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Psychopathologie Analyse dénoncés denfants autistes à partir de la psychanalyse, quelle ouverture pour une énonciation ? Analysis of autistic childrens statements from the psychoanalysis, what opening for a statement? Michel Grollier * Maître de conférences en psychologie, équipe daccueil 4050, université de Rennes-IIHaute-Bretagne, campus Villejean, place du recteur H.-le Moal, CS 24307, 35043 Rennes cedex, France Reçu le 13 janvier 2007 ; accepté le 8 juin 2007 Disponible sur internet le 26 juillet 2007 Résumé Nous nous proposons dinterroger dans ce travail la possibilité de létude des énoncés denfants autis- tes dans la ligne des premières remarques de Kanner éclairé par les apports de la linguistique et de Lacan. En ne prenant pas le langage côté communication, mais en se centrant sur une théorie de lénon- ciation, nous recherchons les possibilités de manifestations subjectives chez lenfant autiste et les condi- tions de leur survenue. Nous partons de lhypothèse quil existe un sujet autiste, mais quil ne peut occu- per une position subjective qui sinscrirait dans un acte de parole, une énonciation. En tenant compte de cette difficulté, il sagirait alors, pour le clinicien, dassocier le sujet à un acte dénonciation à prendre à son compte pour signifier ce que lenfant rencontre. Freud avait une approche clinique ancrée dans le langage, qui apportait une avancée sur la place du mot dans la clinique psychanalytique. Plus tard Saus- sure, Benveniste et Chomsky nous apporteront léclairage de la linguistique qui manquait à Freud. Lacan, en forgeant sa « linguisterie », a conjoint ces différents apports. Dans ses quelques remarques sur lautisme, il nous fournit des éléments qui croisent lapport de Kanner. La traduction récente dun inédit http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ Lévolution psychiatrique 72 (2007) 421435 Grollier M. Analyse dénoncés denfants autistes à partir de la psychanalyse, quelle ouverture pour une énoncia- tion ? Evol psychiatr 2007; 72. * Auteur correspondant. (M. Grolier). Adresse e-mail : [email protected] (M. Grollier). 0014-3855/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2007.06.001

Analyse d'énoncés d'enfants autistes à partir de la psychanalyse, quelle ouverture pour une énonciation ?

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http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/

L’évolution psychiatrique 72 (2007) 421–435

Psychopathologie

Analyse d’énoncés d’enfants autistes à partirde la psychanalyse, quelle ouverture

pour une énonciation ? ☆

Analysis of autistic children’s statements fromthe psychoanalysis, what opening for a statement?

Michel Grollier*

Maître de conférences en psychologie, équipe d’accueil 4050, université de Rennes-II–Haute-Bretagne,campus Villejean, place du recteur H.-le Moal, CS 24307, 35043 Rennes cedex, France

Reçu le 13 janvier 2007 ; accepté le 8 juin 2007Disponible sur internet le 26 juillet 2007

Résumé

Nous nous proposons d’interroger dans ce travail la possibilité de l’étude des énoncés d’enfants autis-tes dans la ligne des premières remarques de Kanner éclairé par les apports de la linguistique et deLacan. En ne prenant pas le langage côté communication, mais en se centrant sur une théorie de l’énon-ciation, nous recherchons les possibilités de manifestations subjectives chez l’enfant autiste et les condi-tions de leur survenue. Nous partons de l’hypothèse qu’il existe un sujet autiste, mais qu’il ne peut occu-per une position subjective qui s’inscrirait dans un acte de parole, une énonciation. En tenant compte decette difficulté, il s’agirait alors, pour le clinicien, d’associer le sujet à un acte d’énonciation à prendre àson compte pour signifier ce que l’enfant rencontre. Freud avait une approche clinique ancrée dans lelangage, qui apportait une avancée sur la place du mot dans la clinique psychanalytique. Plus tard Saus-sure, Benveniste et Chomsky nous apporteront l’éclairage de la linguistique qui manquait à Freud.Lacan, en forgeant sa « linguisterie », a conjoint ces différents apports. Dans ses quelques remarques surl’autisme, il nous fournit des éléments qui croisent l’apport de Kanner. La traduction récente d’un inédit

☆ Grollier M. Analyse d’énoncés d’enfants autistes à partir de la psychanalyse, quelle ouverture pour une énoncia-tion ? Evol psychiatr 2007; 72.

* Auteur correspondant. (M. Grolier).Adresse e-mail : [email protected] (M. Grollier).

0014-3855/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2007.06.001

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de Kanner nous permet une nouvelle approche de la question. Nous constatons ainsi les conditions à unaccès possible au langage pour ces enfants, qui ne se résume pas à un simple usage de communication,mais permet à un sujet de s’inscrire dans le monde.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

We propose to question in this work the possibility of the study of autistic children statements in theline of the first remarks of Kanner lit by the contributions of the linguistics and Lacan. By not taking thequoted language communication, but while being centered on an enunciation theory, we look for thepossibilities of demonstrations subjective at the autistic child and the conditions of its occurred. We leavethe assumption that there is an autistic subject, but that he cannot occupy a subjective position, whichwould join a speech act, a statement. By taking into account this difficulty, it would be a question then,for the clinician, to associate the subject to an act of statement to be taken care to mean what the childmeets. Freud had a clinical approach anchored in the language, which brought advanced on the place ofthe word in the psychoanalytical private clinic. After Saussure, Benveniste and Chomsky bring us thelighting of the linguistics which missed to Freud. Lacan, by forging its “linguistery”, united these variouscontributions. In his some remarks on the autism, he supplies us with elements, which cross the contribu-tion of Kanner. The recent translation of unpublished work of Kanner allows us a new approach of thequestion. We so notice the conditions to an access possible for the language for these children, whichdoes not amount to a simple custom of communication, but allows a subject to join the world.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Autisme ; Psychose infantile ; Linguistique ; Subjectivation ; Psychanalyse

Keywords: Autism; Infantile psychosis; Linguistic; Subjective; Psychoanalysis

Depuis sa mise en évidence clinique par Kanner, l’autisme interroge. Trouble majeur dulien social, il se manifeste par un usage limité, inexistant ou paradoxal du langage. Si larecherche d’une causalité a occupé sans succès les chercheurs pendant des années, la construc-tion de modèle de pensée a servi à proposer des accompagnements aux enfants autistes. Lelong travail de l’école anglaise, avec Klein, Bion et surtout Tustin a soutenu une offre desoin au plus proche de l’enfant et de ses constructions imaginaires et symboliques. Ce travailet d’autres ont fondé une école psychanalytique européenne, qui, avec Lebovici, Golse,Delion, plus récemment Laznick, et bien d’autres cliniciens encore, accueille en France lasouffrance de ces enfants et tente de les accompagner vers une socialisation pacifiante. Restequ’à notre époque où la psychologie cognitive reprend l’étude des troubles de la communica-tion dans l’autisme, il paraît important de faire le point sur son rapport au langage. Un lin-guiste poserait la question de l’autisme en tant que trouble grave de la fonction de communi-cation et interrogeant les modèles de définition de la communication et de l’intentionnalité.Une des thèses significatives dans ce champ est celle défendue par U. Frith qui renvoie à unethéorie de l’esprit. Nous allons voir en effet que la place du langage dans la conception de cequ’est l’être humain conditionne les différentes approches cliniques. La question d’un lien cau-sal manifeste, saisissable dans l’énoncé de l’autiste pour un interlocuteur, produit alors souventun malentendu mélangeant adresse et intentionnalité. C’est donc par une reprise de la façondont Kanner aborde les énoncés des enfants de son étude, et de la question de l’énoncé et deson énonciation, que nous proposons d’affiner la position de la psychanalyse sur ce point.

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Ce travail nous conduit à l’hypothèse qu’il existe un sujet autiste, mais qu’il ne peut occu-per une position subjective qui s’inscrirait dans un acte de parole, une énonciation. Il n’y adonc pas d’interlocution possible, car ce sujet, qui est dans le langage, ne s’y inscrit pas.Nous ne pouvons donc l’interpeller dans un « tu » de notre énonciation (je/tu). Il s’agiraitalors d’associer le sujet à un acte d’énonciation que nous prenons à notre compte pour signifierce qu’il rencontre. Par exemple, nous pourrions nous adresser à un collègue, à propos de ceque rencontre le sujet, en le désignant par ce qui le nomme, son prénom avec l’énoncésuivant : « cette nourriture embête Pierre, si Pierre est d’accord tu devrais l’en débarrasser enla mettant à la poubelle ». Le sujet est ainsi supposé dans l’énonciation, désigné par le signi-fiant qui le nomme. L’acte de parole, pris en charge par le clinicien, produit le sujet de lasituation en l’associant à l’énonciation. Cela entraîne une orientation de travail avec le jeuneautiste qui, pariant, comme avec tout être humain, sur sa possible prise dans le langage, tentede favoriser un certain usage de celui-ci. Il s’agirait alors, non pas de vérifier (et tenter decompenser) un handicap de communication, mais de soutenir le lien de l’action au dire, à lapossibilité pour un sujet de la dire, à sa façon, trace alors de la responsabilité de l’acte.

1. Quelques éléments de linguistiques

Freud n’avait pas les éléments de la linguistique moderne à sa disposition. Il était néan-moins directement intéressé parce qu’il nomme le mot, se référant à la notion du mot commemeurtre de la chose, et spécifiant combien dans la psychose le mot valait pour la chose. Demême, son travail s’est rapidement centré sur la valence sonore du mot, montrant combien letravail de l’inconscient (déformation, homophonie, coupures, mais aussi condensation et dépla-cement) portait sur cette valence matérielle plutôt que sur son référent. C’est ainsi qu’il préfé-rait poursuivre les analyses des étrangers en allemand, même s’il maîtrisait bien l’Anglais, etun peu le Russe. C’est le représentant de la représentation, comme ce fut traduit un temps, quise trouvait mis au travail de façon préférentielle. Freud traite le mot comme un surinvestisse-ment psychique. Il y repère une composition double, la représentation de mots et la représen-tation de choses. Par représentation de mots, Freud entend une représentation du corps du mot,ce que H.M. Gauger [1] reconnaît comme signifiant au sens saussurien (malgré sa réticence àaccepter la place prépondérante du langage en psychanalyse). C’est la dimension acoustiquequi est là mise en avant, ce qui explique l’intérêt de lire Freud en allemand pour appréciertout le travail inconscient du patient sur cette représentation de mots. La représentation de cho-ses est en revanche plus que le signifié, et les linguistes y trouvent un intérêt. La question sepose alors du contenu du mot, que Gauger, lisant Freud, comprend comme essentiellementvisuel. Dans la psychose, Freud dira que le sujet traite le mot comme la chose, élément quenous reprendrons dans notre réflexion. Il apparaît utile de noter que dans son texte Esquissed’une psychologie scientifique1, Freud s’intéresse au cri du bébé et en tire plusieurs consé-quences. À partir de la notion de frayage va s’instituer, à l’aide de la réponse du partenaire(« une personne secourable » dans le texte), un lien, une association, avec la manifestation cor-porelle qu’est le cri, l’inscription du besoin dans une dialectique mnésique. Ce frayage produitune capacité à traiter le monde qui, à partir d’un certain nombre de résistances, aboutit à uneforme primitive de pensée ainsi qu’à une capacité active, le jugement. Cette deuxième notionse révélera primordiale pour Freud. Ce jugement d’attribution (bon/mauvais) débouchera sur

1 Freud S. Esquisse d’une psychologie scientifique. In : La naissance de la psychanalyse [2].

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un jugement d’existence qui, dans l’après-coup, deviendra premier. Il reprendra cette questiondans son article de 1925, La dénégation2. Mais, la forme de pensée primitive va être, grâce àun processus d’attention, conduite vers une voie sûre, dit Freud. C’est ce que les associationsverbales permettent de réaliser explique-t-il dans la troisième partie de son texte de l’Esquisse([2], p. 375). Pour pallier le fait que les frayages de pensées ne laissent derrière eux que leurseffets et non la mémoire, le langage se posera comme voie de l’entrée dans l’histoire humaine.Il écrit ainsi : « les indices de décharges par la voie du langage peuvent servir à pallier cetteinsuffisance. Ils portent les processus cognitifs sur le plan même des processus perceptifs enleur conférant une réalité et en rendant possible leur souvenir » ([2], p. 376). Ainsi, pourFreud, la logique du langage trouve sa source dans la notion du rapport à l’objet et dans lacompréhension, par le biais d’une association. Avec les objets qui font crier, il y a associationd’un son avec une perception, « nos propres cris confèrent son caractère à l’objet » ([2],p. 377). Avec les objets sonores ou sonorisés, il peut apparaître de l’imitation. L’introductionde l’association des sons volontairement émis avec les perceptions permettant alors les souve-nirs de la perception et la conscience. Freud insiste sur le passage par le corps du sujet del’objet sonore, dans les deux cas, pour produire ce premier ancrage dans le langage. Un auteurcomme Bernard Golse, [qui a une formation en linguistique, en science et en biologie, qui estaussi psychiatre, psychanalyste et professeur de psychiatrie], s’est penché sur ce lien spécifiquedu corps au langage chez Freud [4]. C’est ainsi qu’il s’est intéressé aux relations entre lamusique et les origines du langage. Nous ne reprendrons pas ici les apports que cela produitavec les enfants autistes, centrant notre étude sur le point spécifique de l’énonciation.

2. Saussure et sa lecture par Benveniste

Avec Saussure, la linguistique s’intéressa au signe linguistique d’une façon renouvelée.Nous ne sommes pas linguiste, aussi resterons-nous au plus près de ce qui nous sert dansnotre clinique. Si Saussure distingua deux versants au signe linguistique, un support sonore,le signifiant, dans ce qui se produit comme phrase, l’énoncé, et un référent, le signifié, ilinsista pour préciser que c’est dans l’articulation des signifiants que se produit la signification.Ainsi, nous pouvons dire avec G. Dessons, que Saussure et à sa suite Benveniste, mettent aucentre de la linguistique le « sujet parlant » ([5], p. 32). En effet dans cette ligne, outre qu’unmot isolé n’est rien, il ne fonde une signification que dans sa différenciation et son articulationavec d’autres mots. De la même façon, Benveniste en tirera la conséquence que chaquehomme invente sa langue toute sa vie. Dire bonjour tous les jours de sa vie à quelqu’un est àchaque fois une réinvention. Benveniste précisera ainsi que l’essentiel du langage humain,qu’il oppose à la communication chez les abeilles, consiste en ce que « nous parlons à d’autresqui parlent » ([6], p. 60). Nous voyons immédiatement la question que cela pose en ce quiconcerne les énoncés des enfants autistes et leur usage.

Benveniste questionne l’acte de parole comme fondant l’interlocution, et plus encore « lesujet de l’énonciation », formule qu’il inaugure et dont Lacan fera son usage. Cet acte pourBenveniste réalise quelque chose de l’ordre d’une présence, présence du sujet. Mais Benve-niste, en linguiste, formalise des différences. Le signe comme unité de la langue, placé côtéénoncé, la phrase, unité du discours, placée côté énonciation ([6], p. 61–62). Ainsi pour Ben-veniste, le langage en action, c’est ce qu’il nomme le discours. L’énonciation est ainsi le pro-

2 Freud S. La négation. In : Résultats, idées et problèmes [3].

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cès d’une appropriation singulière de la langue, qui rend effective et vivante la langue dansl’après-coup, en créant un effet de communauté. Nous trouvons donc en ce qui concernel’apprentissage de la langue cette position spécifique à Benveniste : « Ce que l’enfant acquiert,en apprenant comme on dit à parler, c’est le monde dans lequel il vit en réalité, que le langagelui livre et sur lequel il apprend à agir » ([7], p. 81). Nous voyons dans cette approche toute laproblématique qui se dévoile quant à une conception de l’autisme, car dans cette conception, iln’y aurait pas de monde connaissable sans la relation médiatrice du langage. La langue, ainsi,est la faculté de symboliser, c’est-à-dire séparer, traiter, ordonner, et donc une voie de traite-ment de la jouissance qui rattrape tout être humain en tant qu’il a un corps. Pour Benvenistedonc, la dimension de communication est seconde dans le langage derrière la possibilité deprésentifier une position subjective, « la communication doit être considérée comme l’actuali-sation de cette faculté de subjectivation du langage » ([5], p. 100). Dans la suite, Benvenisteposera que les deux seules personnes du discours sont « je » et « tu », le « il » restant pourlui une non-personne, ce qui conduira par la suite à des débats chez les linguistes. Nous garde-rons de Benveniste relisant Saussure, que le dit compte moins que le dire, le sujet étant dans ledire, cet acte qui conduit à l’hypothèse du sujet comme sujet de l’énonciation, hypothèsereprise par Lacan dans une conception plus radicale. Un auteur comme Lévinas s’inscriraaussi à sa façon dans cette voie, articulant l’action du dire avec le produit du dit.

3. Grammaire générative de Chomsky

Chomsky est aussi un auteur pour qui une langue est quelque chose que créent les individusqui la parlent, mais il va aborder la question de la langue en différenciant dans un premiertemps compétence et performance. Soutenant lui aussi la dimension de création infinie dontdispose le locuteur, il se réfère d’abord au rapport de cette création avec les moyens finisdont il dispose. Ainsi, lui aussi s’intéresse de façon privilégiée au lien locuteur–auditeur,déplacement de l’abord du « je–tu » de Benveniste, car il l’aborde dans l’écart entre une per-formance consciente et une compétence inconsciente. Chomsky reprend à Saussure l’inventionrégulière de l’usage d’une langue, qu’il estime libre de tous stimuli extérieurs (point importantdans le rapport avec l’usage qu’en font les autistes). Mais, c’est dans la compétence que selogent pour lui l’adéquation et la cohérence de la production d’un énoncé. Reste que pourChomsky, qui critiquera de façon radicale les approches comportementalistes du langage, il ya une réalité mentale sous-jacente à l’usage de la langue, réalité à laquelle il s’agit d’accéder,cette réalité œuvrant à une opération de transformation grammaticale qui produit pour un locu-teur un usage possible de sa langue ([8], p. 33). Il y a avec Chomsky un système de grammairede la langue qui se situe hors de portée de l’usage conscient, relation profonde à la langue, quis’oppose à la grammaire superficielle apprise par le locuteur. Car, en effet, cette grammaire estinnée, Chomsky le précise bien. Lacan sur cette question de l’adéquation de l’être humain aulangage le suivra nous le verrons. La grammaire générative de Chomsky porte sur le sens, carpour lui « chaque langue peut être considérée comme une relation particulière entre le son et lesens » ([9], p. 33) le son relevant de la structure de surface et le sens de la structure profonde.Ainsi, « la grammaire d’une langue est un système de règles qui déterminent un certain cou-plage entre son et sens » ([8], p. 138).

Nous pourrions avancer une certaine interrogation critique, celle d’invoquer la volonté dulocuteur, retour d’une psychologie préalable à l’énonciation. Chomsky interpelle ainsi la lec-ture de Saussure : « ce fut un échec parce que de telles techniques se limitent au mieux aux

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phénomènes de la structure superficielle et ne peuvent par conséquent révéler les mécanismesqui sous-tendent l’aspect créateur de l’utilisation du langage et l’expression du contenusémantique ». L’analyse qu’il reprend de l’énoncé sur Dieu, tiré de Port-Royal, montre la pro-blématique d’un écart énoncé–énonciation, dont la pente psychologisante est de l’anticiperdans un locuteur incarné dont on a du mal à cerner la consistance logique ; mais qui rassurepar son ancrage dans la réalité. Le choix de Benveniste paraît plus logique dans sa radicalité.Chomsky cherche donc derrière le langage un esprit ou une nature qui se révélerait, mais ilprécise qu’on n’en saura quelque chose qu’à travers les éléments extraits de l’analyse du lan-gage et plus précisément de l’usage des règles finies de la grammaire générative propre à lalangue d’usage du locuteur. Cette question d’un être présent, avec sa volonté, derrière ce quimanifeste son existence dans le monde au-delà du corps (qui incarne la part de réel) reste lamarque de l’écart entre ces auteurs quant à la référence au sujet. On peut retenir de la positionde Chomsky sur ce point, le fait qu’il parle du langage comme d’un outil par la suite. Resteque dans Contributions linguistiques à l’étude de la pensée, Chomsky précise qu’il s’agit deconnaître les processus mentaux par le langage.

Par ailleurs, il est intéressant de noter la logique de la construction du langage chez l’enfantpour Chomsky. « L’enfant doit reconstituer en lui-même la grammaire générative de la langueparlée autour de lui sur la base d’expériences très pauvres » ([9], p. 145). D’où la conclusion« la compétence existe d’abord comme système virtuel dans l’esprit de l’enfant et l’environne-ment ne fait que stimuler cette compétence innée » ([9], p. 146).

Un auteur comme Ducrot précise un point d’articulation qui introduit dans le dire et le ditune difficulté, « il y a nécessité chez l’auditeur de supposer une signification à l’énoncé »([10], p. 13). Ducrot note ainsi que beaucoup de difficultés de la sémantique linguistique tien-nent à ce qu’on distingue mal le destinataire, personnage de la comédie illocutoire — et lerécepteur réel du message. Il y a là toute une réflexion sur l’acte que permet le langage quiinterroge une nouvelle fois l’écart entre ce qui s’incarne dans le producteur empirique del’énoncé et le locuteur qui est désigné dans l’énoncé comme auteur. Retour, encore, de cetécart entre la position de Benveniste sur un sujet produit dans l’acte d’énonciation et unevolonté qui enclenche la production d’un énoncé. Énoncé qui instituera toujours un écartdans la représentation qu’il produit de son être. Ces deux points se recoupent dans le constatqui se présentifie, dans le monde humain et par l’effet du langage, par un sujet qui jamais nerecouvrera totalement l’être qui s’incarne dans son corps. Aporie réflexive qui fait limite ausavoir de la science linguistique.

4. Linguistique et psychiatrie

Depuis longtemps des auteurs issus le plus souvent de la psychiatrie ou du moins de la psy-chopathologie ont interrogé les manifestations langagières dans le domaine des pathologies.Freud lui-même a commencé par une étude sur l’aphasie. Qu’en est-il ainsi des perturbations« psychiatriques » des énoncés. Nous trouvons cette constatation « Le langage de l’aphasiqueest souvent beaucoup plus désorganisé que celui du psychotique, mais il l’est selon des règlessystématisables, règles à partir desquelles on peut parfois définir de véritables grammairesaphasiques » ([11], p. 11). Ainsi, la schizophrénie a fait l’objet de multiples études, maisaucun modèle stable de noyau schizophrénique n’a pu être décrit. On trouve des perturbationslexicales ou syntaxiques communes, mais chaque malade réinvente son code. Avec des réfé-rences diverses, nous trouvons les travaux de Irrigaray, Ducrot, Austin, Dubois, Osgood, Pav-

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lov, Skinner… Un important travail de bilan avait été réalisé sur ce thème en 1966 par Lantéri-Laura [12]. Nous retrouvons d’ailleurs le même auteur avec d’autres, sur le même thème en1994 [13].

Les travaux ont porté sur les néologismes, à la suite de Snell (1582), puis Tanzi (1890),Séglas et, au XX

e siècle, les travaux inaugurés par Teulié et Galant. Des travaux sur les troublessyntaxiques depuis l’agrammatisme de Hussmaul, l’akataphasie puis la skizophasie deKraeplin ; le paragrammatisme de Bleuler, ou enfin les barrages de Guiraud. Il y a aussi lestravaux sur la glossolalie et la glossomanie, qui vont jusqu’aux pseudos glossolalies deBobon (1947), puis toute une série de travaux à la suite des controverses entre White et Eisen-son sur l’archaïsme, travaux sur les troubles du comportement verbal, les analyses de contenusou l’étude des paralangages.

En ce qui concerne la schizophrénie, ce qui soutient l’étude s’appuie sur l’hypothèse desanomalies linguistiques comme révélatrices des anomalies de pensée. Depuis Bleuler, les tra-vaux se sont poursuivis avec des auteurs comme Chapman ou Goldstein. Kasanin expliquera« certains termes employés par les schizophrènes n’ont de valeur que par référence à des expé-riences personnelles : les catégories constituées résultant d’une analogie physionomique ouexpérimentale, mais non pas conceptuelle » ([11], p. 66). Cette constatation va se retrouverdans les compte-rendus cliniques de Kanner. Nous verrons qu’elle illustre cette inscription spé-cifique du psychotique et de l’autiste dans le langage. Restera le débat entre Chaïka et From-kin sur l’approche linguistique des troubles, à partir du débat sur la dimension de trouble de lapensée ou de trouble purement langagier. Nous pouvons dire actuellement que tous ces travauxn’ont pas produit à ce jour de résultats exploitables, même s’ils ont contribué à ouvrir le débat.Des chercheurs poursuivent néanmoins cette voie, comme L. Irigaray sur la schizophrénie oula linguiste M. Thurin.

5. Linguisterie lacanienne3

Le langage avec Lacan est la condition du sujet, appareil qui articule la jouissance, Lacanénonçant : « d’appareil, il n’y en a pas d’autre que le langage » ([14], p. 52). La jouissance estce qui témoigne du vivant dans le corps, qui se manifeste sans cesse et que Freud a notammentarticulé dans la pulsion (qui est déjà une construction). Ainsi, si Lacan remarque que pour lebébé il y a présence du monde, un monde qui l’excite, avec le surgissement du langage, lapensée se structure et dans l’après-coup fait, par le biais du refoulement, consister un mondeque le sujet peut penser. Lacan s’intéressera, notamment, à cette question du cri et au surgisse-ment des mots comme traitement de ce qui se manifeste. Dans son séminaire de 1959 surl’éthique de la psychanalyse, il reprend ces passages sur la chose qui précède l’objet, et sur lecri dans l’Entwurf dont il dit « ce cri, dirai-je, nous n’en avons pas besoin » ([15], p. 68).Lacan prenant la voie des mots dans leur origine de « motus », il en retire cette positionfreudienne : nous ne savons rien d’autre, que ce discours. Ce qui vient à la conscience, c’estla perception de ce discours, et rien d’autre, c’est là exactement sa pensée dit-il. Cette positiona fait école. Récemment encore, un élève de Lacan écrivait « La dimension du langage auquelchacun est aliéné par son S1, qui l’accroche à l’appareillage langagier » ([16], p. 9).

Ainsi, se soutient toujours dans la clinique cette inscription nécessaire du sujet dans le lan-gage par un signifiant qui l’épingle (appelé alors « signifiant maître »), aliénation nécessaire à

3 Cf. La Troisième, 1974 — séminaire XX, 19.12.72 — séminaire XXIV, 15.03.77.

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un usage possible du langage. Le sujet alors n’est que ce qui surgit dans l’articulation du S1avec un autre signifiant, cette construction S1–S2 formant la base de ce que Lacan nommeradiscours, autrement dit la base d’un lien social que Lacan n’établit pas dans une intersubjecti-vité.

Nous rentrons, avec Lacan, dans la dimension de la langue où, après un passage singulier etprimitif par ce que Lacan appelle la lalangue, va pouvoir émerger une parole. Ainsi dira-t-il« Il n’y a que des supports multiples du langage qui s’appellent lalangue, et ce qu’il faudraitbien, c’est que l’analyse arrive par une supposition, arrive à défaire par la parole ce qui s’estfait par la parole » (séminaire inédit sur « Le Moment de Conclure », leçon du 15 novembre1977). Le lien ainsi est celui de l’apprentissage d’une langue entre autres pour un sujet quidevient pour lui la « lalangue », lieu de toutes les équivoques possibles, mais aussi de toutesles créations. Toute pensée pour Lacan est constitutive du champ du langage, ce qui le situeplutôt dans la lignée de Benveniste en ce qui concerne les références linguistiques. « Il n’y apas de pensée qui ne fonctionne comme la parole, qui n’appartienne au champ du langage »([17], p. 3). Nous avons vu que, pour les courants anglo-saxons, y compris en partie la gram-maire générative de Chomsky, le langage est voie d’accès à l’esprit du locuteur qui est attenducomme cause cachée. La pensée y est supposée comme usant du langage comme d’un outil,alors qu’avec Lacan le langage est consubstantif du sujet et de la pensée qu’il exprime.

C’est donc en articulant cette langue dite maternelle que le sujet produit la parole que Lacanprend comme pouvant être un acte d’énonciation qui emporte la présence du sujet dans sa pro-duction même. Lacan s’intéresse ainsi à un sujet de l’énonciation.

Lacan tend à instituer une « linguisterie » (comme il le dit plusieurs fois) qui s’éloigne peuà peu de la linguistique, une science du signifiant plutôt que de la signification, centrée alorssur le parlêtre, pour une « théorie qui seule peut rendre compte de ce qui dans la parole résisteà la linguistique » comme l’écrit N. Kress-Rozen ([18], p. 161).

6. Lacan et l’autisme

Nous en arrivons alors sur ces deux phrases, reprises plusieurs fois et dont la forme aboutiese trouve dans le texte L’étourdit :

« Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. Cet énoncé, qui paraîtd’assertion pour se produire dans une forme universelle, est de fait modal, existentiel commetel : le subjonctif dont se module son sujet, en témoignant »4 ([19], p. 449). Le dire commetrace du sujet se trouve subverti par ce qui est dit en tant que c’est entendu. Comment ne paspenser là à la conversation de Lacan avec le Dr Cramer durant la conférence sur le symptômeà Genève en 1975 ([20], pp. 16–18). Cramer reprend la question du côté de l’enfant, le« encore faut-il que l’enfant l’entende » à propos de la mère. Pour Lacan, entendre fait partiede la parole, il précise « Que vous souleviez la question qu’il y ait des êtres qui n’entendentrien est suggestif certes, mais difficile à imaginer ». Cramer avance alors la question desenfants autistes et Lacan dit « Comme le nom l’indique, les autistes s’entendent eux-mêmes.Ils entendent beaucoup de choses. Cela débouche même normalement sur l’hallucination, etl’hallucination a toujours un caractère plus ou moins vocal. Tous les autistes n’entendent pasdes voix, mais ils articulent beaucoup de choses, et ce qu’ils articulent, il s’agit justement devoir d’où ils l’ont entendu ». Donc nous avons une approche de la clinique des enfants autistes

4 Lacan J. L’étourdit. In : Autres écrits [19].

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autour d’un rapport singulier à la voix de l’Autre, c’est-à-dire le lieu d’origine des signifiants,qui s’incarne habituellement dans la mère et les quelques partenaires de l’enfant. La questionétant ici, comme le dit Lacan, de voir d’où ils ont entendu ce qu’ils nous produisent. C’est làen lien avec la clinique même de Kanner qui cherche d’où viennent les énoncés étonnants desautistes.

Alors quand Cramer dit qu’ils n’arrivent pas à nous entendre, Lacan corrige : « Mais c’esttout à fait autre chose. Ils n’arrivent pas à entendre ce que vous avez à leur dire en tant quevous vous en occupez ». C’est donc directement la place de partenaire, que suppose une énon-ciation de celui qui veut s’occuper de l’enfant, qui ne peut trouver d’adresse. Et quand Cramerexplique que pour lui leur langage est fermé, Lacan reprend : « C’est bien justement ce qui faitque nous ne les entendons pas. C’est qu’ils ne vous entendent pas. Mais enfin, il y a sûrementquelque chose à leur dire ». Lacan nous oriente donc vers les conditions nécessaires pour undire qui emporte la place du sujet autiste sans le viser dans une interlocution qui supporteraitnotre demande. Et Lacan, qui soutient sa position sur l’humain comme être de langage, faitpour le langage dans son humanité même, va insister sur la question des autistes : « Il s’agitde savoir pourquoi il y a quelque chose chez l’autiste, ou chez celui qu’on appelle schizo-phrène, qui se gèle, si on peut dire. Mais, vous ne pouvez dire qu’il ne parle pas. Que vousayez de la peine à entendre, à donner sa portée à ce qu’ils disent, n’empêche pas que ce sontdes personnages finalement plutôt verbeux. »

Avec Lacan, nous avons donc un point qui fait obstacle à la parole, quelque chose qui segèle, et ce qu’ils produisent dans la langue est difficilement recevable car non articulé commeénonciation qui nous soit adressée, dont nous soyons partenaires. Que ce soit le S1 qui faitaccroche du sujet dans l’appareillage du langage (comme nous l’avons vu) est une des hypo-thèses privilégiées dans le champ freudien. Où plutôt même une pétrification dans le S1 quireste alors sans possible liaison dans un S2. C’est une des propositions de Rosine et RobertLefort, qui ont représenté depuis leur participation au séminaire de Lacan un courant importantde l’accueil des enfants autistes et psychotiques dans la suite de Lacan. Cette conceptions’appuie sur la construction du cri chez l’enfant, première élaboration sonore de l’enfant, quidoit rencontrer dans la réponse de l’Autre, l’Autre maternel, sa transformation en appel. Cettetransformation fait du cri dans l’après-coup, un S1 articulé au S2 de sa réponse. Lacan, déjàinterpellé du côté du cri lors de la conférence sur le symptôme avait dit « Freud parle du crià un moment. Il faudrait que je vous le retrouve. Il parle du cri, mais cela tombe à plat. »([20], p. 20). Il fait là référence au passage de l’« Esquisse » dont nous avons parlé plusavant. Il reprendra aussi cette réflexion dans son séminaire pour retravailler le cri.

Dans sa réflexion, Lacan a poursuivi son apport à la question des discours comme modalitédu lien social, mais bien évidemment, dans la schizophrénie et l’autisme, nous sommes horsdiscours, même si le sujet qui vire à la paranoïa, à l’aide notamment du délire, tente de forgerun semblant de discours qui fasse un lien possible. J.-A. Miller, dans un article sur ce qu’ilnomme « Clinique Ironique », spécifie avec Lacan cette singularité du schizophrène : il ne sedéfend pas du réel au moyen du symbolique, plus précisément : « il ne se défend pas du réelpar le langage, parce que pour lui le symbolique est réel » ([21], p. 7). Ainsi, Miller montre lapente ironique du schizophrène. Pour lui, elle est en somme une tentative de dire quelquechose du monde, dire que l’Autre n’existe pas, que le lien social est en son fond une escroque-rie. Miller poursuit : « Dans la perspective schizophrénique, le mot n’est pas le meurtre de lachose, il est la chose » ([21], p. 9). Ce qui fait néanmoins l’ancrage de la psychose dans lemonde, c’est d’être sûr de « la chose », au sens freudien. Et nous pouvons en voir les déclinai-

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sons entre mélancolie, paranoïa et schizophrénie. Nous comprenons bien avec ces élémentspourquoi dès ses premiers travaux, Kanner rapprocha l’autisme infantile de la schizophrénie,et le choix même de la dénomination.

7. Kanner

Kanner fit sa première étude sur 11 cas [22] aux particularités fascinantes écrit-il. Ladimension de fascination est, en effet, très liée à l’observation de ces enfants, qui dans letexte paraissent aperçus depuis un autre univers, décrits dans leur coquille, habités de manies,présentant des rituels verbaux sans sens apparent. Ceux qui finissaient par parler ne le faisaientpas, manifestement, dans un sens de communication. Cette voie, induite par l’absence d’undiscours qui fasse lien, a ouvert à une clinique riche mais limitée dans son action, la réflexionportant sur la problématique des impasses du symbolique en jeu. La traduction récente d’unautre texte de Kanner [23] nous montre une recherche plus centrée sur les énoncés des enfants,qui semblent, pour Kanner pouvoir saisir quelque chose de ce qui fait empêchement àl’établissement d’un lien social chez l’enfant autiste. Je vous propose d’étudier plus précisé-ment les propositions de Kanner que l’on trouve, dans ce texte, articulées autour de cas. Aufond, Kanner ne note pas de différences entre les autistes muets et les autistes qui produisentdes énoncés du point de vue de l’utilisation du langage. « Le langage lorsqu’il est présent, nesemblait pas pendant des années, servir à communiquer du sens à autrui » ([23], p. 195). C’estdonc ici la fonction de communication, de sens commun, qui paraît être en cause : pas de pro-duction d’une signification recevable. En revanche, Kanner note une fonction étonnante,l’usage en répétition d’un énoncé, aussi court soit-il, en association avec un évènement. Ildonne l’exemple d’un « oui », associé au fait d’être porté sur les épaules ; ce qui peut provo-quer un quiproquo dans la tentative de compréhension de celui qui se veut récepteur d’unénoncé.

Si Kanner là encore reprend sa remarque sur la grande ressemblance avec la schizophrénie,il s’intéresse spécialement aux particularités du langage. Il note ainsi le mutisme de 8 sur les23 enfants, interrompu par l’émission de ce qu’il nomme « phrase intégrale » dans des situa-tions d’urgences. Puis, l’utilisation de la négation verbale simple comme protection magiqueface au déplaisir. La quasi-surdité, qu’il qualifie d’inaccessibilité égocentrique. La répétitionécholalique là encore de phrases intégrales. L’inversion pronominale, c’est-à-dire le locuteuren « tu » et le récepteur en « je » (si tant est que l’on puisse user de ces deux référents).Enfin, un type particulier de phrase qu’il nomme « phrase hors situation ». Ces phrases parais-sent décalées quant à leur signification, mais elles ont un sens précis que Kanner retrouve avecle temps. Ce sens est associé à une situation et est répété avec le retour de la situation, pourparfois glisser vers des situations associées ou des objets associés. De fait, Kanner note desphrases, « phrases complètes » en ce sens qu’elles sont toujours utilisées avec la même cons-truction, associée à un événement. En ce sens, nous pouvons penser que ces phrases sont« holophrases », et même pourraient être qualifiées de signifiant isolé (car ne rentrant pas enassociation avec un autre signifiant). L’exemple type est l’ensemble « ne jette pas le chien dubalcon » que l’enfant utilise d’abord pour chaque situation où il doit jeter quelque chose. Celaconduit l’auditeur à relier cet énoncé à des remontrances autoadressées, puis à toutes les répri-mandes. De même, l’ensemble « Peter mangeur » associé à la rencontre avec une casserole.Kanner peut reconstruire l’histoire de ces associations, dans le premier cas par une interventionvirulente de la mère, agacée du fait que l’enfant balance son « doudou-chien » par la fenêtre ;

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dans le second par le fait que la mère, en faisant la cuisine, chantonnait cette comptine pourmaintenir au calme l’enfant. Kanner nous fournit ainsi un certain nombre d’exemples d’asso-ciations, où un énoncé fonctionne comme ponctuation d’un événement. Il y a là tentative detraitement de la réalité, tentative d’une articulation, d’une séparation, autrement dit une tenta-tive de symbolisation primitive, qui ne parvient pas à s’écarter de l’événement par impossibi-lité à se combiner dans le langage. Nous retrouvons de telles situations dans notre clinique.Ainsi Georges, à l’hôpital de jour où j’interviens, enfermé dans le travail sans fin de laissertomber rythmiquement des cailloux sur le sol, ne peut supporter une présence trop proche.Au-delà de quelques cris et mimiques, il peut alors lancer un « je te laisse ! » visant la réalisa-tion magique de notre disparition de son environnement. Il y a là déjà une tentative d’usage decet ensemble signifiant dans une certaine anticipation. Mais, il ne s’agit pas d’une interlocutionqui s’adresserait. D’ailleurs, l’inversion pronominale, déjà notée par Kanner, illustre le faitqu’il s’agit de la récupération de cet ensemble à partir de l’association à un événement et nond’une énonciation articulée. Ainsi, lors de tous ses départs de l’institution, Georges prononçaitun « au revoir Georges » qui scandait le changement induit dans le monde par son départ.

Un autre type d’association, repérée par Kanner, porte sur la désignation même du sujet oude ses partenaires. L’exemple de « Blum », par exemple, est celui de la saisie d’une partie qua-lifiante pour cet usage. Partant de la réception insistante d’une publicité « Blum dit la vérité »,l’enfant à qui il est demandé de dire la vérité et qui s’y conforme, se nomme alors lui-mêmeBlum. Le même effort désignatif, usant d’une partie sans préjuger d’une valeur quelconque, estutilisé pour les partenaires. Le seul élément déterminant est l’association d’un élément et del’objet qui est repéré par le sujet. Ainsi l’exemple de « 55 » (âge entendu) pour la grand-mère, qui en plus introduit une valeur discriminante entre les grands-mères, effort supplémen-taire de l’enfant pour organiser le monde. Mais, c’est aussi le cas avec l’exemple « hexagone »pour la réponse six, ou encore « Annette et Cécile » pour désigner des couleurs. Nous voyonsici l’influence de l’empreinte dans ces derniers cas, puisque c’est la première association repé-rée qui vaut dans la suite. Enfin, nous avons aussi le cas de « cuit comme à la maison » pourdésigner une corbeille à pain, usage qui finit par se généraliser à toute corbeille rencontrée.Nous pouvons aussi évoquer l’attitude de Benoît, qui à l’hôpital de jour se réfère sans cesse àla « Mégane rouge » pour désigner tout moyen de transport. Il entreprit un long travail derécupération et d’accumulation d’enjoliveurs, puis de classement pour réduire l’entassement,ce qui lui permit de différencier les véhicules. Il y a la mise en évidence du travail de cessujets pour établir un usage symbolique du monde qui permettrait un minimum d’écart, travailsymbolique qui aille plus loin que le simple battement que mettent en jeu dans une premièretentative la plupart de ces enfants (jeux avec le corps, avec des objets, avec les boutons, etc.).Nous pouvons en effet penser que, à défaut d’un écart possible, à défaut de ce battement,l’univers devient trop plein et ne laisse pas de place où loger le sujet, d’où ces tentativesdésespérées de creuser, traverser alors le monde de façon catastrophique. Nous retrouvons là,la question rappelée par Lacan sur le vide nécessaire à la création, Lacan notant que ce pro-blème est, notamment, abordé dans la Bible dans la notion de « tsin-tsoum », mouvement derepli sur soi d’un Dieu omniprésent d’étendue infinie, afin de laisser un espace vide nécessaireà la création. Cela interroge la dimension d’appel ; ainsi Georges, lorsqu’il ne va pas bien,qu’il éprouve une souffrance dans son corps, hurle soit « maman », soit « Isabelle » (prénomde l’infirmière qui l’a accueilli et s’est mise à sa disposition dans l’institution), mais sans quel’arrivée de celle qui incarne ce nom dans notre monde ne produise le moindre arrêt de ce cri.Ainsi, jamais ce cri ne peut être transformé en appel par nous, ce qui permettrait de l’articuler

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dans une possible demande, ou au moins mettrait le sujet à l’écart de ce qui se passe dans soncorps par la médiation d’un autre corps partenaire, lié par le langage.

8. Conséquences pour le sujet

Si nous reprenons l’ensemble de ces données, nous voyons que ce que Kanner appelle« phrase complète » est un représentant sonore associé à son référent, mais d’une façon figée,non articulable, car chacun des éléments a la même consistance. Ce n’est donc pas encore unS1, car figé dans une association sans écart qui introduirait la différence, qui permettrait uneinscription de la part sonore dans le battement de la constitution d’un énoncé. Il s’agit làd’un objet du monde traité comme un autre. Si nous prenons l’exemple de « ne jette pas lechien par la fenêtre », ou même « je te laisse », nous voyons comment il s’agit d’un traitementde la jouissance, de la même façon que celle dont l’enfant peut user avec un objet, condensa-teur de jouissance, tel que le propose Éric Laurent ([24], p. 44). Dans l’exemple « je te laisse »l’énoncé holophrasique s’interpose comme objet face à cette présence problématique. L’enfantpeut utiliser de la même manière un objet pour s’interposer face à un autre objet menaçant (uncrayon balancé devant les yeux de celui qui est là, et qui le regarde). Il s’agit donc là pournous de tenter de détourner cet usage pour introduire une rupture qui crée une petite différencepermettant la mise en œuvre de l’association. Nous voyons combien l’enfant tente de s’yinscrire. L’exemple du glissement de « cuit comme à la maison » d’un objet spécifique (cor-beille à pain) à l’ensemble de la famille (corbeille) est de ce type. Mais si cette « phrasecomplète » arrive à s’inscrire dans un battement où l’articulation serait possible, cela l’inscri-rait comme un S1 pris dans son accrochage réel à son référent ; l’un pouvant valoir pourl’autre, le mot valant pour la chose. L’articulation qui peut se produire est ainsi marquée debizarrerie dans sa réception comme message, S1 articulé à son poids de réel, qui donne cesénoncés du type « Cécile plus Anne donne du violet ». Cette énonciation produit ainsil’inscription du sujet dans un battement réel. Nous voyons que ce qui se fige, ou se gèle,comme le proposait Lacan, est la difficulté d’articulation du premier support symbolique dansce qui pourrait devenir signifiant dans l’après-coup d’une mise en série. Nous visons alors queces représentants deviennent des S1 par leur articulation à un S2 qui produise à la fois unsavoir et emporte alors cet espace de battement qui représenterait le sujet dans le monde.Pour ces sujets leur désignation reste problématique, leur être pouvant se trouver sous le coupdu « tu » qui les interpelle. Nous voyons, dans l’exemple de la désignation de son être par« Blum », combien il s’agit là de la saisie, dans une partie d’un énoncé sonore, d’un bout quis’appuie sur un reste qui s’inscrit dans les énoncés des parents. Les parents mettant en ques-tion la vérité à son propos, sa réponse est l’usage de la partie désignative de cet autre énoncérépété dans son être pour la télévision, « Blum dit la vérité ». C’est donc plus un écho qui luirevient devant le surgissement de « vérité », qu’une véritable désignation.

Il nous semble intéressant de montrer deux approches qui ont pris appui sur ces éléments ettentent d’instaurer un traitement, avec les tout-petits d’abord puis dans l’accueil en institution.S’intéressant aux tout-petits et au risque autistique, Marie-Christine Laznik [25], reprenant desapports de Colette Soler et en se référant à Lacan, notamment à partir du Séminaire XI, évoqueque dans la constitution du sujet il y a deux temps, l’aliénation et la séparation (interview paruen novembre 2005 sur le site Œdipe pour la parution des Cahiers de Préau [26,27]). C’est cetemps de l’aliénation qui manquerait dans la constitution du sujet autistique. Il y aurait ainsi unarrêt dans le circuit pulsionnel de la voix. Ce qui oriente le traitement, c’est qu’un psychana-

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lyste puisse arriver à remettre en route ce circuit pulsionnel en jouant avec le bébé et sa mère.Dans ce lien transférentiel, la mère peut retrouver une voix porteuse de la pulsion invoquanteque l’indifférence de son bébé avait éteint. Marie-Christine Laznik essaie de démontrer dansses recherches qu’il y a certaines dimensions prosodiques et rythmiques auxquelles nul nepeut se soustraire, pas même le bébé à risque autistique. S’il répond à la voix humaine, celaactive des zones cérébrales qui, dans le développement de l’autiste, ne sont pas normalementactivées et périclitent. Un possible abord thérapeutique, consiste à chercher à entrer en relationavec l’enfant susceptible de devenir un enfant autiste, en jouant sur cette dimension de la voixdans le lien à la mère.

Ayant développé une approche institutionnelle, et même permis la création d’un Réseauinternational d’institutions infantiles (RI3), A. Di Ciaccia prend ses marques avec Lacan :l’autiste est aussi dans le langage, mais pas dans le discours. Donc sans possibilités de sedébrouiller des liens sociaux qui s’instaurent entre les êtres parlants ([28], p. 107). Ainsi, làencore, la parole n’est plus que jouissance intrusive. L’enfant autiste a ainsi affaire au UNtout seul de la jouissance. Il y a alors un monde régi par la structure élémentaire du symbo-lique et il s’agit pour le sujet de produire une régulation minimale de la jouissance, par la répé-tition sans chute, sans conclusion. Pour Di Ciaccia, dans l’autisme non seulement le symbo-lique est réel, mais l’imaginaire aussi. La question que tire Di Ciaccia de l’enseignement deLacan et de l’expérience des institutions qui se sont intéressées aux autistes est de trouver« des modalités de se faire partenaire de l’enfant autiste pour permettre à la parole de passeret d’être écoutée. » ([28], p. 111).

Les institutions qui accueillent ainsi ces enfants doivent pouvoir mettre en valeur les trou-vailles des enfants autistes ; les partenaires, dans la même optique que celle soutenue parE. Laurent, se mettant éventuellement entre l’enfant autiste et son Autre de jouissance.Di Ciaccia cite V. Baio : « être docile avec le sujet, intraitable avec l’Autre ».

A. Di Ciaccia dégage ainsi une série de conditions pour le travail, pour se faire partenairede l’enfant autiste, et il présente les modalités du travail institutionnel qu’il en déduit. C’estalors la tentative de mettre en œuvre ce que J.-A. Miller a nommé « pratique à plusieurs »,« bricolage qui sert à couvrir des trous de la structure et permet à l’enfant autiste de dire nonà l’Autre sur le versant de la jouissance mortifère, et de dire oui à l’Autre de la chaînesignifiante » ([28], p. 117). Offre faite à l’enfant d’une possibilité de s’inscrire dans le liensocial, de s’humaniser.

La théorie de l’Antenne 110 (institution bruxelloise créée par Di Ciaccia), où l’enfant vise àse produire comme sujet dans le battement qu’il fait subir à un objet privilégié, vise à permet-tre à l’enfant de passer d’une construction métonymique dans l’espace à une constructionmétonymique dans le savoir. Baio présente une étude portant sur le cas d’un enfant autistedevenu un adulte persécuté [29]. Il précise ainsi « Ces opérations sont d’abord l’affaire dusujet, d’un sujet qui essaie de se produire en réalisant une construction ». Il faut bien saisirl’objectif de cette production. A Di Ciaccia, [30] écrivait « nos institutions se donnent commebut de permettre à l’enfant d’accéder à l’acte de se produire comme sujet ». Et l’auteur préciseque ce but se présente comme quelque chose d’impossible car il doit contourner une difficultéintrinsèque à l’autisme. Il est ainsi avancé que l’institution sert à l’enfant, et « elle lui sert àl’acte de se produire comme sujet ». Nous retrouvons là la question du sujet de l’énonciation,ce que produit un acte de dire dont nous avons vu la difficulté pour l’autiste. Partant du pointoù l’on peut considérer que l’Autre du sujet autiste donne l’impression de rester muet, l’enfantpour Di Ciaccia n’est plus que reste d’un discours figé, condensateur de jouissance dit-il, citant

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Lacan. La position de ces institutions est de mettre de l’air, de remettre en mouvement cetAutre figé. Danielle Devroede, qui travaille dans ces institutions, présente trois cas et montrecomment l’intervenant tente de prendre l’acte d’énonciation à son compte pour nommer ce querencontre l’enfant tout en désignant une position possible pour lui [31]. Cette énonciation, quiassocie le sujet en panne, trouve son adresse chez un autre intervenant qui se propose commeaccusant réception de cet acte. Nous avons donc une énonciation produite par l’adulte avec unautre adulte, mettant en jeu le désignatif de l’enfant : « Si ces corn flackes l’embêtent, on vales jeter à la poubelle. Est-ce que Fred est d’accord ? » ([31], p. 18). Notons qu’il n’y a pasd’interpellation directe de l’enfant, la deuxième partie de l’énoncé s’appuyant toujours surl’adresse qu’offre le deuxième intervenant. C’est ce dernier d’ailleurs qui mettra en œuvrel’action dans la suite et qui permettra à Fred de s’y associer. L’effet d’apaisement obtenudans ce cas montre l’intérêt de cette construction, les enchaînements langagiers produits alorspar l’enfant et l’ouverture que cet acte d’énonciation a permise.

9. Conclusion

Nous voyons donc que nous pouvons à la fois postuler un sujet autiste, et reconnaître sonimpossibilité à s’incarner dans une énonciation, acte qu’il ne peut s’attribuer qu’artificielle-ment. Prendre la charge de cet acte est une voie possible pour se faire partenaire de cesenfants. Cet usage de la langue, que peut permettre la rencontre ainsi instituée, permet ausujet de se loger dans un signifiant alors articulable. Sans entrer dans le malentenduqu’emporte pour nous la langue, ces sujets peuvent alors s’approprier un certain usage du lan-gage, tentative de présentification de leur être au monde. Comme nous le proposions dansnotre hypothèse, il y a nécessité d’une articulation qui régulerait ce qui se manifeste, associa-tion qui viendrait comme symbolisation du monde, répondant d’une possible représentationpour un sujet. Certains enfants autistes trouvent dans d’autres objets l’ancrage qui supporteleur être. L’accès au langage n’est donc pas en soi impossible, ce que démontre un grand nom-bre d’autistes. Mais, cet usage restera inscrit dans des coordonnées réelles qui échappent à lalogique commune et donnera à cet usage une spécificité toujours déroutante. Ce lien spécifiqueau langage s’illustre dans l’effet apaisant de la parole chantée, l’insistance sur une sonoritémélodique de la voix, dans un contexte non directement adressé, mettant en valeur sa dimen-sion d’objet sonore. C’est un point d’accrochage pour la jouissance dans le langage de cessujets, travail porteur d’avenir, tant dans la suite du lien à la dimension physique, musicale,que propose Golse [32], de la mise en question de la prosodie avec Laznick, ou enfin dansl’interrogation de l’objet voix en tant que tel comme le propose Maleval [33]. Les sujets quiont su accepter un usage du langage, qui ont pu manier cet appareil, montrent qu’il n’est passimple outil de communication mais manifestation de l’être, lieu où peut s’exposer et se ques-tionner son existence dans le monde. Le cas de T. Grandin est dans ce sens démonstratif, ellequi a su s’inventer un corps et loger son être dans un monde qu’elle enrichit de sa production ;même si sa radicale singularité se traduit dans une certaine solitude.

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