appliquait avaler leplusde floconspossible.Elleprtendaitlescompter.Detempsentemps,ellem'annonaitunchiffreinvraisemblable:

    Centcinquantecinq.

    Menteuse.

  • Dans la fort, nos pas faisaient aussi peu de bruit que la neige. Nous ne disions rien, nousredcouvrionsquelemutismequivalaitaubonheur.

    Lanuitnetardapastomber.Alafaveurdelablancheuromniprsente,laclartsurenchrit.Silesilencedevaits'incarnerenunematire,ceseraitdanslaneige.

    Iltaitpass6heuresquandnousregagnmes laMaison.Les tracesdepasd'unseulhomme,encore rcentes, menaient jusqu' la porte puis retournaient chez le voisin. Elles nous firentclater de rire, en particulier celles qui tmoignaient d'une longue attente bredouille devantl'entre.Nousavionsl'impressiondepouvoirliredanscesempreintesnousydistinguionsavecprcision l'airmcontent demonsieur Bernardin qui avait d penser que nous tions bienmallevsdenepastrelpourl'accueillir.

    Juliettetaithilare.Ellemeparutsurexcite: laconjonctiondecettepromenadeferiqueetdeladconvenuedudocteur l'avaitmiseentatd'britmentale. Ilyavaiteusipeudechosesdanssaviequ'elleragissaittoutavecuneintensitextrme.

    Lanuit,elledormitmal.Lelendemainmatin,elletoussait.Jem'envoulus:commentavaisjepulalaissercourirnuttesouslaneige,avalerdescentainesdeflocons?

    Riendegrave,maisilseraithorsdequestiondesepromenercejourl.

    Jeluiapportaidelatisaneaulit.

    Vatilvenir,aujourd'hui?

    Nousnedevionsmmeplusprciserquitaitil.

    Peuttrenotreabsenced'hierl'auratelledcourag.

    A 4 heures, les autres fois, nous avions allum la lumire du salon. Nous pourrions ne pasl'allumer.

    Hier,nousn'avionspasallum.Celanel'apasempchdevenir.

    Aufond,Emile,sommesnousobligsdeluiouvrir?

    Jesoupirai,enpensantquelavritsorttoujoursdelabouchedesinnocents.

    Tuasposlabonnequestion.

    Tun'aspasrpondu.

    Laloinenousforcepasluiouvrirlaporte.C'estlapolitessequinousycontraint.

    Sommesnousobligsd'trepolis?Elletouchaitnouveauunpointsensible.

    Personnen'estobligd'trepoli.

    Alors?

    Leproblme,Juliette,netientpasnotredevoir,maisnotrepouvoir.

    Jenecomprendspas.

    Quandonasoixantecinqannesdepolitessederriresoi,estoncapabled'enfairefi?

    Avonsnoustoujourstpolis?

    Lesimplefaitquetumeposescettequestionprouvequelpointnosmaniressontenracines

  • en nous. Nous sommes si polis que notre politesse est devenue inconsciente. On ne lutte pascontrel'inconscient.

    Nepourraitonpasessayer?

    Comment?

    S'ilfrappelaporteetquetuesenhaut,ilestnormalquetunel'entendespas.Surtouttonge.Ceneseraitmmepasgrossier.

    Pourquoiseraisjeenhaut?

    Parcequejesuisalite,parcequeturestesmonchevet.Detoutefaon,celaneleregardepas.Iln'yariend'impolitreenhaut.

    Jesentaisqu'elleavaitraison.

    A4heures,j'taisl'tage,assisdanslachambreauprsdelamalade.Onfrappalaporte.

    Juliette,jel'entends!

    Iln'ensaitrien.Tupourraisnepasentendre.

    Jel'entendstrsbien.

    Tupourraistreentraindedormir.

    Acetteheureci?

    Pourquoipas?Jesuismalade,tut'esendormienmetenantcompagnie.

    Jecommenaismesentirmal.J'avaislagorgenoue.Mafemmemepritlamaincommepourmedonnerducourage.

    Ilvabienttarrter.

    Enquoiellesetrompait.Nonseulementiln'arrtaitpas,maisilfrappaitdeplusenplusfort.Iletfalluquejefusseaucinquimetagepournepasl'entendre.Or,lamaisonnecomptaitquedeuxniveaux.

    Lesminutespassaient.MonsieurBernardinentaitarrivtambourinersurnotreportecommeundment.

    Ilvalacasser.

    Ilestfou.Foulier.

    Il frappaitdeplusenplus fort.J'imaginaissamassenormes'abattantsur laparoi,qui finiraitpascder.Neplusavoirdeporte,parcefroid,ceseraitintenable.

    Puis, ce fut le comble: il se mit frapper sans discontinuer, intervalles de moins d'uneseconde.Jen'auraispascruqu'ilavaitunetelleforce.Juliettetaitdevenuelivideellelchamamain.

    Ilsepassaunechosehorrible:l'instant,jedvalail'escalieretj'ouvrislaporte.

    Letortionnaireavait levisagetumfidecolre.J'avaissipeurqueje fus incapabled'articulerun son. Jeme drobai pour le laisser entrer. Il enleva sonmanteau et alla s'asseoir dans cefauteuilqu'iltenaitpourlesien.

  • Jenevousavaispasentendu,finisjeparbalbutier.

    Jesavaisquevoustiezl.Laneigetaitvierge.

    Il n'avait jamais prononc tant demots d'affile. Ensuite, il se tut, prostr. J'tais terrifi. Cequ'ilvenaitdeprofrerprouvaitqu'iln'taitpasundemeur.Enrevanche,sonattitudetaitcelled'unfoudangereux.

    Uneternitplustard,ilditencoreunephrase:

    Hier,voustiezpartis.

    Sontondevoixtaitceluidel'accusation.

    Oui.Nousnouspromenionsdanslafort.

    Etmoi,j'taisentraindemejustifier!Honteuxdemapleutrerie,jem'obligeaiajouter:

    Vousfrappiezsifort...

    Onn'imaginepaslecouragequ'ilmefallutpourmurmurercesquelquesmots.Maisnotrevoisin,lui, n'prouvait pas le besoin de se justifier. Il frappait trop fort? Eh bien, il avait eu raison,puisquecelam'avaitfaitouvrirlaporte!

    Ceneseraitpascejourlquej'auraisassezd'assurancepourmetaire.

    Mafemmeaprisfroid,hier,enpromenade.Elleestalite,elletousseunpeu.

    Aprstout,iltaitmdecin.Ilallaitpeuttreenfinsemontrerbonquelquechose.

    Pourtant,ilsetaisait.

    Pourriezvousl'examiner?

    Elleaprisfroid,rponditilagac,l'airdepenser:Vousn'allezpasmedrangerpoura!

    Riendegrave,maisnotrege...

    Ilnedaignaplusrpondre.Lemessagetaitclair:moinsd'unemningite,nousnedevionspasesprersessoins.

    Il se taisait nouveau. Une bouffe de rage s'empara demoi. Quoi! J'allais devoir consacrerdeuxheuresentirescedemeur,quinesortaitdesatorpeurquequandils'agissaitdecassermaporte et pendant ce tempsl,mapauvre femmemalade resterait seuledans son lit! Ahnon.Jenelesupporteraispas.

    Aveccourtoisie,jeluidis:

    Vousvoudrezbienm'excuser,mais Julietteabesoindemoi.Vouspouvez,votregr,vousinstallerausalonoum'accompagnerl'tage...

    N'importe qui et compris qu'on le congdiait. Hlas,monsieur Bernardin n'tait pas n'importequi.Jejurequ'ilmedemanda,d'untonsuffoqu:

    Vousnemedonnezpasunetassedecaf?

    Jen'encruspasmesoreilles.Ainsi,cettetassedecafquenous luiavionsoffertechaquejourparamabilittaitdevenuesond!Avecunecertaineterreur,jemerendiscomptequetoutceque nous lui avions accord, ds la premire visite, tait devenu son d: dans son cerveauprimaire,unegentillesseproposeuneseulefoisaccdaitaustatutdeloi.

  • Je n'allais quand mme pas le lui servir, son caf! C'et t un comble. Il parat que lesAmricainsdisentleurshtes:Helpyourself.Maisn'estpasamricainquiveut.D'autrepart,je n'aurais pas le culot de lui refuser quoi que ce ft. Avec le manque d'audace qui mecaractrise,jeproposaiunmoyenterme:

    Jen'aipasletempsdeprparerducaf.Commejedoisfairebouillirdel'eaupourlatisanedemafemme,j'enprofiteraipourvousservirunetassedeth.

    Jefaillisajouter:sivousvoulezbien.

    J'euslecouragelmentairedecoupercela.

    Quand je luieusapportsonth, jemontaiune infusionJuliettequi, recroquevilledanssonlit,mechuchota:

    Qu'estcequ'ila?Pourquoifrappaitillaportecommeunebrute?

    Elleavaitlesyeuxagrandisparlapeur.

    Jenesaispas.Maisnet'inquitepas,iln'estpasdangereux.

    Tuenessr?Tuasentendulaforceaveclaquelleilmartelaitcettepauvreporte?

    Iln'estpasviolent.C'estseulementungrossierpersonnage.

    Jeluiracontaiquemonsieuravaitexigsoncaf.Ellepouffa.

    Etsitulelaissaisseulenbas?

    Jen'osepas.

    Essaie.Rienquepourvoirsaraction.

    Jen'aimeraispasqu'ilsemettefouillerdansnosaffaires.

    Cen'estpassongenre.

    Quelestsongenre?

    Ecoute,c'estunrustre.Tuasledroitd'trerustreavecunrustre.Etpuis,nedescendspas,jet'enprie.J'aipeurquandtuesseulaveclui..

    Jesouris.

    Tuasmoinspeurquandtueslpourmeprotger?

    A cet instant, un fracas pouvantable se fit entendre. Puis un autre semblable, ensuite untroisime. Le rythme nous confirma ce qui tait en train de se passer: l'ennemi montaitl'escalier.Lesmarchesavaient l'habitudedenospoids lgers, lamassedemonsieurBernardinlesfaisaithurler.

    Julietteetmoi,nousnous regardionscommedesenfantsenfermsdans legardemangerd'unogre. Aucune fuite n'tait possible. Les pas lents et lourds se rapprochaient. J'avais laiss laporte ouverte, je ne songeai pas la fermer: quoi cette pitre dfense etelle servi?Noustionsperdus.

    Aumomentmme, j'taisconscientduridiculedenotrepeur:envrit,nousnerisquionsriendegrave.Notrevoisintaituneplaie,certes,maisilnenouscauseraitaucundommage.Celanenousempchaitpasd'treterrifis.Dj,noussentionssaprsence.Pourjouerlejeu,jeprislamaindelamaladed'unairmditatif.

  • Iltait l.Ilregardait letableau:lemarisoucieux,assisauchevetdesafemmesouffrante.Jesimulailasurprise:

    Oh!Voustesmont?

    Commesilebruitdel'escalierm'avaitpermisdel'ignorer!

    L'expression de son visage rsistait l'analyse. Il semblait la fois outr de nos mauvaisesmanireset suspicieux: Juliettepourrait bien faire semblantd'tremaladedans le seul butdemanquersondevoirdecourtoisieenverslui.

    Ellegmit,avecunegratitudecomique:Ah,docteur,commec'estgentilvous!Maisjecroisquec'estunsimplerefroidissement.

    Dcontenanc,ilvintluiposerlamainsurlefront.Jeleregardaisavecunesortedestupeur:s'ilexaminaitmafemme,ilallaitfalloirquesoncerveaufonctionne!Qu'allaitilensortir?

    Sagrossepatte finit par se soulever.MonsieurBernardinneparlait pas. L'espaced'un instant,j'imaginailepire.

    Alors,docteur?

    Rien.Ellen'arien.

    Elletousse,pourtant!

    Sansdoutelagorgeunpeuenflamme.Maisellen'arien..

    Cette phrase, qu'un mdecin normal et prononce d'une voix rassurante, sonnait dans sabouchecommeunconstatd'insulteEtc'estpourcettemladedepacotillequevousrefusezdevousoccuperdemoi?

    Jefissemblantden'avoirrienremarqu.

    Merci,merci,docteur!Vousmesoulagez.Combienvousdoisje?

    Lepayerpouravoirmissamainsurlefrontdemafemmepourraitsemblertrange:jevoulaissurtoutnerienluidevoir.

    Il haussa les paules d'un air bourru. Et ce fut ainsi que je dcouvris un trait de caractre denotre tortionnaire le simple fait qu'il et un trait de caractre m'tonnait: l'argent nel'intressaitpas.Septilqu'ilyaiteuplaceenluipourdesclairs,sinondenoblesse,aumoinsd'absencedevulgarit?

    Fidlesonpersonnage,ilsehtadenepaslaissertracedecedbutd'impressionfavorable.Ilavanadanslachambreetsecasasurunechaise,enfacedenous.

    Julietteetmoichangemesunregardincrdule:iln'allaitquandmmepasnousassaillirjusquedansnotrechambrecoucher?Lasituationtaitaussiinfernalequebloque.

    Asupposerquej'eussetcapabledemettrequelqu'unlaporte,commentprocderaveclui?D'autantqu'ilvenaitd'examinergratuitementmafemme!

    Cettedernirefinitparhasarder:

    Docteur,vous...vousn'allezpasresterl?

    Sonexpressionmornepritunenuancechoque.Quoi!Qu'osaitonluidire?

    Cen'estpasunendroitpourvousrecevoir.Etpuis,vousallezvousennuyer.

  • Celaluisemblaadmissible.Maisileutceproposaccablant:

    Sijevaisausalon,vousdevezveniraussi.

    Effondr,jetentail'inutile:

    Jenepeuxpaslalaisserseule.

    Ellen'estpasmalade.

    Celadpassaitl'imagination!Jemecontentaiderpter:

    Jenepeuxpaslalaisserseule!

    Ellen'estpasmalade.

    Enfin,docteur,elleestfragile!Anotrege,c'estnormal!

    Ellen'estpasmalade.

    Je regardai Juliette. Elle secouait la tte avec rsignation. Si seulement j'avais eu la force dedclarer:Maladeoupasmalade,jeresteavecelle!Sortez!Ilm'taitdonndecomprendrequelpointj'appartenaislaracedesfaibles.Jemedtestais.

    Jeme levai, vaincu, et descendis au salon avecmonsieurBernardin, laissant dans la chambremapauvrefemmetoussotante.

    L'intruss'crasadanssonfauteuil.Ilpritlatassedethequej'avaisprpareavantdemonter.Illaportaseslvres.Jejurequ'ilmelatenditendisant:

    C'estfroid,maintenant.

    Je restai un instant dcontenanc. Ensuite, un fou rire s'empara demoi: c'tait norme! Etregrossier un point pareil, ce n'tait pas concevable. Je riais, je riais et une demiheure decrispationfondaitdanscettehilarit.

    Jeprislatassedesmainsdugrosmonsieurquemonrirecourrouaitetj'allaiverslacuisine.

    Jevousrefaisunthtoutdesuite.

    Quandilfut6heures,ilpartit.Jemontaidanslachambre.

    Jet'aientenduriretrsfort.

    Jeluiracontailecoupduthfroid.Elleritaussi.Aprs,ellesembladsempare.

    Emile,qu'allonsnousfaire?

    Jenesaispas.

    Ilfautneplusluiouvrir.

    Tuasvucequis'estpasstantt.Ilcasseralaporte,sijeneluiouvrepas.

    Ehbien,ilcasseralaporte!Ceseraunemerveilleuseoccasiond'trebrouillsaveclui.

    Maislaporteseracasse.Enhiver!

    Nouslarparerons.

  • Elle sera cassepour rien, car il n'y apasmoyende sebrouiller avec lui.D'ailleurs, il vautmieuxresterenbonstermes:c'estnotrevoisin.

    Etalors?

    Ilvautmieuxs'entendreavecsonvoisin.

    Pourquoi?

    C'estl'usage.Etpuis,n'oubliepasquenoussommesseulsici.Enplus,ilestmdecm.

    Etre seuls, c'tait ce que nous voulions. Tu dis qu'il est mdecin moi, je dis qu'il va nousrendremalades.

    N'exagrepas.Ilestinoffensif.

    Astuvunotredegrd'anxitauboutdequelquesjours?Dansqueltatseronsnousdansunmois,danssixmois?

    Peuttrearrteratillafindel'hiver.

    Tusaisbienquenon.Ilviendratouslesjours,touslesjours,de4heures6heures!

    Ilsedcouragerapeuttre.

    Ilnesedcouragerajamais.

    Jesoupirai.

    Ecoute, c'est vrai qu'il est embtant. Pourtant, nousavonsunebelle vie, ici, non?C'est cellequenousavonstoujourssouhaite.Nousn'allonspasnous la laisserempoisonnerparundtailaussi ridicule. Un jour compte vingtquatre heures. Deux heures, c'est le douzime d'un jour.Autantdirerien.Nousavonsvingtdeuxheuresdebonheurquotidien.Aunomdequoioserionsnousnousplaindre?Tuas songau sortde ceuxquin'ontmmepasdeuxheuresdebonheurparjour?

    Estcequec'estuneraisonpourselaisserenvahir?

    La dcence nous contraint de comparer notre vie celle des autres. Notre existence est unrve.J'auraishontedeprotester.

    Ce n'est pas juste. Tu as travaill quarante annes pour un petit salaire. Notre bonheurd'aujourd'huiestmodesteetmrit.Nousavonsdjpayleprix.

    Ilnefautpasraisonnercommea.Rienn'estjamaismrit.

    Enquoicecinousempchetildenousdfendre?

    Denousdfendrecontreunpauvreabruti,unebruteavachie?Mieuxvautenrire,non?

    Jeneparvienspasenrire.

    Tuastort.Ilestfaciled'enrire.Dsormais,nousrironsdemonsieurBernardin.

    1......2......3