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André Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecöef ... · André Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecöef & Nicolas Buelens

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  • CECS 2016 Tous droits rservs

    Cette publication est disponible gratuitement sur:

    www.cecs.uminho.pt

    Titre Le Tour dEurope des mdiateurs sociaux: de la valorisation de lexprience et la formation la reconnaissance et la professionnalisation

    diteurs Andr Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecef & Nicolas

    Buelens

    ISBN 978-989-8600-59-2

    Couverture Composition: Pedro Portela

    Format eBook, 92 pginas

    Date de publication 2016, julho

    Maison ddition CECS - Centro de Estudos de Comunicao e Sociedade

    Universidade do Minho

    Braga . Portugal

    Directeur Moiss de Lemos Martins

    Directeur adjoint Manuel Pinto

    Mise en page et

    dition numrique

    Ricardina Magalhes

    Rfrence: 539947-LLP-1-2013-1-FR- GRUNDTVIG-GMP - www.arlekin-eu.fr

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    Sommaire

    Au-del de tisser le lien social au quotidien, la construction du mtier de mdiateur social 5

    Andr Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecef & Nicolas Buelens

    Au-del des reprsentations 11Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    Diversit des formes de mdiation communautaires: de la rgulation sociale au droulement dun vritable processus de mdiation 23

    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    La ville de la mdiation: bienvenue lAFPAD 37Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Immersion Turin, janvier 2016 49Teresa Muro Jimnez & Giovanni Ghibaudi

    Bonnes pratiques en mdiation sociale 59Cludia Brito & Enrique Beca

    Un hiver plus solidaire, supportable et durable Pantin avec la mdiation urbaine de nuit dans la rue 71

    Liliana Saladino & Francis Baudis

    Pour un espace de la mdiation pour linclusion sociale en Europe 81Andr Moisan

    Notes biographiques 91

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    Au-del de tisser le lien social au quotidien, la construction du mtier de mdiateur social

    andr moiSan, ana maria CoSta e Silva, ClariSSe ForteCeF & niColaS BuelenS

    1. mdiation, inCluSion, europe : leS troiS motS-ClS deS mdiateurS CompagnonS et matreS dapprentiSSage du tour deurope

    Inclusion, dabord. Si ce nest le mot lui-mme, le projet est au fond de tous les tmoignages qui se lisent dans cet E-book. Nous laissons le lec-teur le dcouvrir par lui-mme. Cest ce qui, fondamentalement donne sens aux activits des mdiateurs. Contre une socit qui exclue, discrimine, construit des murs et des frontires, calcule au moins-disant laccueil des demandeurs dasile, rejette les individus vers leur communaut dapparte-nance et les y enferme au lieu de leur permettre dy trouver les ressources pour souvrir laltrit et leur socit daccueil la mdiation est l pour retisser les liens, donner accs aux droits, permettre le long apprentissage dinstitutions qui existent pour les protger, dvelopper leur confiance en eux-mmes, souvrir sa propre richesse pour souvrir celle de lautre et rsoudre les multiples conflits de la vie quotidienne.

    Mdiation, ensuite. Comme vision sociale, dabord. Celle dune socit patchwork limage de la tunique dArleKin, dont les coutures se tissent grce ces espaces-tiers de mdiation: espaces o la prise de parole (la sienne) et lcoute de lautre (lopposant, ltranger, le reprsentant de linstitution), peuvent co-exister sans risque parce que protgs. Vision dune communaut paradoxale () en train de surgir, faite dtrangers qui sacceptent dans la mesure o ils se reconnaissent trangers eux-mmes (Kristeva, 2007, p. 290).

    Comme mthode, ensuite. Celle de la cration de ces espaces, par-tout o dans le tissu social naissent opposition, contradiction, blocages de points de vue irrductibles, surdits conduisant des logiques daffron-tement et de violences. Mthode, pour construire lesprit de cet espace,

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    Au-del de tisser le lien social au quotidien, la construction du mtier de mdiateur social

    Andr Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecef & Nicolas Buelens

    la bienveillance, la reconnaissance des bonnes raisons de lun, condi-tion pour entendre les bonnes raisons de lautre et construire ainsi les bonnes raisons de lentente.

    Comme mtier, ensuite. Mtier si spcifique et particulier, qui sap-prend et sacquiert tant dans lacquisition de cette vision sociale que dans cette mthode, balbutiante, jamais acquise, toujours construire, mais d-cisive, de la construction et de lanimation de ces espaces-tiers.

    LEurope, enfin. Parce quelle constitue lespace qui tire nos liens dappartenance vers un nouvel horizon; quelle oblige louverture et laltrit pour accueillir et entendre des pratiques aussi diverses que leurs contextes et leurs acteurs; quelle fonctionne implicitement, dans nos ttes, comme espace la hauteur de notre socit mondialise.

    LEurope, cest lespace mme dArleKin, rtif toute frontire, tout cloisonnement. LEurope, cest ce cadre largi qui procurait plaisir la ren-contre et lchange, aux cours de nos journes de Braga en Janvier 2016 : souffle et nergie de lespace de respiration europen, sentiment dexister et de faire exister lEurope par le bas.

    Inclusion, Mdiation, Europe: ces trois mots-cls fonctionnent comme une formule ternaire trois ples comme vade mecum de Mdiateurs-Compagnons et du Matre dApprentissage du Tour dEurope, leur marque de fabrique, leur signe distinctif.

    2. leS tCheS et leS dFiS du rouleur

    Historiquement, dans le Tour de France des Compagnons, le Rouleur reprsentait un compagnon plus g et expriment qui assurait une res-ponsabilit de formation de ses pairs cadets.

    Le Tour dEurope des Mdiateurs Compagnons trouve ses origines dans le tour de France des compagnons. Il a donc sembl primordial de conserver cette fonction de Rouleur tout en ladaptant au contexte particu-lier dun Tour dEurope des Mdiateurs qui se prpare distance et o les nouvelles technologies jouent un rle important.

    En tant que Rouleur, il a donc dabord t en charge de prendre per-sonnellement contact avec chacun des douze mdiateurs compagnons (MC) et chacun des douze matres dapprentissage (MA) qui accueillent les MC.

    Un premier pas a t un premier mail pour se prsenter. Ensuite il sa embray avec un appel tlphonique pour crer un lien qui ntait alors plus seulement virtuel.

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    Les questions des MA et des MC taient nombreuses. Des questions pratiques: quand part-on? Qui rserve les billets davion? Quel htel?... Mais aussi des questions dj orientes vers le Tour dEurope: quelle est la structure daccueil? En quoi consiste le tour dEurope des mdiateurs com-pagnons? O peut-on obtenir des informations? Que faut-il remplir comme documents?

    Il a alors t convenu quon rappelle rgulirement tant les MC que les MA qui dcouvraient aussi ce Tour dEurope.

    Malgr les outils de communication actuels (mail, tlphone, skype, le site internet du projet, la cayenne virtuelle, ), les contacts pour motiver et tenir au courant 24 personnes pour un projet qui paraissait abstrait pour beaucoup tait une gageure.

    En ligne de mire, le rendez-vous Paris le 11 janvier 2016 qui lanait officiellement ce tour dEurope qui allait se drouler du 13 au 26 janvier.

    Un mot ds lors sur la cayenne virtuelle. Historiquement, la cayenne tait un endroit o les compagnons se retrouvaient le soir pour parler de leur exprience et changer avec les autres compagnons.

    Dans le projet de Tour dEurope, la cayenne est devenue virtuelle, cest--dire quelle a t cre sur le site internet dArlekin. Cest un en-droit accessible uniquement aux Mdiateurs Compagnons et Matres dApprentissage (donc interdit au public) o chacun peut parler librement et changer, afin de recrer la mme atmosphre quau temps des compa-gnons du Tour de France.

    Tout na pas t facile, car rien ne vaudra jamais un contact direct permanent entre Mdiateurs Compagnons, Matres dApprentissage et rou-leur mais il a permis qu notre premire rencontre du 11 janvier 2016, nous ntions plus tout fait des trangers lun pour lautre.

    La glace a pu tre plus facilement rompue et les premiers changes entre Mdiateurs Compagnons et Matres dApprentissage ont dmontr que ces petits pas effectus durant les trois mois prcdant le tour dEurope ont t utiles. Ils ont permis dentrer plus vite dans le vif du sujet, chacun avait dj plus ou moins conscience de ce qui lattendait.

    Les contacts nous avec chacun ont permis quils se sentent laise entre eux mais aussi ils osaient venir poser des questions.

    Cette priode a aid tablir de vrais liens de confiance entre nous. Car, au final, nous ne nous serons croiss que trois jours Paris avant le dpart et deux jours Braga, au Portugal, la fin du Tour.

    En cinq jours peine, des contacts forts ont t tablis.Mdiateurs Compagnons et Matres dApprentissage coutaient les

    conseils du Rouleur, il relayait leurs demandes vers les partenaires (les

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    Au-del de tisser le lien social au quotidien, la construction du mtier de mdiateur social

    Andr Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecef & Nicolas Buelens

    responsables du projet en France, au Portugal, en Espagne et en lItalie) et ceux-ci aussi pouvaient sappuyer le Rouleur.

    Nous sommes prts et dsormais mieux arms pour renouveler lexprience du tour dEurope et le Rouleur virtuel a aussi trouv sa place dans cette exprience.

    3. leS tmoinS et leS enjeux

    Ce livre est le rsultat des tmoignages des Mdiateurs qui ont par-ticip au premier Tour dEurope des Mdiateurs Sociaux, des tmoignages partags de vive voix lors du Colloque International de Mdiation Sociale qui sest droul Braga, lUniversit de Minho. Les expriences dap-prentissage et de formation prsentes dans le cadre de deux tables rondes par chaque intress, le 28 Janvier, 2016, sont ici partages et revisites avec des textes crits ensemble par les Mdiateurs Compagnons et leurs Matres dApprentissage respectifs qui les ont accompagn et leur ont permis de conduire un travail dobservation, dapprendre et de se laisser surprendre par les pratiques de mdiation pour linclusion sociale de leur structure. Les textes qui suivent, au-del des rcits dexpriences dapprentissage et de formation des Mdiateurs dEspagne, France, Italie et du Portugal qui ont particip au Tour dEurope, rendent compte galement, dune varit de contextes et de pratiques de mdiation pour linclusion sociale dans ces diffrents pays.

    Hamid Gobrini et Angeles Alfonso partagent dans le texte Au del des reprsentations des tmoins vcus au cur du quartier de Vallecas, un quartier populaire priurbain de Madrid, au milieu de lassociation Bar-ro et, plus particulirement, auprs de la population des gens du voyage. Cest juste ici quHamid Gobrini observe les pratiques, les diffrents axes dintervention o les professionnels de lassociation amnent les usag-ers voir plus grand, plus haut, au-del des frontires relles ou fictives. Selon lauteur, qui fait le parcours de Limoges, en France, Madrid, cest aussi lopportunit daller confronter sa pratique professionnelle, daller linterroger en mettant en parallle des pratiques diffrentes, dans des ter-ritoires et plus globalement des contextes diffrents.

    Myriam Campinos-Dubernet et Cristina Rodrigues prsentent dans le texte intitul Diversit des formes de mediation communautaires: de la rgula-tion sociale au droulement dun vritable processus de mdiation, lexprience vcue Lisbonne dans diffrentes instituitions qui travaillent avec lACM (Haut Comissariat pour les Migrations), organisation daccueil de Myriam

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    Au-del de tisser le lien social au quotidien, la construction du mtier de mdiateur social

    Andr Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecef & Nicolas Buelens

    Campinos-Dubernet qui est venue de Paris Lisbonne o elle a observ et cout sur plusieurs pratiques de mdiation. Dautre part cest aussi lap-port de la mdiation sociale communautaire qui est questionne au regard de pays, comme la France traditionnellement hostile cette approche, pour leur rendre de rflxions importantes sur les possibilites de la mdiation sociale interculturelle.

    Le texte La Ville de la mdiation: Bienvenue lAfpad de Alessia Maria Russo et Laurent Rorpach nous offre le tmoin de la forte exprience v-cue lAPFAD (Association pour la Formation, la Prvention et lAccs au Droit) par Alessia Russo qui vient de Sicle Pierrefitte-sur-Seine (Paris), la seule ville en Europe officiellement reconnue ville de la mdiation. De leur observation de lintervention de lAFPAD sur le terrain, les auteurs en tirent une exprience intense et riche. Au del de la mdiation sociale, il aussi, la possibilit que les personnes puissent se penser et se vivre autrement.

    Teresa Muro et Giovanni Ghibaudi, partagent dans le textte Im-mersion Turin, Janvier 2016 ce quest la mediation pour linclusion so-ciale Turin, Italie, une intervention caractrise par un cadre de la ville systmatique dans les politiques dintgration sociale et de dveloppement communautaire. Teresa est all de Seville, Espagne Turin pour observer et apprendre de la mdiation aprs le tour des organisations de la ville qui travaillent dans la mediation. Le Gruppo Abele, ASAI, Ufficio Pio, Associazione Mosaico, The Gate, Casa del Quartiere, Polizia di Prossimit et Sharing Torino sont les principales organisations visites, lesquelles ont un objectif commun: tre aux cts des personnes et des familles en situation dexclusion sociale.

    Dans le texte suivant, Cludia Brito et Enrique Beca, font ressortir les Bonnes pratiques en Mdiation Sociale Cdix, Espagne, notamment les pratiques qui sont mises en place par lAssociation EQUA. De Lisbonne Cdix, Cludia Brito a dvouvert de nouveaux contextes et des nouvelles pratiques de Mdiation, elle a aussi eu lopprotunit dapprofondir sa connaissance quant au fonctionnement et lorganisation de lAssociation EQUA, de se familiariser avec son rseau de partenaires et tout particuli-rement, dobserver comment se prsente son intervention dans le domaine de la Mdiation Sociale.

    Le texte Un hiver plus solidaire, suportable et durable Pantin avec la mdiation urbaine de nuit dans la rue de Liliana Saladino et Francis Baudis nous prsente le tmoignage de Liliana qui est alle de Sicile, en Italie Pantin, en France o elle a t accueillie au Service de Mdiation Urbaine de Nuit. Pour mieux dire ce que nous raconte le texte on se permet de citer

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    Au-del de tisser le lien social au quotidien, la construction du mtier de mdiateur social

    Andr Moisan, Ana Maria Costa e Silva, Clarisse Fortecef & Nicolas Buelens

    les auteurs: les pages sont pleines de charme et de sduction. Le lecteur se trouvera devant un choix out-out: il peut accepter ou refuser de lire les rflexions et les suggestions que le texte propose, ou plutt couter ce que jentends. Cependant, celui qui accepte doit savoir quil se trouvera de ce fait transport dans la pense de la mdiation en action.

    Le dernier texte du livre sintitule Pour un espace de la mdiation pour linclusion sociale en Europe. Son auteur, Andr Moisan, coordinateur euro-pen du Projet Arlekin prend les mots pour parler du pass, du present et du futur de la Mdiation pour lInclusion Sociale en Europe.

    Les diffrents textes du livre tmoignent de limportance, voire lur-gence, de la reconnaissance et de la professionnalisation de la Mdiation Sociale en Europe.

    rFrenCeS BiBliographiqueS

    Kristeva, J. (2007). trangers nous-mmes. Paris: Fayard.

    Citation:Moisan, A.; Silva, A. M. C.; Fortecef, C. & Buelens, N. (2016). Au-del de tisser le lien social au quo-tidien, la construction du mtier de Mdiateur Social. In A. Moisan; A. M. C. e Silva; C. Fortecef & N. Buelens (Eds.), Le Tour dEurope des mdiateurs sociaux: de la valorisation de lexprience et la formation la reconnaissance et la professionnalisation (pp. 5-10). Braga: CECS.

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    Au-del des reprsentations

    hamide ghoBrini & angeleS alFonSo aguirre

    1. propoS introduCtiFS

    En guise dintroduction il me semble indispensable dinscrire ce pro-jet dans une dmarche qui se veut la fois personnelle et professionnelle. En effet lorsquil sagit de traiter des mtiers o les professionnelles sont en front line avec les usags, il ma toujours paru important de sans cesse in-terroger notre pratique, de faire ce pas de ct, ncessaire la prise de dis-tance que requiert lexercice de nos mtiers. Ainsi nous avons saisi loppor-tunit daller confronter notre pratique professionnelle, daller linterroger en mettant en parallle des pratiques diffrentes, dans des territoires et plus globalement des contextes diffrents. Cest au cur du quartier de Vallecas, un quartier populaire priurbain de la capitale Espagnol, Madrid, que nous nous sommes retrouvs en immersion au milieu de lassociation Barro qui compte dj deux dcennies dexprience auprs des populations relgues et plus particulirement auprs de la population des gens du voyage.

    Des pratiques diffrentes, diffrents axes dintervention avec la volon-t profonde dagir de manire globale dans le sens de lquilibre de la cellule familiale. Par laccs la culture, au savoir basic, par la reconnaissance de sa diffrence et la ncessit de se librer du joug de la communaut dap-partenance, les professionnels de lassociation amnent les usagers pour voir plus grand, voir plus haut, au-del des frontires relles ou fictives.

    2. elmentS de Contexte

    2.1 de limogeS madrid

    Il nous apparait essentiel dapporter quelques lments dinforma-tions relatifs notre parcours. En effet sans ces lments il nous semble

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    Au-del des reprsentations

    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    difficile de saisir lensemble des ides dveloppes, suggres, dans ce tra-vail de restitution.

    Actuellement et depuis 5 ans nous sommes en charge de la coordi-nation et du dveloppement dun dispositif de mdiation sociale de nuit sur diffrents quartiers prioritaires de la Ville de Limoges. Nous travaillons avec 12 mdiateurs et mdiatrices, chaque soir, de 18h 1h du matin nous arpentons les rues de la ville en qute dinteractions avec les habitants dans un souci de rpondre un besoin de prsence exprim par ces derniers. Cest aussi loccasion dobserver, danalyser de comprendre comment vit, comment se vit le quartier au-del des faits divers et des reprsentations qui se sont construites au fil des annes.

    Nous avons exprim le besoin de participer ce projet, ce chalenge europen, anim par la volont profonde daller bousculer nos reprsenta-tions, interroger nos pratiques, nous nourrir dun contexte nouveau pour alimenter notre projet en retour. Avant notre dpart, nous navions aucune exprience de travail, daction, en direction des populations Roms.

    2.2 laSSoCiation Barr

    Barr comme la volont profonde daller plus loin, daller plus haut, est une association but non lucratif. Cre en 1994, dans le quartier de Vallecas, quartier populaire au sud est de Madrid, a linitiative dun groupe de personnes, motives et dsireuses de dfendre des valeurs et de travail-ler en particulier avec la population des gens du voyage que lon dfinira comme gitans espagnoles. Minorit inscrite dans lhistoire du pays de-puis plusieurs sicles.

    Barr intervient sur diffrents territoires de la ville de MADRID avec comme axe de travail, la cration dun espace commun, partag, dans le-quel se construisent collectivement des actions en direction de groupes dhabitants ou de personnes en situation de grande vulnrabilit, de margi-nalisation et par consquent dexclusion sociale.

    Aujourdhui Barr peut compter sur une rpartition intressante din-tervenants dpendant directement de la structure. Ainsi nous avons peu prs 90 personnes lies au projet de lassociation de diffrentes manires: 35 salaris quivalent temps plein: mdiation sociale; ducation spcialise; animation socio-culturelle.

    Accueil de stagiaire en cole de travail sociale: 20 stagiaires rpartis dans les diffrents projets de la structure en fonction du projet personnel de chacun.

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    Au-del des reprsentations

    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    Un lien fort avec les habitants dans lobjectifs de les inclure dans les actions et dans les rflexions portes par Barr: une trentaine de bnvoles impliqus diffrents niveau.

    Image 1: Mdiatrices de lAssociation Barro et de la Communaut

    2.3 puBliCS et territoireS

    Aujourdhui, lassociation dveloppe ses actions sur trois territoires distincts avec des populations et de problmatiques diffrentes.

    - Le quartier de Puente de Vallecas / triangulo del agua:Quartier qui a vu naitre lassociation en 1994. Il sest construit dans

    les annes 50, peupl par des espagnoles venant dautres rgions dEs-pagne plus pauvres et sinistres au niveau de lemploi. Peupl dans un 1er temps dhabitants vivant dans des baraquements, ce nest qu la fin des annes 70, quun vaste plan de relogement va permettre la construction de diffrents logements de manire accueillir la population dans des condi-tions de vie dignes.

    Aujourdhui ce sont presque 12.000 habitants qui vivent sur ce secteur avec une population espagnole dorigine gitane relativement bien reprsen-te. Cest un quartier o la population est globalement vieillissante qui voit naitre un certain nombre de conflits lis des pratiques culturelles diff-rentes, des faons doccuper lespace public qui peuvent gnrer des conflits.

    19,2% des habitants de ce quartier sont dorigine trangre soit 1 ha-bitant sur 5. Les habitants dorigine quatorienne et roumaine reprsentent

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    Au-del des reprsentations

    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    la quasi totalit de la population dorigine trangre. Plus minoritaires, les habitants dorigine marocaine sont aussi prsents sur le territoire. LEs-pagne tant particulirement impacte par une crise conomique et au-jourdhui politique, cest logiquement sur les populations dj fragilises que limpact de ses bouleversements est le plus fort.

    Lassociation dveloppe en direction des habitants du quartier diff-rentes actions :

    Accompagnement scolaire

    Mdiation social en prvention de conflit de voisinage

    Mdiation scolaire

    Animation socioculturelle et intergnrationnelle.

    Image 2: Accueil de loisirs Jarra, quartier de Ciudad linal

    - Le quartier Ciudad Linal Situ au nord-est de la ville, quartier trs populaire avec une forte

    communaut latino-amricaine. Peupl dune population assez jeune, le quartier a vu apparaitre des problmes de diffrents types: regroupements, affrontements entre bandes rivales, violence conjugale, alcoolisation des adultes. Cest logiquement que Barr y dveloppe des actions destines en 1er lieu aux jeunes et plus globalement en direction des familles. Parmi les actions dveloppes on retrouve :

    Mdiation interculturelle

    Accs aux loisirs

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    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    Accompagnement scolaire

    Atelier de remobilisation

    - Le bidonville de Gallinero: Parfois on dit des images quelles parlent delle mme nous propo-

    serons donc ici une photo du bidonville que nous appuierons par quelques lments sociologiques.

    Image 3: Le bidonville de Gallinero

    El Gallinero, sans doute le territoire dintervention le plus marquant dans cette exprience. Cest le territoire o nous aurons t le plus pr-sent. Nous y avons rencontr diffrents groupes de personnes: hommes, femmes, enfants. Nous avons contribu plusieurs actions engages par Barr sur ce secteur. Cette immersion nous a permis les conclusions que nous avons labores plus loin dans ce travail de restitution.

    Bidonville situ au sud-ouest de la capitale 12 kilomtres seulement de Puerta Del Sol, o vivent 300 personnes Roms originaires de Roumanie qui se sont installes l-bas il y a 4 ans dj. Baraquements faits de bric et de broc, construits et reconstruits au gr des interventions des services de la ville. Il ny a aucun point deau pas de raccordement llectricit et encore moins aux eaux uses, ce qui suppose par consquent quil ny a pas de toilettes. Pendant notre prsence, la Mairie de Madrid songeait y installer au moins 2 points deau ainsi que plusieurs latrines, mais ce nest quau stade de projet.

    Les gens y vivent de la vente de diffrents produits rcuprs, mtaux, cartons, etc. Bien entendu certains sadonnent diffrents trafics:

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    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    cuivre, vols, trafic de drogue. Les femmes et les enfants sont le plus souvent contraints la mendicit. Plusieurs personnes rencontres auront dj fait diffrents sjours en prison.

    Lassociation Barr y dveloppe diffrentes actions qui ont lieu en direction de lensemble des habitants du bidonville :

    Atelier dalphabtisation

    Accs diffrentes pratiques sportives et culturelles

    Formation de mdiatrice Roms

    Ateliers dcoute et dinformation: prvention sant, accs aux droits, aides administratives

    Image 4: Sances de football encadres par

    des ducateurs du Real Madrid

    En partenariat avec la Mairie de Madrid et le club de foot du mme nom, deux fois par semaine, un bus se dplace dans le bidonville pour r-cuprer une cinquantaine denfants, garons et filles. Un mdiateur, form par lassociation Barr se charge de mobiliser les enfants et de les encadrer durant le trajet qui les conduira vers les centres sportifs, ainsi que pendant

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    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    la sance. Les enfants y disposent dune tenue complte lissue de latelier sportif ils profitent dune douche et dun goter (parfois seul repas de la journe).

    Image 5: Mobilisation des enfants lors dune remise de prix

    Image 6: Local o sont dispenss les cours dalphabtisation

    au cur du bidonville - point de contact avec les habitants

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    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    Image 7: Sance dinformation - prvention sant

    Au fond, gauche, une mdiatrice forme par Barr, charge de mo-biliser les femmes du bidonville, fait office de traductrice en cas de besoin.

    Les actions engages par lassociation Barro semblent toutes avoir comme point de convergence la prise de conscience de soi. il sagit pour lensemble des acteurs de la structure damener les usagers prendre conscience de ce quils sont et de manire plus large de leur capacit dagir et dtre acteur de leur projet de vie. Ainsi, il sagit pour les profession-nels de la structure de tisser peu peu une toile qui somme toute reste fragile. Fragilit due la situation dans laquelle se trouve les personnes accompagnes.

    3. le proCeSSuS daCCompagnement

    3.1 un Cheminement Fragile maiS le lien reSte Fort

    Le processus daccompagnement des personnes vers une autonomi-sation reste un processus long et complexe. En effet les professionnels se heurtent rgulirement la ralit du quotidien des usagers. Cest ce que nous avons pu observer a loccasion dun cours dalphabtisation destina-tion des femmes dun pueblo de Chabolas de la Gallinera (Bidonville en

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    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    priphrie de Madrid). La veille, une importante opration de police mene dans le bidonville conduisait larrestation de la moiti des hommes du bidonville. Cette intervention des forces de lordre fortement marqu les esprits tant pas son importance - des dizaines dagents mobiliss - que par sa violence: daprs les tmoignages des personnes rencontres, nombres dentre elles auraient subi des mauvais traitements de la part de la Guardia Civil.

    Le cours dalphabtisation a fait office de sas de dcompression tant la tension tait forte au sein du bidonville. Les femmes se sont prsentes au cours, en petit nombre, allant et venant en fonction des dernires nou-velles tombes. Nous avons pu mesurer tant le lien entre les mdiatrices et les habitants tait fort. La multiplication des actions engages par Barro au sein du bidonville a permis de crer un climat, un espace de confiance o les femmes peuvent se confier trs librement et ce malgr notre pr-sence. Cet vnement malheureux a mis en exergue combien le processus est fragile et quil sagit rellement de tisser une toile trs fragile au gr des vnements: arrestation, maladie, etc.

    3.2 de la nCeSSit de Crer un eSpaCe de mdiation: le BeSoin dappartenir

    Les mdiatrices de lassociation Barro travaillent en direction dune population qui connat une situation de vulnrabilit trs importante. Ainsi il apparat comme indispensable la cration, le dveloppement dun espace de mdiation. Prrequis incontournable si lon veut lever les freins linter-vention sociale que gnre cette mme situation de vulnrabilit.

    Ce que lon a observ et ce que nous avons interprt comme espace de mdiation, cest avant toute chose une posture professionnelle dvelop-pe par la structure. Ce sont des savoir-tre et des savoir-faire inscrits dans les pratiques professionnelles des salaris de lassociation et transversales chacun quil soit: ducateur, mdiateur, animateur ou encore bnvole.

    En premier lieu il sagit de construire un lien de proximit avec les usagers. Une immersion dans la ralit de celui ou celle quon accompagne. Un mouvement permanent entre lespace intime, lespace de la commu-naut dappartenance et lespace que chacun de nous est amen partager.

    Ensuite les professionnelles se positionnent au mme niveau que les usagers, il y a un profond respect de lautre, de son mode de vie de ses diffrences, de sa culture, de sa famille, de sa communaut. Il ne sagit pas de porter un jugement ou dessayer de comprendre ou daccepter des

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    Au-del des reprsentations

    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    diffrences qui parfois peuvent profondment interpeller nos convictions personnelles. A limage des enfants qui se marient trs trs jeunes et que lon peut voir disparatre des ateliers qui sont mis en place, du jour au lendemain. Il y a un principe de neutralit revendiqu dans le mode dinter-vention. Les personnes accompagnes restent matresses de leurs choix. Les dcisions prises sont les leurs, elle ne sont nullement imposes ou contraintes. Les professionnelles saffairent accompagner un processus de maturation, condition de la prise de dcision, du choix.

    Enfin il sagit de dvelopper un espace affectivement scurisant. Cest par une proximit physique, une coute, une attention particulire chacun que les intervenants parviennent simmerger dans le quotidien des usagers quils accompagnent. Immersion ncessaire pour enclencher le processus travers lequel lusager va peu peu sautonomiser de sa communaut dappartenance. Groupe social qui exerce souvent une pres-sion forte empchant ainsi toute possibilit de projection en dehors de la sphre communautaire.

    Il convient de prciser ce que nous entendons par sautonomiser. En effet une mauvaise interprtation pourrait laisser penser quil sagit de smanciper de sa culture dorigine pour converger vers des pratiques sociales communes tous et uniformes. Il ne sagit en aucun cas de cela, bien au contraire. Par laccs la culture, laccs dautres espaces de par-tage, par la confrontation dautres pratiques sociales, lusager va faire lui-mme se travaille rflexif, en interrogeant ses propres pratiques sociales. Ainsi il sagira pour lui de construire un socle de valeurs communes lui permettant la fois de revendiquer sa culture dappartenance tout en tant en mouvement vers la culture daccueil.

    Nous pensons que cest exactement l que se joue le processus din-clusion. En effet, pendant notre priode dimmersion nous navons eu de cesse dtablir des parallles, des allers et retours, avec notre exprience de la dmarche dintgration des minorits ethniques ou religieuses, en France. Force est de constater, la lumire des vnements qui ont ponctu la socit franaise au cours ces dix dernires annes, que la situation est complexe. Bien entendu, lhistoire nest pas la mme, mais je crois plus glo-balement que cest la dmarche et la volont dinscrire les minorits dans le paysage social qui nest pas la mme.

    En effet aujourdhui en Espagne, il sagit de mesurer combien les mi-norits sont inscrites dans lhistoire, dans le patrimoine artistique et culturel du pays. Ainsi on parle davantage de contribution, de participation et non pas dassimilation et dintgration. Dailleurs ce sont des termes que nous

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    Au-del des reprsentations

    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    naurons jamais entendu tout au long de nos changes avec lensemble de nos interlocuteurs. Il ne sagit pas pour autant dtre naf, le chemin parcou-ru est certes important mais celui qui reste parcourir est long galement, surtout, comme nous lavons rappel plus haut dans un contexte de crise profonde. Les mcanismes dexclusion tant similaires dans lensemble des contextes gopolitiques, cest par la prsence des minorits que lon cherche justifier la situation conomique et sociale du pays.

    3.3 emanCipation par laCCS la Culture

    Il conviendrait dans un premier temps dapporter quelques lments dclairage qui nous permettront de saisir la ralit des populations rom vivant dans les bidonvilles quant la place rserve la culture, sous toutes ses formes. Comme nous lavons prsent dans la premire partie de cet exercice, la condition de vulnrabilit du public auprs duquel nous sommes intervenus est telle, que nous nous contenterons de reprendre les propos dun des habitants du bidonville avec lequel nous nous sommes entretenus: Nous ne savons pas si nous mangerons ce soir.

    Le dcor ainsi plant suffit comprendre que la question de laccs la culture ne sinscrit pas dans limaginaire des personnes rencontres. Mais pourtant, ce qui peut paratre paradoxal est quils revendiquent avec force leur culture, leur musique, leur mode de vie, leur langue dorigine, etc.

    Lassociation Barro, loccasion dune exposition retraant le par-cours des gens du voyage, a mis en place une sortie intergnrationnelle destination des habitants du bidonville. Participant cette sortie, nous avons pu observer combien sortir du bidonville, pour autre chose que men-dier ou rcuprer ce qui peut tre revendu, ne sinscrit pas dans les habi-tudes. Nous avons pu voir combien les participants taient en difficult. Plusieurs motions ont travers les uns et les autres. Nous avons surtout ressenti de la gne mle de la honte. Sentiments qui se sont construits travers les regards changs avec les passants, la surprise des uns, le rejet des autres.

    Ainsi un serveur dans un caf refuse de nous prter attention, une manire de nous exprimer quil conviendrait que nous partions, parce que nous ne correspondons pas aux critres. Dans la salle dexposition, le groupe de Roms devient la source de tous les regards, les journalistes pr-sents les prennent en photo, les personnalits parlant au micro sadressent fixement elles, non pas pour manifester du rejet mais bien au contraire. Cependant nous avons peru que la mise en avant du groupe tmoignait profondment de lanormalit de leur prsence dans cet espace.

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    Au-del des reprsentations

    Hamide Ghobrini & Angeles Alfonso Aguirre

    Sur le chemin du retour, nous avons beaucoup chang avec les par-ticipants. Cette sortie avait t vcue comme une forme de libration, ce qui peut paratre trange. Comme si, un cap tait pass, un stade permettant chacun de se dire, que jai ma place ici, jai aussi le droit, cest mon droit, je peux minstaller et prendre un caf, je peux aller voir une exposition, jy ai ma place. Nous reprendrons aussi les propos dun des participants, des propos trs forts, relatifs apprendre regarder la ville, lespace, la vie autrement: Avant, quand jallais Puerta Del Sol, je ne regardais que par terre, parce que quand on mendie on ne regarde pas le ciel.

    Nous souhaitons ici souligner le travail fait par les professionnels de notre structure daccueil, cest un travail puissant, fruit dun engagement fort, n de la conviction profonde quun autre model de socit existe.

    4. ConluSion

    En guise de conclusion, nous souhaitons avoir une attention particu-lire en direction du comit organisateur de ce tour europen des mdia-teurs pour linclusion sociale, sans lesquels rien de cela naurait t possible. Nous esprons galement que cette exprience nest quune tape prlimi-naire un projet plus large limage des ambitions du comit Arlekin. En-suite, nous adresserons galement nos remerciements lensemble de nos interlocuteurs de lassociation Barr. Ils ont su nous intgrer rapidement dans lquipe, se sont confis nous en toute confiance. Nous remercie-rons tout particulirement Mme Angeles Alfonso Aguirre Paloma, nous souhaitons saluer le travail quelle ralise auprs des quipes de mdiation, sa proximit, sa sincrit et le professionnalisme qui la caractrise dans les liens quelle construit avec le usags. Enfin, nous avons lambition dins-crire cette exprience comme base de dveloppements de nouveaux axes de travail dans le projet de mdiation dont nous avons la charge.

    ..Les grands dfis se surmontent par le temps des rencontres, les liens qui en germent, les valeurs qui y

    mrissent et les actes qui en naissent. (Laurent Courtois)

    Citation:Ghobrini, H. & Aguirre, A. A. (2016). Au-del des reprsentations. In A. Moisan; A. M. C. e Silva; C. Fortecef & N. Buelens (Eds.), Le Tour dEurope des mdiateurs sociaux: de la valorisation de lexprience et la formation la reconnaissance et la professionnalisation (pp. 11-22). Braga: CECS.

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    Diversit des formes de mdiation communautaires: de la rgulation

    sociale au droulement dun vritable processus de mdiation

    myriam CampinoS-duBernet & CriStina viveiro rodrigueS

    1. introduCtion

    La mission ARLEKIN auprs du Haut-Commissariat pour les Migra-tions (ACM, IP - Alto Comissariado para as Migraes, IP) nous a permis de dcouvrir ce que lon nomme communment la Mdiation Sociale dans une trs grande diversit de formes. Celles-ci vont de la rgulation sociale mise en uvre par un Etat un vritable processus de mdiation dans sa forme canonique, en passant par de la rgulation sociale de quartier avec la participation de reprsentants de communauts, et par la dfense / em-powerment dune autre communaut lgard des institutions portugaises.

    Nous allons nous attacher dans cette contribution rendre compte de la trs grande diversit des processus recueillis lors de lenqute, afin de tenter dclairer le dbat actuel sur la Mdiation Sociale notamment sous langle des principes thiques quexige le qualificatif de mdiation (Faget, 2010).

    Notre propos nest pas de hirarchiser les diffrentes formes obser-ves, ni den critiquer la lgitimit voir lutilit en terme dapaisement des conflits et damlioration des relations sociales, mais de clarifier la diversit des processus utiliss, ainsi que le statut des mdiateurs employs.

    2. la mdiation peut tre Conue Comme un moyen de rgulation SoCiale ou de proteCtion dune Communaut opprime

    La rgulation introduite par lEtat Portugais via lACM avec les CNAI (Centres Nationaux pour lAppui aux Immigrants) et les CLAII (Centres Locaux dAppui aux Immigrants) avec la cration des emplois de mdia-teurs socio-culturels dont la fonction est de collaborer lintgration des

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    Diversit des formes de mdiation communautaires: de la rgulation sociale au droulement dun vritable processus de mdiation

    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    immigrants et des minorits ethniques dans la perspective du renforce-ment du dialogue interculturel et de la cohsion sociale. Ils ont une charge thique, mais nont pas de formation ni de pratique de mdiation des conflits.

    LACM, un organisme public, a actuellement trois piliers: lintgration des immigrants, linterculturalit et lattraction des migrants. Les CNAI et les CLAII font partie du premier pilier. Les CNAI sont situs Lisbonne (capitale), Porto (Nord) et Faro (Sud). Les CLAII sont rpartis dans tout le pays.

    Les CNAI sont un lieu de rassemblement dans le mme espace de diffrents services, institutions et bureaux de soutien aux migrants, dans la logique dune one shop stop.

    Dans ce cas les mdiateurs des CNAI sont gnralement des im-migrants qui ont un contrat de travail avec une association dimmigrants. On y trouve galement des fonctionnaires des services publics. Les uns et les autres sont chargs daider les migrants dans toutes leurs dmarches (ducation, de sant, scurit sociale, recherche demploi, voire de cration dentreprise, etc.). Les moyens mis en uvre se situent tant au niveau de la capitale que dans les rgions. Cette aide est dispense travers une plate-forme tlphonique, comme par des contacts directs avec des fonction-naires qui les orientent vers les diffrents services mis leur disposition.

    La rgulation introduite par la Police Municipale de Lisbonne dans un quartier difficile la priphrie de la ville, dans lequel ont t construits nombre de logements sociaux permettant de reloger des personnes qui avaient et ont toujours nombre de problmes: pauvret, chmage, drogue etc. Des mdiateurs issus des diffrentes communauts (Tzigane, Afrique et portugais de souche) afin de rsoudre les nombreux conflits qui sur-viennent entre les communauts et en leur sein, interviennent dans une inter relation avec les membres de la police affecte au quartier. Le travail des mdiateurs communautaires, important pour la Police Municipale, per-met la population de dconstruire une image ngative de la police avec laquelle les mdiateurs collaborent la pacification du quartier.

    Cependant les mdiateurs communautaires taient des contractuels de la municipalit, entre 2013 et 2014. Leurs salaires ne sont financs que pour la dure du projet. Lorsque celui-ci se termine, ils ne sont plus rmu-nrs, et leur activit de mdiateur peut se poursuivre alors autant que leur permet leur bonne volont et leur engagement personnel... On peut noter toutefois, quune bonne part de la rencontre avec ces derniers et la police municipale, a lgitimement tourne autour de cette question.

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    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    dFenSe et proteCtion dune Communaut dimmigrantS originaireS danCienneS ColonieS portugaiSeS

    Cette communaut sest installe depuis les annes soixante dans ce qui tait lorigine un bidonville (2 robinets deau pour 900 personnes), qui sest peu peu structure grce au travail conjoint avec une associa-tion Moinho da Juventude et est devenue une sorte de petite ville (6000 habitants), sur un projet trs structur qui assure un fort engagement de la communaut (empowerment) appuy sur un tandem de mdiateurs la fois un membre de la communaut et un acadmique. Les rsultats ob-tenus sont impressionnants. Mais, juste titre, la dmarche de mdiation adopte telle que dfinie revt des finalits objectives la fois prcises et lgitimes:

    La mdiation dans ses diverse vertus dintervention pr-tend sensibiliser lcole et les institutions en gnral pour les valeurs, les connaissances, les aptitudes et les capa-cits de la population immigrante, de manire dmys-tifier les strotypes. Elle prtend galement, provoquer des changements dans la structure des institutions afin de dvelopper des services efficaces et efficients pour la population (nous soulignons).

    Dans cette organisation, le tandem de mdiateurs est stable. Chaque tandem a la responsabilit dun des six quartiers que compte la commu-naut. Chacun est rtribu par elle de manire permanente, et leur rle pa-rait tre beaucoup plus large que la stricte gestion des conflits qui peuvent surgir au sein de la communaut elle-mme, ou entre ses occupants et les institutions portugaises. En effet le projet revt des fondements philoso-phiques explicites qui le conduise prendre en compte, de manire collabo-rative, les diffrents aspects de la vie de chacun des membres de la commu-naut (crches, maternelles, alphabtisation, aide la recherche demploi, culturel, sportive, juridique, cantine gnrale, change non montaire de temps en cas dabsence de ressources montairesetc.). Ce projet global qui a permis de transformer un ancien bidonville, en un quartier gr et organis avec une large implication de ses habitants nous a beaucoup im-pressionnes. Nous nous sommes dit que pour en saisir le fonctionnement effectif, il serait sans doute souhaitable denvisager une observation ca-ractre anthropologique.

    Dans ces trois cas qui prsentent socialement un intrt vident, il ne semble pas que lon puisse vritablement parler de mdiation.

    En conclusion:

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    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    Il ny a pas vritablement dgalit des parties;

    La mdiation a des finalits objectives prdfinies de rgulation, de dfense, de protection;

    Le mdiateur est tenu dassurer des rsultats tout faits lgitimes mais qui ne sont pas toujours dfinis avec les acteurs eux-mmes.

    3. dveloppement dun vritaBle proCeSSuS de mdiation Communautaire

    3.1 au Sein de laCm il exiSte une direCtion qui prend en Charge le dveloppement de la mdiation

    Cette direction qui se nomme le GEFMI (Cabinet pour lEducation, la Formation, et la Mdiation Interculturelle), dont lambition est de dve-lopper la mdiation dans les Services Publics. Le projet Mdiation Inter-culturel dans les Services Publics a eu lieu de juin 2009 dcembre 2011 et avait le but dintgrer la diversit culturelle dans les services de lad-ministration publique, de dfinir le profil et les fonctions des mdiateurs interculturelles.

    Depuis 2012, ce projet est dvelopp par les municipalits, avec la coordination dACM. Entre juillet 2014 et juin 2015, le projet MISP Mdia-tion Interculturel dans les Services Publics sest dvelopp dans 6 muni-cipalits. Dans chacune delle une quipe constitu par 3 5 mdiateurs, employs par des organisations partenaires qui interviennent localement, avec un fonctionnaire dsign par la municipalit qui assume les fonctions du Coordinateur. Chaque quipe est diverse en termes de nationalit, sexe, ge, exprience de migration, formation professionnelle ou qualifications. Au total, ce sont 26 mdiateurs interculturels (6 coordinateurs) et 8 as-sociations dimmigrants. Cette politique sinscrit dans des projets dont lhorizon est dtermin par la dure de chaque projet, et la succession des financements, dont les financements europens. Le prochain projet relatif lanne 2016 est encore en attente de financement. Le GEFMI organise la formation des quipes de mdiateurs avec laide dacadmiques spcia-listes du sujet et accompagne les quipes travers lanalyse de pratique. Ceci lui permet de capitaliser les avances effectues, avec toutefois, un inconvnient important, cest de rendre le financement des quipes de m-diateurs sur le terrain tributaires de la discontinuit de ses propres finan-cements. Malgr cela, le cas prsent ci-dessous, la t rapport par une

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    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    mdiatrice municipale fonctionnaire salarie de la municipalit de Cascais et deux autres mdiatrices ex-salaries, momentanment sans emploi lors de lentretien.

    3.2 le point de dpart: un ConFlit important et grave entre un groupe de CitoyenS immigrS daFrique et un ServiCe puBliC de proteCtion de lenFanCe

    Ce conflit a eu pour origine le retrait denfants de leur familles origi-naires dune ancienne colonie portugaise par le service CPCJ1 charg de la protection de lenfance et des jeunes dans la banlieue de Cascais.

    Dans le courant de lanne 2012, 5 familles africaines se sont vues retires la garde de leurs enfants, suite dcision du juge, en consquence des rapports effectus par la CPCJ sur les mauvais traitements de ces en-fants par leurs parents. Les raisons invoques taient les suivantes:

    mauvais petit djeuner (riz);

    enfants abandonns la rue au sortir de lcole;

    enfants allant seuls lcole malgr leur jeune ge2;

    enfants restant seuls la maison (absence des parents)3;

    violence familiales au sein du couple;

    violence contre les enfants (chtiments physiques).

    La communaut africaine a trs mal pris ces dcisions, nen com-prenant pas la signification. Aux yeux des membres de la communaut le comportement des parents incrimins, ntait en rien rprhensible, mais faisait partie de leurs usages.

    De son ct, les reprsentants des pouvoirs publics (CPCJ) taient trs embarrasss, car ils estimaient avoir fait simplement leur travail et rempli comme il se doit leur mission. Inquiets, ils ont alors contact lunit des mdiateurs de la municipalit de Cascais, leur demandant de les aider comprendre ce qui se passait.

    1 Comisso de Proteo de Crianas e Jovens Commission pour la Protection dEnfance et Jeunesse.2 Le quartier o habite la communaut africaine est trs mal desservi par les transports publics, ce qui contribue allonger les temps de transport domicile-lieu de travail. 3 Le quartier o habite la communaut africaine est trs mal desservi par les transports publics, ce qui contribue allonger les temps de transport domicile-lieu de travail..

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    3.3 divergenCeS importanteS deS pointS de vue deS aCteurS

    Du ct des services de lEtat, la CPCJ regrettait la mauvaise image quavait delle la communaut dorigine africaine, ayant bien conscience quelle tait perue par celle-ci vritablement comme un ennemi. Ses membres se sont adresss aux mdiateurs en demandant aux mdiateurs:

    de les informer sur les coutumes de cette communaut

    de les aider adapter leurs manires de faire

    de prparer avec eux une formation destine la communaut sur la parentalit.

    Tout ceci dans le but de montrer quils taient l pour aider les fa-milles en protgeant leurs enfants.

    Les familles de leur ct exprimaient leur incomprhension totale et se sentaient en quelque sorte perscutes. Leurs sentiments dinsatisfac-tion, voire de colre, revtaient diffrents aspects de leur vie au Portugal:

    Nous travaillons trs durs dans des conditions trs difficiles4 pour nourrir nos familles, et non seulement, lEtat ne nous aide pas, mais nous cre des difficults.

    Ce nest pas parce que je suis immigr, que je dois perdre ici tout ce que je suis.

    Nous navons pas les mmes coutumes. Les portugais laissent leurs enfants libres, sans ne rien exiger deux. Nous ne pouvons pas nous le permettre.

    Enfin, avec leurs faons de faire, ils nous font perdre le respect que nos enfants nous doivent. En effet suite ces vnement, il arrivait fr-quemment que lors de conflits parents- enfants, ces derniers menaaient leur parents daller voir la CPCJ afin quelle prenne leur dfense

    3.4 droulement du proCeSSuS de mdiation

    Il sest droul en deux tapes distinctes: des pr-mdiations spa-res et trs longues de mai 2012 novembre 2013, et une seule mdiation finale en dcembre 2013.

    Une telle dmarche nest pas habituelle voire classique. Elle prend tout son sens en relation aux caractristiques du conflit.

    4 Le quartier o habite la communaut africaine est trs mal desservi par les transports publics, ce qui contribue allonger les temps de transport domicile-lieu de travail..

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    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    - Limportante conflictualit qui supposait:

    un travail de diagnostic des positions de chacun des groupes(parties) ;

    un lourd investissement pour crer la confiance dans la communaut africaine dune ancienne colonie

    - La ncessit pour que mdiation puisse avoir lieu ultrieurement de construire avec les partie en conflit les conditions de leur galit effective pour quune mdiation puisse avoir lieu entre:

    dun ct des fonctionnaires diplms, conscients de leur mission etreprsentants de lancien tat colonial;

    de lautre des travailleurs immigrs, parlant mal le portugais, pour la plupart illettrs.

    - Une premire tape a consist aider CPCJ comprendre le point de vue des habitants issu de leur culture dorigine africaine:

    Le riz pour petit djeuner est une habitude courante et normalede ce pays et, plus riche en termes de nutrition;

    Les enfants dans la rue aprs lcole, sont considrs comme tant sous la surveillance de la communaut. Chaque adulte (famille ou voisins) est responsable des enfants des autres comme des siens.Il sagit dune surveillance collective.

    Les chtiments physiques ont-ils t vraiment exceptionnels dans leur propre enfance (gifles)?.

    Mise en uvre dun travail consistant organiser un retour rflexif sur le modle quils taient censs promouvoir en comparaison de celui dans lequel, chacun dentre eux, avaient t levs.

    Les convaincre dabandonner leur ide initiale de formation la paren-talit de ces anciens coloniss.

    - Paralllement ont eu lieu des rencontres avec les reprsentants de la communaut africaine (dlgu du groupe + parents) afin dentendre leur point de vue. Ce contact a t facilit par la prsence dune mdiatrice dori-gine africaine, parlant le crole et pouvant recueillir leurs points de vue, leur colre, leurs motions.

    - Postrieurement, ces rencontres ont spontanment t largies aux jeunes de la communaut afin de permettre de comprendre leur point de vue sur ces questions, mais aussi la manire dont ils tentaient parfois

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    dinstrumenter la CPCJ, dans leurs conflits avec leurs parents. Il est en effet apparu aux mdiateurs que leurs attentes, et de fait leur modle, ntait pas en adquation avec celui de leurs parents, quils aspiraient une volution de celui-ci, plus en relation avec le modle portugais environnant.

    - Outre ces deux dmarches menes simultanment, sest pose la question de la neutralit des mdiateurs, conditions indispensables la conduite de la mdiation vise.

    Un travail des mdiateurs sur eux-mmes sest alors avr nces-saire pour mettre distance leur propre subjectivit et parvenir une relle neutralit:

    - La mdiatrice dorigine de la communaut africaine constatait sa diffi-cult dans cette affaire ne pas dfendre spontanment le point de vue de ses compatriotes dont il comprenait parfaitement la culture.

    - Une jeune mdiatrice dorigine mozambicaine, avait de son ct ten-dance reprocher aux parents immigrs, comme sa propre mre, de vou-loir rester dans leur culture initiale, sans chercher voluer. Elle sidentifiait spontanment aux jeunes, plus qu leurs parents.

    - Enfin, une mdiatrice portugaise de souche, sest trouve branle par les critiques des membres de la communaut africaine lgard de ldu-cation portugaise moderne. Ces critiques lont conduite sinterroger sur le peu de demande et de contraintes quelle exigeait de ses propres enfants pour participer la vie domestique.

    La recherche dune relle neutralit, a reprsent pour chacune in-dividuellement et collectivement un travail dauto analyse avec laide des formateurs accompagnateurs.

    Enfin, tout au cours de ce processus, lquipe de mdiateurs a t accompagne et soutenue par lquipe du GEFMI (service de lACM), qui avec lappui du Professeur Gimnez et Dr. Daniel Zaidam de la Universit Autonome de Madrid a procd tout au long de la dmarche, a une ana-lyse des pratiques adoptes, aidant les mdiateurs mettre distance leur pratiques.

    3.5 le point dorgue la mdiation du 12 dCemBre 2013

    Elle a t le fruit de limportant travail dinvestigation conduit aupara-vant, mais aussi dun effort particulier, en termes de communication. Elle a t ralise en deux langues (portugais et crole), a utilis le plus possible dimages concrtisant des situations prsentes et passes, le recours des

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    choix alternatifs en matire dducation. Pour ce faire, on a puis dans dif-frents lments de la culture de chacun: nombre de proverbes portugais ou croles ont illustr les situations dcrites, mobilisant ainsi une certaine sagesse populaire. Ce faisant ont t mis en vidence les points de vue uni-fis et les points de vue divergents. Mais aussi la mdiation sest attache mettre en vidence le caractre contingent des certitudes des membres de la CPCJ en faisant systmatiquement rfrence aux conditions de leur propre ducation, quand eux-mmes taient enfants. Il est alors apparu que ce quils reprochaient aux familles africaines avaient fait partie des condi-tions dducation dans lesquelles eux-mmes avaient t levs pendant leur enfance (exemple jouer dans la rue, aller seul lcole.). Tous ont pu admettre que les conditions actuelles de dangerosit taient telles, que ce type de choix devenait trs risqu de nos jours.

    A lissue dune journe complte de mdiation ayant runi une tren-taine de personnes reprsentants les acteurs en conflit (communaut afri-caine, jeunes en conflit avec leurs parents, CPCJ) il est apparu que les points de vue de dpart de chacun avaient considrablement volu et que des positions communes pouvaient tre dsormais trouves sur les condi-tions lgitimes dducation des enfants. Depuis cette date, aucun enfant na t retir de sa famille, les jeunes en conflits avec leurs parents ont cess de les menacer de lintervention de la Commission, et enfin, celle-ci a admis que son modle familial de rfrence mritait dtre nuanc pour le bien de tous.

    4. quel Bilan peut-on tirer de CeS diFFrenteS exprienCeS de mdiation SoCiale Communautaire?

    Le projet ARLEKIN prsent ici pour le Portugal a le grand mrite de soulever un certain nombre de questions cruciales sur le concept de la Mdiation Sociale. Nous allons dans cette troisime partie nous efforcer de prolonger succinctement les rflexions engages ce sujet autour des trois thmes suivants:

    le statut et les comptences des mdiateurs;

    le caractre polysmique de la notion de Mdiation Sociale;

    et enfin lintrt de lapproche communautaire fortement valorise dans le contexte tudi.

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    4.1 deS StatutS de mdiateurS dominante prCaire

    Le projet ARLEKIN a le grand mrite de soulever la question du statut des mdiateurs et de leur reconnaissance. Il sagit l dune question im-portante quant au devenir de la Mdiation Sociale. Or, dans la plupart des diffrents cas tudis, on peut constater le caractre extrmement prcaire des emplois de mdiateurs, qui travaillent dans des contextes de grande diversit culturelle.

    - Seule lexprience du Moinho da Juventude sappuie sur des tan-dems de mdiateurs dont les emplois sont financs par lassociation elle-mme de manire continue. Leur lvaluation sur le plan des comptences dtenues repose sur une combinaison la fois dun systme autonomie qui philosophiquement sappuie sur la reconnaissance du caractre indispen-sable de lexpertise en pauvret pour les uns jointe une formation de 3 ans, mais aussi dacadmiques valus selon les normes standardises de lEtat portugais (systme de diplme). Quelles que soient ces solutions, il sagit demplois stables.

    - Dans tous les autres cas, celui de lEtat portugais, de la Police Munici-pale de Lisbonne, et les mdiateurs de la Municipalit de Cascais lemploi de quelques fonctionnaires dEtat, saccompagne de trs nombreux prcaires dont la dure demploi nest assure quautant que dure le financement des projets sur lesquels ils sont affects. Les conditions de leur valuation pa-raissent extrmement variables. Si les uns sont effectivement des diplms de lenseignement universitaires et fortement accompagns par une forma-tion continue particulirement experte (cas des mdiateurs de Cascais non fonctionnaires), les autres ont comme expertise le fait dappartenir une communaut et den connatre de ce fait la culture et davoir aux yeux des tenants de celle-ci une relle lgitimit complte par des sessions de for-mation sur les thmatiques de la mdiation sociale. Cette lgitimit est de fait absolument ncessaire pour que leur travail puisse tre opratoire. Lef-ficacit indniable du travail de ces mdiateurs issus des communauts, le plus souvent sans formation scolaire importante, pose un problme dva-luation si celle-ci sappuie sur des critres acadmiques du type niveau de formation initiale. Comme la suggr Cristina Milagre (coordinatrice du GEFMI, ACM) lors de son intervention orale lors du sminaire de Braga, lapplication de tels critres de reconnaissance, reviendrait non seulement minorer, voire nier ce qui fait leur comptence professionnelle principale au regard des responsables de projets. Le problme est loin dtre simple.

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    4.2 le CaraCtre polySmique du terme de mdiation SoCiale

    De fait ce terme, nous lavons vu, couvre des dmarches trs diff-rentes les unes des autres tant en terme dobjectifs, de dmarches utilises, que de posture des mdiateurs eux-mmes ainsi que des rles respectifs jous par les diffrents acteurs concerns.

    Rappelons quont pu tre observes:

    Des oprations de rgulation de la part de lEtat, de la part dune ville afin de permettre une dmarche dinclusion sociale de populations margi-nalises en raison de leur histoire, de leur situation actuelle au regard de lemploi par exemple, ceci afin dassurer une certaine paix sociale et de contribuer pacifier des quartiers difficiles.

    Des dmarches vritablement dmocratiques parfaitement conformes avec lthique de la Mdiation. En effet les fondamentaux de la mdia-tion (Faget, 2010 ) qui sont, outre la comptence du mdiateur:

    Son impartialit et sa neutralit

    Son indpendance la fois dans une perspective personnelle et institutionnelle;

    Labsence de pouvoir de dcision, le mdiateur nest ni juge, ni arbitre.

    Le processus de mdiation est par essence communicatif (dialogue directe entre les opposants) il est coopratif et directement parti-cipatif (les opposants deviennent acteurs de la rsolution de leur conflit)5., mais aussi confidentiel:

    De ce point de vue la neutralit, limpartialit des mdiateurs nous parait tre, ainsi que le souligne diffrents auteurs un caractre particulire-ment discriminant.

    Or cette question souleve auprs du comit de pilotage lors de la prparation de cette enqute, Paris les 11 et 12 janvier derniers, na au mieux rencontr quune coute polie, sans impacte aucun sur la grille de recueil adopte par tous les maitres compagnons, malgr une demande ritre. Ce questionnement paraissait donc superflu.

    Pourtant, ce critre associ aux autres prcdemment cits, permet de spcifier de quoi on parle, quel est le processus utilis, quel est le rle effectif du mdiateur, et quels rsultats peut-on en attendre. Il ne sagit pas

    5 Cette caractristique illustre le passage progressif dun ordre impos un ordre ngoci (Le Roy, 1999) et suggre le potentiel dmocratique de la dmarche de Mdiation.

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    Diversit des formes de mdiation communautaires: de la rgulation sociale au droulement dun vritable processus de mdiation

    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    ce faisant de chercher dcerner des brevets de lgitimit, mais seulement de spcifier les rsultats que lon cherche obtenir.

    La question qui se pose est alors de se demander quel est lintrt de conserver une approche floue des critres qui dfinissent les dmarches dites de Mdiation Sociale. Nont-elles pas toutes leur lgitimit, leur grand intrt dans des contextes difficiles de violence? Assurer la paix sociale afin de pacifier des quartiers difficiles, afin quune population domine, mprise, puisse avoir son mot dire par rapport lEtat, par rapport dautres institutions, permet un certain rquilibrage dans la balance des rapports sociaux. Quel pourrait tre linconvnient, voire le risque de dis-tinguer parmi ces diffrentes dmarches toutes aussi lgitimes, ce qui est vritablement mdiation et ce qui relve dune approche de rgulation, de pacification dun quartier, dune ville?. Pour quelles raisons, pour quels ap-ports et pour quels objectifs, serait-il pertinent de maintenir un flou qui ne parait pas vritablement opratoire? Au terme de ce travail, on peut se le demander.

    4.3 intrt et limite de lapproChe Communautaire

    Celle-ci se rvle totalement transversale aux quatre cas tudis. Elle est revendique comme telle et instrumente dessein au Portugal, tant par lEtat lui-mme que par les associations o elle parait si naturelle quon la considre comme allant de soi. Plus largement, au-del de linstrumen-talisation qui peut lui tre attribue, elle est base fondamentalement sur la recherche de laltrit: voir lautre et sa culture comme une source de richesse. Cette ide daltrit qui est au plus profond du travail de mdia-tion, rencontre luvre de Paul Ricoeur (1990, cit par Faget, 2010, p. 95): la relation de soi soi passe par lautre, que je puisse mestimer moi-mme, sans estimer lautre comme moi-mme. Ou comme dit Carlos Gimnez Romero (2010) accepter la diversit culturelle comme positive lide du multiculturalisme et de linter-culturalisme. Ce dernier implique le principe dgalit, de diffrence et dinteraction positive entre les per-sonnes ou groupes, parce que la diversit enrichit.

    Cette approche communautaire fut pour le maitre compagnon fran-ais, le plus grand sujet dtonnement. Conduite comme de vritables m-diations, et non comme une instrumentalisation, elle permet de jeter des ponts entre des populations qui ne se connaissent pas et que des conflits opposent.

    A lvidence, des mditions caractre communautaire font sou-vent lobjet dune hostilit structurelle en France o, dans la tradition

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    Diversit des formes de mdiation communautaires: de la rgulation sociale au droulement dun vritable processus de mdiation

    Myriam Campinos-Dubernet & Cristina Viveiro Rodrigues

    rpublicaine, on les considre comme contradictoires avec le principe de libert. Lindividu serait alors soumis sa communaut dorigine. Pourtant, alors que le modle dintgration par le travail des populations immigres en France est en crise, avec la monte du chmage, que les phnomnes de discriminations dans laccs lemploi ne font que saccentuer (INED-IN-SEE, 2016), on peut lgitimement sinterroger sur lintrt dune approche communautaire. Ne pourrait-elle constituer une sorte dalternative, offrant le moyen dune relative protection aux plus dmunis? Au moment o, les agressions, les attaques, les mises en accusation revtent, elles, des formes de plus en plus communautaires, pourquoi devrait-on refuser un systme de dfense et de protection sappuyant partiellement sur cette base? Ny aurait-il pas l un moyen de rparer un tissu social largement fragilis par le dveloppement du chmage?

    rFrenCeS BiBliographiqueS

    Faget, J. (2010). Mdiations: les ateliers silencieux de la dmocratie. Toulouse: ERES.

    Gimenez, C. R. (2010). Interculturalidade e Mediao. Cadernos de Apoio Formao. Lisboa: Alto Comissariado para a Imigrao e Dialogo Intercultural (ACIDI).

    Gimenez, C. R. (1997).La naturaleza de la mediacin. Migraciones, 2.

    INED -INSEE (2016). Trajectoires et Origines.

    Le Roy, E. (1999). Le jeu des lois. Une anthropologie dynamique du droit. Paris: LGDI.

    Ricoeur, P. (1990) Soi-mme comme un autre. Paris: ditions Le Seuil.

    Citation:Campinos-Dubernet, M. & Rodrigues, C. V. (2016). Diversit des formes de mdiation communau-taires: de la rgulation sociale au droulement dun vritable processus de mdiation. In A. Moisan; A. M. C. e Silva; C. Fortecef & N. Buelens (Eds.), Le Tour dEurope des mdiateurs sociaux: de la valorisa-tion de lexprience et la formation la reconnaissance et la professionnalisation (pp. 23-35). Braga: CECS.

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    La ville de la mdiation: bienvenue lAFPAD

    aleSSia maria ruSSo & laurent rorpaCh

    1. introduCtion

    Je mappelle Alessia Maria Russo, mdiateur compagnon du centre Kore1 de Castelvetrano (Italie) qui fait partie du CRESM2 (Centre de Re-cherches conomiques et Sociales pour le Midi). Je suis enthousiaste et heureuse davoir particip au projet Arlekin, ainsi que davoir eu la possi-bilit de connatre la ralit de lAFPAD (Association pour la Formation, la Prvention et lAccs au Droit), un prcieux diamant, leau dans le dsert pour la ville de Pierrefitte sur Seine et une excellence europenne dans le domaine de la mdiation pour linclusion sociale.

    La maison AFPAD existe depuis 2001 et se trouve Pierrefitte sur Seine (dpartement de la Seine Saint- Denis), ville de prs 30 000 habi-tants, situe 13 Kms de Paris. Elle est connue pour tre une ville assez difficile, trs problmatique (une forte population dimmigrs, fort taux de chmage, et un certain nombre de phnomnes dlictueux).

    La cration de lAFPAD rsulte de lexprience mene dans un centre social Pierrefitte par HibatTabib pendant neuf annes. Lide tait celle de crer un lieu qui centralise diffrents services pour la population go-graphiquement situe dans le centre ville. Avec le soutien de la municipa-lit, HibatTabib fonde lAFPAD. Lactivit de la structure sarticule autour de trois axes de travail: point daccs au droit, espace de formation la citoyennet et centre de rfrence pour les questions de mdiation. Grce des conventions passes avec la Justice, la Police et la Mairie, les habitants peuvent rencontrer gratuitement des professionnels (avocats, notaires, crivains publics, dlgu du dfenseur des droits, psychologue) et des

    1 Le centre Kore, qui fait partie du Cresm, est un guichet de mdiation sociale, pnale et de justice rparatrice dans la Municipalit de Castelvetrano.2 Le Cresm (Centre de Recherches conomiques et Sociales pour le Midi) se trouve Gibellina et soccupe depuis plus de quarante ans du dveloppement local du territoire sicilien.

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    La ville de la mdiation: bienvenue lAFPAD

    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    mdiateurs. LAFPAD intervient dans les coles lmentaires, les collges et les lyces pour sensibiliser les lves sur leurs droits et leurs devoirs.

    Lassociation lutte aussi contre le dcrochage scolaire grce au Fil continu, un dispositif qui accueille temporairement, autour dun projet al-ternatif, les lves momentanment exclus des collges de la ville et aux stages pour les collgiens dans le cadre du projet Jeune Police Justice. Enfin, il y a galement lAFPAD une rfrente famille, parentalit.

    A lAFPAD, jai vcu dans une ambiance assez familiale, accueillante, positive et joyeuse.

    Chacun dans son travail respectif reprsente un morceau du puzzle du projet global de lAFPAD, chacun se sent impliqu dans un mme projet.

    Image 1 Equipe AFPAD

    Ltat desprit de lquipe: Accueillir lautre, les bras ouverts et avec le sourire. En fait, pour lAFPAD laccueil est trs important.

    Lquipe AFPAD est compose de:

    HibatTabit: Prsident et mdiateur;

    Nicolas Niscemi: Directeur et mdiateur;

    Alexandra Zemour et Mirella Suze: Assistantes de direction et char-ges de laccueil du public;

    Laurent Rorpach: Mdiateur et Responsable dune quipe de mdia-teurs avec quatre bnvoles et trois salaris;

    Amara Kon: Rfrent ducation la citoyennet et mdiation scolaire et mdiateur;

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Afeef Dehissy: Rfrent Parentalit et famille;

    Toufik Bahmed et Cyrille Bandeira: Fil Continu.

    2. la mdiation pour linCluSion SoCiale et laFpad.

    Tous les mdiateurs de lAFPAD sont forms la mdiation. La mission du mdiateur (provenant de latin mediator-oris, dr. de

    mediare rester au milieu) est celle de tisser ou retisser un lien social entre les habitants et de participer la rsolution des conflits.

    Dans la mdiation sociale il y a trois principes importants:

    Non jugement;

    Neutralit ou limpartialit, cest--dire ne pas juger la personne, ne pas prendre partie ni pour une personne ni pour une autre;

    Le secret professionnel ou la confidentialit.

    Comme Socrate nous enseigne, grce aux dialogues transmis par Platon, lespace dialogique recherche la vrit ce qui exige la comparaison avec lAutre; mais au mme temps Socrate se met toujours face linter-locuteur en adoptant lattitude suivante: , ou Tout ce que je sais, cest que je ne sais rien. Aussi les mdiateurs ont toujours prsent lesprit, cette maxime.

    A lAFPAD sont organiss:

    Les entretiens pralables la mdiation, les rencontres de mdiation;

    Les diverses formations;

    Des rencontres, runions mensuelles de toute lquipe des mdiateurs et danalyse des pratiques de mdiation;

    Des changes dexpriences avec dautres acteurs de la ville et dautres villes au plan national et europen.

    Dans la mdiation sociale lAFPAD il y a plusieurs partenaires avec lesquels elle travaille en rseau: la Mairie de Pierrefitte sur Seine; ldu-cation Nationale (cole primaire, collge, lyce); le Service social dparte-mental (les assistantes sociales); Les bailleurs sociaux- Habitation Loyer Modr; la Police Nationale (commissariat de Stains-Pierrefitte).

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Chez ce dernier partenaire, les mdiateurs tiennent deux perma-nences mensuelles et le commissariat peut orienter les mains courantes vers la mdiation.

    Pendant mon Tour, jai rencontr Madame la Commissaire de Police qui sest rendue disponible et qui nous a ouvert les portes de son bureau avec enthousiasme.Jai rencontr Corinne, un agent de police, forme la mdiation lAFPAD et qui travaille depuis dix ans en partenariat sur la m-diation. Elle y croit beaucoup car pour elle il sagit dune chance et dune aide vritable dans le cadre de la rsolution de conflits et dviter ainsi, que ces derniers prennent de lampleur.

    Aprs le dpt dune main de courante, une fiche navette peut-tre transmise lAFPAD. Les mdiateurs prennent le relais, prennent contact avec les parties en conflit et essayent darriver organiser une mdiation. La nature des conflits tant: nuisances sonores, problmes relationnels, problmes de stationnement, problmes familiaux, entre autres.

    Comme laffirme J. Morineau,

    dans tous les conflits, cest la mme volution. La violence se dveloppe en rponse la souffrance de chacun. La violence est trs contagieuse et trs rapidement on passe un change de violence rciproque. Cette violence cre une victime qui rclame vengeance. Lacte de vengeance va rendre lautre victime de la victime. Le cycle sautognre. Rompre ce cycle pour sortir de la violence individuelle afin quelle sexprime sans rciprocit. La symbolique du sacri-fice offre cette possibilit, car la violence de chacun va pou-voir se diriger vers un innocent, non porteur de violence et rgulateur social. Cest un passage essentiel pour que la chane de la violence puisse se dplacer et se rompre. (Morineau, 2009, p. 55)

    Ensuite nous avons rencontr Jolle qui a fait partie de la police de proximit de Pierrefitte pendant cinq ans. Elle aussi ma voqu limage que la police renvoie aux habitants: peur, rigueur et rpression. Le contraire de la mdiation qui voque laccueil, la comprhension, la confiance et le dialogue. Pour elle, il sagit dun travail complmentaire celui de la police, la mdiation apporte une rponse sociale un problme.

    Jai particip deux entretiens pralables de mdiation.Dans le premier, un usager se plaignait de son logement, trop petit

    (40 m) pour accueillir sa famille compose de six personnes. Cette per-sonne a des revenus (travaille depuis trois ans) mais, tant donn quil est rfugi, il esprait obtenir de la part des bailleurs un logement plus grand.

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    La ville de la mdiation: bienvenue lAFPAD

    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    En ralit, il pensait que le mdiateur aurait pu servir dintermdiaire avec le bailleur (partenaire de lAFPAD) et acclrer la procdure dattribution.

    Le mdiateur Jean-Pierre, avec beaucoup de patience et gentillesse, a essay dexpliquer que les logements sont attribus en priorit ceux qui nen ont pas ou dont le logement est insalubre. De mme, la Mairie na pas beaucoup de logements disposition. Je tiens prciser que Jean-Pierre a travaill jusqu sa retraite auprs dun grand bailleur social, il a donc une grande exprience sur ces questions.

    Dans le deuxime entretien, une femme dit quelle a deux problmes: le premier est quelle se plaint de linsalubrit de son appartement quelle voudrait changer pour habiter plutt Saint Denis o habite sa famille. Lappartement a t certifi comme insalubre et malsain pour la sant de ses enfants qui souffrent dasthme. Le second problme dont elle parle concerne des conflits de voisinage. La voisine a appel la police (brigade des mineurs) parce quelle affirmait que la dame ne prenait pas soin de ses enfants et quelle les maltraitait. Sa voisine faisait circuler des bruits comme quoi elle se droguait. Mais la police a valu ces propos comme calomnieux.

    La femme travaille dans lcole. Le mdiateur la accueillie, il a ex-pliqu la signification de la mdiation et les possibilits dentamer une d-marche de mdiation.

    La femme a pleur presque tout le temps et seulement a un moment, elle a montr un sourire plein despoir vers le mdiateur. Avec beaucoup de patience il a explicit le sens de la mdiation, un chemin entreprendre pour trouver de nouvelles solutions ensemble.

    Enfin, la femme voyait plus clair sur sa situation et elle a mieux com-pris les diffrentes dmarches quelle pouvait entreprendre. Elle peut se diriger vers la mdiation pour les problmes de voisinage et aussi avec lcrivain public pour rsoudre la question avec le bailleur.

    Les dieux nous crent bien des surprises: lattendu ne saccomplit pas, et linattendu un Dieu ouvre la voie (Euripide, 2000, p. 328).

    travers la mdiation on russit sortir de la caverne, que Platon nous dcrivait dans un de ses mythes les plus clbres, et on saperoit que ce que nous croyions vrai nest en ralit que des ombres et que la vrit se cache dans la comprhension de lautre, dans lempathie et dans la cration de ponts qui puissent nous aider percevoir la complexit de la ralit travers un nouveau regard.

    Pendant la mdiation il se passe quelque chose de symbolique et dvolutif, du grec -. On met ensemble plusieurs versions du problme, soit au niveau rationnel qumotionnel; ceci apporte travers la

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    narration crer, quelque chose de nouveau qui peut changer les positions et les points de vue en faisant tomber les murs et en crant des ponts et des nouveaux paysages.

    Image 2: Alessandro Kokocinski, Vol tra le stelle, 2013

    Fondazione Alessandro Kokocinski

    A loccasion de mon sjour jai rencontr aussi Afeef, rfrente paren-talit/famille parce que lAFPAD propose des ateliers qui visent :

    Donner aux parents les moyens de sinscrire dans un processus de crativit, la recherche des solutions fonctionnelles adaptes aux situations volutives de leur enfants;

    Valoriser les parents quels que soient leurs modles familiaux ou leurs lieux dhabitation. (cf. Brochure APFAD Parentalit).

    Jai rencontr galement, Amara, depuis 1 an l AFPAD, rfrente sur lducation la citoyennet qui fait:

    Sensibilisation la citoyennet avec lducation nationale (exposition: Moi Jeune Citoyen) pour renseigner les lves sur les Droits et les devoirs lcole, en ville et en famille;

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Intervention dans les coles lmentaires et dans les collges (thmes: justice, Europe, les lois, les Institutions et visites avec les lves de la Mairie de Pierrefitte, Assemble nationale et palais de justice de Bobigny et Paris;

    Formation des lves dlgus de classes la mdiation scolaire;

    Partenariat avec le lyce Maurice Utrillo de Stains: accueil des lves temporairement exclus, ateliers de philosophie, projet espace lycen. Participation aux runions du CESC (Comit dducation la Sant et la Citoyennet), du GPDS (Groupe de Prvention du Dcrochage Scolaire;

    Avec Nicolas (Directeur de lAFPAD), Amara soccupe des stages des collgiens (des 3 collges de Pierrefitte sur Seine) dans le cadre de leur stage dobservation dans un milieu professionnel (mtiers du droit et de la justice).

    Son travail lui plat beaucoup et plus particulirement, la transmission de linformation juridique en tant que juriste. Il croit dans son travail et pense quil peut faire voluer et changer les jeunes grce la rflexion et laction.

    Ce travail me rappelle la philosophie de lUbuntu. Cest une expres-sion en langue bantou qui indique bienveillance vers le prochain. Cest une rgle de vie, base sur la compassion, le respect de lautre. En nous rfrant lubuntu on a lhabitude de dire Umuntungumuntungabantu, je suis ce que je suis cause de ce que nous sommes tous.Lubuntu encou-rage nous soutenir et nous aider rciproquement, prendre conscience non seulement de nos droits, mais aussi de nos devoirs; cest un idal vers lhumanit entire, un dsir de paix.

    Pendant mon stage, jai assist une formation avec des collgiens et Amara, un juriste de lAFPAD. Le projet sappelle Remobilisaction, il sagit dun travail avec des lves absentistes sur le thme des codes so-ciaux et des moyens de communication. Ce moment est propice un rap-prochement entre les adultes et les jeunes et aussi un changement de point de vue. Lchange permet aussi daborder diffrents thmes lis aux notions de respect rciproque.

    Je crois qu travers les moments de la mdiation (Thorie, Krisis, Catarsi (Morineau, 2009, p. 67 et suivantes)), moduls avec grand profes-sionnalisme par lquipe de lAFPAD, les garons, aprs avoir exprim et re-connu leur propre souffrance et celle de lautre (ladulte qui reprsente lau-torit), se sentaient prts dpasser tout cela en accueillant la souffrance et

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    les motions de la personne. tre en totale empathie avec lautre. Le virage au niveau perceptif est arriv par le dveloppement et le partage de conseils de la part des collgiens.

    Jai eu la possibilit dentrer dans une cole primaire franaise, pour moi cela t trs mouvant. Jtais touche par la diffrence de disposition des chaises des lves et du bureau du professeur, par lenvironnement pro-pice lapprentissage et lexpression personnelle de chacun des enfants.

    Amara a prsent lassociation et a expliqu lorigine de lUnion Euro-penne. Par ailleurs, il parle beaucoup avec les enfants. Des questions aussi sur les thmes dactualit en France comme la diffrence entre les migrants et les rfugis ainsi que sur le terrorisme.

    Amara a rappel aussi les symboles de lU.E.: Le drapeau, lhymne et la devise: Unie dans la diversit.

    Un autre moment trs important et significatif a t celui daccompa-gner avec Nicolas et Amara, les collgiens au Tribunal de Saint Denis; pour eux, une possibilit de voir un monde diffrent rglement par des lois que souvent ils ne connaissent pas et quils peroivent comme trangres.

    Image 3: Filippo Bentivegna, (Testi, 1920-1968)

    Castello Incantato, Sciacca, Italie

    2.1 FinanCementS de l aFpad

    tat (ACSE, ARS, Emplois Aids) 30%;

    Ville de Pierrefitte-sur-Seine 25 %;

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Fonds Social Europen (GIP acadmique) 15%;

    Prestation de service 12%;

    Conseil Gnral de la Seine-Saint-Denis 7%;

    Conseil Rgional dIle-de-France 6%;

    CAF 3%;

    Fondations Prives: Fondation de France, Fondations Bruneau, Aro-port de Paris, Bnp Paribas. HSBC 2%;

    Les bailleurs: Plaine Commune Habitat, Osica, Logis Transports, Es-pace Habitat Construction.

    2.2 leS piedS Sur terre, la tte danS leS toileS

    Image 4: Henri Matisse, La danse, 1910 Muse dart moderne, Moscou, Russie

    Nous avons eu des journes intenses, riches et trs belles dont je garderai trs longtemps le souvenir dans mon cur parce que l AFPAD travaille sur le territoire et offre aux gens la possibilit de se penser et de se vivre de faon diffrente; la possibilit de rver et de se crer un futur tout autre et nouveau, fond sur des principes de droit, damour, de confiance et dempathie.

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Ce sont des ralits qui se trouvent chez lAFPAD et qui vivent par-fois comme un petit flambeau dans lobscurit: mais cette ralit existe et sme des graines nouvelles et uniques qui pourront mrir et devenir des plantes merveilleuses. Beaucoup de ces plantes fleurissent chaque jour et produisent changements et beauts nouvelles que nous pourrons admirer et auxquels nous pourrons nous comparer.

    remerCiementS

    Je remercie le Cresm et Annamaria Frosina qui ont eu foi en mes pos-sibilits et qui mont pousse a participer cette aventure.

    Un grand merci tout le comit de pilotage du projet Arlekin (Andr Moisan et Clarisse Faria Fortecof du CNAM; Ana Maria Silva de lUniver-sit de Minho; Nicolas Buelens dEgregoros; Jos Gonzalez Monteagudo (Pepe) et Elena Guinoz Muoz de lUniversit de Sville; Alessandro La Grassa et Annamaria Frosina du Cresm) qui a imagin tout a, toujours disponible et professionnel.

    Merci de tout mon cur a lquipe de lAFPAD qui ma accueilli comme une personne de la famille, ma permis dtre a mon aise et ma offert la possibilit dobserver et de participer leurs modalits de travail. Pour moi, il a t trs beau et stimulant de connatre ces petits, grands hros lme simple, accueillants; des personnes vraies et aimables qui claircissent chaque jour, des situations difficiles.

    Merci aussi au directeur, M. Nicolas Niscemi si gnreux, gai, simple et disponible. Avec lui, nous avons eu de nombreux changes.

    Je remercie et je suis trs reconnaissante mon matre dapprentis-sage, Laurent Rorpach, qui ma conduit et soutenu tout au long de cette exprience en mapportant galement, son aide la rdaction de cet article.

    Enfin, je voudrais remercier Elena Naldoni et Anita Baruchello, deux amies qui mont encourag toujours faire de mon mieux, tenter de nou-velles expriences, ne jamais baisser les bras.

    rFrenCeS BiBliographiqueS

    Aversa, L. (2014). Psiche: Dialoghi sulle zone di confine. Roma: Fattore Umano Edizioni.

    Euripide (2000). Par Pontani F.M. Tutte le tragedie. Roma: Newton & Compton Editori.

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    Alessia Maria Russo & Laurent Rorpach

    Morineau, J. (2009). Lo spirito della mediazione. Milano: Edition Franco Angeli.

    Platone. (2008). Apologia di Socrate Critone. Bari: Laterza Edizioni.

    Platone. (2007). La Repubblica. Bari: Laterza Edizioni.

    autreS rFrenCeS

    Plaquettes et Documents dinformation mis disposition par lAFPAD.

    Citation:Russo, A. M. & Rorpach, L. (2016). La ville de la mdiation: bienvenue lAFPAD. In A. Moisan; A. M. C. e Silva; C. Fortecef & N. Buelens (Eds.), Le Tour dEurope des mdiateurs sociaux: de la valorisation de lexprience et la formation la reconnaissance et la professionnalisation (pp. 36-46). Braga: CECS.

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    Immersion Turin, janvier 2016

    tereSa muro jimnez & giovanni ghiBaudi

    1. introduCtion

    Avant de commencer la prsentation de notre stage Turin, il est ncessaire de souligner le travail accompli par les organisations sociales dans la ville. Cest une intervention caractrise par un cadre de la ville systmatique dans les politiques dintgration sociale et de dveloppement communautaire.

    La merveilleuse collaboration entre les organismes publics et privs consacrs la mdiation sociale, mdiation pnale, mdiation intercultu-relle et