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SAMEDI 28 JUIN 2014 LE JOURNAL DU JURA RIFFS HIFI 27 ANGE Périple sur la trace des fées dans la patrie du mythique groupe français Où Décamps fait prendre un coup de jeune à Emile Jacotey PIERRE-YVES THEURILLAT C’est dans la vallée du Breu- chin, dans le village de Saint- Bresson, à la «Principauté» de la Noiseraie comme il l’appelle, une magnifique ferme de pierre et sa maison, que Christian Dé- camps nous fait le plaisir de l’invi- tation pour une passionnante en- trevue. A une poignée de minutes d’un concert qui fera date dans les mémoires. La 11e Convention du Fan’s Club d’Ange, «Un pied dans la marge» qu’ils s’appellent, regroupera 900 personnes sous un chapiteau de cirque, avides de découvrir le nouvel album d’Ange in vivo, un album recréant l’univers d’Emile Jacotey, «le petit vieux de tous les temps», sous le titre d’«Emile Ja- cotey Résurrection». Passion intacte Quarante ans séparent les deux productions. Quelles différen- ces? «Il y a moins de cette folie que tu ne contrôles pas, comme lorsque j’étais un jeune chanteur!» an- nonce d’emblée Décamps, qui peut bien avoir définitivement gagné le professionnalisme qui faisait tant défaut autour de lui en deux générations pleines d’in- fatigables aventures, lui interdi- sant ainsi qu’à Ange, sans doute malgré lui-même, la porte, l’ac- cès au Panthéon, celui d’une «re- connaissance pour toujours». Car la vie d’artiste reste dur métier. Fort heureusement, la passion est là, intacte. Philosophie L’amour lumineux aussi, que sa simple présence permet. «On a enregistré ici, à la Noiseraie, en huis clos. C’est le batteur qui l’a pro- duit, mais on a fait l’album ensem- ble», dit-il. Alors oui, il ne cache pas des divergences parfois, au cœur du groupe, mais corrige: «Il n’y a pas de non-dits entre nous, et nous savons que nous avons fait un bel album!» Humbles petits Français, se targuant d’une évi- dence vis-à-vis de la lointaine Amérique : «On a plus de légendes qu’eux», rigole le poète assoiffé de vérités, qui estime que son meilleur tube, dans le fond, c’est sa carrière tout entière. «Le tra- vail sur cet album est assez expéri- mental, d’une belle modernité. C’est cela qu’on a voulu rendre, et pas du copier-coller. Une nouvelle floraison, plutôt. King Crimson nous inspirait à l’époque, au- jourd’hui ce serait plutôt Sigur Rõs, les Islandais. On a aimé ce mélange de son de claviers, ces fréquences et effets mêlés, comme mélanger l’harmonium d’il y a deux siècles avec la techno de maintenant. Pour moi, l’intemporalité, c’est l’avenir!» Et le petit Christian, du haut de ses 68 balais, a pris du grade en humilité. Avant, c’était lui-même le philosophe. Mais dans ses pro- pos du jour, il en cite un autre, un certain Johnny Hallyday: «La mode, c’est ce qui se démode le plus souvent!» Il le dit en ricanant comme un gosse fier de ses bêti- ses. L’irrespect n’est cependant pas le fort du bonhomme, car sa reconnaissance pour le travail des gens qu’il apprécie est sponta- née, directe. Docu filmé On parle clips, productions in- teractives, lots d’aujourd’hui: «Notre clip, à Ange, c’est la scène!», précise-t-il. Il y a bien pourtant ce projet de faire un film documen- taire «à la Arte», tourné dans cette belle campagne de Luxeuil- les-Bains. Un décor campagnard, justement, qui sied toujours à Ange, et à Christian Décamps, son incarnation vivante, lui qui vit là autour, dans ce «pays aux mille étangs». Un documentaire devrait donc être édité prochai- nement, réalisé en captation par une équipe hollandaise. «Avec Emile Jacotey, on a fait d’un ano- nyme une célébrité, plus populaire que l’abbé Pierre!», poursuit-il. Avant la résurrection du père Emile, il y a bien eu «Moyen- Age», l’avant-dernier album d’une longue liste: «Un astéroïde fantôme, un fossé… le précurseur d’une renaissance!», comme en parle l’auteur des mythiques «Au-delà du délire» et «Guet- Apens». Le collègue Brenz ques- tionne le patriarche. Cette idée de ressusciter «Emile Jacotey» en a fait médire plus d’un, c’est vrai…. «Il y aura toujours des inté- gristes», renvoie le chanteur. «En 1974, on m’avait dit qu’on ne tou- chait pas à Brel, ce que j’avais pour- tant fait.» Et, dans l’ordre de sa mémoire, il continue: «Mais la nostalgie n’a rien de bon. C’est une souche d’arbre, ça n’avance pas! La vie? C’est vivre dans l’irréel. En réa- lité, on n’existe pas. C’est un par- cours. Le temps? Un cycle naturel jusqu’à la vieillesse. Naître – Paraî- tre – Disparaître…» Voilà la triade. Médias... boliques Christian Décamps évoque le monde médiatique: «Les médias gèrent l’âme des gens, ils les tien- nent!», s’en désole-t-il. Et de poursuivre, à l’attention cette fois des promoteurs musicaux: «Chez nous, il y a le concept des scènes de musiques actuelles. De la programmation sectaire. On ne t’ouvre pas les portes, on te blo- que!» Ironie du sort, alors que le band a écumé toutes les scènes de France et de Navarre? Lui sait qu’il n’y a pas que des gens de l’Est français composant son pu- blic. Quelques individus sont aussi venus de Belgique, de Suisse, d’Angleterre, et même du Japon. Une terre insulaire que le groupe Ange a eu le bonheur de fouler, en marge de la tournée des 40 ans d’existence du groupe, les quarantièmes rugissants: «Les anniversaires, comme les en- terrements, ça aide toujours, oui… Le Japon a été une expérience com- plètement prolifique. Pas d’embou- teillages, une circulation fluide. Ce pays est un paradoxe vivant… Ce sont des individualistes-commu- nautaristes qui ne jugent pas les autres. Et puis, quelle courtoisie...» Politique Marié pour la troisième fois en une existence passablement ri- che à ce titre, à force de vénérer l’Amour avec un grand A, il parti- cipe de loin à la vie villageoise, politique. Regarde la télé. «En po- litique, dit-il en citant un illustre inconnu, dire la vérité, c’est chan- ger de mensonge!» Et d’ajouter: «Ils ont envie de déclencher un conflit mondial, tu le sens!» Et de pourfendre le grand bla-bla que constitue la montée du Front na- tional dans son pays… «Alors qu’il y a eu 60% d’abstention lors des dernières élections et qu’ils ont perdu 10%!» nargue-t-il. Infatigable créateur Mais quant à lui-même sur le- quel il revient, il entend bien faire ce métier d’artiste jusqu’au bout, «jusqu’à ce que mon physi- que ne me le permette plus», comme il aime à le dire d’une rencontre journalistique à une autre, laissant son fils Tristan li- bre de continuer ou non l’aven- ture Ange, messager entre Dieu et les hommes. Pour lui, un vaga- bond, plutôt. Ses errances, l’au- teur les confine dans divers al- bums et publications. Comme ce projet qu’il intitule délicieuse- ment «Poivre et Seul». Alors qu’il confie volontiers ces quelques pensées fleuries d’hu- manité, la tension monte per- ceptiblement. Elle trouvera solu- tion dans l’accomplissement scénique qui suivra. On y arrive! CÉLESTE HARMONIE Cet Ange ne passera jamais PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER Et dire qu’il aura fallu cette esca- pade à Saint-Bresson, sorte de Champoz niché entre Haute- Saône et ligne bleue des Vosges, pour que l’évidence nous re- vienne telle un boomerang. Oui, Ange restera dans l’histoire comme le groupe de la France profonde. Celle des provinces, comme on disait quand les rois régnaient à la place de Hollande. Et quand bien même le gang de Christian Décamps a vendu plus de 3 millions d’albums dans ces seventies héroïques, soulevé les 30 000 spectateurs de Reading, tout en déflorant l’Hexagone, le parisianisme épistolaire s’est toujours pincé le nez à son évoca- tion. Comme si ces ruraux, por- teurs de médiévaleurs toujours actuelles, puaient des pieds. La recette de Panoramix Et pourtant, Christian Dé- camps, vieux druide surfant sur les modes, possède toujours la recette de Panoramix. Celle qui rend ses vers invincibles et truffés de légendes. Christian Dé- camps, donc, leader d’un combo singulièrement rajeuni, qui nous a fait les honneurs de sa ferme juchée sur les hauts de Saint- Bresson, justement. A défaut de botter dans le ballon de Billy, on a véritablement cheminé sur la trace des fées. Et sur celles d’Emile Jacotey, à l’origine du mythique album éponyme tout juste sorti voilà 40 ans. Un vieux maréchal-ferrant. «Le petit vieux de tous les temps», plutôt, que le groupe a décidé de ressus- citer par le biais d’«Emile Jaco- tey Résurrection». Une pure merveille, c’est le moins qu’on puisse écrire. Tous les titres origi- nels magnifiés, plus quatre nou- veaux morceaux du même cali- bre? La fête à Emile La sortie de l’album coïncidait justement avec les deux pre- miers concerts de la tournée dite Jacotey. «La fête à Emile», que ça s’appelait. Soit deux gigs mythi- ques organisés deux jours de suite à Saint-Bresson sous chapi- teau. L’occasion de voir commu- nier chaque soir presque 1000 pèlerins accourus de toute la France forcément profonde. Pas vraiment jeunes, certes, mais ar- borant souvent le célèbre béret de l’Emile et le T-shirt gravé pour l’occasion. C’est qu’Ange peut compter sur un noyau de fans incondition- nels, réunis au sein de l’associa- tion «Un pied dans la marge». Ce sont eux qui financent les al- bums, notamment. Une garde du feu ma foi très efficace, au sein de laquelle on trouve sou- vent M.le maire et le sous-préfet, comme le chantait Trenet. Sûre- ment le notaire, aussi, et, comme à Saint-Bresson, le prési- dent du Conseil régional. Oui, une famille dans toute l’accep- tion du terme. Le Graal, tout simplement Assister à un concert d’Ange dans son fief, c’est un peu comme palper le Graal. Frus- trant, certes, quand on consi- dère que cette formation, qui a toujours l’estime des géants de la galaxie prog anglaise, doit jouer les galériens pour subsister. Avant l’arrivée sur scène des hé- ros, «Un pied dans la marge» et le tout puissant Comité des fêtes de Saint-Bresson avaient bien fait les choses. Balade initiatique sur la trace des fées, lâcher du fa- meux ballon de Billy, ambiance médiévale et dédicaces de Phil Umbdenstock, historique dessi- nateur des pochettes? Là-haut, l’Emile a dû apprécier. Tout comme son fils René, assis au premier rang et portant fière- ment ses plus que 80 balais. Son père, c’est celui qui avait raconté à Christian Décamps toutes ces légendes de jadis que la mémoire collective peine à con- server. Heureusement, il y a Ange. A part le précité, les autres musiciens originels se sont cas- sés. Marre de devoir manger de la vache enragée, pour faire sim- ple. Mais quelle relève! En plus du survolté fiston Tristan, qui remplace très avantageusement l’oncle Francis aux claviers, le guitariste Hassan Hadji a quel- que chose en lui de Jeff Beck. Et que dire de la section rythmi- que? Thierry Sidhoum, le bas- siste, et Ben Cazzulini, le juvé- nile batteur, assurent un soutien littéralement infernal. Et puis, il y a forcément le père. Toujours aussi charismatique, le Chris- tian. Possédé serait dépréciateur, inspiré au-dessous de la réalité. Parfum d’éternité Et quelle jouissance que de re- découvrir ces hymnes éternels comme «Les noces», «Le mar- chand de planètes», «Aurélia» et évidemment «Ode à Emile» magnifiés par un gang dont le ni- veau musical est sans pareil dans l’Hexagone d’aujourd’hui. Un appel du pied pour Le Chant du Gros? Après tout, rien ne res- semble plus à l’esprit du Jura suisse que celui de son homolo- gue français. Non, cet Ange-là ne passera ja- mais! « King Crimson nous inspirait à l’époque. Aujourd’hui, ce serait plutôt Sigur Rõs, les Islandais.» CHRISTIAN DÉCAMPS CHANTEUR DU GROUPE FRANÇAIS ANGE Décamps père et fils jouant «Parallèles amoureuses» lors de la Convention du Fan’s Club d’Ange. Le JDJ était de la partie. MARC PAYGNARD-LDD Ange au complet a le sourire au terme du concert. JERÔME TAVEL-LDD

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SAMEDI 28 JUIN 2014 LE JOURNAL DU JURA

RIFFS HIFI 27

ANGE Périple sur la trace des fées dans la patrie du mythique groupe français

Où Décamps fait prendre uncoup de jeune à Emile Jacotey

PIERRE-YVES THEURILLAT

C’est dans la vallée du Breu-chin, dans le village de Saint-Bresson, à la «Principauté» de laNoiseraie comme il l’appelle,une magnifique ferme de pierreet sa maison, que Christian Dé-campsnousfait leplaisirdel’invi-tationpourunepassionnanteen-trevue. A une poignée deminutes d’un concert qui feradate dans les mémoires. La 11eConvention du Fan’s Clubd’Ange, «Unpieddans lamarge»qu’ils s’appellent, regroupera900personnes sous un chapiteau decirque, avides de découvrir lenouvel album d’Ange in vivo, unalbum recréant l’univers d’EmileJacotey, «le petit vieux de tous lestemps», sous le titre d’«Emile Ja-coteyRésurrection».

Passion intacteQuarante ans séparent les deux

productions. Quelles différen-ces?«Il y amoins de cette folie quetu ne contrôles pas, comme lorsquej’étais un jeune chanteur!» an-nonce d’emblée Décamps, quipeut bien avoir définitivementgagné le professionnalisme quifaisait tant défaut autour de luiendeuxgénérationspleinesd’in-fatigables aventures, lui interdi-sant ainsi qu’à Ange, sans doutemalgré lui-même, la porte, l’ac-cès auPanthéon, celui d’une«re-connaissance pour toujours». Carla vie d’artiste reste dur métier.Fort heureusement, la passionest là, intacte.

PhilosophieL’amour lumineux aussi, que sa

simple présence permet. «On aenregistré ici, à la Noiseraie, enhuis clos.C’est lebatteurqui l’apro-duit, mais on a fait l’album ensem-ble», dit-il. Alors oui, il ne cachepas des divergences parfois, aucœur du groupe, mais corrige:«Iln’yapasdenon-dits entrenous,et nous savons que nous avons faitun bel album!» Humbles petitsFrançais, se targuant d’une évi-dence vis-à-vis de la lointaineAmérique:«Onaplusde légendesqu’eux», rigole le poète assoifféde vérités, qui estime que son

meilleur tube, dans le fond, c’estsa carrière tout entière. «Le tra-vail sur cet album est assez expéri-mental, d’une belle modernité.C’est cela qu’on a voulu rendre, etpas du copier-coller. Une nouvellefloraison, plutôt. King Crimsonnous inspirait à l’époque, au-jourd’hui ce serait plutôt SigurRõs,les Islandais.Onaaimécemélangede sonde claviers, ces fréquences eteffets mêlés, comme mélangerl’harmonium d’il y a deux siècles

avec la technodemaintenant.Pourmoi, l’intemporalité, c’est l’avenir!»Et le petit Christian, du haut deses 68 balais, a pris du grade enhumilité.Avant, c’était lui-mêmele philosophe.Mais dans ses pro-posdu jour, il enciteunautre,uncertain Johnny Hallyday: «Lamode, c’est ce qui se démode le plussouvent!» Il le dit en ricanantcomme un gosse fier de ses bêti-ses. L’irrespect n’est cependantpas le fort du bonhomme, car sareconnaissance pour le travaildesgensqu’ilapprécieestsponta-née, directe.

Docu filméOn parle clips, productions in-

teractives, lots d’aujourd’hui:«Notreclip,àAnge,c’est lascène!»,précise-t-il. Ilyabienpourtantceprojet de faire un filmdocumen-taire «à la Arte», tourné danscettebelle campagnedeLuxeuil-les-Bains.Undécorcampagnard,justement, qui sied toujours àAnge, et à Christian Décamps,son incarnation vivante, lui quivit là autour, dans ce «pays auxmille étangs». Un documentairedevrait donc être édité prochai-nement, réalisé en captation parune équipe hollandaise. «Avec

Emile Jacotey, on a fait d’un ano-nyme une célébrité, plus populaireque l’abbé Pierre!», poursuit-il.Avant la résurrection du pèreEmile, il y a bien eu «Moyen-Age», l’avant-dernier albumd’une longue liste: «Un astéroïdefantôme, un fossé… le précurseurd’une renaissance!», comme enparle l’auteur des mythiques«Au-delà du délire» et «Guet-Apens». Le collègue Brenz ques-tionne le patriarche. Cette idée

de ressusciter «Emile Jacotey»en a fait médire plus d’un, c’estvrai….«Ilyauratoujoursdes inté-gristes», renvoie le chanteur. «En1974, on m’avait dit qu’on ne tou-chaitpasàBrel, ceque j’avaispour-tant fait.» Et, dans l’ordre de samémoire, il continue: «Mais lanostalgie n’a rien de bon. C’est unesouched’arbre, çan’avancepas!Lavie?C’est vivredans l’irréel. En réa-lité, on n’existe pas. C’est un par-cours. Le temps? Un cycle natureljusqu’à la vieillesse.Naître–Paraî-tre – Disparaître…» Voilà latriade.

Médias... boliquesChristian Décamps évoque le

monde médiatique: «Les médiasgèrent l’âme des gens, ils les tien-nent!», s’en désole-t-il. Et depoursuivre,à l’attentioncette foisdes promoteurs musicaux:«Chez nous, il y a le concept desscènes demusiques actuelles. De laprogrammation sectaire. On net’ouvre pas les portes, on te blo-que!» Ironie du sort, alors que leband a écumé toutes les scènesde France et deNavarre? Lui saitqu’il n’y a pas que des gens del’Est français composant son pu-blic. Quelques individus sont

aussi venus de Belgique, deSuisse, d’Angleterre, etmêmeduJapon.Une terre insulaire que le

groupe Ange a eu le bonheur defouler, en marge de la tournéedes40ansd’existencedugroupe,les quarantièmes rugissants:«Les anniversaires, comme les en-terrements, çaaide toujours, oui…LeJaponaétéuneexpérience com-plètement prolifique. Pas d’embou-teillages, une circulation fluide. Cepays est un paradoxe vivant… Cesont des individualistes-commu-nautaristes qui ne jugent pas lesautres. Et puis, quelle courtoisie...»

PolitiqueMarié pour la troisième fois en

une existence passablement ri-che à ce titre, à force de vénérerl’AmouravecungrandA, il parti-cipe de loin à la vie villageoise,politique.Regardela télé.«Enpo-litique, dit-il en citant un illustreinconnu, dire la vérité, c’est chan-ger de mensonge!» Et d’ajouter:«Ils ont envie de déclencher unconflit mondial, tu le sens!» Et depourfendre le grand bla-bla queconstitue lamontée duFront na-tional dans son pays… «Alorsqu’il y a eu 60% d’abstention lorsdes dernières élections et qu’ils ontperdu 10%!»nargue-t-il.

Infatigable créateurMais quant à lui-même sur le-

quel il revient, il entend bienfaire ce métier d’artiste jusqu’aubout, «jusqu’à ce que mon physi-que ne me le permette plus»,comme il aime à le dire d’unerencontre journalistique à uneautre, laissant son fils Tristan li-bre de continuer ou non l’aven-ture Ange, messager entre Dieuet leshommes.Pour lui, unvaga-bond, plutôt. Ses errances, l’au-teur les confine dans divers al-bumsetpublications.Commeceprojet qu’il intitule délicieuse-ment «Poivre et Seul».Alors qu’il confie volontiers ces

quelques pensées fleuries d’hu-manité, la tension monte per-ceptiblement. Elle trouvera solu-tion dans l’accomplissementscénique qui suivra.On y arrive!

CÉLESTE HARMONIE

Cet Ange ne passera jamaisPIERRE-ALAIN BRENZIKOFER

Etdirequ’ilaurafallucetteesca-pade à Saint-Bresson, sorte deChampoz niché entre Haute-Saône et ligne bleue des Vosges,pour que l’évidence nous re-vienne telle un boomerang.Oui,Ange restera dans l’histoirecomme le groupe de la Franceprofonde. Celle des provinces,comme on disait quand les roisrégnaient à la placedeHollande.Et quand bien même le gang deChristianDécamps a venduplusde 3 millions d’albums dans cesseventies héroïques, soulevé les30 000 spectateurs de Reading,tout en déflorant l’Hexagone, leparisianisme épistolaire s’esttoujourspincé lenezàsonévoca-tion. Comme si ces ruraux, por-teurs de médiévaleurs toujoursactuelles, puaient des pieds.

La recette de PanoramixEt pourtant, Christian Dé-

camps, vieux druide surfant surles modes, possède toujours larecette de Panoramix. Celle quirendsesvers invincibleset truffésde légendes. Christian Dé-camps, donc, leader d’un combosingulièrement rajeuni, quinousa fait les honneurs de sa fermejuchée sur les hauts de Saint-Bresson, justement. A défaut debotter dans le ballon de Billy, ona véritablement cheminé sur latrace des fées. Et sur cellesd’Emile Jacotey, à l’origine dumythique album éponyme toutjuste sorti voilà 40 ans. Un vieuxmaréchal-ferrant. «Le petitvieux de tous les temps», plutôt,que le groupe a décidé de ressus-citer par le biais d’«Emile Jaco-tey Résurrection». Une puremerveille, c’est le moins qu’onpuisseécrire.Tous les titresorigi-nels magnifiés, plus quatre nou-veaux morceaux du même cali-bre?

La fête à EmileLa sortie de l’album coïncidait

justement avec les deux pre-miers concertsde la tournéediteJacotey.«La fêteàEmile»,queças’appelait. Soit deux gigs mythi-ques organisés deux jours desuite à Saint-Bresson sous chapi-teau. L’occasion de voir commu-nier chaque soir presque 1000pèlerins accourus de toute laFrance forcément profonde. Pasvraiment jeunes, certes,mais ar-borant souvent le célèbre béretde l’Emileet leT-shirtgravépourl’occasion.C’est qu’Angepeut compter sur

un noyau de fans incondition-nels, réunis au sein de l’associa-tion «Un pied dans la marge».Ce sont eux qui financent les al-

bums, notamment. Une gardedu feu ma foi très efficace, ausein de laquelle on trouve sou-ventM.lemaireet le sous-préfet,comme le chantait Trenet. Sûre-ment le notaire, aussi, et,commeàSaint-Bresson, leprési-dent du Conseil régional. Oui,une famille dans toute l’accep-tion du terme.

Le Graal, tout simplementAssister à un concert d’Ange

dans son fief, c’est un peucomme palper le Graal. Frus-trant, certes, quand on consi-dère que cette formation, qui atoujours l’estimedes géants de lagalaxie prog anglaise, doit jouerles galériens pour subsister.Avant l’arrivée sur scène des hé-ros,«Unpieddanslamarge»et letout puissant Comité des fêtesde Saint-Bresson avaient bienfait les choses. Balade initiatiquesur la trace des fées, lâcher du fa-meux ballon de Billy, ambiancemédiévale et dédicaces de PhilUmbdenstock, historique dessi-nateur des pochettes? Là-haut,l’Emile a dû apprécier. Toutcomme son fils René, assis aupremier rang et portant fière-ment ses plus que 80 balais.Son père, c’est celui qui avait

raconté à Christian Décampstoutesces légendesdejadisquelamémoire collective peine à con-server. Heureusement, il y aAnge.Apart leprécité, les autresmusiciens originels se sont cas-sés.Marrededevoirmangerdelavache enragée, pour faire sim-ple. Mais quelle relève! En plusdu survolté fiston Tristan, quiremplace très avantageusementl’oncle Francis aux claviers, leguitariste Hassan Hadji a quel-que chose en lui de Jeff Beck. Etque dire de la section rythmi-que? Thierry Sidhoum, le bas-siste, et Ben Cazzulini, le juvé-nile batteur, assurent un soutienlittéralement infernal. Et puis, ily a forcément le père. Toujoursaussi charismatique, le Chris-tian.Possédéseraitdépréciateur,inspiré au-dessous de la réalité.

Parfum d’éternitéEt quelle jouissance que de re-

découvrir ces hymnes éternelscomme «Les noces», «Le mar-chand de planètes», «Aurélia»et évidemment «Ode à Emile»magnifiésparungangdont leni-veaumusical est sans pareil dansl’Hexagone d’aujourd’hui. Unappel du pied pour Le Chant duGros? Après tout, rien ne res-semble plus à l’esprit du Jurasuisse que celui de son homolo-gue français.Non, cet Ange-là ne passera ja-

mais!

●«King Crimson nous inspirait àl’époque. Aujourd’hui, ce seraitplutôt Sigur Rõs, les Islandais.»CHRISTIAN DÉCAMPS CHANTEUR DU GROUPE FRANÇAIS ANGE

Décamps père et fils jouant «Parallèles amoureuses» lors de la Convention du Fan’s Club d’Ange. Le JDJ était de la partie. MARC PAYGNARD-LDD

Ange au complet a le sourire au terme du concert. JERÔME TAVEL-LDD