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http://hal.inria.fr/docs/00/53/40/77/PDF/2010.pdf1/17
Titre : La rptition dans le discours publicitaire
Auteur : Clara Romero / [email protected]
Rfrence : (2010) Re- Rpter Rptitions, Alexandra-Flora Pifarr et Sandrine RutiglianoDaspet ds. Actes de journes dtude, Chambry : 16-18 avril 2007. cole doctorale 5,
Universit de Savoie, p. 45-65.
Rsum :
La rptition, prise dans un sens gnral, est lun des ressorts majeurs de la publicit. Dans ce
document, je fais le point sur les modalits de rptition apparaissant dans ce genre de discours,
quune prsence plusieurs niveaux caractrise.
NB : Le prsent document est un manuscrit. Pour des raisons techniques, des caractres spciaux
ont pu subir des dommages. En cas de besoin, veuillez vous reporter la version publie.
Blanche-Nolle Grunig.
Rptition n.f.
I. 1. Le fait d'tre dit, exprim plusieurs fois.
2. Le fait de rpter les paroles d'un autre.
3. Le fait de recommencer, de ritrer (une action, un
processus).
4. Action de reproduire ; ce qui est reproduit.
5. Le fait de rpter, de travailler plusieurs reprises pour
s'exercer. Sance de travail ayant pour but de mettre au point
les divers lments d'un spectacle.
6. Le fait d'expliquer, de faire rpter une leon, d'aider un
lve faire un travail.
II. Dr. Action de rpter, de redemander en justice.
Grand Robert lectronique
La rptition, prise dans un sens gnral, est, ainsi que les publicitaires le savent bien, tandis que
les consommateurs ne peuvent manquer de sen rendre compte, lun des ressorts majeurs de la
publicit. Dans ce document, je propose de faire le point sur les modalits de rptition
apparaissant dans ce genre de discours, quune prsence plusieurs niveaux caractrise. Lordre
dans lequel ces niveaux sont prsents ci-dessous nest pas indiscutable, mais jai tent de
commencer par la rptition des units les plus simples, pour aller progressivement vers plus de
complexit ou dabstraction.
1
1
Pour ce qui est des effets psychologiques de la rptition, jy ferai peu allusion ici, me concentrant sur laspect linguistique des choses. Une synthse de ceux-ci est en prparation, ainsi quun tude descriptive partir dun corpus demballages ( paratre dans Cahiers de praxmatique n52 sur le thme de la reformulation). halshs-00534077, version 1 - 19 Oct 2011Manuscrit auteur, publi dans "Re- Rpter - Rptitions, Chambry : France (2007)"2/17
1. Rptition phonique
La rptition se manifeste donc tout dabord au niveau phonique. Avant tout, il faut noter que le
message publicitaire, et le slogan en particulier, sont faits dun matriau verbal qui na rien
dimprovis, mais qui est au contraire recherch, travaill, cisel. Lartisan-publicitaire dispose
donc de nombreux outils, dont la rptition de sons (ou plutt de phonmes) fait partie. Cette
dernire, qui touche uniquement le signifiant, ne saccompagne pas surtout pas de rptition
de signifi. On rencontre plusieurs sortes de ritrations sonores (rimes, assonances, allitrations
sont les plus connues, mais pas les seules), elles-mmes soulignes par des phnomnes
rythmiques. Il y a l des formes, qui, pour reprendre les termes de Blanche-Nolle Grunig (1998),
structurent le son du slogan . leur propos, je ne peux en vrit que renvoyer son ouvrage,
exhaustif sur la question : Les Mots de la publicit. Jen reproduis donc ci-dessous, dans les
grandes lignes, ce qui est mettre en rapport avec notre sujet.
Tout dabord, Grunig rappelle que, mme lorsque le slogan est crit, il est entendu intrieurement
par le rcepteur, ce qui rend mthodologiquement fond, loral comme lcrit, denvisager
uniquement ou du moins sparment le support phonique du slogan, plutt que graphique. En
effet, si les cas o une rptition phonique ne saccompagne pas dune rptition graphique sont
monnaie courante et font lattrait du procd, ceux o une rptition graphique saffranchit de la
rptition phonique se sont rvls exceptionnels dans la publicit. Lexemple cit ne concerne
dailleurs la rptition que dun graphme :
Audace, adorable, amiti, amusant, amour, ange, astuce. La vie commence avec un a ! ( a , marque de
vtements pour enfant)
Lautre point important propos de la rptition phonique, et qui en fait lintrt dans le slogan,
est que chaque occurrence de sons renvoie un sens diffrent. O que se situe lidentit
phonique, une diffrence smantique doit en merger, sans quoi le slogan, comme un pome qui
ferait rimer un mot avec lui-mme, paratrait bien fade. Bien sr, lcart entre les deux sens peut
tre assez faible ou maximal, selon quil sagit de polysmie troite ou dhomonymie, nous
menant ainsi de lantanaclase aux portes du calembour.
La Bretagne : les bains de mer, pas les bains de foule.
Prenez votre cur cur.
Snacks, cest tellement bon quon fait des bonds.
Lauditeur, qui doit fournir un lger effort interprtatif supplmentaire pour aplanir le jeu de
mots, se sent flatt dy tre parvenu. Comme pour dautres noncs potiques non fonds sur la
rptition et sans but commercial lnonc est plaisant, ce qui contribue lui faire atteindre son
but. Voici donc les structures sonores essentielles qui ressortent de lanalyse des slogans. Nous
verrons, chemin faisant, quil est possible de les combiner.
1.1 Structures avec vers et/ou rimes
Celles-ci sont formes de segments de longueur constante (mesure en pieds) qui prsentent un
son identique en position finale
2
. Ces versodes , comme les appelle lauteure, combinent donc
une rptition du nombre de syllabes et du son final. Exemples :
Pas derreur, cest Lesieur.
Efficace et pas chre, cest la Maaf que jprfre.
Vahin, cest gonfl.
2
La dfinition gnrale dune rime ne peut tre dtaille ici. Pour le franais, retenons simplement la suivante :
identit acoustique de la dernire voyelle de deux ou plusieurs vers, et des sons qui suivent cette voyelle.
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Avec Phox, pas dintox.
Il sagit l de la structure de base, mais on observe aussi des structures moins contraintes. Il peut
y avoir variation de longueur entre les segments, seul le son final est alors rpt. Notons
cependant que le nom de la marque se trouve presque toujours en position remarquable, soit en
tant que premier segment, soit la fin de celui-ci, soit encore en fin de deuxime segment ; cest
donc sur lui quest construite la rime :
Haribo, la vie est bo.
Coca-cola, cest a.
lorigine, il y a toujours Francine.
La menthe forte qui rconforte. (Ricqls)
Ou alors, cest le nombre de syllabes qui est conserv, ce qui donne :
Avec Carrefour, je positive.
Hydrate, soulage, protge. (Neutrogena)
1.2 Structures avec anti-rimes
3
Dans ce cas de figure, point de rptition en finale, mais au contraire, seule la finale est
diffrente, ce qui cre la surprise :
Choisissez bien, choisissez But.
Legal, le got.
1.3 Structures rgularises autour dun centre ou par abstraction de la marque
Les slogans correspondant ces structures prsentent eux aussi des rimes ou anti-rimes, mais
pour ce qui est du nombre de pieds, il ne deviennent rguliers quen faisant abstraction dun
lment central (copule) ou du nom de la marque (mis entre crochets) ou des deux la fois :
vident, [cest] Prsident.
Un meuble Lvitan [est] garanti pour longtemps.
Les antibiotiques [cest] pas automatique.
4
[Snacks], cest tellement bon quon fait des bonds.
[France Culture], la culture, [cest] laventure.
[Roquefort], un plaisir fort, un plaisir fou.
Ce dernier slogan est nanmoins plus complexe que cela, car le deuxime versode est impliqu
la fois dans une structure avec rime en // et dans une structure avec anti-rimes.
1.4 Structures avec rptition linitiale
Ce sont alors le plus souvent des mots entiers qui sont rpts :
On joue, on marque, on gagne. (Loto sportif)
Seb, cest bien.
Le slogan suivant combine rptition initiale et finale :
Du pain, du vin, du Boursin.
3
Cest le terme quemploie B.-N. Grunig. Cornulier parle de contre-rime .
4
Un slogan politique dactualit correspond aussi cette structure : Luniversit [nest] pas une entreprise .
Son jumeau Le savoir nest pas une marchandise doit tre scand en marquant seulement un temps sur deux 1-3-5
dans le premier versode.
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1.5 Structures avec fuite et structures avec progression
Les rptitions de sons que nous venons de voir peuvent galement figurer dans des structures
que Grunig appelle avec fuite , si deux premiers versodes sont de longueur identique et un
troisime nettement plus long (avec comme configuration rcurrente 3/3/7) ; ou avec
progression , si trois versodes sont de longueur croissante (avec comme cas remarquable N /
N+n / N+n+n). Exemples :
[Le Loto], cest facile, cest pas cher, et a peut rapporter gros.
Mini Mir, mini prix, mais il fait le maximum.
Le tlphone, cest bien quand il sonne, cest mieux quand il rpond. (Philips)
Dubo, Dubon, Dubonnet.
1.6 Allitrations et assonances simples et mixtes
Lorsque la rptition ne se trouve pas en des points remarquables, quil y a simplement le retour
dun ou de plusieurs sons, on parle traditionnellement dallitrations, si le son est une consonne,
comme dans :
Si cest Nussini, cest sr on cde.
ou dassonance, si le son est une voyelle :
Pour toujours et surtout pour tout de suite. (Dior)
Mais la plupart du temps (mme dans les deux exemples prcdents) ce sont la fois des
consonnes et voyelles qui se trouvent rptes :
Vittel vous aide retrouver la vitalit qui est en vous.
Croustibat, comment le battre ?
propos de ces ritrations de sons, moins contraintes que la rime, Grunig parle
dhomognisation du slogan, par opposition une segmentation quintroduit la rime. Mais en
rester l reviendrait ignorer la complexit structurelle de :
[Moulinex], le sens de lessentiel.
o la symtrie est nette. Plus sensible encore, celle de :
Au volant, la vue cest la vie
5
o il y a symtrie {entre accolades}, puis rptition dun motif entre tirets , tandis que cest
lordre inverse qui apparat dans :
Une femme lgante est cliente du Printemps.
Remarquons encore les rimes partielles et progressivement changeantes quintroduit :
Hydrate, soulage, protge. (Neutrogena)
sopposant la platitude relative de :
Votre dodo cest mon dada. (Monsieur Meuble)
Par ailleurs, on peut noter que le nom de la marque, lorsquil est prsent dans le slogan, est le
plus souvent pris dans ce jeu sonore, ce qui lui donne un statut privilgi au sein de lnonc. On
5
De plus, ce slogan tient de la structure rgularise par abstraction de la copule, le tout dans une structure avec antirimes : aprs un cadrage (au volant), on a : la vue [cest] la vie.
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retient quelque chose comme : Vittel, avec un v comme vitalit . Enfin, il ne faut pas ngliger
la valeur iconique de certains sons :
Crunch, le chocolat qui croustille.
Kodak, un dclic davance.
La violence, si tu te tais, elle te tue. (Campagne de prvention de la Rgion Ile-de-France)
2. Rptition dordre lexical
ce niveau danalyse, la rptition atteint la fois le signifiant et le signifi, cest--dire au
moins un morphme. Il ma ds lors sembl prfrable de parler de rptition dordre lexical
plutt que de rptition simplement lexicale car il faut englober non seulement la rptition de
mots, mais galement celle de morphmes prsente dans les drivs ou de syntagmes ; il
sagit donc dune rptition morpho-lexico-syntagmatique. Dire de multiples fois la mme chose
de la mme faon (cest--dire avec les mmes morphmes), tel est le sens le plus commun de
rptition .
Cette rptition dordre lexical, laquelle la tradition sest plu donner une multitude de noms
selon la configuration syntaxique et/ou mtrique o elle apparat
6
, a des effets smantiques et
rhtoriques multiples. Comme ceux-ci ont dj t bien tudis par la linguistique moderne, et
quils ne sont pas propres la publicit, mon propos nest pas ici de les dvelopper
7
. Ce quil faut
retenir, cest quils sont domins par un effet d intensification au sens large (que ce soit par
insistance, superlation, duration, numration, gradation, prcision) et que les slogans en font
naturellement usage. Quelques exemples, dont le premier est une fausse tautologie, suffiront
lillustrer :
Il y a chaussures et chaussures. (slogan forg)
Lave plus blanc que blanc. (lessive)
Elle est lgre, lgre (Lesieur Tournesol)
Pour ce qui est dunits plus longues, quil sagisse dune page de presse, dun emballage (le
packaging tant un support publicitaire part entire), dun spot tlvis ou radiophonique
8
, il
serait euphmistique de constater que la publicit en use massivement
9
. En effet, il semble que
seuls quelques types de discours particuliers accusent un taux de rptition comparable : cas
pathologiques (palilalie) ou de jeunes enfants, pratiques rituelles (chapelet) ou pdagogiques
(apprentissage par cur des tables de multiplication), certaines chansons (comptines en
particulier). Dans le jargon du marketing, certains parlent de rptition interne , ce qui semble
correspondre ce que dautres appellent, avec moins de dlicatesse, matraquage direct .
Les mots les plus rpts sont : le nom de la marque et/ou celui du produit, la ou les proprit(s)
du produit que lon souhaite souligner (dites promesse ). Ainsi peut-on, au cours dun spot
radiodiffus entendre quatre fois Intermarch, ou bien dans votre magasin Intermarch, et lire
sept fois le mot doux ou lun de ses drivs sur une bouteille de shampooing Dop. Le cas des
missions de tlachat, o lon propose des objets usage domestique, supposs aussi originaux
6
Polyptote , pizeuxe , palilogie , battologie , piphore , antpiphore , panode ,
anadiplose , anaphore rhtorique , hypozeuxe , en sont quelques-uns.
7
Une tentative de synthse a t faite dans le cadre de ma thse, v. Romero (2001 : 185 sqq.). On se reportera aussi
celle dlisabeth Richard (2000).
8
Ce niveau de rptition concerne dans une mesure nettement moindre un support o limage tient une place
prpondrante au dtriment du verbal, tel que laffiche.
9
La rhtorique y voit alors des figures appeles concatnation, complexion
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quindispensables, est particulirement difiant par le nombre doccurrences de ces lments.
Dans ces petits films, trs semblables ceux que lon trouve sur des crans placs en magasin (de
bricolage) au dessus du produit vendre, cest aussi le prix (censment imbattable) assorti des
facilits de paiement, ainsi que les multiples usages du produit-miracle, qui sont mis en avant par
leur rptition, autant que le nom. En effet, la priorit nest alors pas dliminer la concurrence,
mais plutt de provoquer un achat immdiat, autant de caractristiques qui ne sont pas sans
rappeler une forme traditionnelle de discours de vente, couramment appele boniment (Allez
2 , 2 , 2 dans la laitue, l ! Allez-y Messieurs-dames, allez-y !)
10
.
dfaut de pouvoir prsenter ici un tel exemple, je mappuierai sur un communiqu dune
page de la socit Millet Innovation, trouv dans la presse. Le produit vendre a pour nom
Dermantalgic ; il sagit de patchs rechargeables contre les douleurs articulaires,
musculaires, tendineuses, ligamentaires . Ci-dessous, figure la liste des mots lexicaux les plus
rpts, avec le nombre doccurrences correspondant. Je nai pas tenu compte de la taille des
caractres, ce qui corrigerait la sous-reprsentation apparente du nom du produit :
Dermantalgic / Dermantalgie 6
11
(+ antalgique(s) 2)
patch(s) 12
rechargeables 8 (+ rutilisables 2)
dispositif(s) 4 (dont dispositif(s) mdical/aux 3)
douleur / douloureux/euse 14 (+ maux de dos 2 ; + nvralgie 1, v. suivant)
soulager 6
articulaires 5
huile(s) essentielle(s) 4 (dont huile essentielle de Gaulthrie 2)
anti-inflammatoires 3
etc.
Ainsi, mme si lon pouvait a priori penser que le support crit serait associ un discours moins
redondant, le genre publicitaire permet que le nom de la marque apparaisse six fois et la promesse
(soulager la douleur) environ une quinzaine de fois en une page. Pour compenser, une certaine
varit vient alors de la typographie, deffets de prsentation (encadrs, couleurs,
photographies). Ainsi certaines occurrences semblent-elles maner de diffrents locuteurs
bnficiant de lautorit (pharmacien, patients), ce qui tend faire passer inaperue la rptition,
et mme donner du poids son contenu, puisquil ne sagit plus vraiment de rptition, mais
davis concordants.
3. Rptition dordre smantique
Nous venons de voir quil est frquent dans un message publicitaire de dire plusieurs fois la
mme chose avec les mmes mots (ou plus exactement les mmes morphmes). Mais cela, il
faut ajouter que lon peut aussi redire (presque) la mme chose avec des mots diffrents. Il y alors
seulement rptition de signifi. Cette caractristique dun discours qui se rpte sans
10
Un sketch des ttes claques diffus sur linternet (http://www.tetesaclaques.tv/video.php?vid=30) montre
bien, travers une parodie de publicit pour un couteau conome (surnomm le Willy Waller ), cet aspect
rptitif.
11
Une photo dun patch sur lequel Dermantalgic, bien que moins lisible, apparat comme motif rpt, a t
compte comme une seule occurrence. Une autre photo dune bote de patchs sur laquelle Dispositif mdical de
dermantalgie est quasiment illisible na pas t prise en compte.
dont patchs ([]) rechargeables 7
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ncessairement sappuyer sur les mmes formes est couramment appele redondance . Celle-ci
se manifeste la faveur de synonymes, priphrases, paraphrases (partielles), euphmismes (v. ex.
ci-dessus : douleur, mal, -algie), ici encore, dans des messages assez courts ou plus longs.
Une modalit remarquable quoique courante repre par Adam et Bonhomme (1997 : 144
sqq.) concerne largumentation publicitaire. Dans une argumentation ordinaire, un topos (T), qui
reste larrire-plan, sert de passage entre un point de dpart (D) et une conclusion (C). Ainsi par
exemple, pour vendre des lave-vaisselle, on attendrait des messages garnissant des structures
argumentatives telles que :
(D) Faire la vaisselle la main est une tche extrmement pnible. (Je nen peux plus de faire la vaisselle !)
(T) Or, avoir un lave-vaisselle permet de sen dispenser. (Avez-vous pens ?)
(C) Donc il vous faut un lave-vaisselle.
Ou encore, pour vendre des lave-vaisselle silencieux (Bosch) :
(D) Le bruit dun lave-vaisselle est une nuisance des plus dsagrables.
(T) Or, les lave-vaisselle silencieux permettent dviter cette nuisance.
(T) Or seuls les lave-vaisselle Bosch, qui sont les plus silencieux, permettent dviter cette nuisance.
(C) Donc il vous faut un lave-vaisselle silencieux.
(C) Donc il vous faut un lave-vaisselle Bosch.
Or il est remarquable que bien des noncs publicitaires, tout en donnant lillusion dune
progression, sont en fait totalement circulaires. Ils ne font que dplier le topos, qui en occupe
alors le centre, avant de se replier sur lui, selon une structure rgressive , centripte ou
atrophique , pour reprendre les termes des auteurs. Observons le vritable message sur les
lave-vaisselle Bosch (cit. Adam et Bonhomme) :
Bosch russit aujourdhui la performance damliorer encore le silence de ses lave-vaisselle. Grce une
technologie de plus en plus pousse, le niveau de 49 dB est vraiment atteint. Ceci mrite dtre clam haut
et fort, au risque de rduire au silence toute concurrence. Bosch soffre ainsi le luxe de vous proposer,
en plus de ses brillantes qualits de lavage, les lave-vaisselle les plus silencieux. Il est plus que jamais de
votre intrt dinvestir dans du Bosch.
Le message ne fait que formuler et reformuler le fait, valant raison dachat soi seul, que les
lave-vaisselle Bosch soient silencieux ; ou, pour le dire autrement, il repose tout entier sur lide
que : Plus un lave-vaisselle est silencieux, plus il est intressant acqurir . Or ce nest l que
le topos, prenant alors cette forme particulire, dune argumentation absente.
Un autre exemple, reu ce jour mme par courrier, montre bien la fois la rptition smantique
(mots souligns), le dploiement du topos (ici : Plus / lorsquun produit est sold, (plus) il faut
lacheter ), et la rptition dordre lexical (indique par les chiffres en indice) :
Profitez des avantages supplmentaires qui vous sont rservs pendant toute la priode des soldes1.
Bnficiez, en tant que client privilge1, dune rduction1 de 20 ou de 40 sur lachat de vos verres, en
plus de la rduction2 allant jusqu 50% sur vos montures. Alors nhsitez pas, mon quipe et moi-mme
vous invitons venir dcouvrir nos soldes2 vraiment trs privilgies2 [sic]. trs bientt, Votre opticien
(Krys)
Pour refermer ce chapitre sur la reprise du mme de plusieurs manires, je me contenterai de
noter car je ne peux le faire ici quil faudrait y inclure, pour les supports qui le permettent, tout
ce qui concerne la redondance entre le texte et limage.
halshs-00534077, version 1 - 19 Oct 20118/17
4. Rptition du message
Nous venons de voir diffrents niveaux linguistiques o la rptition peut se trouver, au sein dun
message publicitaire. Dans ce qui suit, il sagit de la rptition du message tout entier, dsigne
dans le technolecte du marketing par rptition externe ou encore matraquage semi-direct .
En effet une occurrence de message publicitaire nexiste jamais isolment. Elle fait partie dun
plan mdia ( media planning ), ou plan des supports qui dfinit, selon plusieurs critres,
la stratgie dployer pour optimiser lefficacit dune campagne, tant donn sa nature, son
budget. Il nest sans doute pas inutile de mentionner ici les principaux de ces critres, la
rptition tant lun dentre eux, pour comprendre dans quel cadre celle-ci intervient. Pour
chaque support, pour une unit de temps donne, il faudra donc valuer notamment les points
suivants (v. par ex. Vartanian, 1999 : 31 sqq.) :
Puissance : proportion de la population ou quantit de personnes quun support est capable datteindre.
Ciblage : homognit de la population quun support est capable datteindre.
Argumentation : quantit de dtail quun support est capable de donner sur un produit.
Rptition : nombre de fois quun support est capable de dlivrer un message.
Ainsi par exemple, la plage publicitaire qui suit le journal tlvis de 20 h sur TF1
bnficie-t-elle dune plus grande puissance, mais dun moins bon ciblage que le magazine Le
monde du muscle. Par ailleurs, une page dans un hebdomadaire est plus indique quun spot radio
pour ce qui est de largumentation, mais cest linverse pour la rptition. En effet, sil est courant
dcouter la radio toute la journe (artisans, personnes au foyer), il nen va pas de mme pour
un hebdomadaire. Or, un message peut y tre programm plusieurs fois par jour, alors quon na
pas encore vu de numro de magazine contenant plusieurs fois la mme page de publicit. La
raison en est probablement, pour les publicits argumentes (ou communiqus , ou publiinformations ), que le lecteur sauterait sans la relire la page quil a dj lue. On ne peut
matraquer avec un message que si celui-ci est suffisamment court
12
pour quil soit moins
coteux dy tre expos que de lviter. Ainsi, puissance vs ciblage (paramtres dfinissant
qui lon sadresse) dune part, argumentation vs rptition (de quelle manire on le fait) dautre
part, sans videmment tre des variables inversement proportionnelles, semblent-elles tirer dans
des sens opposs et devoir tre hirarchises dans la pratique.
Les paramtres de puissance et de rptition pris ensemble mritent galement que lon sy arrte,
puisque tous deux concourent laspect quantitatif de la diffusion du message13
. Il sagit
prsent de bien les distinguer, tout en tentant dinscrire leur dfinition dans un cadre linguistique.
En premire approche, cest--dire en prenant appui sur le sens courant de rptition , je dirais
que la puissance dun support donn fait exister simultanment plusieurs occurrences dun
message, tandis que la rptition se dfinit comme une succession doccurrences. Hlas, tant
donn la nature variable (linaire ou spatiale) des supports, cette approche se rvle fausse dans
la ralit, comme lillustre le tableau ci-dessous14
. En effet, dans le cas des affiches, quatre
12
Cest bien la longueur du message plus que son caractre crit qui intervient. Sil est vrai que lon ne peut
sempcher de lire ce que lon a sous les yeux lorsquon sait lire, si le texte dpasse une certaine longueur, qui
demande que lon sy arrte, et que lon fasse suivre le regard, il est en revanche possible de sen dtourner. (La
mme remarque est valable pour des messages oraux.) Dautres raisons doivent alors expliquer que lon nait pas plusieurs fois la mme page publicitaire dans un mme magazine, lorsquelle est essentiellement constitue dune image.
13
Jai utilis le terme d occurrence pour des ralits relevant de lun ou de lautre.
14
Dans lequel, par souci de simplification, le temps, autre paramtre important pour le calcul de la puissance comme
de la rptition, na pas t pris en compte.
halshs-00534077, version 1 - 19 Oct 20119/17
personnes peuvent passer en mme temps ou non devant la mme affiche (puissance), tandis que
toutes les affiches occupent simultanment les panneaux ( rptition , au sens technique).
Exemple de support Puissance Rptition
Journal Le Monde Calcul en fonction du tirage ou de la
diffusion moyenne du Monde
Nombre de parutions
Affichage Nombre de personnes qui passent devant Nombre daffiches
TF1 Nombre de personnes qui regardent TF1 Nombre de diffusions du spot TV
NRJ Nombre de personnes qui coutent NRJ Nombre de diffusions du spot radio
Site internet Yahoo! Nombre de personnes qui utilisent Yahoo ! Nombre dapparitions du bandeau
Salle de cinma : GaumontParnasse
Nombre de personnes qui frquentent le
Gaumont-Parnasse
Nombre de diffusions du spot
La rptition dun message, au sens du marketing, correspond au fond au nombre despaces
achets par lannonceur.
Il me semblerait pourtant dommageable de rcuser toute explication de la diffrence entre
puissance et rptition en termes de simultanit / succession. On peut tenter de conserver cette
vision moyennant quelques amnagements. La puissance se dfinirait alors du ct du rcepteur
(R). Elle rsulterait dune simultanit dmissions (en t0) des occurrences (O), chacune delles
correspondant une rception (en t0+variable) par un rcepteur potentiel. La rptition des
publicitaires, au contraire, se dfinirait du ct de lmetteur (E) ; elle serait le rsultat dune
succession doccurrences, reues par un seul rcepteur idal (Ri) qui les recevrait toutes.
Puissance : Rptition :
v, w, x, y, z = 0 pour la radio et la tlvision a, b, c = 0 pour laffichage
E
t0
R1
R2
R3 R4
Rn
t0+v E
E
E
E
Ri
Rn
Ri
Rn
Ri
Rn
Ri
Rn
t0
t0+a
t0+a+b
t0+a+b+c
t0+w
t0+w
t0+x
t0+y
t0+z
t0+w
t0+a+x
t0+a+x
t0+a+b+y
t0+a+b+y
t0+a+b+c+z
t0+a+b+c +z
O1
On
O1
O2
O3
O4
O2
On
O4
halshs-00534077, version 1 - 19 Oct 201110/17
Le rcepteur idal (Ri) que nous venons dvoquer nexiste naturellement pas (il faudrait regarder
TF1 24 h/ 24, ou passer devant chacune des affiches dune campagne), aussi lannonceur a-t-il
besoin de croiser les deux paramtres pour se faire une ide du nombre d ODE ou d ODV
(Occasion De Voir, Occasion DEntendre) auquel est expos un rcepteur moyen faisant partie de
la cible, et du nombre de ces rcepteurs. Entre autres mesures statistiques plus sophistiques
15
, le
GRP
16
est un indicateur prcieux. Ces calculs sont essentiels, car cest la rptition auprs des
mmes rcepteurs qui est efficace. Les propos, cits tels quels, dun homme daffaires (Andr
Amyot)
17
en tmoignent :
Choisir le bon mdia
[] Une immense pub une seule parution dans un journal aura bien moins d'impact qu'une bonne
annonce qui ritre votre message souvent, au mme endroit et le mme jour et ce, mme si la pub est plus
petite.
Pour une pub la radio, la rptition durant une mission quotidienne la mme heure (diffusion
horizontale) est prfrable la diffusion que l'on appelle verticale ( diffrentes heures durant plusieurs
missions).
Rptition, rptition, rptition
Il doit y avoir BEAUCOUP de rptitions de votre message pour qu'une personne se dcide finalement de
vous choisir comme commerant. Si avec votre budget en publicit vous deviez choisir de rejoindre 100%
de la population de votre rgion UNE seule fois ou vous afficher 10 fois 10% de la population durant une
semaine, c'est cette dernire approche qui devrait tre la plus prometteuse.
La frquence de rptition aux mmes personnes, c'est la cl ! Si dix personnes entendent le message une
seule fois, c'est gnralement moins efficace qu'une personne qui l'aura entendu 10 fois. []
Les effets psychologiques de la rptition, dsormais assez bien connus, expliquent pourquoi cela
est si important. ce sujet, la rptition hyper-rapproche appellerait des remarques particulires.
Cest en effet pour des raisons dimpact mmoriel, quil arrive quun spot tlvis soit diffus
trois fois de suite (Quand ju va bien, cest Juvamine !), ou que, dans le mtro, les affiches
viennent souvent par paires ou par triades identiques. Un botien pourrait pourtant penser que,
pour un mme budget de trois affiches, un annonceur aurait intrt les placer des endroits
diffrents, pour toucher plus de personnes. Or les choses ne sont pas si simples, car si trois
supports contigus (donc vus presque en mme temps) prsentent trois affiches diffrentes, le
passant nen retiendra aucune
18
.
Dans cette optique, il ny a donc rien dincongru considrer comme une rptition du message
des messages qui, appartenant une mme campagne, ne sont que partiellement identiques, parce
leur contenu sadapte un mdia. Mais il faut noter que le contenu dun message peut aussi
varier partiellement bien que le mdia soit le mme. Il sagit alors du cas particulier de la
15
Tenant compte du fait que tel rcepteur achte tel quotidien tous les jours ou pas, quil reprend en main son
exemplaire plusieurs fois ou non, quil passe tous les jours (ou deux fois par jour) devant telle affiche, et par
consquent devant telle autre, quil ncoute que deux stations de radio, et seulement en dbut de matine, etc.
16
Le GRP (Gross Rating Point) est un indicateur de pression dune campagne gal au taux de couverture
rptition. La couverture, cest--dire le nombre de personnes diffrentes qui recevront le message au moins une fois,
relve de la puissance, mais elle est distinguer, pour un magazine, du tirage (= exemplaires imprims) ou de la
diffusion (= exemplaires vendus), compte tenu du fait que le magazine passe de main en main (phnomne appel
rotation ou circulation ) avant de disparatre. Pour laffichage, elle nest pas gale la quantit de passage, car
certaines personnes passant devant les affiches sont en fait les mmes le matin et le soir, etc.
17
Recueillis sur le site http://detaillants.com/club, dans une interview intitule Publicit : frquence ou grand
format ? Quoi choisir ! (publis le 30/11/2005)
18
Dautres effets, plutt dordre perceptif, dus lalignement des produits identiques (rptition) sur les rayonnages
de supermarchs sont galement prsents, exploits ou, le cas chant, vits (ex. rayures qui auraient pour effet de
signaler le produit voisin).
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rptition avec variation, mettant en jeu des sries de messages apparents, dont je dirai
quelques mots au paragraphe ci-dessous.
4 bis. Rptition du message avec variation
19
Au cours dune mme campagne, au lieu de ne crer quun unique message, quil faudra rpter
tant et plus, il arrive que le publicitaire en cre plusieurs (que jappellerai srie ). Ils rpondent
alors un mme schma, partageant certains lments, diffrant sur dautres, et sont facilement
identifiables comme appartenant la mme srie. Cette technique, plus coteuse, permet
nanmoins, comme le note Grunig (2000 : 82, 3.1.3), de bnficier des avantages de la
rptition (mmorisation) et mme de les accrotre, tout en en dsamorant quelques-uns des
aspects ngatifs (saturation). Deux exemples de campagnes relativement rcents :
1) Une srie de trois affiches pour Canal J montrant soit un pre, soit une mre, soit un grand-pre essayant,
dans une attitude ridicule, deffrayer ou de faire rire des enfants, sans succs, avec comme slogan : Les enfants
mritent mieux que a.
2) Une srie de visuels multi-supports plus longue, et plus complexe, car compose de deux sous-sries, pour
le site voyages-sncf.com. La premire sous-srie, qui porte le slogan Heureusement que nous ne vous
proposons pas que le train, montre, sur fond de paysage rural morne, des panneaux dentre dagglomration
portant les noms Nouillorc, Losse-en-Gelaisse, Quancoune, Mike-aux-noces, S
t
Gapour, Yste-en-Boule,
Marrat-Quche, Nioudelie, Louc-sorre, autant faux de toponymes voquant, par un procd remarquable de
ddoublement du signifiant, des lieux exotiques qui nen sont pas. La deuxime sous-srie montre des
panneaux ou inscriptions en gare portant les noms Croulay-sous-le-bouleau, Gastreau-en-thrite, Dche,
Ptoches, voquant autant de bonnes raisons pour acheter son billet sur linternet (ou de mauvaises pour ne
pas le faire).
Dans ces sries, laspect rptitif est le plus souvent associ un autre ressort de la publicit :
lhumour. Cela est encore plus marqu pour des sries de spots-tl, plus ou moins longues et
tales dans le temps (elles peuvent occuper plusieurs campagnes), appeles sagas
publicitaires . La plus connue dentre elles est peut-tre celle qui met en scne le personnage de
Don Patillo, qui pendant vingt-cinq ans est retourn son pch mignon, se faisant chaque fois
surprendre en flagrant dlit : Mais Seigneur, ce ne sont que quelques ptes , et Dieu de
rpondre : Des ptes, oui mais des Panzani ! , avant que ne rsonne la chansonnette finale
20
.
On reconnat alors un type dhumour appel comique de rptition , o la drlerie repose sur
un quilibre entre lattendu et linattendu. En effet, ds que lon aperoit notre ami en soutane, on
se demande ce qui va encore lui arriver, tandis que lon se rjouit dj de la chute, que lon
connat davance. Lattente ainsi cre, associe lhumour, potentialise les effets attendus de la
rptition.
19
Ce type de rptition relve peut-tre du matraquage indirect , daprs ce que jen ai compris. Celui-ci
concernerait toute reprise dlments (non ncessairement linguistiques) qui assurent lidentit et la continuit dune
marque, dune campagne (ex. une couleur turquoise particulire est la marque de la RATP travers le logo, les
voitures, les tickets, mme chose pour le jaune de La Poste, visible sur les enseignes, les botes aux lettres, les
vhicules, les documents).
20
Des ptes, des ptes, oui mais des Panzani ! (structure avec fuite : 2/2/6) Le cur de campagne, sosie du
personnage jou par Fernandel, a pris sa retraite en 1999, mais les campagnes suivantes continuent dy faire allusion.
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Dans ce 4 bis, il a t question dune rptition sinscrivant dans une structure, entre un message
et un autre, toujours associs un mme produit. Dans le chapitre suivant, la rptition entre
messages est observe en labsence de ces repres.
5. Rptition entre messages
Si lon considre lensemble du genre discursif publicitaire, on constate que des formes propres
au genre mais aussi des contenus : mots, ides, valeurs , symboles, transcendent les
frontires entre campagnes, marques et produits, et se font cho les un(e)s aux autres
21
. Il existe
donc un niveau supplmentaire de rptition, transversal : lintertexte (certains prfreront parler
d interdiscours dans ce cas). Lintertextualit dans le discours publicitaire de presse crite a
dsormais t explore en profondeur, dans ses diffrentes modalits iconiques et verbales, par
Lugrin (2006). Son travail montre que le phnomne, comprenant en fait les diffrentes
composantes de la transtextualit de Genette (v. Maingueneau et Charaudeau : 328), est
minemment complexe. Je ne rendrai pas compte ici de cette complexit, que laissait deviner la
remarque de Jacques Sgula : Lart de la publicit est de savoir se recopier sans se rpter
22
,
car pour lheure nen dplaise lillustre publicitaire il mimporte seulement de voir que pour
le rcepteur, il y a bien ritration de certains lments fussent-ils abstraits travers les
diverses publicits. Lugrin donne dailleurs les raisons de cette propension au mimtisme, tant
gntiques (les jeunes cratifs apprennent dabord en imitant) quutilitaires (sentiment valorisant
de connivence pour ceux qui remarquent lallusion, etc.). Elle nest au demeurant gure
surprenante lorsque lon sait que 20% des agences gnrent grosso modo 80% de la publicit, et
ce, pour un nombre relativement restreint de groupes multinationaux, comparativement au
nombre de marques en jeu. Le rsultat est quil se forme un fonds de clichs (ou strotypes)
lintrieur mme de lunivers publicitaire (intertextualit interne), dont voici quelques
illustrations parlantes, strictement verbales.
En ce qui concerne la forme, les structures majeures dcrites au 1 sont prcisment ce qui fait
que, sur le plan sonore (et syntaxique), un slogan en rappelle dautres. Mais ceci est parfois
particulirement net : (cit. Grunig, 1998)
Le Gouda, cest tout a.
Ma Corsa, cest tout moi.
Coca cola, cest a.
Bouchara, cest moi.
Les similitudes entre slogans peuvent aller encore plus loin :
Des ptes, des ptes, oui mais des Panzani.
Des puces, des puces, oui mais des Olivetti.
De ces deux slogans (cit. Grunig, 1998 : 192-193), il nest pas indispensable pour mon propos de
statuer sur le point de savoir si lun a copi lautre et lequel, sil y a allusion, dtournement ou
21
Il est ici prfrable de parler de forme et de contenu plutt que de signifiant et de signifi. Lanalyse se situe
dsormais un niveau dabstraction o forme et contenu possdent chacun un signifiant et un signifi.
22
Jacques Sgula, Ne dites pas ma mre que je suis dans la publicit Elle me croit pianiste dans un bordel,
Paris : Flammarion, 1979 ; cit. Lugrin, 2006, 339.
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plagiat. Il me suffit de constater leur isomorphie (puces remplace ptes, et Olivetti remplace
Panzani, le reste tant identique) car le cas est loin dtre exceptionnel
23
.
Mais les structures sloganesques dgages par Grunig ne sont pas seulement sonores et
syntaxiques, elles concernent toute une faon de faire fonctionner la langue. Par exemple, en
exploitant des relations lexicales smantiques ( choc des contraires ), en faisant jouer les
formules figes, en innovant (mots-valises, drivation par le vide
24), etc.
En ce qui concerne le contenu, des tendances mergent tout aussi nettement, lintrieur dune
aire culturelle, que la mondialisation de lactivit conomique tend tendre. La notion de
fracheur , par exemple, positivement connote, est associe une tonnante diversit de
produits : hygine et cosmtique : crme, lotion, dentifrice, dodorant ( pour rester frache
pendant 24 heures ), eau de toilette, lingettes, serviettes hyginiques ; entretien domestique :
dsodorisant, lessive, assouplissant, liquide vaisselle, nettoyant pour les sols ( fracheur
citron , lavande ou pin des landes ) ; alimentation : fromage blanc ou yaourt, chewinggum ( au got trs frais ) ou bonbons ( menthe frache ), etc. Il y a l une rptition dordre
smantique, et souvent mme, lexical. En fait, il nest pas rare que les mmes mots soient
carrment repris par divers produits sans lien apparent entre eux. Cest sur les emballages de la
lessive Dash 2 en 1, des petits-beurres Lu, des maillots de bain Speedo, ou du cappuccino
Nescaf que le consommateur est invit se ressourcer (Ressourcez-vous !)
25
.
Et si lon sautorise dpasser le verbal, on constate que les emballages constituent probablement
le lieu o les rfrences endognes sont le plus prgnantes. Il suffit de comparer des produits
semblables de marques diffrentes.
6. Rptition dordre strotypique
Lintertextualit dont nous venons de parler nest pas seulement interne , elle est aussi
externe . Autrement dit, la publicit ne se copie pas seulement elle-mme, elle fait aussi
constamment appel des discours autres, extrieurs son univers. De ce fait, lui aussi amplement
analys dans ltude de Lugrin dj cite, je me contenterai encore de pointer la dimension
rptitive, plusieurs gards. En effet, puisquils ont acquis le statut de strotypes, la rptition
est constitutive de ces discours auxquels la publicit fait allusion. Et tout en venant commettre
une rptition supplmentaire, la publicit intgre les rptitions prcdentes.
Ainsi, les structures sonores voques au 1, nouveau, nont-elles pas t forges par les
publicitaires ex nihilo. Sil est difficile daffirmer que le slogan publicitaire serait lavatar
commercial, secondaire par rapport au slogan politique, il est quoi quil en soit apparent
dautres espces phrasologiques, et comme le dit Grunig propos des vers et des rimes des
slogans, ce sont l des structures familires , qui ne sont pas lexclusivit de la publicit. Plus
prcisment, cest dabord en posie ou dans la chanson que lon a toujours compos des vers
rims. Ainsi le premier des slogans publicitaires avait-il ncessairement un relent de dj
entendu , mme si, comme le slogan cit plus haut :
Efficace et pas chre, cest la Maaf que jprfre.
23
Lugrin cite aussi : Azzaro, pour les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes vs Les prservatifs, pour
les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes. Et rciproquement (Stop SIDA), slogan encore utilis
par une publicit pour IWC (horlogerie), Ibid., 331-332.
24
V. ci-dessus client privilge (vs privilgi) ou trs Dior.
25
Mais que restera-t-il aux cures de thalassothrapie et autres stages de yoga ?
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il ne reprenait pas une chanson en particulier : Cest la ouate, de Caroline Loeb, en loccurrence :
De toutes les matires, cest la ouate quelle prfre.
Le rab-raa par exemple, est une structure potique trs rpandue en franais :
ra Jai du bon tabac Ils ont des chapeaux ronds,
b Dans ma tabatire. Vive la Bretagne.
ra Jai du bon tabac, Ils ont des chapeaux ronds,
a Tu nen auras pas ! Vive les Bretons !
et il me semble que le slogan Carglass rpare, Carglass remplace peut considr comme un
rab-raa trs ramass.
Cette sensation de rptition est encore prgnante lorsque lon utilise un strotype linguistique
plus classique, gnralement une locution fige, profitant du mme coup de son effet doxique. La
rfrence nest alors pas seulement formelle, elle est aussi charge de sens. La publicit y recourt
abondamment, mme si cest presque toujours pour la dfiger :
On nattrape pas les mouches avec du vinaigre. (Barbara)
Qui sme des fleurs, rcolte la tendresse. (Interflora)
Made in qualit. (Nissan)
Surpris en flagrant dlices. (Bndictine)
Ces quelques exemples d emprunts dautres genres ou la phrasologie montrent assez, me
semble-t-il, en quoi la rptition intervient ici encore. Je renvoie dfinitivement Lugrin (2006)
le lecteur qui souhaiterait approfondir le sujet, tout en souvrant davantage la smiologie, par
exemple pour sintresser au personnage de Don Patillo cit plus haut, qui non seulement se
rpte lui-mme, mais reprend le personnage filmique de Don Camillo (Fernandel).
7. Rptition par le rcepteur
Nous venons de voir que les strotypes linguistiques constituent un fonds dans lequel les
publicitaires cratifs savent puiser largement. Inversement, il arrive quun slogan devienne un
strotype linguistique. ce niveau de rptition, il nous faut considrer un autre lment
constitutif de la communication : le rcepteur, devenant son tour metteur. Les consommateurs,
en effet, rptent lenvi les slogans et chansonnettes quils ont forcment mmoriss. Un
exemple de locution dsormais courante, issue dun slogan, est Bonjour les dgts !, plus
rarement utilise dans sa version intgrale :
Un verre, a va ; deux verres, a va ; trois verres, bonjour les dgts !
o le verre de loriginal peut tre remplac par autre chose, en fonction de la situation. On peut
noter aussi les nombreuses occurrences de lave plus blanc que blanc que rapporte un moteur de
recherche comme Google, dans divers domaines. Sans ncessairement connatre un tel succs,
certains passages de spots publicitaires sont, au mme titre que des rpliques de cinma ou autres,
qualifies de cultes parmi les amateurs de publicit. Pour rester dans la prvention routire
antialcoolique :
Tu tes vu quand tas bu ?
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Ainsi, de dsoiffer positiver impos par Carrefour
26
, tous les degrs de diffusion existent. Pour
se donner un ide de lampleur du phnomne, il ne serait pas inintressant de comparer le
nombre de slogans et le nombre de proverbes que peut spontanment citer la jeune gnration.
partir de l, il nest pas exclu que la publicit puise nouveau dans la langue ce quelle y a mis
elle-mme, ce qui troublerait la frontire entre intertextualit interne et externe, entre autorptition et rptition. Il ne me semble pas improbable qutant donn la puissance des massmdias, on puisse vritablement parler de va-et-vient linguistique entre ceux-ci et la socit,
cest--dire, au fond, entre leur discours et la langue. Les publicitaires, aprs tout, font aussi
partie de la masse parlante .
Pour conclure sur les trois derniers paragraphes, on peut tendre ces constatations relatives aux
strotypes linguistiques aux strotypes non linguistiques (strotypes de pense, souvent
vhiculs par les images), eux aussi amplement exploits en publicit moins quils ne soient
en partie (de plus en plus ?) crs (imposs ?) par elle. Le strotype peut affecter la forme (sil
nest quun moyen dexprimer autre chose), mais aussi le contenu du message (sil en est la fin),
mme si, rptons-le, ce strotype est souvent dtourn, afin de choquer .
8. Lomniprsence de la publicit
En guise de conclusion, je voudrais faire merger un ultime niveau de rptition publicitaire. Un
niveau qui, faisant abstraction de la diversit des messages publicitaires et de leurs metteurs on
se place du ct du rcepteur se situerait au niveau intertextuel et illocutoire. Lensemble des
messages publicitaires mis/reus seraient alors considrs comme autant doccurrences dun
acte de langage unique, que lon pourrait appeler vendre
27
.
tant donn la multiplicit des campagnes menes en mme temps et de manire continuelle,
daucuns avancent quactuellement, chaque Franais serait soumis quotidiennement environ
huit cents messages publicitaires (source Wikipdia, article publicit). Selon dautres sources,
cela varie entre plus de cent plusieurs milliers (mouvement antipub ). Un tel cart
dpend probablement de ce que lon considre comme message publicitaire, le dcompte le plus
comprhensif recensant trs certainement les enseignes, les marques de vtements lorsque le logo
est visible, etc. Quel que soit le nombre exact de messages reus, et mme en retenant
lestimation la plus basse, on peut admettre que cette quantit est gnralement perue par les
rcepteurs eux-mmes comme leve, cest--dire trop leve, ou en tout cas plus leve quils
nauraient pu le penser intuitivement. La publicit occupe le temps, lespace, et sollicite
diffrents sens. De nos jours, il ne serait pas exagr daffirmer quun consommateur urbain
moyen est expos une frquence de messages telle que, sil sagissait dun autre type de
messages non sollicits (coups de tlphone par exemple), il pourrait porter plainte pour
harclement
28
.
Ce fait reprsente lui seul un dfi supplmentaire pour les publicitaires. Concernant lvolution
de la situation et son effet sur le consommateur, Henri Joannis parle de lente mithridatisation
qui fait que le seuil de dsintrt et dindiffrence monte au long des annes en mme temps
26
Ce mot tait attest prcdemment, mais cest avec le slogan Avec Carrefour, je positive quil est devenu populaire
dans son emploi intransitif.
27
Lun des sens de vendre sy prte : celui de mettre en vente (Quest-ce que tu vends ?), et non pas celui de
accomplir une vente (Quest-ce que tu as vendu depuis ce matin ?).
28
Les adversaires de la publicit emploient ce terme, ou encore celui d agression , de bombardement ou de
matraquage .
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quaugmente lespace publicitaire introduit dans les mdias , tandis que pour Jean-Nol
Kapferer le challenge de la publicit moderne est moins de convaincre de la diffrence que de
vaincre lindiffrence . Trop de publicit tue-t-il la publicit ? Comment faire, en effet, pour
quun message merge dans un paysage si dense ? Pour quil fasse partie des 10% estims qui ne
passent pas directement aux oubliettes ? Cest l, au fond, que rside tout lart et le talent dun
bon cratif (associ un bon mdia-planneur). Outre la rptition, celui-ci dispose de nombre
doutils plus subtils de persuasion.
Car la technique de la rptition a mauvaise presse auprs dun public de plus en plus averti, ou
des publicitaires eux-mmes. Elle est vue comme :
- manipulatrice, lorsque lon a conscience de ses effets psychologiques
- obsolte, ringarde , faisant recette lpoque de la rclame
- defficacit limite aux produits dits faible implication (cest--dire pour lesquels on
ne rflchit ni ne compare pas normment avant dacheter), ne requrant pas une argumentation
sophistique
29
, v. 3.
- pauvre, grossire, refltant un manque dimagination, de crativit. cet gard, le
publicitaire Nicolas Riou met en garde ses confrres sur le risque de perte de contenu, de sens,
que courrait limage des marques. Il dclare, dans une interview de mars 2005 au Journal du net
management
30
: Les messages publicitaires ne peuvent plus tourner vide .
Mais malgr ces rserves, il faut souligner que la rptition est un des piliers de toute campagne.
Cest une technique publicitaire minimale, certes, mais sans laquelle les autres techniques ne
serviraient rien. Je parle ici en particulier de la rptition dordre lexical et smantique, et de
celle du message, prvue par le plan des supports.
Pour clore en la rsumant cette exploration des relations quentretiennent rptition et publicit,
je dirais que la publicit se rpte, rpte, et est rpte. Elle se rpte, dabord, aux niveaux
phonique (1), morpho-lexical ou syntagmatique (2), smantico-argumentatif (3), textuel (4),
intertextuel (5), et, par son omniprsence, un niveau intertextuel-illocutoire (8). Elle rpte,
ensuite, des lments extrieurs elle dont la rptition est constitutive : soit en imitant un autre
genre discursif au niveau phonique , soit en refltant y compris de faon dforme les
strotypes dune communaut linguistique et/ou culturelle (6). Elles est rpte, enfin, par cette
communaut (7), au point parfois de pntrer le systme linguistique ; ce quelle est susceptible
de faire, l encore, diffrents niveaux.
29
En ralit, cest la publicit en gnral qui se rvle trs efficace surtout sur le lieu de vente pour ces produits
faible implication (comme la lessive), et beaucoup moins pour les produits forte implication (candidat llection
prsidentielle).
30
http://www.journaldunet.com/management/dossiers/050375conso/riou.shtml
halshs-00534077, version 1 - 19 Oct 201117/17
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