3
Annales de pathologie (2008) 28S, S66—S68 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com SYMPOSIUM Diagnostic moléculaire des tumeurs en routine. État de l’art et perspectives Apport de la biologie moléculaire en pathologie lymphoïde Laurent Lamant Service d’anatomie pathologique, CHU Purpan, place du Docteur-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, France Disponible sur Internet le 14 octobre 2008 Les techniques de biologie moléculaire sont devenues partie intégrante du diagnostic en hématopathologie. La détection d’un réarrangement clonal des gènes codant les immu- noglobulines (Ig) ou le récepteur des lymphocytes T (T cell receptor pour TCR) constitue notamment un outil diagnostique de choix dans des cas difficiles où le « diagnostic de mali- gnité » ne peut être porté avec certitude après étude immunomorphologique. Par ailleurs, la détection de certaines aberrations chromosomiques ou génomiques peut non seule- ment aider au diagnostic de malignité mais aussi constituer un « marqueur pronostique ». Enfin, beaucoup de ces réarrangements servent de marqueurs moléculaires permettant de détecter la « maladie résiduelle ». Par définition, l’ensemble des cellules caractérisant une hémopathie maligne dérive d’une seule cellule ayant subi la transformation maligne et le diagnostic doit s’attacher à prouver le caractère homogène des cellules en cause constituant un « clone ». Les tech- niques utilisées pour mettre en évidence cette clonalité se basent notamment sur la mise en évidence par PCR des réarrangements des gènes des Ig/TCR pour prouver le caractère poly- ou monoclonal d’une lymphoprolifération. En effet, ces réarrangements qui sont d’une grande diversité vont constituer la « carte d’identité » d’un lymphocyte donné. Clonalité lymphoïde et réarrangements des gènes des Ig et du récepteur des lymphocytes T (TCR) Durant la différenciation lymphocytaire, surviennent dans un ordre précis des réarrange- ments des gènes des Ig dans les lymphocytes B et du TCR dans les cellules T. Ils permettent dans les lymphocytes B la production d’une Ig constituée de deux chaînes lourdes iden- tiques (IgH) et deux chaînes légères (kappa ou lambda), et dans les lymphocytes T d’un TCR constitué d’une chaîne ˛ et d’une chaîne ˇ (présent sur la grande majorité des lympho- cytes T) ou d’une chaîne et d’une chaîne ı. La structure de ces gènes et les mécanismes de réarrangements sont similaires et expliquent la très grande diversité du répertoire des lymphocytes, via notamment la région variable des Ig et du TCR. Ces gènes sont constitués de nombreux segments appelés V (variable), D (diversité ; uniquement pour les Symposium présenté le mercredi 19 novembre 2008, de 14 h 30 à 16 h 30 dans le grand amphithéâtre, sous l’égide de P. Brousset. Adresse e-mail : [email protected]. 0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2008.09.020

Apport de la biologie moléculaire en pathologie lymphoïde

  • Upload
    laurent

  • View
    220

  • Download
    6

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Apport de la biologie moléculaire en pathologie lymphoïde

A

SD

Al

0d

nnales de pathologie (2008) 28S, S66—S68

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

YMPOSIUMiagnostic moléculaire des tumeurs en routine. État de l’art et perspectives

pport de la biologie moléculaire en pathologieymphoïde�

Laurent Lamant

Service d’anatomie pathologique, CHU Purpan, place du Docteur-Baylac, TSA 40031, 31059Toulouse cedex 9, France

Disponible sur Internet le 14 octobre 2008

Les techniques de biologie moléculaire sont devenues partie intégrante du diagnostic enhématopathologie. La détection d’un réarrangement clonal des gènes codant les immu-noglobulines (Ig) ou le récepteur des lymphocytes T (T cell receptor pour TCR) constituenotamment un outil diagnostique de choix dans des cas difficiles où le « diagnostic de mali-gnité » ne peut être porté avec certitude après étude immunomorphologique. Par ailleurs,

la détection de certaines aberrations chromosomiques ou génomiques peut non seule-ment aider au diagnostic de malignité mais aussi constituer un « marqueur pronostique ».Enfin, beaucoup de ces réarrangements servent de marqueurs moléculaires permettant dedétecter la « maladie résiduelle ».

Par définition, l’ensemble des cellules caractérisant une hémopathie maligne dérived’une seule cellule ayant subi la transformation maligne et le diagnostic doit s’attacherà prouver le caractère homogène des cellules en cause constituant un « clone ». Les tech-niques utilisées pour mettre en évidence cette clonalité se basent notamment sur la miseen évidence par PCR des réarrangements des gènes des Ig/TCR pour prouver le caractèrepoly- ou monoclonal d’une lymphoprolifération. En effet, ces réarrangements qui sontd’une grande diversité vont constituer la « carte d’identité » d’un lymphocyte donné.

Clonalité lymphoïde et réarrangements des gènes des Ig et durécepteur des lymphocytes T (TCR)

Durant la différenciation lymphocytaire, surviennent dans un ordre précis des réarrange-ments des gènes des Ig dans les lymphocytes B et du TCR dans les cellules T. Ils permettentdans les lymphocytes B la production d’une Ig constituée de deux chaînes lourdes iden-tiques (IgH) et deux chaînes légères (kappa ou lambda), et dans les lymphocytes T d’un TCRconstitué d’une chaîne ˛ et d’une chaîne ˇ (présent sur la grande majorité des lympho-cytes T) ou d’une chaîne � et d’une chaîne ı. La structure de ces gènes et les mécanismesde réarrangements sont similaires et expliquent la très grande diversité du répertoiredes lymphocytes, via notamment la région variable des Ig et du TCR. Ces gènes sontconstitués de nombreux segments appelés V (variable), D (diversité ; uniquement pour les

� Symposium présenté le mercredi 19 novembre 2008, de 14 h 30 à 16 h 30 dans le grand amphithéâtre, sous l’égide de P. Brousset.Adresse e-mail : [email protected].

242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2008.09.020

Page 2: Apport de la biologie moléculaire en pathologie lymphoïde

Apport de la biologie moléculaire en pathologie lymphoïde

gènes IgH, TCRB et TCRD) et J (jonction), qui vont ensuitesubir des recombinaisons. Dans le cas des gènes IgH, parexemple, un premier réarrangement se fait entre un seg-ment D et un segment J, suivi d’un réarrangement V-DJ,qui code la partie variable des IgH. Le locus des gènes deschaînes lourdes des Ig (IgH) en 14q32 est le premier à se réar-ranger, suivi de celui des chaînes légères kappa des Ig (IgK)(2p11). Si ce dernier résulte en une immunoglobuline nonfonctionnelle, on assiste à un réarrangement des gènes deschaînes légères lambda des Ig (IgL) (22q11) et à une délétiondu locus IgK. Cela explique que les cellules B expriment uneIg de surface comportant, soit une chaîne légère lambda,soit une chaîne légère kappa. Au cours de la différenciationdes lymphocytes T, le locus TCRD est le premier à se réarran-ger, suivi du locus TCRG. Dans les cellules qui expriment unTCR ��, ces réarrangements seront suivis par ceux des locusTCRA puis TCRB. Le locus TCRD étant situé à l’intérieur dulocus TCRA, il sera délété suite au réarrangement du locusTCRA.

La diversité du répertoire des lymphocytes B etT s’explique, d’une part, par cette diversité dite« combinatoire » entre les segments V, D et J. D’autrepart, au moment du réarrangement, quelques nucléotidessont délétés ou ajoutés entre les deux segments : c’est la« diversité jonctionnelle », qui contribue à créer une zonede séquence hypervariable appelée CDR3. Enfin, cette diver-sité est encore accrue par le phénomène des hypermutationssomatiques des gènes des Ig qui se produit dans les centresgerminatifs des ganglions, permettant la synthèse d’Ig lesplus affinés possibles pour l’antigène. Chaque lymphocyteest donc porteur d’un réarrangement V(D)J au niveau desgènes codant son récepteur à l’antigène (Ig ou TCR) qui luiest propre. C’est cette particularité qui est utilisée pourprouver le caractère clonal ou non d’une lymphoproliféra-tion.

Les techniques utilisées sont actuellement basées surl’amplification par PCR (amplification de gène in vitro),qui outre sa grande sensibilité, nécessite un ADN de moinsgrande taille/qualité que la technique antérieurement uti-lisée de Southern blot et en moins grande quantité. Cela

explique que l’on puisse réaliser ces techniques à partir d’unADN extrait de blocs de paraffine. En configuration non réar-rangé ou germinale, les segments V et J des gènes sont tropéloignés pour être amplifiés par PCR. Au contraire, on peutamplifier par PCR les réarrangements V-J ou V-D-J, en utili-sant des combinaisons d’amorces (PCR multiplex) capablesde s’hybrider avec tous ou quasi tous les segments V etJ, qui possèdent des zones de charpente dites framework,conservées d’un segment à l’autre. L’étude européenneBiomed-2 a notamment permis de développer des outils dePCR très sensibles et de standardiser les techniques entreles différents laboratoires. Après amplification par PCR,les produits d’amplification sont analysés soit par électro-phorèse sur gel de polyacrylamide, soit par électrophorèsecapillaire à haute résolution sur un analyseur de fragmentsqui présuppose l’utilisation d’amorces fluorescentes. Dansune population de lymphocytes polyclonaux, une multi-tude de réarrangements différents se sont produits, chacunétant propre à un lymphocyte donné et si chacun a étéamplifié par PCR, aucun ne prédomine au point d’êtreidentifiable, contrairement à ce qu’on observe dans unepopulation monoclonale, où tous les lymphocytes sont por-teurs d’un même réarrangement. En pratique, la recherched’une clonalité lymphoïde B est basée sur l’amplificationdes réarrangements du locus IgH mais les réarrangementsdes locus IgK et IgL peuvent également être étudiés par

S67

PCR. L’étude de la clonalité lymphoïde T se base-t-elle surl’amplification des zones réarrangées des loci TCRD, TCRG etTCRB. L’étude du réarrangement du locus TCRG est particu-lièrement intéressant car il est réarrangé que le lymphocyteexprime à sa surface un TCR �� ou ��. En revanche, en rai-son de la complexité du locus TCRA qui comporte de trèsnombreux segments V et J, les réarrangements de ce locussont difficiles à étudier par PCR.

Intérêt de l’étude de la clonalitélymphoïde en hématopathologie

Lorsque le « diagnostic » de lymphome est difficile aprèsétude immunomorphologique, la mise en évidence par PCRd’un clone lymphoïde est un argument fort en faveur d’unlymphome. Cependant, clonalité n’est pas toujours syno-nyme de lymphome et peut être soit associée à un processuslymphoïde dont l’évolution n’est pas maligne comme lespapuloses lymphomatoïdes, soit correspondre à l’expansionclonale d’une population lymphoïde réactionnelle à une sti-mulation antigénique chronique. Une seconde applicationest d’aider à déterminer le « lignage » B ou T d’une lym-phoprolifération, même si des réarrangements « illégitimes »sont décrits, notamment dans des lymphoproliférationsimmatures, les cellules B et T utilisant le même systèmede recombinaison des gènes.

Enfin, lors du suivi d’un patient atteint d’un lymphome,la détection d’un clone au diagnostic permet par la suitede suivre la « maladie résiduelle », qui peut notamment serévéler déterminante avant autogreffe de moelle. Dans cer-tains pathologies lymphoïdes, il est par ailleurs bien établique la détection d’une maladie résiduelle est prédictive derechute. Compte tenu du faible nombre de cellules tumo-rales résiduelles, cette recherche fait appel le plus souventà des techniques de PCR quantitative, qui peuvent, de plus,être réalisées à l’aide d’amorces spécifiques de la régionhypervariable CDR3 du clone initial du patient (Allèle oupatient specific oligonucleotide primer ASO) pour une spé-cificité de détection maximale.

Détection des anomalies chromosomiques

En complément des techniques de cytogénétique, les tech-niques de PCR et RT-PCR sont utilisées pour détecter desanomalies chromosomiques telles que les translocations ouinversions qui vont juxtaposer de facon anormale deuxséquences nucléotidiques.

Deux types d’anomalies sont accessibles aux techniquesde biologie moléculaire. Les premières sont des anomalies« qualitatives » correspondant à la juxtaposition des partiescodantes de deux gènes qui conduit à l’expression d’untranscrit de fusion détectable par RT-PCR. La transloca-tion t(9 ;22) (q34 ;q11) des leucémies myéloïdes chroniquescréant la protéine de fusion bcr—abl est un exempleclassique. En pathologie lymphoïde, on peut citer lestranslocations impliquant le gène ALK en 2p23 dans les lym-phomes anaplasiques systémiques, qui peut être fusionnéà différents partenaires, la détection de ces produits defusion pouvant se faire à partir de l’ADN génomique oude l’ARN. Le second type d’anomalie est « quantitative »correspondant à la juxtaposition d’un proto-oncogène etde la séquence régulatrice d’un autre gène (souvent ungène des Ig ou du TCR dans les lymphomes), conduisantà l’expression aberrante de ce proto-oncogène qualitati-

Page 3: Apport de la biologie moléculaire en pathologie lymphoïde

S

vadgtpucfladgdPd(D

68

ement normal. Plusieurs translocations de ce type sontssociées aux lymphomes car elles procèdent d’erreurse la recombinase au moment des réarrangements desènes des Ig et du TCR. Lors de ce type de transloca-ion, les points de cassure peuvent survenir dans différentesarties du proto-oncogène, expliquant que les amorcestilisées en PCR ne puissent pas couvrir des points deassure cryptiques mais seulement les régions les plusréquemment réarrangées du gène. Dans le cas de la trans-ocation t(14 ;18)(q32 ;q21) entre les gènes IgH et Bcl-2ssociée aux lymphomes folliculaires, la région de pointe cassure la plus fréquemment impliquée au sein duène Bcl-2, appelée major breakpoint region (MBR), neétecte que 70 % des translocations. Dans les cas où laCR est moins performante, comme dans les lymphomesu manteau caractérisés par la translocation t(11 ;14)11p13 ;14q32) qui fusionne le gène IgH au gène de la cycline1 CCND1, où elle n’est détectée que dans 40 % des cas,

lP

Ia

CdpflCdoemr

L. Lamant

a technique de FISH doit être préférée à la technique deCR.

ntérêt de l’analyse moléculaire desnomalies chromosomiques

omme dans le cas de l’étude des réarrangements des gèneses Ig et du TCR, l’intérêt est, d’une part, « diagnostique »,ermettant, par exemple, de différencier un lymphomeolliculaire caractérisé par la translocation IgH-Bcl-2 d’unymphome du manteau caractérisé par la translocation IgH-CND1. L’intérêt est, d’autre part, « pronostique », commeans les leucémies aiguës lymphoblastiques B de l’enfant,ù la détection de certaines translocations chromosomiquesst de mauvais pronostic. Enfin, la détection de ces ano-alies chromosomiques permet de détecter la « maladie

ésiduelle ».